Mercredi 11 janvier 2012

- Présidence de Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente -

Prescription de l'action publique des agressions sexuelles autres que le viol - Table ronde avec les représentantes d'associations engagées dans la lutte contre les violences envers les femmes

La délégation a procédé à l'audition, dans le cadre d'une table ronde, des représentantes d'associations engagées dans la lutte contre les violences envers les femmes afin de recueillir leur point de vue sur la proposition de loi n° 61 (2011-2012) de Mme Muguette Dini et plusieurs de ses collègues modifiant le délai de prescription de l'action publique des agressions sexuelles autres que le viol, dans la perspective de sa discussion par le Sénat en première lecture le 19 janvier 2012.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - Je me réjouis que, dans les délais très courts qui nous étaient impartis et malgré la suspension liée à la période des Fêtes, nous ayons pu organiser cette table ronde sur le délai de prescription de l'action publique en matière d'agressions sexuelles autres que le viol. Et je tiens à vous remercier, toutes et tous, d'avoir été si nombreux et si prompts à répondre à notre invitation.

Comme vous le savez, deux propositions de loi récentes, l'une émanant de Marie-George Buffet à l'Assemblée nationale, l'autre de notre collègue Muguette Dini au Sénat, considèrent que le délai de prescription actuel, fixé à trois ans, comme pour les autres délits, est trop court, et qu'il convient de le porter à dix ans, comme c'est le cas pour le viol, qui relève, lui, de la catégorie des crimes.

Nous avons appris, à la mi-décembre, que la proposition de loi de Mme Dini viendrait en discussion devant le Sénat le 19 janvier et il nous a paru indispensable, sur ce sujet sensible, de recueillir vos points de vue.

Il est bien évident que certaines affaires récentes ont projeté dans le débat public les agressions sexuelles et la prescription des poursuites auxquelles elles peuvent donner lieu. Mais je ne crois pas que le législateur doive se prononcer sur la base de certains cas d'espèce, quelque émotion qu'ils aient pu susciter dans le public.

C'est pourquoi j'ai souhaité vous réunir aujourd'hui pour nous éclairer, grâce à l'expérience que vous donne le contact quotidien avec ces très nombreuses femmes victimes de violences auxquelles vous apportez vos conseils, votre aide et votre soutien moral. Rien ne peut remplacer, à nos yeux, la perception que vous avez de la réalité de ces agressions, des souffrances qu'elles provoquent chez leurs victimes et des difficultés que celles-ci éprouvent très souvent à porter plainte.

Bien sûr, nous disposons, par ailleurs, d'un certain nombre de rapports et d'enquêtes qui nous permettent de cerner la réalité statistique, sinon humaine, du problème.

Que nous apprennent-ils ?

A s'en tenir aux données collectées par les services de police et les unités de gendarmerie, 23 000 faits de violences sexuelles ont été constatés en 2010 : 10 108 viols et plus de 12 800 faits de harcèlements et autres agressions sexuelles. Ces chiffres sont importants, mais ils ne constituent, malheureusement, que la partie émergée de l'iceberg, car nous savons bien - les enquêtes de victimisation le montrent - que les victimes de ces violences sexuelles renoncent très souvent, trop souvent, à porter plainte.

Il faut donc compléter ces données par les enquêtes qui ont été réalisées par l'Observatoire national de la délinquance et l'INSEE. Une récente enquête « cadre de vie et sécurité » nous confirme que « les caresses, baisers et autres gestes déplacés » sont les agressions sexuelles les plus fréquentes. Les femmes en sont trois fois plus souvent victimes que les hommes, et ce sont les jeunes femmes de 18 à 29 ans qui y sont le plus exposées : une jeune femme sur dix a subi ce type d'attouchement non désiré dans les deux ans qui ont précédé l'enquête.

