Mercredi 23 juin 2010

- Présidence de M. François Autain, président -

Audition de M. Philippe Kourilsky, professeur au Collège de France, titulaire de la chaire d'immunologie moléculaire, membre de l'Académie des sciences

La commission d'enquête a tout d'abord entendu M. Philippe Kourilsky, professeur au Collège de France, titulaire de la chaire d'immunologie moléculaire, membre de l'Académie des sciences.

M. Philippe Kourilsky a tout d'abord rappelé qu'il avait été directeur de recherche de Pasteur Merieux Connaught, de 1993 à 1996, directeur général de l'Institut Pasteur, de 2000 à 2005, et qu'il n'avait plus, dans ses fonctions actuelles, aucun lien d'intérêt avec l'industrie pharmaceutique.

M. François Autain, président, a précisé que la commission d'enquête souhaitait l'entendre en tant qu'auteur d'un rapport sur le principe de précaution, dans la mesure où ce principe avait été invoqué, à tort ou à raison, lors de l'épidémie de grippe A (H1N1)v.

M. Philippe Kourilsky a confirmé avoir réalisé un rapport au Gouvernement sur ce sujet en 1999. Mais ses compétences sont d'abord celles d'un chercheur en immunologie, domaine proche de la vaccination. Il a ajouté avoir quelques compétence anciennes dans le domaine de l'industrie du vaccin, ainsi qu'en matière d'organisation de la recherche en tant qu'ancien directeur général de l'Institut Pasteur. En outre, il a rendu en 2006 un premier rapport au Gouvernement sur l'optimisation des moyens de la France dans la lutte mondiale contre les maladies infectieuses, en particulier dans les pays en développement, et il a publié récemment un ouvrage sur l'altruisme. Ce sujet n'est pas sans lien avec la vaccination, ce qui l'a conduit à s'exprimer sur les médias lors de la pandémie de grippe A (H1N1)v.

M. Philippe Kourilsky a ensuite formulé quelques remarques préliminaires sur le principe de précaution, principe de droit important, mais difficile à gérer. Son rapport sur ce sujet, rédigé avec une juriste, Mme Geneviève Viney, a principalement porté sur les procédures à mettre en oeuvre pour une application du principe de précaution raisonnable et rigoureuse, à toutes les étapes, y compris sous l'angle de la dépense publique.

Dans le cas de la grippe A (H1N1)v, il a souhaité opérer une distinction entre la prévention, laquelle représente une quasi-obligation, et l'exercice du principe de précaution.

Dès lors que la pandémie était avérée, une nouvelle souche virale mortelle circulait. Il ne s'agissait pas d'un risque hypothétique, ce qui est au coeur même du principe de précaution, mais d'un risque réel impliquant la prévention. Il était normal et impératif que, comme l'Organisation mondiale de la santé (OMS) l'avait recommandé, les pays s'équipent pour vacciner les populations. En d'autres termes, il eût été criminel de ne pas s'équiper pour vacciner, d'autant que des centaines de décès étaient attendus. On se trouvait dans une obligation de prévention, et ce point ne faisait pas débat.

La dimension de précaution résidait dans la probabilité, faible mais significative, d'une mutation du virus avec des conséquences létales plus graves.

Ainsi, la vaccination et les coûts qui lui sont associés doivent être dissociés selon les deux principes de prévention et de précaution, la précaution concernant les moyens de se prémunir contre le risque de la mutation du virus, qui pouvait devenir aussi dangereux que celui de la grippe espagnole en 1918.

M. François Autain, président, a souhaité des précisions sur cette distinction entre les principes de précaution et de prévention. En quoi le risque d'une mutation du virus, qui relève du principe de précaution, a-t-il des conséquences en matière de vaccination ? Doit-on utiliser le même vaccin ou un autre vaccin ?

M. Philippe Kourilsky a répondu que la différence porte sur l'ampleur de la vaccination. La vaccination de base, comme pour la grippe saisonnière, répond à une logique de prévention. Le principe de précaution implique la vaccination de l'ensemble de la population. L'injection de deux doses de vaccin, recommandée par l'OMS, relevait aussi du principe de précaution.

M. François Autain, président, a demandé dans quelle mesure la vaccination de toute la population offrait une meilleure protection face à une mutation du virus.

M. Philippe Kourilsky a présenté un argument d'ordre numérique. L'infection grippale conduit à constituer un réservoir de virus, même si la gravité des symptômes varie selon les individus. De même, très souvent, une personne primo-infectée par le virus de l'immunodéficience humaine (VIH) ne s'en aperçoit pas, hormis un état de fatigue pendant une dizaine, voire une quinzaine de jours. Pourtant, cet individu est porteur de 10 000 milliards de particules virales. La vaccination générale a deux effets importants : le blocage de la dissémination du virus et la diminution du risque de mutation, par un effet de nombre.

M. François Autain, président, ayant demandé si, dans le cas d'un virus finalement peu dangereux comme celui de la grippe A (H1N1)v, le fait qu'un grand nombre de personnes contractent la maladie pouvait avoir le même effet protecteur qu'une vaccination générale, M. Philippe Kourilsky a répondu négativement.

Il a rappelé que, initialement, on ne savait pas que le virus serait beaucoup moins dangereux qu'il l'était apparu au Mexique. Alors que la grippe saisonnière cause en moyenne quelque 1 000 à 3 000 morts par an en France, il y a eu 300 décès avec la grippe pandémique. Ce chiffre est inférieur à ce qui était craint mais n'est pas nul.

Pourquoi le virus avait-il été nettement moins dangereux qu'attendu ?

S'il n'y a pas de réponse certaine, une explication assez plausible se fonde sur les deux segments du système immunitaire que l'on observe en immunologie.

D'une part, le système immunitaire adaptatif fabrique des anticorps neutralisants contre les agents infectieux tels que les virus. En matière de grippe, il est généralement admis que ce sont des anticorps qui éliminent l'infection.

D'autre part, dans le second segment du système immunitaire, des cellules tueuses ou Lymphocytes T Cytotoxiques (CTL) interviennent. Cette immunité cellulaire est donc de nature à atténuer la force de l'affection.

S'il est facile de mesurer le nombre d'anticorps, analyser les réponses cellulaires est beaucoup plus difficile, d'autant plus qu'elles sont typées selon les individus par ce qu'on appelle le  Human Leucocyte Antigen (HLA), sorte de carte d'identité immunitaire découverte grâce aux travaux du prix Nobel de médecine Jean Dausset, conduits il y a une quarantaine d'années.

