Jeudi 27 janvier 2011

- Présidence de Mme Michèle André, présidente -

Femmes et sports - Audition de Mme Geneviève Fraisse, philosophe, directrice de recherche au CNRS, ancienne députée européenne

Mme Michèle André, présidente. - Nous poursuivons nos auditions sur le thème Femmes et Sports. Madame Fraisse, vous avez été députée européenne, mais aussi déléguée interministérielle aux droits des femmes en 1997 et 1998. Les travaux que vous avez menés en ce domaine font de vous une interlocutrice fort intéressante pour nous ! Les femmes ont longtemps été tenues en marge d'un mouvement sportif organisé par les hommes, pour les hommes. Quelques historiens, quelques militantes, se sont penchés sur la question. Nous avons reçu Mme Annie Sugier qui nous a fait partager sa passion pour l'égalité dans l'olympisme.

Mme Geneviève Fraisse, philosophe. - J'ai d'autant plus de plaisir à venir vous voir que les délégations parlementaires aux droits des femmes ont été créées lorsque j'étais déléguée interministérielle aux droits des femmes. L'idée fut lancée par Mme Danièle Pourtaud, qui siégeait au Conseil de l'Europe et avait ainsi connaissance de ce qui se passait ailleurs. Les délégations furent conçues pour étudier sous l'angle des droits des femmes les textes législatifs en navette. Elles ont pris depuis lors beaucoup d'autonomie !

En dehors d'une parenthèse politique de sept années comme déléguée interministérielle puis députée européenne, j'ai mené une activité de chercheuse et mes centres d'intérêt ont concerné l'égalité des sexes.

Au Parlement européen, j'ai présenté un rapport d'initiative sur le spectacle vivant, puis un autre sur les femmes et le sport. La commission de la culture alors animée par M. Michel Rocard ne percevait pas ce que pourrait apporter une telle étude. Quant à l'autre commission dans laquelle je siégeais, celle des femmes, elle était « en plus », comme les commissions de la pêche ou des pétitions... Le gender mainstreaming, ce n'est jamais gagné. Mais enfin, j'étais connue dans ces deux instances, et coordonnatrice de mon groupe : on m'a laissée faire.

J'avais été interpelée par Mmes Catherine Louveau et Annick Davisse, respectivement professeur et inspectrice, qui avaient écrit un livre au début des années quatre-vingt dix - j'ai préfacé la deuxième version, qui sera bientôt rééditée. Elles furent des pionnières sur cette question ! Quant à moi je travaille non pas sur la domination, ni sur les mécanismes d'inégalité, mais sur les arguments de l'égalité et le discours de l'émancipation.

Je me penche sur les discours d'inclusion des femmes dans la démocratie et la République au cours des deux siècles passés : non seulement le droit de vote, mais aussi les droits civils, le droit au savoir ... Je m'intéresse donc à la pensée féministe.

Or le sport, intervenant en oblique, vient tout compliquer : on abordait la question sous l'angle de la pensée intellectuelle, des différences de cerveau - question qui revient comme une ritournelle -, et voilà qu'il faut se pencher sur les différences des corps, donc sur la maîtrise de la reproduction, la contraception, ensuite l'avortement. Il est d'ailleurs intéressant de noter que la contraception a fait l'objet d'une approche de type habeas corpus : « our bodies, ourselves », « notre corps nous appartient ». La question des corps passe aussi par l'analyse des violences. Enfin, j'ai entrepris dans les années quatre-vingt dix de suivre le fil rouge de l'activité physique des filles et des garçons. Que devient la mixité ? L'école est un formidable lieu de possible égalité et de mixité. La différence des corps n'est pas figée : nous ne sommes pas loin de la question des identités sexuées, de la sexualité dans le sport. L'évidence empirique s'impose, d'une différence entre les deux sexes. Les bureaux de la délégation interministérielle étaient situés rue Saint-Dominique, et je discutais souvent avec les fonctionnaires du ministère des armées. Ils me disaient les problèmes posés lors des concours de recrutement : épreuves communes ou concours séparés ? Les pompiers ont les mêmes interrogations.