Par opposition aux viols qui sont le plus souvent perpétrés dans un lieu privé, les faits se déroulent fréquemment sur le lieu de travail (un cas sur quatre), ou dans un lieu public (un cas sur cinq) : dans la rue (13,6 %) ou dans les transports (6,3 %). Les victimes sont peu enclines à se confier et encore moins à porter plainte : à peine une sur six quand l'agression est commise à l'extérieur du ménage, et moins encore - une sur dix - dans le cas d'agression intraconjugale.

Les agressions sexuelles sont cependant sévèrement réprimées par le code pénal auquel on ne peut reprocher de sous-estimer leur gravité. Celui-ci établit une distinction stricte entre le viol et les agressions sexuelles autres que le viol.

Le viol, défini comme « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature que ce soit, commis par violence, contrainte, menace ou surprise » est un crime. Il est puni de quinze ans de réclusion criminelle, voire davantage : vingt ans, s'il s'accompagne de circonstances aggravantes, trente ans lorsqu'il entraîne la mort de la victime et la réclusion à perpétuité lorsqu'il est accompagné de tortures ou d'actes de barbarie.

Comme pour tous les autres crimes, le délai de prescription de l'action publique est fixé à dix ans par le code de procédure pénale.

Les agressions sexuelles autres que le viol relèvent d'une autre catégorie : celle des délits. Elles sont punies de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Ces peines sont, en cas de circonstances aggravantes, susceptibles d'être portées à sept voir à dix ans d'emprisonnement et à 100 000 ou 150 000 euros d'amende.

Comme pour la plupart des délits, à quelques exceptions près, le délai de prescription de l'action publique est fixé à trois ans par le code de procédure pénale.

Ce délai de prescription est-il, en pratique, trop court ? Constitue-t-il un frein significatif au dépôt de plainte ? Faut-il en conséquence le soustraire au délai de prescription de droit commun pour les délits, et l'aligner sur celui du viol, qui relève de la catégorie des crimes ?

Telle est la question fondamentale à laquelle nous vous demandons de nous aider à répondre en nous apportant le fruit de votre expérience sur les différentes composantes de cette problématique.

La proximité des traumatismes subis par les victimes de ces différentes formes d'agressions sexuelles et la tendance de la justice à correctionnaliser certaines affaires de viol doivent-elles nous inviter à une unification des délais de prescription en matière d'agressions sexuelles ?

Est-il pour autant sans inconvénient d'estomper la distinction nécessaire entre le viol, qui est un crime, et d'autres formes d'agressions sexuelles qui recouvrent des agissements condamnables, mais d'une gravité moindre et d'ailleurs inégale ?

En pratique, un allongement des délais serait-il de nature à permettre aux femmes victimes de ces agressions sexuelles autres que le viol de surmonter leur traumatisme et de se décider à porter plainte ?

Ou ne risquerait-il pas d'être illusoire, dans la mesure où l'allongement du délai peut poser un problème de preuve pour des agressions qui ne laissent généralement que très peu de traces médico-légales ?

Tels sont quelques-uns des aspects - j'en oublie, sans doute - sur lesquels vous pourrez nous éclairer.

Dr. Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol (CFCV). - Je m'exprimerai en qualité de présidente du Collectif féministe contre le viol (CFCV), une association qui s'est constituée en 1985 dans la région parisienne pour réagir contre les viols commis dans les lieux publics devant des témoins passifs. Nous gérons depuis 1986, avec l'appui financier du Service des droits des femmes, une permanence téléphonique qui propose aux victimes de violences sexuelles, ou à leurs proches, un soutien et des informations quant aux démarches qu'elles peuvent entreprendre.

Une des principales revendications de notre collectif, depuis une dizaine d'années, est la suppression de toute prescription en matière de viol. Nous avons déjà participé à plusieurs combats tendant à l'allongement du délai de prescription pour les viols et agressions sexuelles commis sur des mineurs. Nous sommes bien entendu favorables à l'allongement du délai de prescription pour les agressions sexuelles commises sur des majeurs.

