Mardi 30 janvier 2007

- Présidence de Mme Gisèle Gautier, présidente. -

Femmes et médias - Audition de Mme Florence Montreynaud, responsable du réseau « La Meute contre la publicité sexiste »

La délégation a procédé à l'audition de Mme Florence Montreynaud, responsable du réseau « La Meute contre la publicité sexiste ».

Mme Gisèle Gautier, présidente, a présenté l'intervenante avant de préciser, à propos du thème de réflexion annuel de la délégation, que celui-ci comportait deux volets : le premier concerne l'image des femmes, comme d'ailleurs également celle des hommes, dans les médias et plus particulièrement dans la publicité, tandis que le second volet, qui sera abordé au cours d'auditions ultérieures, concerne la présence des femmes dans les professions des médias. Puis elle a évoqué les auditions précédemment conduites par la délégation sur le premier volet, en rappelant notamment que les représentants du Bureau de vérification de la publicité (BVP) avaient établi un diagnostic optimiste à l'égard de la situation actuelle.

Mme Florence Montreynaud s'est tout d'abord présentée comme une « écrivaine », « auteure » de quatorze livres et engagée dans la défense des droits des femmes depuis 1970.

Elle a ensuite estimé préoccupante l'évolution récente de la situation des femmes, en constatant un certain nombre de régressions dans le domaine économique, social et culturel.

Elle a rappelé les circonstances de la création, en 1999, de l'association « Les chiennes de garde », en précisant que pour se faire entendre plus efficacement, les femmes qui avaient été à l'origine de cette initiative, bien que naturellement portées à la modération, avaient décidé d'utiliser un langage plus percutant.

Mme Florence Montreynaud a ensuite évoqué la publicité sexiste dont la caractéristique consiste principalement à utiliser la « chair » des jeunes femmes pour faire vendre des produits. Elle a illustré son propos en prenant l'exemple d'une publicité représentant un sac à main placé entre les jambes d'une femme nue.

Elle a déploré l'insuffisante efficacité de l'action du BVP à l'égard de la publicité sexiste, rappelant qu'elle avait lancé, en 2000, le mouvement « La Meute contre la publicité sexiste » afin de combattre ce phénomène. Elle a précisé que ce mouvement avait une composition mixte, qui se traduit concrètement par la participation active d'hommes. A ce sujet, elle a relaté le combat couronné de succès de « La Meute » contre le caractère sexiste d'une publicité utilisant l'image d'une femme pour vanter les mérites d'une prestigieuse marque de chaussures masculines, grâce à des manifestations organisées devant les vitrines de magasins vendant ces chaussures. Elle a noté que, depuis lors, cette marque avait abandonné les publicités sexistes au profit de publicités neutres, dont elle a salué la qualité.

Puis Mme Florence Montreynaud a présenté le contenu du manifeste de « La Meute », intitulé « Non à la publicité sexiste », en soulignant la nécessité pour les publicitaires de prendre conscience que certains traits d'humour, admissibles dans des conversations privées, pouvaient avoir des conséquences dommageables s'ils étaient utilisés dans le cadre d'une communication s'adressant au grand public.

Elle a ensuite indiqué que son association recevait, tout au long de l'année, des signalements de publicités sexistes et qu'elle en sélectionnait quelques-unes particulièrement choquantes, en les classant dans plusieurs catégories, selon une échelle de gravité croissante, précisant que le résultat de ce classement pour 2006 serait rendu public autour du 8 mars prochain.

Elle a tout d'abord présenté une première catégorie de publicités sexistes, celle des « clichés sexistes », en montrant deux publicités sélectionnées par « La Meute », l'une pour un jeu de société, utilisant la représentation de la haine et de la violence entre femmes, l'autre pour la promotion de l'emploi et de la formation professionnelle, utilisant l'image d'un travesti pour inciter à changer de métier.

En réponse à une question de Mme Gisèle Gautier, présidente, sur la provenance de ces publicités, elle a répondu qu'il s'agissait de parutions dans des périodiques.

Elle a ensuite évoqué une deuxième catégorie de publicités sexistes, caractérisées par l'utilisation de la nudité et de la sexualité sans aucun rapport avec le produit concerné. Elle a particulièrement analysé l'une d'entre elles, qui présente une femme extrêmement mince, voire « squelettique », nue dans la neige.

