Les enjeux du haut débit : « collectivités locales et territoires à l'heure des choix »



Palais du Luxembourg, 12 novembre 2002
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OUVERTURE : Message de M. Christian PONCELET, Président du Sénat

présenté par M. Gérard LARCHER, sénateur des Yvelines,

Président de la Commission des affaires économiques et du plan du Sénat

« Je vous propose d'ouvrir ce colloque consacré aux enjeux du haut débit.

Je voudrais d'abord vous lire le message que le Président Poncelet a souhaité vous délivrer au début :

Monsieur le Directeur général du groupe Caisse des Dépôts et Consignations, cher Daniel Lebègue, chers collègues députés, chers collègues sénateurs, Mesdames et Messieurs, permettez-moi de vous dire mon regret de ne pas être parmi vous aujourd'hui pour l'ouverture de ce colloque organisé par le Sénat et la Caisse des Dépôts et Consignations.

La tenue des assises des libertés locales dans mon département ne me permet pas, en effet, d'honorer ce rendez-vous et je vous demande de bien vouloir m'excuser.

Ce regret est d'autant plus vif que vous abordez aujourd'hui un thème stratégique conçu selon ce que j'appelle la méthode Sénatoriale, à savoir éclairer la décision publique sur les grands choix.

Vous avez, en effet, choisi de radiographier un thème essentiel, tant pour les responsables territoriaux que pour les Français, en analysant les enjeux du haut débit dans une perspective territoriale.

Vous aborderez cette problématique de façon dynamique en vous interrogeant à la fois sur l'usage actuel et potentiel du haut débit, tout en étudiant son intérêt et les risques qu'il comporte pour les territoires, avant de vous prononcer sur le rôle des collectivités locales dans sa mise en oeuvre.

Sans vouloir analyser ce sujet de façon exhaustive, -vous allez vous y livrer, n'est-ce pas, dans quelques instants-, il me semble nécessaire d'insister sur quelques points essentiels :

En premier lieu, le haut débit ou plutôt les techniques qui permettent de l'offrir à des usagers sur un territoire donné doivent avant tout être guidées par la volonté de rendre un territoire donné plus attractif sur le plan économique.

C'est, en effet, un moyen d'offrir, en particulier aux entreprises, mais aussi aux services publics, un instrument contribuant à leur efficacité et à leur productivité.

Il s'agit donc d'un enjeu décisif mais qui suppose, pour être mis en oeuvre, un véritable projet de développement ainsi qu'une certaine dimension territoriale, c'est-à-dire des territoires tels que régions, départements ou villes grandes et moyennes, capables de mettre en oeuvre ces technologies à une échelle pertinente.

En second lieu, la mise en oeuvre, au sein des territoires, du haut débit, est une terre d'élection pour le droit à l'expérimentation qui est sur le point d'être consacré par la Constitution.

Je compte que le Gouvernement sache être à l'écoute des élus et faire preuve d'imagination créatrice dans ce domaine qui, à l'évidence, devrait faciliter l'extension du haut débit dans notre pays.

En effet, ces nouvelles technologies, à l'instar de la téléphonie mobile, ne se démocratiseront véritablement que lorsque nous aurons amorcé un processus de baisse significative des prix. Baisse des prix qui ne résultera en réalité que d'une ouverture à la concurrence dans ce domaine.

Le temps n'est plus aux grands actes de planification décentralisée mais, au contraire, à la multiplication d'expériences constructives dont nous tirerons, après évaluation, tous les enseignements pour les étendre, s'ils sont bénéfiques, ou, dans le cas contraire, pour les abandonner.

Dans ce cadre, il est bien entendu décisif de savoir quel rôle reconnaître aux collectivités territoriales.

Sont-elles -pour reprendre l'intitulé de ce qui sera votre dernière table ronde- des facilitateurs ou faut-il concevoir pour elles un rôle plus ambitieux d'opérateurs ? J'allais dire un rôle d'aménageurs numériques...

Sans prétendre trancher cette interrogation que vous avez non sans raison conservée pour la fin de votre colloque, je vous livrerai mon analyse personnelle.

À l'évidence, ce « nouveau territoire » d'intervention implique pour s'y engager de bien en mesurer la complexité. C'est ainsi qu'une démarche d'opérateur ne peut, à mon sens, être sérieusement envisagée -comme je l'ai déjà précisé- que par des collectivités ou des groupements de collectivités de grande taille. Je pense en particulier aux départements.

Ainsi ces collectivités pourraient contribuer, dans ce domaine, à un processus de libéralisation qui, pour l'instant, a permis une baisse des coûts déterminante pour son extension. Les collectivités qui s'engageraient dans cette voie doivent cependant mesurer toute l'expérience et la technicité requises pour exercer un rôle d'opérateur ?

Enfin, les collectivités devront être très vigilantes pour évaluer la qualité et le sérieux des différents prestataires de services susceptibles de se manifester sur ce marché.

Sous ces réserves, j'attends avec intérêt les pistes de réflexion qui seront les vôtres pour voir dans quelle mesure ces obstacles peuvent être surmontés.

Je vous souhaite de bons et fructueux travaux ici, au Sénat. »

(Applaudissements).

M. Daniel LEBEGUE - Président-directeur général du groupe Caisse des dépôts et consignations

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les sénateurs, Mesdames, Messieurs,

Au nom de la Caisse des Dépôts et de nos invités communs, permettez-moi d'abord de vous remercier, M. le Président, de nous avoir associés à cette manifestation et de nous accueillir aujourd'hui au Sénat pour ce colloque consacré aux enjeux du haut débit pour les collectivités locales et les territoires.

Cette initiative s'inscrit bien entendu dans les missions institutionnelles dévolues à la Haute Assemblée et, plus particulièrement, dans la mission que la Constitution lui confère de concourir à la représentation des collectivités locales.

Elle illustre aussi, je crois, l'attention constante, soutenue, que porte le Sénat à cette thématique des nouvelles technologies de l'information et de la communication, dont témoignent des rapports nombreux et de grande qualité, à l'origine desquels se trouvent des sénateurs, des membres de la Haute Assemblée, au premier rang desquels le Président Gérard Larcher qui a consacré un rapport connu de tous sur l'avenir de France Télécom.

Je pense aussi au rapport du sénateur Hérisson sur le bilan de la loi de 1995, au rapport des sénateurs Pierre Laffitte et René Trégouët sur les conséquences de l'évolution scientifique et technique dans le secteur des télécommunications.

Le « club-senat.fr », de son côté, n'a pas manqué d'alimenter la réflexion sur les technologies de l'information et de la communication, en particulier sur leur impact dans l'organisation des territoires, je pense notamment aux travaux que le « club-senat.fr » a consacrés au développement des entreprises de la Net économie ou encore à la fracture numérique et aux remèdes à y apporter.

Je citerai enfin la proposition de loi et le rapport de Bruno Sido sur la couverture territoriale en matière de téléphonie mobile, qui confirme, si besoin en était, tout l'intérêt, tout l'investissement des membres du Sénat dans les enjeux de ce qu'il convient dorénavant d'appeler le « développement numérique des territoires » .

Avant d'esquisser, dans la ligne du propos introductif du Président Poncelet, les enjeux et les axes de travail de ce colloque, permettez-moi de rappeler en quelques mots le rôle et les missions impartis à la Caisse des Dépôts dans ce champ du développement numérique de nos territoires.

Notre établissement, vous le savez, est aux côtés de l'État et des collectivités locales, un acteur significatif du développement local et de l'aménagement équilibré et durable des territoires.

La Caisse des Dépôts est à la fois un prêteur de long terme sur les fonds d'épargne et un investisseur dans le champ, en particulier, de la rénovation urbaine, de l'appui à la création d'entreprises et au développement des PME, du développement local, de l'économie sociale et du monde associatif également.

La mission plus nouvelle d'appui au développement numérique des territoires s'inscrit dans le prolongement de ces missions traditionnelles de la Caisse des Dépôts. Certaines d'entre elles ont près de 200 ans dans nos statuts.

Ces missions ont été assez profondément renouvelées dans les années récentes, dans leurs contenus d'une part et, surtout, dans leurs modes opératoires. La manière pour nous d'intervenir aux côtés des acteurs du monde local a profondément changé, pour s'adapter au monde d'aujourd'hui et aux besoins de nos grands partenaires.

Le Comité interministériel d'aménagement du territoire de Limoges, en juillet 2001, a en effet donné à la Caisse des Dépôts un nouveau mandat, celui d'investir, sur ses fonds propres, dans le développement d'infrastructures ou de services ou d'usages Internet au bénéfice de nos partenaires collectivités locales.

C'est ainsi que, depuis plusieurs mois maintenant, nous accompagnons l'émergence des projets des collectivités locales dans ce domaine.

La croissance du nombre et de la qualité de ces projets sont d'ailleurs remarquables. À ce jour, nous avons identifié 129 projets haut débit dans le champ des infrastructures, des services, des usages. Ce sont des projets en cours d'élaboration, de montage ou de mise en place, qui nous ont été présentés par des collectivités locales.

Pour accompagner ce mouvement et cette dynamique, nous avons d'abord constitué une équipe d'experts, de haut niveau, je l'espère. Nous avons engagé également un montant important de crédits d'études et d'ingénierie, mobilisé nos directions régionales et nous sommes en train de déployer, dans nos directions régionales, des experts en technologies de l'information et de la communication.

Notre mandat s'étend donc au delà d'un engagement financier, aussi important soit-il. Il prend tout son sens, toute son ampleur, dans la mise à disposition de nos partenaires d'une capacité d'ingénierie, d'expertise, qui précède et prépare les investissements à venir.

La Caisse des Dépôts est présente et représentée dans les comités de pilotage de pratiquement tous les projets dont j'ai parlés il y a un instant.

J'en viens à la question : pourquoi le Sénat et la Caisse ont-ils décidé d'organiser en cette fin d'année 2002 et ensemble ce colloque ?

Nous avons pensé, avec le Président Poncelet et le Président Larcher, que le moment était bien choisi. C'est aussi l'opinion de l'Autorité de régulation des télécommunications et de la DATAR avec lesquelles nous collaborons étroitement.

Il nous a donc semblé, aux uns et aux autres, que le temps était bien choisi de contribuer au débat, non seulement avec la représentation nationale mais aussi avec le plus grand nombre possible d'élus locaux, dans un contexte que nous pouvons qualifier de porteur d'avenir - arrivent les grandes lois de décentralisation - mais aussi très perturbé, il faut le dire sans détours.

La crise financière frappe durement les opérateurs de télécommunications et les acteurs de la Net économie.

Dans le semestre à venir, trois grands chantiers législatifs devraient s'ouvrir, qui concernent directement les technologies de l'information et de la communication : le projet de loi sur l'économie numérique, les projets de loi sur la décentralisation, enfin un projet de loi sur l'adaptation des directives européennes - le paquet dit « Télécoms » -.

Ce sont là, bien entendu, autant d'occasions de clarifier le rôle et la place impartis aux collectivités locales dans le domaine des télécommunications.

Je vous ai dit combien nous avions pu, au cours des derniers mois, mesurer l'engagement des élus locaux en faveur de l'aménagement numérique de leur territoire.

De nombreux colloques et publications ont confirmé que les nouvelles technologies jouent désormais un rôle essentiel dans l'attractivité des territoires, ce que certains nomment désormais le « marketing territorial » .

Ce mouvement s'accélère dans toutes les régions. J'hésite un peu à citer des départements ou des villes, mais je vais le faire tout de même pour marquer l'extension et la dynamique de ce mouvement.

Des départements comme l'Allier, le Maine-et-Loire, la Manche, la Moselle, le Rhône, l'Oise, les Pyrénées atlantiques ou encore les Yvelines, ont une position pionnière sur ce champ des nouvelles technologies de l'information. De grandes agglomérations elles-mêmes élaborent ou commencent à mettre en oeuvre des projets, des programmes dans le domaine du haut débit. Je pense à Bordeaux, Nîmes, Pau, Toulouse, pour n'en citer que quelques-unes.

Ce mouvement n'est pas limité à la France. Nous avons pu mesurer, au travers d'études que nous avons publiées, combien en Amérique du Nord et dans tous les pays européens, cette appropriation des nouvelles technologies par les collectivités locales s'accélère. En Allemagne, en Italie, en Suède, des villes comme Cologne, Milan, Stockholm, ont déjà mis en oeuvre des stratégies très offensives de développement du haut débit.

Je voudrais saluer les représentants italiens, suédois en particulier, qui sont aujourd'hui présents avec nous et qui vont nous faire partager leurs expériences dans la journée.

Nous pouvons faire, je crois, deux constats :

D'une part, quelle que soit l'ampleur de leur engagement, les investissements des opérateurs de télécommunications restent parfois, souvent même, en deçà des besoins tels qu'ils s'expriment sur le terrain au niveau des acteurs du monde local.

D'autre part, le jeu du marché et de la concurrence a toute son utilité dans ce domaine comme dans d'autres, bien entendu, mais il n'est sans doute pas suffisant pour répondre aux objectifs recherchés par tous, d'un aménagement équilibré de notre territoire et d'un développement de nos collectivités locales, notamment dans le champ économique et social.

Nous enregistrons donc une demande d'action publique, à titre complémentaire à tout le moins, dans ce champ. Une demande également de nouvelles règles, de nouveaux moyens pour contribuer à cette péréquation ou à cette réduction de la fracture numérique.

Ceci ne signifie pas que l'intervention publique doit se substituer au marché et à ses acteurs. L'objectif me paraît être davantage d'articuler l'action de la collectivité publique nationale ou locale avec la concurrence, afin de faire en sorte que cette dernière fonctionne de manière optimale.

La nouvelle étape de la décentralisation qui est engagée, ainsi que les échéances législatives dont j'ai parlées, créent incontestablement une nouvelle donne dans le domaine des technologies de l'information et de la communication. Il ne s'agit pas à proprement parler de transférer des compétences dans la mesure où celles-ci ne sont pas exercées à ce jour par l'État mais, d'une certaine manière, de créer des compétences nouvelles au bénéfice des collectivités locales.

À cet égard, on a l'habitude de dire - je vais livrer cette problématique à votre assemblée et à vos débats - que trois scénarios sont ouverts devant nous, dont vous aurez à débattre au cours de ce colloque :

Le premier s'inscrit dans le cadre de l'organisation actuelle de nos territoires. 11 est celui d'une clarification, selon les termes de l'article L. 1511-6 du Code général des collectivités territoriales, du rôle que peuvent jouer ces collectivités comme gestionnaires d'infrastructures de télécommunications neutres et mutualisables. Dans ce premier scénario, il s'agirait de préciser ce concept, peut-être de modifier et de compléter la loi, afin de bien fixer le cadre de l'intervention des collectivités locales dans l'immobilier des télécommunications.

Le deuxième scénario conduirait à élargir les possibilités d'intervention des collectivités locales dans ce domaine. Il se traduirait d'une certaine manière par l'ouverture d'un champ nouveau, celui du droit des télécommunications réservé, jusqu'à ce jour, aux opérateurs détenteurs d'une licence, d'ouvrir ce champ à des acteurs publics, en particulier aux collectivités locales. Les collectivités pourraient, comme c'est le cas dans d'autres pays d'Europe, passer du statut de simples gestionnaires d'infrastructures neutres à un métier que les Anglo-Saxons qualifient d'opérateur d'opérateurs (« carriers to carriers » ). C'est un scénario dont la Caisse des Dépôts a ouvert l'hypothèse - rien de plus - dans son dernier numéro des Cahiers du Développement numérique des Territoires.

Le troisième scénario est le plus ambitieux : il pourrait voir nos collectivités locales devenir opérateurs de télécommunications, c'est-à-dire être dotées de la capacité d'offrir des services de télécommunications ou d'Internet à des clients finaux.

Le Gouvernement n'a pas, à ce jour, arbitré entre ces différents scénarios et il n'appartient évidemment pas à la Caisse des Dépôts de le faire à sa place.

Je souhaite simplement que nos débats d'aujourd'hui contribuent à éclairer les éléments du choix, ainsi que l'action et l'intervention du législateur, en particulier du Sénat lorsqu'il aura à connaître ces questions.

Je vous souhaite à tous une très bonne journée de colloque. Merci.

(Applaudissements).

M. Gérard LARCHER - Sénateur des Yvelines, Président de la Commission des affaires économiques et du plan du Sénat

Je vais maintenant vous donner l'analyse et le point de vue du Président de la Commission des affaires économiques et du plan du Sénat sur ce sujet. Je vais le faire en présence d'un collègue député qui a déposé et fait adopter un amendement important il y a peu de temps, et devant Pierre Hérisson, qui m'a succédé à la présidence du groupe d'études sur les postes et les télécommunications au Sénat, Vice-président de la CSSPPT et grand agitateur dans ces domaines.

Monsieur le Directeur général, mes chers collègues, Mesdames et Messieurs, la conscience d'une nécessaire modernisation des moyens de desserte du territoire est au coeur de notre action.

Dans cet esprit, vous le savez, - M. le Directeur général l'a rappelé -, le Sénat a pris l'initiative d'une proposition de loi visant à étendre la couverture du territoire en téléphonie mobile. Bruno Sido nous rejoindra cet après-midi. Ce texte volontariste marque notre souci d'avancer vite et bien dans le développement technologique de nos territoires. C'est une étape dans la réduction de cette fracture numérique que vous évoquiez il y a un instant. C'est aussi la manifestation de la volonté du Sénat d'éviter que ce qui parfois a pu paraître des incantations à la suite du CIADT de Limoges de juillet 2001 ne reste lettre morte. Je le rappelle, de juillet 2001 à septembre 2002 : deux pylônes.

C'est pourquoi il apparaît important au Sénat que soit tenu le cap fixé au CIADT de Limoges en matière de haut débit et, je le rappelle, d'accès de tous aux réseaux à haut débit à des conditions abordables d'ici 2005.

L'Union européenne a affiché une ambition équivalente à Séville en juin dernier, en adoptant le plan e-Europe 2005. L'accès au haut débit représente bien un enjeu considérable pour les territoires dans toutes leurs dimensions, économique, sociale et culturelle.

Nous en sommes ici tous convaincus et c'est le sens de notre présence si nombreuse.

Or toutes les analyses convergent pour estimer qu'au moins 20% des Français ne devraient pas se voir proposer dans les années qui viennent de raccordement à haut débit. Pourquoi ? Parce qu'ils sont établis dans des zones trop peu denses en population.

Il faut donc s'appuyer sur la dynamique concurrentielle et en même temps mener une action publique, afin de répartir géographiquement cette dynamique spontanément trop polarisée.

Où en est-on dans l'accès au haut débit ?

Si on prend les chiffres de juin 2002 : autour de 900 000 abonnés à l'Internet haut débit. Ce sont en tout cas les chiffres donnés par l'Association des fournisseurs d'accès à Internet. C'est, certes, un triplement en un an. Le haut débit se développe effectivement en France. On en sera sans doute à un million et peut-être plus à la fin de l'année, mais on ne peut pas encore parler d'une pénétration massive.

Cette pénétration du haut débit s'effectue aujourd'hui par deux canaux : ADSL : trois quarts ; câble : un quart.

Un potentiel énorme reste à explorer par le biais de ces deux technologies qui n'affichent qu'un taux de pénétration encore très faible. En fait, il apparaît qu'au moins 95% de la clientèle équipée n'est pas encore abonnée.

Beaucoup d'autres technologies recèlent un potentiel de développement considérable. Il est d'ailleurs intéressant de noter que les pays où le haut débit est le plus introduit - nous allons parler de nos voisins belges, en passant par la Corée ou les États-Unis - sont ceux où existe une réelle émulation entre diverses technologies.

Or il est vrai que les zones très rurales ne seront pas accessibles à l'ADSL ni, a fortiori, au câble. L'ADSL n'est accessible qu'aux abonnés distants de moins de quatre kilomètres du répartiteur de France Télécom.

Pour ces zones rurales, je voudrais dire quelques mots de trois technologies qui me paraissent se distinguer pour l'avenir. Nous avons participé ici à quelques préoccupations sur l'aménagement du territoire et nous voyons qu'il va falloir créer cette dynamique.

Tout d'abord le satellite, longtemps handicapé par la défaillance de la voie de retour, mais les dernières avancées techniques ont résolu ce handicap et l'on peut désormais miser sur la voie satellitaire. L'avenir de notre opérateur satellitaire européen Intelsat me paraît, à cet égard, fondamental, en termes de stratégie industrielle pour l'Europe, mais aussi en termes d'aménagement du territoire. Voilà pourquoi les préoccupations fiscales exprimées à l'Assemblée nationale nous apparaissent importantes comme étant un des leviers dans cette direction.

La boucle locale radio (BLR) : on sait que les abonnés à la BLR sont quelques milliers seulement. Nul n'ignore les retards pris par les opérateurs détenteurs d'une licence BLR. Mais sans doute sont-ils imputables aussi à la crise sectorielle que vous évoquiez et qui frappe le secteur des télécoms. Selon moi, cette technologie flexible, globalement peu onéreuse, reste une alternative crédible au dégroupage et, principalement, pour une clientèle d'entreprise.

Le Wifi : on évoque beaucoup la mise en place de ces réseaux locaux haut débit sans fil dans les lieux de concentration de populations - pour utiliser un terme anglais : hot spots -, ces espèces de plates-formes (gares, aéroports ou centre d'affaires). Mais pourquoi pas aussi en milieu rural pour offrir du haut débit aux alentours d'une borne qui reste reliée à un système filaire ? À cet égard, je me félicite que l'Autorité de régulation des télécommunications ait décidé tout récemment d'ouvrir la possibilité d'expérimenter - un mot qui n'est plus tabou - des projets de développement local en utilisant la technologie WI-FI.

Mon propos n'est pas ce matin de dresser un tableau des avantages et inconvénients de toutes les technologies susceptibles d'offrir du haut débit. Je n'ai d'ailleurs même pas évoqué l'UMTS, l'horizon de l'Internet mobile reculant de jour en jour.

Je veux simplement souligner la complémentarité des technologies qui peuvent concourir à diffuser le haut débit jusque dans nos territoires les moins denses ou les plus distants. Il revient aux collectivités locales de faire jouer cette complémentarité pour répondre au mieux à leurs besoins, qu'il s'agisse de leurs besoins propres ou de ceux de leurs administrés.

Il y a deux outils pour cela :

D'une part, l'outil juridique : l'article L. 1511-6 du Code général des collectivités territoriales, qui leur ouvre désormais sans conditions la possibilité d'investir en infrastructures destinées à supporter des réseaux de télécommunication ; la parution du décret en Conseil d'État, qui précisera les conditions de mise en oeuvre de cet article ne devrait plus tarder. D'autre part, un outil financier assorti d'une ingénierie technique, dont la Caisse des Dépôts est le pilier.

Mais les diverses technologies de desserte du territoire que j'ai évoquées, et que les collectivités locales ont intérêt à envisager, sont encore expérimentales, parfois embryonnaires. J'ai, en effet, la ferme conviction que nous n'obtiendrons pas de pénétration massive et rapide du haut débit sans nous appuyer sur les réseaux fixes.

Aujourd'hui, la voie royale demeure l'ADSL, le boulevard du haut débit est bien la large bande, même si je sais que le débit proposé par la connexion ADSL est en fait plutôt moyen et que le terme « haut » n'est pas tout à fait adapté à cette technologie.

L'usage du réseau téléphonique commuté reste, selon moi, le moyen le plus efficace aujourd'hui de diffuser Internet. Parce que le fil reste le sésame privilégié vers le haut débit, il faut absolument sauver notre opérateur historique, France Télécom. Il faut trouver les moyens de l'aider à surmonter la crise de financement qu'il traverse.

Puisque le nouveau président de France Télécom et le Gouvernement n'ont le choix qu'entre des solutions ne présentant pas que des avantages, le panachage entre elles l'emportera logiquement, afin de minimiser les inconvénients de chacune d'elles. Que l'on cesse de faire le procès du passé ou de vouer aux gémonies ce que l'on portait hier au pinacle ! Pour ma part, je ne fais pas partie des nécrophages. Soutenir l'opérateur historique n'est pas étouffer la concurrence, au contraire.

La loi de réglementation des télécoms de 1996 ne me paraît pas devoir être fondamentalement remise en cause. Elle a eu de grands bénéfices. Il faut donc donner à la concurrence les moyens de se développer. Il ne faut pas, en sauvant le soldat France Télécom, sacrifier tous les autres de la compagnie. Pour cela, il est vital que le dégroupage de la boucle locale devienne effectif.

Le caractère encore quasi monopolistique de l'accès ADSL ne rend pas service à la diffusion du haut débit. 764 lignes dégroupées en France au 1 er juillet 2002... ! J'attends impatiemment les résultats concrets de la mise en oeuvre, depuis à peine un mois, des nouvelles offres tarifaires de France Télécom approuvées par l'ART au cours de l'été. Ces nouvelles mesures devraient conduire à améliorer de manière très significative la situation des fournisseurs d'accès à Internet sur ce marché de l'ADSL, tout en garantissant aux opérateurs des conditions d'entrée viables sur ce marché.

Pour soutenir les différents opérateurs fixes, historiques ou alternatifs, je voudrais aussi évoquer devant vous une autre piste. Je me dis que le temps est peut-être venu de passer à la vitesse supérieure dans la révision des tarifs d'interconnexion. Ces tarifs ont été construits, à l'origine, sur une forte asymétrie en faveur des opérateurs mobiles. J'en ai quelque peu le souvenir. Un opérateur fixe paye ainsi deux fois plus à un opérateur mobile pour acheminer un appel de fixe vers mobile que ce que paye l'opérateur mobile pour tout appel sortant. Vous avez tous en tête ce principe.

Ce parti pris se défendait - je l'ai personnellement soutenu - à l'heure de l'introduction du mobile. Rafraîchissons nos mémoires : il y avait en 1994, 38 fois moins d'abonnés au téléphone mobile qu'aujourd'hui. Nous étions dans un autre monde à cette époque. Aujourd'hui, le nombre d'abonnés au mobile dépasse celui des abonnés au téléphone fixe. Ainsi, il est grand temps qu'émerge une nouvelle structure de charge d'interconnexion qui ne se résume pas à une subvention des réseaux mobiles par les réseaux fixes. C'est d'autant plus nécessaire que, je l'ai rappelé, sans le rétablissement de la santé des opérateurs fixes, la pénétration du haut débit sur le territoire restera limitée. Je sais que l'Autorité de régulation des télécommunications se penche sur la question et qu'elle programme une baisse du prix des charges de terminaisons d'appels de fixes vers mobiles sur les trois prochaines années.

L'enjeu est considérable. En 2000, les opérateurs mobiles ont réalisé 2,4 milliards d'euros de chiffre d'affaires grâce à la terminaison fixe/mobile. Le système actuel fait donc peser une charge considérable sur les opérateurs fixes, charge qui va s'alourdissant avec le développement inéluctable des communications fixes vers mobiles. Un allègement de cette charge s'impose et il me paraîtrait d'autant plus justifié que la quasi totalité des opérateurs fixes traverse aujourd'hui une passe difficile.

J'estime que le mouvement d'allègement déjà enclenché devrait s'accélérer et s'accentuer. La commission des Affaires économiques du Sénat va prochainement entendre, avec le groupe d'études sur l'avenir des Postes et Télécommunications, M. Breton, Président de France Télécom. Nous lui demanderons à cette occasion son sentiment sur cette intensification de la restructuration des tarifs d'interconnexion, puisqu'avec France Télécom et Orange il a un pied dans chaque camp.

Si, par ces différents moyens, l'accès haut débit par le réseau téléphonique fixe pouvait se développer sensiblement, une dynamique haut débit se trouverait enclenchée et un effet de masse critique serait obtenu. Le développement des usages, des services et des contenus de l'Internet haut débit se fera alors de pair.

L'accès de tous au haut débit représente une ambition plus grande encore. Sa réalisation passe à mes yeux par une grande liberté d'initiative pour les collectivités locales et, parallèlement, par un renforcement des mécanismes de solidarité entre elles.

Attention ! Les collectivités locales les plus fragiles ne peuvent être laissées seules devant le vide numérique. Or le vide numérique est d'abord pour les collectivités les plus faibles. Monsieur le Directeur général, le problème se posera moins dans les Yvelines qu'en Creuse ou en Lozère, c'est naturel.

Le réexamen du périmètre du service universel est prévu pour 2005 dans la nouvelle directive européenne adoptée en mars en dernier. Le haut débit n'aura-t-il pas naturellement sa place dans un service universel ?

Nous ne reculons devant aucun point car je crois qu'il faut se poser les questions. Le haut débit n'a-t-il pas vocation à être un instrument de cohésion nationale ? Il me semble que c'est au fond le véritable enjeu de l'aménagement numérique du territoire sur lequel ce colloque nous propose de débattre.

Je vous souhaite, au nom du Président du Sénat, de tous nos collègues sénateurs ici présents, une très bonne et très fructueuse journée. Puisse le débit de vos échanges atteindre l'intensité qui nous permettra de faire un certain nombre de propositions pour aujourd'hui et pour demain. Je vous remercie.

(Applaudissements).

PREMIÈRE PARTIE - LES USAGES INTERNET : ENJEUX D'AUJOURD'HUI ET DÉFIS DE DEMAIN POUR LE DÉVELOPPEMENT DES TERRITOIRES

TABLE RONDE- LE HAUT DÉBIT : QUELS USAGES ?

Modérateur, M. Daniel KAPLAN

Bonjour. Par délégation du Président du Sénat, je vous accompagnerai pendant toute cette journée.

Le Président Poncelet a eu la gentillesse de préciser l'organisation. Nous avons voulu ne pas entrer « bille en tête » dans des débats réglementaires futurs ; mais, au contraire, comme l'a dit Gérard Larcher, éclairer le législateur en partant d'abord du besoin.

Cette première table ronde va poser la question du « pour quoi faire ? » . Est-ce que l'histoire du haut débit est encore une espèce de fuite en avant destinée principalement à donner aux acteurs de ce secteur, qui n'ont pas réussi à gagner de l'argent et qui en ont même fait perdre à beaucoup de monde dans les années passées, une espèce de nouveau souffle ? Ou bien y a-t-il derrière cela un vrai besoin, un vrai enjeu ? Quels sont-ils ?

Dans la seconde partie de la matinée, nous nous rapprocherons du territoire et nous nous interrogerons sur les raisons de l'importance de ce sujet pour le territoire. Que fait-on avec ces hauts débits ? Quelles stratégies, quels changements sont introduits ?

Dans l'après-midi, nous commencerons à regarder ensemble le comment, d'abord en allant voir à l'étranger, dans deux zones urbaines dans lesquelles il se passe des événements assez spectaculaires - à Sienne et dans la banlieue de Stockholm -.

Nous échangerons sur ces thèmes, puis aura lieu une table ronde de débats pour envisager la manière, en France, non seulement d'accélérer la progression du haut débit et de ses usages, mais aussi de faire en sorte que cette progression ne soit pas seulement concentrée sur les quelques territoires les plus évidents sur lesquels, assez naturellement, ceux-ci vont se développer.

Je suis le Délégué général de la Fondation pour l'Internet nouvelle génération (FING), qui travaille sur ces questions d'usage depuis un certain temps. Nous avons aidé la Caisse de Dépôts et le Sénat à préparer la substance de ces différentes tables rondes.

Pour nous aider à entrer dans le sujet du « pourquoi ? » , et surtout du « pour quoi faire ? » , nous avons demandé à un certain nombre d'acteurs du terrain de venir nous raconter ce qu'ils font avec les hauts débits ou peut-être ce qu'ils ne pourraient pas faire s'ils ne les avaient pas. Vous avez le droit de le prendre en plein ou en creux.

Nous avons donc ici présents M. Daroussin, directeur d'Activeprod, une petite entreprise installée à Felletin, lieu d'expérimentation de la boucle locale radio. Celle-ci arrive peut-être à son terme. M. Daroussin en a goûté les plaisirs et il commence à percevoir l'inquiétude de ne plus bénéficier de ce haut débit pour pouvoir travailler dans son territoire.

M. Emmanuel Grandserre est consultant chez 4iCom et chargé de mission auprès du directeur de la stratégie de Citroën. Il s'interrogera avec nous sur les grandes entreprises, leurs usages des hauts débits et leurs relations avec les PME avec lesquelles elles travaillent.

Le professeur Louis Lareng est le directeur de l'Institut européen de télé-médecine à Toulouse. Il nous parlera de ce sujet et de ce qu'il est possible de faire sur des territoires plus ou moins maillés.

M. Yves-Armel Martin fait partie de la Mission technologies de l'information au Conseil général du Rhône.

Dans le rôle des élus interpellés par leurs mandants, il y aura un député de la Haute-Saône (M. Alain Joyandet), un sénateur (M. Pierre Hérisson). Ils interviendront en réponse à ces témoignages.

MM. Joyandet et Hérisson, vous aurez la parole quand vous le souhaiterez. Si vous voulez réagir ou obtenir un complément d'information de la part de l'un de nos témoins, surtout n'hésitez pas.

M. Daroussin, vous dirigez une société de production vidéo installée dans la Creuse. Est-ce sérieux ou est-ce possible ? Comment cela se passe-t-il ?

M. David DAROUSSIN - Directeur ACTIVEPROD, (Felletin, Creuse)

Bonjour. C'est possible. Aujourd'hui, Activeprod est une société qui a un peu plus de deux ans d'expérience. Elle a été créée en juillet 2000. Elle fait de la production vidéo, réalisation de films, de reportages, couverture d'événements pour différents types de clients.

Elle a une particularité : sa maîtrise de la diffusion vidéo sur Internet, en différé ou en direct. Il s'agit de la technologie streaming. Diffuser de la vidéo sur Internet nécessite des tuyaux d'une taille suffisamment importante pour permettre une qualité d'image suffisante et correcte.

Nous avons fait le pari d'associer certains choix : de créer une start-up à taille humaine ; de choisir une localisation en milieu rural - Felletin est une ville de 2.000 habitants située à 100 Km de Limoges et de Clermont-Ferrand - qui n'est pas forcément située sur des axes routiers ou SNCF très importants ; de faire le choix de développer des projets axés sur le développement du territoire, en ayant le souci de faire vivre les zones où nous pouvions être implantés, en étant personnellement attaché à ce territoire où j'ai vécu plus jeune ; d'associer un cadre de vie positif et intéressant sans les contraintes que j'ai pu rencontrer ce matin pour vous rejoindre, avec des projets innovants basés sur l'usage de technologies haut débit.

Nous avons la chance, depuis le mois de décembre 2000, de bénéficier d'une expérimentation haut débit, qui est l'usage d'une boucle locale radio testée par France Télécom. Elle n'a pas de licence mais, dans le cadre d'une autorisation spéciale de l'ART, ils ont pu mettre en place cette plate-forme qui, aujourd'hui, est utilisée par 20 ou 25 abonnés (des entreprises, des établissements scolaires, notamment le lycée des métiers du bâtiment).

Cette plate-forme BLR nous a déjà permis, en tant qu'entreprise, d'avoir un accès simplifié à l'Internet, notamment pour le transfert de toutes nos données vidéo.

À partir du moment où nous réalisons un film, au lieu de le transférer par une ligne Numéris durant plusieurs minutes ou heures, nous pouvons directement, sans contraintes de durée et de coût, payant au forfait, transférer des données de façon rapide et avec une bonne qualité.

Réduction et maîtrise des coûts : une localisation extra-urbaine est plus simple relativement à l'ensemble des coûts associés. Payer un loyer à Felletin ou à Limoges ne revient pas au même. Le budget de la société est concerné par cette implantation et ces infrastructures haut débit.

Nous utilisons celui-ci aujourd'hui pour la BLR. Il s'agit de la validation de nos projets via la boucle locale radio. À partir du moment où nous réalisons un reportage, un film, nous pouvons le valider par Internet. Je mets en ligne les éléments, et le client, à l'autre extrémité, s'il dispose aussi du haut débit, peut consulter et suivre en live la validation du projet.

Tous ces éléments sont donc très facilitateurs pour nous. L'usage de cette boucle locale radio qui, normalement, doit prendre fin, en tout cas administrativement, au mois de décembre, nous incite à nous positionner comme un acteur dynamique, véhiculant une image peut-être un peu différente de celle des zones rurales qui peuvent être des points d'implantation pour des activités innovantes, originales, avec des personnes qui font le choix de s'y implanter et d'associer ce cadre de vie à des activités nouvelles.

Notre objectif est de militer pour le développement de ces outils.

Aujourd'hui, la Creuse compte un peu moins de 125 000 habitants. Les seules villes câblées en ADSL sont Guéret (la préfecture), Aubusson, à 10 km de Felletin, et La Souterraine. Ce sont les principaux bassins de population.

D'autres projets existent aussi en Limousin.

Notre souci est de permettre une équité entre les territoires, de donner les mêmes chances aux entreprises, qu'elles s'implantent à Felletin, à Paris ou à Limoges. Quand pourra-t-on avoir des tuyaux à coût intéressant et ne plus être dans le pourcentage oublié ?

On parle souvent des 97 % de la population couverte par la téléphonie mobile, par l'ADSL, etc., mais on oublie ce potentiel de développement des territoires.

En tant qu'acteurs locaux, nous essayons de valoriser ces possibilités d'ouverture et d'implantation, surtout de nouveaux habitants, pour faire vivre ces départements.

M. Daniel KAPLAN - Merci. Si vous perdez la BLR, vous déménagez ou votre développement est considérablement ralenti ?

M. David DAROUSSIN - La discussion est en cours. Le maintien de la BLR nécessiterait une prolongation de la part de l'ART pour France Télécom ou la reprise de ce réseau par un opérateur BLR retenu par l'ART. Or il n'y a pas de rentabilité économique ; il s'agit d'une expérimentation. Une politique globale d'implantation d'entreprises permettrait peut-être... mais il faut rester les pieds sur terre.

On peut envisager une implantation d'ADSL ou de technologie équivalente. L'aspect hertzien était évoqué tout à l'heure par le Président Larcher, concernant les zones rurales à habitat dispersé. Il nous disait qu'il serait difficile de faire du filaire. Ces technologies peuvent être un atout.

M. Pierre HERISSON, sénateur de la Haute-Savoie, Président du groupe d'étude Sénatorial « Poste et télécommunications »

Une première réaction au témoignage, en tant que président du Groupe d'études Poste et Télécoms, mais surtout Vice-président de l'Association des maires de France.

Il faut rappeler les chiffres qui sont têtus : 36.000 communes. 32.000 ont moins de 2.000 habitants. Plus de 80 % du territoire n'ont aucune prospective, aucune garantie de couverture du haut débit, quelle que soit la technique ou la technologie employée.

Nous sommes donc dans une situation beaucoup plus difficile que celle que nous connaissons avec la téléphonie mobile. L'action conduite par M. Sido avec sa proposition de loi va permettre une évolution et une amélioration du service de base.

Je suis maire d'une commune de 3.500 habitants où cinq entreprises m'ont donné jusqu'au 31 mars pour régler leur problème de haut débit. Sinon, elles seront obligées de se reconcentrer dans une agglomération où les loyers sont deux fois et demie plus élevés que sur le territoire où nous nous trouvons aujourd'hui.

L'ensemble du système doit être aujourd'hui déverrouillé, afin que l'on puisse trouver du côté de l'opérateur historique les équilibres financiers nécessaires, mais aussi que l'on soit en mesure d'assurer un maillage et une couverture du territoire qui permettent de maintenir les entreprises où elles sont.