Nous sommes en revanche un peu fâchées par un passage de l'exposé des motifs de la proposition de loi, celui qui explique que « par ailleurs, faute de pouvoir réunir tous les éléments constitutifs du viol ou de la tentative de viol ou afin de faire face à l'encombrement des rôles des cours d'assises », les autorités judiciaires sont très souvent amenées à requalifier le viol d'« agression ».

Or, il faut savoir que les victimes n'apprécient pas du tout que le viol qu'elles ont subi soit ainsi requalifié. Cette possibilité de correctionnaliser des agissements - les viols et les tentatives de viol - qui sont des crimes me paraît lourde de conséquences et je crois qu'il faudrait modifier la loi Perben du 9 mars 2004 qui a autorisé ce type de requalification sous réserve de l'accord de la victime - accord soit dit en passant qu'elles peuvent en pratique difficilement refuser.

Bien sûr, on nous oppose, en matière d'allongement du délai de prescription de l'action publique en matière d'agressions sexuelles autres que le viol, l'absence fréquente de preuves matérielles. Mais vous savez, en matière de viol, les preuves médico-légales peuvent également manquer si la victime attend quarante-huit heures, et la plainte risque alors de ne pas aboutir.

Dans l'hypothèse où un violeur en série a commis, comme c'est fréquemment le cas, un grand nombre de viols et d'autres agressions sexuelles, il est regrettable que les victimes qui n'ont subi « que » ces attouchements ou ces baisers appuyés, ne puissent, en raison du délai de prescription plus court, voir leur plainte aboutir alors même qu'elles peuvent être, psychologiquement, autant affectées que les victimes d'un viol ou d'une tentative de viol.

Il est fréquent qu'un violeur commence, en début de parcours, par de simples attouchements et, si on le sanctionnait plus tôt, on pourrait peut-être lui éviter de passer ensuite à des agressions plus graves.

J'ai par ailleurs relevé qu'une proposition de loi n° 796 avait été déposée devant le Sénat pour garantir l'immunité pénale aux professionnels de santé qui signalent des suspicions de maltraitance ou de violences sexuelles faites aux mineurs. Cela n'est pas étranger à notre sujet, car la crainte - tout à fait justifiée - de faire l'objet de poursuites peut actuellement dissuader ces professionnels de signaler des cas de maltraitance dont ils auraient eu connaissance. Or, leur silence ou leur abstention peut aussi contribuer à décourager la victime de porter plainte.

Je souhaiterais également dénoncer la jurisprudence qui, sur le fondement des articles 212 et 215 du code civil, permet de condamner un des époux pour non respect du devoir conjugal : vingt-huit arrêts ont été rendus sur cette base depuis 1980. Cette jurisprudence me paraît bien archaïque à l'heure où le viol entre époux est considéré comme une circonstance aggravante. Un recadrage me paraît s'imposer.

Mme Olga Trotiansky, présidente de la Coordination française pour le lobby européen des femmes (CLEF). - la Coordination française pour le lobby européen des femmes (CLEF) rassemble plus de quatre-vingts associations qui oeuvrent en faveur du droit des femmes et de l'égalité entre les hommes et les femmes. Un certain nombre de ces associations ont travaillé en 2010 - année au cours de laquelle la lutte contre les violences faites aux femmes a été élevée au rang de cause nationale - à la rédaction d'une charte que je vous remets.

Concernant l'allongement du délai de prescription qui fait l'objet de la proposition de loi de Mme Muguette Dini, les associations composant la CLEF y sont très majoritairement favorables, même si certaines d'entre elles ont émis des réserves sur le risque d'augmentation des cas de déqualification des actes de viols en actes d'agressions sexuelles. Je pense que notre échange nous permettra de discuter de cette question.

