III. COMMISSION MIXTE PARITAIRE : DÉSACCORD

IV. RAPPORT ASSEMBLÉE NATIONALE N° 4071 (XIIIÈME LÉGISLATURE) NOUVELLE LECTURE

Article 2 ter (nouveau)

Suppression de la défiscalisation des heures supplémentaires

Adopté à l'initiative du Sénat contre l'avis du Gouvernement, le présent article vise à supprimer l'exonération d'imposition des heures supplémentaires prévue à l'article 1 er de la loi n° 2007-1223 du 21 août 2007 en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat.

Le rapporteur général propose de supprimer cet article.

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* *

La Commission en vient à l'amendement CF 41 du rapporteur général, tendant à supprimer l'article 2 ter .

M. le rapporteur général. Il s'agit de revenir sur la suppression de la défiscalisation des heures supplémentaires.

La Commission adopte l'amendement CF 41 du rapporteur général supprimant cet article.

En conséquence, l'article 2 ter est supprimé .

V. DÉBATS ASSEMBLÉE NATIONALE EN NOUVELLE LECTURE DU LUNDI 5 DÉCEMBRE 2011

Article 2 ter

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard, inscrit sur l'article 2 ter .

M. Jean-Pierre Brard. Madame la ministre, il faut que je vous le dise franchement : nous avons l'impression de prêcher dans le désert. Je pense à Moïse redescendant de la montagne et à ce qu'il advint de ceux qui adoraient le veau d'or, et dont le sort pourrait peut-être vous paraître un jour familier...

M. Bernard Perrut. Quelle référence !

M. René-Paul Victoria. Moïse avait les tables de la loi !

M. Jean-Pierre Brard. Mais nous avons, nous, les tables de la justice, aussi fortes que les tables de la loi, les tables de la fraternité...

M. René-Paul Victoria. Et de l'unité !

M. Yves Vandewalle. Et de la simplicité !

M. Jean-Pierre Brard. Je vois, mon cher collègue, que nous commençons à vous évangéliser !

La majorité sénatoriale a adopté un amendement de nos collègues sénateurs qui confirmait notre volonté de voir disparaître le dispositif de défiscalisation des heures supplémentaires introduit dans la loi TEPA. Vous vous rappelez que la Cour et le rapporteur général avaient à l'époque conclu à la faible efficacité du dispositif.

Selon certains, la suppression de ce dispositif porterait atteinte au pouvoir d'achat des ménages les plus modestes et mettrait en cause l'emploi et la qualité de vie de millions de salariés. Je rappellerai simplement que, entre la défiscalisation des heures supplémentaires et l'absence de certaines cotisations sociales, ce sont 4,3 milliards d'euros de recettes fiscales et sociales qui ont été perdus. Au regard de cette somme, d'après les analyses les plus officielles, le bénéfice du dispositif pour le PIB ne s'élèverait qu'à 3 milliards d'euros. En clair, la mesure coûte plus aux caisses de l'État et de la sécurité sociale qu'elle ne leur rapporte !

Toutefois, nous pourrions aussi nous demander si la division de cette somme de 4,3 milliards d'euros par le chiffre de 9 millions de salariés ne donnerait pas une idée de l'impact de la mesure. Faisons d'ailleurs cette petite division : la portée du dispositif - exonérations patronales comprises, rappelons-le - est alors réduite à 500 euros environ par an et par salarié, soit 42 euros par mois. Autrement dit, la réalité de la mesure n'est pas aussi reluisante que M. Xavier Bertrand et l'UMP dans son ensemble cherchent à nous le faire croire !

En outre, ces fameuses heures supplémentaires pèsent sur certains droits dits « connexes ». Soyons clairs sur ce point : plus vous effectuez d'heures supplémentaires, moins le montant de votre prime pour l'emploi est élevé et moins vos impôts locaux seront plafonnés. Surtout, ne l'oublions jamais, une rémunération exonérée de cotisations sociales n'ouvre droit à aucune prestation. Travaillez plus et votre retraite sera plus faible : telle est la vérité de la loi TEPA et la devise de l'UMP !

