ARTICLE  4 BIS D (NOUVEAU) : INSTAURATION D'UN IMPÔT SUR LES SOCIÉTÉS MINIMAL

I. DÉBATS SÉNAT EN PREMIÈRE LECTURE (SÉANCE DU VENDREDI 18 NOVEMBRE 2011)

Article additionnel après l'article 4

Mme la présidente. L'amendement n° I-119 rectifié, présenté par MM. Marc et Rebsamen, Mme M. André, MM. Frécon, Miquel, Berson, Botrel et Caffet, Mme Espagnac, MM. Germain, Haut, Hervé, Krattinger, Massion, Patient, Patriat, Placé, Todeschini, Yung et les membres du groupe Socialiste, Apparentés et groupe Europe Écologie Les Verts rattaché, est ainsi libellé :

Après l'article 4

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. - Pour le recouvrement de l'impôt sur les sociétés au titre d'un exercice fiscal donné, toute société est tenue d'acquitter un impôt au moins égal à la moitié du montant normalement exigible résultant de l'application du taux normal, prévu au deuxième alinéa du I de l'article 219 du code général des impôts, à l'assiette de son bénéfice imposable, majorée de l'incidence de l'ensemble des dépenses fiscales figurant à la rubrique Impôt sur les sociétés de l'évaluation des voies et moyens annexée à la présente loi.

II. - Les pertes de recettes éventuelles résultant pour l'État du I sont compensées, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle aux droit prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

La parole est à M. François Marc.

M. François Marc. Il existe aujourd'hui, en France, un réel problème concernant l'impôt sur les sociétés. Ce constat nous avait conduits, mes collègues du groupe socialiste et moi, à déposer une proposition de loi à ce sujet, au printemps dernier.

Le fait est que l'impôt sur les sociétés, comme l'impôt sur le revenu, souffre d'un mitage croissant et excessif de son assiette, dont savent profiter exagérément les grandes entreprises, au détriment des PME.

Je rappelle que les niches fiscales pour les entreprises en France équivalent aujourd'hui à une somme d'environ 100 milliards d'euros, selon le Conseil des prélèvements obligatoires, et que ces niches profitent beaucoup plus aux grandes qu'aux petites entreprises. C'est un réel problème.

En optimisant l'usage de ces dispositifs fiscaux, les entreprises arrivent à minimiser l'impôt sur les sociétés. Ce dernier est actuellement à un taux nominal de 33,3 %, mais, en définitive, si ce taux est celui qui s'applique effectivement à des petites entreprises, il tombe à 20 % pour les entreprises de 50 à 249 salariés, à 13 % pour celles de plus de 2 000 salariés, et seulement à 8 % pour les sociétés du CAC 40.

En fin de compte, sur la base de ces données les plus récentes, on se rend compte que les sociétés du CAC 40 parviennent à bénéficier d'un taux d'impôt sur les sociétés 2,3 fois moins élevé que celui qui est appliqué aux PME.

À l'époque, notre proposition de loi avait été rejetée, recueillant un avis défavorable du Gouvernement. Depuis lors, les positions ont évolué. Certaines déclarations, émanant aussi bien du rapporteur général du budget à l'Assemblée nationale, M. Carrez, que du Gouvernement, l'ont montré, il y a une prise de conscience de la différence de traitement entre les entreprises s'agissant de l'impôt sur les sociétés, ce qui explique d'ailleurs les mesures qui ont été prises et qu'a rappelées Mme la ministre : suppression du bénéfice mondial consolidé, le BMC ; aménagement des mécanismes de report en avant ou en arrière des déficits ; sans oublier la fameuse taxe exceptionnelle, qui vient d'être instituée.

Mais tout cela ne suffit pas. Il faut notamment relancer le projet AXIS, pour tendre vers une assiette consolidée d'imposition sur les sociétés à l'échelon européen. Espérons que le groupe de travail franco-allemand annoncé puisse nourrir la réflexion.

Dans l'immédiat, rien n'est acté, alors qu'il importe d'adopter de nouvelles mesures. Tel est l'objet de cet amendement, qui vise à mettre en place un plafonnement de l'usage cumulatif des différentes niches ou dispositions fiscales dérogatoires, et ce à hauteur de 50 % de l'impôt sur les sociétés exigible au titre d'un exercice fiscal.

En d'autres termes, il s'agit d'instaurer une sorte de seuil plancher au-dessous duquel les entreprises, notamment les plus importantes, ne pourraient plus diminuer l'impôt sur les sociétés dont elles sont redevables.

Il faut inciter l'ensemble des entreprises à intégrer cette notion de citoyenneté fiscale, car la situation actuelle ne peut perdurer. Les PME ont, aujourd'hui, besoin du soutien actif de la collectivité publique. Il convient donc de favoriser la justice fiscale pour que des moyens puissent être dégagés en ce sens.