L'immunité cellulaire est très difficile à étudier. Les travaux pour la mesurer sont beaucoup moins avancés que ceux concernant les anticorps. Toutefois, selon des articles parus en 2009 et au début de l'année 2010, en particulier dans le numéro 48 du volume 106 du 1er décembre 2009 de la revue américaine Proceedings of the National Academy of Sciences, l'immunité cellulaire que l'on a pu mesurer a posteriori a montré une réactivité croisée avec le virus H1N1. Les individus qui avaient été exposés à la grippe saisonnière montraient des niveaux non négligeables de réaction croisée avec le virus pandémique.

A la demande de M. François Autain, président, M. Philippe Kourilsky a communiqué cet article aux membres de la commission d'enquête.

Pour l'avenir, M. Philippe Kourilsky a jugé plausible cette explication fondée sur l'immunité cellulaire, en estimant souhaitable de conduire davantage de recherches sur la question de l'immunité croisée.

Les standards de développement des vaccins sont tous plus ou moins fondés sur les anticorps, et l'on décrète un vaccin efficace quand il produit un certain nombre d'anticorps. Ces normes sont celles endossées par les fabricants de vaccins à la suite des avis rendus par les autorités de santé. Une réflexion est sans doute à mener pour essayer de faire peu à peu évoluer ces standards, tout en sachant que la question de l'immunité cellulaire est techniquement ardue.

M. Philippe Kourilsky a ensuite abordé la campagne de vaccination anti-pandémique.

Il s'est déclaré scandalisé d'avoir entendu certains médecins dire que le vaccin était inutile, qu'il ne servait à rien de se vacciner et que la grippe n'était pas dangereuse. En effet, on se vaccine non seulement pour se protéger mais aussi pour protéger les autres, car on aide à bloquer la dissémination du virus. Une personne qui ne fait qu'une grippe banale, non mortelle, n'en est pas moins un vecteur du virus qui peut être mortel pour ses voisins. Selon les chiffres généralement admis, il faut vacciner environ 85 % d'une population pour arriver à bloquer totalement la transmission d'un virus, ce qui laisse une marge de 10 à 15 % de personnes qui ne veulent pas se faire vacciner, même si la vaccination est obligatoire.

Pour défendre le principe de la vaccination, il a cité un épisode survenu il y a une vingtaine d'années. Une rumeur avait prétendu que la vaccination contre la rougeole, les oreillons et la rubéole (ROR) était associée à l'autisme. Bien que les scientifiques aient été surpris en l'absence de lien logique, cette hypothèse a été examinée, avant d'être rejetée a posteriori par un examen statistique. Cependant, les autorités britanniques ont suspendu la recommandation de vaccination (ROR) et, peu après, des foyers de rougeole sont apparus et ont touché des enfants. Les autorités britanniques ont voulu relancer la vaccination, mais sans succès car la population était réticente. Les campagnes de publicité n'ont pas donné les résultats attendus. L'objectif recherché n'a été atteint que lorsque les médecins ont été rémunérés pour vacciner. Sans vouloir établir de relations directes avec ce qui s'est passé en France pour la grippe A (H1N1)v, les négociations pour que les médecins procèdent à la vaccination n'en présentaient pas moins un enjeu financier.

M. Alain Milon, rapporteur, a observé que plusieurs personnes avaient affirmé devant la commission d'enquête que le risque lié à l'apparition d'un nouveau virus de type H1N1 était qu'il mute et conduise à une deuxième vague meurtrière comme le virus de la grippe espagnole. Quelle était son opinion à ce sujet, en tant qu'immunologiste ? Pensait-il que la vaccination contre le A(H1N1)v aurait pu protéger contre le A(H1N1)v muté ? Une mutation du virus l'aurait-elle nécessairement rendu plus virulent ?

M. Philippe Kourilsky a souligné que la difficulté posée par les mutations était leur caractère aléatoire. Un virus comme celui de la grippe mute à une fréquence élevée, même si celle-ci n'est pas aussi importante que pour le SIDA. Les calculs sur les probabilités de mutation font apparaître cette hypothèse comme tout à fait possible. L'application du principe de précaution, conduisant à une vaccination en masse, lui a donc paru logique.

M. François Autain, président, a observé qu'un virus ne mute pas nécessairement sous une forme plus dangereuse.

M. Philippe Kourilsky en est convenu. Des milliers de mutations se produisent de toute façon, et seul un petit nombre peut donner un virus plus dangereux. D'autres mutations peuvent conduire à un virus moins dangereux, mais elles ne sont pas visibles car elles ne se répandent pas. Les seules mutations observées sont celles qui aggravent le risque.

M. Alain Milon, rapporteur, a demandé comment expliquer les cas graves, spécialement chez les personnes sans facteur de risque.

M. Philippe Kourilsky a indiqué ne pas savoir répondre. L'état de la science consiste à essayer de déchiffrer ce que les médecins appellent le terrain, et que les biologistes moléculaires essaient à présent de trouver dans le séquençage des gènes.

On sait maintenant que le génome complet comprend 3 milliards de paires de bases, et que si l'on prend deux individus au hasard, il existe plusieurs millions de bases de différences. Par ailleurs, certaines différences moléculaires ont été associées, de manière certaine, à des différences de sensibilité, c'est-à-dire des différences de réactivité du système immunitaire et, incidemment, des différences du HLA.

Un très bon exemple a été donné par un de ses collègues immunologistes à l'hôpital Necker, qui avait travaillé sur quelques cas d'enfants qui avaient été vaccinés contre la tuberculose avec le BCG et avaient développé une « BCG ite ». Chez certains enfants, le vaccin provoque une maladie. Une petite cohorte a alors été constituée pour une analyse de gènes. Il s'est avéré que la vaccination peut révéler une immunodéficience qui n'était pas visible car faible.

A M. Alain Milon, rapporteur, qui lui a demandé son avis sur un abandon de la vaccination contre le BCG, M. Philippe Kourilsky a répondu que si l'on abandonnait cette vaccination, il faudrait trouver autre chose rapidement. Il a fait part de l'inquiétude des médecins dans les cas de tuberculose résistante aux antibiotiques.

M. Alain Milon, rapporteur, a noté que certains doutaient de la rationalité de fonder un plan pandémique sur l'idée que le H5N1 devenu transmissible d'homme à homme serait aussi virulent que le H5N1 actuel. Qu'en penser ?