M. le président. La parole est à M. Pierre-Alain Muet.

M. Pierre-Alain Muet. L'article 2 ter supprime ce dispositif absurde dans la conjoncture actuelle de subvention aux heures supplémentaires. Non que dans l'absolu cette politique n'ait pas de sens ; elle pourrait avoir un sens en période de plein-emploi.

M. Jérôme Chartier. Quel revirement ! Les élections approchent !

M. Éric Raoult. On dirait du Hollande !

M. Pierre-Alain Muet. Je l'ai toujours dit ! Dans les années cinquante, quand la France manquait de travailleurs, les heures supplémentaires se pratiquaient massivement, et il n'était d'ailleurs pas nécessaire de les subventionner. Mais, en période de chômage, dépenser 4,5 milliards d'euros pour subventionner des heures supplémentaires dont tous les instituts de conjoncture montrent qu'elles ont pour effet de détruire des emplois est une aberration : ce qui est gagné par les salariés qui ont un emploi est perdu par les salariés qui sont au chômage, de sorte que l'effet sur le revenu est nul : n'importe quel institut de conjoncture vous le dira.

M. Jérôme Chartier. Allez dire cela aux neuf millions de salariés qui en bénéficient !

M. Pierre-Alain Muet. J'ajoute qu'un excellent rapport rédigé par notre vice-président Jean Mallot et notre collègue Jean-Pierre Gorges pointe les nombreux effets d'aubaine et préconise au minimum de supprimer la partie incitation aux entreprises, qui est une absurdité.

Je suis convaincu d'une chose, c'est que ce dispositif sera repris dans tous les cours d'économie comme un modèle d'hérésie économique ! En période de chômage élevé, c'est une arme de destruction massive de l'emploi.

Comment l'Allemagne a-t-elle fait baisser son taux de chômage dans la crise ? En réduisant le temps de travail !

M. Yves Censi. Combien avez-vous dépensé pour diminuer le temps de travail ?

M. Pierre-Alain Muet. Je rappelle que l'Allemand travaille en moyenne 35,5 heures par semaine quand le Français travaille 38 heures. On pratique outre-Rhin le Kurzarbeit, c'est-à-dire le « travail court », subventionné, de sorte que les salariés sont restés dans l'emploi au lieu d'être au chômage. Et si l'Allemagne a réussi à faire 3 % de croissance, c'est que ses salariés étaient en place.

Si vous aviez un minimum de réflexion économique, vous supprimeriez cette mesure absurde.

M. Jérôme Chartier. Si vous aviez une réflexion économique, jamais vous n'auriez fait les 35 heures !

M. Pierre-Alain Muet. Je sais bien que cette mesure est emblématique de votre politique du « travailler plus », mais quand une mesure emblématique est absurde, il faut y mettre fin.

Mme Marylise Lebranchu. Bravo !

M. le président. L'amendement n° 100 présenté par M. Carrez, rapporteur général au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. le rapporteur général, pour soutenir l'amendement de suppression n° 100.

M. Gilles Carrez, rapporteur général . Cet amendement vise à supprimer l'article 2 ter qui conduirait à annuler l'excellente mesure de défiscalisation des heures supplémentaires.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Valérie Pécresse, ministre. Favorable

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le rapporteur général, ce n'est pas moi mais vous qui avez écrit dans un rapport très pertinent, publié peu de temps après la mise en place de la mesure en question, qu'elle n'avait pas prouvé son efficacité.

« Souvent femme varie, bien fol est qui s'y fie » entendait-on dire durant la Renaissance, époque à laquelle régnait la misogynie. Il serait tout de même dommage que l'on puisse vous appliquer la formule. (Sourires.) Vous devriez revenir à votre position première.

M. le président. La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Monsieur Muet, votre présentation n'est ni honnête ni équilibrée.

Pour commencer, la mesure dont vous parlez a été prise avant le déclenchement de la crise. Vous auriez donc pu admettre qu'elle était économiquement défendable au moment de son adoption, même si la crise peut nous amener depuis à nous poser des questions.