À cet égard, l'adoption de notre amendement représenterait un signal important dans le contexte actuel, où le développement économique fondé sur le dynamisme des PME est un objectif unanimement partagé. (M. David Assouline applaudit.)

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Cet amendement s'inspire des travaux du Conseil des prélèvements obligatoires, rendus publics en octobre 2009, puis confirmés en juin dernier par la direction générale du Trésor dans le cadre d'une étude sur le taux de taxation implicite des bénéfices en France.

Je confirme ce qui a été dit : les grandes entreprises bénéficient d'un taux implicite d'imposition plus de deux fois inférieur à celui des PME : 18,6 % contre 39,5 %.

Mme Marie-France Beaufils. Tout à fait !

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Je comprends l'intention des auteurs de l'amendement, qui est de créer un « bouclier fiscal inversé » et de mettre fin à une forme de dégressivité de l'impôt.

L'idéal serait de réintégrer dans l'assiette d'autres éléments que les dépenses fiscales, dans la mesure où le mitage de l'impôt sur les sociétés tient aussi aux modalités de calcul des intérêts. La perte engendrée par ces dernières atteint un montant extrêmement important, de l'ordre de 40 milliards d'euros, quand les dépenses fiscales au sens strict oscillent, me semble-t-il, entre 7 milliards et 8 milliards d'euros.

Le problème de l'impôt sur les sociétés est avant tout un problème d'assiette. Le régler supposerait un travail très complexe. Il faudrait choisir parmi les modalités de calcul de l'impôt celles qui seraient susceptibles de favoriser une réintégration dans l'assiette. Ce travail n'a pas été mené et nous n'allons certainement pas le faire ce soir !

Grâce à l'adoption, tout à l'heure, de l'amendement n° I-10 de la commission, permettant de mettre en place un dispositif global de plafonnement de la déductibilité des intérêts d'emprunt pour les entreprises imposées à l'impôt sur les sociétés, nous nous rapprochons sans nul doute de la vérité, car nous avons opéré là une modification de l'assiette extrêmement importante.

Monsieur Marc, l'amendement n° I-119 rectifié est tout à fait acceptable dans la mesure où il fait vivre le débat. Je salue l'attachement du groupe socialiste-EELV à favoriser une imposition sur les sociétés plus juste, plus cohérente, en vue de combler ce différentiel beaucoup trop important constaté entre les grandes entreprises et les petites.

Monsieur le président de la commission des finances, personne, ici, ne souhaite la mort des « grands chevaux », car chacun sait que le capitalisme français est historiquement fondé sur les grandes entreprises.

Il s'agit simplement de rétablir ce que j'appellerai « la vérité de l'impôt » : aujourd'hui, l'impôt sur les sociétés est « troué » de partout, ce qui ouvre la voie à l'optimisation fiscale ; évidemment, ce sont les grands groupes qui ont le plus de facilités dans ce domaine.

Il faut donc faire émerger un tissu compétitif dans lequel toutes les entreprises, les grandes comme les petites et les moyennes, puissent prospérer, et ce dans le bon sens. Or ce n'est pas du tout ce à quoi l'on assiste à l'heure actuelle. Du reste, il faut bien l'admettre, cela fait maintenant une trentaine d'années que les directeurs financiers ont pris plus d'importance que les responsables de production.

Madame la ministre, mes chers collègues, il faut changer la donne et revenir à un capitalisme d'entrepreneurs.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Valérie Pécresse, ministre. Le Gouvernement est défavorable à l'amendement n° I-119 rectifié.

Nous sommes entrés, je le rappelle, dans une logique de convergence franco-allemande en matière fiscale. Pourquoi vouloir changer les règles du jeu aujourd'hui ?

Cela étant, nous partageons le souci, exprimé par M. Marc et relayé par Mme la rapporteure générale, de ne plus avoir de niches ou de « trous » dans l'impôt sur les sociétés.

C'est la raison pour laquelle nous avons instauré, dans le cadre du projet de loi de finances rectificative pour 2011 présenté en septembre dernier, une disposition prévoyant un impôt sur les sociétés minimal. Cela permet, en réalité, d'empêcher le report à nouveau, sur les exercices suivants ou antérieurs, des déficits constatés. Au-delà d'une fraction de 60 %, ces derniers ne sont en effet plus imputables.

À mon sens, il ne faut pas aller plus loin.

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. C'est un débat très important, sur lequel nous pourrions, en partie, nous retrouver, tant la lutte contre les dépenses et les niches fiscales doit concerner l'ensemble des impôts, aussi bien l'impôt sur les sociétés que l'impôt sur le revenu, la TVA, l'impôt sur le patrimoine, les impôts locaux, etc.