Mme Isabelle Gilette-Faye, directrice générale du Groupe de femmes pour l'abolition des mutilations sexuelles et autres pratiques affectant la santé des femmes et des enfants (GAMS). - Le Groupe de femmes pour l'abolition des mutilations sexuelles et autres pratiques affectant la santé des femmes et des enfants (GAMS), que je représente, s'occupe spécifiquement des cas de mutilations sexuelles et de mariages forcés.

Notre expérience de terrain nous conduit à accompagner majoritairement les femmes étrangères ou issues de l'immigration, dont l'agresseur est, dans la plupart des cas, l'époux ou le futur époux choisi par les parents de la jeune fille victime d'agression sexuelle.

Ce contexte particulier, dans lequel la victime se trouve physiquement et psychologiquement confrontées à des conflits de loyauté qui la mettent aux prises avec sa famille, sa culture et sa propre histoire, constitue un handicap supplémentaire pour elle. Pour porter plainte, elle devra souvent s'extraire de l'emprise exercée sur elle non seulement par son conjoint, mais aussi par sa famille qui le lui a imposé, ce qui signifie qu'elle devra préalablement quitter le domicile conjugal.

Ces victimes sont souvent jeunes, elles ont entre 18 et 25 ans, ce sont des « jeunes majeures ». Pour elles, il est essentiel d'avoir du temps. Dans leur cas, l'allongement du délai de prescription est particulièrement important et nous y sommes donc favorables.

Mme Maya Surduts, secrétaire générale de la Coordination des associations pour le droit à l'avortement et à la contraception (CADAC). - Bien qu'étant secrétaire générale de la Coordination des associations pour le droit à l'avortement et à la contraception (CADAC), ce n'est pas à ce titre que j'interviens aujourd'hui devant vous, même si le combat que nous y menons pour endiguer le démantèlement de l'hôpital public, et notamment le recours que nous avons déposé devant le Conseil d'État contre la non-application de la loi n° 2001-588 du 4 juillet 2001 relative à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception, pourrait faire l'objet d'une autre audition devant vous.

Membre de la commission chargée des violences au sein du Collectif national pour les droits des femmes, nous avions été à l'origine de la proposition de loi-cadre contre les violences à l'encontre des femmes. Même si nous nous sommes réjouies de l'adoption de la loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, nous avons déploré que la portée de cette loi ait été réduite, notamment lors de son passage au Sénat, et restons disposées à discuter avec vous des modalités de son application.

Pour revenir plus précisément sur la question de l'allongement du délai de prescription de l'action publique des agressions sexuelles autres que le viol, je voudrais, comme mes collègues, insister sur la difficulté qu'ont, encore aujourd'hui en France, les victimes à porter plainte.

Est-ce parce que nous sommes un pays latin ? Je ne sais, quand on considère les avancées qui ont eu lieu, par exemple, en Espagne. Toujours est-il que le pouvoir y reste encore accaparé par les hommes ! Dans ce contexte, les obstacles que doivent surmonter les femmes pour porter plainte sont immenses.

Je suis, par conséquent, très favorable à ce que le délai de prescription soit allongé. Cette avancée s'inscrirait pour moi dans la continuité du combat que je mène depuis de nombreuses années, étant à l'origine du Collectif féministe contre le viol, qui a oeuvré, avec vous, à l'allongement du délai de prescription de l'action publique des viols incestueux commis sur des mineurs.

Je conclurai en insistant sur l'importance d'aborder la question des inégalités au préjudice des femmes de manière globale car tout est lié. Tant que nous accepterons qu'à métier et compétences égales l'écart des salaires entre les hommes et les femmes reste de 27 % et que persistent des entraves au choix de leur grossesse, les femmes seront maintenues dans un état d'infériorité. C'est donc sur l'ensemble de ces fronts qu'il faut combattre.