Ensuite, cette mesure avait entre autres objectifs celui de soutenir le pouvoir d'achat des travailleurs pauvres. Qui fait des heures supplémentaires ?

M. Pierre-Alain Muet. L'effet sur le revenu global, c'est zéro !

M. Charles de Courson. Cette mesure a permis une distribution de pouvoir d'achat en faveur de plusieurs millions de salariés modestes car les activités qui utilisent ce dispositif ne font pas travailler des cadres supérieurs.

Vous oubliez donc de dire que si nous votions l'article 2 ter , nous priverions les catégories sociales les plus modestes d'un moyen d'assurer une amélioration de leur niveau de vie. C'est bien le problème que vous aurez si vous revenez au pouvoir si vous voulez abroger ce dispositif : on vous accusera d'être complètement antisociaux.

Je croyais que la gauche défendait le travail ; en fait, elle ne le défend plus depuis longtemps.

M. Jean-Pierre Brard. Vous, vous défendez la corvée !

M. Charles de Courson. Si la gauche défendait le travail, ça se saurait ! Votre position montre une nouvelle fois que vous ne défendez pas le travail des gens modestes.

M. Jean-Pierre Brard. À quand le retour de la gabelle ?

M. le président. La parole est à M. Pierre-Alain Muet.

M. Pierre-Alain Muet. Dans la situation actuelle, l'effet de la mesure relative aux heures supplémentaires sur le revenu global est strictement nul parce qu'il y a, d'un côté, des salariés qui perdent leur emploi et, de l'autre, des salariés qui sont mieux rémunérés.

M. Jérôme Chartier et M. Guy Malherbe. Pas du tout !

M. Pierre-Alain Muet. Quelles sont les solutions ? D'abord, mieux rémunérer les heures supplémentaires. Cela dissuadera l'employeur d'y avoir recours au lieu d'embaucher, et cela permettra aux salariés concernés d'être mieux payés. Il faut ensuite augmenter la prime pour l'emploi. Cela compensera en partie l'effet que les heures supplémentaires peuvent avoir sur le revenu de salariés que vous avez un peu oubliés.

Monsieur de Courson, je peux vous prouver qu'en appliquant simultanément ces deux mesures, on y gagne. On arrête de détruire des emplois et on arrête une politique imbécile.

M. Jérôme Chartier. Vous pouvez parler : vous avez fait les 35 heures ! Quel succès !

M. le président. La parole est à Mme Marylise Lebranchu.

Mme Marylise Lebranchu. Cette semaine, j'ai reçu une délégation de salariés d'une importante entreprise l'agroalimentaire de la région Bretagne, que M. Le Fur connaît bien. Plus de 85 % des personnes concernées perçoivent un salaire situé entre le SMIC et le SMIC plus 3,5 %.

Ces salariés m'ont expliqué combien il est dur de satisfaire les besoins d'heures supplémentaires lors des pics d'activité : ils regrettent de ne pas avoir plutôt de nouveaux collègues. Ils demandent aussi une revalorisation globale des salaires et, dans la mesure du possible, de la prime pour l'emploi.

Dans les grosses entreprises du secteur de l'agroalimentaire, l'activité est fluctuante : les périodes d'inactivité succèdent aux périodes d'activité intense. Le surplus de salaire versé grâce aux heures supplémentaires équivaut à une centaine d'euros par an. Compte tenu de la dureté du travail, le fait que les salariés se retrouvent dans l'obligation de faire des heures supplémentaires - et il s'agit souvent d'une obligation -, pose tout de même une véritable question.

Le phénomène est flagrant si l'on prend l'exemple du secteur de la distribution, et en particulier le cas de la grande distribution. On trouve d'un côté des salariés ayant signé des contrats pour un temps de travail inférieur à 35 heures et, de l'autre, ceux qui font des heures supplémentaires. Le partage défavorable du travail est à ce point évident et répandu que certains dirigeants de ce secteur envisagent même d'ouvrir la porte aux embauches.