Sinon nous repartirons vers une nouvelle concentration d'entreprises sur des secteurs, alors que 48 millions de nos concitoyens vivent sur 20 % du territoire, que les concentrations sont suffisantes et qu'elles entraînent des contraintes, y compris les difficultés de circulation dont vous parliez ce matin.

M. KAPLAN - Nous allons parler d'automobiles, mais surtout d'entreprises, de leurs logiques, de leurs besoins, envisagés de leur point de vue en matière de haut débit.

M. Emmanuel GRANDSERRE - 4iCOM, Chargé de mission auprès du directeu de la stratégie de Citroën

L'Internet a été une première révolution pour les grandes entreprises. Il est clair aussi aujourd'hui que le haut débit sera une seconde révolution.

Nous estimons que nous n'en sommes qu'à la préhistoire.

Le premier point important pour les grands groupes à l'heure actuelle est de pouvoir apporter un accès Internet/Intranet à très haut débit pour les collaborateurs. Ils veulent avoir accès très rapidement à l'information dont ils ont besoin, à des bases de données de plus en plus riches, sans délai.

Fournir ce type de services est important pour les entreprises.

Le second point, qui va dans le sens du développement du haut débit dans le secteur automobile, est le travail collaboratif. Il s'agit de réduire le cycle de développement des projets automobile, c'est une priorité. Le travail collaboratif est aujourd'hui une des solutions majeures sur lesquelles beaucoup d'efforts sont fournis.

En Europe, a été mis en place le réseau ENX qui regroupe un ensemble de constructeurs européens, ainsi que des fournisseurs, des équipementiers de rang 1.

Aujourd'hui, une cinquantaine d'entreprises sont sur ce réseau avec protocole IP. Il est sécurisé. Il a deux fournisseurs : Deutsche Telekom et France Télécom.

Ce réseau permet un échange plus facile et un travail collaboratif entre les entreprises.

Une application est aujourd'hui de plus en plus importante : la visioconférence. Les expérimentations menées actuellement dans ce domaine sont relativement pénibles. Les images sont un peu saccadées et ne permettent pas d'avoir des réunions.

Avec des hauts débits, il serait possible d'avoir des visioconférences de très haut niveau. Renault est en train de le mettre en place avec Nissan. Le lien devrait passer à 20,8 mégas d'ici peu, voire 45 dans le futur.

Une autre application est actuellement très poussée en streaming : le e-learning. Des solutions sont mises à disposition sur les Intranet, en termes de formation, surtout pour les langues. Petit à petit, d'autres applications seront mises en place.

Tout ceci suppose d'énormes contraintes. Il existe de fortes disparités au niveau géographique, ce qui présente de très grosses difficultés pour les acteurs, en particulier pour les PME-PMI qui travaillent avec les constructeurs. Elles ne peuvent accéder à ce réseau ENX pour une question en particulier de coût. Il s'agit d'un problème majeur.

Au niveau des concessionnaires, il est indispensable qu'ils puissent disposer d'accès haut débit, afin de recevoir toutes les nomenclatures de véhicules.

En termes de créativité, de marketing, d'outil commercial et autres, on enrichit aujourd'hui de plus en plus les ventes avec des vidéos et tout un ensemble de supports. Il faut pouvoir les diffuser et ne pas faire une ségrégation entre ceux qui peuvent avoir accès à du haut débit et les autres.

Les constructeurs sont aussi confrontés à la dépendance vis-à-vis d'opérateurs.

En mai dernier, Renault, face à la défaillance de deux de ses fournisseurs (KPN et Téléglobe), a été dans l'obligation de trouver très rapidement une solution alternative. Aujourd'hui, Renault ne dépend plus que d'un seul opérateur pour une partie importante de son trafic. Ceci pose énormément de problèmes.

Dernièrement, nous avons visité le centre de recherche et développement de Daimler-Chrysler. Nous avons été séduits de voir que vers 14 heures débutait une réunion entre les bureaux de Stuttgart et ceux de Bangalore dans lesquels travaillent les ingénieurs d'HCL, le travail collaboratif se mettant en place en testant des routines en temps réel.

L'un des dirigeants de ce centre nous a dit : le choix de Daimler-Chrysler s'est porté sur l'Inde pour des raisons de compétence des ingénieurs indiens reconnus pour leurs aptitudes élevées en informatique ; pour l'environnement (infrastructures télécoms disponibles), ils ont pu avoir à disposition des lignes très haut débit pour pouvoir relier leur centre de Stuttgart et les différents centres à travers le monde, et pour des questions de coût.

En termes de perspective, il est attendu une augmentation des débits. Le design ne se fait pas encore aujourd'hui en collaboratif, mais cela pourrait être envisagé. Il faudra des puissances et des tuyaux de taille importante pour échanger de l'information.

Il y a aussi l'aspect catalogue en ligne, etc.

Aujourd'hui, les solutions sont très chères. Une forte diminution des coûts est attendue, ainsi que le développement des centres d'hébergement local. On fait aboutir toutes les lignes haut débit à un endroit, puis il y a une redistribution au niveau local. Ceci se développe énormément aux États-Unis.

Je signale aussi l'évolution au niveau de la distribution automobile. Le haut débit sera un moyen de communication majeur entre les constructeurs et leurs concessionnaires.

M. Daniel KAPLAN - Merci.

M. Alain JOYANDET, Député de la Haute-Saône

L'intervention que nous venons d'entendre montre l'aspect stratégique des réseaux et des possibilités pour les entreprises de s'y relier, afin de se développer.

Parfois même, cela participe à la réflexion générale pour un choix d'implantation.

Pour les politiques, cela pose la question de savoir comment procéder pour atteindre cet objectif d'égalité des territoires.

On voit très bien que si on laisse l'équipement des territoires à la seule charge des entreprises avec les lois du marché, on consolidera une situation de fracture numérique, d'inégalité. Il y aura donc une concentration des entreprises, des populations, des moyens de développement économique.

Pour nous la question est de savoir comment essayer d'inverser cette tendance naturelle. Je vois deux pistes :

Une a été évoquée par le Président Larcher tout à l'heure. Il s'agirait d'inclure les technologies nouvelles dans le service universel et de trouver un moyen de financement de ce service universel.

Ou alors, il s'agirait de redéfinir les limites de l'intervention publique, de se répartir les rôles. Je parle de l'État au sens générique : l'État et les collectivités locales.

Une démonstration est faite ici, qui me convainc encore plus que les collectivités locales ne peuvent pas rester spectatrices. L'État ne le peut pas non plus. À un moment donné, se pose la question du financement.

Je pense que nous devons raisonner comme nous l'avons fait dans le passé avec les routes. Là où c'est très rentable et où il y a beaucoup de circulation, les sociétés privées construisent des autoroutes ; là où c'est moins rentable, la collectivité publique fait des routes à deux fois deux voies qui ressemblent étrangement à des autoroutes.

M. Daniel KAPLAN - Merci beaucoup. Vous avez parlé de routes, de maillage. Dans un autre domaine, celui de la Santé, le professeur Louis Lareng a des réflexions à exprimer.

Quand on entend parler dans les médias de télé-médecine, on pense à du futurisme, à une opération chirurgicale réalisée depuis New York vers Strasbourg. C'est formidable mais on se demande si c'est bien nécessaire. Ou bien la télémédecine est-elle aujourd'hui une pratique concrète ?

M. Louis LARENG, Directeur de l'Institut européen de Télémédecine

a) Expérience régionale Midi-Pyrénées

Dans tout travail, figure un aspect de recherche développement. Bien que ce dernier ait une allure futuriste, il est nécessaire à l'épanouissement. Il n'empêche que la recherche - in fine - n'est jugée par les hommes de terrain que dans son application.

Parmi de nombreux exemples auxquels je pourrai me référer en France, en Europe ou dans le monde, je vais plus particulièrement me baser, pour essayer d'éclairer le débat, sur le Réseau régional Télémédecine Midi-Pyrénées, très fortement accompagné par l'État, le Conseil régional et l'Agence régionale d'hospitalisation. Notre Réseau régional se présente tel que vous l'apercevez à l'image (cf. schéma 1)

Schéma 1

La première liaison a été réalisée en 1992 entre le CHU de Toulouse, le Centre hospitalier territorial de Nouméa et le Centre hospitalier de Rodez. Le Réseau Télémédecine Régional Midi-Pyrénées a été décidé à titre expérimental en 1993 par l'État, et a reçu le label de la Région Midi-Pyrénées. Différentes expérimentations ont été ensuite conduites entre le CHU de Toulouse et différents sites nationaux, européens et internationaux. Entre 1993 et 1996, un projet a été élaboré portant sur l'organisation et le financement du Réseau TéléMédecine régional. Ce dernier relie 52 établissements publics et privés auxquels ont accès des médecins généralistes soit par les établissements de soins, soit directement par les cabinets de groupe. Sa caractéristique est d'être maillé, ce qui signifie que l'appel au référent ne se fait systématiquement, ni au niveau d'un grand hôpital, ni au niveau d'un CHU. Il se met en place progressivement et est géré par le Groupement de coopération sanitaire Réseau TéléMédecine régional, publié au Bulletin officiel du 27 mars 1997. Depuis le 1 er Juin 2002, 39 établissements sont reliés et nous comptons terminer le projet durant le 1 er semestre 2003. Ce réseau gradué et coordonné est basé sur la multidisciplinarité et la complémentarité des compétences.

Les modes de fonctionnement sont :

- L'appel à référent

- Les réunions interactives entre des services distants

- La formation continue multisite

- L'éducation sanitaire et la prévention

La plus-value apportée par la Télémédecine est évidente :

Pour les médecins : dans la fidélisation des équipes, les décisions concertées collégiales, l'harmonisation des pratiques médicales, l'optimisation des soins.

Pour les malades : par sa prise en charge dans un Réseau de compétences conciliant les nécessités thérapeutiques avec les réalités topographiques pour l'égalité d'un accès aux soins pour tous en tout point du territoire. Dans une démarche d'aménagement du territoire, il contribue à la diminution des transferts des malades et à une amélioration de la qualité de leur vie ainsi que celle de leur famille (cf. schéma 2).

RESEAU TELEMEDECINE REGIONAL MIDI-PYRENEES

Total Téléconsultations Intra-Régional

Incidence de la Téléconsultation sur l'approche initiale du médecin appelant Décision médicale/Transfert - Avril 1996 à Juin 2002

Non Transfert

Ainsi, parmi les téléconsultations qui se sont déroulées sur le Réseau entre Avril 1996 et Juin 2002, 84% des malades n'ont pas été transférés vers le centre de santé de référence. Sur ces 84 % de dossiers, 21 % ont été plus spécifiquement analysés (dossiers renseignés). La confirmation de non-transfert du patient a été donnée par le médecin réfèrent (le plus souvent praticien au CHU) pour 51 % des cas. Par contre, pour 49 % des cas, c'est du débat interactif que le non-transfert du patient a été décidé.

Nous étudions en ce moment l'impact dans ce Réseau de la plus-value apportée par la Télémédecine à la qualité de l'acte médical. Nous pressentons également une diminution des coûts des soins sans altération de leur qualité.

À cet effet, nous concevons un Système d'information et de gestion, de façon à conduire, sur des indicateurs pertinents, des évaluations adaptées au fonctionnement et au caractère spécifique du Réseau.

b) Comment travaillons-nous ?

Notre Réseau s'appuie sur la transmission d'images fixes et données associées, ainsi que sur la diffusion d'images animées.

Pour cela, nous faisons appel au Réseau numérique à intégration de services, qui permet, à des coûts raisonnables, soit des transferts d'images fixes et données associées, soit la transmission simultanée en temps réel de la voix, des données et des images animées.

Le transfert des images fixes se fait de façon asynchrone. Nous transmettons les images des scanners et des IRM, notamment pour les Urgences neurochirurgicales, avec un débit de 128 Kbits par seconde. Cette consultation est accompagnée d'un échange téléphonique entre le médecin appelant et le médecin référent.

La diffusion en temps réel de la voix, des données et des images animées est réalisée à un débit dédié de 512 Kbits par seconde. Elle s'adresse aux échographies, aux coronarographies, aux dossiers médicaux, aux données radiologiques, le malade pouvant être présent. À terme, la manipulation des appareils situés à distance pourra être pratiquée par le médecin référent.

À noter que tous les équipements exploités en ce moment dans le réseau sont susceptibles de fonctionner dans le cadre des Réseaux hauts débits.

Nos méthodes actuelles d'évaluation nous révèlent que nos collègues et confrères sont satisfaits ainsi que l'ensemble des communautés des établissements de santé.

Le fonctionnement du Réseau TéléMédecine régional Midi-Pyrénées doit sa qualité à la volonté de partenariat et au respect des règles d'éthique dont font preuve l'ensemble des professionnels de santé de notre région.

c) Les hauts débits amèneraient-ils une amélioration ?

Certainement, les hauts débits amèneraient sur notre Réseau une amélioration de cette nouvelle pratique médicale qu'est la TéléMédecine :


· Ils permettraient l'envoi d'images fixes non compressées et donc de qualité optimale. Les gros dossiers d'images fixes (scanner et IRM) seraient transmis en fichier natif, alors qu'à l'heure actuelle, il est procédé à une sélection des clichés.


· L'utilisation du protocole IP sous-tendu par le recours aux réseaux hauts débits rendrait possible la diffusion en temps réel d'images animées au sein de certains services hospitaliers distants. Ceci est conditionné par l'existence de réseaux intrahospitaliers adaptés. Ainsi pourrait être optimisée la programmation des Unités de télémédecine mutualisées à l'intérieur des établissements et facilitée pour certaines spécialités la réponse en temps réel dans les services.


· L'archivage multimédia centralisé serait facilité et la restitution des données serait possible ad integru M. Ainsi, en tout point et à tout moment, pourraient être diffusées dans notre région des séances de formation continue régulièrement organisées en multisite dans notre réseau.


· La traçabilité des échanges serait optimisée.

Si l'ADSL (Asymétrie Digital Subscriber Line) est un réseau à haut débit, il n'est pas adapté pour le moment à la diffusion d'échanges interactifs de qualité en temps réel (voix, données, images animées). Nous en suivons cependant l'évolution.

L'intérêt de mettre en place un réseau hauts débits dans notre région est pour la Télémédecine incontestable. En effet, sous réserve d'une tunnellisation, pourrait être imaginé un Virtual Private Network (Réseau privé virtuel), donnant accès aux hauts débits tout en garantissant la sécurité aussi bien des données que des personnes.

d) Peut-on prévoir les hauts débits en Télémédecine ?

Je pense que cette finalité est incontournable.

Faisant partie à Bruxelles de la Société de l'information, j'ai suivi le colloque de Lisbonne en l'an 2000 sur les Technologies de l'information et de la communication organisé par le Conseil de l'Europe. À cette période, le Nasdaq s'effondrait et détruisait, dans sa chute, plusieurs secteurs de l'économie dont les télécoms. L'avenir de la généralisation des hauts débits se posait. Il faut d'autant plus se féliciter des réunions telles que celle d'aujourd'hui, organisée par le Sénat. Faisons confiance à l'optimisme d'Erkki Liikanen, commissaire européen en charge de la société de l'information, qui, malgré la diminution de l'engouement pour les hauts débits, pense pouvoir les promouvoir et, dans le cadre des résolutions de Lisbonne, contribuer à l'épanouissement de la société de l'information. Pour cela, il nous faut optimiser la gestion actuelle trop souvent déléguée à des experts, spécialistes du prêt-à-porter. Le maire, le Président du Conseil général, le Président du Conseil régional doivent s'engager personnellement et s'investir dans les propositions qui leur sont faites pour que leurs applications soient réalistes et conformes aux besoins du terrain.

e) Conclusion

Les hauts débits par voie filaire, satellitaire ou autre nous semblent indispensables à mettre en place à plus ou moins long terme, car ils sont souhaités dans plusieurs domaines : économique, éducatif, industriel... La médecine profitera de ce nouveau progrès dans les communications.

La Télémédecine, sous réserve de maintenir la confidentialité des données médicales, bénéficiera grandement de tels moyens dans la mesure où le maillage sera perpétué et modernisé sur l'ensemble du territoire.

Ceci est d'autant plus important que la pérennité pluridisciplinaire et partenariale de la TéléMédecine sera difficile à garantir et délicate à préserver car nous sommes dans un domaine sensible intimement lié à l'Homme et à la qualité de sa Vie. Ainsi, notamment dans l'aménagement du territoire, le recours à la Télémédecine dépend de l'émergence de nouveaux Services aux citoyennes et aux citoyens : c'est ce qu'en Midi-Pyrénées, grâce au Groupement de coopération sanitaire Réseau Télémédecine régional et avec l'aide du Préfet de région, du Président du Conseil régional, Martin Malvy, représenté ici par Alain Beneteau Premier vice-président, et du Directeur de l'Agence régionale hospitalière, nous sommes en train d'institutionnaliser à titre expérimental dans un service régional de TéléMédecine.

M. Pierre HERISSON - Une question à la salle à la suite de l'appel que vous venez de lancer : est-ce que les représentants des collectivités locales peuvent lever la main ?

M. Daniel KAPLAN - Merci pour ce test. J'espère que vous allez déjà mailler le territoire en télé-médecine.

Yves-Armel Martin, vous avez, dans le département du Rhône, engagé depuis trois ans un plan extrêmement ambitieux en direction des écoles du département.

J'avais été passionné par le fait que vous aviez constaté des usages haut débit parfois un peu inattendus.

M. Yves-Armel MARTIN, Président du Conseil général du Rhône, Mission technologies de l'information

En 1998, nous avons commencé à expérimenter l'usage des hauts débits dans le cadre de l'éducation. À cette époque, le département du Rhône était en plein déploiement de son réseau à haut débit.

Parmi les premières hypothèses que nous envisagions, nous pensions que nous pouvions transformer le réseau en une espèce de grosse bibliothèque numérique, permettant, par exemple, aux enseignants d'accéder à des vidéos éducatives en ligne pour illustrer leurs cours.

Nous avons travaillé avec des établissements pilotes. Puis nous avons abouti à certaines conclusions et nous avons réalisé un service en ligne qui s'appelle « laclasse.com » . Il s'agit d'un ensemble d'outils que nous mettons à la disposition des 80 collèges connectés au haut débit sur le Rhône.

C'est un panel d'outils qui sont ressortis des périodes de tests.

Ce sont des outils de documentation : la possibilité de consulter des points pour illustrer les cours.

Ce sont aussi des outils de communication : un forum, des chats, des systèmes de visiophonie multipoints.

Ce sont enfin des outils de production permettant aux enseignants et aux élèves de produire des documents, par exemple, une radio Internet. Chaque ordinateur connecté au réseau peut réserver une plage horaire sur notre serveur de radio et émettre sur celle-ci.

Nous nous sommes aperçus que, contrairement à ce que nous attendions, ce n'est pas l'aspect bibliothèque numérique qui était le premier centre d'intérêt. La première demande des utilisateurs est de pouvoir produire et travailler ensemble.

Par exemple, cette radio Internet, qui était un peu anecdotique pour nous au début, a soulevé beaucoup d'intérêts, aussi bien de professeurs de français que de musique. Ils se sont mis à faire des émissions de radio.

Beaucoup d'établissements ont comme premier projet de réaliser un site Web.

Ensuite, il y a des projets de communications, d'échanges, à l'intérieur de l'école, entre établissements, voire à l'étranger.

Puis vient la consultation de documents.

C'est finalement l'informatique communicante comme outil de créativité et de production qui est la première demande.

Secundo, c'est un outil de communication.

Nous nous sommes aussi aperçus que certains facteurs pouvaient permettre la réussite ou non de ces projets.

D'abord, il faut avoir un projet complet qui comprend l'équipement informatique, la disponibilité du matériel, son état de fonctionnement correct, le fait d'être en réseau localement à haut débit, ainsi que la formation des enseignants avec des supports techniques et des outils « clé en main » pour les accompagner dans leur démarche.

Nous nous apercevons aussi qu'il existe un certain nombre de projets pédagogiques qui avancent mieux que les autres. Ce sont ceux qui sont un peu hors cadre, souvent dans des itinéraires de découverte, où l'enseignant ne se trouve pas dans le schéma habituel de son cours et où il se permet davantage d'innovations, prenant le risque d'utiliser des outils technologiques dont il n'a pas une parfaite maîtrise.

Il existe aussi un autre facteur de réussite : la présence d'un réseau humain. Le réseau électronique ne suffit pas à développer des usages et des pratiques. Nous sommes plus efficaces lorsqu'il existe déjà un réseau humain instrumenté par le réseau électronique.

C'est pourquoi, dans les nouveaux projets que nous conduisons, pour qu'un grand nombre d'enseignants utilisent ces outils, nous travaillons avec un projet véritable, inter-établissements. Un chef de projet conduit le projet. À partir de là, nous créons un réseau de personnes que nous formons et qui vont travailler ensemble, échanger des contenus, réaliser des productions. Elles nous servent d'exemples et peuvent ensuite animer un réseau qui fera « boule de neige » dans le département.

Un dernier exemple : actuellement, nous travaillons sur un projet dénommé «Arthur». Il consiste, en partenariat avec l'Institut national de l'audiovisuel et le CRDP de Lyon, à créer une banque de données en ligne pour les enseignants, avec des outils qui leur permettent de la modifier et de l'utiliser. Le principe est simple : actuellement, on recherche dans du texte, on prend du texte, on le mélange, on l'associe. L'idée est de faire la même chose avec de la vidéo.

Nous retrouvons donc notre bibliothèque numérique, mais avec une différence : nous ne proposons pas des cours « clé en main » mais une matière de base qui est un ensemble de documents audiovisuels. L'enseignant peut y naviguer, plan par plan, assembler, créer sa propre séquence ou faire travailler ses élèves sur l'analyse de ces séquences et leurs propres productions à partir de cette base documentaire.

Voilà les grands axes sur lesquels nous avons travaillé jusqu'à présent et que je voulais vous faire partager aujourd'hui.

M. Daniel KAPLAN - Merci beaucoup de ces quatre témoignages qui, évidemment, ne résument pas la question des hauts débits. J'aurai l'occasion de développer un peu quelques autres enseignements que nous tirons de l'observation des usages.

Sur cette somme de témoignages et d'approches, y a-t-il des réactions ?

M. Alain JOYANDET - Les différents témoignages que nous avons entendus montrent que ce haut débit est un véritable enjeu pour l'avenir et notre pays.

C'est véritablement une question stratégique. Je ne pense pas que dans l'avenir il pourra y avoir des développements possibles dans des territoires tant qu'il n'y aura pas de haut débit.

On a déjà eu beaucoup de colloques, de réflexions, de discussions. Maintenant est arrivé le temps de l'action.

Certaines collectivités locales importantes, comme le département du Rhône, l'ont fait depuis déjà un certain temps, quasiment seules, c'est-à-dire sans appui de l'État.

Il me semble qu'aujourd'hui il est nécessaire que l'État ait une vraie action. C'est un peu compliqué car il faut être capable de sortir de la situation de monopole actuelle qui freine des « quatre fers » la liberté des entreprises du secteur, des collectivités locales et des individus qui veulent un peu s'épanouir.

Je comprends que pour l'opérateur historique il soit difficile d'ouvrir très grandes les portes de la concurrence et de voir baisser certaines ressources.

Mais il faut sortir au plus vite de la situation de monopole dans laquelle nous nous trouvons.

Second objectif: il faut peut-être encore un peu légiférer afin de redonner plus de liberté aux collectivités qui veulent prendre leurs responsabilités et à certains intervenants qui ne peuvent agir pour l'instant.

Il faut que tout ceci conduise à l'objectif suprême : la baisse des coûts. Il n'y aura pas de véritable entrée de la France dans la société de l'information s'il n'y a pas une universalité de l'utilisation. C'est cette dernière qui fera baisser les coûts car il existera un vrai potentiel, une vraie masse d'utilisateurs.

Aujourd'hui, nous sommes dans une situation de blocage pour sortir du monopole, sur les tarifs d'utilisation qui, pour l'instant, sont beaucoup trop élevés même si des efforts sont accomplis depuis quelque temps.

C'est une action qu'il faut mettre en oeuvre. J'espère que ce Gouvernement va s'y atteler. Je crois que plusieurs ministres travaillent sur le sujet.

Tout a été presque dit maintenant, les constats se recoupent.

Pendant plusieurs années, il y a eu un grand débat entre les interventionnistes - j'étais plutôt de leur côté - qui disaient qu'il ne fallait pas tout laisser au marché et ceux qui déclaraient : ce n'est pas à la puissance publique de s'occuper de cela, il convient de laisser faire les entreprises.

Nous sommes au bout du bout. De la situation de blocage dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui il faut sortir, afin de donner une chance à chacun dans ce pays.

Liberté, égalité, fraternité... La liberté et l'égalité ne pourront être respectées dans l'avenir, notre République ne pourra pas les incarner s'il n'existe pas notamment un libre accès au savoir pour tous nos concitoyens sur l'ensemble du territoire français.

C'est un défi majeur. On connaît la problématique. On commence à connaître un peu les solutions. Il ne nous reste plus qu'à démontrer que nous avons la volonté d'avancer. Nous sommes maintenant entrés dans le temps de l'action.

M. Daniel KAPLAN - Nous allons voir cela tout au long de cette journée.

M. Pierre HERISSON - Je crois, à l'écoute des témoignages donnés ici et des propos de notre collègue Joyandet, que se pose la question de l'intervention publique. Quel type de service universel ?

Nous cherchons à réduire les inégalités sur le territoire en termes d'aménagement et à trouver le moyen de péréquation permettant que les plus dépourvus ne payent pas plus cher que les autres pour avoir des situations identiques.

Il s'agit d'un principe qui ne doit pas devenir un voeu pieux. Nous devons nous rattacher à des logiques de développement et d'aménagement du territoire.

Le problème que nous rencontrons aujourd'hui - qui ne touche pas seulement le haut débit mais aussi la couverture téléphonique, le développement de la desserte du gaz naturel, le débit suffisant en matière d'énergie électrique - est celui qu'ont dû gérer les législateurs de la fin du XIX e siècle et du début du XX e , avec le développement du chemin de fer et de la distribution de l'eau potable.

Nous nous retrouvons avec une logique de desserte du territoire, et des approches totalement différentes.

La question est de savoir dans quelle situation nous mettons les réseaux par rapport à une nécessité d'ouverture à la concurrence - concurrence réelle des opérateurs entre eux et de tous ceux qui ont des produits à proposer - à une relation normale entre le client et le fournisseur, puisqu'il s'agit de cela.

Il nous appartient de corriger les inégalités par des péréquations financières acceptables par tous mais qui ne se terminent pas en appel financier.

Il faut donc définir de la manière la moins injuste possible le niveau auquel se situe la péréquation financière.

Il y a là une véritable interrogation et il serait intéressant d'avoir quelques réactions de la salle sur les interventions qui viennent d'avoir lieu. Il convient d'ouvrir une discussion.

M. Daniel KAPLAN - Très brièvement. Il nous reste à peu près cinq minutes.

Je remercie beaucoup tous les intervenants d'avoir été clairs et brefs.

Nous pouvons prendre deux questions ou interventions de la salle.

M. DEPOMMIER-COTON - J'appartiens à la société Associé Venice Communication Solutions. On parle de péréquation, de haut débit dans le service universel. Tout le monde est-il conscient ici que cela peut coûter extrêmement cher ? Je ne dis pas qu'il faut le rejeter...

L'ADSL en France coûte environ 30 € par mois. En dehors de l'ADSL, la seule solution vraiment disponible est le satellite, pour 300 € par mois...

Si on fait subventionner les 10 % d'individus ou d'entreprises qui n'ont pas accès à l'ADSL et si on ramène tout le monde au même niveau, tous seront à environ 60 € par mois. En gros, on doublera le prix...

La péréquation peut donc coûter très cher, en particulier à ceux qui ont aujourd'hui accès aux solutions les moins onéreuses comme l'ADSL.

M. Daniel KAPLAN - Combien coûte la péréquation ? Qui la paye ?

M. Pierre HERISSON - Je ne sais pas si on peut faire un calcul aussi simple qui consiste à dire que ceux qui sont sur 80 % du territoire vont payer le double au motif que 10 %...

Un problème arithmétique se pose dans la manière dont vous avez exposé la situation.

Il y a aussi une volonté politique de savoir quel aménagement du territoire on veut faire demain. Si on abandonne cette idée de péréquation, cela signifie que l'on reste dans ce qui a été dénoncé à plusieurs reprises dans tous les textes de loi concernant l'aménagement du territoire, à savoir qu'on ne dessert que les zones équilibrées et financièrement rentables.

À partir de ce moment-là, la France se prépare un avenir où elle aura concentré l'essentiel de ses activités économiques sur 10 à 15 % de son territoire.

Tous ceux qui en dépendent, en bénéficient ou en profitent, représenteront 90 % des habitants sur 10 % du territoire.

La péréquation se fait-elle exclusivement entre les utilisateurs, les clients, les usagers ou trouve-t-on une intervention permettant une péréquation financière afin de réduire les inégalités d'équipement du territoire ? C'est la vraie question.

M. Alain JOYANDET - Plus concrètement et plus précisément, il s'agit de savoir si, en provenance du budget de l'État - sur la fiscalité -, certains équipements numériques peuvent être pris en charge dans le cadre de l'aménagement du territoire.

Je suis sensible à ce qui vient d'être dit. Il convient de faire attention à ce que les entreprises situées sur le territoire français ne soient pas pénalisées par rapport aux entreprises concurrentes, surtout dans cette activité où le lieu d'implantation n'a quasiment aucune importance, sauf à aimer son pays et à avoir envie d'y entreprendre.

La péréquation n'est pas uniquement entre les opérateurs et entre les utilisateurs. Vous posez là toute la question du périmètre du Service public.

Autrefois existait la lettre avec le timbre à un prix unique, on avait la garantie qu'elle arriverait sous 24 heures dans tout le territoire.

Les enjeux de demain sont différents, mais la problématique économique reste la même.

M. Pierre HERISSON - Une réaction, peut-être même une provocation, l'UMTS fait l'objet d'une taxation forte. Ne serait-il pas logique que les recettes fiscales en découlant servent d'abord à développer le territoire ou alors sont-elles utilisées pour financer le budget de la Fonction publique ?

M. MARTEAU - Je suis maire adjoint à Epinay-sur-Orge. Tous les jours, mes concitoyens me rappellent que le coût de l'accès à Internet est trop élevé. Parmi les mesures que l'État pourrait envisager, la baisse du taux de TVA sur l'accès à Internet pour le ramener, par exemple, à celui du taux appliqué sur les livres ne constituerait-elle pas une bonne mesure ?

M. Alain JOYANDET - Ce serait une solution. Je ne suis pas certain que sur ce sujet nous ne soyons pas encadrés par des problématiques européennes.

L'INTERNET ET LES USAGES DE DEMAIN

M. Daniel KAPLAN - Délégué général à la Fondation Internet Nouvelle Génération (FING), membre du Conseil Stratégique des Technologies de l'Information (CSTI)

Merci. Malheureusement, nous n'avons pas le temps pour d'autres questions. La journée est très dense. Pendant le déjeuner, pourront avoir lieu des conversations bilatérales ou multilatérales très riches.

Je vais vous proposer quelques compléments sur le développement et les usages des hauts débits, qui viennent d'un travail en cours que la FING a engagé avec une autre association (l'ACSEL) dont vous avez peut-être lu certains rapports il y a quelque temps, « Internet, les enjeux pour la France » en particulier.

Nous préparons aujourd'hui et présenterons le 19 décembre prochain, à Paris, un ouvrage intitulé « Haut Débit » , qui s'intéressera aux usages, aux technologies, aux modes de déploiement.

Aujourd'hui, j'aurais souhaité apporter quelques éclairages sur le développement des hauts débits et, peut-être sur quelques leçons que la simple observation des usages et de leur développement spontané, en particulier chez les individus et dans les foyers, procure.

De temps en temps, les résultats ne sont pas tout à fait ce que nous imaginions au départ.

Nous voyons se développer aujourd'hui l'Internet et les hauts débits dans un contexte de crise. De quel type de crise s'agit-il ?

Il faut avoir en tête que cette fameuse crise de l'Internet est très clairement boursière et financière. Si on s'intéresse à ce qui se passe dans le monde, ce n'est nullement une crise de la demande. La croissance du nombre d'utilisateurs de l'Internet, d'ordinateurs raccordés à l'Internet, est aussi rapide qu'elle l'a été, c'est-à-dire qu'en 2000 et 2001. Elle l'est beaucoup plus qu'en 1998-1999 en nombre absolu.

En gros, nous aurions gagné entre mi-2001/mi-2002, 120 millions d'utilisateurs dans le monde pour dépasser 600 millions, soit 10 % de la population mondiale.

Nous ne sommes donc pas face à un phénomène de mode, qui suit et qui épouse les courbes boursières. Nous sommes confrontés à un développement sourd, porté par la demande, par les besoins des entreprises, par les besoins de communication, et qui n'attend pas particulièrement après la création d'éventuelles nouvelles offres ou nouveaux contenus. Il faut simplement lui permettre de s'exprimer par des offres, à des tarifs et à des conditions techniques raisonnables.

Dans le monde développé, l'un des principaux moteurs de cette croissance qui, même en France, ne s'est pas fortement ralentie, d'après les derniers chiffres de l'Association des fournisseurs d'accès, est le haut débit, avec une croissance beaucoup plus rapide que celle, moyenne, du nombre d'utilisateurs de l'Internet.

Deux mots sur les hauts débits : le Président Larcher a commencé à aborder ce sujet en disant : certains hauts débits sont présentés comme tels alors qu'en fait ils ne sont pas aussi hauts qu'on le souhaiterait. Cette question de la barre n'est évidemment pas facile à résoudre.

Si nous respectons ce que nous écrivons nous-mêmes dans le cadre de l'Union européenne ou du fameux CIADT de Limoges, le taux de pénétration résidentielle des hauts débits en France est de 0 % puisque nous avons fixé, dans nos écrits officiels, la barre à 2Mbits par seconde, en considérant qu'il s'agissait d'un seuil normal de confort d'usage.

En gros, nous n'avons à peu près aucun Européen individuellement connecté au haut débit, sauf quelques dizaines de milliers de foyers en Italie et peut-être quelques petites centaines de milliers en Suède. Pour le reste, le taux de pénétration est nul.

Il convient de se poser la question de façon plus large. Essayons de considérer le haut débit comme une sorte d'évidence du réseau. Le réseau est là. Quand un appareil ayant besoin de communiquer est allumé, il est en réseau, il dispose de la capacité de communication. Tel est le haut débit, celui dont j'ai besoin, qui me permet d'oublier le réseau, de même que j'oublie, en général, la route, sauf quand j'habite à Paris et sauf si elle est encombrée.

Le haut débit ramènera le réseau à son statut d'infrastructure dont la vocation est de se faire oublier.

Deux mots sur la situation de la France : fin 2002, nous serons aux alentours de 1,2 à 1,3 millions d'abonnés. Ce ne sont pas que des foyers puisque sont inclus, pour l'essentiel, en dehors des entreprises, l'ADSL et le câble.

Cela nous place dans une position assez proche de la moyenne de l'Union européenne, mais bien sûr très loin des leaders.

Nous sommes dans un domaine émergent et les leaders sont très loin de tout le monde. Nous sommes avec tous les autres moyens, très en retard sur les meilleurs. Nous n'avons pas l'habitude de nous satisfaire de ce genre de situation.

Au regard des 61 % de pénétration dans les ménages coréens, des 17 % dans les ménages belges, des 31 % dans les ménages canadiens, notre pourcentage d'environ 3 %, proche de celui du reste de l'Europe, en dehors de l'Allemagne, des Pays-Bas et des Pays Scandinaves, est relativement limité.

Cela dit, la croissance en France est rapide comme ailleurs.

Les objectifs politiques affirmés par les plus hauts responsables nous permettent d'imaginer que nous allons, au travers de certaines mesures qu'il ne m'appartient pas de détailler, accélérer un peu cette croissance.

Quelques mots sur les usages : qu'en font les utilisateurs ? À quoi servent les hauts débits ?

Un point est étonnant : la première chose que font les utilisateurs est d'échanger. Ce qui se développe le plus en cas de basculement vers le haut débit, ce sont des usages qui, en théorie au moins, n'ont pas besoin de haut débit (le courrier électronique, la messagerie instantanée).

Explosent tous les usages de communications interpersonnelles ou de groupe, et d'échanges.

Ce point est très important parce que nous lisons régulièrement des messages sur le fait que le problème des hauts débits est l'absence de contenus adaptés, que les utilisateurs seraient en attente de quelque chose qui leur parviendrait et qui serait prêt pour le haut débit.

Quand on considère les usages, ce n'est pas le cas. Les utilisateurs n'attendent pas des produits faits pour eux ; ils prennent la situation en main ; ils ont fondamentalement un besoin d'échanges et ils le manifestent de toutes les manières possibles, jusqu'aux jeux en réseau.

Il est presque possible d'analyser le développement des échanges de fichiers, notamment musicaux - copiés de manière évidemment illégale - en ces termes.

Aux Pays-Bas existe une expérimentation d'équipement à très haut débit de quelques milliers de foyers. Les observateurs étonnés ont remarqué que la première activité de ces personnes dotées de 10 ou 100 Mbits a été de se créer des Intranet d'immeubles ou de quartiers.

Ce besoin d'échanges est extrêmement fort et il est aussi local. Les utilisateurs créent des Intranet locaux pour échanger. Nous ne savons pas quoi, mais ce n'est pas forcément notre problème. C'est le leur.

Nous l'avons vu tout à l'heure, dans l'entreprise c'est la même situation : la coopération, la conception coopérative, les télé-réunions, etc.

C'est ensuite produire et créer. On n'analyse pas suffisamment le phénomène sans précédent que représente l'existence de 3,5 millions de pages personnelles produites et plus ou moins mises à jour et gérées par les Français.

Il n'est jamais arrivé que 2 millions de Français se prennent en main pour publier des informations et les rendre disponibles pour le monde entier, en tout cas leurs familles, leurs amis, les membres de leurs associations.

Nous voyons aujourd'hui se développer l'échange de photos, de vidéos numériques sur les réseaux mobiles de troisième génération au Japon. On s'attendait à ce que les personnes consomment beaucoup d'information, or, à partir de leurs appareils mobiles, elles envoient d'abord des photos à leurs amis.

Je rapporte une citation de deux chercheurs de France Télécom R & D, qui ont étudié pendant quelques mois les résultats de plusieurs expériences, depuis 1999-2000, de déploiement des hauts débits résidentiels. Le message général est qu'il s'agit d'un outil de libération, qui transforme des utilisateurs passifs en utilisateurs actifs.

Ce point est extrêmement intéressant. Il ne va pas tout à fait dans le sens de ce qu'imaginaient la plupart des grands acteurs du secteur.

On constate aussi que les hauts débits intensifient globalement tous les usages individuels, de l'ordre de 30 à 80 %. Les utilisateurs passent plus de temps et font plus de tout à partir du moment où ils sont connectés au haut débit.