Faut-il ajuster, ou au contraire gommer les différences ? Personne n'a la solution et nous continuons à nous interroger ! Dans les débats des quarante dernières années, on a systématiquement opposé égalité et différence. Mais ce n'est pas ainsi que cela fonctionne, et il n'y a pas lieu de rapprocher un concept politique, l'égalité, et un concept ontologique, la différence. Le contraire de la différence est l'identité ; l'égalité se conjugue avec la liberté. Affirmer qu'on travaille sur l'émancipation avec les quatre concepts est très polémique par rapport au débat dans lequel on nous avait enfermés. La frontière entre le sport séparé et la mixité peut ensuite être institutionnelle ou personnelle.

Pour ma part, je cherche à évaluer comment ces quatre termes s'organisent et se combinent, par exemple dans le sport - de loisir, de compétition, ou pratiqué à l'école. Mon rapport couvrait les trois domaines. Mais il faut bien sûr commencer par l'école. Les cours d'éducation physique et sportive (EPS) constituent un laboratoire de l'égalité ! Les professeurs d'EPS sont désormais très sensibilisés à la question et lors des EPSiliades de novembre dernier, j'ai rencontré 300 professeurs, hommes et femmes, captivés par le sujet, car ils rencontrent des problèmes très concrets et réfléchissent beaucoup !

On propose régulièrement de séparer filles et garçons pour améliorer les résultats scolaires. En EPS, on a fait des expériences de suspension temporaires de la mixité : en sixième, marathon commun pour les filles et les garçons, en cinquième marathons séparés... Lorsque garçons et filles courent séparément, le moins bon des garçons sera plus humilié, car il passera effectivement la ligne le dernier ; en sens inverse, une fille arrivera première, ce qu'elle n'aurait pas cru possible. Il n'y a pas de solution parfaite pour tendre vers l'égalité !

Mon travail ne porte pas sur les stéréotypes, mais sur le fonctionnement de la mixité dans le laboratoire de l'EPS. Mme Cathy Patinet, dans sa thèse sur le sujet, invite les professeurs à passer de l'attention à la vigilance, à la conscience qu'ils ne posséderont jamais la solution. La question de la puberté vient se greffer sur celle de la mixité ; les filles peuvent vivre mal cette période de transformation, lorsque par exemple elles sont montrées du doigt parce qu'elles se font dispenser de piscine...

Mme Marie-George Buffet, comme ministre des sports, a fait beaucoup sur le sujet qui nous occupe ce matin. On se souvient de l'appel lancé avant les Jeux olympiques de 2004 pour que la délégation afghane intègre des athlètes femmes. Et ce, en plein débat sur le port du foulard à l'école !

Le sport est un lieu d'émancipation des femmes, en ce qu'il produit une nouvelle donne scolaire - ce qui est valable aussi pour les garçons. Les filles qui réalisent de bonnes performances en sport franchissent des étapes dans les autres disciplines scolaires ! Les municipalités hélas ont de leur côté des politiques parfois désastreuses, privilégiant les infrastructures utilisées majoritairement par les garçons. Pour le formuler à gros trait, l'école est le lieu de l'égalité des chances, mais celle-ci est cassée par l'action des municipalités.

J'ai souligné, dans les discussions qui avaient eu lieu lors du vote de la loi, que le port du foulard interdisait les pratiques sportives, les cours de piscine par exemple, autrement dit qu'il supprimait une opportunité d'émancipation. Je ne me suis pas placée sur le terrain religieux mais matérialiste, car l'émancipation ne se fait pas seulement par les mathématiques. Comme en réponse à mon argument, on a créé en 2009 de l'autre côté de la Méditerranée le « birkini » qui couvre tout le corps...

Mme Michèle André, présidente. - Un intégral...

Mme Geneviève Fraisse. - C'était une réponse politique.

Je me réjouis de ne plus être décisionnaire, car je ne vois pas de solution, sauf sans doute dans la valorisation des enseignants d'EPS qui jouent un rôle fondamental. Durant leurs cours, des choses sont exprimées, qui ne se disent pas ailleurs.

Dans le rapport que j'avais remis au Parlement européen, j'avais abordé le rôle de l'école, mais aussi celui des espaces sportifs publics, où les déficiences sont terribles : dans les écoles de sport municipales, aucune tentative pour penser la question ! Or les conformismes l'emportent souvent. Achetez une corde à sauter à votre fils : que le père d'un autre élève s'écrie « c'est un jeu de filles » et la corde à sauter, même vantée par l'institutrice, valorisée par la mère, ne reparaîtra pas : quoique minoritaire, la sentence est tombée. Pourtant, à entendre Nicole Abar parler de son expérience d'entraîneur de football au Plessis-Robinson, à voir le spectacle de Judith Depaule sur les joueuses de l'Athletic club de rugby de Bobigny, on découvre des parcours de filles et de femmes incroyables...

