Travaux de la délégation aux droits des femmes



DÉLÉGATION DU SÉNAT AUX DROITS DES FEMMES ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

Mardi 30 novembre 2004

- Présidence de Mme Gisèle Gautier, présidente.

Marchés publics - Sondage téléphonique sur la situation professionnelle des femmes au titre du bilan de la loi n° 2001-397 du 9 mai 2001 relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, dite « loi Génisson » - Présentation des résultats par Mme Laurence Parisot, présidente de l'IFOP

La délégation a entendu Mme Laurence Parisot, présidente de l'IFOP, présenter les résultats du sondage téléphonique sur la situation professionnelle des femmes au titre du bilan de la loi n° 2001-397 du 9 mai 2001 relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, dite « loi Génisson ».

Mme Gisèle Gautier, présidente, a rappelé les circonstances dans lesquelles la délégation avait élaboré en 2002 un rapport sur les inégalités salariales et formulé un certain nombre de recommandations tendant à leur résorption. Elle a indiqué qu'elle avait souhaité prolonger ces travaux, notamment pour vérifier dans quelle mesure la loi du 9 mai 2001 relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, dite « loi Génisson », était convenablement appliquée sur le terrain. Elle a rappelé que cette attention portée à la mise en oeuvre concrète de la législation sur la parité professionnelle correspondait très exactement à la vocation du Parlement, et donc à celle de la délégation aux droits des femmes.

Mme Gisèle Gautier, présidente, a ensuite accueilli et présenté Mme Laurence Parisot, présidente de l'IFOP. Puis elle a exposé les grands thèmes abordés à travers ce sondage et s'est félicitée des conditions dans lesquelles l'IFOP avait pu le réaliser. Enfin, elle a indiqué que, si la délégation en convenait, les résultats du sondage seraient publiés sous la forme d'un rapport d'information.

Mme Laurence Parisot, présidente de l'IFOP, après avoir rappelé que l'IFOP était le seul institut de sondage présidé par une femme, a fait observer que la féminisation de ses effectifs était particulièrement marquée, avoisinant 65 %. Elle a ensuite observé que la délégation avait commandé à l'IFOP une batterie d'indicateurs très complète permettant d'étudier dans le détail différentes facettes des inégalités entre hommes et femmes. Elle a alors présenté les résultats du sondage.

Mme Laurence Parisot a tout d'abord indiqué que 35 % des entreprises déclarent compter moins de 20 % de femmes dans leur effectif salarié, chiffre qu'elle a jugé particulièrement significatif. Elle a estimé nécessaire d'assurer un suivi de l'évolution de ces données pour pouvoir mesurer les transformations en cours dans le monde du travail. Elle a noté que, dans le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP), 94 % des entreprises emploient moins de 20 % de femmes, et que seules 7 % des entreprises en emploient plus de 80 %.

Abordant ensuite la comparaison entre les proportions d'hommes et de femmes travaillant à temps partiel, elle a tout d'abord indiqué que 71 % des entreprises ont, dans leur effectif salarié féminin, moins de 10 % d'employés à temps partiel. Elle a jugé essentiel de distinguer le temps partiel choisi du temps partiel contraint et a nuancé l'idée selon laquelle le temps partiel est nécessairement pénalisant pour les femmes, en prenant l'exemple de l'IFOP dans lequel un certain nombre de femmes marquent leur préférence pour de tels emplois.

Évoquant ensuite le nombre de femmes figurant parmi les dix rémunérations les plus élevées, Mme Laurence Parisot a relevé que, dans 6 % des entreprises employant plus de 80 % de femmes, aucune d'entre elles n'avait un des dix salaires les plus importants. Elle a noté que, dans un quart des entreprises, une seule femme était dans ce cas et que, dans un second quart, deux femmes figuraient dans la liste des dix premières rémunérations. Elle a noté que, dans un système égalitaire, les pourcentages devraient tendre à s'équilibrer. À propos de la perception de l'évolution des écarts salariaux entre hommes et femmes au cours de la carrière, elle a rappelé les termes de la question posée et a fait observer que cette formulation constituait en elle-même un aveu de l'existence de tels écarts. Elle a ensuite indiqué que 50 % des directions des ressources humaines (DRH) estimaient que ces écarts ont tendance à diminuer, 12 % qu'ils ont tendance à augmenter et 37 % qu'ils ne varient pas.