On ne peut pas dire qu'en donnant 80 euros de plus par an à des salariés de la grande distribution, on prend vraiment en compte leur situation. On a par exemple oublié qu'en les faisant travailler le samedi, on les oblige souvent à dépenser cet argent pour faire garder leurs enfants. Ils attendent de nous que nous les aidions à avoir des salaires plus décents, y compris par rapport aux résultats de leur entreprise, plutôt que le bénéfice d'une défiscalisation qui est en fait en cadeau de l'État à leur employeur.

Il faut arrêter de nous faire pleurer sur ce que serait la disparition des heures supplémentaires. Dans ma circonscription, je vois défiler les chômeurs : je vous prie d'entendre que ce qui est attendu de nous tous dans des régions comme la mienne, mais probablement aussi sur l'ensemble du territoire, c'est avant tout la création d'emplois.

M. Régis Juanico. Bravo !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.

M. Gilles Carrez, rapporteur général . Madame Lebranchu, j'ai écouté votre témoignage avec attention et je connais votre sincérité.

Toutefois, pour ma part, j'ai une expérience qui est exactement l'inverse de la vôtre. À la fin de l'année 2001 et au début de l'année 2002, lors de rendez-vous dans ma permanence de Champigny-sur-Marne, ville difficile à la population très ouvrière, j'ai très souvent entendu mes interlocuteurs me dire : « Monsieur le député, depuis qu'il y a les 35 heures, on ne s'en sort plus. » En revanche, dans l'autre partie de ma circonscription, à Bry-sur-Marne ou au Perreux-sur-Marne, où résident plutôt des cadres moyens et supérieurs, les choses se passaient très bien. Les 35 heures se traduisaient surtout en termes de RTT.

M. Marc Le Fur. Et voilà !

M. Yves Vandewalle. C'est très vrai !

M. Gilles Carrez, rapporteur général . J'ai essayé de comprendre ces ressentis radicalement opposés. Dans ma permanence de Champigny, on m'a répondu : « Nous ne pouvons plus faire d'heures supplémentaires, nous n'arrivons plus à nous en sortir. » Même si cela peut paraître paradoxal, les analyses faites à l'occasion de l'élection présidentielle de 2002 ont bien montré que le candidat socialiste s'était pour partie aliéné le vote ouvrier en raison des 35 heures.

Sans contester votre témoignage, madame Lebranchu, mais fort de mon expérience, je rejoins sans réserve la position de Charles de Courson. Ceux qui, demain, supprimeront la mesure de défiscalisation des heures porteront un coup très violent au pouvoir d'achat des plus modestes, en particulier à celui des ouvriers.

M. le président. La parole est à M. Jérôme Chartier.

M. Jérôme Chartier. La caricature dont cette mesure fait l'objet au sein du parti socialiste me gêne terriblement.

M. Jean-Pierre Brard. Heureusement que vous avez le parti socialiste ! (Sourires.)

M. Jérôme Chartier. Nous avons tous entendu un slogan de campagne qui parlait de « 75 milliards d'euros pour les riches ». J'ai vu une affiche prétendant que Nicolas Sarkozy avait fait, en cinq ans, « 75 milliards de cadeau aux plus riches »...

M. Régis Juanico. Très bonne affiche !

M. Christian Eckert. Vous voulez qu'on vous en dédicace une ?

M. Jérôme Chartier. ...dont 18 milliards au titre des heures supplémentaires. Autrement dit, selon le parti socialiste, les neuf millions de personnes qui effectuent chaque année 150 millions d'heures supplémentaires font partie des Français les plus riches. Dire cela, c'est insulter ces neuf millions de Français. Ils n'appartiennent certainement pas aux plus aisés d'entre nous mais plutôt à la classe moyenne. Grâce à cette mesure, ils ont réussi, en cinq ans, à toucher, en moyenne, un mois et demi de salaire supplémentaire. Il s'agit d'un vrai pouvoir d'achat supplémentaire.

Je voudrais que notre mesure ne soit plus caricaturée ; elle n'est pas un cadeau fait aux plus riches. Il est vrai que cet argument a servi de leitmotiv au moment de l'examen de la loi TEPA. Aujourd'hui chacun peut observer que ce n'est pas vrai.