On pourrait penser que comme cela va plus vite, ils y passeront moins de temps... Au contraire, ils intensifient leurs usages, visitent plus de sites, travaillent plus en ligne, s'informent davantage, s'amusent plus, s'éduquent plus, échangent plus, achètent plus.

Tout cela se développe de manière concomitante avec un autre facteur à ne pas négliger : les hauts débits ne sont pas destinés à raccorder une seul machine dans un foyer ou dans une entreprise. Il s'agit de raccorder de plus en plus de machines entre elles, notamment dans l'entreprise où l'objectif est de diffuser l'accès au réseau et les capacités de communications. Mais ceci vaut également dans l'appartement où il peut être question de diffuser vers plusieurs ordinateurs, vers le poste de télévision, la chaîne Hifi, les appareils de sécurité domestique, etc. Ce gros tuyau est alors utilisé comme une fédération de petits ruisseaux qui font ces hauts débits.

Je terminerai par deux points qu'il convient d'avoir en tête :

Nous commençons à savoir vous retourner le constat d'observations faites auprès d'utilisateurs des hauts débits en France ou à l'étranger. Ces résultats sont parfois un peu différents de ce que nous imaginions. Nous pensions que les utilisateurs seraient plus consommateurs de contenus et de médias. Ceci ne peut pas nous servir à prédire précisément l'avenir.

Aujourd'hui, aucun des usages majeurs de l'Internet n'a été prévu par les acteurs dont c'était théoriquement le métier. En général, ceux-ci se sont trompés. Ce n'est pas parce qu'ils sont idiots. Nous en faisons tous partie.

Probablement, nous sommes dans des domaines où les phénomènes sont émergents, dans des outils d'appropriation, de libération. Ce qui se passera viendra presque forcément d'ailleurs, car le monde est très vaste.

Ni Napster ni le Web n'ont été prévus... Nous pourrions continuer longtemps ainsi en présentant le cimetière des prévisions ou ce qui s'est développé sans avoir été envisagé.

Deuxième dimension importante pour ce qui nous concerne aujourd'hui : nous nous apercevons, dans le déploiement de réseaux à haut débit, en particulier concernant l'expérimentation d'assez ou de très hauts débits (10 ou 100 Mbits/s), que la dimension locale des usages est beaucoup plus importante que celle que nous imaginions. En fait, ceci ne devrait pas nous étonner car les achats sont locaux, nos relations sont essentiellement locales, le trafic téléphonique est pour une grande part local.

Nous vivons avec cette idée que l'Internet est un réseau mondial et que l'internaute est en relation uniquement avec le monde. En fait, il est en relation avec sa communauté, son cercle local et c'est ce qu'il manifeste quand les débits montent. Ceci est important pour notre réflexion sur l'avenir du développement des hauts débits.

Voilà quelques constats.

Je cède la place à la prochaine table ronde et à son animateur, Thierry Del Jésus, journaliste qui connaît très bien ces sujets-là.

TABLE RONDE- TIC ET DÉVELOPPEMENT DES TERRITOIRES : QUELS ENJEUX ? QUELS IMPACTS ? QUELLES MENACES ?

Modérateur, M. Thierry DEL JÉSUS (Nouvel Hebdo)

Bonjour, merci. Je vous rappelle l'intitulé de cette table ronde : TIC et développement des territoires : quels enjeux, quels impacts, quelles menaces ?

Il sera question de convictions mais pas seulement. Nous essaierons de savoir pourquoi un élu, une collectivité locale, militent aujourd'hui pour les nouvelles technologies, pour leur développement sur leur territoire.

Qu'attendent ces élus et ces collectivités locales ? des retombées économiques ? une plus grande compétitivité ? de meilleures relations entre les administrés et l'Administration ? une plus large diffusion des savoirs ? La liste des attentes n'est pas exhaustive et je vous invite à la compléter à travers vos interventions ou vos questions.

Interviendront M. Claude Belot, sénateur de la Charente-Maritime, Vice-président de la Délégation du Sénat à l'aménagement et au développement durable du territoire ; M. René Trégouët, sénateur du Rhône. Ils vont nous faire part de leurs convictions mais aussi de leur confrontation à la réalité des nouvelles technologies sur leur territoire.

Auparavant, M. Nicolas Jacquet, délégué à l'Aménagement du territoire et à l'action régionale, va nous livrer la vision prospective de la DATAR sur le développement des TIC (technologies de l'information et de la communication) sur le territoire.

M. Nicolas JACQUET, Délégué à l'aménagement du territoire et à l'action régionale (DATAR)

Comment introduire ce thème d'aujourd'hui ?

Vous avez posé plusieurs interrogations, notamment sur les enjeux, les impacts du haut débit dans notre pays.

Je voudrais prendre un chiffre qui me frappe beaucoup. C'est une petite introduction au sujet mais je la trouve frappante.

En France, le nombre d'abonnés à la téléphonie mobile est notablement supérieur à celui des États-Unis. Ceci est paradoxal car la France est présentée comme étant toujours en retard sur les États-Unis. Or, 62 % des ménages français ont un mobile. Les Américains sont à près de 50 %.

En revanche, la proportion des ménages ayant un ordinateur est de 65 % aux États-Unis contre 40 % pour les ménages français.

Voilà quelques chiffres qu'il convient selon moi d'avoir à l'esprit.

Le haut débit est-il un espoir ou une menace ?

Un espoir d'abord : il est clair que l'offre de technologies d'accès et sa variété (fibres optiques, ADSL, boucles locales radio, satellites) permettent une très large accessibilité.

Être au premier rang en matière de haut débit est possible même si on n'est pas une très grande ville. C'est peut-être l'élément d'espoir le plus fort. Le haut débit peut sans doute être la possibilité, pour des territoires qui n'ont pas l'ambition d'être des grandes métropoles mondiales, d'être néanmoins au premier rang des évolutions du futur, à l'image du plateau du Vercors.

Le haut débit peut être un moyen d'égaliser le territoire, de lutter contre la facture digitale.

Il y a aussi une problématique menace.

Le développement des réseaux renforce aussi les logiques de polarisation territoriale et de concentration des activités. L'activité va à l'activité. C'est malheureusement incontournable. Une zone bien desservie par les infrastructures traditionnelles, très logiquement, se retrouvera très vite bien desservie en matière d'équipements de nouvelles technologies. Les investissements se font dans les zones les plus rentables, là où l'on trouve le plus de clients. Le haut débit perce en France dans les zones les plus développées de nos agglomérations. En très haut débit, il y a La Défense, quelques zones établies de manière limitée sur l'ensemble du territoire national...

Les technologies ADSL qui permettent un accès de bon niveau aux technologies de l'information, de 0,5 à 1,5 Mbit, couvrent aujourd'hui à peu près 70 % de la population française mais seulement 20 % du territoire.

Les investissements ont naturellement tendance à se faire dans les zones où il y a le plus de clients et où ils sont le plus rentables. Que l'on soit dans les zones noires du haut débit ou dans les zones blanches de la téléphonie mobile, on voit bien que ce sont toujours les mêmes qui sont dans l'attente d'une action publique pour bénéficier de meilleures potentialités de développement.

Ce peut être un espoir réel pour les territoires les plus fragiles de notre pays mais il existe une menace : les tendances de nos économies nous mèneront toujours vers les zones les plus rentables.

Deuxième type de problématique : pourquoi le haut débit ? pourquoi aller vers un soutien public pour ces équipements ?

La première des finalités est celle de la compétitivité économique. Certaines grandes entreprises, activités nouvelles (e-business, etc.), tout ce qui est B2B (business to business), c'est-à-dire nécessaire aux entreprises pour les entreprises, devront avoir de manière impérative des équipements de très haut niveau, davantage sur les très hauts débits que sur le haut débit classique.

Certains pays se sont engagés dans ces problématiques, notamment la Suède, les Pays-Bas, l'Allemagne, les USA, le Japon et la Corée. Ils se sont fixé un objectif 2010 tout à fait ambitieux, à savoir 10 Mbits/s pour tout usager. Nous ne sommes pas du tout sur ces logiques mais plutôt sur 1Mbit par le biais de l'ADSL.

La fibre optique sera sur des pôles clairement identifiés avec des investissements très coûteux. La France ne sera pas couverte demain de fibres optiques. D'ailleurs, en avons-nous les moyens ? Mais ceci est un autre débat.

Au delà du volet économique que tout le monde connaît, je voudrais aborder une autre problématique, celle du développement des TIC dans les grands services collectifs.

À une époque où nous parlons de la fracture territoriale, je crois que le haut débit est aussi une possibilité de rompre l'isolement du rural.

Imaginez toutes les potentialités de développement d'un territoire à partir de l'Internet et du haut débit, de nouveaux modes de communication entre les hommes. Pensez au problème de la santé, au problème de l'éducation, de l'accès au service public. Le jour où nous rendons d'accès facile l'informatique et tout ce qui est derrière l'Internet à des territoires ruraux, d'autres problématiques apparaissent.

Pour la santé, quand on pense en termes d'urgence médicale, à partir du moment où nous ne savons raisonner que par des équipements physiques, il est évident que nous tombons sur des blocages. Quand un territoire est à 50 km d'un hôpital disposant d'un plateau technique suffisant, des médecins, des urgentistes, etc., il est délaissé. Le jour où l'on développe des logiques de télé-santé, où on peut avoir une lecture d'électrocardiogrammes à distance, où on est en mesure de suivre une personne âgée...

Imaginons tout ce que peut apporter le développement des nouvelles technologies dans le monde rural... c'est très important.

Il existe aussi d'autres problématiques concernant les nouvelles gestions des temps de vie. C'est le travail à distance, la communication avec son environnement, une nouvelle problématique de la vie en famille, mais aussi du tourisme.

Par le biais de l'accès à ces nouvelles technologies, on peut avoir une vision de la France de demain complètement différente.

Sous cet angle, le développement du haut débit ne doit pas rester tel que beaucoup le présentent aujourd'hui, c'est-à-dire avant tout un outil de développement économique.

Les chiffres que j'ai présentés tout à l'heure - 18 % de taux de connexion à l'Internet et 1 % de ce pourcentage en très haut débit - indiquent un retard qui ne nous amène pas vers le progrès.

Aujourd'hui, nous sommes passés de « l'envie de faire » - ce que nous essayons de partager aujourd'hui - au « savoir faire ». Mais il existe beaucoup d'interrogations et d'inconnues.

Souvenez-vous des concepts, développés il y a une quinzaine d'années, des téléports. Nous nous disions que les nouvelles technologies seraient forcément un bâtiment câblé permettant aux entreprises de se développer, etc.

Le jour où il n'est plus nécessaire de tirer des fils de quelque nature qu'ils soient, si nous nous sommes trompés dans nos choix de technologie, nous nous retrouvons avec des investissements peu utiles.

Nous sommes sur des engagements publics clairs pour réussir ce grand pari de l'accès aux nouvelles technologies et celui du haut débit. Pour cela, il faut de l'argent et du droit.

Tout cela est au coeur de nos réflexions et un prochain CIADT aura l'occasion d'annoncer certaines avancées en la matière.

M. Thierry DEL JÉSUS - Merci. sénateur Belot, partagez-vous cette conviction que les nouvelles technologies ne doivent pas se résumer à un outil de développement économique ?

M. Claude BELOT, sénateur de la Charente-Maritime, Vice-Président de la délégation du Sénat à l'aménagement et au développement durable du territoire

Internet est une nouvelle vie, une immense révolution. Je crois qu'il ne faut pas occulter le vrai sujet avec le préalable des tuyaux. La vérité est que l'on ne sait pas ce qu'il se passera dans ce domaine. On ignore ce que sera la transmission de l'image, de la voix, demain ou après-demain.

J'ai été rapporteur au Sénat des problèmes du Net il y a un an et demi, au moment de l'étude des schémas de services.

Quand il s'agissait de faire des routes, tout le monde était compétent, de même pour les ports. Mais définir ce qui allait se passer à 10 ou 20 ans amenait la salle à proférer des sottises. Les meilleurs experts qui étaient venus nous faire part de leur vision de l'avenir étaient en contradiction complète les uns avec les autres.

Je crois qu'il convient en tout cela de garder la raison et d'être très attentif à ce qui peut se produire.

Je pense à une démarche très volontariste comme celle menée en Malaisie où il a été décidé qu'il y aurait du haut débit partout dans la jungle. Si c'est pour permettre à des gamins de jouer très vite, ce n'est peut-être pas ce qui peut se produire dans une économie de marché comme celle dans laquelle nous vivons.

Je ne sais pas si je peux m'exprimer librement.

M. Thierry DEL JÉSUS - Oui.

M. Claude BELOT - Le préalable des tuyaux est une fausse question. Je m'exprime en tant que parlementaire suivant ici ces questions de près. Je suis rapporteur de ce qui concerne l'audiovisuel et donc sensible au problème des contenus, ainsi que Président du Conseil général de la Charente-Maritime.

Il y a quatre ou cinq ans, tout le monde me parlait de backbone, de réseaux à construire, etc. Nous avons l'habitude de faire des routes, donc nous allions réaliser les autoroutes de l'information.

De nombreux cabinets et entreprises me proposaient leurs services à des tarifs importants. J'ai voulu y voir clair et j'ai réussi à savoir, avec difficulté, car la DATAR n'avait pas une vision nette de l'existant dans ce domaine-là. J'ai eu de gros problèmes pour connaître l'existant en fibre optique sur le territoire dont j'ai la responsabilité.

Je me suis rendu compte que le backbone n'était pas catastrophique du tout. Entre ce que possèdent France Télécom, les sociétés autoroutières, la SNCF, et une immense autoroute de l'information des Suédois, il y avait de quoi satisfaire beaucoup de monde. C'étaient les clients qui manquaient plus que les artères.

Ensuite se pose le problème du détail, du dernier client qui habite le plus loin... On s'est aperçu que la demande dans ce domaine-là n'était pas considérable.

Je me suis enquis de la réalité du propos fréquent selon lequel les industriels vont partir du milieu rural. J'ai fait mener une enquête pour savoir quel industriel avait besoin de très haut débit ou de haut débit et était prêt à déménager. Je suis obligé de donner la réponse : aucun.

J'essaie de travailler sur le concret, même si l'abstrait est passionnant. À défaut de tuyau, il y a toujours le satellitaire. Je l'ai fait fonctionner en tant que département. Nous avons procédé à une expérimentation en vraie grandeur sur les collèges dont nous avons la responsabilité et sur un média pôle ou cyber-centre qui a ouvert il y a deux ans, il a eu 50.000 connexions.

Ceci me permet de savoir exactement ce qui se passe.

La situation n'est pas aussi catastrophique qu'on le prétend souvent.

Nous avons fonctionné en satellitaire à titre expérimental et très bien. J'ai observé que les prix dégringolaient. On arrive aujourd'hui à des niveaux assez proches de ceux de l'ADSL pour un usage à peu près normal.

Aujourd'hui, l'ADSL revient à 30 € TTC par mois pour le particulier. Pour bénéficier du sécurisé, il faut dépenser 532,22 € par mois. Tel est le tarif pratiqué pour mes collèges. 51, c'est-à-dire tous, sont raccordés dans mon département, en ADSL là où il est disponible, en satellitaire ailleurs.

Pour le satellite, la location est de 626,21€. L'acquisition la première année est de 803 €.

Nous arrivons donc à des prix assez comparables. La tendance permanente du satellitaire est à la baisse et à l'amélioration de la qualité.

Voilà pour les tuyaux.

Pour le contenu et l'usage, le représentant de Citroën nous disait tout à l'heure que les très grandes entreprises rencontraient des problèmes de téléchargement de plans entre les différentes usines. C'est important et je comprends très bien qu'il faille du très haut débit. Il faut des lieux dédiés à ces fonctions.

Mais dans le média-pôle que j'évoquais tout à l'heure, autour duquel fonctionnent beaucoup de personnes, il est intéressant de constater les usages. Cela joue sur les consultations libres. L'échantillon de plus de 20 000 n'est pas énorme mais il est déjà représentatif.

Le jeu des adolescents représente 25 %. La discussion en ligne (le chat) représente 24 % ; ce sont essentiellement des jeunes filles. La recherche scolaire 15 %.

L'actualité, notamment sportive, l'information, représentent 7 %. La culture (musique, cinéma), 7 %. La recherche en rapport avec une profession, 5 % - ce sont plutôt des artisans commerçants -. Les loisirs (sorties, voyages), 5 %. La préparation d'un achat (le e-commerce), seulement 3 % alors que l'accès est gratuit et libre en permanence. La recherche d'emplois et les concours 6 %.

C'est l'usage concret dans la petite ville de Jonzac qui est une sous-préfecture. Elle a démarré un système en satellitaire. Elle fonctionne aujourd'hui en ADSL.

Il est intéressant de voir les résultats au niveau de l'usage et du raccordement à l'ADSL. L'ADSL existe au prix unique sur le territoire national. Aujourd'hui, un an après son arrivée, seulement 2,58 % des abonnés de Jonzac au téléphone se sont raccordés.

France Télécom me dit que j'ai fait un bon travail de défrichement, de formation, mais me reproche de lui faire perdre des clients si je continue la gratuité. Ceci est sans doute vrai. Je vous fais part de mon expérience en vraie grandeur ; je veux que cela fonctionne.

La fracture est plus sociale que territoriale. Certains ont à domicile l'ordinateur qui permettra de s'en servir. Je crois très urgent de mettre sur le marché un petit outil dédié uniquement à l'Internet, ce qui permettra à chacun d'être opérationnel à son domicile. Alors, il y aura sans doute davantage de raccordements ADSL. Tant que le préalable est l'ordinateur, seule une certaine clientèle peut y avoir accès.

C'est d'ailleurs un vrai débat dans les écoles. J'ai voulu que mes 53 collèges soient tous raccordés ; ils le sont. Mais j'observe des comportements très différents des équipes pédagogiques et des chefs d'établissement. Certains jouent le jeu avec passion, d'autres laissent faire, d'autres encore « freinent des quatre fers » pour des raisons de principe. « Vous allez créer des différences sociales ; vous risquez de remettre en cause notre gagne-pain puisque cela changera complètement les méthodes pédagogiques de demain ; etc. » .

Des problèmes de ce type peuvent se poser.

Au niveau des contenus, nous vivons actuellement une période un peu folle de l'Internet dans laquelle tout le monde s'imagine que l'accès aux contenus est gratuit.

Lorsqu'une entreprise veut faire connaître ses réalités, elle crée un site. Les grandes collectivités l'ont pratiquement toutes fait aussi. Mon département a créé le sien, et je m'en suis personnellement occupé car c'est passionnant.

Nous avons démarré petit, il y a quatre ans ; nous avons maintenant 1 million de connexions mensuelles. Le site vit. Mon département est le deuxième en matière de tourisme français. Nous avons beaucoup de contenus nature, patrimoine, tourisme, mais aussi 15.000 fichiers informatiques derrière. Nous y mettons tous les films que nous produisons. Nous faisons beaucoup d'audiovisuel soutenu dans le cadre de mon département.

Tout cela signifie des charges. Beaucoup de collectivités n'auront pas la possibilité de faire vivre tous ces centres car il faut du personnel compétent.

La fabrication de 500 pages de contenus propres, actualisés, les interrogations permanentes que nous recevons, auxquelles il faut répondre, tout cela représente une charge très importante à laquelle nous n'avons pas, je crois, suffisamment réfléchi.

Je ne regrette pas de l'avoir fait, je trouve cela passionnant et je m'aperçois que c'est efficace. 25 % de personnes nous interrogent quotidiennement des États-Unis et d'une grande partie du monde. Toutefois, ce n'est pas si simple à faire vivre et rien n'est pire qu'un site Internet dont la dernière actualisation remonte à six mois.

Je suis convaincu que le contenu gratuit ne sera pas éternel. Dans le monde entier on a essayé de créer des entreprises, de faire vivre une économie dans laquelle il y avait énormément de charges et pratiquement pas de produits. Il est arrivé ce qui devait arriver...

Le problème des tuyaux est passionnant mais, selon moi, ce n'est pas le principal.

On dit aussi qu'il n'y a que 5 % du contenu mondial de l'Internet en français. Ceci n'est pas positif. En France nous avons un gros problème de fabrication de contenus Internet. Nous devrons y réfléchir.

J'y travaille dans le cadre de mon activité audiovisuelle. Je réalise en ce moment du contrôle sur des entreprises audiovisuelles, en particulier l'AFP, qui est d'ailleurs très performante dans ce domaine. Il y a beaucoup d'éléments à faire connaître.

Cette économie se met en place. Vous êtes ici car vous êtes engagés, à un titre ou à un autre, dans cette affaire. C'est un pas extraordinaire de l'humanité. Il n'y aura plus de frontières. Ce n'est pas si simple et la situation ne pourra pas toujours évoluer aussi vite qu'on le prétend. Telle est ma conviction. Il convient d'agir intelligemment, prudemment, de ne pas engager des entreprises au delà du raisonnable dans des situations de ce genre.

Pour reprendre les propos tenus tout à l'heure au sujet des tuyaux par MM. Joyandet et Hérisson, je pense que devenir opérateurs de lignes téléphoniques, ce n'est pas notre rôle. Je gère le pont de l'île de Ré, c'est facile. Mais lorsqu'il faut passer à du matériel beaucoup plus sophistiqué, avec des obligations de résultats, ce n'est pas simple.

Autrefois, lorsqu'on a voulu le téléphone en milieu rural, les départements ont fait des avances considérables à France Télécom, qui ont été remboursées dans le temps. Cela nous a fait mal à l'époque. J'étais conseiller général il y a plus de trente ans. Nous avons protesté contre le système mais nous nous sommes lancés. Ceci a permis d'avoir la téléphonie en milieu rural. Aujourd'hui, tout le monde n'y pense plus puisque trente ans plus tard, nous en sommes aux derniers remboursements.

Je voudrais dire aussi, toujours par expérience pratique, qu'en ce moment je monte avec le Gouvernement canadien une grande opération destinée à fêter le quatrième anniversaire de la Nouvelle France, en 2004.

Nous reconstituons la maison de Champlain à Brouage, à coûts partagés. Nous aurons un gros contenu moderne, avec les nouvelles technologies de l'information. Je m'aperçois que les Canadiens qui ont bonne réputation dans ce domaine ne sont pas beaucoup plus en avance que nous. Nous sommes en train d'inventer la maison de Champlain moderne, de son temps ou anticipant sur celui-ci.

Les Français font ce qu'ils peuvent à leur rythme mais je n'ai pas le sentiment que nous soyons aussi mauvais que cela est dit très souvent.

S'il y a toujours une entreprise perdue quelque part sans ADSL, il faut trouver une solution pour lui fournir du satellitaire et le problème sera réglé.

Comme l'indiquait M. Jacquet tout à l'heure, il ne faut pas confondre le haut débit qui rend l'Internet confortable avec le très haut débit. Nous n'aurons jamais le très haut débit partout en France.

Voilà ce que je voulais vous dire, comme celui qui essaie de mener des actions, de réfléchir, qui se trompe de temps en temps - parfois plus souvent que souhaité -, mais qui fait avancer la situation. Le principal problème est d'inventer des contenus en français, c'est le plus difficile. Selon moi, celui des tuyaux se réglera vite s'il y a un véritable besoin.

M. Thierry DEL JÉSUS - Merci. Tout le monde aura pu apprécier votre sincérité et votre franchise. Peut-être y a-t-il d'ailleurs des consultants dans la salle ? Ils pourront vous répondre tout à l'heure.

Monsieur le sénateur Trégouët, pensez-vous également qu'il faille se méfier des démarches trop volontaristes ?

M. René TREGOUËT, sénateur du Rhône

Je ne suis peut-être pas bien placé pour répondre sur ce point, car on m'a longtemps accusé d'être trop volontariste. Ce ne serait donc pas mon rôle que de dire qu'il ne faut pas l'être.

Toutefois, ceci ne signifie pas que je ne suis pas sur la même planète que mon ami Claude Belot. Il parle de l'instant. Il reflète la sensation de nombreux responsables français face à ces nouvelles technologies.

Il l'a répété trois fois au cours de son intervention : « il a les mains dans le cambouis » . Il nous a fait part des difficultés qu'il rencontre.

Vous m'avez demandé de venir pour vous décrire un peu comment pourrait être notre monde, à échéance relativement proche de 5 ou 10 ans, de la manière la plus crédible possible.

Travaillant beaucoup sur ce sujet, je voudrais dire à notre collègue Belot qu'à mon avis le monde va beaucoup changer, pour diverses raisons.

Quand les entreprises sont interrogées actuellement, elles n'ont pas conscience de cette situation. Le garagiste de votre village ne sait pas qu'aujourd'hui, dans les laboratoires de Renault, de PSA et autres, sont préparés des outils tels que si dans cinq ans ils ne sont pas reliés à très haut débit, ils n'auront plus la capacité de totalement prendre en charge toutes les nouvelles voitures qui seront produites.

Je pourrais multiplier ainsi les exemples au niveau de presque tous les métiers. Je ne parle pas des médecins qui constituent un des sujets majeurs. Ce point a été abordé au cours de la matinée. À peu près toutes les professions, même celles qui paraissent hors du champ, sont au coeur du sujet, par exemple celle d'agriculteur. Il n'y a pas de profession qui ne sera pas intéressée par le haut débit dans les cinq ou dix années à venir.

Autre point : depuis des années ont lieu des interventions sur ce sujet et la situation évolue beaucoup trop lentement. Toutefois, ce thème est en train de prendre de l'importance. MM Joyandet et Hérisson parlaient tout à l'heure de l'équipement de la France en réseaux d'électricité, d'eau, etc. Quelque chose d'extraordinaire va se produire avec les hauts débits. Ceci aura autant d'importance pour l'avenir de l'ensemble de nos concitoyens que ce qui s'est produit au début du XXème siècle avec le réseau d'eau.

Je pense d'ailleurs que celui-ci est une très bonne image. Autrefois, nos grands-parents allaient chercher de l'eau au puits avec un seau. C'est ce que nous faisons actuellement avec l'Internet où nous sommes obligés de prendre le seau à chaque fois, de le mettre au fond du puits et de le remonter.

Or, avec le haut débit, le robinet est en permanence ouvert. Cela est possible de manière forfaitaire, ce qui constitue un avantage par rapport aux réseaux que nous connaissons actuellement de l'eau et de l'électricité. L'ouverture permanente du réseau ne coûte pas cher et l'accès illimité forfaitaire constitue l'élément accélérateur indubitable.

Les chiffres cités tout à l'heure le mettent en évidence, nos concitoyens internautes, qui actuellement se servent du haut débit, ne le font pas dans une finalité de haut débit. Ils l'utilisent à cause de son caractère illimité. Ils sont en mesure de pouvoir recevoir à tout moment des messages et d'en être avertis immédiatement. Il ne s'agit pas d'un usage de haut débit mais de permanence.

Très rapidement, avec cet usage de permanence, de manière pragmatique, on s'aperçoit que l'on sollicite d'autres fonctions, en particulier s'il y a des jeunes dans le foyer.

Très vite, le haut débit est nécessaire pour charger des fichiers, ce qui est d'ailleurs parfois illégal, dans le domaine de la musique et autres. On sait que ces débits augmenteront très rapidement et qu'avant moins de dix ans l'ADSL ne pourra plus suivre.

Nous serons dans un monde où la demande de haut débit ne pourra passer que par le photon et non plus par l'électron. À partir de ce moment-là, la fibre optique sera nécessaire.

En tant que responsables de collectivités territoriales, il est important pour nous - comme Claude Belot, j'ai lancé cette grande aventure de l'optique dans mon département depuis maintenant 13 ans - d'investir sur le long terme.

Si nos anciens, en construisant les voies ferrées il y a un siècle, avaient choisi chacun dans son territoire les largeurs de leurs rails, nous ne serions pas allés très loin.

La technologie doit être la plus coordonnée possible. Je reviendrai vers vous tout à l'heure, M. le Délégué, car vous avez un rôle très important à jouer dans ce domaine. Il faudra très vite arrêter un schéma du haut débit en France.

On se demande si telle technologie ne serait pas meilleure que telle autre... Or, un schéma peu à peu s'impose. Il doit être pragmatique, compris par les Pouvoirs publics. Il en va de l'avenir de notre pays au niveau non seulement de la mise en place de ces nouvelles technologies mais aussi de l'acquisition des usages par nos citoyens.

En effet, chacun pourrait dire : « je me suis battu pour telle ou telle infrastructure ; là j'ai beaucoup d'ADSL ; là je reçois par le satellite et là par le câble ». Mais ce n'est pas cela qui est important. L'essentiel est l'acquisition des usages, l'utilisation qu'ont réellement nos concitoyens de ces nouvelles technologies. Dans ce domaine nous avons un vrai retard.

C'est pourquoi la France doit, dans le domaine des tuyaux, expliquer très vite son programme et faire en sorte que les deux autres piliers du développement des nouvelles technologies - ceux des contenus et des usages - par nos concitoyens soient les plus forts possible.

Si nous n'avons pas ce tripode, si nous ne nous battons que sur les tuyaux en omettant les deux autres aspects, c'est une erreur.

Je pense qu'il convient d'essayer de partir d'éléments très pragmatiques. Je suis convaincu - et je suis certainement en opposition avec certains élus dans cette salle - qu'en France, nous ne pourrons pas finir l'aménagement du territoire en haut débit sans une forte volonté politique qui devra s'associer à une forte initiative privée. Il conviendra que l'un et l'autre marchent ensemble.

Les Pouvoirs publics devront non seulement définir un plan clair d'aménagement de la France mais aussi une grande expérimentation dans ce domaine. L'État, les régions, les départements, les communes mais aussi l'Europe pour les parties les plus déshéritées de notre pays, doivent se mettre autour de la table.

Nous devons faire en sorte qu'il y ait un plan avec une vision très claire à échéance de cinq à sept ans, nous permettant de dire aux Français que dans ce délai, ils seront en mesure d'accéder aux hauts débits avec des moyens économiques raisonnables.

M. Belot signalait tout à l'heure qu'il existe actuellement des solutions. Il est effectivement possible de s'adresser au satellite mais le coût est si élevé qu'il n'est pas envisageable de proposer cette solution aux Français.

Il nous faut donc véritablement préparer un programme. Ce n'est pas très complexe car il a déjà été développé, mis en place, dans d'autres parties du monde. Il a été aussi déployé dans certaines régions de France.

Nous devons donc réaliser un programme qui, à échéance visible, devra desservir la plus grande partie des Français. Vous ne pouvez imaginer qu'aujourd'hui un Français puisse vivre sans électricité ou sans eau. Sans accès au haut débit, il ne pourra plus vivre en France dans 15 ou 20 ans, à titre de particulier. Pour les entreprises, le délai est beaucoup plus court.

Nous devons prendre conscience qu'il convient d'arrêter un immense programme. Pour cela, il s'agit d'inciter les Français à s'impliquer fortement dans l'acquisition des usages.

Des interventions très intéressantes ont eu lieu ce matin. Elles indiquent qu'à la globalisation, à l'Internet, il convient d'ajouter une approche de proximité appelée Intranet.

Un des premiers usages des hauts débits dans les cités, immeubles, etc., est l'Intranet de quartier. Les personnes aiment échanger.

Je me bats sur ce point jour après jour. Les usages privés se développeront et nous pourrions en parler durant des heures.

Notre pays a toujours une démarche singulière. Notre structure pyramidale est très importante, les collectivités territoriales jouent un rôle crucial. Je suis intimement convaincu que ce seront les usages publics qui constitueront un moteur très fort du déploiement des nouvelles technologies dans notre pays et non pas simplement les usages privés.

Certes ceux-ci sont importants mais ils montrent leurs limites. En effet, il faut avoir les moyens d'y accéder.

Nous devons faire en sorte - ce que nous allons développer dans notre département - de déployer des accès permis à tout le monde sur un grand Intranet départemental. Ce point est fondamental. Nous devons changer la vie de nos concitoyens grâce aux nouvelles technologies. Ils prendront alors conscience que celles-ci sont importantes pour l'éducation de leurs enfants, pour leur santé, pour leurs relations avec l'Administration, pour le fonctionnement de leur société, de leur collectivité.

Nous devons accomplir une immense tâche. Si nous savons déployer ces contenus, je suis certain que les usages très rapidement se démultiplieront dans notre pays.

Il convient d'être pragmatiques quand nous abordons des problèmes de cette nature. C'est ce que j'ai essayé de faire, car je ne suis pas un théoricien comme Claude Belot et les autres intervenants de la matinée comme MM. Hérisson et Joyandet. Dans nos départements, nous sommes des praticiens. Moi aussi j'ai « la main dans le cambouis » . Ce n'est pas facile. J'ai été beaucoup critiqué quand j'ai lancé l'idée de construire un immense réseau optique qui est en train de devenir -sa construction sera achevée dans un an - la plus grande plaque optique d'Europe. C'est la Commission européenne qui l'indique.

Cette plaque optique desservira un million d'habitants. Il aura fallu 15 ans pour la construire et 1,5 milliard. Mais grâce à cette association entre l'initiative privée -  milliard de francs d'investissement - et la volonté publique - un tiers de l'investissement, soit 500 MF -, nous sommes parvenus à faire évoluer la situation de manière positive.

Nous avons fait figurer des clauses particulières dans notre contrat, dont nous sommes particulièrement heureux aujourd'hui. Personne n'y croyait au début des années 90. Cela nous a permis de glisser des règles que Time Warner a acceptées. Nous leur avons dit que nous apportions de l'argent public et que nous savions qu'un jour ils gagneraient beaucoup d'argent - c'est toujours vrai à l'heure actuelle -. Aussi leur avons-nous demandé, lorsque ce serait le cas, qu'ils nous rétrocèdent 1 % de leur chiffre d'affaires.

J'avais été le seul parlementaire en France à demander que la même chose soit faite pour l'UMTS. Si tous les Gouvernements européens avaient eu cette sagesse, combien se porterait mieux aujourd'hui, toute l'industrie des télécommunications en Europe. On n'aurait pas parié sur les technologies qui n'existent pas mais on aurait dit : « le jour où vous gagnerez de l'argent, il est normal que la collectivité bénéficie d'un retour » .

Nous avions convenu d'une deuxième clause dans ce contrat. Elle est devenue aujourd'hui effective. Elle précisait que 5 % des capacités du réseau devaient être mis gratuitement à la disponibilité de la collectivité et 5 % supplémentaires à titre coûtant, soit 10 % dans des conditions extraordinaires.

Souvenez-vous bien de cette condition. Je crois que l'on pourrait la reprendre dans d'autres régions de France. En effet, il serait alors possible de déployer les usages publics au travers de cette solution.

Aujourd'hui, UPC a repris ce réseau. Nous avons transformé cette condition qui était difficile à évaluer. Nous avons mis plusieurs dizaines de fibres. Aujourd'hui, une seule serait suffisante pour desservir l'ensemble du département.

10 % des capacités d'un réseau ne signifient donc pas grand-chose.

Nous avons transformé cela en un immense Intranet qui déjà réunit 1.500 points publics à très haut débit: les mairies, les écoles, les collèges, les bibliothèques, etc. On peut y accéder dans toutes les médiathèques. Il est dispersé sur l'ensemble des communes du département, puisque même la plus petite - un peu moins de 100 habitants - a de la fibre optique.

Le principe de ce réseau est d'avoir amené l'optique partout et de procéder à la distribution. C'est la grande différence avec le back bone dont parlait Claude Belot il y a quelques instants. Je ne me suis jamais battu pour les back bone.

Il y en a d'ailleurs beaucoup trop et c'est une des raisons de la difficulté de l'économie actuelle.

Celui qui donne l'argent au final est le client. Il faut donc aller chez lui pour créer une affaire rentable.

Il convient de procéder avec pragmatisme ; c'est ce que nous avons essayé de faire dans notre département.

Sur chaque point de livraison optique (PLO), nous faisons partir au maximum deux branches coaxiales. Ceci est également contractuel. Sur ce coaxial, il ne peut jamais y avoir plus de 250 clients.

Imaginez la puissance de ce réseau. On ne divise jamais la bande passante globale sur le hub par plus de 250. Si demain, on voulait mettre 20 ou 100 Mbits à chacun des habitants du Rhône, ce serait possible. Ce n'est qu'une question d'électronique et d'informatique et non pas de capacité de réseau. Mettre 100 Mbits dès aujourd'hui n'a pas de sens, alors que le marché est encore à 512 Kbits.

Il faut voir loin et fort. Ceci est important au niveau des technologies. Tel est l'avantage de l'optique.

Vous pourriez me dire que j'ai distribué un petit village, que l'optique le permet, et me demander comment je fais pour la couverture des personnes isolées. Nous sommes en train de parcourir cette phase exaltante actuellement. Nous n'estimerons la mission accomplie que lorsque le haut débit sera accessible à l'ensemble de nos populations, soit 100 % du territoire.

Je crois que c'est l'heureux mariage entre la radio et les systèmes optiques qui permet d'atteindre cet objectif ambitieux. Il existe des artères, comme l'indiquait Claude Belot, mais il faut aussi penser à tout le système veineux, qui irrigue l'ensemble de notre organisme de façon très précise. C'est ce que nous menons dans le département.

Nous allons desservir à l'heure actuelle en optique 80 % de la population ; les 20 % restants seront desservis en radio.

Quand les 100 % seront desservis dans les conditions que nous évoquions, je pense que nous aurons bien fait notre travail.

Nous devons avoir aussi conscience, Mesdames et Messieurs, que grâce à cet Intranet qui réunit l'ensemble du département, nous sommes en train de déployer, avec M. Martin, directeur d'Erasme, centre d'expérimentation du département du Rhône à haut débit, des expertises de très haut débit dans le domaine de l'accès au savoir - consultez le site « laclasse.com » - , des expérimentations.

Ces expérimentations mobilisent des bandes passantes incroyables sans que cela ne coûte un centime. En effet, cela figure sur la clause contractuelle qui exige que 10 % du réseau soient remis à disposition de la collectivité. Je n'ai donc pas à prévoir 300 € par collège. Je dispose de 2 Mbits en permanence pour zéro dans l'ensemble de mes collèges.

À partir du moment où vous faites preuve de volonté et que vous avez une vision assez forte de l'avenir, vous pouvez faire en sorte que l'initiative privée soit à vos côtés.

Je me retourne vers le représentant de l'État, car j'ai actuellement un gros souci. Si nous voulons que l'initiative privée soit aux côtés de la volonté politique, nous devons lui donner la possibilité de gagner de l'argent.

Actuellement, nous n'avons pas de vision cohérente en France pour faire gagner de l'argent sur le haut débit.

Les hésitations qui sont les nôtres actuellement sur l'avenir de la télévision numérique qui pourrait être portée par un réseau indépendant et non par cette fibre optique qui permettrait de porter le data (Internet, téléphone) et la télévision, et de potentialiser un chiffre d'affaires susceptible d'amortir la construction de ces réseaux, nous empêcheront de réussir. Nous prendrons du retard en France.

Ce point est essentiel. Nous devons avoir une vision très claire. Je ne parle pas en théoricien mais en praticien. Je le vis tous les jours. Il reste encore beaucoup à faire. Claude, crois-moi, énormément de choses changeront dans les dix à quinze ans à venir.

Merci.

(Applaudissements).

M. Thierry DEL JÉSUS - Apparemment vous avez fait preuve de conviction.

Monsieur Jacquet, voulez-vous rebondir ?

M. Nicolas JACQUET - Effectivement, il faudra que nous nous acheminions vers une sorte de « schéma national du haut débit ».