M. Philippe Kourilsky a observé que dans le champ des probabilités, on ne sait plus où se situe le bon sens.

En matière de principe de précaution, le surcoût doit faire l'objet d'une attention très particulière de la part de la puissance publique. Ce surcoût est une sorte d'assurance. De même, nous acceptons tous une assurance contre l'incendie, sauf si celle-ci est trop chère. Le problème du coût de l'assurance entraîne un débat public très délicat en matière de santé publique. Une notion qui doit être utilisée dans le débat public, tellement basique qu'elle en est presque grossière, est celle du coût de la mort. Il y a vingt ou trente ans, on lisait encore des études dans les journaux qui mentionnaient le coût de la mort en établissant des comparaisons. Il s'agit aujourd'hui d'une des questions centrales du débat public sur le principe de précaution, à la fois essentielle et taboue, à laquelle on ne sait pas bien répondre.

M. François Autain, président, a rappelé les dispositions suivantes issues de l'article 1er de la loi no 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement : « le principe de précaution, selon lequel l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles (....) à un coût économiquement acceptable », cette observation pouvant être étendue au domaine de la santé.

M. Alain Milon, rapporteur, a observé qu'un plan H5N1 avait été mis en place, sur lequel les autorités publique s'étaient appuyées pour lutter contre la pandémie grippale. Au fur et à mesure de l'évolution de la grippe H1N1 sur le terrain, ce plan est apparu trop puissant, mais il y a eu des difficultés, et pratiquement une impossibilité à faire marche arrière, à freiner le plan qui avait été mis en place.

Nonobstant la définition d'une pandémie par l'OMS, ne faudrait-il pas mettre en place différents types de plans suivant la gravité du virus ?

M. Philippe Kourilsky a indiqué qu'il n'était pas compétent en tant qu'expert en santé publique. Il lui semblait toutefois souhaitable d'avoir au moins un plan. Un bénéfice de la campagne d'information avait été d'inciter à mettre à jour différents plans.

Il a formulé l'hypothèse qu'un des objectifs poursuivis par l'OMS était la remise en ordre des dispositifs de santé publique, en ce qui concerne les instructions de conduite élémentaire à tenir dans des cas d'infection.

M. François Autain, président, lui a demandé s'il ne lui semblait pas, malgré tout, que le plan français avait été contre-productif dès lors qu'on s'était aperçu que le bilan de la pandémie était de 300 morts, alors que ce plan prévoyait 200 000 morts ? Les mesures n'étaient-elles pas disproportionnées par rapport au risque ? Manifestement, ce plan avait été établi pour une pandémie H5N1, et pas pour la grippe H1N1.

M. Philippe Kourilsky a observé qu'en cas de pandémie, la logique de protection consiste à fermer les frontières, comme cela s'était produit pour le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS). Dans le cas du SRAS, compte tenu de la vitesse de diffusion du virus, les techniques de fermeture ont finalement été efficaces. Mais la logique de fermeture comporte des risques énormes : poussée à l'extrême, elle signifie que si quelqu'un fait un infarctus dans son appartement, plus personne n'ira le secourir. Un équilibre est à trouver, car un dispositif mal conçu peut entraîner des risques de paralysie du système de santé.

M. Jean-Jacques Jégou a souhaité revenir sur la distinction entre les principes de précaution et de prévention, en rappelant les mots très forts employés par M. Philippe Kourilsky pour qui il aurait été criminel de ne pas se préparer à la vaccination.

Si l'on considère ainsi que le Gouvernement s'est bien préparé par l'acquisition de vaccins et par la mobilisation d'un certain nombre de ses services, comment expliquer que les Français n'aient pas répondu en plus grand nombre ? Certes, le message contraire des médecins a eu un effet. Toutefois, dans un premier temps, il y a quand même eu une précipitation vers les centres de vaccination, avant que l'opinion n'ait le sentiment d'une grippe moins grave que la grippe saisonnière. Pour quelles raisons seulement 5,8 millions de Français se sont-ils fait vacciner ?

M. François Autain, président, a complété cette question : est-ce par manque d'altruisme que les Français ne se sont pas précipités vers les centres de vaccination ?

M. Philippe Kourilsky a jugé qu'il serait très utile de conduire des analyses sociologiques approfondies sur cette question, notamment pour connaître l'impact de cet échec sur les campagnes ultérieures de vaccination contre la grippe saisonnière.

Pour sa part, il pense profondément que l'argument d'altruisme -qui aurait consisté à dire qu'il faut se faire vacciner pour bloquer la diffusion du virus- n'a pas été mis en avant suffisamment tôt. Un tel langage, simple et compréhensible par le grand public, n'a pas été tenu. Le message diffusé était plutôt de se protéger. Quand les Français se sont aperçus que la grippe n'était pas dangereuse, ils ne se sont pas fait vacciner.

M. Alain Milon, rapporteur, a rappelé le message délivré par les médecins, en sens contraire.

M. Philippe Kourilsky a estimé que lorsqu'un médecin dit qu'il ne se fera pas vacciner car c'est inutile, l'effet est totalement dévastateur.

M. Alain Milon, rapporteur, a rappelé que M. Philippe Kourilsky avait jugé, dans le quotidien La Croix, les décisions du Gouvernement transparentes. Cela lui paraît-il avoir été également le cas pour l'OMS, alors que la définition d'une pandémie par l'OMS a changé début mai avec la disparition du caractère de gravité ?

M. Philippe Kourilsky a relevé que les phases 4, 5 et 6 définissent une pandémie sans réellement qualifier sa dangerosité. C'est à son avis une faiblesse et l'OMS devra réviser sa copie.

M. Alain Milon, rapporteur, a exprimé son accord sur ce point.

M. François Autain, président, a déclaré qu'il rejoignait d'autant plus le point de vue de M. Philippe Kourilsky que, selon l'OMS, la pandémie en était encore en phase 6.

M. Philippe Kourilsky a observé que la pandémie s'est effectivement diffusée très vite. Des études faites dans des écoles anglaises ont fait apparaître des proportions de 30 % d'enfant affectés, alors que cliniquement la grippe pandémique n'a été détectée que parmi 10 % de l'ensemble de la population.

M. Alain Milon, rapporteur, a rappelé que M. Philippe Kourilsky avait affirmé, toujours dans le quotidien La Croix, que l'application à tort du principe de précaution avait entraîné des « décisions inefficaces, pour un coût économique et souvent social élevé ». Tel ne lui semblait-il pas avoir été le cas pour la gestion de la pandémie de virus H1N1 ?

Par ailleurs, l'achat massif de vaccins lui a-t-il paru relever du principe de responsabilité et d'altruisme qu'il préconise ? L'échec de la campagne de vaccination est-il un coup porté à l'altruisme ?

M. Philippe Kourilsky a estimé que le Gouvernement n'avait qu'une seule alternative : appliquer ou remettre en cause les recommandations de l'OMS.