M. Yannick Bodin a réagi à ce sujet en confirmant qu'il s'était lui-même interrogé en voyant cette publicité très largement diffusée dans les lieux publics.

Puis Mme Gisèle Gautier, présidente, s'est interrogée sur les moyens d'action de l'association contre les publicités sexistes.

Mme Florence Montreynaud a expliqué que les actions de « La Meute » avaient évolué, tout en reconnaissant qu'elles avaient diminué en nombre, en raison de l'énergie et du temps qu'elles demandaient. Elle a en effet indiqué qu'auparavant, « La Meute » organisait des manifestations devant les magasins des marques qui utilisent des publicités sexistes, ou adressait au responsable de ces magasins un courrier comportant trois parties : une description objective de la publicité contestée, une analyse féministe de cette publicité et une demande de retrait et d'engagement de ne plus avoir recours à ce type de supports publicitaires, avec présentation d'excuses.

Elle a ensuite précisé que, désormais, elle publiait sur le site Internet de « La Meute » les signalements de publicités sexistes effectués par les membres du mouvement et qu'elle envoyait, au nom de celui-ci, un courrier argumenté au responsable de la marque concernée, en encourageant les autres membres à en faire autant afin d'obtenir un effet de masse. Elle a en effet fait observer que les agences de publicité mettaient en oeuvre un « plan alerte urgence » à compter de la réception d'environ trente lettres écrites de protestation. Elle a ajouté que la lettre en réponse était ensuite publiée sur le site Internet de « La Meute ».

Puis Mme Florence Montreynaud a continué d'illustrer ses propos en commentant certaines publicités sexistes. Elle a ainsi évoqué une publicité pour une automobile, qui mettait en scène des rapports sexuels, sur la banquette arrière, entre les jouets des enfants de la famille.

Mme Florence Montreynaud a ensuite évoqué une troisième catégorie de publicités sexistes, utilisant les thèmes de la violence et de la prostitution, dont elle a donné plusieurs exemples.

Elle a en particulier commenté plusieurs publicités d'une célèbre marque de produits cosmétiques vendus en pharmacie, à laquelle « La Meute » a d'ailleurs attribué l'un de ses « prix Macho ». Elle a fait observer que les campagnes publicitaires de cette marque portaient également atteinte à l'image des hommes. Enfin, elle a également noté que les publicités pour les produits anti-rides comportaient souvent des images de mauvais traitements infligés aux corps des femmes.

Puis elle a fait observer que de nombreuses publicités donnaient une image valorisante de la prostitution, alors que la France avait ratifié la convention du 2 décembre 1949 pour la répression de la traite des êtres humains et l'exploitation de la prostitution d'autrui. Elle a ainsi cité une publicité d'une société de crédit à la consommation représentant un homme allongé dans un lit, encadré par deux jambes de femmes, avec le slogan « Là, j'y vais direct ! ». Elle a également donné l'exemple d'un grand magasin parisien, dont le magazine de lingerie féminine portait en couverture la photographie d'une femme habillée comme une prostituée et adoptant une attitude de racolage.

Par ailleurs, elle a noté que certaines affiches de spectacles, très présentes dans le métro, véhiculaient parfois une image dégradante de la femme, mais qu'il était beaucoup plus délicat de les dénoncer en raison de leur dimension artistique et culturelle.

Mme Gisèle Gautier, présidente, a constaté que de nombreuses publicités s'inscrivaient dans le cadre du phénomène dit du « porno chic ».

Mme Florence Montreynaud a récusé cette expression, estimant que de telles publicités ne comportaient qu'une dimension pornographique.

Mme Gisèle Gautier, présidente, s'est interrogée sur les raisons pour lesquelles un célèbre hebdomadaire se réclamant du féminisme pouvait accepter de diffuser des publicités dégradantes pour l'image de la femme.

Mme Florence Montreynaud a suggéré d'entendre les responsables de ce magazine sur ce sujet, estimant qu'il convenait, en l'espèce, de parler de double langage, ou même de schizophrénie.

Mme Gisèle Gautier, présidente, a insisté sur la dimension subliminale de certaines de ces publicités et a constaté que la suggestion de relations sexuelles pouvait être utilisée comme argument de vente, estimant qu'elle pouvait parfois constituer une véritable provocation au viol. Citant l'exemple de grandes marques de luxe italiennes, elle a considéré que certaines de leurs publicités pouvaient présenter un caractère insidieux.