Quant au sport de haut niveau, une députée européenne libérale, ancienne championne de voile d'un pays nordique, me disait l'importance du modèle, de l'exemple. « Je l'ai fait, d'autres peuvent le faire ». Hélas, les images ne sont pas suffisamment nombreuses. La télévision fait quelques efforts, mais le sport féminin ne rapporte pas, donc il ne vaut rien... Quoi qu'il en soit, depuis dix ans, je vérifie sans cesse à quel point ma collègue européenne avait raison !

Mme Michèle André, présidente. - La présence d'une femme dans une grande compétition marque les esprits. Isabelle Autissier, en faisant le tour du monde, a accompli plus qu'un exploit. Son bateau portait les couleurs du ministère des droits des femmes. Je le voulais, comme une affirmation : « c'est possible ». Marraine du premier bateau d'Isabelle, je devais donc le baptiser au champagne. Le préfet m'avait mise en garde sur la difficulté de l'exercice - « un ministre de la mer, un jour, a dû s'y reprendre à sept fois ! » - et sur l'angoisse, diffuse mais persistant chez les marins, souvent superstitieux, lorsque la bouteille ne se cassait pas. A tous les journalistes qui me guettaient, j'ai affirmé crânement que mon expérience de la pétanque me rendait parfaitement confiante. J'ai projeté vivement la bouteille, qui a fort heureusement explosé en mille bulles. Isabelle Autissier a gardé l'image de cette gerbe de champagne.

D'autres femmes sont venues ensuite dans les sports de la mer, comme Helen McArthur. Mais quelle que soit la discipline sportive, le nom de la première femme championne est inscrit à jamais dans les mémoires.

Mme Geneviève Fraisse. - L'image est décisive. Je connais une bouchère qui a laissé son mari seul derrière son étal, pour arpenter le marché en distribuant des tracts. Si Ségolène Royal le faisait, elle pouvait le faire.

Mon rapport, que je vous laisse à cause de l'exposé des motifs, portait aussi sur le sport de haut niveau, dont j'ai découvert combien il détruisait les corps, celui des sportifs comme celui des sportives, d'ailleurs. Lors de réunions au sein du réseau européen Femmes et sport, nous avons entendu des horreurs, ménopause à vingt-cinq ans, ostéoporose - je vous épargnerai les détails, cauchemardesques. Notre travail a visé à mettre en lumière ce que l'Europe a rendu possible, depuis la déclaration de Nice en 2000.

Mme Françoise Laborde . - Le sport est un lieu d'émancipation pour les filles comme pour les garçons, avez-vous dit.

Mme Geneviève Fraisse. - Pas « comme pour les garçons » ! Mais il est vrai que c'est un lieu de performance scolaire, qui valorise la réussite, des garçons et des filles : si j'ai 18 en sport, je peux réussir à l'école.

Mme Françoise Laborde. - Je crois également qu'il faut valoriser davantage les professeurs d'éducation physique, car leurs cours sont aussi des moments de dialogue. Que pensez-vous des expériences d'abandon temporaire de la mixité ? Et que préconisez-vous comme structures pour les filles dans les municipalités ? La mienne est assez ouverte. Les garçons s'approprient plus massivement les équipements tels que les city parks. Chez moi, nous avons réagi en créant un parcours de santé : on les y voit moins, c'est plutôt pour les filles !

Mme Gisèle Printz. - Je ne comprends pas votre remarque sur les équipements sportifs des communes, car tous les sports peuvent être pratiqués par les filles comme par les garçons. Il demeure que les équipes ne sont jamais mixtes : ne peut-on concevoir de telles équipes, mixtes ? N'est-ce pas cela qui manque ?

M. Roland Courteau. - Et que manque-t-il comme équipements ? Que peut-on faire pour favoriser la pratique sportive française ?