Remettre en cause les recommandations de l'OMS est extrêmement compliqué, puisque l'organisation internationale dispose d'une légitimité qui, incidemment, résulte d'une philosophie qui n'est pas d'une totale clarté. En effet, l'OMS correspond à une agrégation de décideurs régaliens dans leur propre pays, tout en disposant d'une sorte de mandat pour définir ce qui est le meilleur pour le monde, sans avoir les moyens de l'imposer.

Du point de vue de l'altruisme, l'OMS a certainement failli dans son plan pour vacciner les pays pauvres. En cas de pandémie, malheureusement comme trop souvent, ces Etats l'auraient subie de manière extrêmement sévère. De plus, pour contraindre une pandémie, il eut été cohérent de faire décroître les réservoirs de virus en tout point du monde.

M. François Autain, président, a remarqué que les recommandations de l'OMS n'avaient pas totalement été suivies par le Gouvernement français, puisque le niveau d'alerte pandémique en France était resté à la phase 5.

M. Philippe Kourilsky a souhaité rappeler le contenu de son rapport de 2000 sur le principe de précaution concernant les experts. Il avait délivré un message, auquel il croit beaucoup, pour que l'expertise soit contractualisée. Trop d'expertises, et pas seulement pour la grippe H1N1, sont réalisées dans des conditions de bénévolat, qui ne sont pas critiquables en soi, sinon que les droits et les devoirs des experts sont mal spécifiés. Ce manque d'encadrement de l'expertise dessert le traitement des grands problèmes de santé publique.

Certes, le devoir de déclaration de leurs liens d'intérêt par les experts représente un acquis en matière de transparence. On s'aperçoit d'ailleurs que c'est la seule méthode efficace. Aux Etats-Unis, il y a une vingtaine d'années, une volonté de transparence, en elle-même légitime, avait conduit les autorités de santé à écarter des commissions compétentes tous les experts ayant des liens avec l'industrie. Le résultat a été que les comités spécialisés ont pris un certain nombre de décisions totalement contre-productives.

L'industrie recherche des experts dans le monde académique car ils sont souvent les plus compétents. Mais le monde industriel est aussi riche de compétences, qu'on ne trouve pas dans le monde académique. Citant sa propre expérience dans les sphères industrielle et académique, il a estimé avoir beaucoup appris dans l'industrie au profit des recherches qu'il mène. Aussi estime-t-il importante la contractualisation de l'expertise scientifique, comme l'Europe s'y est essayée, à la recherche d'un bon équilibre évitant les approches trop technocratiques.

M. Gilbert Barbier s'est interrogé sur les raisons pour lesquelles la grippe (H1N1)v peut atteindre gravement des enfants, alors que les victimes de la grippe saisonnière sont les gens âgés et les personnes fragiles. Quel est le point de vue de l'immunologiste sur cette question ?

Après avoir rappelé que l'immunologue n'est pas un vrai spécialiste de la grippe, M. Philippe Kourilsky a donné plusieurs éléments de réponse.

L'immunité croisée, qu'il a déjà évoquée, est liée à une immunité cellulaire, mal évaluée, mais logiquement moindre chez l'enfant que chez l'adulte. En ce qui concerne les personnes âgées, il est bien connu que leur système immunitaire est partiellement défaillant. Jusqu'à présent, il n'a pas été vraiment trouvé de moyen de rétablir le système immunitaire des personnes âgées au niveau des adultes. Il s'agit d'un grand enjeu de santé publique, donnant lieu à de nombreuses recherches. Deux phénomènes se produisent vraisemblablement : plus on vieillit, plus le système immunitaire se spécialise en laissant des zones de non-réponse ; en outre, il existe une sénescence des cellules du système immunitaire.

Autre élément de réponse, les virus de la grippe mutent de mille façons, de sorte qu'ils vont être plus ou moins agressifs, selon la mutation, dans tel organe ou telle partie d'organe.

M. François Autain, président, a souhaité revenir sur l'articulation entre les principes de précaution et de prévention.

Comment expliquer que la vaccination contre la grippe A (H1N1)v réduise la probabilité de mutation de ce virus ? S'il survient un virus A (H1N1)v mutant l'hiver prochain, les personnes vaccinées contre la grippe pandémique seront-elles protégées ? Cette protection sera-t-elle plus efficace que celle acquise par les personnes ayant contracté la maladie ?

M. Philippe Kourilsky a rappelé que la vaccination protège contre le risque de mutation du virus, par un effet de réservoir. En réduisant le réservoir du virus, on abaisse très fortement la probabilité d'émergence d'une mutation.

M. François Autain, président, a observé que seulement 5,8 millions de personnes ayant été vaccinées, l'effet escompté n'a pas été atteint.

M. Philippe Kourilsky a reconnu que tel était effectivement le cas. Mais la situation n'est pas mauvaise, puisque le virus a été moins virulent que prévu et qu'il y a sans doute eu des réactions croisées en termes d'immunité cellulaire.

Si un mutant dangereux apparaît, il est probable que le fonds d'immunité cellulaire, provenant du virus initial, a de bonnes chances d'atténuer la virulence du mutant chez les individus qui auront été vaccinés, alors que les personnes non vaccinées seront exposées au risque maximum.

M. François Autain, président, a rappelé que les précédentes pandémies de 1918, 1957 et 1968 avaient été provoquées par de nouveaux sous-types. Dans le cas de la pandémie grippale de 2009, il s'agit d'un variant du sous-type H1N1. Or, selon le haut conseil de la santé publique, un virus est défini comme entièrement nouveau quand il procède d'une cassure, impliquant un changement de sous-type. Pouvait-on parler de pandémie avec un virus qui n'était pas si radicalement nouveau ?

M. Philippe Kourilsky a observé qu'un des problèmes de la grippe était qu'elle ne pouvait pas être éradiquée, car il existe des réservoirs animaux d'une ampleur telle qu'il émergera toujours de nouveaux variants. Il s'agit d'un réservoir mobile car les oiseaux en constituent une partie importante. Ce réservoir comporte des milliers de mutants dont des variants peuvent affecter l'homme. La lutte contre les virus grippaux est donc perpétuelle.

Une deuxième remarque porte sur le caractère aléatoire des mutations et de la transmission à l'homme. Dans le cas du SIDA, la transmission du singe à l'homme avait une probabilité faible, mais elle est survenue plusieurs fois.

Qu'appelle-t-on un virus entièrement nouveau ? Bien que le grand public l'ignore, le virus du SIDA correspond en fait à un ensemble de virus, et chez un même individu on observe plusieurs centaines ou milliers de types différents. Il peut arriver qu'un virus grippal humain se combine avec des virus présents chez des animaux pour donner un virus ayant des caractéristiques nouvelles. Si l'on considère une séquence avec 10 000 caractères, doit-on parler de nouveauté en cas de différence portant sur dix caractères, voire un seul ?