J'observe par ailleurs ce qui semble être une divergence de fond au sein du parti socialiste entre les proches de M. Hollande, qui veulent conserver une partie de la mesure, et le Sénat qui veut la supprimer intégralement. Nous parlons sans doute d'une des mesures les plus emblématiques du premier quinquennat du chef de l'État : elle a concerné à la fois le pouvoir d'achat et les classes moyennes françaises. Je pense qu'il faudra la conserver et je crois que vous vous renierez.

M. Richard Mallié. Ce ne sera pas la première fois !

M. Jérôme Chartier. Dans le projet présidentiel, M. Hollande sera bien obligé de faire amende honorable et de soutenir une mesure qui sert largement toutes les classes moyennes de notre pays.

M. le président. La parole est à M. Régis Juanico.

M. Régis Juanico. J'invite Jérôme Chartier et Charles de Courson à lire attentivement le rapport d'information de nos collègues Jean Mallot et Jean-Pierre Gorges sur les heures supplémentaires défiscalisées, publié au mois de juillet dernier. Il montre que le dispositif en question est coûteux, voire ruineux...

M. Jérôme Chartier. Allez dire cela à quelqu'un qui touche des heures supplémentaires !

M. Régis Juanico. ...et improductif, inefficace, et qu'il empêche la création d'emploi dans les entreprises.

Il montre aussi et surtout ce que nous avons tous constaté sur le terrain en recevant des ouvriers dans nos permanences : il y a bien eu des heures supplémentaires défiscalisées sur la fiche de paie, mais par le fait qu'elles entraient dans le revenu fiscal de référence, certains ont perdu la prime pour l'emploi, ou vu diminuer leur prestation logement ou certaines prestations sociales. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jérôme Chartier. Cet argument est d'une absolue mauvaise foi !

M. Régis Juanico. Au final, vous avez fabriqué une série d'effets pervers : ce que vous avez donné d'un côté en augmentation de pouvoir d'achat, vous l'avez repris de l'autre en diminuant les prestations dont bénéficiaient les bas salaires.

Nous sommes partisans d'une meilleure rémunération des heures supplémentaires, qui se fondera sur la durée légale du travail. En revanche, nous voulons supprimer le dispositif que vous avez mis en place.

M. le président. La parole est à M. Marc Le Fur.

M. Marc Le Fur. Le clivage qui nous divise sur le fond repose sur nos conceptions divergentes du marché du travail.

Vous restez dans la logique qui vous a déjà guidée lors de la conception des 35 heures. Pour vous, le travail est un gâteau que l'on partage. Dans ce cadre, votre raisonnement est logique : donner un peu plus de travail, via les heures supplémentaires, à ceux qui travaillent déjà équivaudrait à enlever des heures de travail potentielles à ceux qui sont à la recherche d'un emploi.

Notre conception est totalement différente : le travail crée le travail et l'activité génère une autre activité.

M. Régis Juanico. Et un million de chômeurs de plus !

M. Marc Le Fur. Vous faites une autre erreur conceptuelle : le marché du travail n'est pas unique : il est divers. Vous avez des secteurs dans lesquels les employeurs recherchent des salariés sans en trouver. Ils sont alors dans l'obligation d'avoir recours à des heures supplémentaires.

M. Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances. C'est bien pour cela que la défiscalisation est inutile !

M. Marc Le Fur. Mme Lebranchu citait le secteur de l'agroalimentaire ; c'est le cas dans une circonscription comme la mienne, sans doute l'une des plus ouvrières de France. Nous sommes à 5% de chômage. Les employeurs de ce secteur ne sont pas en mesure de trouver des salariés leur permettant de faire face à un pic momentané de production - phénomène positif par ailleurs. Les heures supplémentaires sont donc absolument indispensables.

Sur le plan social enfin, le rapporteur général l'a dit, les heures supplémentaires permettent souvent aux ouvriers d'accéder à la propriété, de payer la traite qui tombe régulièrement. Elles fournissent le petit plus dont ils ont besoin. Il est tout à fait indispensable de les conserver.