Mme Geneviève Fraisse. - L'école est un laboratoire. J'ai cité l'exemple du marathon mixte en sixième, séparé en cinquième. J'ajoute que si le choix est laissé aux élèves, en quatrième, ceux-ci s'interrogent, énoncent avantages et inconvénients, verbalisent ! La question exprime un fait de départ ; elle ne se pose pas de façon identique dans le sport et les mathématiques. Mais qu'on le nie, le minimise ou le surligne, dans tous les cas il est dit. Les professeurs d'EPS ne l'esquivent pas, ils y apportent des réponses pragmatiques et changeantes, discrimination positive, puis rééquilibrage, etc.

L'éducation sexuelle a été abandonnée faute de moyens. Mais le cours d'EPS est aussi le lieu où la sexualité est la plus perceptible ; d'autant qu'aujourd'hui il est plus facile que dans le passé de penser les homosexualités et les identités sexuelles. Je donne beaucoup d'importance à l'éducation physique et sportive dans l'espace scolaire, car l'école républicaine constitue un support fantastique.

J'ai été un peu provocatrice sur les espaces municipaux. Dans vos fonctions locales, vous êtes souvent pris entre la force des stéréotypes et la matérialité d'une pensée égalitaire dans l'espace de vos communes. Il n'y a pas d'égalité sans contrainte. Je l'ai dit à propos de la parité, laquelle est à mes yeux un outil, un habit de l'égalité. Pour promouvoir l'égalité, qui ne pousse pas comme l'herbe verte, il faut dans un cas une discrimination positive, dans un autre, une modification de la Constitution, dans un troisième, une image ou un modèle... C'est pourquoi je suis partisane d'un observatoire de l'égalité dans les municipalités et le pays sur ce sujet.

Mme Françoise Laborde. - Les stéréotypes l'emportent, dites-vous.

Mme Geneviève Fraisse. - Le rouleau du dominant est à l'oeuvre ! Pour que les choses prennent un autre chemin, il faut une intervention du politique, un énoncé, une volonté. A l'école, beaucoup de choses se disent. Dans la ville, l'on ne parle pas et l'on ne pense pas véritablement cette question.

Mme Gisèle Printz. - Voulez-vous dire que l'un des deux sexes peut se trouver exclu d'une certaine discipline ?

Mme Geneviève Fraisse. - Les plus nombreux ont le pouvoir ! Ils sont là avant, ils se tiennent du bon côté de l'histoire. Le sport est à l'évidence un lieu de reproduction des inégalités.

Mme Gisèle Printz. - Jamais une équipe de football ne comprendra des filles et des garçons ?

Mme Geneviève Fraisse. - Dans le spectacle sur le club de Bobigny, on voit que les filles jouent au rugby avec les garçons avant la puberté. Les stéréotypes fusent, bien sûr. Mais quand on cesse de porter des oeillères, il se passe des choses passionnantes ! Quand on n'a pas d'hier, beaucoup de choses peuvent arriver. Ici, une fille jouera au rugby comme son frère, là elle sera seule, ailleurs la pratique se transmet de mère en fille, tandis que les garçons n'y jouent pas...

On entend les témoignages de nombreuses filles qui disent qu'elles « voudraient bien » pouvoir pratiquer tel sport, dans telles conditions. Lorsque les élus répondent « c'est possible », les situations auparavant figées bougent !

Mme Michèle André, présidente. - Vous avez évoqué l'enseignement secondaire. Mais le primaire ? Il n'y a pas de professeur d'EPS.

Mme Gisèle Printz. - Et pas de piscine...

Mme Michèle André, présidente. - Cela se joue un peu plus en primaire.

Mme Geneviève Fraisse. - En proche banlieue, il y a l'école du sport le mercredi.

Mme Michèle André, présidente. - J'ai été adjointe au sport dans une grande ville : la municipalité employait des moniteurs de sport qui complétaient l'enseignement dispensé par les instituteurs. Ils animaient aussi les écoles de sport du mercredi.

Mme Odette Terrade. - A part à Paris, on voit rarement cela.

Mme Michèle André, présidente. - A Clermont-Ferrand, j'ai veillé à ce que l'on fasse le maximum - mais bien sûr, on aurait pu faire mieux...

L'idée de l'observatoire municipal est superbe, elle m'enchante. Et je repense à ce moniteur de rugby, un gars du sud-ouest à l'allure machiste, prenant cependant le temps d'expliquer à une fillette comment tenir sa place dans la mêlée.

Mme Geneviève Fraisse. - Il n'y a pas suffisamment de liens entre le milieu scolaire et celui de la cité. Je le répète, le savoir intellectuel n'est pas la seule source d'émancipation, le corps compte aussi beaucoup !