M. François Autain, président, a indiqué s'être référé aux précédentes pandémies grippales du vingtième siècle, en relevant une rupture par rapport à ce que l'on avait observé.

M. Philippe Kourilsky a déclaré en conclusion qu'il faut apprendre à comparer et à évaluer les objectifs de santé publique par rapport à leurs coûts. La question essentielle est celle du coût de la mort, dont il est délicat de débattre publiquement.

Audition de M. Frédéric Van Roekeghem, directeur général, et M. Henri Allemand, médecin conseil national, de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS)

La commission d'enquête a ensuite entendu MM. Frédéric Van Roekeghem, directeur général, et Henri Allemand, médecin conseil national, de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS).

M. Frédéric Van Roekeghem a précisé que la CNAMTS n'était pas responsable de l'élaboration de la politique vaccinale retenue contre le virus A (H1N1)v. Elle n'a été associée à la définition des modalités de vaccination que le 9 juin 2009, après que les grandes orientations en la matière aient été décidées au niveau ministériel. La première réunion avec les autorités sanitaires a eu pour objet d'informer la CNAMTS de l'ampleur de la vaccination contre le virus A (H1N1)v et de lui demander d'accélérer celle contre la grippe saisonnière. Le directeur général de la santé a confirmé par écrit cette demande. En conséquence, une réunion interne à la CNAMTS a été organisée le 15 juin pour déterminer les modalités d'organisation de la vaccination de masse. La CNAMTS a ainsi pu confirmer la possibilité de segmenter et d'exploiter ses bases de données pour les convocations. Elle a proposé de se charger de l'envoi et de l'exploitation des coupons de convocation, le Gouvernement attachant une importance particulière à la traçabilité de la vaccination à un moment où une deuxième injection paraissait nécessaire et devait être assurée avec un vaccin de même marque, voire appartenant au même lot que celui utilisé pour la première injection.

Le mois de juin a donc principalement été consacré à la définition organisationnelle de l'opération. Les listes de personnes à convoquer ont été extraites des bases en juillet. Pour les exploiter, une autorisation de dérogation au code des marchés publics a été obtenue le 31 juillet, du cabinet de la ministre, sur le fondement de l'article 35 de ce code relatif aux cas d'urgence impérieuse. Plutôt que de se contenter d'un simple marché sous forme de bon, la CNAMTS a néanmoins préféré passer un marché en bonne et due forme qui comportait deux tranches. La première tranche concernait l'acquisition des moyens d'exploitation pour 14 millions d'euros, dont 6 millions d'achat de machines récupérées par la CNAMTS. La deuxième tranche comportait une rémunération pour l'exploitation des coupons, dégressive par tranches de vingt millions de coupons. Le choix de prévoir des tranches était lié à l'incertitude quant à la réaction de la population par rapport à la vaccination, la CNAMTS ayant une expérience dans ce domaine du fait de la vaccination saisonnière.

M. François Autain, président, a souhaité avoir plus de précisions sur les réticences constatées par la CNAMTS à l'occasion de la vaccination saisonnière.

M. Frédéric Van Roekeghem a répondu que l'extension récente de la recommandation de vaccination saisonnière pour les personnes à risques avait montré les difficultés à mobiliser une population nouvelle pour se faire vacciner. En effet, le taux de vaccination de ces personnes demeure inférieur à celui des plus de soixante-cinq ans.

M. François Autain, président, a souligné que les incertitudes sur la réaction de la population a été d'autant plus forte qu'il s'agissait de la première vaccination de masse conduite dans notre pays.

M. Frédéric Van Roekeghem a indiqué que le doute sur le nombre de personnes qui pourraient être vaccinées avait été intégré dans la rémunération de l'exploitation des coupons. La solution retenue dans le marché a donc été de prévoir une tranche ferme et une tranche variable. Ceci a permis à la caisse de ne payer que pour les six millions de coupons effectivement utilisés.

Afin de permettre l'exploitation des données, une autorisation spécifique a été demandée à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) et un décret pris par le Gouvernement dans des délais brefs. Par ailleurs, la sécurité des données a été renforcée, notamment sur l'internet dans le courant de l'automne.

La CNAMTS a par ailleurs participé aux comités de pilotage départementaux mis en place par les préfets. Elle a également édité les coupons de vaccination pour les publics prioritaires ou sensibles ne figurant pas dans ses bases comme les personnes en situation irrégulière ou les femmes enceintes dont la maternité n'était pas connue au moment de l'extraction des listes. Les caisses primaires ont ainsi édité près de 250 000 coupons. Enfin, la CNAMTS a répondu à plus de 400 000 demandes d'information téléphoniques et mobilisé près de 800 de ses personnels pour participer à la campagne de vaccination.

M. Alain Milon, rapporteur, a souhaité savoir si M. Van Roekeghem avait un avis sur la place de la vaccination dans le dispositif de lutte contre la pandémie et s'il avait été consulté sur la résiliation d'une partie des commandes de vaccins. Par ailleurs, quel jugement doit être porté sur l'organisation logistique de la campagne de vaccination et comment concevoir un dispositif de vaccination pandémique « révisable » en fonction de la gravité de la maladie et de la définition des populations cibles ?

M. Frédéric Van Roekeghem a répondu que son intervention avait été postérieure aux grandes décisions gouvernementales concernant la lutte contre le virus A (H1N1)v. Il n'a donc pas été amené à formuler d'avis sur le recours à la vaccination.

En revanche, il a fait le 15 décembre 2009 une démarche personnelle auprès du directeur de cabinet de la ministre pour lui recommander de résilier la commande d'une partie des vaccins. Cette démarche était motivée par le fait que l'hypothèse d'une double vaccination était, à cette époque, levée. Il paraissait donc important de recalibrer le dispositif de vaccination. La même démarche a été conduite auprès des directeurs du ministère de la santé. Suite à ces rencontres, des études sur les conditions de résiliation ont été engagées par le ministère afin d'étudier les modalités juridiques les plus solides pour faire face aux demandes d'indemnisation qui suivraient nécessairement une résiliation. Celle-ci a finalement été annoncée par le Gouvernement en janvier.

S'agissant de l'organisation, il est tout d'abord difficile de prévoir quelle sera l'attitude la population et son appréciation du rapport bénéfice-risque. Un sondage, demandé par la CNAMTS à l'automne faisait apparaître que la population était réservée. Néanmoins, 75 % des personnes interrogées déclaraient qu'elles se feraient vacciner si le virus était dangereux. La grande volatilité de l'opinion publique rendait donc difficiles les décisions en matière d'organisation. On sait aujourd'hui que le virus était peu dangereux mais cette information n'était pas connue à l'époque.