Nous sommes sur des infrastructures majeures. Nous préparons l'avenir comme nous l'avons fait il y a quelques dizaines d'années avec le TGV ou le réseau autoroutier.

Nous devons essayer d'ordonner le débat. Il se pose des questions techniques. Il faut se mettre autour de la table et tenter de faire ces choix ensemble.

Je voudrais dire aussi que l'État et l'ensemble des pouvoirs publics devraient essayer de raisonner globalement. Nous ne devons pas isoler une infrastructure par rapport aux autres.

Aux niveaux national et local, nous réalisons de grands travaux d'infrastructure. Chaque fois, nous n'avons pas forcément le réflexe d'utiliser cette infrastructure pour un autre service.

Ce qui coûte cher, c'est de creuser une tranchée alors qu'on vient de la refermer pour une canalisation d'eau, de l'ouvrir une troisième fois pour une autre conduite...

Tous les acteurs de terrain ont conscience de ce point : si nous raisonnons globalement, si nous avons un schéma national et si à chacune de nos actions au quotidien nous nous demandons si nous sommes en train d'optimiser en essayant d'intégrer plusieurs problématiques et tout particulièrement le haut débit, nous irons beaucoup plus loin et cela coûtera beaucoup moins cher.

M. Thierry DEL JÉSUS - Quelqu'un dans la salle veut-il réagir ? Un élu, un consultant, un usager, un représentant d'une petite commune ?

M. MARTEAU - Je suis maire adjoint d'Epinay-sur-Orge. J'ai écouté avec beaucoup d'attention le discours du sénateur Trégouët car je crois que le rôle d'un élu est d'anticiper les évolutions à venir.

En revanche, je m'aperçois que les conditions économiques sont devenues très difficiles pour avoir un apport financier, notamment du secteur privé. Je ne suis pas tout à fait persuadé que le contexte actuel soit favorable pour réaliser des montages avec un tiers de participation publique et deux tiers de participation privée. Aujourd'hui, ces proportions peuvent facilement s'inverser.

En revanche, je partage complètement l'avis du déploiement sur des réseaux optiques sur notre territoire. Ils donnent la visibilité vis-à-vis de la bande passante qui sera, à l'évidence, nécessaire.

Je m'interroge sur le point suivant : dans la mesure où il existe un certain nombre de fourreaux de France Télécom qui se trouvent sur le territoire national, n'y a-t-il pas un projet qui consisterait à les utiliser tout en dédommageant l'opérateur national pour la mise à disposition de ces fourreaux, afin d'éviter que soit refait du génie civil pour déployer ces réseaux, alors que ces fourreaux pourraient, dans certains cas, être mis à disposition moyennant participation financière vis-à-vis de l'opérateur historique ?

M. Thierry DEL JÉSUS - Cette piste a été étudiée par l'ancien Gouvernement.

M. René TREGOUËT - Ceci est tout à fait possible mais pas toujours facile. Il existe des textes dans ce sens. Localement, des accords sont passés. Cela a demandé beaucoup de temps dans mon département mais je sais que, depuis quelques mois, nous avons passé un accord dans le sens que vous évoquez, entre les structures de France Télécom et notre propre construction. Cela viendra dans l'ordre des choses, c'est le bon sens.

Un intervenant - L'ADSL aujourd'hui, en France, sans une ligne avec débit garanti qui coûte très cher... Je paye 44 € par mois pour ma ligne privée et il s'agit d'un Minitel du pauvre. Je dispose d'un ordinateur très puissant mais j'ai un réseau d'eau avec un débit de 2mM. Il y a souvent des déconnexions. Quand France Télécom effectue des travaux, il ne prévient pas les clients. Ceci m'agace un peu.

J'ai des enfants, un au lycée, un au collège et un en primaire. Quand ils arriveront sur le marché du travail à 23 ou 24 ans s'ils font un peu d'études, ce seront les copains portugais et italiens qui leur prendront le travail car ils auront eu l'accès au haut débit dès leur enfance.

L'exemple de l'Italie n'a pas été cité ce matin mais c'est aujourd'hui en Europe le pays le plus avancé en matière de hauts débits. FastWeb est une expérience basée à Milan, Rome, Gênes et dans d'autres villes italiennes. Tous les jours a lieu le câblage de 1.100 prises fibre optique en Italie. Cela coûte 30 € les 10 mégas.

Je vous invite vivement à aller sur le site fastweb.com qui comporte énormément de choses intéressantes à voir.

M. Thierry DEL JÉSUS - Vous abordez un sujet important, celui de la compétitivité des territoires. Messieurs les sénateurs Belot et Trégouët, que vous demandent les entreprises ? Quels besoins expriment-elles ? Ont-elles des usages particuliers à faire valoir, qu'elles soient en zone rurale ou dans le centre de Lyon ?

M. René TREGOUET - Au niveau de l'entreprise comme de l'utilisateur particulier, une des demandes essentielles exprimées par l'usager est de pouvoir faire jouer la concurrence. Il est important que le service puisse globalement vraiment intervenir.

Nous quittons une époque de monopole pour entrer dans une période où la concurrence doit pouvoir s'exprimer complètement.

France Télécom a et aura toute sa place dans ce domaine. À côté, il existera d'autres opérateurs.

Je prends un exemple dans mon département. Des hauts responsables de France Télécom présents dans cette salle le savent très bien : je crois qu'il n'y a pas un seul département de France, au moins dans sa partie rurale, où France Télécom ait annoncé autant de mises en place, même dans des villages de taille relativement petite, d'ADSL, que dans le Rhône. Ceci parce que nous avons notre réseau optique.

La concurrence avive la concurrence. Il faut comprendre que c'est une des demandes essentielles actuellement de l'ensemble des usagers. Ils savent qu'ils bénéficieront du maximum d'offres et des meilleurs prix à partir du moment où il existe une concurrence.

Nous pouvons faire en sorte que celle-ci s'exprime sur la plus grande partie du territoire même si cela vous paraît surprenant.

M. LEJAUNET - Je suis vice-président de la communauté urbaine du Grand Nancy. J'ai entendu avec beaucoup d'intérêt les propos contradictoires de nos deux sénateurs. Personnellement, j'opte pour M. Trégouët.

Il est vrai que nous sommes aujourd'hui à un virage très important.

Monsieur Belot, vous avez considéré la situation actuelle. Il faut regarder demain. Si on avait posé la même question que vous, il y a un peu plus d'un siècle, quand on a amené l'électricité, est-ce que les usagers auraient été en mesure de dire à quoi elle servait ? Les plus avancés auraient peut-être répondu qu'elle servirait à éclairer. On n'aurait jamais pensé à construire des machines à laver ou de l'Internet.

La révolution est importante, plus que celle de l'imprimerie et que le déploiement du chemin de fer et des routes qui ont développé l'économie du pays.

Par contre, il est vrai que nous sommes à un virage très important. Il faut développer les hauts débits. À l'heure actuelle, la France a un retard par rapport à l'Europe et celle-ci vis-à-vis des autres pays du monde. Ceci est peut-être dû au monopole de France Télécom.

Je ne vous rappellerai pas ce que nous avons connu à Nancy... France Télécom s'est retourné contre la ville parce que nous avions développé des réseaux à haut débit pour les universités et la collectivité publique, avec une réussite parfaite. Par contre, nous avions perdu au tribunal administratif à l'époque.

D'un autre côté, cela a fait évoluer la loi et a permis aux collectivités d'établir des réseaux en fibres inactivées. Ce qui a abouti à l'article L. 1511-6 du Code général des collectivités territoriales. Cela constitue déjà une avancée. Il convient de faire évoluer les lois.

Ce n'est pas parce que France Télécom a traduit la communauté urbaine devant le tribunal administratif que nous sommes contre France Télécom. Bien au contraire ! France Télécom est à un virage important avec l'endettement.

Nous savons très bien aujourd'hui que si nous voulons faire jouer la concurrence, il faut séparer les infrastructures des fonctions d'opérateurs. Ceux-ci doivent faire leur métier. S'ils sont obligés d'effectuer le premier investissement, ce sera trop lourd, ils n'y parviendront pas et ne réussiront pas à faire de l'aménagement du territoire.

Par contre, n'est-ce pas aux collectivités publiques, avec l'État, à refaire les premiers investissements en infrastructures ?

Je repose la question : ne faut-il pas profiter de l'occasion actuelle ? Dans les contrats de plan État-Région, je n'ai pas encore vu figurer le développement des infrastructures haut débit et, pourtant, ce point est vital.

Les collectivités et les départements se mettront en place. L'État devrait en faire autant. Nous devrions nous associer. Pourquoi ne pas permettre à la concurrence de cohabiter dans les réseaux, ce qui résoudrait deux problèmes : celui du dégroupage pour nous ; celui de l'endettement de France Télécom. Ce sera le contribuable ou l'utilisateur qui paiera la dette de France Télécom.

Il faut sortir de cette situation. N'est-ce pas une opportunité ?

M. Thierry DEL JÉSUS - Le débat ne porte pas sur la situation économique de France Télécom mais un élu peut-il répondre à la question de la séparation de l'infrastructure des services ?

M. Claude BELOT - J'ai dû mal m'exprimer. Je n'ai pas dit tout à l'heure qu'il ne fallait pas le faire mais que dans mon département les réseaux de fibres optiques existaient déjà.

Là où il y a des trous, nous disposons de solutions simples en cours de mise en oeuvre. Nous menons des actions classiques dans ce domaine.

Aujourd'hui, le vrai sujet est que le marché n'existe pas au niveau espéré. Au niveau national français seuls 3 % des clients potentiels sont raccordés à l'ADSL dans les zones raccordables. 97 % ne le sont donc pas.

France Télécom a un vrai problème d'investissement ou de capacité d'investir en ce moment. Il est logique qu'ils ne soient pas très ardents pour aller plus loin.

CEGETEL ne l'est guère plus malgré le dégroupage, malgré la possibilité d'utiliser les moyens en fibres optiques existants. Ceux-ci sont notoirement sous-utilisés. Voilà la réalité dans mon département.

Tous n'auront pas les moyens de mettre 1,5 milliard, comme l'a fait celui du Rhône, dans des opérations de ce type. La Creuse existe aussi...

Pour l'instant, le marché du haut débit, en économie de marché concurrentiel, n'existe pas au niveau souhaité. C'est un fait objectif qu'il faut prendre en compte.

Tout à l'heure, j'ai omis d'indiquer un chiffre intéressant qui ressort de l'expérience que j'ai menée d'un cybercentre : les jeunes de 3 à 7 ans, dont l'existence économique est à venir, sont plus nombreux que les plus de 60 ans. Les plus de 30 ans qui participent gratuitement à la vie de ce cybercentre représentent 20 % de la clientèle totale.

Le grand public, celui qui a les moyens, qui peut bénéficier de formations gratuites, etc., constitue une petite minorité en France. Les adolescents représentent une grosse clientèle, ainsi que les jeunes. C'est aujourd'hui l'essentiel des personnes qui pratiquent.

Le problème des entreprises est différent. Pour celles qui veulent un très haut débit, France Télécom a la possibilité de leur installer une ligne dédiée à partir de ses fibres optiques dans beaucoup d'endroits. Mais cela aura un coût.

Nous ne sommes pas dans le système d'égalité complète du territoire à ce niveau.

France Télécom dit : « si une entreprise m'assure un très gros marché, je saurai la raccorder à un prix que je fixerai ».

Ceci est vrai en Charente-Maritime. Peut-être n'est-ce pas le cas partout ?

Il faut voir la situation en face, être très pragmatique et ne pas se lancer dans de grandes théories complètement inapplicables.

En l'état actuel des choses, la Net économie, et même l'utilisation du haut débit (ADSL), ne représentent que 3 % des lignes téléphoniques fixes raccordables. Voilà la vérité !

M. René TREGOUËT - Nous vivons une période difficile avec beaucoup d'espérance. On pourrait croire que le monde Internet est un peu responsable de toutes les difficultés que nous rencontrons, or ce n'est pas du tout ma conviction. Je serais prêt à le démontrer mais ce serait l'objet d'une autre conférence.

Pour répondre à Claude Belot, si la France a du retard en ADSL, c'est que l'accès à cette technique revient trop cher. Il n'est pas utile de chercher une autre raison. À Stockholm est proposé aujourd'hui le 2 Mbits pour moins de 150 F. La tendance est d'aller vers 100 à 150 F pour le haut débit.

Nous en sommes encore, pour les particuliers, entre 250 et 350F. Pour l'entreprise, c'est dix fois plus onéreux. Il faut avoir conscience de cette situation.

Il n'y a donc qu'au travers de la concurrence et de la possibilité octroyée par les pouvoirs publics que nous pourrons atteindre ces prix.

J'approuve l'excellente intervention de l'élu de Nancy, qui évoque la nécessité de partager les réseaux physiques sur certaines parties du territoire. Cette réflexion doit s'ouvrir. Nous venons de le faire au niveau du Sénat non sans difficultés.

À propos du téléphone portable, jusqu'à présent, chacun voulait, devait construire son réseau. On s'est aperçu qu'avec une telle règle on ne parviendrait pas au résultat visé.

On veut que l'itinérance entre dans la pratique en France. Un seul réseau sera construit et tous les opérateurs pourront s'en servir pour le téléphone portable.

Pourquoi n'y aurait-il pas des règles de cette nature demain pour le haut débit, avec une neutralité totale de la part du propriétaire du réseau ? Il est très important que des règles du jeu nouvelles soient établies dans ce domaine si nous voulons développer cette concurrence.

Pour conclure, je ne voudrais pas laisser croire que nous avons dépensé beaucoup d'argent sur cette opération d'équipement optique à l'ensemble du département du Rhin. Celle-ci nous a coûté 500 MF sur 15 ans. Or, cette somme de 500 MF représente moins qu'une annuité de voirie dans notre budget départemental.

Ainsi nous avons changé le destin de mon département avec une somme moindre que celle dépensée en une seule année pour la voirie...

Je comprends que la Creuse ne puisse pas le faire seule. La solidarité nationale et même européenne doit jouer. Les parties du territoire les plus déshéritées doivent bénéficier de ce dont disposent les plus riches.

Pour notre part, nous n'avons demandé d'argent à personne.

M. Nicolas JACQUET - Il faut peut-être que par la voie normative, voire législative, nous puissions imposer à certains constructeurs, ne serait-ce que pour les logements sociaux où nous disposons d'une marge de manoeuvre plus grande, que des fourreaux soient installés de façon systématique.

Préparer l'avenir à 20 ans revient à essayer de s'organiser pour que partout où il est possible d'avoir un réflexe haut débit, ce soit réalisé.

Relativement à la question sur les contrats de plan État-Région, nous sommes tout à fait ouverts à ce que leur révision permette de prendre en compte certains projets.

À la suite du CIADT de Limoges, la Caisse des Dépôts a été chargée de conduire la réflexion en la matière.

En septembre 2002, nous avons recensé 129 projets d'infrastructures et 35 projets de services. Au total, cela représente un coût de l'ordre de 2,4 milliards d'euros. Ce sont des sommes considérables.

Une année de contrat de plan État-Région correspond à 2,2 milliards d'euros.

Se repose alors la question de la cohérence. Il ne faut pas oublier que nous sommes en train de franchir une nouvelle étape de la décentralisation. La question se posera de savoir qui doit organiser la cohérence.

Le Premier ministre avait évoqué le couple État-Région au niveau de la cohérence, et le couple commune-département à celui de la proximité.

En tout cas, nous sommes tout à fait ouverts.

Il y a sans doute un partenariat à établir.

M. DEL JÉSUS - Merci. Nous devons mettre fin à cette table ronde. Vous pourrez poser des questions cet après-midi à partir de 14 heures 30.

(La séance est interrompue à 13 heures).

DEUXIEME PARTIE : LE HAUT DÉBIT : QUELLES PERSPECTIVES POUR L'ACTION DES COLLECTIVITÉS LOCALES ?

La séance est reprise à 14 h 35, sous l'animation de M. Jean- Marc GILONNE,

TABLE RONDE- QUELS ENSEIGNEMENTS TIRER DES EXPÉRIENCES MENÉES EN France ET À L'ÉTRANGER ?

Modérateur, M. Jean-Marc GILONNE. - Consultant, Membre du « Club.Sénat.fr »

Je propose de démarrer sans tarder cette table ronde présidée par le sénateur Jean Faure, maire d'Autrans en Isère, et qui va nous permettre de rentrer dans des modèles concrets, tirés de deux expériences étrangères, l'une suédoise et l'autre italienne, et de la vision qu'ont les élus régionaux et départementaux ici présents. Nous tirerons ensuite la synthèse des différents modèles de développement qui ont été choisis dans ces territoires, leurs avantages et leurs inconvénients ainsi que le rôle respectif des acteurs publics et privés.

Je demanderai dans un premier temps à nos amis italiens et suédois de la ville de Sienne, en Toscane, et de Sollentuna, dans la grande banlieue de Stockholm en Suède, de présenter les projets menés depuis plusieurs années par ces collectivités, puis d'en dégager les enseignements principaux qu'ils souhaiteront nous faire partager. Je demanderai ensuite à nos invités élus - les présidents des Conseils généraux des Pyrénées-Atlantiques et de Maine-et-Loire, et le vice-président du Conseil régional de Midi-Pyrénées - de réagir par rapport à leur propre expérience.

Il convient peut-être en préambule de rappeler quatre chiffres : les deux tiers des communes françaises ont moins de 700 habitants, 9 sur 10 possèdent moins de 2 000 habitants et 1 000 communes ont plus de 10 000 habitants. Tous les rapports montrent par ailleurs que 800 % du territoire n'est pas susceptible d'être raccordé au haut débit d'ici à 2005. La question se pose bien pour nous en termes d'aménagement du territoire.

Je souhaiterais que notre amie italienne, Mme Miranda Bruigi, responsable des systèmes d'information de la commune de Sienne, nous présente son expérience. Sienne, en Toscane, est une ville qui a une histoire et un centre historique très riches, et un réseau, dont elle va nous parler, qui existait bien avant l'arrivée d'Internet.

Mme Miranda BRUIGI, Responsable des systèmes d'information de la commune de Sienne (Italie)

Bonjour. Je vous remercie beaucoup et je remercie le Président du Sénat de m'avoir invitée à ce séminaire. Je suis très contente d'être à Paris car j'aime la France. Cependant, je vous prie de bien vouloir m'excuser si mon français n'est pas correct, j'espère que vous me comprendrez.

La réalité de Sienne, commune de 55 000 habitants, est particulière. Les opérations d'innovation ont commencé dans les années 90, du fait de la nécessité de mettre en réseau les informations et services de l'administration publique.

À la même époque, en France, il existait un service performant appelé Minitel, source d'informations pour la plupart des français. En Italie, cela n'existait pas, le projet équivalent ayant pris un mauvais départ. Les administrations publiques du centre de l'Italie, Sienne, Bologne, ainsi que des autres régions, mais essentiellement du centre, ont ressenti la nécessité de créer des réseaux particuliers, des réseaux d'information en ligne dédiée. Ainsi, notre première expérience nous a conduit à créer une banque de données pour les citoyens.

Je vais, à présent, vous exposer les objectifs que nous avions au cours des années 90 et qui étaient ceux de la plupart des pays. Nous avons réalisé de grands investissements. La ville de Sienne a créé plusieurs réseaux pour rendre possibles ces objectifs.

Parallèlement, nous cherchions également à développer le projet Internet. Nous avons, pour cela, collaboré avec une université utilisatrice de ce réseau. Sienne est l'une des premières communes d'Italie à être devenue provider d'Internet. Nous avons jugé qu'il serait utile, pour les citoyens non encore connectés à ce réseau, d'en avoir l'accès.

Ainsi, en 1995, la plupart des familles de Sienne ont bénéficié de l'accès à ce réseau grâce, à la commune.

Simultanément, nous avons développé un autre grand projet. Nous avons créé une sorte de carte d'identité afin que les citoyens puissent se connecter au réseau et accéder à des services personnalisés.

En collaboration avec la banque de Sienne, nous avons étudié nos objectifs. La carte : « Clefs de la ville » a vu le jour. Cette carte permet de se connecter à Internet et d'accéder aux services de la municipalité ainsi que des autres administrations publiques de Sienne. Grâce à cette carte, chaque citoyen paye uniquement pour le service auquel il souhaite être connecté.

Actuellement, l'on dénombre 15 000 utilisateurs de la carte et 12 000 étudiants qui se connectent ainsi au site de l'université.

Cette carte, bien qu'étant émise par l'Administration, offre notamment la possibilité de se connecter à des sites protégés sur lesquels les citoyens peuvent s'informer moyennant un coût indépendant du coût de départ de la carte. L'on peut citer, à titre d'exemple, les sites de recherche d'emploi. La carte offrant de nombreux avantages, elle a remporté un franc succès auprès des citoyens.

L'année 1996 a vu aboutir un autre grand projet en collaboration avec TELECOM ITALIA, encore en situation de monopole. En effet, Telecom Italia a développé l'infrastructure qui a rendu possibles les raccordements à la fibre optique dans la plupart des villes italiennes. Telecom Italia a demandé aux administrateurs de la commune de Sienne, s'ils étaient intéressés par un tel projet. Nous avons répondu par l'affirmative d'autant plus qu'à cette période nous cherchions le moyen de diminuer, voire d'éliminer, les antennes dans le centre historique de Sienne. L'opération était esthétique. Mais en tant que fournisseurs d'Internet, nous nous sommes appuyés sur le câble pour accéder au réseau. Nous avons donc demandé à Telecom Italia de continuer à câbler la commune, de manière à utiliser la fibre optique pour la réception d'émissions télévisées et pour les connexions à Internet. La réception par le câble est de meilleure qualité, mais nous voulions également pouvoir nous connecter aux services interactifs grâce à ce support. Ce projet a eu un impact positif, actuellement 22 000 foyers sont complètement câblés.

Telecom Italia qui est à l'origine de la construction du réseau, en reste le propriétaire. Nous avons conclu un partenariat. La commune a acheté la tête du réseau, c'est la raison pour laquelle ce partenariat est très fort. Il est impossible d'installer un raccordement au câble (que ce soit pour la télévision, ou l'accès à Internet), si l'un des deux partenaires ne donne pas son accord. C'est une situation particulièrement complexe, mais c'est le seul projet qui existe en Italie pour la fibre optique. Milan dispose d'un réseau de fibre optique, mais cela reste complètement privé.

Je souhaiterais répondre à une question importante qui a été posée ce matin et qui est celle du financement. Qui a financé les raccordements des 22 000 familles ? La municipalité, ainsi que la fondation de la Banque de Sienne sont à l'origine de ce financement. Dans les statuts de la fondation, un article stipule que les financements accordés aux collectivités locales doivent concerner des projets touchant tous les citoyens. Nous avons estimé qu'il était très important d'utiliser cette ressource pour permettre à ce dossier d'aboutir.

Actuellement, le projet de développement de la fibre optique est également mené dans l'ensemble de la province de Sienne, composée de 36 communes. Ces communes se sont réunies en consortium et sont entièrement propriétaires du réseau. La situation de la ville de Sienne, je vous le rappelle, est très particulière, puisque Telecom Italia est propriétaire du réseau. Nous avons l'obligation de prendre toute décision conjointement avec Telecom Italia, qu'il s'agisse de la mise en place d'une tarification ou de la gestion du réseau. Grâce au financement de la fondation, la province de Sienne a pris en charge la construction de l'infrastructure pour l'intégralité de la province, l'objectif étant de mettre cette infrastructure à la disposition des collectivités locales.

En Italie, il est impossible de devenir propriétaire d'un réseau afin d'émettre des services. Il en est peut-être de même en France.

La province de Sienne met en place les infrastructures, le consortium formé par les municipalités en est le propriétaire. Les entreprises fournissent les services, la plupart d'entre eux sont payants.

La ville de Sienne finance chaque municipalité pour le raccordement des télévisions au réseau de fibre optique. Une société d'information pour chaque situation particulière est créée à partir du moment où la municipalité décide d'éliminer les antennes et d'interdire les paraboles sur les toits. Le financement de la ville de Sienne permet à chaque citoyen de recevoir le signal du réseau de fibre optique. C'est une opération très coûteuse, cependant le citoyen ne paye que pour la réception des chaînes ainsi que pour la connexion aux services interactifs, en fonction desquels on adapte un tarif.

La ville de Sienne et Telecom Italia doivent conclure un accord sur la tarification. En effet, la loi sur la concurrence interdit de fournir ces services sans les facturer.

Basiquement, les caractéristiques du réseau en fibre optique sont les suivantes : pour chaque commune, l'on compte entre 200 et 300 appartements connectés au réseau en « bi-directionnel ». Ce raccordement rend possible l'accès aux services interactifs. Et, comme je l'ai déjà mentionné, les familles ne sont pas facturées pour le raccordement au réseau mais seulement pour la connexion aux services. Le raccordement au réseau est pris en charge par la commune.

En tant que provider d'Internet, nos services interactifs sont accessibles depuis le poste de télévision. Comme vous pouvez l'imaginer, la configuration de ce réseau est très fonctionnelle. Ainsi, à Sienne, 22 000 familles ont la possibilité de se connecter.

Il est essentiel d'acheter un modem-câble pour se connecter. Le modem n'est pas nécessaire pour accéder aux programmes télévisés, en revanche, il est indispensable pour les familles qui souhaitent se connecter aux services interactifs.

Les citoyens auxquels nous avons demandé quels étaient les services qui les intéressaient le plus ont plébiscité la télémédecine, ainsi que les services de télésurveillance dans les appartements. Viennent ensuite les services de télétravail, mais aussi les services de télécontrôle des systèmes de sécurité.

Actuellement, nous développons également, en collaboration avec les ingénieurs de l'université de Sienne, un projet de téléformation. La ville de Sienne compte 15 000 étudiants. Ce service sera accessible grâce au réseau de fibre optique.

Le secteur bancaire utilise également le réseau pour ses activités. Nous avons passé des accords avec les établissements financiers pour que leur clientèle puisse accéder à leurs services en ligne à partir de la télévision, d'un ordinateur ou d'un téléphone portable. Les banques ont là une opportunité d'offrir un service convivial et de meilleure qualité.

Deux possibilités existent pour se connecter à Internet : la carte administrative de Sienne, que je vous ai présentée, et la carte d'identité électronique. L'Italie développe actuellement un projet national de carte d'identité électronique identifiable par la signature digitale. La carte électronique permet de se connecter au réseau d'une manière sécurisée. Pour l'obtenir, la procédure est simple. La municipalité se charge de l'émission de la carte. Ce projet concerne la municipalité de Sienne ainsi que 50 autres villes. D'ici à 2003, il est prévu de doter tous les citoyens, sous certaines conditions, de la nouvelle carte d'identité électronique. Ce projet est très important pour nous. Cette carte permettra de se connecter au réseau de fibre optique en toute sécurité.

Notre position est intéressante du fait du partenariat et de nos accords passés avec la fondation de la Banque de Sienne. Cela nous a permis de bénéficier d'un financement pour la réalisation de ces projets.

Les projets qui parlent de convergence nous intéressent. Il est nécessaire de pouvoir disposer de plusieurs réseaux pour offrir aux citoyens des services diversifiés. Nous souhaitons collaborer avec -des pays ayant rencontré les mêmes problèmes.

Je vous remercie. Je vous prie de bien vouloir m'excuser pour mon français. J'espère que vous avez pu me comprendre.

(Applaudissements).

M. Jean-Marc GILONNE. - Je voudrais saluer le sénateur M. Jean Faure qui nous rejoint et qui préside cette table ronde.

Madame BRUIGI, avez-vous une idée du coût de ces cartes d'identité ? C'est une question que nous nous posons en effet à l'heure actuelle en France.

Mme Miranda BRUIGI. - Le projet est très cher. Par exemple, le coût de la carte s'élève à 25 € par personne. Ce dossier fait partie des projets généraux du Gouvernement italien. Si les résultats sont positifs, le Gouvernement donnera la possibilité aux autres municipalités italiennes de le développer. Il existe 8 400 communes en Italie et, actuellement, seulement 57 d'entre elles ont pu instaurer la carte d'identité électronique.

Je ne sais pas si cela est réalisable. Un partenariat est nécessaire pour la mise en place d'un tel projet. Ainsi, à Sienne, grâce au partenariat avec la banque, le citoyen ne paye qu'une partie du coût.

En ce qui concerne la carte d'identité électronique, le coût pour le citoyen n'est que de 5 €. C'est le montant dont il devait s'acquitter pour la version papier de la carte.

M. Jean-Marc GILONNE. - Nous avons là une expérience avec un réseau câblé préexistant. Vous l'avez fait évoluer en l'enrichissant avec de nouveaux contenus et vous tendez aujourd'hui vers la convergence des liaisons interactives. Vous souhaitez en effet que les services que vous développez (services publics et administratifs) soient accessibles à partir d'un poste de télévision.

Nous allons maintenant aborder une autre expérience, en Suède celle-là. Je vous présente M. Bo Andersson, qui va s'exprimer en anglais. M. Lars-Gôran Andersson qui l'accompagne fera la traduction. Je vous laisse la parole.

M. Bo ANDERSSON, Directeur général de Sollentuna Energi (traduit par M. Lars-Göran Andersson)

Tout d'abord, je voudrais présenter la firme Sollentuna Energi. M. Bo Andersson dirige cette société municipale qui, au départ, avait comme vocation la gestion du réseau de chauffage urbain et l'administration du réseau électrique. Sollentuna Energi s'est appuyée sur l'existence d'un réseau qu'elle a développé en réseau de « broadcast ».

M. Bo Andersson est le Directeur du développement de Sollentuna Energi. Je suis M. Lars-Göran Andersson, de la société Ericsson, son partenaire.

La ville de Sollentuna est une banlieue située juste au nord de Stockholm.

La ville compte 60 000 habitants pour un total de 24 000 foyers. La définition du haut débit, en Suède, est en général de cinq mégabits, en entrée et sortie, mais celle-ci tend à diminuer plutôt vers les deux mégabits. À Sollentuna, le haut débit est de 100 mégabits par seconde. Tous les usagers n'ont pas accès à cette vitesse, mais notre projet est de développer le réseau pour arriver à ce résultat.

Pourquoi Sollentuna Energi a-t-elle investi dans ce réseau ?

Pour Sollentuna Energi, le réseau de fibre optique représente un marché supplémentaire. La société, qui administre déjà la distribution de l'électricité et du chauffage central dont la Suède ne peut se passer, a pensé que la gestion d'un tel réseau répondait à ses besoins naturels de développement. Sollentuna Energi n'a pas agi sous la pression politique, mais uniquement sur un plan de stratégie commerciale.

Le haut débit étant considéré comme un marché, le plan de financement est donc important. Jusqu'à présent, nous avons toujours respecté le plan de gestion et nous avons dégagé un résultat positif. Cependant, nous présentons aujourd'hui un résultat négatif. Cela est dû à de lourds investissements qui s'élèvent à 9 M€. Toutefois, d'après le plan, les projections montrent qu'en 2005, Sollentuna Energi sera en mesure de produire des bénéfices. L'administration du réseau de fibre optique est un marché rentable et Sollentuna Energi ne nécessite pas de subventions.

En Suède, la réglementation est très souple. Tous les acteurs économiques, que ce soient les opérateurs, les entreprises ou les communes, bénéficient d'une grande flexibilité dans leurs actions. Nous sommes juste tenus d'informer les instances concernées de notre projet de développement sur le marché des télécommunications. Il n'existe aucune contrainte ou réglementation particulière, c'est naturellement l'un des facteurs les plus importants.

Sollentuna Energi a créé une plate-forme pour le marché du numérique. Il est important de comprendre que cette plate-forme est destinée à tous les opérateurs et fournisseurs de services. Les acteurs de ce marché en sont très satisfaits. Au lieu de ralentir la concurrence, ce projet contribue à la relancer.

Ces trois dernières années, Sollentuna Energi a déployé 270 kilomètres de fibre optique. Le réseau comprend environ 300 routeurs et commutateurs qui permettent une connexion à Internet. Ce réseau est en fait construit sur le principe d'Internet. Techniquement, ce n'est pas un réseau géré au niveau de la fibre noire mais administré au niveau d'Internet.

M. Bo Andersson explique également que les nouvelles procédures de câblage sont plus économiques. Comparés à la méthode traditionnelle, ces travaux ne représentent que 1/10 du coût total.

Grâce à ce réseau, le public peut avoir accès aux chaînes télévisées, la commande de vidéos est également possible. L'on y trouve aussi divers renseignements locaux (écoles, etc.).

En plus de l'accès à ces informations locales, nous verrons se développer des services comme la télésurveillance ou des services de télésécurité. Toutes les écoles sont connectées ainsi que 150 entreprises et la quasi-totalité des foyers vivant en appartements. En revanche, pour les maisons individuelles, l'on ne compte que 10 % à 15 % de foyers connectés.

Par foyer (qu'il s'agisse d'un appartement ou d'une maison individuelle), le coût se décompose comme suit : 1 750 € pour le raccordement au câble à chaque bâtiment, 60 € pour la connexion à Internet et un forfait mensuel de 21 €.

(Applaudissements).

M. Jean-Marc GILONNE. - La Suède est souvent citée à titre d'exemple. Et je crois en effet que vous l'illustrez bien avec une volonté forte de départ, un réseau qui préexiste et qui offre des usages très concrets aux habitants. Ce qui est frappant, c'est que vous tablez sur un modèle économique rentable dès la cinquième année. Vous avez d'autre part décidé de développer un réseau de fibre-optique ouvert et faites ainsi jouer la concurrence au niveau des services. C'est un modèle assez particulier et qu'il est intéressant d'analyser.

Vous me disiez d'autre part lors de la préparation de cette table ronde, que la maîtrise des coûts était un élément incontournable pour vous. L'exemple des sillons enterrés à 4,5 centimètres doit pouvoir être reproduit dans bon nombre d'endroits où il n'est pas forcément nécessaire d'enterrer les câbles très profondément. Les autorités locales de Stockholm exigent, dans le même esprit, que les prestataires qui gèrent des infrastructures comme les tunnels, les canalisations et les égouts, saisissent systématiquement l'opportunité d'enterrer les branchements, l'idée étant de coordonner votre propre schéma de développement avec tous les projets qui se présenteront dans la ville.

Cela semble être efficace puisque lorsque l'on se penche sur les statistiques de la Suède, il apparaît que 70 % des foyers possèdent un ordinateur. 40 % sont connectés à Internet et 14 % au haut débit. En France, nous sommes loin de ces chiffres. Nous sommes plutôt confrontés à un problème de décalage entre les zones urbaines et les zones rurales non connectées.

M. André Lardeux, vous êtes président du Conseil général de Maine-et-Loire, un département de 730 000 habitants avec trois grands pôles urbains : Angers, Cholet et Saumur. Quelle est votre analyse ? Quelles sont vos réactions par rapport à ce qui vient d'être évoqué ? Quelles réponses pouvez-vous apporter ?

M. André LARDEUX, sénateur et Président du Conseil général de Maine-et-Loire

En tant qu'élu local, ces deux exemples me laissent rêveur. Ce sont des exemples en zone urbaine. Nous sommes, en ce qui nous concerne, confrontés à des espaces ruraux de faible densité. Le taux de pénétration atteint par la ville de Sienne est intéressant. Sienne a l'avantage d'être une commune classée. Le fait d'interdire certains éléments inélégants sur les toits est peut-être une piste à suivre en France, si l'on veut imposer ou développer ce genre de projet. Cependant, lorsque je prends l'exemple de la ville d'Angers qui dispose d'un réseau câblé, et que je constate que les habitants préfèrent avoir une antenne sur le toit alors que le réseau passe devant leur porte, cela témoigne de la distance qu'il nous reste à parcourir.

Le département Maine-et-Loire s'est engagé à rompre cette fracture numérique entre l'espace urbain et rural.

Nous avons un premier problème. Nous sommes à l'écart des grands axes qui desservent le territoire national, cependant, il nous faut trouver des solutions. Pour ce faire, nous avons lancé une étude. Nous nous sommes penchés sur l'assistance du maître d'ouvrage, et avons sélectionné certains cabinets. Notre volonté est de desservir un nombre de centres et de zones d'activités, en créant un réseau cohérent, et non pas un réseau ex nihilo. Nous souhaitons utiliser les câbles déjà mis en place par les sociétés autoroutières. Je fais référence à l'ASF (Autoroutes du Sud de la France), COFIROUTE, RFF (Réseau ferré de France) également. Et bien sûr, puisque nous sommes un département pilote dans ce domaine, le réseau RTE (Réseau de transport d'électricité).

Nous envisageons ensuite de compléter ce réseau par des câbles éventuellement, ou par des systèmes hertziens. Tout d'abord, notre volonté est de desservir le milieu économique, industriel et artisanal, où l'on constate une demande, bien qu'encore faible. Cependant, nous comptons sur l'infrastructure que nous allons mettre en place pour susciter la demande. L'on peut dire que « l'offre fait la demande ».

Nous ne pouvons pas assumer le coût total du projet. Pour le Maine-et-Loire, cela représente 27 M€. Nous pouvons éventuellement nous appuyer sur les fonds FEDER (Fonds européen pour le développement régional) pour les zones concernées, et surtout sur le soutien de la Caisse des Dépôts et Consignations dans ce domaine. Je ne pense pas que la collectivité puisse assumer à elle seule la dépense que représente ce genre d'équipement.

Se pose ensuite la question de la construction. Qui doit bâtir le réseau ?

Nous avons opté pour la délégation de service public. Le système suédois se rapproche de cette méthode. En Suède, une société d'économie municipale est mise en place. En ce qui nous concerne, nous préférons faire appel à un maître d'ouvrage à vocation privée, même s'il y a une forte incitation publique. Par la suite, le réseau sera ouvert à tous les opérateurs qui souhaiteront l'utiliser.

C'est, en quelque sorte, notre philosophie.

M. Jean-Marc GILONNE. - Est-ce un problème de compétence pour les collectivités locales ?

M. André LARDEUX. - En ce qui concerne la question de compétence, la loi devra évoluer. Je ne pense pas que les collectivités doivent devenir des opérateurs. Elles ont l'obligation de mettre en place les infrastructures nécessaires. Mais en ce qui concerne la fourniture des services, comme en Italie ou en Suède, c'est une question posée à laquelle je ne peux pas encore apporter de réponse affirmative.

Pour la collectivité, se pose la question de la limitation de son champ d'action. À mon avis, tout comme en Suède, l'usager doit pouvoir, par la suite, assurer l'équilibre de fonctionnement de ce service.

Nous avons, à peu près, une situation équivalente pour les routes. Le département fournit les routes. Ensuite, les transports sont gérés par les sociétés. Enfin, les routes sont empruntées par les particuliers et les sociétés qui en payent l'usage au travers de l'achat du véhicule, de la consommation de carburant et par le biais d'autres services nécessaires au fonctionnement du réseau routier.

M. Jean-Marc GILONNE. - M. Jean-Jacques Lasserre, vous êtes Président du Conseil général des Pyrénées-Atlantiques. Êtes-vous confronté aux mêmes enjeux ? Les idées et modèles choisis par nos amis suédois et italiens sont-ils susceptibles de pouvoir s'adapter dans votre département ?