Mme Michèle André, présidente. - Il y en a...

M. Roland Courteau. - Dans le passé, les enseignants du primaire recevaient une formation à l'éducation physique : est-ce toujours le cas ?

Mme Michèle André, présidente. - Le président de la République a dit qu'il fallait revoir leur formation.

Mme Gisèle Printz. - Certains enseignants ne veulent pas se montrer aux élèves en maillot de bain ; alors les enfants ne vont pas à la piscine.

Mme Michèle André, présidente. - Nous pourrions demander à l'Association des maires de France de nous communiquer les actions intéressantes mais ignorées menées par les communes. A Clermont-Ferrand, nous avions l'ambition que tout enfant sache nager à l'issue du cycle scolaire primaire et j'étais fière d'atteindre les 96 %.

Mme Geneviève Fraisse. - Le frein, à l'école primaire, vient souvent des familles ! Je me souviens avoir, comme déléguée interministérielle, adressé avec Ségolène Royal une petite circulaire aux chefs d'établissement pour leur demander, à l'occasion de la journée du 8 mars, de discuter de l'égalité des sexes. Une directrice d'école m'a expliqué : « j'ai voulu organiser des sports collectifs mixtes le samedi matin, des parents sont venus me voir pour protester, ils craignaient pour les pieds de leurs filles, danseuses... »

Il faut renforcer le pouvoir de l'école.

Mme Michèle André, présidente. - Et renforcer le poids du trio école, municipalité, parents.

Mme Geneviève Fraisse. - Ces derniers sont les plus conformistes.

Mme Michèle André, présidente. - On le constate aussi lorsque l'on veut intégrer des enfants handicapés dans les écoles. Les parents ont peur que leurs enfants prennent du retard. Aux élus de travailler sur ces questions...

Lorsque j'étais ministre, j'ai créé une aide financière aux entreprises qui aménageaient leurs ateliers pour pouvoir y accueillir des femmes - au lieu de s'en tenir à l'idée que l'atelier n'est pas fait pour elles, « adaptons les ateliers ».

Mme Geneviève Fraisse. - Le slogan « c'est technique, c'est pour elles » était excellent ! Il ne visait pas à montrer un modèle...

Mme Michèle André, président. - Il donnait une autorisation.

Je vous remercie infiniment de cette belle présentation.

Audition de Mme Danièle Salva, présidente de l'association Femmes Mixité Sports

Mme Michèle André, présidente. - Nous accueillons maintenant Mme Danièle Salva, présidente de l'association Femmes Mixité Sports depuis le 7 février 2009. Dans les importantes auditions que nous menons depuis quelques semaines, nous sommes à l'écoute de toutes les suggestions ou interpellations et attendons particulièrement les vôtres.

Mme Danièle Salva, présidente de l'association Femmes Mixité Sports. - Je vous remercie de m'accueillir ainsi. Notre association est née en 2000 à la suite des Assises nationales Femmes et sports, réunies à l'initiative de Mme Marie-George Buffet. Celle-ci avait créé une dizaine de groupes de travail, mobilisant une centaine de personnes, entraîneurs, journalistes ou administrateurs. Le débat a été formidable, mais quelles suites allait-il avoir ? C'est ainsi que notre association est née, regroupant la plupart des participants sous la présidence de Nicole Dechavanne.

Nous exerçons une activité de veille afin que le ministère, le Comité national olympique (CNOSF) et les fédérations oeuvrent plus en faveur de l'intégration des femmes, à tous les niveaux. Les moyens de notre équipe de bénévoles sont relativement limités. Si nous n'avons pas de salariés, nous recevons des subventions du ministère et le conseil régional d'Île-de-France a soutenu notre dernière manifestation organisée avec l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (INSEP) et consacrée à l'excellence sportive au féminin. Les cinquante membres actuels de Femix Sports sont autant d'experts. Notre site internet relaie les informations qui nous paraissent intéressantes, dans le champ du sport mais plus largement, sur la place des femmes dans la société.

Mme Michèle André, présidente. - La matière ne manque pas...

Mme Danièle Salva. - Nous organisons çà et là débats et conférences sur les thèmes importants non traités par les institutions. La manifestation de 2007 sur le rôle des médias dans le sport de haut niveau a pointé le déficit de médiatisation des athlètes féminines ainsi que les caractéristiques qualitatives de cette information, rare et infantilisante - peu sur la performance mais beaucoup sur la vie privée.