Comment mieux faire si la situation est appelée à se représenter ? On peut distinguer différents cas selon que le virus a ou non une létalité élevée et si le vaccin est rare ou disponible. Face à un virus peu dangereux, et lorsque l'on dispose d'un vaccin abondant, la solution la plus efficace est la distribution par le plus grand nombre d'acteurs possibles car on ne paie que les vaccins effectivement consommés. A l'inverse, si le virus est virulent et que le vaccin est rare, il est préférable d'organiser la vaccination dans des centres dédiés pour mieux la maîtriser. Si le virus est grave et le vaccin disponible, plus il y a de distributeurs, mieux la population sera protégée.

Concernant la grippe A (H1N1)v, la première analyse était que le virus risquait d'être grave et que les vaccins seraient relativement rares. Ex post, il s'est avéré que le virus était moins agressif que redouté et le vaccin disponible en plus grande quantité que prévu. L'incertitude quant à la létalité et à la transmissibilité du virus n'était pas simple à gérer par les pouvoirs publics.

Pour l'avenir, mettre en place une organisation plus modulable serait préférable.

M. François Autain, président, ayant préconisé la conclusion de contrats par tranches avec les laboratoires, M. Frédéric Van Roekeghem a estimé qu'il pourrait être plus intéressant de négocier des réservations de capacité. Il a observé que la grande majorité des Etats souhaitaient acquérir des vaccins. Les producteurs étant en nombre restreint, cette situation a généré une rente à leur profit.

M. Alain Milon, rapporteur, a souhaité savoir si la CNAMTS avait disposé de remontées de la part des caisses primaires concernant la gravité du virus.

M. Henri Allemand, médecin conseil national, a signalé qu'il n'avait pas disposé de remontées du terrain mais qu'il avait suivi l'actualité et exploité les publications internationales sur l'évolution de la situation. Par rapport aux informations initiales, tant la dangerosité que la contagiosité ont apporté de nombreuses surprises. Il ne faut cependant pas oublier que la France se situait dans un contexte international au sein duquel intervenaient d'autres pays et l'Organisation mondiale de la santé (OMS).

Les remontées de terrain concernaient plutôt les réactions au fil de l'eau de la population et des professionnels de santé, parmi lesquels la vaccination rencontrait peu d'adhésion par rapport à la vaccination.

Sur la place de la vaccination dans la lutte contre les épidémies, la CNAMTS bénéficie de son expérience de la grippe saisonnière. On sait que la vaccination est efficace chez les jeunes et les adultes, mais que ce sont les populations qui subissent moins de complications.

M. François Autain, président, a souhaité savoir sur quelles preuves se fonde une telle affirmation.

M. Henri Allemand a fait état des données de la science appuyées par une bibliographie abondante. Chez les plus de 65 ans, l'efficacité de la vaccination est plus controversée, car le système immunitaire est affaibli. L'âge a une forte incidence sur le risque de complications et donc de décès. La nécessité d'une hospitalisation augmente de manière exponentielle après 65 ans. Paradoxalement, la vaccination est la moins efficace pour ces personnes mais elle est recommandée en raison du haut risque de complications.

Il existe une centaine d'études sur l'efficacité de la vaccination pour les personnes âgées mais un seul essai clinique, dont les résultats sont favorables à la vaccination mais ne sont pas statistiquement significatifs. Les autres études sont des suivis de cohortes dont on mesure l'état de santé avant ou après la vaccination, ou bien des comparaisons entre une cohorte vaccinée et une cohorte non vaccinée. Pour la plupart, les études confirment l'intérêt de la vaccination pour limiter les hospitalisations et les décès mais elles sont soumises à un biais car la mortalité des personnes âgées en période hivernale est liée pour 5 % aux syndromes grippaux. Si, par hypothèse, on considère que la vaccination diminue de 20 % la mortalité liée à la grippe, elle n'agit donc que sur 1 % des décès, ce qui est très difficile à mesurer dans une étude de cohorte.

Les personnes âgées qui décèdent sont les plus fragiles, souvent prises en charge pour d'autres affections lourdes, et la vaccination contre la grippe saisonnière ne suffit pas à les protéger.

En outre, les vaccins saisonniers sont élaborés à partir des souches identifiées en février par l'OMS, qui ne correspondent pas toujours au virus qui circule effectivement, comme on a pu le voir cette année. Néanmoins, la plupart des experts recommandent la vaccination des personnes de plus de 65 ans, efficace en termes de coût.

La grippe A(H1N1)v a surpris la communauté scientifique par la facilité de transmission du virus, l'importance des formes asymptomatiques et le nombre élevé de cas graves parmi les sujets jeunes. Les caractéristiques du virus A(H1N1)v étaient ainsi inhabituelles.

Le nombre assez limité de décès finalement constaté, de l'ordre de 350, a également surpris par rapport aux estimations faites aux mois d'avril et mai 2009.

M. François Autain, président, est revenu sur le paradoxe consistant à conseiller la vaccination contre la grippe saisonnière des personnes âgées, qui ne réduirait la mortalité que de 1 %, et, en revanche, de ne pas la préconiser chez les adultes et les jeunes alors qu'elle serait plus efficace. Il a souhaité savoir si l'absence de vaccination des enfants et des jeunes a pour effet un surcroît de mortalité dans ces classes d'âge.

M. Hubert Allemand a indiqué que la grippe saisonnière n'étant pas une affection d'une particulière gravité chez les jeunes et les adultes, la vaccination n'est recommandée que pour les sujets à risque, notamment les patients atteints de maladies chroniques.

Néanmoins, se pose la question de savoir si la vaccination des populations jeunes ne contribuerait pas à protéger les personnes âgées, en limitant la propagation du virus. Selon certains modèles scientifiques, une telle stratégie pourrait être pertinente dans certains cas. Mais des incertitudes demeurent quant aux effets sur le système immunitaire de vaccinations répétées pendant de nombreuses années.

M. François Autain, président, ayant observé que la vaccination contre la grippe saisonnière ne permet d'éviter en moyenne qu'une une trentaine de décès par an, M. Hubert Allemand a répondu qu'il ne convenait pas de raisonner uniquement en termes de décès, mais aussi tenir compte de l'effet de la vaccination sur la morbidité. La vaccination contre la grippe saisonnière permet d'éviter un certain nombre d'hospitalisations aux coûts financiers et humains importants, particulièrement déstabilisantes chez les personnes âgées.