Mme Muriel de Gaudemont, membre de la commission Femmes d'Amnesty international France. - Le rapport publié en 2010 par la commission Femmes d'Amnesty international France, qui actualise celui de 2004 et qui s'intitule « Violences contre les femmes : la France doit mieux faire », reflète bien notre appréciation de la législation sur le sujet.

Amnesty International France est favorable à l'allongement du délai de prescription, comme nous sommes favorables à toutes les mesures qui permettent d'améliorer l'accès à la justice.

Cependant, nous attirons votre attention sur la nécessité d'informer les femmes de cette modification de la législation, sans quoi son application risque de rester lettre morte. Nous avons notamment beaucoup regretté qu'aucune campagne d'information n'accompagne l'allongement à vingt ans du délai de prescription de l'action publique des viols commis sur des mineurs.

La difficulté à porter plainte tient, selon nous, pour beaucoup, à la persistance après l'agression d'un contexte de domination de l'agresseur sur sa victime - qu'il soit objectif ou subjectif, importe peu.

Or, trois ans, c'est souvent trop court pour s'extraire physiquement et mentalement d'un tel rapport de domination et arriver à porter plainte : le fait que l'on estime à 10 % la proportion de femmes agressées qui portent plainte est significatif de la nécessité de modifier la loi.

J'insiste sur l'importance de prévoir des mesures d'information qui, seules, garantiront l'application effective de cette réforme.

Mme Ernestine Ronai, responsable de l'Observatoire des violences envers les femmes du conseil général de Seine-Saint-Denis. - Responsable de l'Observatoire des violences envers les femmes du conseil général de Seine-Saint-Denis, je souhaite d'abord souligner que nous sommes, en France, le seul observatoire dédié à ce sujet.

Je le regrette évidemment, comme, je regrette que le rapport prévu par l'article 29 de la loi du 9 juillet 2010, qui devait proposer au Parlement, avant le 31 décembre 2010, la création d'un Observatoire national des violences faites aux femmes, n'ait jamais été remis au Gouvernement.

Personnellement, je pense qu'il manque en France non seulement un Observatoire national, mais surtout un Réseau national d'observatoires qui pourraient utilement travailler sur le terrain en partenariat avec les délégations régionales aux droits des femmes, comme nous le faisons en Seine-Saint-Denis.

Concernant l'allongement du délai, je suis en total accord avec les propos tenus par le Dr. Emmanuelle Piet et je suis donc favorable au dispositif de la proposition de loi pour deux séries de raisons.

D'abord parce qu'il faut améliorer le traitement des plaintes : je voudrais partager avec vous un certain nombre de chiffres communiqués à l'époque par le procureur-adjoint du tribunal de Bobigny, lors de la sixième rencontre de l'observatoire en 2007. Dans notre département, en 2007, seules 37 % des plaintes d'agressions sexuelles ont été déclarées recevables. Sur ces 37 %, seules 60 % ont donné lieu à des poursuites pénales. Ces chiffres montrent qu'il existe encore une forte marge de progression à réaliser dans ce domaine !

Ensuite parce que l'effet de sidération des victimes d'agressions sexuelles est souvent tel que trois ans ne leur suffisent pas pour réagir ! Je lisais récemment un article publié sur le site du journal Rue 89 rapportant des actes d'agressions sexuelles commis lors des « bizutages » des Grandes écoles. Au cours de ces « soirées festives », les jeunes étudiant(e)s subissent de véritables agressions sexuelles mais qui semblent tellement banalisées par le milieu dans lequel ils évoluent qu'il leur est difficile d'en faire le récit dans les années qui suivent.

J'insiste ensuite, à l'instar de mes collègues, sur le danger de « déqualifier » certains actes agressifs. Une tentative de viol peut être un acte très grave, qui ne sera pas puni comme tel si elle est requalifiée en « agression sexuelle ».

