ARTICLE 4 OCTIES (DEVENU ARTICLE 17 DE LA LOI DE FINANCES POUR 2012)
MODIFICATION DES MODALITÉS DE CALCUL DE LA RÉSERVE SPÉCIALE DE PARTICIPATION

Article additionnel après l'article 4

I. DÉBATS DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE EN PREMIÈRE LECTURE (TROISIÈME SÉANCE DU JEUDI 20 OCTOBRE 2011)

M. le président. La parole est à M. Olivier Carré pour soutenir l'amendement n° 163, qui fait l'objet d'un sous-amendement n° 417, ainsi rédigés :

APRÈS L'ARTICLE 4, insérer l'article suivant :

I. - Après la dernière occurrence du mot : « impôts », la fin de la première phrase du 1° de l'article L. 3324-1 du code du travail est supprimée.

II. - Le I s'applique à compter des exercices clos au 21 septembre 2011.

Sous-amendement N° I - 417 à l'amendement n° 163 de M. FORISSIER

APRÈS L'ARTICLE 4

À l'alinéa 2, substituer aux mots :

« clos au »,

les mots :

« ouverts à partir du ».

M. Olivier Carré. Il s'agit d'une coordination du calcul de la réserve de participation, qui inclut des règles de report déficitaire, avec les nouvelles règles s'appliquant à l'impôt sur les sociétés depuis la dernière loi de finances rectificative. Cet amendement vise à rétablir une concordance entre les deux dispositifs, qui ne sont pas tout à fait équivalents aujourd'hui.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général pour donner l'avis de la commission et soutenir le sous-amendement n° 417.

M. Gilles Carrez, rapporteur général . La commission est favorable à l'amendement, sous réserve de l'adoption du sous-amendement.

(Le sous-amendement n° 417, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

(L'amendement n° 163, sous-amendé, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

http://www.assemblee-nationale.fr/13/cri/2011-2012/20120022.asp#P80_3010

II. TEXTE ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE EN PREMIÈRE LECTURE

Article 4 octies (nouveau)

I. - Après la seconde occurrence du mot : « impôts », la fin de la première phrase du 1° de l'article L. 3324-1 du code du travail est supprimée.

II. - Le I s'applique à compter des exercices ouverts à partir du 21 septembre 2011.

III. RAPPORT SÉNAT N°107 (2011-2012) TOME II

Commentaire : adopté à l'initiative de nos collègues députés Nicolas Forissier et Olivier Carré, le présent article modifie les règles d'imputation des déficits antérieurs pour la détermination du bénéfice fiscal retenu dans le calcul de la réserve spéciale de participation.

I. LE DROIT EXISTANT

A. LA RÉSERVE SPÉCIALE DE PARTICIPATION EST CALCULÉE EN FONCTION DU BÉNÉFICE FISCAL

La participation a « pour objet de garantir collectivement aux salariés le droit de participer aux résultats de l'entreprise » (article L. 3322-1 du code du travail). Elle est obligatoire dans les entreprises de plus de 50 salariés - tandis que l'intéressement demeure toujours facultatif.

Elle prend la forme d'une « participation financière à effet différé, calculée en fonction du bénéfice net de l'entreprise, constituant la réserve spéciale de participation » (article L. 3322-1 précité).

La formule de calcul de la réserve spéciale de participation (RSP) est fixée par l'article L. 3324-1 du code du travail, modifié par le présent article.

La base de calcul de la RSP est le bénéfice fiscal de l'entreprise, qu'elle soit imposée à l'impôt sur le revenu (IR) ou à l'impôt sur les sociétés (IS).

B. LE CODE DU TRAVAIL PRÉVOIT UNE DÉROGATION AUX RÈGLES FISCALES AFIN DE LIMITER LES IMPUTATIONS DES DÉFICITS ANTÉRIEURS SUR LE BÉNÉFICE FISCAL

Par l'effet du régime de report en avant des déficits antérieurs (« carry forward »), le bénéfice fiscal d'une année N peut se retrouver sensiblement diminué, voire nul - par imputation de l'ensemble des déficits antérieurs.

Afin de ne pas priver les salariés de participation lorsque l'entreprise redevient bénéficiaire , le code du travail , en son article L. 3324-1 précité, prévoit une dérogation aux dispositions fiscales.