M. Alain Milon, rapporteur, a demandé à combien s'élève à l'heure actuelle le coût final de la gestion de la grippe A(H1N1)v pour la CNAMTS, ainsi que sa participation aux dépenses de l'Etablissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS) concernant l'achat de vaccins, l'indemnisation des laboratoires, les achats de consommables et les dépenses logistiques.

M. Frédéric Van Roekeghem a indiqué que le montant total des coûts internes supportés par l'assurance maladie - hors achats de vaccins et participation au financement de l'EPRUS - s'élève à un peu moins de 45 millions d'euros, répartis comme suit :

- 14,1 millions d'euros au titre des dépenses d'infrastructure (logiciels, exploitation des coupons de convocation) ;

- 28,6 millions d'euros au titre de l'affranchissement, de l'édition et de l'acheminement des bons de vaccination. Il s'agit du coût de loin le plus important, les coûts liés au seul affranchissement s'élevant à 26 millions d'euros ;

- 2,2 millions d'euros au titre de dépenses diverses.

En réponse à M. François Autain, président, il a précisé qu'au total 65 millions de bons ont été envoyés, pour un nombre de personnes vaccinées de 5,7 millions environ.

En ce qui concerne la participation de l'assurance maladie au financement de l'EPRUS, M. Frédéric Van Roekeghem a distingué les dotations inscrites en loi de financement de la sécurité sociale et les versements effectivement réalisés.

Sur la période 2007-2010, les dotations ouvertes par les lois de financement successives s'élèvent à 612,3 millions d'euros : 175 millions d'euros au titre de l'année 2007, 55 millions d'euros au titre de l'année 2008, 338,3 millions d'euros au titre de l'année 2009 et 44 millions d'euros au titre de l'année 2010.

Les versements effectivement réalisés sont notablement inférieurs puisqu'ils s'élèvent à 352 millions d'euros : 40 millions d'euros en 2007 et 312 millions d'euros en 2009, aucun versement n'étant intervenu en 2008.

Les dépenses liées à la grippe A(H1N1)v sont retracées au sein des comptes de l'EPRUS. Selon les données transmises lors du conseil d'administration de l'établissement le 7 mai 2010, auquel la CNAMTS a participé, les dépenses de l'EPRUS, initialement prévues à hauteur de 764 millions d'euros, ont été ramenées à 456 millions d'euros, dont 440 millions d'euros au titre de la grippe A(H1N1)v. Pour la seule grippe A (H1N1)v, l'assurance maladie a versé, à ce stade, 160 millions d'euros.

M. Frédéric Van Roekeghem a indiqué avoir demandé à ses ministres de tutelle, le 29 janvier 2010, des instructions claires quant aux conséquences à tirer, pour l'assurance maladie, de la résiliation d'un partie des commandes de vaccins, à hauteur de 50 millions de doses.

Il a ainsi proposé de suspendre les versements effectués à l'EPRUS dans l'attente d'un réexamen précis des besoins de trésorerie de l'établissement. Il a également interrogé les ministres de tutelle sur la possibilité de constater ou non dans les comptes de l'assurance maladie une recette résultant du non-versement de la totalité des sommes inscrites en loi de financement de la sécurité sociale pour 2010. En effet, selon les règles actuelles, toute dotation fixée par une loi de financement doit systématiquement être inscrite en charges dans les comptes de l'assurance maladie, que ces sommes soient ou non effectivement versées.

Dans une lettre du 5 mars 2010 adressée à la CNAMTS, les ministres de tutelle ont indiqué que selon les règles comptables actuelles, la totalité de la dotation inscrite en loi de financement pour la sécurité sociale pour 2010 au titre des crédits versés à l'EPRUS doit obligatoirement être portée en charges dans les comptes de l'assurance maladie. Mais ils se sont engagés, une fois les coûts liés à la gestion de la grippe A(H1N1)v et les modalités d'indemnisation des laboratoires connus, à reverser à l'assurance maladie la fraction des dotations non utilisées dans la loi de financement pour 2011. Les ministres de tutelle précisaient, dans ce courrier, que cette somme sera supérieure à 100 millions d'euros.

En réponse à M. François Autain, président, il a indiqué que la négociation des conditions d'indemnisation des laboratoires ne relève pas de la compétence de la CNAMTS, mais de celle de l'EPRUS.

M. Alain Milon, rapporteur, a souhaité savoir si la CNAMTS doit participer au financement des doses de vaccins destinées à des dons à l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ou à d'autres Etats.

M. Frédéric Van Roekeghem a indiqué que l'assurance maladie y participe par le biais de l'EPRUS dont le financement est assuré à parité entre l'Etat et l'assurance maladie pour les dépenses liées aux postes « Epidémiologie », « Risques nucléaires, radiologiques, bactériologiques et chimiques » et « Pandémie », ainsi que certaines dépenses transversales (transport, stockage, destruction de produits).

En réponse à M. François Autain, président, il a précisé que la contribution exceptionnelle des complémentaires santé, créée par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, n'est pas spécifiquement affectée aux dépenses liées à la grippe A(H1N1)v.

M. Alain Milon, rapporteur, a souhaité connaître les dépenses actuelles de la CNAMTS correspondant à l'indemnisation des professionnels de santé, via l'EPRUS ou directement. Une partie de ces dépenses doit-elle rester à la charge de l'assurance maladie ?

M. Frédéric Van Roekeghem a indiqué qu'au 20 juin 2010, le coût lié à l'indemnisation des professionnels de santé libéraux s'élève à 12,36 millions d'euros - dont 8,5 millions d'euros au titre des médecins et 3,2 millions d'euros au titre des infirmiers, le solde correspondant à l'indemnisation des médecins retraités. En ce qui concerne les professionnels de santé salariés, le coût lié à leur indemnisation représente un montant total de 1,47 million d'euros. Ces sommes demeurent néanmoins indicatives, les indemnisations n'étant pas achevées.

L'Etat devrait, par ailleurs, rembourser environ 120 000 euros au titre des réquisitions hors temps de service des personnels de l'assurance maladie (médecins conseils et personnels administratifs) sur une dépense totale de 2,3 millions d'euros.

Ces sommes demeurent relativement modestes au regard de l'ampleur de l'opération mise en place.

M. Alain Milon, rapporteur, s'est ensuite interrogé sur l'estimation du nombre de vaccinations réalisées depuis le 1er février dans les cabinets médicaux. A combien se sont élevées les dépenses de remboursement correspondantes ? Ces vaccinations ont-elles été effectuées dans le cadre de consultations ou sur la base du tarif spécifique ?