Néanmoins, mes chers collègues, le dispositif que vous nous proposez ne me semble pas abouti sur le plan technique. Si je vous comprends bien, il faudrait calculer, dans chaque entreprise, une sorte d'impôt normatif et, partant, réintégrer dans le résultat fiscal toute une série d'éléments. Cela suppose, en réalité, de tenir une double comptabilité fiscale : outre que cette tâche serait nécessairement très complexe, elle exigerait des arbitrages portant sur une multitude de dispositifs. D'ailleurs, Mme la rapporteure générale a, pour une part, repris un tel argument.

Je comprends bien que, par cet amendement, vous vouliez lancer un signal. Mais je suis également tenté de penser que le dispositif susceptible d'être le plus mis à mal par une telle approche, c'est le crédit d'impôt recherche, qui risquerait d'être calculé de manière assez aveugle,...

Mme Valérie Pécresse, ministre. C'est vrai !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. ... et ce quelles que soient l'importance des entreprises et la nature de leurs activités.

Le crédit d'impôt recherche avait fait l'objet de débats nourris au cours des années précédentes. Pour ma part, j'aurais tendance, s'agissant des plus grandes entreprises, à proposer une approche en quelque sorte contractuelle, revenant à subordonner la pleine application dudit crédit à un examen des thèmes, des programmes de recherche et de leur localisation. Cela ne me semble pas a priori incompatible avec le droit communautaire et représente sans doute une voie qu'il serait utile de creuser.

Mes chers collègues, il importe de traiter ce problème du taux d'imposition des sociétés et des niches fiscales qui le rongent, mais l'amendement présenté par le groupe socialiste-EELV n'est certainement pas, à mon avis, le bon moyen pour ce faire.

Mme la présidente. La parole est à M. François Marc, pour explication de vote.

M. François Marc. Je tiens à réagir aux propos qui viennent d'être tenus. Ils peuvent se résumer ainsi : si l'objectif est louable, certes, ce qui est proposé n'est pas faisable, pas sous cette forme en tout cas, et surtout pas maintenant.

Madame la ministre, mes chers collègues, cela fait maintenant quelques années que je présente, dans cet hémicycle, des amendements sur les textes relatifs aux finances. Figurez-vous que j'ai pris l'habitude d'entendre ce genre d'arguments !

Depuis des années, en effet, nous ne cessons de dénoncer les dérives du capitalisme financier, et ce à l'occasion de l'examen de textes aussi importants que la loi de transposition de la directive concernant les marchés d'instruments financiers, dite directive MIF, la loi de sécurité financière ou la loi relative aux nouvelles régulations économiques.

Nous avons présenté des dizaines d'amendements, prônant une autre forme de régulation et une vraie égalité de traitement. Chaque fois, nous avons entendu le même discours, et aujourd'hui encore : vos propositions sont animées d'un bel esprit, mais, techniquement, elles ne sont pas réalisables ; il est trop tôt pour agir, mieux vaut encore attendre.

Au fond, la seule nouveauté est la fameuse limitation du report des déficits, que vous avez évoquée, madame la ministre. Mais ce dispositif est bien minime et son impact très limité, puisqu'il s'agit simplement de restreindre l'étalement dans le temps des déficits.

Aujourd'hui, l'injustice qui règne en matière de fiscalité des entreprises est unanimement reconnue et jugée inadmissible. Le taux de l'impôt sur les sociétés est, en moyenne, de 20 % pour Les PME, contre 8 % seulement pour les sociétés du CAC 40. Cette situation va-t-elle durer encore longtemps ?

Nous proposons donc très simplement d'instaurer un seuil minimal, afin que les entreprises, les grandes comme les petites, payent au moins la moitié de l'impôt qu'elles doivent.

L'adoption de notre amendement aurait au moins cette vertu : envoyer un signal à toutes les entreprises, pour les inciter à appréhender le « devoir citoyen » en matière fiscale d'une façon différente.

M. le président de la commission me rétorque que cela supposerait des calculs supplémentaires. Mes chers collègues, je vous pose la question : qui, aujourd'hui, recrute des fiscalistes en grand nombre, par dizaines, pour faire de l'optimisation fiscale ? Les sociétés du CAC 40, justement !

Que l'on ne vienne pas me dire que ces experts en fiscalité ne seraient pas capables d'appliquer les nouvelles modalités de calcul du bénéfice « corrigé » que nous entendons mettre en place !

Les arguments qui nous sont opposés se révèlent tout à fait irrecevables au regard de l'objectif visé, qui est pourtant essentiel pour notre économie, notamment pour favoriser la mobilisation des PME. En outre, j'y insiste, la mise en oeuvre de notre proposition permettrait d'améliorer grandement la justice fiscale dans notre pays.

Rien que pour le principe, l'amendement mérite donc d'être adopté. S'il y a des améliorations techniques à apporter, l'essentiel est de le faire vivre, pour que la réflexion se poursuive à l'Assemblée nationale et lors de la commission mixte paritaire. Je vous invite donc, mes chers collègues, à envoyer un signal fort en le votant. (M. David Assouline applaudit.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° I-119 rectifié.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi de finances, après l'article 4.