La règle fiscale du report en avant est en partie « neutralisée » . Ainsi, pour le calcul de la RSP, le bénéfice fiscal net est obtenu après imputation des seuls déficits antérieurs de moins de cinq ans 1 ( * ) .

Comme le montre le tableau ci-dessous, il existe une discordance entre le bénéfice retenu pour l'imposition à l'IS et celui utilisé pour le calcul de la RSP.

Déficits antérieurs à N-5

Déficits cumulés
[N-5 / N-1]

N

Bénéfice retenu

Bénéfice retenu pour l'imposition à l'IS

- 50

- 50

100

0

Bénéfice retenu pour le calcul de la RSP

- 50

- 50

100

50

Cette disposition résulte de l'adoption par le Sénat d'un amendement de notre collègue Isabelle Debré, lors de l'examen de la loi pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié du 30 décembre 2006, dont elle était rapporteure au fond.

A l'époque, dans le projet de loi initial, le Gouvernement avait entendu supprimer totalement la possibilité d'imputer les déficits antérieurs pour le calcul de la RSP . Notre collègue Isabelle Debré avait expliqué qu'une « période de cinq ans [semblait] plus réaliste [...] pour permettre à des entreprises ayant connu une situation déficitaire de reconstituer leurs fonds propres avant d'être tenues de verser à nouveau de la participation.

« Une telle mesure représente également un enjeu important en termes d'attractivité pour notre pays ».

C. LA RÉCENTE MODIFICATION DES RÈGLES DU REPORT EN AVANT A CONDUIT À UNE DÉCONNECTION DU DROIT FISCAL ET DU DROIT DU TRAVAIL

L'article 2 de la deuxième loi de finances rectificative pour 2011 du 20 septembre 2011 a modifié le régime du report en avant . S'il demeure toujours illimité dans le temps, il est désormais doublement plafonné à hauteur d'un million d'euros et, lorsque le déficit est supérieur à ce montant, à 60 % de la fraction du bénéfice imposable dudit exercice qui excède cette première limite.

Désormais le code général des impôts retient un plafonnement des déficits antérieurs en montant tandis que le code du travail retient un plafonnement en durée .

II. LE DISPOSITIF INTRODUIT PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

A. ALIGNER LES DISPOSITIONS DU CODE GÉNÉRAL DES IMPÔTS ET DU CODE DU TRAVAIL

Constatant une divergence entre droit du travail et droit fiscal, nos collègues députés Nicolas Forissier et Olivier Carré ont entendu « réunifier la définition du bénéfice fiscal imposable à l'impôt sur les sociétés et celle du bénéfice net retenu pour la détermination de la participation des salariés » (exposé des motifs de l'amendement).

A leur initiative, l'Assemblée nationale a adopté un amendement, ayant reçu un avis favorable du Gouvernement et sous-amendé par la commission, tendant à insérer le présent article additionnel. Il met fin à la « neutralisation » partielle du régime de report en avant. Par conséquent, le bénéfice fiscal net retenu pour le calcul de la RSP sera le même que celui déterminé pour l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés .

Notre collègue député Gilles Carrez, rapporteur général, a proposé un sous-amendement, adopté par l'Assemblée nationale, tendant à ce que les nouvelles règles de calcul de la RSP s'appliquent à compter des exercices ouverts à partir du 21 septembre 2011 afin d'éviter toute rétroactivité du dispositif (l'amendement prévoyait initialement qu'il s'appliquait à compter des exercices clos à cette date).

B. UN DISPOSITIF QUI NE PEUT ENTRAÎNER QU'UNE DIMINUTION DE LA RÉSERVE SPÉCIALE DE PARTICIPATION

Deux cas doivent être distingués pour analyser les effets résultant du dispositif proposé par le présent article.

Dans le premier cas, l'entreprise a accumulé des déficits antérieurs de plus de cinq ans. Le dispositif proposé est alors moins favorable aux salariés puisque le montant global de la RSP va diminuer par l'imputation d'une somme de déficits supérieure à celle actuellement permise , le report étant illimité dans le temps.

Dans le second cas, l'entreprise n'impute que des déficits antérieurs de moins cinq ans. La somme des déficits est donc la même qu'aujourd'hui et le montant global de la RSP ne variera pas .

Le tableau ci-dessous récapitule les deux hypothèses en comparaison du droit actuel. On retient une entreprise qui constate des déficits jusqu'à l'exercice N où elle est bénéficiaire de 100.