M. Frédéric Van Roekeghem a indiqué qu'au 21 juin 2010, 165 738 doses de vaccin ont été délivrées en officine - dont 8 538 monodoses et 3 930 kits de 40 doses - pour un nombre d'actes de vaccination de 3 464. Près de 17 000 coupons ont été renvoyés à l'assurance maladie par les médecins de ville.

Des écarts importants sont ainsi constatés entre le nombre de doses de vaccin délivrées et le nombre d'actes de vaccination recensés sans que l'on puisse y apporter d'explications. Un certain nombre de vaccinations semblait ne pas avoir été effectuées au cours d'une consultation spécifique. En ce qui concerne la grippe saisonnière, une vaccination sur deux en moyenne est faite au détour d'une consultation pour un autre acte.

M. Alain Milon, rapporteur, a souhaité connaître le bilan de la campagne de vaccination contre la grippe saisonnière 2009-2010 (nombre de personnes vaccinées, taux de couverture des populations à risque, coût pour l'assurance maladie). Il a en particulier demandé si la CNAMTS dispose d'estimations du nombre des vaccinations effectuées hors achats en officine (en entreprise, dans les administrations, dans les institutions...).

M. Frédéric Van Roekeghem a indiqué qu'en 2009, 12 millions de personnes, tous régimes confondus, ont été invitées à se faire vacciner (dont 9,08 millions pour le régime général) et environ 7,12 millions de personnes ont été effectivement vaccinées. Le taux de couverture moyen est d'environ 60 % du public cible. Il est de 66,8 % pour les personnes âgées de plus de 70 ans et de seulement 55,3 % dans la classe d'âge 65-69 ans. La situation est perfectible notamment pour les personnes souffrant d'une affection de longue durée (ALD), leur taux de couverture n'étant que de 54,4 %.

M. Hubert Allemand a ajouté que le taux de couverture des personnes atteintes d'une ALD est particulièrement faible chez les jeunes : il n'est pas très élevé chez les jeunes de moins de 18 ans et chute sensiblement pour la classe d'âge 18-23 ans, ce qui est sans doute lié au changement de structure familiale de ces patients. Il remonte ensuite progressivement jusqu'à 65 ans.

M. Frédéric Van Roekeghem a précisé que le coût de la campagne de vaccination contre la grippe saisonnière en 2009, tous régimes confondus, s'élève à 115 millions d'euros, dont 45 millions d'euros au titre des vaccins, 65 millions d'euros au titre des consultations et 5 millions au titre de l'affranchissement des convocations.

Ces chiffres appellent plusieurs observations : la population cible est cinq fois plus réduite que celle visée dans le cadre de la campagne de vaccination contre la grippe A(H1N1)v ; les achats de vaccins correspondent uniquement aux doses de vaccin réellement utilisées ; le coût lié aux consultations ne constitue qu'une estimation dans la meure où il est difficile de distinguer entre les consultations provoquées par la vaccination et les vaccinations dites « opportunistes » au détour d'une consultation pour un autre acte.

La vaccination par les infirmières a permis de diminuer le coût lié à la vaccination contre la grippe saisonnière de 13 % environ sur deux ans.

Il a indiqué ne pas disposer, en revanche, de données sur les vaccinations effectuées hors achats en officine, les données du Groupement pour l'élaboration et la réalisation de statistiques (GERS) ne recouvrant que les ventes en officines et les ventes aux établissements de soins au sens large. Le GERS « hôpital » ne tient pas en principe compte des ventes directes aux entreprises privées et aux administrations.

En réponse à M. François Autain, président, qui souhaitait connaître le nombre de personnes à risque parmi les 5,7 millions de personnes vaccinées contre la grippe A(H1N1)v, M. Frédéric Van Roekeghem a indiqué que cela suppose de mettre en relation la base de données de la CNAMTS contenant des indications sur les populations à risque avec l'outil informatique mis en place spécifiquement pour la grippe A(H1N1)v, lequel ne peut être exploité que sous couvert d'anonymat selon les modalités fixées par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). L'Institut de veille sanitaire (INVS) est autorisé à traiter directement ces données et pourrait ainsi sans doute répondre à cette question.

M. François Autain, président, a souhaité connaître le nombre de consultations et d'indemnités journalières liées à la pandémie de grippe A(H1N1)v et leur coût pour l'assurance maladie. Comment se comparent-ils avec les chiffres observés lors des épidémies de grippe saisonnière ?

M. Frédéric Van Roekeghem a indiqué qu'en comparant l'année 2009 à une année « moyenne », le nombre de consultations supplémentaires constaté est de 3,4 millions, ce qui correspond à un surcoût de 114 millions d'euros par rapport à une épidémie grippale habituelle, dont 95 millions d'euros sont imputables à la grippe A(H1N1)v et 19 millions d'euros à l'intensité de la grippe saisonnière au début de l'année 2009.

M. François Autain, président, a demandé si a été mis en oeuvre le dispositif, voté dans la dernière loi de financement de la sécurité sociale, consistant à exclure les dépenses liées à la grippe A(H1N1)v des dépenses prises en compte pour le déclenchement de la procédure d'alerte en cas de risque de dépassement de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (ONDAM), M. Frédéric Van Roekeghem a répondu que ce dispositif ne s'appliquerait qu'en 2010, en cas de nouvelle épidémie.

En réponse à M. Alain Milon, rapporteur, il a indiqué que l'épidémie de grippe A(H1N1)v a entraîné un surcroît de vaccinations anti-pneumococciques. Tous régimes confondus, le nombre de vaccins « Pneumo 23 » remboursés par l'assurance maladie s'est élevé à 1 080 000, soit 800 000 de plus que l'année précédente sur la même période. Le prix du vaccin s'élevant à 13,87 euros et le taux moyen de remboursement étant de 77,7 %, le coût pour l'assurance maladie lié à ce surcroît de vaccinations est de l'ordre de 8,7 millions d'euros.

M. Frédéric Van Roekeghem a ajouté que les résultats de la campagne de vaccination contre la grippe saisonnière ont été satisfaisants en 2009 et que l'assurance maladie avait pu en particulier, comme le demandait le ministère de la santé, anticiper la campagne et diminuer les délais de vaccination.

En réponse à M. François Autain, président, qui indiquait que le rôle de la CNAMTS avait finalement été réduit à celui de simple financeur dès lors qu'elle avait été tenue à l'écart des négociations avec les laboratoires, M. Frédéric Van Roekeghem a précisé que les négociations devaient être menées par l'acheteur, en l'espèce l'EPRUS. La CNAMTS ne participe au financement que dans les conditions fixées par le Parlement.