Mme Michèle André, présidente. - D'autres personnes auditionnées ont évoqué ces habitudes déplorables.

Mme Danièle Salva. - Nous avons organisé le colloque sur l'excellence sportive au féminin à l'INSEP avec le concours de Thierry Maudet.

Mme Michèle André, présidente. - Il avait été un partenaire merveilleux quand il était en poste dans le Puy-de-Dôme.

Mme Françoise Laborde. - Il a ensuite été chez nous.

Mme Danièle Salva. - J'ai travaillé avec lui au ministère. Il est convaincu des vertus de la mixité.

Nous avons, pour cette manifestation, sollicité nombre de fédérations olympiques ; une dizaine ont joué le jeu et présenté leur stratégie, s'agissant du sport pour tous comme de la préparation des équipes de France. Elles n'ont pas occulté le sujet de la place des femmes dans les équipes dirigeantes, qui conditionne d'ailleurs les performances. Nous avons ainsi mis en lumière de bonnes pratiques qui méritaient d'être connues.

Les échanges internationaux sont toujours enrichissants. Que se passe-t-il dans les pays scandinaves, au Royaume-Uni ou en Allemagne ? La plupart des membres de Femix appartiennent au réseau européen Femmes et Sport, dont j'étais secrétaire générale en 2004 et qui s'étend à toute l'Europe, au-delà même de l'Union européenne. La présidence tourne tous les deux ans ; le comité de pilotage également ; la France, qui a assuré la présidence de 2002 à 2004, est restée au comité les deux années suivantes et y est revenue de 2009 à 2011.

Mme Michèle André, présidente. - Qui participe à ce réseau ?

Mme Danièle Salva. - Si tous les pays européens en sont membres, tous ne participent pas au comité de pilotage où l'on retrouve des pays comme la Finlande ou le Royaume-Uni, mais aussi la Tchéquie, la Croatie, l'Italie, la Grèce et Chypre.

Mme Michèle André, présidente. - Espérez-vous que les autres le rejoindront ?

Mme Danièle Salva. - Nous essayons de les persuader ! L'obstacle est d'abord financier : il est parfois délicat d'obtenir des fonds pour participer aux réunions.

Mme Michèle André, présidente. - Ces pays n'ont pas encore compris l'importance de ce que vous faites.

Mme Danièle Salva. - Le CIO organise également des conférences, de même que le groupe de travail international.

Mme Michèle André, présidente. - Le CIO agit-il beaucoup sur ce point ?

Mme Danièle Salva. - Il fait beaucoup pour qu'il y ait aux Jeux olympiques autant d'épreuves pour les femmes que pour les hommes. Il organise d'intéressantes conférences internationales. Cependant, faute de sanctions, ses recommandations sont dépourvues de valeur contraignante - la charte du CIO, qui prévoit la présence des femmes aux Jeux-Olympiques, n'est pas parfaitement respectée.

Mme Michèle André, présidente. - La présentation très précise d'Annie Sugier, la semaine dernière, a constitué un moment exceptionnel.

Mme Danièle Salva. - Elle est membre de notre association. Ensemble, et avec l'association Afghans-Afghanes, nous essaierons de peser sur la préparation des jeux de Londres.

Mme Michèle André, présidente. - Nous avons bien compris qu'elle avait des projets...

Mme Gisèle Printz - Votre association a-t-elle des ramifications dans d'autres villes de France ?

Mme Danièle Salva. - Notre association est nationale. Nous avons essayé de travailler en groupes régionaux mais, même si nous avons des membres dans le sud, en Bretagne, à Bordeaux ou à Lille, nous ne sommes pas assez nombreux et n'avons pas les moyens de travailler de façon régionalisée.

Mme Michèle André, présidente. - Vous conduisez une réflexion plus européenne.

Mme Danièle Salva. - Nous intervenons en région.

Mme Gisèle Printz. - Peut-on faire appel à vous ?

Mme Michèle André, présidente. - Pour une conférence...

Mme Gisèle Printz. - Une médiation ?

Mme Danièle Salva. - L'on nous appelle parfois pour des discriminations dans des clubs. Nous apportons alors une information, un conseil sur la procédure à suivre, que nous ne pouvons bien sûr mener à la place des intéressés.