Contrairement à ce que beaucoup imaginent, ceux qui ont des salaires modestes bénéficient eux aussi de l'avantage fiscal. Le jeune ouvrier célibataire est très rapidement imposable. L'avantage fiscal joue dès que l'on gagne 1,2 ou 1,3 fois le SMIC.

M. Régis Juanico. Le salarié perd la prime pour l'emploi !

M. Marc Le Fur. Ils perdent la PPE, dites-vous : c'est un raisonnement par l'absurde qui ne tient pas. La prime pour l'emploi a été créée pour compenser des salaires exagérément modestes ; si des travailleurs sortent de cette trappe à bas salaires, c'est une bonne chose pour eux et pour les finances publiques de façon générale. Il faut absolument que nous conservions cette mesure.

M. Christian Jacob et M. Yves Vandewalle. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Gorges.

M. Jean-Pierre Gorges. Mon nom a été cité à plusieurs reprises pour évoquer le rapport d'information que j'ai déposé le 30 juin dernier avec M. Mallot. Tout le monde parle de ce document mais je ne suis pas sûr que tout le monde l'ait bien lu, même si dans les propos de chacun, il y a une part de vérité. Aussi voudrais-je apporter quelques précisions.

Ce rapport d'information porte sur les deux aspects de la mesure : l'aspect patronal et l'aspect salarial.

S'agissant du volet patronal, un effet d'aubaine a été mis en évidence, puisque la défiscalisation des heures supplémentaires apporte aux entreprises un avantage qu'elles peuvent cumuler avec les lois Fillon. Au demeurant, le Gouvernement propose de corriger ce double avantage.

S'agissant du volet salarial, la mesure avait pour objectif de créer un surcroît d'activité ; rappelons qu'elle a été prise en 2007, c'est-à-dire avant la crise. Quoi qu'il en soit, après le passage aux 35 heures, 9,5 millions de Français ont continué à travailler entre 38,5 et 39 heures - soit entre 3,5 et 4 heures supplémentaires - pour assurer le maintien de l'activité. Dès lors, pour ceux qui étaient dans cette situation, la défiscalisation des heures supplémentaires a incontestablement provoqué un effet d'aubaine ; c'est évident, mais c'est le ticket d'entrée à payer pour l'application de cette mesure. Certes, le retournement de conjoncture n'a pas permis de créer des heures supplémentaires, mais, ainsi que l'indiquait M. Muet tout à l'heure, si, demain, la croissance est de 2 % ou 3 %, le dispositif sera certainement plus efficace.

S'il faut absolument corriger le double avantage donné aux entreprises, il ne faut surtout pas revenir sur l'avantage donné aux salariés ; car si l'on y réfléchit, ces 9,5 millions de personnes n'ont pas profité du dispositif qui permet de travailler 35 heures payées 39, dispositif qui nous coûte 12 milliards d'euros, en raison des exonérations de charges sociales accordées aux entreprises pour compenser l'avantage de salaire ainsi donné au reste de la population active. Il s'agit donc d'un juste retour des choses : il est vrai que la défiscalisation des heures supplémentaires s'est jusqu'à présent traduite par un surcroît de pouvoir d'achat, mais, socialement, on ne peut pas revenir sur cette mesure.

Au reste, comme Jean Mallot et moi-même l'avons écrit dans le rapport, la véritable problématique réside dans la définition du niveau à partir duquel on estime qu'il y a heures supplémentaires. Tant que le texte d'août 2008, qui a entièrement révisé la durée du travail sans modifier le seuil de déclenchement des heures supplémentaires, ne sera pas complété, le débat se poursuivra pendant des années. En tout état de cause, il était nécessaire de dépenser ces quelques milliards pour ces 9,5 millions de personnes qui sont restées à 39 heures en dépit du passage aux 35 heures. L'effet d'aubaine n'est en fait qu'une régularisation de la situation antérieure, qui a été destructrice pour le pays. Politiquement, j'aimerais savoir qui, dans le contexte actuel, reviendrait sur cette mesure qui rapporte en moyenne 450 euros à chaque personne concernée.