Les arguments tirés de l'engorgement des cours d'assises, ou du manque d'effectifs de la police sont inacceptables. Ils nous obligent, cependant, à nous poser la question des moyens nécessaires pour permettre à la justice et à la police de mieux faire leur travail et d'apporter des réponses adaptées aux femmes victimes de violences.

Mme Marie-Ange Le Boulaire, fondatrice de l'Association nationale pour la reconnaissance des victimes. - Je représente l'Association nationale pour la reconnaissance des victimes qui a organisé, le 22 février 2011, au Trocadéro, la première Journée mondiale pour la reconnaissance des victimes, réitérée cette année le 22 février 2012, et à laquelle vous êtes bien entendu tous et toutes conviés.

C'est aussi la parole des victimes que je porte aujourd'hui, non seulement parce que j'ai moi-même été victime d'un violeur en série en 1994, mais aussi parce que, par mon métier de journaliste, j'ai décidé, après ce drame, de consacrer un certain nombre de documentaires aux victimes d'agressions sexuelles et de viols. La réalisation de ces films m'a amenée à passer beaucoup de temps aux côtés des victimes, mais aussi à voir de près le travail de la police judiciaire - puisque j'ai passé huit mois dans leurs locaux - et le travail des magistrats - ayant filmé les procès au Palais de Justice. Je peux donc témoigner que très souvent, la honte ou la culpabilité empêchent les victimes de porter plainte, surtout quand elles ne sont pas accompagnées, et qu'il est pourtant essentiel à leur reconstruction qu'elles soient reconnues en tant que victimes.

Même si la condamnation de l'agresseur reste, bien sûr, l'objectif de notre action, la reconnaissance du statut de victime ne passe pas toujours par cette étape qui, comme vous l'avez dit précédemment, n'intervient que trop rarement dans les cas déclarés d'agressions sexuelles.

C'est la raison pour laquelle, au cours des actions de formation que nous donnons aux policiers, nous leur expliquons qu'il est essentiel de ne pas mettre en doute la parole des femmes qui ont eu le courage de venir porter plainte et qu'il est essentiel pour elles, et la suite de leur parcours, d'être reconnues comme victimes dès le commissariat.

Concernant l'allongement du délai de prescription, auquel je suis favorable, il me semble que l'argument selon lequel il risquerait de rendre plus compliquée la collecte des preuves est un faux débat : que trois ans ou dix ans se soient écoulés, le problème reste le même et les preuves toujours difficiles à rassembler.

Enfin, j'espère que nous aurons un jour l'occasion d'avoir un débat ouvert sur la suppression de la prescription pour les crimes. En ce qui me concerne, ayant côtoyé tant de victimes, je ne comprends pas ce qui justifie qu'on légalise le droit à l'oubli pour leurs agresseurs.

Mme Olivia Cattan, présidente de Paroles de femmes. - L'association Paroles de femmes, que je préside, a soutenu Tristane Banon dans l'affaire « DSK ». Même si la tentative de viol dont elle a été victime a été requalifiée en agression sexuelle et reste aujourd'hui impunie, Tristane Banon a été une victime, et c'est ce qui comptait le plus pour elle et lui a permis de tourner la page dans cette affaire.

Comme Marie-Ange Le Boulaire, je pense que la reconnaissance du statut de victime est essentielle à la reconstruction. Je l'ai également intimement éprouvé puisque, victime moi-même d'une agression sexuelle, je n'ai pas eu le courage d'aller porter plainte, probablement en grande partie parce que je ne me suis pas sentie soutenue à l'époque par mon entourage.

Parmi les femmes que nous recevons à l'association, beaucoup nous disent qu'elles n'osent pas faire les démarches : certaines parce qu'elles ne se sentent pas assez entourées pour le faire, d'autres parce qu'elles ont peur des réactions de leur entourage - famille ou collègues - en particulier lorsque l'agression a eu lieu sur le lieu de travail et qu'elles ont peur de perdre leur emploi. Et, en effet, après la plainte, il faut « vivre avec » au quotidien, subir le regard des autres et on oublie souvent que c'est à ce moment-là que les femmes doivent être accompagnées.