Mme Michèle André, présidente. - Vous devez accomplir un gros travail pour organiser de grands événements comme ceux que vous avez cités.

Mme Danièle Salva. - Nous recrutons alors des stagiaires pour la logistique. Nous bénéficions du soutien du ministère, du CIO, des fédérations. Aussi créons-nous un comité de pilotage lorsque nous organisons une manifestation.

M. Yannick Bodin. - Le grand problème aujourd'hui est qu'il y a deux catégories d'activités sportives, le sport, et le sport qui devient spectacle. Les informations de ce matin à propos d'Alberto Contador montrent que le Tour de France est un spectacle, dont on ne sait qui, finalement, est le gagnant ! Vous avez compris que je voudrais savoir si vous intervenez sur la question du dopage.

Mme Danièle Salva. - Nous ne l'avons jamais fait, et d'abord parce qu'il est traité par le ministère et que l'Agence française est très efficace. Les enjeux financiers sont moindres dans le sport féminin : il y a deux fois moins de disciplines avec des sportives professionnelles. Le dopage est donc moindre. Personne n'entend parler du Tour de France féminin. Apprenant la suppression d'une compétition cycliste féminine, nous avons sorti le carton rouge en observant qu'il n'y aurait bientôt plus d'épreuves pour les femmes dans cette discipline.

Le sujet n'est pas prioritaire pour nous ; il nous semble plus important d'augmenter la participation des femmes aux instances dirigeantes pour que ces problèmes soient abordés plus fréquemment et plus systématiquement.

Mme Michèle André, présidente. - La situation n'a pas beaucoup évolué. Comme on dit, « on attend et on verra »...

Mme Danièle Salva. - Une proportionnalité entre les licenciées majeures et la représentation au sein des organes dirigeants a été instaurée par un décret. Mais ce n'est pas une bonne chose, car la pratique féminine, qui chute sensiblement à partir de 15 ans, diminue avec l'âge. La quasi-totalité des licenciées de la Fédération de gymnastique a moins de 18 ans. Et les femmes sont marginalisées dans les fédérations des disciplines essentiellement masculines, football, rugby, cyclisme. On compte alors tout au plus deux ou trois femmes à des postes de responsabilité...

Mme Michèle André, présidente. - Le décret est mal calibré.

Mme Danièle Salva. - Et dans les disciplines où les femmes sont majoritaires, celles-ci se plaignent de ne pas avoir suffisamment d'hommes à la fédération, dans les instances dirigeantes. Le CIO recommande une proportion de 20% de femmes dans les organes dirigeants, mais seulement 30% de comités nationaux ont atteint ce pourcentage, la France restant à 17,7%.

M. Yannick Bodin. - Les femmes recourant moins au dopage, sinon dans le tennis et la natation, elles hésiteraient moins à aborder cette question au sein des fédérations. Nombre de hauts dirigeants sont d'anciens sportifs de haut niveau qui ont eu un rapport avec le dopage. Les femmes peuvent-elles pratiquer tous les sports ou certains sont-ils réservés aux hommes ? J'aimerais aussi connaître votre sentiment là-dessus.

Mme Danièle Salva. - Il ne doit pas y avoir de discrimination. Si le sport de loisir est fantastique pour la santé, le sport de haut niveau use les organismes, ceux des hommes comme ceux des femmes. Le rugby ou la boxe provoquent des traumatismes, mais pourquoi protéger la santé des femmes et pas celle des hommes ? Il n'y a aucune raison physiologique d'interdire un sport aux femmes.

Mme Michèle André, présidente. - On ne peut leur interdire le rugby !

M. Yannick Bodin. - Précisément, qu'est-ce qui intéresse les spectateurs dans un match de rugby, sinon qu'il y ait 875 kilos de chaque côté de la mêlée et qu'un homme de 2 mètres et pesant 120 kilos fasse 11 secondes au cent mètres ?

Mme Françoise Laborde. - L'intérêt du spectacle donné par une compétition féminine sera différent, c'est tout...

M. Yannick Bodin. - Les joueurs de rugby ont pris 15 kilos depuis que le sport est devenu professionnel... Les médias vont au plus spectaculaire. Le sport féminin peut-il offrir un spectacle comparable ?