M. Jean-Jacques LASSERRE, Président du Conseil général des Pyrénées-Atlantiques

L'exemple que je vais vous donner est assez proche de ce que vient de dire M. André Lardeux.

En ce qui concerne notre département, l'enjeu porte sur deux agglomérations d'égale importance. De plus, nous avons la chance de n'avoir que très peu de zones rurales en pleine déperdition. Presque toutes nos zones rurales sont situées à 35 minutes de ces deux pôles urbains.

Cette configuration nous guide dans la réalisation de nos projets qui se fondent sur le constat suivant : l'activité du secteur résidentiel est égale, voire plus importante que l'activité du secteur basique ou rural, cette dernière étant suffisamment dense et diversifiée. Notre territoire est globalement équilibré. Il n'existe pas, à ma connaissance, de zones de grande déperdition.

M. Jean-Marc GILONNE. - Les entreprises vous ont-elles fait part de leurs besoins ?

M. Jean-Jacques LASSERRE. - Bien entendu. Nous avons commencé par faire un état des lieux, ainsi qu'une étude de marketing, de manière à mieux appréhender l'importance de la demande. Nous avons pris une décision après avoir étudié les résultats de ces études avec minutie, en prenant en considération nos doutes et incertitudes.

Nous ne pouvions pas, en effet, nous engager sans développer une notion de partenariat. Nous réalisons notre projet avec la Caisse des Dépôts et Consignations, avec les deux agglomérations qui représentent à elles seules les deux tiers du marché, mais également avec le Conseil régional.

Il nous faut procéder de la sorte si nous désirons amenuiser la prise de risques. Notre intervention porte d'une part sur le développement des services et d'autre part sur la construction du réseau. Nous nous rapprochons ainsi du modèle qui vient d'être évoqué.

M. Jean-Marc GILONNE. - M. Alain Beneteau, en tant que Premier vice-président du Conseil régional de Midi-Pyrénées, vous êtes engagé dans le développement d'un réseau régional et vous souhaitez, m'avez-vous dit, que ce projet soit mené en articulation avec les autres échelons départementaux.

M. Alain BENETEAU, Premier Vice-Président du Conseil régional Midi-Pyrénées

Avant de répondre à votre question, puisque l'objet de cette table ronde est de savoir quels enseignements tirer des expériences menées en France et à l'étranger, je souhaite réagir sur les deux interventions précédentes. D'une part, il est évident qu'il existe, autant à Sienne qu'à Sollentuna, une forte volonté politique. D'autre part, la notion de partenariat est plus évidente à Sienne qu'à Sollentuna, mais il y a tout de même dans les deux cas un partenariat avec le secteur privé. Ce débat a largement été évoqué ce matin. La notion de partenariat apparaît nécessaire si l'on veut développer ces réseaux.

En ce qui concerne la région Midi-Pyrénées, qui je vous le rappelle, est une très grande région, les environnements urbain et rural coexistent comme partout. Cependant, notre position est atypique. Nous avons une très grande métropole : sur 2,5 millions d'habitants, 700 000 vivent dans la seule agglomération toulousaine, plus d'un million résident dans le seul département métropolitain, le reste étant réparti sur les sept autres départements.

Donc un très fort déséquilibre.

Ainsi, notre territoire est composé de zones urbaines, mais il reste fondamentalement rural. Comme cela a été évoqué ce matin, l'installation de tels réseaux n'est pas uniquement une question de développement économique. Il s'agit également de l'épanouissement sur l'ensemble du territoire d'une société de liberté, d'incitation à la création. Il va sans dire que cela concerne aussi bien les citoyens vivant en zones urbaines que les citoyens se trouvant en zones rurales. La question est donc d'implanter le réseau sur l'ensemble de la région.

Vous me dites que nous sommes déjà engagés sur un réseau. La région Midi-Pyrénées n'en est pas à ce stade. Il y a deux ans, nous avons entamé une étude très proche de celle réalisée pour le Maine-et-Loire. Notre but était de mutualiser le réseau existant et d'essayer de développer un réseau régional d'une manière cohérente. Cependant, aujourd'hui, l'environnement des opérateurs diffère quelque peu. À l'heure actuelle, notre objectif est toujours de trouver cette cohérence de réseau pour ouvrir à la concurrence et réduire les coûts d'accès à l'internet.

Or, aujourd'hui, nous sommes face à la situation suivante : si nous développons un réseau régional ouvert et qu'il n'y a pas de concurrence, cela a très peu d'intérêt.

Le problème ne se pose pas en zone urbaine. Nous ne rencontrons pas de problèmes sur l'agglomération toulousaine. L'équation économique est claire et incite les opérateurs à se lancer dans le projet. Ils sont beaucoup moins motivés en ce qui concerne les sept autres agglomérations urbaines qui sont de plus petites agglomérations. En termes de densité, la première ville après Toulouse, qui compte 400 000 habitants, se trouve être Montauban avec 50 000 habitants, suivie de près par Tarbes, les deux agglomérations étant sensiblement équivalentes avec 70 000 habitants. La différence entre Toulouse et les villes moyennes est donc considérable. Les opérateurs sont donc d'autant moins motivés lorsqu'il s'agit de se développer dans les zones rurales. La situation est simple : développer un réseau et constater qu'il n'intéresse pas les acteurs économiques est sans intérêt !

Le but est de se développer dans toutes les zones géographiques. Devons-nous investir en zone rurale, et dans quel contexte, pour inciter les opérateurs à y développer leurs services ? De plus, il n'est pas politiquement correct, en termes d'aménagement du territoire, d'investir dans les agglomérations, sans investir dans les zones rurales. Nous devons adopter une attitude cohérente pour les deux zones. France Télécom est d'accord pour développer l'ADSL en zone rurale, à condition que nous prenions en charge le coût du Deslam. Ce n'est pas notre position. En revanche, nous sommes sollicités par d'autres opérateurs dans le cadre du dégroupage des lignes téléphoniques. Le Conseil régional prendrait à sa charge l'installation des Deslam, mais le coût des plates-formes serait ensuite mutualisé entre tous les opérateurs. Cette vision est plus intéressante car nous retombons ainsi dans le circuit de la concurrence. Néanmoins, il existe un obstacle de nature réglementaire.

Pour résumer, ce qu'évoquait ce matin M. Alain Joyandet, Député de la Haute-Saône, nous devons cesser de tergiverser. Nous devons agir. Je soutiens complètement sa position et reprends ses propos : « Arrêtons de causer, agissons ». Cette obligation d'agir doit se traduire par volonté politique. Cette détermination doit s'exprimer au niveau de l'État. Le contrat de plan a largement été évoqué. Il y a 3 ans, à la signature du contrat de plan, nous n'en étions pas à ce stade de développement, y compris au niveau de l'État. Actuellement, le contrat de plan est de nouveau en phase de négociation. Quelle va être la position de l'État s'il souhaite réellement affirmer le développement de la société d'information sur l'ensemble de notre territoire ? Le degré de compétence doit également être déterminé à chaque niveau (chef de file et autres aspects techniques). Nous étudions les lois de décentralisation et les expérimentations possibles.

Ce matin, M. Nicolas Jacquet, Délégué à l'aménagement du territoire et à l'action sociale, a donné sa vision : le rôle de cohérence doit être assuré par les régions, et le rôle de proximité par les départements et communes. Qu'est-ce que cela signifie en termes concrets ?

Comme conseiller régional, je pense, en effet, que la notion de chef de file pour la région est importante, tout en soulignant que les schémas régionaux doivent être développés dans un souci de cohésion entre départements et régions.

Il est indispensable de faire évoluer la réglementation. Le partenariat entre les secteurs public et privé est une alternative positive. Les régions doivent pouvoir être en mesure de s'appuyer sur des éléments actifs du partenariat signé entre les opérateurs et le service public. Le thème du partenariat est largement débattu et nous sommes absolument convaincus de sa nécessité. Il faut également savoir qu'une grande région administre aussi bien les problèmes liés aux infrastructures que ceux liés aux services et aux usages. Il me semble, d'ailleurs, que ces derniers sont tout aussi importants, voire plus importants. Dans la région Midi-Pyrénées, l'agglomération Castres-Mazamet, qui est un modèle exemplaire sur le développement de son projet, mentionne bien qu'au niveau des services, toute réalisation dynamique est impossible sans un partenariat entre secteur public et opérateurs privés.

Qu'il s'agisse de télémédecine, M. le Professeur Louis Lareng, l'a évoqué ce matin, ou de télésurveillance, le haut débit est indispensable pour assurer le maintien à domicile d'une personne âgée. Pour la région, c'est un problème général. Notre position est identique en ce qui concerne la téléformation, mais aussi dans le cadre de l'administration publique.

Il est indispensable de développer tous ces services qui nécessitent un débit et des réseaux performants. Mais pour reprendre ce qui été dit ce matin, cela ne peut se faire que grâce à une forte volonté politique, des acteurs clairement déterminés, un partenariat distinctement établi, et une position des opérateurs convenablement définie. Cette configuration idyllique nous permettrait, au lieu de tergiverser, d'agir plus rapidement.

Je suis absolument d'accord avec le discours que le sénateur du Rhône, M. René Trégouët a tenu ce matin. Il est sans doute difficile d'appréhender de manière précise, je pense que c'est l'avis général, les cinq prochaines années. Cependant, si dès aujourd'hui nous ne faisons pas de projections, si nous ne développons pas dès maintenant des infrastructures, nous serons dépassés et aurons un retard considérable à rattraper. Sur ce plan, une clarification et une volonté politique importantes sont nécessaires.

Un CIADT (Comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire) a lieu le 13 décembre. L'on y abordera les lois de décentralisation. J'espère que pour le sujet qui nous occupe aujourd'hui, une réflexion et des décisions sur les compétences, les applications, l'utilisation des fonds publics, la mobilisation des fonds européens seront à l'ordre du jour. Actuellement, par exemple, nous réétudions le DOCUP (Document unique de programmation) des fonds structurels. Il apparaît que nous n'utilisons pas toutes les ressources disponibles, souvent seulement par manque d'information. Il y a là manifestement des moyens à mobiliser par le développement de la société de l'information.

Je suis intimement convaincu que si une forte volonté politique s'exprime, nous obtiendrons vite des résultats positifs.

(Applaudissements).

M. Jean-Marc GILONNE. - Merci M. Beneteau. Une façon d'aborder le problème du haut débit peut être aussi de partir de réseaux locaux, sur de petits territoires puis d'essaimer afin d'attirer les opérateurs. Est-ce votre vision M. le Président Faure ?

M. Jean FAURE, Questeur du Sénat, sénateur de l'Isère

Puisque M. Beneteau vient d'exprimer quelque chose de très fort en matière de souhait. Je voudrais illustrer son propos par un autre exemple, sur la base d'un territoire relativement plus modeste qu'une région, puisqu'il s'agit d'un petit territoire rural à la dimension d'un ensemble de sept communes, qui se trouve à proximité de la grande agglomération grenobloise.

Le pôle scientifique grenoblois est composé de 400 000 habitants, 40 000 étudiants et chercheurs recentrés sur quelques centaines d'hectares au sein du Synchrotron, du C.E.A, de l'Institut Laue-Langevin, de Schneider, de Hewlet-Packard, du CNET de France Télécom. Au sein de cette cuvette grenobloise, l'on trouve une concentration de cerveaux de technologie absolument fantastique. Et d'un autre côté, juste à proximité, 1 000 mètres au-dessus du niveau de la ville de Grenoble, nous avons un immense territoire, le Parc naturel régional du Vercors de 170 000 hectares, totalement désertique, qui ne comprend que 20 000 habitants. Ce territoire s'est dépeuplé au cours des décades et des siècles, au profit de la cuvette grenobloise.

Ce vaste territoire est composé, au nord de la Communauté de communes du Massif du Vercors, qui se trouve confrontée à la désertification de la population active et à une sorte de mono-activité qui a remplacé l'agriculture par le tourisme. C'est une activité très fragile et parfois aléatoire. Depuis 1993, nous essayons de déterminer la manière par laquelle les technologies d'information et de communication pourraient offrir une alternative, en matière d'emploi, ou pour rompre l'isolement.

Dans le Vercors, nous avons doté 200 écoles d'une connexion Internet. Elles travaillent en accord avec l'Académie, en s'appuyant sur des logiciels et un système pédagogique adapté. La formation et la mise à niveau des maîtres sont également prises en considération.

Nous apportons à la population un certain nombre de services. Par exemple, certains élèves de l'unique lycée de ce Massif du Vercors, qui sont champions de ski, sont équipés de portables pour qu'ils puissent travailler le soir, en liaison avec leur maître, au cours de leurs déplacements internationaux, de manière à ce qu'ils soient à même de rattraper les cours. Dans le cadre d'un partenariat avec La Poste, 3 500 boîtes aux lettres électroniques ont été créées et mises à la disposition de la population. L'ensemble de ces efforts constitue naturellement une tentative de création d'emplois. Nous avons édifié, avec les ressources de la communauté de communes, un ensemble de bureaux que nous avons pompeusement baptisé «bâtiments intelligents ». Il s'agit d'un téléespace qui nous a permis de créer 40 emplois immédiatement, suivis d'une centaine d'emplois supplémentaires.

Nous avons obtenu un succès relatif. 57 % des foyers de ce canton sont connectés à Internet. Ce chiffre peut se comparer aux données des pays étrangers, notamment des États-Unis ou des pays Scandinaves, mais nous sommes loin devant la moyenne française et nous butons sur ce qui a déjà été décrit, c'est-à-dire la volonté de l'État pour installer le haut débit. Dans notre communauté, 400 entreprises ou foyers sont demandeurs de haut débit. Nous sommes confrontés à un opérateur timoré qui ne souhaite pas investir sans être certain d'en récolter un résultat positif. Or, en milieu rural, il convient d'adopter un comportement inverse. Il convient de lancer les initiatives, de mettre en place les équipements et les résultats viennent automatiquement.

À l'aide de quelles technologies ? Faut-il développer la fibre optique, faut-il collaborer avec EDF ? Faut-il chercher d'autres alternatives ? Nous avons, pour cela, lancé une étude, car nous avons une vision claire de notre objectif. Le problème est que nous ne pouvons pas agir sans la volonté de l'État. Les territoires ruraux n'ont pas les ressources nécessaires pour développer un tel projet et pour le gérer ensuite.

Je ne reprendrai pas le discours du Président Beneteau, mais j'y souscris totalement. En matière d'aménagement du territoire, la volonté de l'État est indispensable à la réalisation des projets.

(Applaudissements).

M. Jean-Marc GILONNE. - Avant de conclure la table ronde, nous allons redonner la parole aux intervenants. M. Beneteau, vous souhaitez réagir aux propos du Président.

M. Alain BENETEAU. - Oui, merci. Tout le monde semble d'accord sur la nécessité du haut débit, mais je crois que nous percevons mal son extrême importance. La valeur de ces exemples en témoigne et il ne faut négliger aucune piste pour permettre aux citoyens d'accéder à cet outil. Nous sommes engagés sur un projet de cyberbase, en partenariat avec la Caisse des dépôts et consignations, qui est essentiel pour nous. En matière d'aménagement du territoire et de construction des pays, cette cyberbase peut se révéler être un formidable lieu d'appropriation de l'outil.

Pour revenir à la volonté de l'État, et en ce qui concerne les projets qui se développent, il conviendrait de savoir comment il compte assurer les ressources professionnelles après l'annonce de la suppression des emplois jeunes, éléments déterminants dans le dispositif des cyberbases. Nous savons parfaitement que le positionnement de cet outil ne repose que sur la qualité de la formation des équipes d'animation.

Il nous faut considérer ces paramètres de manière urgente afin de mieux appréhender ces projets. Il est impératif d'assurer l'animation de ces espaces publics numériques, cyberbases. C'est sur ce plan que cette volonté doit se manifester. Si ce n'est pas le cas, nous serons dans l'obligation de maîtriser nos coûts. En conséquence, les intercommunalités disposant pour beaucoup de moyens limités auront du mal à maîtriser les budgets. Des projets seront ainsi annulés.

Cette position, en termes d'aménagement du territoire, équivaudrait à un recul qu'il faut systématiquement refuser. Il faut donc avoir une capacité de formation et d'animation des équipes qui travailleront sur le projet.

M. Jean-Marc GILONNE. - Il peut apparaître également opportun de sérier les réponses à apporter, les besoins pouvant différer d'un endroit à l'autre. Le tout haut débit n'est peut-être pas la panacée de tous.

Mme Miranda BRUIGI. - À Sienne, pour la pose des câbles, nous avons utilisé la même technique qu'en Suède, qui est vraiment moins chère. Mais cela n'a été possible que pour la banlieue et certaines routes. Le centre historique de Sienne est classé. Les travaux d'aménagement pour l'installation du câble dans le centre ville ont eu un coût important.

La technique consistant à enterrer les câbles à faible profondeur est moins onéreuse et facilite les travaux. Telecom Italia a ainsi continué à aménager le territoire.

À Sienne, l'on dénombre 23 000 foyers, 25 % d'entre eux sont connectés à Internet. Ces statistiques sont plus élevées que dans les autres parties du pays car nous sommes dans un perpétuel souci d'innovation.

Nous permettons aux citoyens de Sienne de recevoir 44 chaînes de télévision. L'une d'entre elles est exclusivement consacrée aux informations civiques. La rédaction y prépare des informations publiques et c'est également une chaîne de traitement de services. Nous souhaitons que le poste de télévision devienne un outil d'accès aux services interactifs. C'est là un moyen d'éliminer la fracture numérique, sauf à trouver un outil qui puisse s'utiliser aussi facilement. Il est important de souligner que les personnes âgées ne possèdent pas et n'utilisent pas d'ordinateur.

Nous attendons donc des pouvoirs publics de faire en sorte que le poste de télévision puisse se substituer à l'ordinateur.

M. Jean-Marc GILONNE. - Je remercie Mme Bruigi. M. Bo Andersson va conclure.

M. ANDERSSON. - (Interprète).

Je souhaiterais apporter un élément concernant la technologie. La stratégie d'accès au haut débit de la société ERICSSON est basée sur un concept que l'on appelle « Ethernet Public ». Et Sollentuna Energi est un exemple de réalisation de ce concept. Je m'explique. L'utilisation de la fibre optique, représente un choix naturel pour Sollentuna Energi. ERICSSON est considéré comme l'un des acteurs économiques les plus importants dans ce domaine.

L'ADSL est un choix aussi naturel pour les opérateurs historiques. Le coût élevé de l'ADSL classique est surtout lié avec le coût élevé de l'ATM dans le réseau de collecte. L'accès fibre optique est un complément pour des zones nouvelles.

Cependant, il faut appliquer la technologie Ethernet dans une manière évoluée, surtout pour assurer la Qualité de Service QoS), la sécurité etc. Grâce à cette évolution, le « Ethernet Public » sera capable de transmettre des données et des services en temps réel.

M. Jean-Marc GILONNE. - L'ADSL, tel que nous le connaissons est-il dépassé selon vous ?

M. ANDERSSON. - (Interprète) Non, pas du tout, mais si les zones géographiques permettent d'installer les câbles de fibre optique, le choix se portera sur cette technologie de transmission.

M. Jean-Marc GILONNE remercie M. Andersson et passe la parole à M. Jean Faure.

M. Jean FAURE. - Dans le cadre de l'étude des différentes solutions, la Communauté de communes du Vercors, dont je vous ai cité l'exemple, a lancé « Les Rencontres d'Internet » à Hourtin, en partenariat avec le Chapitre Français d'Internet, sous la direction de M. Bruno Oudet. Cette manifestation, qui se déroule depuis sept ans, nous permet de réfléchir aux solutions techniques et administratives. C'est également une plate-forme où chaque expérience est partagée. Ces échanges sont d'une extrême richesse. M. Jean-Paul Delevoye, en tant que Ministre de l'Aménagement du Territoire viendra peut-être nous confirmer une nouvelle position de l'État dans ce domaine. Il y est cordialement invité et nous a assurés de sa présence.

M. Jean-Jacques LASSERRE. - Je suis tout à fait d'accord avec les intervenants qui m'ont précédé et qui sont convaincus de la vertu des usages du haut débit. Je pense que c'est à notre portée, je veux dire à la portée des institutions, à l'unique condition que, sur un plan technique, les affaires soient suffisamment encadrées pour se développer convenablement.

Concernant notre département, tous les collèges ont été équipés, et j'ai été étonné de constater l'enthousiasme de la communauté éducative pour participer à cette aventure. L'on bénéficie d'appuis conséquents. Je partage votre point de vue sur les cyberbases. Nous-mêmes, nous développons l'installation de centres de petits services dans les métropoles locales. Les cyberbases seront fonctionnelles si nous résolvons le problème de l'animation. Nous éviterons ainsi des phénomènes de sous-utilisation.

En ce qui concerne l'appui de l'État, je partage votre point de vue. L'État doit se manifester et clarifier les règles du jeu. Ceci dit, il faut prendre en compte les disparités existantes entre nos différentes régions. Cependant, s'il nous faut attendre que les conditions nécessaires soient idéalement réunies, nous risquons de perdre du temps. Je fais partie de ceux qui pensent que nous devons nous appuyer sur les NTIC, afin de gommer une grande partie des erreurs que nous avons commises en termes d'aménagement du territoire. Nous ne pouvons arriver à ce résultat sans une certaine prise de risques. Il faut discuter, calculer. Tout le monde gagnerait à ce que l'État clarifie sa position, intervienne sur les secteurs rural et urbain. Qui prend en charge l'aménagement du territoire ?

Mais nous gagnerions également, compte tenu de ces conditions, et pour ceux qui souhaitent prendre ces risques, à pouvoir engager les opérations rapidement, sans attendre que les conditions idéales soient réunies.

Nous avons tous l'habitude de gérer les fonds des collectivités. Lorsque l'on considère les montants d'investissement, il me semble que cette prise de risques se situe largement au niveau des possibilités financières des institutions réunies. Je plaiderai pour qu'il y ait, en amont, au-delà d'une clarification globale, une réelle volonté de prise de risques. Cet appui offrirait, une fois pour toutes, aux collectivités disposées, et au regard des particularités, la possibilité de faire avancer leurs dossiers de manière significative.

M. André LARDEUX. - Nous sommes tous d'accord sur le fait que dans ce domaine, il s'agit d'une question de volonté politique. Il faut savoir si nous voulons vraiment faire avancer le projet et mettre fin à la fracture numérique. Cependant, il ne faut pas tout attendre du niveau supérieur. Nous devons nous prendre en charge les uns les autres et avancer en cohérence entre les départements et réglons par exemple, et les régions avec l'État. C'est une situation que nous pouvons comparer avec celle chemin de fer, il y a 120 ans. De grandes infrastructures avaient été bâties et le Gouvernement de l'époque avait lancé un plan pour construire les lignes d'intérêt local et départemental.

Actuellement, les grandes infrastructures existent ; il faut « mailler » tout le territoire, et c'est le rôle de toutes les collectivités locales, régions et départements notamment.

M. Jean-Marc GILONNE. - La table ronde est assez consensuelle et je ne relève pas, à vrai dire, de véritable problème technologique. Aujourd'hui, la technique est éprouvée, nous avons pu le constater au travers des exemples suédois et italiens.

Je relèverai par contre quatre questions récurrentes dans chacun des projets présentés : la nécessité d'une volonté politique clairement affirmée, un souci constant de coordination, afin que chaque acteur puisse développer son projet, la recherche de la maîtrise des coûts, et un soutien sans failles aux initiatives locales de la part de l'État mais aussi du secteur privé. Et tout cela conduit, nous l'avons vu en Suède et en Italie, à des modèles économiques rentables !

Merci.

(Applaudissements).

L'ÉVOLUTION DU CONTEXTE COMMUNAUTAIRE ET L'IMPACT SUR LE RÔLE DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES N MATIÈRE DE TÉLÉCOMMUNICATIONS

M. Daniel KAPLAN anime la seconde partie de la table ronde.

M. Daniel KAPLAN. - Nous sommes de plus en plus dans le vif du sujet. Avant de poser la question de la compétence en France en table ronde, rappelons que nous travaillons dans un contexte franco-français, mais également communautaire. La seconde partie de cette table Ronde sera présidée par M. Philippe Adnot, sénateur et Président du Conseil général de l'Aube. Me Frédérique Dupuis-Toubol, du Cabinet Bird & Bird, va nous présenter plus précisément l'évolution de ce contexte communautaire.

Me Frédérique DUPUIS-TOUBOL, Avocate, Cabinet BIRD & BIRD

Il m'a été demandé de faire un exercice difficile pour un avocat, dont la réputation est d'être bavard : exposer en quelques mots la situation actuelle de la France en matière de réglementation du haut débit. Puis la situation européenne, qui doit devenir la situation française de demain. Je terminerai sur cette France de demain, tout en axant, évidemment, cette présentation sur le rôle des collectivités territoriales dans ce grand débat ouvert aujourd'hui en matière de haut débit.

En quelques mots, le rôle actuel des collectivités, en France.

Les collectivités interviennent tout d'abord en tant que gestionnaires de leur domaine public. Il est amusant de souligner que c'est le seul rôle prévu pour les collectivités territoriales dans le code des PTT. Le code a été totalement refondu par des lois adoptées en 1996, et le seul rôle qui est dévolu pour les collectivités est celui d'accorder des droits de passage sur leur domaine public, et d'accorder des servitudes sur le domaine privé. Lorsqu'un opérateur souhaite une servitude, c'est le maire qui doit la lui accorder.

Le rôle des collectivités s'est toutefois développé au-delà de ce cadre strict. Elles interviennent à la fois sur l'offre et la demande de réseaux et services de télécommunications.

Elles agissent sur l'offre, dans le cadre prévu par le Code général des collectivités territoriales. Le fameux article L. 1511-6 du Code général des collectivités territoriales. Cet article a été modifié à plusieurs reprises. Sa première mouture date de 1999, et il a été modifié en 2000. Je suis prête à parier qu'il sera à nouveau revu en 2003. Cet article ayant déjà été amplement évoqué, je ne le détaillerai pas. Il contient les dispositions qui permettent aux collectivités françaises, bien loin de ce qui est permis en Suède ou en Italie, d'intervenir pour aménager leur territoire en infrastructure de télécommunications passives.

Les collectivités estiment que ces dispositions sont insuffisantes. Elles ont cherché d'autres voies pour stimuler la construction de nouveaux réseaux. Elles disposent, pour cela, d'une série d'outils classiques d'intervention par la demande. Elles peuvent, en passant des marchés publics, inciter les opérateurs privés à aménager le territoire afin de satisfaire leurs propres besoins, ou, lorsqu'elles estiment qu'elles ont la faculté de s'auto-satisfaire, créer des réseaux indépendants. C'est le seul moyen pour une collectivité territoriale de créer un réseau avec autre chose que de la fibre passive.

Derniers éléments, mais nous y reviendrons, les réseaux câblés.

En ce qui concerne les réseaux câblés, la loi de 1986 a doté les communes d'un rôle important. La construction d'un réseau pour la télévision par câble n'est possible que sur autorisation du CSA (Conseil supérieur de l'audioviduel). L'accord n'est donné que si le projet a été proposé par la commune.

Je vous ai présenté l'environnement actuel. Je vais, à présent, mettre l'accent sur la réforme de cette loi, en m'appuyant sur ce que l'on nomme « le paquet télécom ».

Je ne voudrais pas vous décevoir, mais la transposition de ces directives en France, d'ici le 24 juillet 2003, n'apportera que peu d'évolution s'agissant du rôle des collectivités territoriales. La seule évolution extrêmement sensible porte sur les réseaux câblés.

Néanmoins, cette réforme ouvre l'occasion d'un nouveau débat sur le rôle des collectivités territoriales.

Pour quelles raisons faut-il revoir des directives communautaires qui ne sont pas si anciennes ?

Le cadre actuel a été adopté entre 1990 et 1997. À peine avions nous achevé de modifier les textes communautaires, qu'ils apparaissaient déjà obsolètes. Il fallait donc les faire évoluer.

La dernière directive a été adoptée il y a cinq ans. Et avant même que les États ne commencent à les appliquer dans les différents pays de l'Union Européenne, à Bruxelles, on repensait déjà ce cadre.

Je vais vous exposer les trois principales raisons qui nous ont conduits à la refonte de ce cadre :

Premièrement, la réglementation des années 1990-1996 avait été pensée par type de technologie. Elle n'était pas « technologiquement neutre ». Il existait une directive pour le câble, une directive pour le satellite, les réseaux mobiles etc. Alors même que nous parlions de convergence, et que nous estimions que les mêmes tuyaux pouvaient fournir tous les types de services, était-il réellement nécessaire d'avoir une réglementation différente pour chaque type de réseau ?

Deuxièmement, lorsque ces textes ont été conçus, l'Europe est passée à côté du phénomène Internet qui n'a donc pas été pris en compte dans les directives communautaires.

Troisième point. L'application de ces textes est un véritable calvaire pour les experts (nous en faisons l'expérience au quotidien avec l'ART. Ces textes sont complexes, et l'on pourrait parfois les comparer à un puzzle. Ils comportent un tas de références à d'autres textes, et en deviennent illisibles.

Ce cadre a été réformé autour de huit textes qu'il me sera difficile de résumer en si peu de temps.

Je vais volontairement en oublier deux. Il s'agit du texte sur le dégroupage, qui est un règlement et non une directive et qui a déjà été implémenté en droit français par voie de décret.

J'oublierai également la décision sur le spectre radio électrique qui n'intéresse pas vraiment les collectivités, mais plutôt les spécialistes qui gèrent l'attribution des fréquences.

J'insisterai, plus particulièrement, sur les six directives qui doivent être transposées d'ici le 23 juillet, sachant que la dernière a été adoptée le 17 septembre 2002. Ce qui laisse peu de temps de recul...

La première directive, la « directive-cadre » est fondamentale. Si l'on doit retenir une seule idée de ces six directives, c'est le premier point de la directive-cadre : l'introduction du principe d'une réglementation commune pour l'ensemble des réseaux. C'est l'idée dominante. Ainsi on abandonne les termes de « réseaux de télécommunications », « réseaux satellitaires », etc. Le terme qu'il convient d'utiliser est « réseaux de communications électroniques ». Un réseau de communications électroniques est tout type de réseau dès lors qu'il sert à transporter des signaux télécommunications.

On connaît aujourd'hui un certain nombre d'infrastructures autres que de télécommunication qui permettent de transporter de tels signaux. Par exemple, les réseaux électriques peuvent être l'un de ces outils de transport, cela fait d'eux des réseaux de communications électroniques.

Les directives ne s'appliquent pas au contenu. L'intérêt porte sur l'infrastructure, et non pas sur le contenu audio-visuel (des directives dites « TV sans frontières » existent déjà), ni même sur le service Internet : il existe d'autres textes communautaires pour le commerce électronique. La réglementation européenne n'oublie aucun domaine !

La première conséquence est l'harmonisation du régime des réseaux câblés avec celui des autres infrastructures de commerce électronique alors qu'il est aujourd'hui dérogatoire, réglementé par la loi de 1986 sur l'audio-visuel. J'en reparlerai, puisque la dernière directive, celle du 17 septembre, aborde spécifiquement cette question.

Cette directive-cadre adopte aussi une série de règles qui vont changer la vie des régulateurs, comme l'ART. Ces régulateurs vont subir des évolutions conséquentes. Puisqu'il n'existe plus qu'un seul type de réseau, les réseaux de communications électroniques, les régulateurs doivent strictement appliquer un nouveau principe dit de neutralité technologique qui est le pendant de cette uniformisation de la réglementation.

Je vais maintenant aborder chacune des autres directives très brièvement. La directive « accès et interconnexions ». Ce n'est pas la directive qui intéresse le plus les collectivités territoriales. Elle concerne plus particulièrement les opérateurs de télécommunications. Je souhaite cependant la signaler car il n'est pas impossible que, dans un futur proche, nos collectivités territoriales, ou certaines d'entre elles, deviennent des opérateurs de télécommunications.

Cette directive imposera aux collectivités devenues opérateurs, tout comme l'article L. 1511-6 du CGCT, d'octroyer un accès dans des conditions transparentes, non discriminatoires, orientées vers les coûts, à toutes les infrastructures couvertes par cette directive. Or, au-delà des infrastructures classiques de télécommunication, elle vise les infrastructures physiques qui ne servent pas spécifiquement des activités de télécommunications, mais qui pourraient être utilisées à ces fins. Je pense aux bâtiments, gaines et pylônes. Ceci signifie que si un jour, les collectivités deviennent opérateur elles devront, non plus privilégier leur propre activité, mais mettre leurs infrastructures à la disposition de tous les autres opérateurs.

La troisième directive est la directive « licences et autorisations ». Celle-ci concerne essentiellement les opérateurs et les régulateurs. À partir du 24 juillet 2003, il faudra oublier la notion de licence individuelle. Des licences générales seront uniquement délivrées.

On pourra devenir un opérateur de télécommunication en adressant un dossier à l'ART. Le simple fait d'avoir le tampon d'accusé de réception sur ce dossier permettra à l'opérateur d'exercer son activité. Seules les ressources rares feront l'objet d'attributions individuelles. Ces dossiers seront traités dans des délais fortement réduits, ce qui devrait satisfaire nos élus.

La directive suivante est importante, même si elle ne concerne pas directement les collectivités. Elle porte sur le « service universel » et a fait l'objet d'une discussion assez animée. Le texte est un compromis entre les États qui souhaitaient que l'accès à Internet par le haut débit soit inclus dans le service universel et ceux qui ne le voulaient pas.

Le compromis qui a été trouvé par Bruxelles est le suivant : la directive inclut dans la notion de « service universel » un service de transmission de données permettant un accès fonctionnel à Internet. Les termes de la directive étant difficiles à comprendre, ceux qui en ont fait l'exégèse en ont conclu que le haut débit n'était pas couvert, pas plus que les services de téléphonie mobile. Bruxelles a prévu de réétudier la question à partir de 2005.

Il y a un autre élément d'intérêt dans cette directive sur le « service universel ». Les États peuvent disposer d'un « service universel » national ou local, ils peuvent également l'attribuer à un opérateur, qui en fournit toutes les composantes, ou le segmenter par service.

En France, nous avons, en 1996, opté pour un modèle basé sur un service universel de télécommunications, d'une part, national, et d'autre part, regroupant l'ensemble des composantes : le téléphone fixe, l'annuaire, ainsi que les autres services qui le composent aujourd'hui. La loi avait désigné d'emblée France Télécom comme l'opérateur du « service universel national », seul un tel opérateur était dans la mesure d'offrir ne serait-ce que le service téléphonique, en tous points du territoire.

Ce mode français de désignation par la loi de l'opérateur du service universel sera remis en question. La directive prévoit que le choix du ou des opérateurs doit être effectué de manière transparente, proportionnelle et non discriminatoire, avec un mécanisme qui n'exclut a priori aucune entreprise. Le débat va être réouvert et permettra une réflexion entre un modèle national ou local. Toutefois, puisque le haut débit est exclu, ce débat ne devrait pas véritablement nous intéresser pour le sujet dont nous traitons cet après-midi.

La dernière directive est très intéressante. Il s'agit de la directive sur « la concurrence » du 17 septembre 2002.

Le deuxième article de cette directive prévoit l'abrogation de tous les droits exclusifs ou spéciaux pour l'ensemble des services de communications électroniques. Au niveau des collectivités, celles qui ont concédé une exploitation de réseaux câblés avec une clause d'exclusivité ne pourront plus maintenir ce droit. Or on pourrait considérer que ces concessions ne peuvent être maintenues sans clause d'exclusivité. En effet, le Conseil d'État admettait la clause d'exclusivité dans la mesure où les collectivités offraient un service public (la télévision câblée est un service public, d'après la jurisprudence).

La clause d'exclusivité tombant, comment va-t-on réaménager les conventions existantes ?

Nous pouvons envisager plusieurs solutions : adapter des conventions actuelles ou les résilier par anticipation. Plusieurs questions à ce titre. Par exemple, dans le cas d'une concession, le bien concédé revient, en principe, en fin de contrat au concédant (la collectivité). En l'espèce, les réseaux vont-ils être cédés aux câblo-opérateurs ? Le débat est ouvert et il est important.

Je souhaiterais, à présent, refaire un point sur les autres éléments du débat français, que j'ai appelé, par anglicisme, « le réexamen », « la review », comme l'on dit communément à Bruxelles.

Le premier élément, c'est une question préliminaire posée ce matin par un représentant de Nancy. Est-il possible, comme le sous-tend le cadre européen de dupliquer les réseaux locaux à haut débit ? Ou devons-nous nous contenter de construire un seul réseau haut débit fixe pour tout le territoire, ou du moins sur certaines parties de celui-ci ?

En tant que juriste, il ne m'appartient pas de répondre. Mais cette question est structurante. Il faut savoir que le cadre européen a été bâti sur l'idée de la possible duplication des réseaux par les opérateurs.

Le cadre a évolué en 2000 avec le règlement sur le dégroupage. Bruxelles n'a alors pas remis en question la possibilité de duplication des réseaux, mais a estimé que quelques années seraient nécessaires pour y parvenir. Une réglementation intermédiaire sur le dégroupage a alors ouvert la possibilité pour les opérateurs qui ne possèdent pas les infrastructures nécessaires d'accéder à l'infrastructure de l'opérateur historique.

L'échec actuel du dégroupage nous amène à nous poser une nouvelle question : peut-on, aujourd'hui, assurer le développement des services de fournisseurs d'accès Internet ? Ces services peuvent-ils être effectivement concurrentiels s'il n'y a qu'un seul opérateur d'infrastructures, et si lui-même s'inscrit dans le cadre de la concurrence sur les services d'accès à Internet ?

Il est impossible d'échapper à ce débat complexe, préliminaire à toute réflexion approfondie sur le sujet.

Revenons-en au débat qui vous intéresse principalement, le rôle des collectivités territoriales. Quelle que soit la réflexion, quel qu'en soit son aboutissement sur la possibilité éventuelle de duplication des infrastructures locales, nous avons trois schémas possibles d'intervention pour elles :

Dans le modèle actuel ou « modèle classique », les collectivités restent gestionnaires des infrastructures passives, mais ne sont pas des opérateurs de réseaux de communications électroniques «L 33-1 » du code des PTT.

Dans le modèle évolutif, comme le modèle suédois, les opérateurs peuvent devenir opérateurs d'infrastructures actives mais ne sont pas pour autant des opérateurs de services. Ils se contentent de fournir les infrastructures à tous les opérateurs de services. Ils sont « opérateurs d'opérateurs ». Ils mutualisent l'infrastructure. L'ART est favorable à ce modèle évolutif.


· Le troisième modèle est un « modèle révolutionnaire » pour la France, alors même qu'il est d'actualité pour nos amis italiens. Sur la base de ce modèle, les collectivités deviendraient non seulement opérateurs d'infrastructures, des « opérateurs d'opérateurs », mais elles seraient également des opérateurs offrant des services d'accès à Internet, voire pour les services de téléphonie.

Pour terminer, je souhaite rapidement vous faire part des éléments juridiques qui ne peuvent être négligés dans ce débat.

Premier élément : le périmètre du service universel et du service public local. En ce qui concerne le premier, la question est rapidement tranchée puisque le cadre nous est imposé par la directive « service universel » européenne. Le haut débit ne peut pas être inclus.