À propos de la partie du sondage consacrée à la fonction de la femme la mieux rémunérée dans l'entreprise, Mme Laurence Parisot a constaté qu'il s'agissait de femmes occupant le poste de directrice financière dans 9 % des cas, de directrice générale dans la même proportion et de présidente-directrice générale dans seulement 4 % des cas, en soulignant que ces fonctions stratégiques sont difficiles d'accès pour les femmes. Elle a estimé que, dans l'ensemble, ces données témoignaient du fait que le défi professionnel qu'avaient relevé les femmes il y a une trentaine d'années marquait aujourd'hui le pas, Mme Catherine Procaccia faisant toutefois observer que 21 % des femmes figuraient dans la rubrique « autre cadre ». Évoquant ensuite, à propos de la femme la mieux rémunérée de l'entreprise, sa place dans la hiérarchie de la rémunération, elle a observé que ce positionnement se situait le plus souvent au-delà de la dixième place.

S'agissant du « portrait robot » de la femme la plus rémunérée dans l'entreprise, Mme Laurence Parisot a noté qu'une nouvelle génération semblait se dessiner : il s'agit d'une femme ayant entre 35 et 44 ans (dans 39 % des entreprises), avec 6 à 10 ans d'ancienneté dans l'entreprise (dans 26 % des cas) et titulaire d'un diplôme de l'enseignement supérieur (67 %).

Puis elle a abordé la partie du sondage consacrée à l'application de la loi n° 2001-397 du 9 mai 2001 relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, dite « loi Génisson ». S'agissant de la tenue de négociations spécifiques sur l'égalité professionnelle entre hommes et femmes dans l'entreprise, elle a indiqué que 19 % des responsables des ressources humaines avaient répondu qu'elles avaient eu lieu en 2004, 18 % qu'elles devraient avoir lieu prochainement et 60 % qu'elles n'avaient pas eu lieu et n'auraient pas lieu dans l'immédiat, contrairement à l'obligation légale.

Commentant ce dernier chiffre, Mme Muguette Dini a rappelé que, selon de nombreux témoignages, l'égalité professionnelle n'était pas toujours au centre des préoccupations des syndicats.

Mme Laurence Parisot a fait observer, à propos du pourcentage d'entreprises où se sont tenues des négociations spécifiques sur l'égalité professionnelle, que la situation n'avait pas évolué sensiblement entre 2002 et 2003. Commentant les données sur la tenue de négociations spécifiques dans la branche d'activité, elle a observé que les entreprises ignoraient fréquemment la situation existante en la matière au niveau de leur branche. Elle a indiqué que 46 % des entreprises avaient, conformément à la loi, inclus la thématique de l'égalité homme/femme dans les négociations obligatoires dans l'entreprise et qu'au niveau des branches, cette inclusion avait été effectivement réalisée selon 51 % des DRH interrogées.

À propos du jugement porté par les entreprises sur l'efficacité de ces négociations, elle a constaté que 48 % des entreprises interrogées avaient considéré que celles conduites au niveau de la branche avaient permis des avancées significatives, ce chiffre s'établissant à 45 % au niveau de l'entreprise. Elle a noté que seules 32 % des entreprises interrogées avaient satisfait à l'obligation de rédiger en 2004 un rapport sur la situation comparée des hommes et des femmes. Puis elle s'est étonnée que, parmi les entreprises ayant rédigé un rapport, 12 % d'entre elles ne l'aient pas présenté au comité d'entreprise et 36 % ne l'aient pas transmis à l'inspection du travail. Sur la pertinence accordée à certains indicateurs, elle a indiqué que les données relatives à la rémunération effective (niveau des rémunérations et hiérarchie des salariés) avaient été jugées pertinentes par 80 % des DRH interrogées, tandis que les données en matière d'embauches et de départs (nombre d'embauches et de départs, motifs des départs) n'avaient été considérées comme telles que par 46 % d'entre elles. Elle a enfin noté que 48 % des entreprises avaient présenté ces indicateurs aux salariés de l'entreprise.

