Actes du colloque Vive la Loi


Réaction du témoin

M. Patrice GELARD, Sénateur

Par leurs interventions, les trois orateurs et M. Chagnollaud ont décliné le catalogue des frustrations généralement ressenties par les parlementaires. Ils en ont cependant omises certaines, tant du point de vue de la loi concurrencée, que de la loi contestée ou de la loi contrôlée.

I. La loi concurrencée

Contrairement à leurs collègues néerlandais et, dans une certaine mesure, britanniques, les parlementaires français n'interviennent qu'après l'adoption de la loi communautaire, si bien qu'ils sont mis devant le fait accompli, sans avoir été consultés. Malgré le travail remarquable accompli par les deux délégations françaises chargées des affaires européennes, l'influence du Parlement français sur les décisions européennes est donc faible. Celui-ci a pourtant l'intention de jouer pleinement son rôle, dans la mesure où il ne saurait laisser sans réponse les récriminations formulées sur le terrain par ses électeurs. Les citoyens français n'ont en outre pas le sentiment que les députés européens soient leurs représentants - ce qui a d'ailleurs été confirmé par une jurisprudence récente du Conseil constitutionnel.

Cette césure entre les institutions européennes et les parlements nationaux doit ainsi être résolue. Il est possible, à cet égard, que la prochaine Constitution européenne soit l'occasion de modifier la Constitution française et contribue à rétablir le Parlement français dans la plénitude de son rôle en matière européenne. Les sénateurs ont par ailleurs émis l'idée de la création d'un Sénat européen - même si elle a pour le moment été balayée par le Président Valéry Giscard d'Estaing. Celui-ci rassemblerait des représentants des parlements nationaux et leur permettrait ainsi de se faire entendre au sein même des institutions européennes.

Les parlementaires ont en effet trop souvent l'impression de ne servir que de chambre d'enregistrement au droit européen. Faute de temps, ils confient d'ailleurs le plus souvent ce soin au Gouvernement, qui procède par ordonnances.

L'Europe n'est toutefois pas la seule à concurrencer la loi. En particulier, du fait du développement de la décentralisation dans les collectivités d'outre-mer, progressivement, la loi n'est plus la même pour tous sur le territoire national. La Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie disposent ainsi désormais d'un réel pouvoir législatif. De même, la nouvelle loi sur la décentralisation introduisant l'expérimentation autorise la création d'un pouvoir législatif au profit de certaines collectivités territoriales. Certaines décisions seront désormais prises au niveau local et non plus par le législateur, même si celui-ci est censé encadrer les innovations et transformations à venir.

Le législateur se trouve également concurrencé par le Gouvernement, lorsque celui-ci utilise son pouvoir réglementaire et modifie, parfois en profondeur, les dispositions que le législateur a entendu mettre en place par la loi. Lorsqu'il n'intervient pas, le Gouvernement peut en outre rendre les lois inapplicables.

Enfin, un certain nombre d'institutions privées disposent d'un relatif pouvoir législatif à l'égard de nos concitoyens, telles que les banques et les compagnies d'assurances, qui imposent des règles que le législateur n'a pas prévues et qu'il ne peut contester. Dans certains cas, ces règles mériteraient d'ailleurs d'être soumises au contrôle du juge, du fait de la violation de principes législatifs ou constitutionnels.

II. La loi contestée

En dehors du juge constitutionnel, il arrive que la loi soit contestée par le juge de droit commun. Ainsi, récemment, par deux fois, le législateur a dû intervenir pour préciser au juge comment devait être compris un article du code pénal sur la responsabilité pour négligence ou imprudence des décideurs. Une première modification du code avait ainsi dû être votée pour permettre à la Cour de cassation d'appliquer cet article comme le législateur l'entendait, mais n'ayant pas été suivie des effets attendus, elle a dû donner lieu à une seconde modification législative. Il arrive ainsi que la Cour de cassation remette en cause la volonté du législateur, en oubliant de relire les travaux préparatoires qui ont conduit à la rédaction précise de la loi.

Une meilleure communication de la loi auprès des citoyens et des acteurs chargés de l'appliquer étant par ailleurs nécessaire, le Sénat s'efforce d'auditionner le plus largement possible les corps intermédiaires concernés par un projet de loi. Il ne peut cependant procéder à une concertation préalable, lorsque l'élaboration de la loi est effectuée de manière purement technocratique dans le cadre d'un cabinet ministériel.

A l'inverse, la montée en puissance des lobbies est extrêmement forte, en particulier en amont du débat parlementaire. Les nombreux amendements rédigés par ces lobbies sont ainsi repris, souvent sans réécriture, par des parlementaires de la majorité comme de l'opposition.

De même, il est regrettable que, même lorsqu'elle a été largement discutée en amont, la loi puisse être contestée par la rue, dès son adoption. Une telle pratique fragilise notre démocratie. Elle dénote en tout cas d'une culture démocratique insuffisante, car si la loi peut être critiquée, elle ne saurait être remise en cause avant l'échéance électorale suivante.

Quant aux conséquences négatives des choix budgétaires effectués par le ministère des Finances sur l'application de la loi, la marge de manoeuvre du Parlement est limitée, tant par l'article 40 de la Constitution que par la faiblesse des études d'impact que comportent les projets de loi. La révision constitutionnelle récente relative à la décentralisation devrait toutefois permettre d'assurer certains moyens financiers, dans le cadre des transferts de compétences qui leur seront consentis.

III. La loi contrôlée

La question du contrôle de la loi par la technique rédactionnelle pose aujourd'hui davantage de problèmes que par le passé, du fait du manque de formation juridique des hauts fonctionnaires issus de l'Ecole nationale d'administration. La rédaction des textes en pâtit singulièrement et oblige les députés comme les sénateurs à la corriger.

Le contrôle en aval de la Cour européenne des droits de l'Homme est en outre problématique pour le législateur, car il conduit à remettre en cause nombre de lois qu'il a adoptées. Cette cour statue, de surcroît, en équité (selon les principes de common law ), plus qu'en droit (selon les principes romanistes appliqués par la France).

Il est vrai par ailleurs que le Parlement, par manque de temps, a abdiqué son rôle de codificateur, objectif que lui avait pourtant fixé le Conseil constitutionnel. Il pourrait être utile à cet égard d'imiter certains voisins européens, comme l'Allemagne, l'Italie ou la Belgique, qui n'hésitent pas à faire travailler les professeurs de droit dans l'ombre des cabinets ministériels. Il convient malgré tout de rendre hommage à la Commission supérieure de codification pour le travail remarquable qu'elle accomplit, et ce, malgré son manque de moyens. Il faut enfin souligner l'impact qu'ont eu sur cet échec les conflits insurmontés qu'ont connus, d'une part, les commissions permanentes du Sénat entre elles, d'autre part, les commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat. Il pourrait par ailleurs être envisagé de confier la codification de certains codes mineurs à l'exécutif, qui statuerait par ordonnance pour décharger le législateur d'une partie de sa lourde charge de travail.

L'Office parlementaire d'évaluation de la législation est, quant à lui, mort-né, du fait du manque de temps que les parlementaires sont en mesure de lui consacrer et du manque de crédits lui permettant de recruter les experts nécessaires. La tâche qui lui avait été confiée devrait quoi qu'il en soit naturellement échoir aux commissions permanentes. Dans cette perspective, il est impératif que les parlementaires modifient leurs méthodes de travail, afin de libérer le temps nécessaire au contrôle de l'application des lois.

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