En revanche, en ce qui concerne la création d'un service public local portant sur le haut débit, le code des PTT comporte une définition du service public des télécommunications qui n'inclut pas le haut débit. Il s'agit de l'article L. 35-4 du code des PTT.

Cette définition stipule, par ailleurs, que le service public qui contient, par exemple, le réseau de fourniture de liaisons louées, est nécessairement un service national. En conséquence, seul un opérateur en mesure de l'offrir dans le tout le pays peut être qualifié d'opérateur de service public de télécommunications.

Deux possibilités s'offrent à nous, si nous souhaitons élargir ce concept de service public au haut débit. On peut, soit élargir le périmètre du service public national des télécommunications. Mais l'on peut aussi construire, à côté du service public national, aujourd'hui confié à France Télécom, un service public que l'on pourrait appeler « service public local de fourniture d'infrastructures » pour le haut débit. C'est un premier élément juridique du débat.

Second élément. Où fixe-t-on la limite, en ce qui concerne la compétence des collectivités locales ?

La modification de l'article L. 1511-6 du CGCT a ouvert le débat en permettant aux collectivités de devenir aménageur de leur territoire en infrastructures passives de télécommunications.

Il faut rappeler que selon le droit administratif français, les collectivités territoriales ne pouvaient auparavant intervenir qu'en cas de carence de l'initiative privée. Ces dispositions n'étaient pas adaptées car les collectivités locales doivent intervenir en tant qu'aménageur du territoire et stimuler la concurrence.

Troisième élément de la discussion. Les lois de 1791 qui posent un grand principe du droit français, le principe sur la liberté du commerce et de l'industrie.

Ce principe à un équivalent négatif, il s'agit de la protection de l'initiative privée. Les collectivités territoriales ne peuvent intervenir qu'en cas de carence de l'initiative privée ou lorsque l'intérêt public le justifie.

Il est indispensable, pour rester dans ce cadre, d'inclure le haut débit dans le champ d'intervention des collectivités territoriales au titre de l'intérêt public et donc d'introduire le concept de services publics locaux de construction d'infrastructures à haut débit.

Si l'on suivait le modèle de la ville de Sienne, le Conseil constitutionnel autorisait-il les collectivités à devenir des opérateurs de service d'accès Internet à haut débit ou de téléphonie ? Respecterions-nous ce principe ? Ou estimerions-nous que cela va au-delà de ce que les services d'intérêts généraux justifient ?

Le troisième élément du débat porte sur le cadre juridique des subventions.

La création des infrastructures haut débit nécessite souvent des ressources publiques. Or les aides d'État ne doivent pas influer sur le jeu de la concurrence.

L'octroi de subventions est donc réglementé. Ainsi les collectivités ont le devoir de notifier tout octroi de subvention à la Commission Européenne, de manière à en obtenir l'accord, et ce dès qu'un opérateur reçoit nationalement plus de 100 000 € par an. À défaut, les projets peuvent se trouver bloqués pour non-respect de cadre juridique sur les subventions publiques.

D'où le lien entre subvention et propriété publique. Pour éviter le risque que les subventions publiques ne soient pas autorisées, il est souhaitable que l'investissement public assure le financement d'infrastructures qui restent propriété publique.

L'exemple de la Suède est à ce titre intéressant. Dès lors que la subvention publique est destinée à une propriété qui reste publique, on ne peut pas considérer qu'elle influe sur la concurrence ou qu'elle aide des acteurs privés. On ne parle plus de subvention, mais de mise à disposition d'une infrastructure publique mutualisée au bénéfice de l'ensemble des opérateurs, dans des conditions qui ne faussent pas le jeu de la concurrence. On évite ainsi ce débat délicat sur l'octroi des subventions publiques.

(Applaudissements).

M. Daniel KAPLAN. - Merci Mme Dupuis-Toubol, vous avez parfaitement introduit le débat qui va suivre.

TABLE RONDE- NTIC ET ATTRACTIVITÉ DES TERRITOIRES : RÔLE DES COLLECTIVITÉS LOCALES ET DES OPÉRATEURS

Sous la présidence de M. Philippe ADNOT

M. Daniel KAPLAN. - Tous les participants de cette table ronde sont amenés à être les acteurs clés. Et le débat qui s'ouvre est une sorte de pré-débat législatif sur le « paquet Télécom », mais il concerne également le thème de la décentralisation. Par conséquent, l'introduction de la question précédente était importante.

La question de cette table ronde porte sur la procédure et l'organisation.

Comment doit-on organiser le développement du haut débit sur les territoires, quels objectifs voulons-nous atteindre ? Donner la priorité au développement du haut débit dans les territoires et lutter contre la fracture numérique sont deux thèmes différents. Quel rythme devons-nous adopter pour atteindre ces objectifs ? Devons-nous suivre le rythme du marché, le rythme du changement de génération ? De quelle manière et avec quels acteurs ?

Pour y répondre, je vais m'appuyer sur les intervenants de la table. Il s'agit de :

- M. Dominique Caillaud, Député de Vendée et qui représente l'Association des maires de France (AMF)

- M. Michel Gonnet, Directeur général de la Caisse des Dépôts et Consignations

- M. Jean-Luc Harrousseau, Président du Conseil Régional des Pays-de-Loire, représente l'Association des Régions de France (ARF)

- M. Philippe Bertran, qui représente M. Jean-Paul Cottet, Directeur de la Communication et des Relations Extérieures de France Télécom.

- M. Philippe Adnot, sénateur et Président du Conseil général de l'Aube.

- M. Bruno Sido, sénateur et Président du Conseil général de la

- Haute-Marne, représente l'Assemblée des Départements de France (ADF).

- M. Jean-Michel Hubert, Président de l'Autorité de Régulation des Télécommunications (ART)

- M. Romain Delavenne, Directeur du Marketing LAMBDANET, « un opérateur d'opérateur »

- M. Jean-Louis Constanza, Président-directeur général de TELE 2, un opérateur qui s'adresse au client final.

Je vais à présent laisser la parole à M. Bruno Sido et rentrer dans le coeur du débat. L'Assemblée des départements de France s'apprête à prendre des positions assez claires sur la question des priorités politiques, des objectifs, et des rôles respectifs des acteurs locaux nationaux privés et publics. Pouvez-vous introduire le débat, qui sera éventuellement contradictoire, en nous décrivant les missions de l'Association ?

M. Bruno SIDO, sénateur et Président du Conseil général de la Haute-Marne

Je vous remercie. Effectivement, je représente l'ADF. Les départements réclament depuis longtemps une compétence générale en matière de technologie d'information et de communication. Les départements fondent la légitimité de leur demande sur leurs objectifs fondamentaux d'aménagement du territoire.

Même si Paris doit donner les grandes orientations, elle ne peut avoir une vision cohérente du tissu économique local et des besoins de la population. Ce sont donc les échelons de proximité, comme les communautés de communes, et plus particulièrement les départements, qui semblent les plus compétents en la matière.

Dans le contexte des directives européennes de mars 2002, et au vu de l'autorisation générale qui permet à la quasi-totalité des entreprises privées d'exercer leur métier d'opérateur, il serait surprenant que les collectivités soient exclues de la réglementation.

Rappelons que dans la plupart des autres pays européens, les collectivités sont un moteur de la diffusion des technologies de l'information.

Les collectivités territoriales, notamment les départements, doivent avoir la possibilité d'être opérateurs de réseaux de communications électroniques.

Cette liberté ne doit pas être limitée au découpage géographique. Cette position serait incompatible avec la nécessité de rentabilité des collectivités dans leur action de service public, industriel et commercial.

Une collectivité n'a pas vocation à se substituer aux opérateurs privés. Le marché fonctionne et s'articule tout seul. Cependant, en cas de carence, la collectivité doit disposer de ressources suffisamment importantes. Le département n'est pas un financeur aux fonds inépuisables. Ce qui est trop souvent le cas, en particulier en matière budgétaire. Je veux parler de l'APA (allocation personnalisée d'autonomie).

Je souhaiterais faire un parallèle avec la téléphonie mobile. Vous avez aimablement rappelé le travail que je réalise conjointement avec certains de mes collègues, co-signataires de cette proposition de loi qui a été votée au Sénat. Si nous avions pris la peine, dès le début du débat il y a cinq ou six ans, en matière de téléphonie mobile, d'étudier le problème global, nous aurions constaté que certaines zones ne seraient jamais rentables et par conséquent jamais ouvertes, nous aurions pu nous organiser autrement. Il est important de souligner qu'en matière de haut débit, qu'il s'agisse des derniers mètres, ou des premiers mètres, pour les Scandinaves, ils ne seront jamais couverts dans une économie de marché et de concurrence pure. Il faut donc que les investisseurs potentiels, que sont les collectivités territoriales et locales, puissent véritablement, dans un cadre législatif bien identifié, s'impliquer dans cette affaire. Cela est nécessaire si l'on veut faire de l'aménagement.

Quel est l'intérêt, pour le département, d'être opérateur de réseau ?

La raison est simple et de plus en plus fréquente. Le département voudrait raccorder les entreprises à des services de communications électroniques à haut débit selon la méthode la moins onéreuse. Il est clair que c'est un enjeu d'aménagement du territoire qui devient de plus en plus un enjeu de sauvegarde du territoire. Les départements ne peuvent pas devenir des opérateurs si l'offre privée est déficiente. Dans ces conditions, les entreprises auront du mal à s'investir.

Par conséquent, le marché pour l'aménagement du territoire étant déficient, les départements sont prêts à relever le défi. Encore faut-il que les collectivités ne se sentent pas isolées dans ce projet, et que le haut débit soit intégré à un service universel de définition nationale sur une base fiscale. Les directives nationales ne permettent pas de procéder autrement.

Seule une telle extension, alliée à un libéralisme intelligent de l'exercice de l'opérateur, peut permettre à la France de ne pas se faire distancer par des pays européens, nettement plus pragmatiques quant au rôle des collectivités et grâce à l'impulsion de leur Gouvernement dans l'aménagement numérique du territoire.

Avant même la transposition des directives européennes prévue pour 2003, il serait utile de mettre fin à l'incertitude réglementaire. Le Conseil d'État n'a pas encore édité les décrets d'application. L'article L. 1511-6 du CGCT reste la source d'une interprétation contradictoire et fait l'objet d'une saisie du Conseil d'État pour avis, dont on ne connaît pas encore les conclusions.

L'incertitude réglementaire est un facteur ralentissant au projet du haut débit pour les départements. Cette situation peut rapidement ruiner de longs travaux préparatoires. Les collectivités ont besoin d'un signal rapide pour continuer et consolider leurs démarches déjà entreprises sur le terrain.

Certains départements sont déjà prêts à faire l'expérience de devenir un opérateur de réseau.

Il est également indispensable de clarifier la compétence entre les différents niveaux de collectivités, sans omettre que la desserte fine, le dernier kilomètre, ou le premier pour les Scandinaves, est la plus difficile et la plus coûteuse à réaliser.

Il ne doit pas non plus y avoir d'incertitudes sur la situation de l'opérateur historique France Télécom.

En effet, l'évolution de l'opérateur historique est significative pour les collectivités, puisqu'il s'agit, et de loin, du réseau le plus étendu. Ce réseau sera-t-il considéré comme le réseau d'un simple opérateur ou aura-t-il statut différent ?

Le Gouvernement ne sera-t-il pas tenté d'orienter la législation pour servir les intérêts de l'opérateur historique ? Ces questions concernent la situation actuelle. Pourtant, s'agissant d'aménagement du territoire, les départements apprécieraient que cette problématique demeure un souci constant. C'est également une question de cohésion nationale. C'est le point de vue de l'ADF sur le sujet.

M. Daniel KAPLAN. - Je vous remercie pour cette introduction. Nous allons au cours de cette table ronde alterner entre les différents acteurs du marché et les collectivités. Nous allons commencer par un opérateur, dont la maison mère est une société suédoise, et qui a une bonne tradition de l'animation de la concurrence. Quelle est votre position dans le domaine du haut débit ? Considérez-vous que les conditions du développement du haut débit sont aujourd'hui réunies en France ?

M. Jean-Louis CONSTANZA, Président-Directeur général de TELE2

Je vous remercie. Effectivement, Télé2 est une société d'origine suédoise, en ce qui me concerne, je suis d'origine corse. La Corse est d'ailleurs un département qui n'est pas très bien desservi en GSM comme en ADSL. Mon point de vue est celui d'un modeste opérateur qui ne dessert qu'entre 10 % et 15 % des clients français. Notons qu'en matière de téléphonie fixe, les parts de marché de Télé2 et Cégétel sont plus ou moins équivalentes.

Je vais vous présenter, en quatre ou cinq points, les éléments qui nous paraissent importants pour réussir dans le domaine du haut débit. Nous avons déjà une réputation dans ce domaine pour avoir un point de vue très marqué sur ce que nous nommons « le livre noir de l'Internet haut débit », et qui a largement contribué aux décisions récentes et successives concernant le dégroupage.

Premièrement. Il est fondamental de raccorder les PME mais il n'y a pas de marché possible, (et le haut débit est un marché de commodité), sans le volume que représente le grand public. Lorsque l'on avancera collectivement (opérateurs, État, collectivités locales), tâchons de ne pas oublier les PME et le grand public. C'est le grand public qui nous fournira le volume et les prix qui nous permettront d'asseoir une industrie.

Je vous rappelle qu'en France, actuellement, à part France Télécom, il n'y a que deux opérateurs rentables. Il s'agit de Cégétel et de Télé2, grâce à leur activité grand public. Ce qui n'est pas le cas des autres opérateurs qui ne parviennent pas à prouver leur pérennité avec une forte rentabilité.

En résumé, nous avons un projet fondamental qui est d'équiper les collèges. Mais consécutivement, il faudra très rapidement équiper les élèves.

En ce qui concerne l'état des lieux sur les technologies, je pense que nous disposons de tous les éléments pour avancer. L'ADSL est une bonne technologie. L'utilisation du réseau cuivre permet d'assurer le haut débit pour les cinq à huit prochaines années, terme indispensable, pour nous permettre à nous opérateurs, de développer ces marchés. Prétendre évoluer plus rapidement reviendrait à faire de l'UMTS sans avoir fait du GSM auparavant. Il faut éviter de parler de ce qui a vainement été signé depuis dix ans, c'est-à-dire la multiplication de la fibre optique, avant que les clients aient appris ce qu'était le haut débit, l'Internet de haute qualité. Laissons le temps à une technologie qui existe de se développer. Nous, opérateurs, sommes encore un certain nombre prêts à le développer.

La boucle locale existe. Elle est dégroupée. Les opérateurs sont assez satisfaits des lois sur le dégroupage. Nous avons beaucoup insisté pour obtenir ces décisions et des régulateurs qui fonctionnent. Ce n'est pas très rentable, car les zones de dégroupage sont peu nombreuses, ce qui freine notre rentabilité, mais cela nous permet d'avancer. La France est en avance sur ce projet, il faut en tirer parti. Ceci concerne le dernier kilomètre.

À l'autre extrémité, nous avons le backbone. Le backbone est un grand réseau qui couvre des villes comme Paris, Lyon, Marseille, Rennes, Toulouse. Ces réseaux appartiennent à France Télécom, mais aussi à Cégétel ou Télé2.

Le débat va porter sur deux points. Premièrement l'équipement des ménages, et deuxièmement, les réseaux de jonctions, c'est-à-dire ceux qui relient les grands backbones à la boucle locale.

Je recommande d'être prudent sur certaines données chiffrées. La France serait prête à investir de 2 à 3 Md€ dans cette petite partie du réseau qu'est le réseau de jonctions. Pour le client final, l'ADSL coûtera bientôt 20 € HT par mois. Ce sera très bientôt le prix du marché. Ce prix sera à moyen terme de 15 €, et 30 % à 40 % des foyers français se connecteront à Internet via l'ADSL. Si l'on multiplie ce chiffre, 3 Md€, par le nombre de foyers français que l'on peut toucher sur une assez longue période, cela représente 300 € par client. Ce qui est absolument considérable. Nous devons nous montrer plus prudents. Il existe peut-être des solutions plus rentables. Avec une somme de 300 €, l'on peut payer à chaque foyer un modem et 6 à 10 mois d'abonnement. Il faut faire attention à ne pas trop s'appuyer sur les réseaux pour satisfaire une demande qui n'a pas encore émergé. Il peut-être plus intéressant de susciter la demande en facilitant l'équipement des foyers.

L'éducation des ménages, les initiatives évoquées en termes d'éducation locale, de formation, sont très importantes. Plusieurs éléments constituent une barrière essentielle. Il s'agit du modem, la complexité, le prix de l'abonnement et l'ordinateur.

Agir directement sur ces points est, au moins, aussi salutaire, que d'agir sur des réseaux qui représentent un aspect encore plus abstrait pour la demande.

De mon point de vue, en tant qu'opérateur, car je n'ai aucune compétence en matière de collectivité, il faut agir en fonction de la demande, agir également sur les réseaux de jonction, entre le Deslam et la boucle locale d'une part, et le backbone d'autre part, là où des zones blanches demeurent. Prévoyons-les dès maintenant. Les zones blanches sont inacceptables. Agissons dans les zones les moins rentables, elles représentent au moins 30 % du territoire. C'est là que l'attention de la puissance publique doit se concentrer. Aujourd'hui, nous sommes en mesure de couvrir des villes comme Paris ou Lyon, nous savons installer des réseaux de jonction avec ceux de France Télécom.

En revanche, nous n'avons pas la technicité suffisante pour agir sur les zones rurales, plus pauvres, où le taux de pénétration d'Internet est plus faible. C'est là qu'il faut agir.

Je rappellerai que dans toutes ces zones, c'est-à-dire sur 80 % du territoire, il existe un réseau : celui de France Télécom.

Le dégroupage concerne la boucle locale, il nous faut agir ensemble pour le faire remonter aux réseaux de jonctions. Les fibres existent, les fourreaux existent, nous les empruntons parfois, mais à des prix qui ne sont pas assez tirés vers les coûts et que l'on peut estimer de quatre à six fois plus chers. Pour faire la jonction entre la fibre optique, qui sera généralisée d'ici 15 à 20 ans, il est plus rapide d'améliorer le dégroupage et de dégrouper les réseaux intermédiaires.

L'autre idée qui est d'investir dans les Deslam communs entre les opérateurs et les collectivités locales est certainement une bonne idée. Cependant, elle pose des problèmes concurrentiels difficiles.

Ces dernières années, Télé2 a été un des seuls acteurs à pousser au dégroupage et au haut débit. Il ne faut pas confondre vitesse et précipitation. Les années 2003 et 2004 nous permettront de lancer ce marché. Le marché et l'outil existent, certains pays nous ont déjà montré le chemin, l'on peut citer la Belgique, la Corée. Pour les dix prochaines années, il faut compter sur le dégroupage et l'ADSL pour couvrir 80 % du territoire au moins, et 100 % dans la mesure où l'on accélère son développement.

Il existe encore, à part France Télécom des concurrents tournés vers le grand public : Cégétel, Télé2, et des concurrents tournés vers les réseaux : LD COM et la partie réseau de Cégétel, ainsi que d'autres concurrents.

Le rôle des collectivités locales est de respecter cette concurrence. Elles devront nous aider à couvrir le territoire. Je ne suis pas vraiment compétent pour répondre à la question du débat, qui est celle du rôle des collectivités locales. Il semble peu probable que les collectivités soient des opérateurs. Des marques ont été construites et coûtent très cher. En France, Télé2 a investi 200 M€ ou 300 M€ pour construire sa marque. Et la marque est un élément qui va attirer le public vers une offre. On peut faire un parallèle avec Bouygues Télécom, Itinéris ou SFR qui ont attiré le public vers le mobile, la marque va y attirer le public vers le haut débit. Et Télé2 espère, dès l'année prochaine, développer une de ses marques propres pour le haut débit.

Il sera très difficile, pour les collectivités locales de développer ce marketing. En revanche, elles peuvent avoir un rôle très fort « d'opérateurs d'opérateurs » et aider à l'infrastructure.

M. Daniel KAPLAN. - Je vous remercie. Nous avons là une réponse claire, bien qu'un peu différente. La démarche est de s'appuyer sur les structures existantes, chercher les volumes, et se préoccuper principalement des zones blanches.

Monsieur Caillaud, vous vivez et travaillez dans un territoire rural. Quelle est votre perception des choses ? Ces éléments vous paraissent-ils pouvoir répondre à votre expérience du terrain ?

M. Dominique CAILLAUD, Député de Vendée

Je me fais l'écho des 30 500 communes que l'on met alternativement en zone blanche, quand il s'agit du téléphone, et en zone noire, lorsque l'on évoque le haut débit. Le résultat est le même. Les communes sont les éternelles oubliées de ce débat et du challenge à venir.

Je partage l'opinion de M. Jean-Louis Constanza. Les collectivités sont lucides, à la fois sur leurs moyens financiers et sur les exigences techniques. Je pense que l'ADSL, même si nos amis suédois nous ont démontré que c'était une étape intermédiaire, représente, dans un premier temps, un support suffisant pour développer le haut débit.

Je souhaite par contre mettre l'accent sur l'urgence. Mon collègue, M. Alain Joyandet, l'a déjà évoqué ce matin. Nous sommes dans la situation que nous avons connue il y a 50 ans avec l'eau ou l'électricité. Le haut débit est une exigence qui doit s'étendre à tout le territoire et pas se limiter aux agglomérations.

Par conséquent, il faut nécessairement un partenariat. Cette exigence de partenariat concerne, au même niveau, toutes collectivités territoriales : la région, le département, les EPCI, car l'on n'oubliera pas les structures de communauté de communes dans ce dossier du haut débit.

Il est à souhaiter que ce partenariat ne porte pas que sur un échantillon urbain surdimensionné, comme c'est souvent le cas - où nous sommes capables de pousser très loin les expérimentations -, mais que celui-ci concerne le territoire entier, conjointement avec des partenaires volontaires. Nous ne devons pas nous contenter d'équiper la ville ou les zones industrielles péri-urbaines. Nous devons aller jusqu'au bout de notre logique et équiper les zones les plus éloignées.

Il est indispensable également d'être en mesure d'appréhender les usages. L'on doit avoir une idée précise des usages sur un territoire donné parmi les usages scolaires, urbains, industriels ainsi que l'usage du particulier, du consommateur rural. À partir de là, il faut réfléchir sur ce qui aujourd'hui, ralentit le développement de l'ADSL. C'est le coût d'équipement, le coût des modems, la consommation à durée déterminée (donc abaisser les tarifs sur la consommation à durée indéterminée). Le haut débit permet une connexion continuelle de l'ordinateur avec l'extérieur. On le laisse en veille, on le réactive. Nous devons avancer, sur la totalité du territoire, en nous basant sur cette logique.

Les collectivités territoriales, y compris les plus petites, doivent s'appuyer sur la pédagogie pour démystifier Internet. Il faut équiper les maisons de retraite, les espaces numériques de proximité, tout- comme les écoles ont été équipées. Cet effort de pédagogie est indispensable pour éviter toute rupture de génération entre ceux qui utilisent intuitivement l'ordinateur et qui ont entre deux et douze ans, la génération qui achète l'ordinateur et qui ne sait pas très bien comment s'en servir, et la troisième génération qui attend les photos de famille par E-mail, sur l'ordinateur de la maison de retraite. Il faut former toutes les générations à Internet si l'on veut que les infrastructures qui seront onéreuses, mais que nous sommes prêts à financer, soient réellement utiles.

Je peux vous confirmer que ce sont bien là les attentes de nos plus modestes territoires.

M. Daniel KAPLAN. - Je vous remercie pour votre point de vue. Monsieur Bertran, vous êtes le centre d'attention lorsque l'on évoque le haut débit. À quel stade en est le déploiement du haut débit pour France Télécom ? Comment envisagez-vous de le développer, en particulier dans les zones rurales ?

M. Philippe BERTRAN, Directeur des Affaires publiques à la direction de la communication et des relations extérieures de FRANCE TELECOM

Nous l'avons constaté tout au long de la journée, le haut débit est une notion relative. Nous ne sommes pas capables d'en donner une définition convenable. Le haut débit évolue en fonction du type d'utilisateurs, en fonction du temps. La notion de haut débit que nous connaissons aujourd'hui sera peut-être différente demain.

Ma seconde remarque porte sur les coûts. Nous avons eu, au cours de l'après-midi, plusieurs exemples sur lesquels il est intéressant d'extrapoler afin de savoir quel serait le coût du haut débit généralisé. J'ai noté que pour Sollentuna Energi, il faut compter, 9 M€ pour 60 000 habitants. Si l'on multiplie cet investissement par la totalité de la population française, 60 millions d'habitants, l'opération est simple. Notez que Sollentuna est une zone urbaine, c'est la banlieue de Stockholm.

Pour un département comme le Rhône, le sénateur M. Tregouët, a communiqué les chiffres ce matin, il faut compter 1,5 MdF pour un million d'habitants, multiplication, conversion, soit 13 Md€, pour la France. Le Rhône est également un département fortement urbanisé. Si l'on généralisait ce type d'investissements à toute la France, qui est un pays comprenant beaucoup de zones rurales, le coût d'un tel réseau représenterait 20 Md€.

Pour les particuliers ou pour les PME, ce que l'on appelle aujourd'hui le haut débit, c'est la vitesse de transmission rendue possible par l'ADSL, et par le câble dans les villes câblées : 500 kilobits - 1 mégabit par seconde.

Où en est-on de la couverture de la France en haut débit ? France Télécom a déployé l'ADSL sur 70 % des lignes environ. Cela signifie qu'environ 70 % des abonnés peuvent accéder à l'ADSL. Environ 1 million d'abonnés sont effectivement connectés à Internet via l'ADSL.

À ces abonnés, il faut ajouter ceux qui reçoivent le haut débit par l'intermédiaire du câble. Cela représente quelques centaines de milliers d'abonnés.

Notre programme de déploiement de l'ADSL nous amène là où nous pouvons trouver une équation économique. D'ici à 2004, nous devrions avoir équipé jusqu'à 85 % des lignes.

Il reste 15 % des lignes. Ce pourcentage correspond aux communes de moins de 5 000 habitants qui ne sont pas directement rattachées à une commune plus importante. Nous n'avons pas, pour ces communes, trouvé de solution économique pour le grand public, quelle que soit la technologie : ADSL, boucle locale radio, qui nécessitent des conditions économiques du même ordre. Et a fortiori, pour le câble. Il n'y a pas de réseau câblé, cela reviendrait trop cher d'en construire un.

Quelles solutions peut-on apporter ?

J'écarte au passage l'idée de la séparation structurelle entre réseau et services. Il faut rappeler que cela n'existe dans aucun pays et les expériences que l'on en a, du type plan-câble, amènent à une certaine prudence. En général, les acteurs de bonne foi qui proposent cette solution n'ont pas suffisamment d'expérience sur la gestion d'un réseau de télécommunications.

Deux choses sont nécessaires pour résoudre la question du haut débit en zone rurale : de l'argent et du droit.

En ce qui concerne le financement, la situation actuelle montre qu'un certain nombre de collectivités locales sont prêtes à investir pour faciliter le développement du haut débit en zone rurale, mais elles ne peuvent le faire, faute de cadre réglementaire adapté. Il est par ailleurs impossible de laisser aux seules collectivités locales concernées toute la charge d'un tel financement. Il serait en effet paradoxal de demander aux collectivités les plus pauvres de financer ce qui est gratuit pour les plus riches.

Des crédits publics sont donc nécessaires. Cependant, ces crédits ne peuvent pas simplement provenir des collectivités locales. Nous avons évoqué, ce matin, les crédits européens que la France ne consomme pas entièrement. Des crédits d'État peuvent être aussi nécessaires.

À l'évidence, si nous ne cherchons pas une péréquation, nous ne ferons que renforcer cette fracture numérique au lieu de la réduire.

En ce qui concerne le cadre juridique à mettre en place, il devra respecter un certain nombre de règles. D'abord, veiller à la neutralité technologique. Ensuite, éviter qu'un opérateur soit avantagé ou désavantagé par rapport à un autre. Enfin, veiller, et je parle ici en tant qu'opérateur, à ce que cela ne freine pas le développement du marché.

Quelles sont les voies possibles ? Que peut-on envisager ?

Il existe plusieurs solutions. Nous pouvons agir sur la commande publique : Si aujourd'hui, une collectivité locale veut financer l'ADSL sur sa zone rurale, le Code des marchés publics l'empêche de passer commande pour autre chose que la satisfaction de ses propres besoins. Or, dans le cas du haut débit, il s'agit bien de mettre un service à la disposition de citoyens et pas à la disposition de la collectivité locale elle-même.

Une autre possibilité pour les collectivités locales serait de s'appuyer sur l'article L. 1511-6 du Code général des collectivités locales, dont on a parlé à plusieurs reprises. Mais cela nécessite de modifier la loi, ou à tout le moins de la compléter. Cette solution ne peut fonctionner en zone rurale que si les tarifs de location consentis par les collectivités locales comportent une partie de subventionnement. Si ce n'est pas le cas, les opérateurs ne s'engageront pas.

Troisième hypothèse. Les collectivités locales, opérateurs dans les zones rurales. C'est un principe évoqué par l'ART, le Président Hubert en parlera peut-être plus tard. Là encore, la difficulté est évidente. Comment certaines collectivités locales rurales pourraient devenir opérateurs ? Pour donner un exemple concret : il y aura toujours moins de ressources dans le Vercors que dans le Rhône. Cela apparaît clairement dans les exemples évoqués ce matin : qu'il s'agisse de Sollentuna, de Sienne, Milan, Stockholm, Cologne, ce sont toujours les grandes collectivités locales qui sont opérateurs.

Enfin, la quatrième solution possible, elle a été elle aussi évoquée par l'ART dans son document du mois de juillet : le subventionnement direct des opérateurs. Les problèmes juridiques se posent là encore. C'est celui des aides de l'État qu'évoquait Maître Dupuis-Toubol précédemment.

Toutes ces solutions possibles nécessitent des ressources et une évolution du droit. France Télécom est prête à s'investir quelle que soit la solution. Cependant, il faut être conscient des enjeux financiers considérables. Sans oublier l'action sur les usages et les services du haut débit. Beaucoup d'intervenants l'ont dit. Je reprends cela à mon compte.

M. Daniel KAPLAN. - Le très bon usage des infrastructures et des services bien sûr !

Monsieur GONNET, les quelque 130 projets soumis par les collectivités qui vous demandent de les co-financer vous offrent un point d'observation formidable. Vous disposez des projets, des options dont vous font part les collectivités, et vous avez complété ces éléments dans l'ouvrage publié, inclus dans le dossier des participants, par une observation de la situation à l'étranger que vous comparez à la situation française.

Que pensez-vous de notre dynamique ? Avez-vous le sentiment que la France est dans le rythme ? Pouvez-vous tirer quelques conclusions de ces comparaisons ?

M. Michel GONNET, Directeur-général adjoint de la Caisse des dépôts et consignations

Effectivement. Nous travaillons au côté des collectivités depuis deux ans, afin d'examiner avec elles les conditions dans lesquelles on peut réduire la fracture numérique.

Je suis tout à fait d'accord avec certains des points qui ont été évoqués et que je vais les reprendre.

Premièrement, il est toujours intéressant de se situer par rapport à ce qui se passe à l'extérieur de nos frontières. Le premier constat avéré que l'on peut faire est que la France n'est pas en avance par rapport à d'autres pays. Il y a un écart important entre les pratiques des collectivités locales françaises et les collectivités locales des pays européens, ou de pays supposés plus libéraux comme les États-Unis.

C'est un élément important.

Deuxièmement, nous devons nous pencher sur les expériences de ces pays car ils sont susceptibles de nous inspirer pour notre action quotidienne en France.

Le premier constat est que tous ces pays ont bénéficié de l'intervention publique. En Grande-Bretagne, il existe depuis plusieurs années un plan gouvernemental. L'objectif de ce pays est d'être le leader européen sur l'accès au haut débit, aussi bien pour les entreprises que pour les particuliers.

Aux États-Unis, puisque nous sommes dans une conjonction dépressive, l'industrie des télécommunications, au sens large du terme, est dans une situation un peu complexe. Les États-Unis ont décidé de soutenir leur industrie en facilitant l'accès au haut débit sur l'ensemble du territoire.

L'intervention publique n'est pas illégitime, je crois qu'elle est même nécessaire. Nous l'avons vu précédemment pour les Italiens et les Suédois.

Par ailleurs, sans insister, puisque cela a déjà été dit, dans la plupart des pays européens, mais aussi aux États-Unis, au Canada, les collectivités locales ont un rôle très important : elles sont opérateurs. C'est un constat sur lequel nous devons réfléchir.

Troisièmement, absolument fondamental : les infrastructures. La création des conditions du marché se fait dans la plupart de ces pays en se fondant sur la demande. Je crois que le Président Jean Faure l'a indiqué à la précédente table ronde : on part du premier kilomètre pour créer les conditions du marché. Si l'on veut attirer les opérateurs pour qu'ils investissent, il nous faut des clients. Il faut donc développer les services, les contenus, les usages. Les jeunes doivent être formés à Internet mais pas uniquement. Il faut tenir compte du vieillissement de la population qui constitue un marché potentiel important. Quand on regarde ce qui s'est fait en Italie, en Suède, en Espagne, en Allemagne, au Canada, en Corée, le développement se fonde effectivement sur les contenus et sur les usages. C'est fondamental. Il ne sert à rien d'entreprendre des travaux sans clientèle potentielle.

Quatrièmement, dans ce segment de clientèle, il est urgent d'agir en fonction des particuliers, mais aussi des entreprises et des PME. Ce sont ces dernières qui sollicitent le haut débit. Pour le particulier, le haut débit ne semble pas être pour l'instant une urgence absolue. En tout cas, la définition n'est pas la même.

Deuxième élément, en tant qu'observateur, il existe des initiatives de la part de certaines collectivités locales. Elles s'intéressent depuis de nombreuses années au haut débit. On cite toujours les mêmes collectivités, mais elles ont eu le mérite de se lancer. Nancy, Issy-les-Moulineaux, Castres-Mazamet, les initiatives des Conseils régionaux sur les backbones, le Méga 10 comme en Bretagne ou en Pays-de-Loire.

Depuis deux ans, on constate une multiplication des projets portés par les collectivités locales. À notre niveau nous traitons 130 projets, mais nous n'en avons pas l'exhaustivité. Parmi eux, on compte 56 départements, 45 agglomérations, et plus d'une dizaine de Conseils régionaux que l'on peut qualifier d'actifs.

Sur cette réflexion, il apparaît que la chaîne formée par les collectivités locales, les intercommunalités, les départements, les régions peut permettre, en partie, de résoudre la difficulté. On peut également s'appuyer sur l'État ou sur les fonds européens. Mais en ce moment, l'État a peu d'argent à investir sur le haut débit, ou sur d'autres projets.

Les collectivités locales ont des projets et des moyens de financement qui leur faut tout de même gérer, mais elles doivent profiter de cette effervescence.

Je n'insiste pas sur l'insécurité juridique, cela a déjà été évoqué. Le cadre actuel n'est effectivement pas adapté. Lorsque nos projets subissent des contrôles de légalité, nous constatons des positions hétérogènes sur un même dossier, ce qui n'est pas étonnant, le cadre juridique étant pour le moins incertain. Quelles sont les solutions ? Opérateur d'opérateur ? Opérateur ? C'est au Gouvernement et à la représentation nationale de l'indiquer. Mais la situation actuelle doit évoluer.

Dernier élément. L'intervention publique, celle des collectivités locales n'est légitime qu'à partir du moment où il y a création des conditions de marché.

Il n'est plus d'actualité de croire qu'une économie administrée déconnectée des besoins du marché et déconnectée des interventions économiques des opérateurs puisse fonctionner.

Qu'est-ce que cela signifie ?

Quand le marché n'existe pas, on peut dire que l'intervention publique est légitime. Nous pensons, à la Caisse des Dépôts, que l'intervention publique est légitime pour accélérer le marché, dès lors que les besoins et les marchés existent (les collectivités locales en constatent bien le besoin sur le terrain). Le marché peut exister, et s'il intervient et fonctionne bien, dans les cinq prochaines années, des territoires seront, par rapport à d'autres, extrêmement défavorisés.

Un deuxième élément me paraît important : dans les conditions du marché, dans l'approche économique, dans le retour sur investissements, nous partons de la logique du territoire. Nous considérons que l'objectif n'est pas de limiter les subventions aux zones noires, mais d'avoir une approche du territoire économique, et d'attirer les opérateurs aussi bien sur les zones grises, blanches ou noires. Il nous paraît préférable d'activer la dépense publique en attirant les opérateurs sur ces territoires, plutôt que de systématiquement subventionner les communes où il n'y aura jamais aucune rentabilité possible. Ce qui signifierait que le contribuable serait « l'acteur-payeur ». C'est un autre modèle que nous ne préconisons pas.

Sur les investissements. La fibre noire ne peut pas être développée sur tout le territoire. Des expérimentations doivent être réalisées, également sur desnovations technologiques, je pense à la technique Wifi dont on a déjà parlé. Les collectivités sont prêtes à participer à ces expériences. Mais les besoins ne sont pas les mêmes selon les populations et les segments de clientèle.

Dernier point. Nous considérons, c'est ce que nous suggérons aux départements et aux régions, qu'il est impératif d'analyser l'offre, et les infrastructures existantes. L'argent public étant rare, il faut éviter les investissements redondants. Il faut essayer d'être très opérationnel. Si la mutualisation ne se développe que dans cinq à dix ans, peut-être faudra-t-il, c'est ce que l'on constate à l'étranger, accepter ponctuellement quelques équipements redondants pour couvrir des besoins immédiats.

M. Daniel KAPLAN. - Merci pour votre analyse sur ces options.

Nous allons nous pencher sur l'une d'entre elles. C'est un exemple qui nous vient d'Allemagne. M. Romain Delavenne, vous représentez une société dont la maison mère est allemande et qui se propose de déployer un modèle « opérateur d'opérateur » sur la base d'expériences positives réalisées dans plusieurs Länder allemands. Pourriez-vous nous décrire ce modèle et la manière dont il pourrait répondre aux questions qui ont été posées autour de cette table ronde ?

M. Romain DELAVENNE, Directeur du marketing LAMBDANET

Au vu de la présentation de la société Sollentuna Energi, il apparaît qu'en Suède, le modèle a été adopté.

Tout d'abord, je souhaiterais répondre à une question soulevée par France Télécom sur l'accès du service haut débit.

Un accès au haut débit suppose la mise à disposition des services de télécommunications à des débits adéquats quels que soient les utilisateurs. Or, aujourd'hui, les utilisateurs finaux sont nombreux. L'on peut citer les particuliers, les PME, les entreprises mais également des universités qui ont un département de recherche.

Pour votre information, certaines applications dans le domaine de la recherche nécessitent 10 Gigabits de capacité. Ces applications fonctionnent entre Prague, Budapest ou Amsterdam, je ne suis pas certain qu'elles puissent fonctionner entre Clermont-Ferrand, Nîmes. Lorsqu'on parle de haut débit, certaines vitesses sont requises par la recherche. Aujourd'hui, en France, nous ne sommes malheureusement pas tout à fait capables d'offrir aux villes et aux universités de telles performances.

La seule façon d'offrir un débit adéquat selon l'utilisateur, qu'il s'agisse de quelques Kilobits par seconde pour les résidentiels, ou des Gigabits pour les universités, c'est la concurrence.