Mme Florence Montreynaud a déclaré partager cet avis et a souligné que la publicité sexiste actuelle avait un caractère plus sournois qu'auparavant. Constatant que la publicité cherchait toujours à « frapper plus fort », elle a considéré que la pornographie était aujourd'hui devenue une norme. Elle a estimé que si l'érotisme avait une fonction dans la sphère privée, la publicité sexiste était critiquable, car elle imposait, dans la sphère publique, une conception uniforme et standardisée de l'érotisme, reposant sur la chosification du corps humain. Elle a également insisté sur le caractère répétitif et parfois morbide de ces publicités, utilisé comme argument commercial.

Mme Gisèle Gautier, présidente, a fait observer que l'atteinte à la dignité de la personne humaine dans la publicité pouvait revêtir d'autres formes, notamment à la télévision, où certains spots présentent la femme comme un être dépourvu d'intelligence.

Mme Florence Montreynaud a indiqué que l'action du BVP était relativement efficace concernant les publicités télévisées, pour lesquelles est effectué un contrôle a priori permettant d'éviter la diffusion de spots érotiques. Elle a regretté, en revanche, que le BVP n'intervienne pas à l'encontre de publicités télévisées véhiculant des stéréotypes sexués portant préjudice aux femmes, situation qui constitue, selon elle, une spécificité française. Elle a, en outre, souligné que le contrôle a posteriori, et non systématique, effectué par le BVP sur les publicités diffusées par les autres médias laissait subsister beaucoup de publicités choquantes.

Mme Gisèle Gautier, présidente, s'est inquiétée de la diffusion d'images dégradantes pour les femmes sur Internet, faisant observer que les enfants pouvaient y avoir facilement accès.

Mme Florence Montreynaud a estimé que la situation sur Internet était « extrêmement grave » et a cité l'exemple d'une publicité d'un fournisseur d'accès Internet qui, au moment des fêtes de Noël, proposait « Offrez-vous un homme ! ».

Elle a conclu son intervention en indiquant que « La Meute » réclamait l'adoption d'une loi contre les discriminations sexistes, précisant qu'elle avait saisi de ce type de discriminations la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE), qui lui avait répondu ne pas être compétente en la matière.

Mme Gisèle Gautier, présidente, a évoqué la possibilité pour la délégation de présenter des recommandations pour contribuer à régler ce problème. Elle a également formé le voeu que le futur gouvernement issu des élections du printemps 2007 comprenne un ministère de plein exercice en charge des droits des femmes, doté de crédits d'un montant substantiel.

Mme Florence Montreynaud a indiqué que le Collectif national pour les droits des femmes, qui regroupe 300 associations, dont « La Meute », avait rédigé une proposition de loi-cadre, destinée à lutter contre les violences envers les femmes, dont la publicité sexiste constitue l'un des aspects.

Mme Gisèle Gautier, présidente, a rappelé que la loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre des mineurs, d'initiative sénatoriale, comportait déjà de nombreuses dispositions destinées à mieux lutter contre ce fléau, et a regretté certains propos tenus sur ce sujet par Mme Ségolène Royal, qui avait semblé ignorer l'existence de cette loi. Elle a souligné qu'il convenait d'abord d'en évaluer précisément l'application sur le terrain, avant de songer à l'adoption d'une nouvelle loi.

Mme Florence Montreynaud a cité l'exemple du Québec, où la publicité sexiste a reculé grâce à la récompense des images non sexistes par l'attribution d'un prix officiel, et à la stigmatisation des images dégradantes pour la femme. Elle a ajouté que, depuis que ce prix n'était plus décerné, le sexisme publicitaire avait regagné du terrain et en a conclu que rien n'était jamais acquis. Elle a regretté que l'importance des publicités sexistes puisse porter atteinte à l'image, à l'étranger, de notre pays, très présent dans le secteur du luxe, en évoquant l'exemple de la Finlande, où les seules images publicitaires dégradantes pour la femme étaient d'origine française.

Elle a enfin annoncé que, le 10 mars prochain, « La Meute » décernerait le « prix Fémino » aux publicités diffusant les images les moins sexistes et le « prix Macho » à celles jugées les plus « machistes ».