Mme Laurence Parisot a conclu en observant que le sondage effectué à l'initiative de la délégation mettait en évidence le fait que des marges de progression demeuraient importantes en matière d'égalité professionnelle entre les sexes, une telle enquête méritant d'être renouvelée dans quelques années pour pouvoir mesurer les évolutions intervenues.

Un débat s'est ensuite instauré.

Mme Gisèle Gautier, présidente, ouvrant la discussion avec les intervenants, a constaté la permanence d'une importante hétérogénéité en fonction des secteurs d'activité.

Mme Muguette Dini s'est demandé si des entreprises publiques faisaient partie de l'échantillon de l'enquête.

M. Jérôme Fourquet, directeur d'études au département opinion publique de l'IFOP, après avoir précisé que le sondage avait visé les entreprises soumises au code du travail, et donc certaines entreprises publiques, et que les données ne permettaient pas d'isoler leurs spécificités en matière d'égalité professionnelle entre les sexes, a estimé que les entreprises publiques devaient présenter des caractéristiques sensiblement identiques ou légèrement plus favorables à la situation des femmes.

Mme Gisèle Gautier, présidente, évoquant la permanence d'un « plafond de verre », a néanmoins estimé que l'on pouvait discerner une lueur d'espoir, notamment dans la montée du niveau de diplômes détenus par les nouvelles générations de femmes actives.

M. Jérôme Fourquet a fait observer que, même dans les entreprises féminisées, l'accès aux postes de direction restait difficile.

Mme Hélène Luc, rappelant que 35 % des entreprises comprenaient moins de 20 % de femmes, s'est demandé s'il existait des marges de progression en la matière.

Mme Laurence Parisot, prenant l'exemple du BTP, a estimé qu'un certain nombre de métiers de ce secteur pouvait être occupé par des femmes. S'agissant des entreprises publiques, elle a rappelé que le comité directeur de certaines des plus importantes d'entre elles ne comportait aucune femme.

Mme Hélène Luc s'est demandé si l'inapplication de la « loi Génisson » ne devrait pas se traduire plus souvent par une saisine de l'inspection du travail.

Mme Laurence Parisot a rappelé que, notamment en province, les chefs d'entreprise devaient faire face à l'obligation de traiter en urgence des questions essentielles à la survie de l'entreprise. Elle a estimé, en revanche, que les branches devraient consentir plus d'efforts en la matière.

Mme Gisèle Gautier, présidente, a rappelé les « labels égalité » et les divers accords signés par les entreprises à l'initiative du ministère de la parité pour faire progresser l'égalité entre hommes et femmes. Elle a estimé que ces diverses actions devaient avant tout faire l'objet d'une meilleure information en direction des entreprises.

Interrogée par Mme Hélène Luc, qui avait manifesté sa préoccupation à l'égard de la mobilisation des femmes en faveur du rééquilibrage des inégalités, Mme Laurence Parisot s'est dite frappée par la montée, depuis quelques années, d'une certaine misogynie dans le monde du travail, qui provoque chez les femmes plus d'étonnement que de mobilisation. Elle a ajouté que l'interrogation directe des femmes dans l'entreprise mettrait sans doute en évidence des difficultés tenant au climat des relations du travail.

M. Yannick Bodin a marqué son vif intérêt pour le sondage et souligné le défaut d'application de certaines lois en vigueur. Il a rappelé que la féminisation de certains secteurs d'activité correspondait, sinon à une certaine logique, du moins parfois à un désir, pour certaines femmes, de parvenir à une meilleure conciliation de la vie familiale et professionnelle. Il a également évoqué le cas des jeunes femmes très diplômées qui ne trouvent pas de débouchés professionnels et a posé la question de l'efficacité de l'orientation au sein de l'éducation nationale. Il a enfin illustré l'importance de l'évolution des mentalités et des représentations et estimé nécessaire d'analyser les obstacles concrets au travail des femmes, ces dernières préférant par exemple exercer une activité professionnelle dans les entreprises disposant d'une crèche.