Dans le cas de Tristane Banon, la campagne de déstabilisation a été violente : nous avons reçu des insultes, j'ai moi-même été menacée de mort, toutes choses qui me semblent incroyables aujourd'hui dans un pays censé protéger le droit des victimes présumées et, en particulier, des femmes victimes de violences.

A la suite de cette affaire, nous avons donc proposé non seulement à Marie-George Buffet, mais aussi à de nombreux autres responsables politiques de droite comme de gauche, le dispositif de la proposition de loi tendant à allonger le délai de prescription. Je pense que ce délai supplémentaire peut être décisif - il l'aurait probablement été pour moi - pour toutes les femmes qui ont peur et dont la parole, aujourd'hui encore en France, continue à peser moins que celle d'un homme.

Mme Marie-Pierre Martinet, secrétaire générale du Mouvement français pour le Planning familial (MFPF). - J'interviens au nom du Mouvement français pour le Planning familial (MFPF) dont j'assure le secrétariat général. Le Planning familial soutient l'allongement du délai de prescription pour les agressions sexuelles et je me demande s'il ne faudrait pas aller plus loin encore dans l'unification des délais de prescription pour l'ensemble des agressions sexuelles, en particulier lorsque celles-ci sont commises sur des mineurs, car un mineur a davantage encore de difficultés qu'un majeur pour déposer plainte s'il a subi une agression sexuelle.

L'action du Planning familial n'est pas directement ciblée sur la lutte contre les violences envers les femmes, comme c'est le cas pour d'autres associations présentes autour de cette table, mais nous sommes cependant un lieu privilégié de dépistage de ces violences.

En effet, beaucoup de celles qui viennent au Planning ont du mal à exprimer les raisons de leur malaise. Elles pensent venir simplement demander une information sur la contraception mais cherchent en fait un lieu d'écoute, et n'ont pas nécessairement réalisé qu'elles avaient, en réalité, été victimes d'agressions ou de violences au sens large.

C'est un constat que nous opérons tous : il faut du temps pour réaliser ce travail en amont, pour parcourir ce cheminement qui les amènera à porter plainte et pour rassembler l'ensemble des preuves nécessaires.

Il me semble, en outre, comme l'a relevé Emmanuelle Piet, que la distinction entre les différentes agressions sexuelles - un viol véritable, une tentative de viol, un quasi-viol - s'avère souvent, en pratique, plutôt subtile.

La question de l'éducation et de la formation est primordiale. J'insisterai sur ses trois aspects : l'éducation des jeunes, tout d'abord, car il est indispensable d'aborder avec eux la question de la relation à l'autre et de leur expliquer comment se construit le rapport de domination des hommes sur les femmes ; la formation des personnels de police et de gendarmerie qui reçoivent les plaintes ; et la sensibilisation des magistrats et des avocats à la question de l'appréciation des rapports sociaux de sexe, qui devrait faire l'objet d'un module obligatoire lors de leur formation.

Mme Odette Terrade, membre du conseil d'administration de l'association Élu(e)s contre les violences faites aux femmes (ECVF). - J'interviens au nom de l'association Élues contre les violences faites aux femmes (ECVF), une association créée en 2003 en région parisienne, dont le champ d'action est désormais national, et qui regroupe des élus, hommes et femmes de toutes tendances politiques.

Le bureau d'ECVF a décidé de soutenir cette proposition de loi visant à adapter les règles de prescription aux spécificités des agressions sexuelles car de nombreuses femmes ne prennent en effet conscience que tardivement, et avec beaucoup de difficultés, du caractère anormal des faits qu'elles ont subis.

Je partage les propos de notre amie du Planning familial, notamment en matière d'éducation, et je voudrais revenir aussi sur la nécessaire information des femmes, laquelle ne doit pas être le seul fait de nos associations, mais aussi de l'administration en charge des « droits des femmes ».