En effet, on ne peut pas garantir le développement du haut débit sur le simple fait d'en assurer la disponibilité aux utilisateurs. L'utilisateur doit pouvoir choisir le fournisseur qui, lui-même, doit être en mesure d'afficher des prix abordables. Le maintien d'une concurrence au niveau des fournisseurs de services haut débit est donc nécessaire.

Or, on assiste aujourd'hui à un constat désenchantant : il est impossible, à l'heure actuelle de concurrencer France Télécom, seul opérateur global. La raison est simple : en France, en dehors d'une vingtaine de villes où des opérateurs sont implantés, le reste du territoire n'est couvert que par France Télécom.

Je pense qu'il est important de savoir ce qu'est aujourd'hui une zone défavorisée en France. C'est tout ce que l'on trouve en dehors de cette vingtaine de villes.

Le premier espace, que l'on considère comme une zone défavorisée, correspond à une région ; ce qui est gigantesque.

Une région, c'est la taille de l'Estonie, or l'Estonie est câblée à 100 %, du résidentiel jusqu'aux universités.

Que pouvons-nous faire ?

Je voudrais, pour répondre, m'appuyer sur l'exemple allemand qui est une référence européenne pour l'accès au haut débit et aux services Internet.

Cette situation s'explique du fait d'un très grand nombre d'opérateurs locaux et régionaux.

Une cinquantaine d'opérateurs régionaux a vu le jour entre 1997 et 1998. Ces opérateurs sont, dans certains cas, des émanations directes des collectivités locales. Ils mettent à la disposition des fournisseurs de services les réseaux haut débit.

Nous sommes biens dans le cas « d'opérateurs d'opérateurs ». La plupart d'entre eux n'offrent pas de services utilisateurs finaux. On peut tout à fait les qualifier d'opérateurs d'économie mixte, presque la totalité ayant l'autorité et la collectivité locale adéquate (que ce soit la ville ou autres zones en Allemagne) qui leur fournit des fonds pour investir et une certaine stabilité financière.

Il est clair que cette structure de marché a permis, à partir de 2000, un fort développement des services aux entreprises mais également aux particuliers.

En ce qui concerne la France, et à l'image de l'Allemagne, le facteur essentiel du déploiement du haut débit s'oriente autour de trois idées majeures : le développement des services réseaux haut débit offerts par les « opérateurs d'opérateurs ». Il ne faut pas se contenter de développer une infrastructure, de type fibre, non productive. Je souhaite, à ce sujet, faire une remarque. En Europe, nous comptons déjà bon nombre de projets de type «opérateurs d'opérateurs ». Les expériences n'ont pas toujours été positives. Cette activité est délicate, il faut en prendre conscience.

Troisième idée. Il faut impérativement que la structure de marché soit en mesure de créer un environnement favorable au développement de la concurrence. En termes concrets, une structure « d'opérateurs d'opérateurs », qui procure aux fournisseurs de service des réseaux de capacité, de façon non discriminatoire et neutre. Ces fournisseurs doivent pouvoir accéder à des réseaux à des prix compétitifs pour leur permettre, à la fois de développer leur service, leur connaissance du marché, ainsi que leur marque. Et, bien évidemment, les utilisateurs finaux qui auront recours à ces services, qu'il s'agisse du résidentiel ou de l'universitaire.

J'insiste sur l'environnement universitaire. Les réseaux de recherche sont un exemple typique de structures financées par des fonds publics. Il suffirait que ceux-ci soient orientés pour le développement de la concurrence : ce pourrait être une solution pour résoudre le problème du financement des réseaux au niveau régional.

Troisièmement. L'intervention publique. Il existe deux points sur lesquels l'intervention publique peut agir. Cette intervention peut s'exprimer au travers du déploiement des réseaux de services dans les zones défavorisées grâce aux investissements et aux subventions, mais également au travers d'une commande publique pour les réseaux haut débit dédiés aux réseaux de recherche. Elle peut aussi concerner la connexion sur les points de dégroupage pour permettre l'accès du haut débit aux résidentiels.

Il est important de contrôler les « opérateurs d'opérateurs ». Un contrôle est nécessaire pour garantir le développement de la concurrence et des offres de services dans des conditions économiques mondiales. Cette régulation implique le contrôle des prix et l'accès de l'offre aux « opérateurs d'opérateurs » dans des conditions non discriminatoires pour l'ensemble des services. Concrètement, il faut impérativement éviter la formation d'un duopole. Personnellement, je préfère encore le monopole de France Télécom, contre lequel on peut se battre !

Un tel modèle permettrait de promouvoir le développement du service haut débit pour l'ensemble des utilisateurs dans des conditions économiques viables. Cela, tout en garantissant le rôle de chacun ainsi que celui de la chaîne du marché des télécommunications qui a fait ses preuves.

En conclusion, tout comme cela a été évoqué par plusieurs intervenants : la détermination des conditions dans lesquelles une collectivité locale pourra jouer un rôle actif d'initiation et de régulation doit se faire au niveau politique. Une prise de décision est nécessaire pour lancer ces quelques idées qui peuvent, peut-être, faire avancer le débat.

M. Daniel KAPLAN. - Je vous remercie. Nous avons là une forme de mutualisation active. Cela nous permet d'aborder la région, dans la mesure où les rôles des infrastructures et la nécessité d'une cohérence ont été évoqués.

Monsieur Harrousseau, dans ce contexte, quelle est votre vision du rôle de la région, en particulier, et comment percevez-vous l'articulation entre le rôle des acteurs nationaux, publiques et privés ?

M. Jean-Luc HARROUSSEAU, Président du Conseil Régional des Pays-de-Loire

Je vous remercie. Je voudrais effectivement vous faire part de notre expérience pour la région Pays-de-Loire, mais également pour la Bretagne, et j'en profite pour saluer mon collègue M. Berteleau, présent dans la salle, qui est le Vice-président du Conseil régional en charge de ce dossier.

Le Président Sido disait que les départements semblent disposés à relever le défi. Les deux régions Bretagne et Pays-de-Loire ont commencé à relever ce défi il y a une dizaine d'années. En 1991, elles ont mis en place, avec l'aide des autres collectivités, départements et villes, ce que l'on a appelé « Le réseau Ouest Recherche ». Ce réseau relie les établissements supérieurs de recherche entre eux mais aussi au réseau national.

C'est la fin du contrat, qui nous liait avec le seul opérateur de l'époque, France Télécom, qui nous a amenés à mettre en place une réflexion à l'échelle régionale pour préparer l'avenir. Nous avons commencé en 1996-1997. Elle a abouti au réseau Méga 10, qui a la caractéristique d'être régional (Méga 10 Bretagne, Méga 10 Pays-de-Loire), et d'être un réseau d'offres de services et non pas une infrastructure.

Pour quelles raisons nous sommes-nous lancés sur le marché du haut débit ?

La première raison concerne l'aménagement du territoire. Les régions sont disposées à développer les projets en maîtrisant leur coût. La deuxième raison est la stimulation du développement économique de la région, en permettant l'implantation d'entreprises susceptibles d'avoir recours au haut débit, mais aussi en stimulant de nouveaux usages, de nouvelles technologies, de nouveaux programmes, et donc de nouvelles entreprises. La troisième raison, sur laquelle je voudrai mettre l'accent, c'est notre rôle de formation. Le réseau haut débit s'associe à une activité de promotion des technologies d'information et de communication dont je dirai un mot ultérieurement.

Pourquoi notre choix s'est-il porté sur un réseau de services et non pas de fibres ?

En premier lieu, du fait de notre avance, la réglementation ne nous permettait pas une autre alternative. Je vous rappelle que c'était en 1997.

Seconde raison. Nous voulions agir rapidement. J'ai beaucoup apprécié l'intervention de mon ami Dominique Caillaud au nom des petites villes de France. Effectivement, nous sommes déjà en retard. Il est impératif de rattraper ce retard. Nous avons jugé qu'il serait plus judicieux de tirer profit des infrastructures existantes plutôt que d'en créer de nouvelles. J'ajoute que la maîtrise des budgets était également un aspect de notre décision.

La fibre est un métier différent. Cette activité aurait nécessité l'actualisation et l'entretien des équipements et des interfaces, ce qui, à l'époque, et peut-être même aujourd'hui, n'était pas envisageable pour une collectivité locale. Une collectivité locale ne doit pas être un opérateur de télécommunications, avec tout ce que cela implique.

En conséquence, nous avons choisi de mettre en place ce réseau de services selon la procédure d'appel d'offres habituelle. Et l'opérateur actuel pour les deux régions est France Télécom.

Notre réseau nous donne entière satisfaction, au moins en Pays-de-Loire. Dans notre région, nous avons 21 points d'accès métropolitains situés dans les structures d'enseignement supérieur de recherche ou dans les hôpitaux. L'une de nos motivations pour la mise en place du nouveau réseau était l'intérêt de la communauté médicale, pour des raisons de soins, pour la visio-conférence, pour les transmissions de dossiers ou d'images. Ces 21 villes sont reliées par backbone régional. Nous nous appuyons sur des réseaux métropolitains en place dans notre région. S'ils n'existent pas, nous louons les liaisons. De plus, il existe une interconnexion entre les deux réseaux : Méga 10 Bretagne et Pays-de-Loire et l'interconnexion avec le réseau Renater 2.

La région Bretagne a pris de l'avance sur nous. Elle a lancé son programme Méga 10 en 2000. Il a été lancé au début de l'année 2001, en ce qui nous concerne. Le bilan est extrêmement positif. Les deux régions, l'ouest de la France, regroupent 46 % des centres ATM haut débit de France. Cette configuration nous a permis d'être une région attractive pour le déploiement d'ADSL, ce qui nous procure une certaine avance.

Troisièmement. L'opérateur qui a été retenu a souhaité rentabiliser ces infrastructures. Cela a permis d'équiper les entreprises à moindre coût, même si nous ne sommes pas intervenus directement. Actuellement, les coûts diminuent et les débits augmentent. À titre d'exemple : en trois ans, un établissement de recherche a vu son débit multiplié par dix, et cela au même coût.

Ce dont nous sommes le plus satisfaits, c'est la réflexion que nous avons menée pour développer de nouveaux usages.

Nous avons mis en place une structure qui gère le réseau. C'est un syndicat mixte, financé à 70 % par la région Pays-de-Loire qui finance, également le réseau. Les cinq Conseils régionaux de la région, les grandes villes, ainsi que ce syndicat mixte se sont dotés d'une cellule opérationnelle de formation, et en particulier de formation du public. Tous les publics ne savent pas forcément comment utiliser le haut débit, c'était le cas dans les hôpitaux. Cette cellule opérationnelle a eu comme mission de préparer des appels à projets pour de nouveaux usages.

Grâce à cette mission nous avons reçu, au cours des années 2001 et 2002, 132 projets satisfaisants et innovants. Nous en avons financé une trentaine sur les deux années.

Ces projets ont permis de développer de nouveaux usages, notamment dans le domaine des collectivités, dans le domaine de la santé, et même de la culture.

Partant de ce constat favorable, quel est notre avenir ? Et comment organiserons-nous, dans le futur, les collaborations déjà existantes avec les autres collectivités?

L'étape supérieure concerne la demande des élus des zones plus modestes, et surtout des entrepreneurs qui souhaitent s'installer dans les petites villes. L'objectif est de développer notre maillage régional.

Nous avons lancé, pour les deux régions, un appel d'offres pour un deuxième périmètre. Nous avons fait cette démarche dans le respect du cadre juridique actuel, mais en espérant que le Conseil d'État tranche favorablement pour une révision de ce fameux article.

Nous souhaitons équiper les collectivités publiques d'intérêt général. Parallèlement aux structures d'enseignement supérieur de recherche et aux hôpitaux déjà servis par le premier périmètre, nous avons fait un second appel d'offres pour développer le haut débit en direction des collèges, des lycées, des bibliothèques, des centres de culture, des centres de tourisme et des collectivités elles-mêmes. Ce deuxième projet concerne le satellite.

Nous ne couvrirons certainement pas la totalité des communes, mais ce deuxième périmètre nous permettra de mailler davantage le territoire et d'assurer le haut débit à d'autres communautés d'intérêt. Tel est notre projet.

Nous avons évoqué les zones non desservies par le haut débit, les petites communes. Nous avons, en collaboration avec la Région Bretagne, lancé un appel d'offres pour tester une autre possibilité : le satellite. Le satellite peut être une alternative pour les zones que ne seront sans doute jamais desservies par l'ADSL.

Notre avons une forte volonté de développement. Un intervenant a mis l'accent sur la nécessité d'une volonté politique importante. Nous avons cette volonté. Nous le prouvons depuis plus de dix ans. Nous avons proposé de mener une expérience sur le haut débit en Pays-de-Loire. Nous souhaitons préparer la fin du contrat qui nous lie à France Télécom, c'est un contrat de six ans. Nous entendons préparer l'avenir en collaboration avec les autres collectivités. Le Président du Conseil général de Maine-et-Loire représente un des départements les plus motivés par le maillage et par l'utilisation des fibres, en s'appuyant, par exemple, sur les réseaux EDF, RTE. Nous souhaitons, là où il n'y a pas de concurrence, associer les moyens, et en particulier ceux des collectivités dans de nouvelles responsabilités que l'État pourrait transférer, bien que l'État n'ait pas encore pris de position en matière d'équipement, plutôt une responsabilité qui pourrait être confiée aux régions en association avec les départements et les villes.

M. Daniel KAPLAN. - Je vous remercie.

Monsieur Adnot, on a largement mis l'accent sur les priorités possibles. Qu'en est-il de la hiérarchie (volume, vitesse, ouverture, grand public, infrastructure, usages...). Quelles sont vos synthèses ? Quelle est la situation de votre territoire ?

M. Philippe ADNOT, sénateur et Président du Conseil général de l'Aube

Lorsque l'on préside une telle séance, il est essentiel de veiller au bon déroulement des interventions. Voilà une activité reposante. L'objectif n'est pas d'être le meilleur spécialiste, mais d'agir comme si nous étions de parfaits néophytes. Je voudrais remercier les organisateurs de cette réunion, le Sénat et la Caisse des dépôts. Ces rencontres sont un bon moyen pour l'approche d'un choix efficace.

Ce n'est pas pratique de commencer lorsque l'on a une vision approximative du sujet. Il est laborieux de se faire une idée en se fondant sur les cas évoqués : « en dessous de 5 000 habitants, pas d'ADSL possible, « là-bas, cela peut aller plus vite », « ici, nous réalisons une expérience plutôt axée sur les réseaux de service, mais on ne pourra pas aller jusqu'à 1 000 habitants ».

Je n'ai pas de chance. Mon département est composé de 430 communes, dont 425 ont moins de 1 000 habitants, ce ne sera donc pas facile !

Mes principales idées sont les suivantes. L'État ne peut pas se soustraire à ce dossier. Comme vous l'avez dit, on ne peut pas laisser aux collectivités les plus faibles la responsabilité de tout assumer. L'État peut apporter sa contribution de plusieurs manières. Il peut fournir les ressources financières. J'ai cru comprendre que les budgets étaient compressés. Mais, l'État peut également s'appuyer sur un cahier des charges : que requiert-on des opérateurs pour leur permettre de développer leurs projets ?

Je regrette que les licences UMTS aient été négligées dans cette problématique. Il est peut-être encore temps d'étudier ce dossier. Il est certain que l'État ne pourra pas être absent.

D'autre part, l'on ne peut pas se contenter de raisonner uniquement en fonction du réseau. Il convient également de penser aux usages ainsi qu'aux utilisateurs.

C'est le cas, par exemple, dans mon département, où nous travaillons massivement sur le développement des usages et la question des utilisateurs.

Deux sujets n'ont pas été évoqués dans ce colloque : les récents progrès en matière de technologies. Nous parlons toujours de la boucle, de la fibre, de l'ADSL etc.... Mais il existe actuellement des innovations technologiques qui vont faire baisser les coûts considérablement. Un laboratoire de recherche a démontré ce qui pouvait être fait en matière de nanotechnologie, pour réduire les coûts d'un certain nombre de connexions. Les évolutions peuvent être rapides.

La formation des hommes a également été peu évoquée. Il n'y a pas que la formation des usagers. De nos jours, en France, l'on note un manque de formations à l'utilisation de l'Internet et des réseaux. Ces formations sont nécessaires pour utiliser ces technologies d'une manière optimale, ainsi que pour tirer le meilleur parti des réseaux.

Ce matin, je présidais le conseil d'administration d'une université qui forme des ingénieurs. Il a été décidé de confier à un département l'aspect formation. Ainsi, demain l'on pourra adapter à tous les moyens techniques que l'on va mettre à disposition des futurs utilisateurs, en fonction de leurs besoins.

Cela suppose la nécessité de disposer de collaborateurs en mesure de nous aider à tirer le meilleur parti des structures existantes. La France a un retard considérable en ce domaine. Peu de personnes ont une formation spécialisée.

Ces expériences nécessiteront d'être validées. Une expérience non validée par un tiers n'est d'aucune utilité pour les futurs utilisateurs.

Il est utile de parler de ces expérimentations. Mais il ne faut pas négliger que, d'une manière générale, elles sont présentées par ceux qui en sont à l'origine. La présentation est donc susceptible de manquer d'objectivité. L'on pourrait éventuellement omettre d'évoquer les coûts réels.

En conséquence, il conviendrait, ce pourrait être un dossier pour ta Commission, Bruno, que les parlementaires fassent une analyse de ces expériences, en s'appuyant, si nécessaire, sur l'aide d'un cabinet spécialisé.

Je suis, par ailleurs, Président de la commission des finances des départements de France, et à ce titre, je peux vous dire que nous n'avons pas davantage de ressources que l'État. Cependant, nous avons la volonté d'aménager notre territoire. Mais le contribuable ne fait pas toujours la séparation entre ce que nous lui prélevons, au titre de l'État, et ce que nous lui prélevons, au titre des collectivités locales. Notre devoir à tous est d'optimiser nos dépenses, de façon à obtenir le meilleur rapport qualité/prix. Cela suppose de bien chiffrer les expérimentations, d'en suivre le déroulement et commencer par développer le marché.

La semaine dernière, Porte de Versailles, s'est tenu un colloque, en présence de tous les grands acteurs mondiaux de l'informatique. Au cours de l'une des conférences, ce même sujet a été évoqué. À l'issue de la conférence, à laquelle je participais, un chef d'entreprise m'a demandé quelle pourrait être l'action de l'État dans la région Rhône-Alpes. Il possède une société qui désire développer l'utilisation d'Internet dans les PME, mais les PME n'en ont pas besoin. Ne parvenant pas à créer un marché, il travaille avec les collectivités locales. Cet exemple témoigne qu'il ne faut pas développer l'infrastructure indépendamment de l'usage et des usagers. C'est le volume des utilisateurs qui nous permettra d'optimiser les coûts.

Il est important d'en avoir conscience.

Nous sommes tous convaincus par la nécessité du haut débit. Cependant, l'on peut aussi commencer par utiliser Internet chez soi, à partir de son téléphone.

À titre personnel, et à titre d'exemple, lorsque je téléphone à mon fils qui est à Séoul, avec une webcam et une ligne de téléphone ordinaire, cela fonctionne très bien. Par conséquent, il faut commencer par développer les usages pour ensuite optimiser l'ensemble.

J'espère avoir répondu à votre question.

Pour résumer. Il est nécessaire d'étudier le contenu, les usages. Il faut optimiser l'utilisation des réseaux grâce à un apport de « matière grise » dédiée à cette nouvelle compétence. Je rappelle qu'à l'heure actuelle, il existe très peu de formation. Il faut valider les expériences, de manière à optimiser l'argent public. Enfin, il faudra bien que l'État soutienne les collectivités les moins bien pourvues, soit par cahier des charges, soit par investissement direct. Si l'État n'investit pas, il n'y aura pas d'aménagement du territoire possible.

M. Daniel KAPLAN. - Je vous remercie. Effectivement vous avez répondu aux questions prioritaires. Vous avez parlé à titre personnel, et c'est l'une des richesses de ce débat. Il est en effet intéressant de voir, comment sans forcément converger, chaque acteur tire, à partir de son expérience, des conclusions très personnelles. Conclusions assez indépendantes d'ailleurs d'une position institutionnelle.

Monsieur Hubert, depuis que la réflexion sur le cadre s'est engagée, en avril, vous avez développé un certain nombre d'hypothèses nouvelles, et particulièrement sur le cadre d'intervention des collectivités territoriales. Constate-t-on des évolutions ? Que faut-il changer ?

M. Jean-Michel HUBERT, Président de l'Autorité de Régulation des Télécommunications (ART)

Je vous remercie d'évoquer l'action que nous menons au sein de l'ART. D'ailleurs, nous nous exprimons sur les collectivités territoriales, sur les bases des idées évoquées autour de cette table ronde, depuis le mois d'avril.

Si vous le permettez, avant de parler plus précisément des collectivités territoriales, de la puissance publique et de leur rôle, je souhaiterais évoquer un aspect plus large. Le mot a été prononcé plusieurs fois : c'est la notion de marché.

Je ne reviens pas sur la définition du haut débit, ni sur les différentes catégories de débits qui rentrent dans cette définition. Ce qui me paraît important, et le sénateur Philippe Adnot l'a mentionné, c'est que notre objectif final doit être la satisfaction réelle d'un utilisateur. Satisfaction au bon moment, au bon endroit et, le cas échéant, avec le bon débit.

La question de l'amélioration de la couverture du territoire en services de télécommunications innovants et à des prix compétitifs est une question générale.

Un des points est clairement acquis. Il s'agit de l'attente exprimée par les utilisateurs, aussi bien publics, que privés ainsi que l'orientation exprimée par les autorités en charge du développement économique et social. Que faire au vu de ces conditions ?

Voici la réponse que je souhaite apporter, et c'est le fil directeur de mon propos. La réponse doit résulter de la complémentarité entre l'activité dynamique d'une industrie forte et innovante et l'intervention publique, que celle-ci soit nationale, territoriale et même européenne, dès le moment où elle se fait ressentir.

Le régulateur, qui a pour mission de mettre en oeuvre la politique publique pour le développement du marché, contribue à ces deux aspects par le biais de décisions et de recommandations. Ces deux approches, sont, à mon sens, indissociables.

À cet égard, permettez-moi de dire quelques mots sur la situation du marché, et sur des éléments positifs, tout n'est pas négatif dans ce qu'il peut apporter.

Ceci ne relève pas d'une attitude dogmatique mais d'une conviction forgée, et à l'épreuve des faits. Si l'on se penche sur les orientations qui ont pu être retenues sur le dégroupage (l'apparition de formules de consommation innovantes, forfaitisation, connexion illimitée, les baisses de prix intervenues), ce sont là autant d'éléments favorables au développement des usages, et en particulier à l'expression toujours croissante. Sur ces bases, je ne voudrais pas laisser croire que le marché français n'a pas de dynamisme et que la concurrence innovante n'y est pas présente.

Je voudrais également souligner que l'émulation et la complémentarité entre les différentes technologies d'accès au haut débit me paraissent être une des clefs du développement sur l'ensemble du territoire.

Aujourd'hui en France, l'accès à l'Internet via les réseaux câblés concerne plus de 200 000 personnes ; l'ADSL compte 500 000 abonnés. Ces deux modes d'accès sont complémentaires et on peut observer dans les pays européens qui ont choisi de développer simultanément ces deux modes d'accès que cette confrontation est dynamique. De même, quelles que soient les difficultés constatées, je garde confiance dans les potentialités de la boucle locale radio, y compris en milieux rural et semi-rural.

Je considère qu'il est nécessaire de lever un certain nombre d'obstacles au développement de l'accès Internet par satellite, par exemple, en réduisant le montant de certaines taxes et si nous ne croyions pas, au sein de l'ART, à la diversité des technologies, nous n'aurions pas pris les décisions sur les lignes directrices en faveur du développement de la technologie Wifi sur les réseaux locaux dits RLAN.

Les baisses de prix animent également le marché. Si, à l'heure actuelle, vous avez pu noter que, depuis début septembre, le marché s'est singulièrement animé, c'est parce qu'à l'issue des longues négociations avec France Télécom et les opérateurs, l'offre globale de l'opérateur historique, à destination des opérateurs alternatifs et des fournisseurs d'accès, a baissé de 25 % à 40 %.

Ce sont là des effets tangibles du marché. Mais le marché est encore jeune et instable. Il n'est pas en mesure de répondre, par sa seule dynamique et à la vitesse requise, à une demande considérable.

Gardons-nous, pour autant, de toute tentation d'oublier ce qu'il a apporté.

Mais n'oublions pas non plus une des missions de l'ART qui est de veiller à l'intérêt des territoires. Cet aspect est présent dans toutes nos décisions. Sur ce plan, j'estime qu'il ne faut pas faire de distinction entre les territoires les plus urbains, les plus ruraux, les grandes agglomérations et les petites communes. Nous sommes ici pour éviter que la fracture numérique ne se crée. Et au regard de certains propos que j'ai entendus (15 % de communes inférieures à 5 000 habitants qualifiées de petits territoires), il faut savoir que le régulateur a une égale préoccupation pour tout le territoire.

Nous l'avons prouvé à travers un autre dossier, que je n'évoquerai pas longuement, même si avec le sénateur Bruno Sido, nous pourrions faire converger nos réflexions et nos approches respectives : celles du Sénat et celles que l'ART a recommandées pour finaliser la couverture du territoire en téléphone immobile.

Dans ce qui a été retenu, il y a une bonne articulation entre la concurrence et l'intervention publique par une approche pragmatique qui acte l'engagement simultané des trois opérateurs : la confirmation de l'itinérance locale et un investissement soutenu par l'intervention financière de l'État et des collectivités territoriales. C'est là une approche utile, qui peut être un bon exemple pour consolider un dispositif qui doit engendrer la croissance.

Dans quel cadre les collectivités sont-elles susceptibles d'intervenir, alors même que la légitimité de leur intervention n'est pas un élément récent ?

Dans la loi de 1999, il était déjà reconnu un droit à la création d'infrastructures de télécommunications. À l'époque, deux objectifs avaient été particulièrement soulignés : favoriser la présence d'offres alternatives à celles de l'opérateur historique et conforter le développement économique du pays. Il faut rester attaché à ces deux objectifs.

Le texte de 1999 a été opportunément assoupli en 2001, notamment par la suppression de la reconnaissance du constat de carence.

À présent, un nouveau programme doit être mis en oeuvre dans la double perspective de l'aménagement du territoire et en tenant compte de l'exigence de neutralité concurrentielle.

Avant d'évoquer la manière dont les collectivités peuvent intervenir, je voudrais dire que j'ai pleinement conscience des propos qui ont reconnu la grande diversité des besoins et des approches exprimés à travers les collectivités territoriales. M. Michel Gonnet a notamment mis l'accent sur ce point.

Diversité dans les compétences, diversité des caractéristiques socio-économiques de ces territoires et diversité des initiatives qui ont pu être prises jusqu'à présent. En effet, les collectivités manifestent des perspectives différentes. Certaines se situent, avec des structures ad hoc, à la limite de l'exploitation d'un réseau, d'autres s'engageant davantage vers la voie de l'intervention financière.

Deux conclusions sont à retenir de cette constatation concernant le cadre juridique, l'avenir et sa précision. Il s'agit, d'une part, de la souplesse dont il doit faire preuve pour tenir compte de cette diversité. D'autre part, il est nécessaire que le cadre juridique permette d'encadrer des initiatives de manière à ce que soit respectée la cohérence technique des réseaux ouverts au public : c'est une caractéristique spécifique et fondamentale d'un réseau de télécommunications. Ce que l'on ne retrouve pas forcément dans d'autres domaines, comme par exemple le chemin de fer.

Concernant l'article L. 1511-6 du Code des collectivités territoriales, il serait opportun de clarifier la distinction entre le rôle que peuvent jouer les collectivités d'une part, pour favoriser financièrement l'installation des opérateurs et, d'autre part, le rôle des opérateurs dans l'exercice de leur activité.

Aujourd'hui, les collectivités ne peuvent pas subventionner les opérateurs en toute sécurité juridique.

En ce qui concerne les réseaux de télécommunications, l'ART a suggéré au mois de juillet que l'on puisse revenir sur l'interdiction faite aux collectivités d'exercer l'activité d'opérateur : telle est aujourd'hui la position de la loi.

Je maintiens cette suggestion. Je précise qu'à mon sens, c'est l'activité d'établissement de réseau qui est plus particulièrement concernée, car il me semble que l'activité d'exploitation et, a fortiori, l'activité de services (mais peut-être que nous n'avons pas la même définition des autres services que M. Harrousseau), sont d'une autre nature. Il me semble qu'il appartient au Gouvernement et au Parlement d'en apprécier le principe et la portée.

Voici, en termes simples, ce qui me semble être une ligne directrice souhaitable. Il faut reconnaître que les collectivités territoriales ne sont pas uniquement des banquiers et, a contrario, il est dangereux (mais ce n'est peut-être pas le point de vue du Gouvernement) de les engager sur un dispositif assumant trop de risques liés à une exploitation dans un marché qui, au cours des dernières années, nous a montré l'ampleur de sa réalité.

En tout état de cause, l'intervention des collectivités doit être assortie d'un certain nombre de critères. Il faut rester en accord avec les règles de la concurrence qui est utile et efficace. Pour conclure, je voudrais vous dire l'importance que j'attache, dans cette évolution, à l'adaptation de la régulation face à ce nouvel environnement qu'est l'action territoriale et publique en matière de télécommunications.

Il me paraît, en effet, indispensable de coordonner et de formaliser, d'une manière cohérente, les bases de ce développement, en instaurant les contacts, les échanges d'information, l'appui technique, d'autant plus si les collectivités territoriales sont amenées à exercer le rôle d'opérateur de télécommunications. C'est une dimension sur laquelle nous devons réfléchir, afin, entre autres, de maintenir les cohérences des caractéristiques et de l'évolution technique de tous les maillons du réseau pour en garantir la sécurité et l'inter-opérabilité, et, par ailleurs, maintenir la sauvegarde de l'égalité de traitement entre opérateurs dans l'accès aux ressources publiques, financières, ou domaniales.

Sur ces différents sujets, un certain nombre de passerelles, d'échanges, de réflexions ont été déjà engagés. Je me réjouis de pouvoir participer à cette table ronde. Je remercie tout particulièrement le Sénat et la Caisse des Dépôts d'avoir contribué à apporter quelques passerelles supplémentaires dans cette discussion.

(Applaudissements).

M. Philippe ADNOT. - Nous allons remercier M. Hubert. Je crois, Madame, que vous ne prendrez la parole qu'en présence de M. le Ministre. C'est parfait, puisque nous avons longuement expliqué qu'il fallait nous baser sur les besoins du marché pour agir, nous allons nous appuyer sur les besoins de la salle, pour savoir si ce qui a été dit correspond à ce que vous attendiez. Vous avez donc la parole.

Mme Josette DURRIEU. - Merci M. le Président. Josette Durrieu, sénateur des Hautes-Pyrénées. Pour compléter votre propos, nous sommes le département qui compte le plus grand nombre de petites communes de moins de 100 habitants, autant dire que nos problèmes sont à la hauteur des difficultés que vous avez précédemment évoquées.

Je suis pleine d'admiration pour l'Estonie. Si ce territoire est câblé à 100 %, certaines réserves exprimées par rapport à l'élargissement pourront être levées...

Il faut retenir les mots importants prononcés ici : « carence » et « aménagement ». C'est bien de cela dont il est question. Nous sommes tous responsables. J'ai entendu, ce matin, le sénateur Trégouët parler « d'anticipation » et également de « contractualisation », notamment avec France Télécom.

Voici un petit problème qui illustre les difficultés que l'on peut rencontrer en matière d'aménagement du territoire avec les technologies dont nous avons beaucoup parlé. Comme vous l'avez dit, je ne serai pas objective, puisque je veux parler de quelque chose qui me concerne, avec toutes les difficultés que cela implique, en remerciant ceux qui m'accompagnent, les responsables de la Caisse des dépôts, la DATAR et la région. Et je salue Alain Beneteau et tous ceux qui connaissent parfaitement le problème.

Vous l'avez mentionné précédemment, réaliser « les derniers mètres » : la difficulté est probablement là. Lorsque l'on a l'ambition d'anticiper, et de porter un projet qui est devenu majeur, un projet pilote dans nos régions, mais aussi en France, un projet d'incubateur d'entreprises, le CETIR (Centre européen des technologies de l'information en milieu rural), monté avec l'entreprise Matra, aujourd'hui EADS, ce n'est pas rien dans le milieu rural. Dans une petite communauté de communes que je préside, je peux vous assurer que nous sommes au coeur de la demande rurale et donc au coeur de toutes les difficultés. Mais nous avons l'ambition d'affirmer que l'on peut probablement réindustrialiser l'espace rural à partir de ce projet et des NTIC, et que l'on peut probablement relancer l'économie d'un département qui était éminemment industriel.

Le résultat est que nous avons créé 454 emplois en un an et demi, dont une centaine sur le site. Le reste sur le département des Hautes-Pyrénées, de façon directe et indirecte. Et bien, malgré cela, nous n'avons toujours ni l'ADSL, ni le haut débit !

Cela fait huit mois que je mène cette bataille. Les principaux décideurs sont réunis autour de la table, mais nous n'obtenons toujours pas de résultats.

C'est l'exemple même du blocage et de l'absurdité, et je regrette que cela tombe sur nous malgré tout ce que nous faisons. J'ai sous les yeux la carte Télécom des Hautes-Pyrénées avec les réseaux de haut débit, M. Bertran. Vous connaissez bien le problème. Je n'aurais pas la cruauté de dire qu'il y a trois ou quatre ans, nous avions déjà un déploiement de 3 200 kilomètres de gaine. J'en vois le double sur cette carte. Je ne sais pas à combien de kilomètres nous en sommes aujourd'hui. Quel en est le coût et à quoi cela sert-il ? J'ai presque envie de dire : à rien.

Voilà la situation : il fallait tirer une bretelle de 10 kilomètres depuis le réseau France Télécom ou 300 mètres à partir du réseau A.S.F. Depuis huit mois, le problème technique n'est pas résolu. Pas plus que le problème juridique. Et l'on n'a pas non plus abordé le problème financier.

À mon avis, c'est d'ailleurs secondaire. Le projet, s'il est bon, sera financé, c'est évident. Que font les élus tous les jours, sinon chercher et trouver de l'argent ? Quand le projet est viable, il est financé.

Je suis heureuse que ce débat se tienne, aujourd'hui ici, au Sénat. J'espère que ce débat nous permettra de progresser. Mais au coeur du problème, il y a la rentabilité, c'est évident. La rentabilité est essentielle pour l'opérateur. Mais il y a aussi cette absence de volonté qui bloque toute avancée.

Monsieur le Président de l'ART, vous avez dit : pour le haut débit, il faut savoir si c'est « le bon endroit », « le bon moment », « le bon débit ». Vous avez posé les trois vrais problèmes. Moi, je suis sûre d'une chose : je ne suis pas au bon endroit !

(Applaudissements) (Rires dans l'assistance).

M. Philippe ADNOT. Vous avez eu le plaisir de nous écouter. Il en est de même pour nous.

M. Bertran ne peut pas faire autrement que de prendre la parole.

M. Philippe BERTRAN. - Je la prendrai volontiers, mais brièvement. Madame Durrieu et moi avons souvent eu cette discussion. Elle a donné elle-même la réponse : c'est un problème de rentabilité. Cela rejoint ce que j'ai dit. Mais nous avons également des problèmes financiers et juridiques.

Le problème financier peut être résolu si la collectivité locale est prête à investir de l'argent ; le problème juridique demeure.

Le constat est simple : Si France Télécom, ou un autre opérateur, ne dessert pas telle ou telle région du territoire, c'est parce que l'on ne trouve pas d'équilibre économique pour le haut débit.

M. Philippe ADNOT. - Je pense qu'il doit bien y avoir une solution. On nous en fera certainement part.

M. Jean-Michel HUBERT. - À l'observation de Mme le sénateur, je voudrais ajouter que je ne connais pas dans le détail le dossier qu'elle a mentionné. Je connais deux ou trois dossiers que l'on peut qualifier de « petites communes » inférieures en tout cas à 5 000 habitants, où il apparaît clairement que des solutions techniques fonctionnent. Cependant, Mme Durrieu pose, comme l'a mentionné M. Bertran, un objectif immédiat de rentabilité pour l'opérateur.

J'ai, à travers ces quelques cas, une idée sûre des solutions qu'il faudra mettre en oeuvre. Mais je dis simplement à Mme Durrieu, que si nous n'arrivons pas à apporter une réponse à la question que vous posez, cela signifie que nous activons la création de la fracture numérique. C'est la raison pour laquelle je ne m'incline pas devant ces difficultés. Nous devons nous appuyer sur les aspects financiers, juridiques, pour rechercher des solutions qu'il faudra adapter selon les cas, la diversité du territoire et des problèmes. Mais je considère qu'apporter une réponse à votre question est un enjeu incontournable, dans un délai relativement rapide.

Intervenant. - En France, on réfléchit au backbone régional, voire départemental, et après on se pose la question du dernier kilomètre. Alors que pour réussir, et nous avons des exemples, il faut se poser la question du premier kilomètre. Certains pays sont réellement dans une logique « local ». Aux États-Unis, les « utilities », comme l'électricité, sont des services gérés ville par ville avec des structures qui sont détenues par les communes. Celles-ci développent les réseaux, sans se poser la question de savoir s'il s'agit de télévision ou d'Internet. Elles ont un réseau et une offre de services uniques.

Les villes américaines, et je rejoins M. Jean-Louis Constanza, se préoccupent réellement de ce qui se passe au niveau de l'usager, de son service, de son équipement etc., et elles se posent la question du premier kilomètre. Aux États-Unis, l'on ne se préoccupe pas de ce qui va se passer au niveau de la région ou de la ville, etc. C'est une considération naturelle : l'on cherche toujours la meilleure solution et le réseau se construit. C'est un exemple qu'il faut prendre en compte.

L'approche du plan de financement est totalement différente. Il existe des modèles au Canada, aux États-Unis, en Suède. Le projet de Stockholm est plus particulier, mais en Suède sur 280 communes, 210 ont des projets locaux qui débouchent ensuite sur d'autres besoins. Le réseau existe et l'on s'appuie dessus pour raccorder les maisons directement en haut débit, par exemple. Il y un a projet initial, mais il évolue en fonction des besoins des gens.

C'est important. D'autant plus qu'avec les nouvelles directives, se prépare une petite révolution. Actuellement, nous avons un régime d'autorisation de licence individuelle, tout cela va disparaître, tout comme les régimes spéciaux pour les réseaux câblés.

À ce propos, j'aimerais avoir une réponse de M. Jean-Michel Hubert. L'on parle des droits des collectivités et d'une intervention très intéressante dès la transposition des directives. Comment situez-vous les perspectives que vous évoquez pour les collectivités face à la nouvelle réglementation ?

M. Jean-Michel HUBERT. - Il est certain que l'un des enjeux majeurs de l'année prochaine sera la transposition des directives. Elles sont à la fois assez claires, sans mauvais jeu de mots, mais elles peuvent, par ailleurs, laisser quelques éléments de flexibilité. Il est vrai que le positionnement des collectivités locales dans le futur dispositif, et notamment en ce qui concerne l'autorisation générale qui va se substituer aux autorisations spécifiques, que nous connaissons bien, nous opérateurs, de services téléphoniques, sera un des points politiquement importants du débat qui va s'ouvrir.