Mme Gisèle Gautier, présidente, a rappelé que le rapport annuel de la délégation sur la mixité dans la France d'aujourd'hui avait montré combien l'orientation scolaire était marquée par des stéréotypes sexués. Elle a d'ailleurs noté que le terme « mixité » ne figurait pas dans le code de l'éducation. Les jeunes femmes sont également orientées, trop souvent encore, vers des métiers prétendument féminins. Elle a estimé que si la situation évoluait lentement, des progrès considérables restaient à accomplir.

Mme Annie David a jugé que les résultats du sondage montraient que le diplôme était une garantie d'accès aux postes d'encadrement pour les femmes, ce dont elle s'est réjouie, tout en s'interrogeant sur l'avenir professionnel des femmes qui n'ont pas suivi de longues études. Elle s'est demandé si les femmes diplômées avaient toute la place qu'elles méritaient au sein des entreprises, alors que subsistent des freins importants à leur progression professionnelle, les femmes demeurant, à diplôme égal, moins bien rémunérées que les hommes. Elle a fait part de son étonnement de ce que tant de responsables des ressources humaines aient répondu que les négociations spécifiques prévues par la loi ne seraient pas organisées prochainement. Elle a noté que la méconnaissance des dispositions législatives ne devait pas être surestimée et a jouté que les branches devaient jouer un rôle d'information, en particulier dans les petites et moyennes entreprises. Enfin, elle a considéré que l'orientation scolaire et professionnelle des femmes ne devait pas être subie et que la présence de femmes dans des métiers dits masculins, par exemple dans le BTP, ne posait pas de problèmes, pourvu qu'elle soit acceptée.

Mme Gisèle Printz a félicité la présidente pour l'idée de cette étude et a estimé que le ministère aurait dû lui-même conduire une enquête de ce type. Elle a aussi refusé de faire de la méconnaissance de la loi par les petites et moyennes entreprises un argument acceptable de la mauvaise application de ces dispositions. Elle a souligné que les salaires stagnaient souvent quand une profession se féminisait. Les femmes, a-t-elle estimé, devraient davantage bénéficier des dispositifs de la formation professionnelle.

Mme Laurence Parisot a considéré qu'une entreprise de moins de 100 salariés éprouvait de réelles difficultés à connaître l'ensemble des dispositions législatives qui s'imposaient à elle, ce qui ne doit pas empêcher la recherche d'une meilleure application de la « loi Génisson ». Par ailleurs, elle a souligné l'importance du discours des médias sur les femmes et a noté, à cet égard, les nombreux dérapages sexistes dans la publicité ou sur les ondes de certaines radios écoutées par les jeunes.

Mme Christiane Kammermann s'est félicitée de la grande qualité du sondage effectué par l'IFOP. Elle a estimé, pour sa part, que les femmes ne pouvaient de fait exercer certains métiers, et jugé important que celles-ci conservent leur féminité.

M. Yannick Bodin a précisé sa pensée en indiquant qu'il avait voulu évoquer la question de la pénibilité de certains métiers pour les femmes.

Mme Muguette Dini a relevé, par analogie avec le problème de l'égalité professionnelle, que l'introduction de la parité dans la Constitution avait permis aux femmes, en quelques années, d'être plus nombreuses dans les institutions politiques, leur poids accru permettant de faire évoluer la situation.

Mme Hélène Luc a rappelé le rôle considérable joué, en leur temps, par certaines sénatrices dans la création d'une mission d'information sur la place des femmes dans la vie publique.

Mme Gisèle Gautier, présidente, a relevé, pour s'en féliciter, que la cause des femmes constituait un sujet consensuel allant au-delà des opinions partisanes. Elle a souligné le rôle considérable de la politique volontariste engagée par Mme Nicole Ameline. Enfin, elle a évoqué la suite des travaux de la délégation concernant l'égalité professionnelle et indiqué que la délégation devrait réfléchir aux moyens d'améliorer l'application de la « loi Génisson ».

Puis la délégation a décidé d'autoriser la publication des résultats du sondage sous la forme d'un rapport d'information.