Mme Danièle Salva. - Des filles peuvent courir le 100 mètres en 11 secondes et deux dixièmes. J'ai eu la chance d'assister en Angleterre au match Nouvelle-Zélande-Angleterre. Pas un ballon perdu, mais une rapidité, une efficacité fantastique et une remarquable précision technique. Les hommes qui m'entouraient en restaient bouche bée. Je reconnais que les seize équipes du championnat n'étaient pas toutes de ce niveau - j'ai vu un score final de 48 à 0 -, mais une enquête menée en Angleterre montre que les spectateurs de télévision sportive souhaitent voir plus de sport féminin à l'écran.

M. Yannick Bodin. - Il faut en convaincre les journalistes. Lorsque j'ai assisté au match féminin France-Canada, splendide du reste, les hommes autour de moi l'ont trouvé intéressant, mais les journalistes m'ont expliqué que cela manquait de « castagne ». Les mentalités doivent évoluer.

Mme Danièle Salva. - Un grand nombre de spectateurs sont déjà convaincus. Nous avons cherché l'appui des journalistes. Nous avons trouvé le soutien d'un journaliste de L'Equipe, mais il a du mal à faire passer ses papiers et, quand il demande à assister à une compétition féminine, même un championnat du monde, on ne la trouve pas assez importante ! En revanche, nous remarquons que la presse écrite régionale traite assez équitablement le sport masculin ou féminin.

Mme Françoise Laborde. - Votre association s'est-elle penchée sur la formation des entraîneurs sportifs ?

Mme Danièle Salva. - On n'entraîne pas pareillement les hommes et les femmes et nous réclamons depuis longtemps que toute formation d'entraîneur sportif soit attentive à ces spécificités.

Les femmes peuvent être des entraîneurs de même niveau et de même qualité que les hommes. J'irai plus loin : les équipes d'entraîneurs mixtes sont plus performantes. Beaucoup de fédérations, dont le rugby, sont très volontaires sur ce point.

Mme Michèle André, présidente. - Le président Albert Ferrasse avait été blessé par le refus d'Edwige Avice que l'équipe de France aille en Afrique du Sud du temps de l'apartheid, et il avait été surpris d'être accueilli à Clermont par une adjointe aux sports. Mais il m'a plus tard expliqué que si les femmes qui font l'école à nos enfants ne s'y intéressaient pas, le rugby perdrait du terrain. Il avait évolué ! Et chacun peut faire du chemin...

Mme Danièle Salva. - La capacité de développer les disciplines est un argument ! Les femmes représentent un marché à conquérir ; elles intéressent les équipementiers et les fédérations. Certains en viennent à accepter les femmes par ce biais et se rendent ensuite compte qu'elles apportent plus que des rentrées d'argent.

Mme Michèle André, présidente. - La désaffection des licenciés à la fédération française de football, auquel le comportement de l'équipe de France en Afrique du Sud n'est pas étranger, aidera peut-être ses dirigeants à comprendre l'importance du sport féminin.

Mme Danièle Salva. - C'est déjà le cas. L'équipe de France féminine a remporté de superbes succès cette année - mais elle est la seule, parmi les équipes européennes, à être arrivée à ce stade de la compétition sans pour autant bénéficier d'une médiatisation par la télévision nationale.

Mme Michèle André, présidente. - Une de mes parentes étant capitaine d'une équipe de football, j'ai vu leur qualification sur Canal Plus et j'ai donc publié un communiqué au nom de la délégation pour saluer leur succès. Lequel a donné lieu à certaines reprises dans la presse...

Mme Danièle Salva. - Le match a été retransmis par la chaîne cryptée mais non par une grande chaîne nationale gratuite... De même, l'équipe féminine de rugby a remporté plusieurs fois le grand schlem sans que cela fasse une ligne dans la presse.

Mme Gisèle Printz. - Invitons des journalistes sportifs.

Mme Michèle André, présidente. - Ils nous diront que ce n'est pas leur faute, que c'est affaire de formatage. Invitons plutôt un dirigeant de chaîne, cela l'obligera à réfléchir.

M. Yannick Bodin. - Quelqu'un du CSA ?

Mme Danièle Salva. - Il publie un baromètre de la diversité. Deux de ses rapports en traitent.

Mme Michèle André, présidente. - Je vous remercie, madame. Notre délégation est très honorée de vous avoir reçue et souhaite grand succès à vos actions qui sont de nature à faire avancer les choses.