Encore une fois, autant il faut revoir la part patronale, qui est cumulative, autant la part salariale me paraît être une mesure d'accompagnement dans une période de crise.

M. le président. Ne pouvant m'exprimer sur ce dossier, je vous recommanderai simplement la lecture du rapport n° 3615 - un numéro que l'on retient facilement. (Sourires.)

La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. La qualité exceptionnelle des deux auteurs du rapport, Jean Mallot et Jean-Pierre Gorges, nous oblige à tenir compte de ce qu'ils disent. Je remercie Jean-Pierre Gorges pour son intégrité intellectuelle, même s'il nous propose une nouvelle exégèse, qu'appelait forcément l'intervention de M. Chartier. On imagine que, pour la prochaine édition du rapport, il se livrera à une réécriture solitaire de celui-ci afin de formaliser le décryptage original qu'il vient de nous exposer. Honni soit qui mal y pense, monsieur Gorges, mais j'espère que ce n'est pas lié à votre investiture - je plaisante.

Tout à l'heure, M. Le Fur nous a indiqué que l'on considérait le travail comme un gâteau à partager et Mme la ministre nous a fait comprendre que l'on ne pouvait pas faire autrement. Mais elle nous ramène ainsi au Moyen Âge, en tout cas à une période antérieure à la Renaissance, lorsqu'on raisonnait selon le principe du tiers exclu : « C'est ça ou ça ». Depuis, il y a eu Hegel et Marx.

M. Charles de Courson. Et Engels...

M. Jean-Pierre Brard. Vous, monsieur de Courson, je vous vois bien au Moyen Âge. Nous, qui sommes dans la modernité, nous pouvons concevoir que plusieurs solutions soient possibles. Ainsi je vous en propose une : plutôt que de dire que la suppression de l'avantage correspondant à la défiscalisation des heures supplémentaires aurait pour conséquence de réduire le revenu des salariés, augmentons les salaires : il n'y aura plus de problème !

Quand on observe la manière dont sont taxés les groupes du CAC 40, on voit bien qu'il y a de la marge et quand on constate les profits qu'ils réalisent, on prend conscience du problème que pose la répartition actuelle des richesses. La seule question qui vaille d'être posée, c'est celle de la répartition des richesses. Bien entendu, les PME ne doivent pas être traitées comme les grands groupes, mais la majorité utilise les PME comme un alibi pour mettre les grands groupes sous cloche et les préserver de la justice sociale qui menacerait les dividendes de leurs actionnaires.

M. le président. Merci, monsieur Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Madame Pécresse, en tant qu'ancienne ministre de l'enseignement supérieur, la philosophie, vous savez ce que c'est. Je vous renvoie donc à une réflexion plus ouverte sur le réel, qui dépasse les concepts du Moyen Âge.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales, à qui je suggérerais de ne pas faire rebondir le débat. (Sourires.)

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales. Soyez sans crainte, monsieur le président. Je souhaite simplement que le Gouvernement nous indique le montant des économies que les heures supplémentaires lui permettent de réaliser en prestations logement, en exonérations de taxe d'habitation et en prime pour l'emploi. J'ai en effet constaté que de nombreux salariés qui acceptaient des heures supplémentaires perdaient, en l'absence de défiscalisation, des prestations sociales relativement nombreuses.

Mme Marylise Lebranchu. . Très juste !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales. Je souhaiterais donc connaître le solde financier. Je suis d'ailleurs certain que cet élément conforterait les propos de Jean-Pierre Gorges. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Pierre Brard. Le démocrate-chrétien apparaît toujours tel le Saint-Esprit !

M. le président. Je vous remercie d'avoir tenu parole, monsieur le président de la commission. Sur la forme, en tout cas ; je n'ai pas à porter d'appréciation sur le fond.

(L'amendement n° 100 est adopté.)

M. le président. En conséquence, l'article 2 ter est supprimé.