Bénéfice retenu pour le calcul de la RSP

Déficits antérieurs à N-5

Déficits cumulés
[N-5 / N-1]

N

Bénéfice retenu

Droit actuel

- 50

- 50

100

50

Cas n° 1

- 50

- 50

100

0

Cas n° 2

0

- 50

100

50

En résumé, le présent article entraîne, au pire, une perte globale de RSP pour les salariés et, au mieux, s'en tient au statu quo par rapport au droit actuel.

III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES

A. UNE DIVERGENCE LÉGISLATIVE QUI NE DOIT PAS ÊTRE SURESTIMÉE

Comme indiqué précédemment, les deux corpus de règles applicables pour la détermination du bénéfice fiscal ne sont plus en phase suite à l'adoption de la deuxième loi de finances pour 2011.

Néanmoins, cette divergence n'apparaît pas dirimante. Elle signifie que les règles du droit du travail ont vocation à s'appliquer de manière autonome à celles du droit fiscal .

A partir d'un même bénéfice fiscal brut - 1 200 dans le tableau ci-dessous - le droit du travail et le droit fiscal appliquent, chacun selon leur logique, un plafond à l'imputation des déficits antérieurs : le premier sur une base temporelle, le second sur une base quantitative .

Déficits
antérieurs
à N-5

Déficits
cumulés
[N-5 / N-1]

Bénéfice N

Bénéfice retenu pour l'imposition à l'IS

Bénéfice retenu
pour le calcul de la RSP

Avant LFR pour 2011

- 1 000

- 1 100

1 200

0

100

Après LFR pour 2011

- 1 000

- 1 100

1 200

80

100

L'exposé des motifs de l'amendement dont est issu le présent article explique que ce dispositif « constituerait une mesure importante de simplification ». Cette affirmation est contestable :

- les règles de calcul de la RSP n'ont pas été modifiées par la deuxième loi de finances rectificative pour 2011. Les modifications apportées au régime des reports pour le calcul de l'IS ne se traduisent donc par aucune charge supplémentaire, en termes de gestion, pour les entreprises et leurs experts-comptables ;

- il ne peut pas être exclu que la principale motivation de ce dispositif ne soit pas la simplification mais la volonté de restituer aux entreprises, en réduisant les sommes qu'elles doivent consacrer à la participation, une partie de l'augmentation d'IS qui résulte pour elles de la réforme du régime des reports de déficit.

B. UN CAVALIER BUDGÉTAIRE

Le présent article, bien qu'il se réfère au code général des impôts, n'a pas d'incidence sur le rendement des impositions de toute nature et ne modifie pas l'équilibre du projet de loi de finances pour 2012 .

Il est par conséquent en dehors du champ des lois de finances , défini par l'article 34 de la loi organique relative aux lois de finances du 1 er août 2001 (LOLF).

C. NE PAS PORTER PRÉJUDICE À LA PARTICIPATION

En 2006, le projet de loi initial pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié entendait purement et simplement interdire l'imputation des déficits antérieurs. La logique du Gouvernement était la suivante : dès lors que le groupe redevient bénéficiaire, ses salariés doivent en retirer des fruits .

A l'époque, il avait été opposé un raisonnement d'ordre économique, rappelé plus haut, qui considère que la participation n'est pas prioritaire tant que la bonne santé de l'entreprise n'est pas totalement assurée.

Lors des débats au Sénat, le groupe socialiste, en la personne de notre collègue Jean-Pierre Godefroy, avait soutenu le texte gouvernemental : « nous voici à nouveau en opposition avec notre rapporteur, qui propose d'aller au-delà des dispositions du texte qui nous est soumis, en autorisant le report des cinq déficits annuels antérieurs. Nous proposons, quant à nous, la suppression de cette possibilité comptable qui permet de priver les salariés de participation ».

Le retour au texte initial n'avait toutefois pu être obtenu mais la solution proposée en 2006 n'est pas caduque : l'interdiction d'imputer les déficits antérieurs lors du calcul de la RSP constituerait un moyen efficace et juste en vue d'améliorer la participation des salariés .

Décision de la commission : votre commission des finances vous propose de supprimer cet article.


* 1 Par référence à l'ancienne limite de cinq ans dans le régime du report en avant, supprimée par l'article 89 de la loi de finances pour 2004.