Je crois simplement que pour trouver la bonne insertion de cette question dans le cadre de la future transposition, sans doute faut-il qu'un certain nombre des thèmes sur lesquels nous débattons, trouvent un éclaircissement, afin d'être en cohérence avec le cadre même des directives.

M. Etienne ANDREUX. - SIPPEREC - Première remarque : il a été dit qu'il y avait une possibilité d'intervention des collectivités locales par le biais de la demande, et notamment pour faire du marché public. Le SIPPEREC a pris l'initiative d'un groupement de collectivités qui permet d'avoir un marché de taille plus importante, un allotissement plus complet, et donc d'avoir une diversité d'opérateurs qui puissent répondre. C'est là une expérience intéressante pour faire émerger sur un territoire des demandes d'opérateurs.

Ma deuxième remarque concerne les réseaux câblés. L'ART a lancé une étude sur ces questions de réseaux câblés. Comme vous l'avez dit, M. le Président, entre un tiers et un quart des abonnés Internet le sont aujourd'hui par le réseau câblé.

On nous a communiqué que, du fait de la transposition des directives européennes, la place des collectivités locales allait changer en matière de réseaux câblés. Il faudrait éviter le paradoxe suivant : au moment où l'on fera rentrer les collectivités locales dans le domaine des infrastructures de télécommunications, évitons de les faire sortir des réseaux câblés. Nous avons, aujourd'hui, le sentiment que les câblo-opérateurs viennent d'arrêter les investissements et demandent une sorte de moratoire pendant deux ans parce qu'un certain nombre d'entre eux voudrait récupérer la pleine propriété des réseaux sur les territoires les plus rentables, en laissant les collectivités locales se débrouiller là où ce n'est pas rentable.

Dans une transposition de directives, on l'a vu dans d'autres domaines où il y a ouverture à la concurrence, des périodes transitoires peuvent être organisées. Il faut poser le problème des réseaux câblés, avec force ; ils existent et, dans un certain nombre d'endroits, ils ont permis un développement important. Comment peut-on les consolider ? Comment faire en sorte que les câblo-opérateurs n'arrêtent pas les investissements durant cette période ? Quelles initiatives publiques peuvent être prises pour favoriser un regroupement par plaques territoriales des câblo-opérateurs ? Quelles initiatives prendre pour que les réseaux câblés ne fassent pas les frais de l'opération générale de transposition des directives et que les collectivités locales en soient un peu évacuées ?

M. Bruno SIDO - Nous menons une étude sur les réseaux câblés. Vous allez en être informés. Je pense que vous avez été contactés. Je crois qu'il ne doit pas y avoir d'ambiguïté dans la conviction de l'ART sur le fait que les réseaux câblés, nés il y a presque 20 ans, dans la perspective de l'offre d'un service audio-visuel, sont en train de devenir un élément d'infrastructure essentiel, sans connotation juridique, en ce qui concerne le développement de l'offre de services de télécommunications et, plus particulièrement, du haut débit.

Le sort de cette infrastructure, aujourd'hui marquée par une dispersion géographique que vous avez soulignée, par une complexité capitalistique évidente dont nous avons parlé il y a quatre ou cinq ans (entre le propriétaire du réseau et l'exploitant), est également marquée par une complexité historique entre le rôle du régulateur CSA et du régulateur ART sur les formes d'autorisation des nouveaux services. Il convient de simplifier ce dispositif. C'est, à mon sens, le premier objectif de la transposition des directives. Ceci pour assurer la pérennité du système câblé.

Vous avez raison de souligner la contradiction apparente, ou de première lecture, entre ce que les collectivités territoriales ont pu faire jusqu'à présent sur les réseaux câblés, et le fait que les câblo-opérateurs disent « pour avoir une action cohérente, et investir davantage, une autre organisation du dispositif est nécessaire ». Je conviens avec vous de cette contradiction. Je crois que ceci incitera prochainement à un véritable échange avec les collectivités, de façon à mesurer les meilleures conditions qui permettent le maintien de l'investissement dans les réseaux câblés.

Je ne me prononce pas sur ce point. J'acte la difficulté, j'acte la contradiction apparente. Il faudra que l'on choisisse la meilleure formule pour assurer l'avenir de ce dispositif.

Mme Josette DURRIEU - Il y a deux types de réseaux câblés en France, ceux du plan Câble qui appartiennent à France Télécom avec un câblo-opérateur autre que France Télécom, donc un exploitant. Ceux-ci ne sont pas concernés puisqu'ils ne sont pas concessifs. On s'intéresse aux réseaux qui ne couvrent pas les plus grandes villes que sont les réseaux dans le modèle concessif.

Me Frédérique Dupuis-Toubol - M. Sido a justement expliqué qu'il n'y a rien de pire que l'incertitude juridique. Cette nouvelle situation européenne crée une incertitude. Les concessions sont conclues pour une certaine durée. Ces concessions ont été passées pour la plupart après la loi de 86 pour des durées qui varient et qui vont arriver à échéance. Plus l'on se rapproche de l'échéance de la concession, plus les câblo-opérateurs ont tendance à ne pas vouloir investir, puisque le principe du contrat est que l'infrastructure est un bien de retour et revient à la collectivité.

On peut se dire que les directives communautaires nous obligent à anticiper un débat auquel on n'aurait pas échappé sur ces infrastructures et leur devenir. Ce débat de toute façon était posé au terme de la concession.

Derniers éléments de réflexion. Le principe même de la concession, c'est la propriété publique. Même si l'exploitant qui gère le réseau en est propriétaire durant l'exploitation, le principe est que cela reste une propriété qui revient à la collectivité.

Dans ce débat, il faut donc se dire qu'il faut lever les incertitudes juridiques actuelles sur le devenir de ces contrats : les collectivités vont-elles récupérer la propriété des réseaux par anticipation et finalement louer de la capacité pour les services de télévision aux câblo-opérateurs, et dans quelles conditions cette reprise anticipée de la propriété va-t-elle se faire, moyennant indemnité ou pas ? Faut-il permettre aux collectivités, le cas échéant, par d'autres biais, par d'autres accords, de continuer à investir sur le déploiement de ces infrastructures, les ouvrir à d'autres opérateurs publics ? Où vont-elles transférer la propriété de ces infrastructures ? Ce sont les éléments du débat. Au plus vite les directives communautaires seront transposées, au plus vite ces incertitudes seront levées, et au plus vite l'on pourra réinvestir sur ces infrastructures qui existent aujourd'hui.

(M. Jean-Paul DELEVOYE entre en séance)

M. Daniel KAPLAN. - Merci M. le Ministre d'être avec nous et bravo pour la précision, puisque vous êtes arrivé exactement à la fin de la table ronde.

Nous vous proposons de vous faire une petite synthèse de cette journée. Comme c'est un exercice impossible, compte tenu de sa richesse, nous l'avons confié à Mme Gabrielle Gauthey de la Caisse des Dépôts, car elle seule, probablement, saura le faire.

SYNTHÈSE DE LA JOURNÉE LE RÔLE DES COLLECTIVITÉS LOCALES DANS LA RÉDUCTION DE LA FRACTURE NUMÉRIQUE

Mme Gabrielle GAUTHEY, Directeur de la stratégie et du développement des nouvelles technologies de l'information et de la communication, Caisse des Dépôts et Consignations.

Merci Daniel Kaplan pour cette introduction. Effectivement, proposer une synthèse n'est pas un exercice facile à la fin d'une journée qui fut riche et dense. Vous avez été très nombreux à répondre à cette journée et je remercie le Sénat de nous avoir associés à l'organisation de cette table ronde. Merci à tous les participants, en particulier à nos amis étrangers qui nous ont apporté un peu de fraîcheur dans nos problématiques franco-français. Mon rôle est à présent de remettre en perspective un certain nombre des débats que nous avons eus, de parfaire les modalités d'accompagnement des projets et de répondre aux interrogations des élus locaux présents dans cette salle.

Nous avons souhaité commencer cette journée en s'interrogeant une fois de plus sur les attentes des territoires et sur les usages du haut débit. En mettant cette journée sous le signe du « haut débit et des collectivités locales », la question de la définition du haut débit s'est posée. Est-ce au-dessus de deux mégabits ? Est-ce la vitesse qui compte ? Est-ce que c'est la qualité ? Faut-il toujours être « always on », comme disent les Anglo-saxons ?

Le haut débit, pour les territoires, recouvre des réalités souvent diverses, pour les acteurs locaux que sont les collectivités publiques, les écoles, les hôpitaux. Le Réseau de Télémedecine Régional de Midi-Pyrénées, présenté par le Professeur Lareng, est un bon exemple de la nécessité des hauts débits.

Le haut débit recouvre encore d'autres réalités également différentes pour les entreprises, nous avons eu des démonstrations assez éclairantes du caractère crucial du haut débit, à la fois pour des entreprises innovantes comme Activeprod, dans la Creuse, pour le maintien de l'activité de service rural, mais également de la part de grandes entreprises, pour la totalité de leurs activités et de leurs relations avec leurs collaborateurs, leurs sous-traitants et leurs réseaux de concessionnaires.

Le citoyen et, par prolongement, le marché de masse sont également des conditions essentielles dans le déploiement des hauts débits, en particulier pour la rentabilité finale des opérateurs sur notre territoire.

Souvent, et c'est un sujet essentiel pour les collectivités locales, nous avons vu que les usages publics, la Santé, l'Éducation étaient des éléments moteurs et structurants du développement des hauts débits sur les territoires et que, par conséquent, une forte responsabilité leur incombe.

La commande publique est souvent le premier moteur pour les collectivités locales et leur territoire. C'est souvent la première réponse à laquelle les entreprises sont bien évidemment sensibles. Le caractère structurant de la commande publique ne doit pas être uniquement utilisé de façon fermée. Mais les réseaux construits autour de la commande publique présentent le risque d'être utilisés uniquement de façon fermée (GFU). Il faut donc que les collectivités veillent à construire des réseaux ouverts à tous, de manière à ne pas isoler la commande publique du reste du territoire.

Les exemples étrangers nous ont montré qu'il faut garder espoir, que nous devons dépasser le sempiternel débat de l'offre et de la demande. Daniel Kaplan et nos amis étrangers nous ont montré que quand la facilité, la fluidité, la richesse des offres de haut débit existent, il faut faire confiance aux utilisateurs et aux communautés locales, souvent utilisateurs, pour créer les usages du haut débit.

Le deuxième axe de réflexion qui est ressorti des débats est celui de l'aménagement des hauts débits sur le territoire, dont les enjeux ne se jouent pas uniquement dans les zones rurales mais doivent davantage être perçus de façon globale. Nous sommes pratiquement tous tombés d'accord sur le fait que le seul jeu du marché ne suffit pas à conduire à un développement équilibré car les opérateurs, c'est leur rôle, appréhendent le territoire avant tout comme un bassin de clientèle. Ainsi le haut débit peut être une chance pour les territoires les plus fragiles, mais aussi un facteur discriminant favorisant la polarisation et la concentration des activités.

La démarche d'aménagement du territoire, qu'elle émane de l'État ou des collectivités locales, consiste à anticiper les besoins de l'ensemble des acteurs d'un territoire. Et je voudrais citer une parole très forte du sénateur Trégouët, « personne, aucune profession, n'échappera à l'impact du haut débit ».

Il faut donc insister sur le rôle d'anticipation des besoins des acteurs locaux, et ne pas seulement se contenter de répondre à des besoins constatés.

Parallèlement à la spécificité française, les expériences étrangères nous montrent que beaucoup de chemin reste à parcourir. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : 10 % des foyers américains sont connectés au haut débit, 14 % en Suède, 25 % au Canada. En termes de coût et de rapidité d'accès : 10 mégabits coûtent 30 € par mois à Milan, 100 mégabits coûtent 21 € à Sollentuna.

La France est l'un des pays européens (parmi 5 concernés), où les collectivités, au nom de la protection de l'initiative privée, n'ont pas le droit d'être opératrices de télécommunications.

Les comparaisons étrangères ont fait ressortir plusieurs enseignements :

L'impulsion politique et publique, nationale ou locale est omniprésente ;

Le ou les degrés de décentralisation, une plus grande latitude est laissée aux collectivités, qui font souvent preuve d'un fort dynamisme local ;

Les projets se construisent souvent sur un partenariat public-privé, soit dans la construction, l'exploitation, la supervision ou l'organisation de l'offre ;

Il existe différents modes d'organisation de déploiement des hauts débits, sous l'influence de plusieurs types d'acteurs. Par exemple, certaines régies communales d'électricité se tournent vers le métier Télécom, les collectivités locales participent aux activités d'opérateurs locaux. Ces solutions créent des opérateurs locaux rentables, phase qui n'existe pas en France.

Les réflexions des pays étrangers ne se focalisent pas sur les architectures existantes. Au contraire, elles s'adaptent à de nouveaux systèmes d'architecture, comme l'éthernet IP, et favorisent davantage les péréquations régionales que nationales.

Certains pays et villes font office de référence dans différents domaines, à l'image de la Suède (Sollentuna), de l'Italie (modèle libre et fluide de partenariat public-privé) mais également les États-Unis avec une bonne utilisation des aides, des déductions fiscales, là aussi un rôle important des opérateurs locaux et des « utilities ».

Les premières expériences françaises se sont caractérisées par un mouvement de fond des territoires dont les interrogations ont souvent été sous-estimées par certains acteurs nationaux. Et le sentiment d'une urgence et, en même temps, d'une certaine prudence, vu la sécurité juridique en ce domaine.

Un mouvement de fond, même si l'essentiel des projets sont encore devant nous, mais ils émergent, ils prennent du temps, heureusement, même si quelques uns sont déjà opérationnels.

Globalement, les projets répondent toujours aux mêmes motivations : les collectivités se posent la question de leurs besoins propres, en termes de services publics (écoles, hôpitaux, administration), de développement économique et d'aménagement. Elles savent, par exemple, que pour assurer un accès équitable au haut débit sur tout le territoire, elles doivent veiller à stimuler la concurrence, à baisser les tarifs d'accès, à faire émerger des offres diversifiées, à faire jouer la complémentarité des techniques.

Les collectivités doivent également évaluer la nécessité de recourir à de l'argent public et aux manières de l'employer. Faut-il, par exemple, subventionner les réseaux d'un seul opérateur ? Où faut-il, au contraire, essayer de mutualiser les infrastructures pérennes ?

Il semble désormais que les débats portent moins sur la nécessité d'une action publique locale et moins sur les carences de l'initiative privée. Ce sont aujourd'hui les modalités juridiques et les cadres d'intervention qui posent problème. Quelles sont les structures permettant le véritable partenariat public-privé ? Quelles aides publiques ? Quelles péréquations financières et sur quel territoire ? Quel montage juridique (délégation de service public, SEM etc.) ?

Enfin, la question de la gestion du temps. Tout ceci prend du temps. Les compétences qui sur notre territoire sont cruciales. Et ceci fait souvent défaut.

L'avenir. Quelles sont les questions qui se posent aujourd'hui sur le rôle que doivent jouer les collectivités locales ?

Globalement, le Député Joyandet le disait ce matin, « nous avons le sentiment que le temps de l'action est venu ». Nous sommes conscients de l'urgence dans laquelle il faut agir. L'implication des collectivités locales qui veulent voir reconnu leur rôle d'aménageur numérique est indispensable. Les messages du Président Poncelet, de M. Jacquet de la DATAR, de M. Joyandet vont dans ce sens. Pourquoi ? Parce que les collectivités locales sont les mieux placées pour appréhender les besoins locaux au moment où l'on parle d'un mouvement de décentralisation. Il ne s'agit pas de décentraliser une compétence que l'État n'a pas, mais de mieux appréhender les besoins locaux. Il faut une impulsion publique, non pas pour se substituer à l'initiative privée, mais pour aider à l'émergence d'offres de services diversifiées.

Il est nécessaire de promouvoir les usages publics, qui sur un territoire tirent souvent les usages globaux. Il convient de faire évoluer le cadre juridique de l'Internet public, qui reste encore trop flou et non sécurisé.

En ce qui concerne le statut et le rôle concret des collectivités locales, trois schémas sont possibles : gestionnaires d'infrastructures, opérateurs d'opérateurs, via une mutualisation active sur une plate-forme ouverte aux opérateurs, ou opérateurs de services de télécommunications.

Si les opinions restent certes variées, un consensus s'est quand même dégagé vers le schéma de la mutualisation de l'investissement par une collectivité pour faciliter l'arrivée des opérateurs et des offres de services sur le territoire. Ce qui revient à dire que la collectivité se place comme opérateur d'opérateurs. Conscientes toutefois que c'est un véritable métier, elles ne peuvent pas le faire seules, mais avec des entreprises privées dont c'est le métier.

C'est donc dans un partenariat public renouvelé que se situent les perspectives les plus intéressantes, tant dans le financement, le partage des risques, que dans l'exploitation durable. Par ailleurs, les télécommunications étant un métier où l'investissement est permanent, il paraît illusoire de vouloir bâtir quelque chose de pérenne sur des subventions publiques pérennes.

La conclusion, M. le Ministre est que :

1. Il est urgent d'agir. La France n'est pas en avance. Elle n'est pas non plus en retard, mais souffre d'un certain nombre de blocages, et notamment d'un trop grand centralisme, qui empêche notre pays de tirer le meilleur parti du bénéfice de la concurrence. La géographie de la France y est pour quelque chose. Des pays comme l'Allemagne n'ont pas ces mêmes problèmes. Il semble à présent que le temps de l'action est venu. La France a un rôle indispensable à jouer, d'abord en accompagnant et en sécurisant le mouvement de fond des collectivités, et, ensuite, en inventant de nouvelles modalités d'intervention.

L'organisation du marché et le rôle essentiel de la concurrence ne sont pas à remettre en cause, mais devraient être davantage orientés pour contribuer à baisser les tarifs et développer une pluralité d'offres de services.

2. Il est nécessaire de garantir la cohérence de l'ensemble des réseaux.

Il faut libérer des énergies locales en passant par un schéma d'orientation nationale, plutôt que par un schéma national haut débit. L'État doit être un appui conséquent pour permettre de faire évoluer le cadre juridique, pour améliorer l'utilisation de la sécurisation des fonds publics, notamment des fonds européens qui restent sous-utilisés. M. Jacquet disait d'ailleurs, ce matin, que sur les 2,4 milliards que représente le montant global des réseaux que la Caisse des Dépôts a recensés, un tiers pourrait être financé par des fonds FEDER.

3. L'État a également un rôle à jouer dans la promotion de la fluidité accordée au partenariat public -privé.

Je vous passe la parole pour vous entendre sur ces grandes orientations nationales que nous avons évoquées au cours de cette journée. Merci.

(Applaudissements).

ALLOCUTION DE CLÔTURE

M. Jean-Paul DELEVOYE, Ministre de la Fonction publique, de la réforme de l'État et de l'aménagement du territoire

« Madame, Messieurs les sénateurs, Mesdames et Messieurs, je mesure combien il était effectivement difficile de trouver la personne capable de pouvoir synthétiser des débats que j'estime riches rien qu'à l'abondance des pistes que vous proposez dans les différentes conclusions.

Je suis ravi de saluer mes collègues sénateurs, René Tregouët, Philippe Adnot, et les autres personnalités ici présentes, M. Dominique Caillaud, les représentants de la Caisse des Dépôts... Je vois que je commence un exercice difficile... je vais m'arrêter là... Je suis en tout cas tout à fait intéressé pour suivre les conclusions de votre atelier, puisque vous l'avez intitulé « Les enjeux du haut débit -collectivités locales et territoires à l'heure des choix ».

Ce qui paraît, en réalité, tout à fait intéressant, c'est que si avant, il y a quelque temps, mon cher René, nous étions d'ailleurs dans cette même salle en train de réfléchir aux défis politiques que nous devions relever, et nous estimions qu'un des défis en matière d'aménagement ou de développement du territoire était cette révolution culturelle à laquelle nous conviait l'économie moderne, c'est que nous étions dans une logique non plus de gestion et d'exploitation des territoires, mais dans une logique d'offre territoriale, et d'attractivité des territoires. Les matières premières qui déterminent les richesses d'un territoire ne sont plus seulement les richesses de son sol et sous-sol, mais les matières de l'intelligence.

C'est d'autant plus important, nous le voyons aujourd'hui, qu'il peut y avoir trois maladies susceptibles de générer la thrombose des territoires :


· la raréfaction de la main-d'oeuvre qualifiée qui permet de pouvoir développer la valeur ajoutée par emploi et par entreprise ; on voit bien aujourd'hui que cette thrombose existe dans un certain nombre de territoires :


· De même, dans l'explosion des flux de l'économie, dite moderne, des marchandises et des hommes, tant sur le plan touristique que sur le plan industriel, nous voyons la croissance, dans un certain nombre de territoires en Europe, freinée par la saturation des flux autoroutiers, ferroviaires et aériens, et que

Paradoxalement, un risque de thrombose supplémentaire vient, aujourd'hui, se greffer sur ces problèmes de territoires, avec la dérivation possible des flux d'intelligence au profit d'autres territoires.

Deuxième leçon, et je suis ravi de votre observation, on voit bien que les infrastructures ne valent rien par rapport aux usages et aux services qu'elles offrent. Nous avons souvent un débat sur les infrastructures, rarement ou trop peu sur les usages et les services que ces infrastructures permettent ; et que financer les infrastructures pour le simple fait de les financer ne sert à rien.

C'est l'usage que l'on peut en faire, avec d'ailleurs le débat politique que vous soulevez : Est-ce l'offre qui fait la demande ou la demande qui suscite l'offre ?

C'est un débat d'autant plus important que l'on voit bien des mécaniques de respiration territoriale se mettre en place, avec des phénomènes nouveaux auxquels nous n'étions pas habitués. Aujourd'hui, si vous parlez des inégalités territoriales, nous voyons paradoxalement les inégalités de PIB par habitant augmenter, et les inégalités de revenu par habitant baisser. On a l'impression de voir des concentrations de création de richesses se faire sur des zones à potentialité économique importante, et a contrario des mécanismes que nous n'avions pas suffisamment perçus, notamment d'une classe moyenne, voire légèrement supérieure, qui par l'explosion de l'emploi féminin a créé une augmentation de pouvoir d'achat par une stratification de classe sociale, dont le premier réflexe est de quitter un certain nombre de zones résidentielles au caractère urbain et augmentant d'une manière assez considérable les inégalités de proximité.

Cette évolution entre les lieux de création de richesse économique et la répartition plus égalitaire de revenus crée des besoins en termes de pôles économiques de haut débit très spécifiques, pouvant être relativement couverts, et au contraire un étalement des usages domestiques et particuliers beaucoup plus importants et plus difficiles à traiter.

C'est la raison pour laquelle, parmi les trois clientèles, on voit bien aujourd'hui que le réseau haut débit sur les universités fonctionne plutôt bien, même si nous devons probablement augmenter le maillage des centres de formation ; que les réseaux sur les pôles économiques pourront trouver leur propre logique, qu'a contrario, il y a un vrai problème sur les réponses aux particuliers, même si le particulier a un comportement asymétrique et est plutôt consommateur d'informations que d'échanges.

Nous avons, aujourd'hui, une multiplication des besoins. Ce qui fait que paradoxalement, plus la mondialisation va se développer, plus il y aura des espaces que je pourrais qualifier de « dépassement de l'espace frontière ». Les capitaux aujourd'hui ont dépassé totalement les frontières. De même, plus il y aura une évasion libertaire d'un certain nombre de flux économiques, plus il y aura besoin d'outils de régulation de caractère juridique, nécessitant des informations « on time ».

Vous aurez deux besoins de haut débit, l'un pour suivre ces flux de capitaux, l'autre pour le contrôle par rapport à la régulation nécessaire pour la sécurisation des investissements.

Bizarrement, on verra plus de liberté de déplacements des hommes aussi, et plus d'outils d'individualisation des réponses. Plus il y aura de compétitivité des territoires, plus il y aura des usages qui devront être en absence de rupture selon le parcours individuel. La logique du haut débit que vous évoquez me paraît tout à fait importante, avec des mécaniques auxquelles nous n'avons pas prêté garde. La sécurisation juridique de plus en plus forte et la gestion des contentieux fait que paradoxalement l'on va voir émerger de plus en plus la complémentarité de celles et ceux qui auront apporté des réponses. Qu'il s'agisse de télémédecine, plus aucun médecin ne voudra, sur un certain nombre de sujets, ne pas s'entourer d'un certain nombre d'avis parallèles, qui ne nécessiteront pas la proximité physique.

Aujourd'hui, pour la première fois, nous avons des recompositions extraordinaires d'une administration, d'une entreprise, back-office/front-office dans l'ensemble des domaines.

Sur le plan médical, nous aurons besoin d'un généraliste de proximité qui vous mettra sur l'exercice d'un spécialiste, qui lui sera obligé de s'appuyer sur le plan international, sur des pôles de compétences permettant de sécuriser un diagnostic et même un mode opératoire par rapport à des techniques qui seront peut-être imposées par des mécanismes d'assurance ou des mécanismes de contentieux juridique.

On voit cela sur l'ensemble des dispositifs de la vie moderne. L'exigence du droit, la montée du juridisme va apporter une réorganisation d'entreprise back-office/front-office, administration back-office/front-office, avec des déconnexions entre des territoires d'accueil et des territoires de gestion de compétence.

À l'évidence, plus cela s'élargit, plus vous avez besoin de liens haut débit permettant cette circulation d'informations dans un délai de plus en plus rapide et de plus en plus court, avec des nécessités de sécuriser, donc probablement avec des systèmes de contrôles juridiques de l'information, des systèmes de double contrôle etc.....

On voit bien naître des gestions territoriales qui permettront ces connexions.

Troisième élément. Aujourd'hui, le besoin d'information, de circulation de l'information, fait apparaître d'autres métiers. « Trop d'information tue l'information », de nouveaux métiers seront nécessaires pour la gérer. Nous connaissons déjà ce phénomène. L'on peut citer comme exemple les contrôles d'entreprises par le biais de rapports d'audit etc.

Vous m'avez posé un certain nombre de questions sur le rôle des collectivités locales, et j'ai cru comprendre que vous souhaitiez connaître mes analyses en la matière.

Le Ministre de l'Économie et des Finances a lancé un objectif de 80 % de couverture dans les cinq années qui viennent avec l'émergence de la concurrence. Je suis assez sensible au fait que vous ayez mis l'accent sur la concurrence. Lorsque vous parliez de centralisme, je m'interrogeais. En effet, vous n'aviez pas précisé s'il s'agissait de centralisme administratif, ou de centralisme de l'entreprise, ou les deux. Lorsqu'il y a « absence de concurrence », nous constatons parfois une tarification supérieure par rapport aux autres pays, et dans le cas où la « concurrence existe », les prix sont plus compétitifs. Nous devons réfléchir à cette lecture de benchmarking comparatif.

En tout cas, le déploiement de l'ADSL sur le territoire demeure le principal objet de France Télécom. Est-ce une chance, ou éventuellement un atout ou une contrainte ?

France Télécom prévoit que fin 2004, près de 85 % de la population aura accès à l'ADSL. L'on pourra compter 10 millions d'abonnés au haut débit. Malgré cela, l'offre sera concentrée sur une partie extrêmement étroite du territoire.

Cette fracture numérique est un sujet cher aux sénateurs qui l'évoquent. Le marché ne peut pas être la seule réponse. Faut-il accepter que le marché augmente les inégalités et jusqu'où ? Si l'on l'admet l'usage et le fait que cet usage doit être développé sur l'ensemble du territoire, jusqu'où doit-on accepter qu'un usager désirant éviter une rupture par rapport au service qu'il attend, puisse contribuer financièrement, pour une partie du territoire donnée, au déploiement de ce service ? Je n'ai pas la réponse. C'est toujours l'équilibre à trouver entre la liberté du marché qui augmente les inégalités, et l'exigence du service public qui est d'assurer la solidarité.

C'est un débat éternel. En tout cas, il nous faut impérativement réfléchir à un financement pour assurer cette couverture universelle. Cela ne pouvant pas être réglé par le marché.

Nous réfléchissons, conjointement avec l'ARL et les collectivités locales, au rôle des collectivités territoriales déjà très impliquées sur ce projet. La Caisse des Dépôts et Consignations nous a fait part de tous les dossiers d'infrastructure qu'elle a recensés. Son rôle était précisé au CIADL de juillet 2001, les contrats de plan aussi. Ceci permet de stimuler l'émergence d'offres concurrentielles sur le territoire.

Nous devons demeurer attentifs, afin d'éviter que les actions des collectivités territoriales ne réduisent la concurrence. Ce serait une erreur.

Nous devons développer des bouquets de services et d'usages relevant des services publics de proximité et en multiplier les accès au public. Il faut éviter la tentation de capter un marché, qui aurait tendance à pénaliser la rentabilité de l'ensemble des marchés. Brassons tout cela attentivement, et tenons-nous également prêts à amorcer une demande. Je connais, dans d'autres domaines, un certain nombre de services publics apparemment déconnectés par rapport à une demande, et dont l'existence a suscité une demande et ensuite équilibré un marché.

Nous devons également réfléchir à la construction d'infrastructures de télécommunications qui doivent être mutualisables, de façon à faciliter l'intervention des opérateurs.

J'ai pleinement conscience de vos trois scénarii : financement des infrastructures, opérateur d'opérateurs ou carrier to carrier et opérateurs. Je suis, personnellement, extrêmement réservé sur les interventions des collectivités qui, par l'intermédiaire de marchés de services, contribueraient à financer des infrastructures d'opérateurs sans que celles-ci soient ouvertes à d'autres opérateurs.

Les collectivités locales ne doivent pas financer les infrastructures d'une entité en situation de monopole pour lui permettre de renforcer cette position ! L'on ne peut pas mobiliser de l'argent public pour faire en sorte que les usagers potentiels vivant sur un territoire soient réduits dans leur choix. Nous devons adopter sur ce débat une position tout à fait claire. D'ailleurs, il est possible que de telles initiatives, qui faussent le jeu de la concurrence, soient entachées d'illégalité.

Dans ce contexte, quelles sont les réflexions que nous menons actuellement ?

Premièrement, et vous avez raison, il faut clarifier le champ d'intervention des collectivités locales. Elles ne sont pas sécurisées sur le plan juridique et n'importe quel contentieux peut fragiliser leur politique.

Deuxièmement, nous étudions l'opportunité de mettre en cohérence les actions des collectivités territoriales : département, région, etc.

Troisièmement, nous réfléchissons sur le mode d'accompagnement des projets de desserte.

Et quatrièmement, sur l'accompagnement financier des collectivités territoriales.

Pour clarifier le jeu des collectivités territoriales. Doivent-elles être opérateur des télécommunications ? Peuvent-elles investir dans les équipements passifs et actifs ?

Actuellement, le Gouvernement n'a pas pris de position officielle. Suite à l'avis donné par le Conseil d'État, cette position sera définie, au plus tard dans le cadre des travaux qui prépareront, d'ici à juillet 2003, la transposition sur le droit français du dernier « paquet » des directives européennes.

En ce qui me concerne, je suis extrêmement réservé sur le fait d'autoriser les collectivités territoriales à exploiter elles-mêmes directement des réseaux de télécommunications à destination des utilisateurs finals. Je suis favorable au financement des infrastructures, aux opérateurs-d'opérateurs, mais non favorable à ce que les collectivités locales aient un rôle d'opérateur de services. C'est une opinion personnelle et c'est un débat. Néanmoins, il faut savoir protéger les élus contre eux-mêmes. Je le sais, d'autant plus que je suis ministre : j'ai toujours transféré mes incompétences sur les compétences des autres. Et comme je suis extrêmement incompétent, je passe mon temps à chercher des métiers exercés par d'autres et que je ne veux surtout pas exercer pour ne pas me fragiliser. Les collectivités locales ne sont pas préparées pour ce métier qui me paraît éloigné de leurs compétences traditionnelles.

Quelques expérimentations pourraient être tentées dans les territoires les plus mal desservis, là où y il n'y a aucun marché d'opérateur. Cela demande réflexion.

Nous souhaitons mettre en cohérence les interventions des collectivités territoriales avec la péréquation locale. Nous pourrions nous baser sur la notion de collectivité locale « chef de file » avec la région qui élaborerait le schéma régional, notamment l'usage des services par rapport aux infrastructures, et les réalisations au niveau départemental, voire communal.

En tout cas, il nous paraît intéressant de nous pencher sur cette mise en cohérence. Je vois beaucoup d'initiatives locales démarrer et je suis extrêmement préoccupé par l'absence de cohérence de technologie, la fragilité des choix, le manque d'ingénierie. Ce sont des conditions indispensables pour faire les bons choix. Je souhaiterais que l'on réfléchisse à des cohérences nationales et régionales et aux déclinaisons sur les espaces qui pourraient s'appuyer, à l'échelon régional, sur l'ensemble de l'expertise et des ressources techniques, qui soutiendraient les démarches des collectivités locales infrarégionales.

Nous pourrions mettre en place un observatoire régional des réseaux. Cela permettrait d'avoir une vision précise des infrastructures. Et aussi un guichet unique à l'échelon régional qui faciliterait l'accès à la domanialité publique. Nous pourrions également favoriser l'utilisation des technologies alternatives. La manière d'échapper au monopole est d'être conscient qu'il ne peut pas y avoir une offre unique pour des territoires ayant des demandes particulières. Nous devons probablement réfléchir aux solutions satellitaires et nous attaquer « au handicap fiscal » qui freine la diffusion de cette technologie.

En ce qui concerne la technologie Wifi, j'ai vu les lignes directrices publiées par l'ART le 7 novembre dernier sur ce sujet. L'ART permet les expérimentations en environnement ouvert, à l'échelle territoriale. Elles pourraient débuter dès le début de l'année prochaine. Nous avons intérêt à suivre très attentivement les avantages et inconvénients, les contraintes et les atouts de cette technologie hertzienne qui permettra, sur certains territoires, d'apporter un certain nombre de réponses. Nous sommes prêts à nous pencher sur des aspects dérogatoires ou expérimentaux sur cette problématique particulière.

Nous souhaitons accompagner financièrement les politiques des collectivités territoriales. Certes, la Caisse des Dépôts et Consignations a déjà mis en place un certain nombre de moyens. Nous allons rechercher l'optimisation de tous les moyens financiers. Le délégué vous en a parlé ce matin. Nous avons déjà alerté la Commission Européenne sur la mobilisation des crédits FEDER avec la modification du DOCUP. Nous ne désespérons pas, ayant participé à une réunion européenne sur les différents services et réseaux du territoire, d'obtenir des modifications immédiates de DOCUP et la capacité de modifier les fonds européens sur cet enjeu territorial des technologies, à condition de ne pas fausser la concurrence.

C'est la raison pour laquelle il est, aujourd'hui, important de réfléchir à :

1. L'intelligence conceptuelle qu'il faut mettre à la disposition des porteurs de projets territoriaux. La Caisse des dépôts et consignations s'y est considérablement investie. Il y a aujourd'hui un formidable appétit. L'on constate parfois une absence d'aide à la décision qui peut entraîner les collectivités territoriales dans des politiques d'affichage qui seraient extrêmement préjudiciables, tant pour les finances locales que pour la rupture qualitative par rapport à l'attente du terrain.

2. Nous avons intérêt, sur un certain nombre de cas, à mettre en place des expérimentations, soit sur des technologies nouvelles soit sur des modes opératoires nouveaux, sur lesquels nous serions sensibles.

3. Il faut correctement cerner l'approche « usage et service », et avoir une approche globale et mutuelle.

Je vous remercie, je vous félicite pour l'organisation de ce colloque. J'ai cru comprendre que nous avions un certain nombre de points de convergence et un certain nombre d'attentes sur lesquels vous souhaitiez que nous répondions. Nous serons très attentifs de manière à ne pas manquer cet objectif très important pour le 21 e siècle. Comme le disait René Trégouët, je crois que nous ne pourrons pas nous passer du haut débit. Mais en même temps, et je terminerai là, soyons attentifs à ce qu'une fois de plus notre pays ne soit pas capable de jaillissements, de rebondissements, assez spectaculaires sur le plan des infrastructures, en négligeant la formation des utilisateurs.

Nous devons faire en sorte que l'argent public soit remis non seulement pour les infrastructures, mais aussi sur les moyens de les utiliser. Combien de fois avons-nous vu des écoles extraordinairement équipées, avec des gens admiratifs devant un écran, béats, disant: «j'aimerais m'en servir, mais ne je sais pas». L'investissement dans la formation des utilisateurs, dans les facilitateurs opératoires, est un élément qui, non seulement permettra à la France de relever le défi du 21 e siècle, mais aussi d'en tirer le plein profit.

Merci. »

(Applaudissements).

La séance est levée à 19 heures.

Les enjeux du haut débit

Collectivités locales et territoires à l'heure des choix

Cet ouvrage traite des enjeux de la décentralisation dans le domaine des nouvelles technologies, et plus particulièrement de l'équipement des territoires en haut débit. Force est de constater que si les collectivités locales s'impliquent de plus en plus fortement dans l'aménagement numérique de leur territoire, de très grandes disparités subsistent en matière d'accès au haut débit. Le risque de « fracture numérique » reste très présent.

Le Sénat dans le cadre de sa mission constitutionnelle de représentation des collectivités territoriales, et la Caisse des dépôts et consignations dans son rôle de partenaire institutionnel de celles-ci, se sont impliqués l'un et l'autre avec volontarisme, dans le développement numérique des territoires et ont engagé de nombreux travaux en la matière.

Le moment semblait donc venu, au travers de ce colloque, de dresser un bilan des attentes des élus locaux et de tracer les pistes de réforme face aux mutations qui se profilent à l'aube du XXI e siècle.

De nombreuses questions se posaient : quel rôle les collectivités locales ont-elles aujourd'hui dans l'aménagement numérique de leur territoire ? Quel rôle souhaitent-elles avoir demain, et de quelles compétences devraient-elles disposer dans cette perspective ? Le cadre législatif doit-il être réformé ? Une modification de l'article L. 1511-6 du code général des collectivités territoriales doit-elle être envisagée, les collectivités locales devenant opérateurs de télécommunications, « opérateurs d'opérateurs », ou simples gestionnaires de l'immobilier de télécommunications ?

sénateurs, élus locaux, opérateurs français et étrangers, experts et porteurs de projets ont pu, tour à tour, apporter leurs contributions et confronter leurs expériences. Le rôle de chacun de ces acteurs locaux a été précisé, ainsi que celui de l'État, garant de l'égalité des chances, de la solidarité et de l'équilibre entre les territoires.

La richesse du débat de ce colloque ouvre des pistes en vue de réduire la fracture numérique et aider les collectivités locales, les opérateurs et leurs partenaires institutionnels à trouver les solutions originales adaptées aux besoins des territoires.

Ce volume s'inscrit dans la série de publications destinées à rendre compte des manifestations et colloques institutionnels organisés par le Sénat ainsi que, le cas échéant par ses commissions ou délégations. Cette collection est l'expression de la volonté d'ouverture du Sénat. Elle a pour vocation de mieux faire connaître son activité de réflexion et sa force de proposition.

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