Malheureusement, la Révision générale des politiques publiques (RGPP) a réduit leurs moyens à la portion congrue notamment dans les départements ; ainsi, nos déléguées aux droits des femmes ont-elles été intégrées dans d'autres services et ont perdu en visibilité ; et malgré leur bonne volonté, elles manquent cruellement de moyens pour mener à bien tout ce qui est nécessaire.

Mme Anne Joseleau, directrice de Solidarité Femmes Dijon. - La Fédération nationale Solidarité Femmes est favorable à cette proposition de loi. Elle tient à rappeler que la violence sexuelle s'exerce majoritairement à l'intérieur du couple, quatre fois plus souvent qu'à l'extérieur d'après l'Observatoire nationale de la délinquance.

Nous avons l'habitude d'accompagner les femmes lors de leurs actions en justice et nous constatons que la tendance des tribunaux est, lorsque les faits ne sont « pas trop graves », de se contenter d'un simple rappel de la loi comme si la première agression sexuelle ne comptait pas, en quelque sorte, et de ne prononcer de condamnation, ou du moins de ne reconnaître la culpabilité qu'à la deuxième mise en cause. C'est une pratique qui est douloureuse pour les femmes qui ont dû surmonter bien des difficultés pour porter plainte, et qui se voient dénier la possibilité de voir reconnaître la culpabilité de leur agresseur.

Or, un certain nombre de ces femmes que nous accompagnons ont déjà été exposées, dans leur enfance, à des actes de maltraitance ou d'abus sexuels qu'elles avaient dénoncés sans être cependant écoutées. On risque alors de leur donner l'impression que l'on n'est pas davantage prêt à les entendre à l'âge adulte que dans leur enfance. De ce point de vue aussi la prorogation du délai de prescription paraît positive.

J'ajoute que ce n'est que très rarement que les femmes évoquent, dès le premier rendez-vous, les agressions sexuelles qu'elles ont subies. Il leur faut du temps pour arriver à les dénoncer et à porter plainte. Il faut aussi du temps aux associations pour s'assurer que la démarche en justice a des chances d'aboutir, car un échec peut s'avérer encore plus douloureux.

Bien sûr, il est nécessaire que les femmes engagent des poursuites judiciaires, mais il faut aussi que la justice reconnaisse la culpabilité de leurs agresseurs, car il n'y a rien de tel que le sentiment d'impunité des agresseurs pour renforcer leur sentiment de toute puissance, sentiment qui est le gage de la poursuite assurée de ces violences.

Il nous semble capital que l'Observatoire de la délinquance puisse fournir au niveau national et local des chiffres actualisés sur les violences faites aux femmes car notre association manque cruellement de données récentes.

M. Yves Lambert, directeur de SOS Femmes Accueil de Saint-Dizier. - Je dirige SOS femmes accueil, une association qui a son siège en Haute-Marne et gère un centre d'hébergement et d'autres établissements sociaux ainsi qu'un site web qui rend, depuis 2000, un service de renseignements et de conseils individualisés par courriel, à raison d'environ 20 000 courriels par an.

Un premier constat : le temps judiciaire, le temps pénal n'est pas celui des victimes. Comme le confirment de nombreuses études, 80 % des victimes de viol et 60 % des victimes de violences conjugales sont atteintes d'un syndrome post-traumatique : ce syndrome doit vraisemblablement se retrouver dans des proportions comparables chez les victimes d'agressions sexuelles.

Celui-ci leur interdit, dans les premiers temps, toute possibilité de s'exprimer sur ce qu'elles ont subi, et cette inhibition peut durer parfois très longtemps. Seuls des soins et une période de reconstruction leur permettront de retrouver la possibilité de s'exprimer. Il ne faut pas s'étonner dans ces conditions que seules 10 % des victimes d'agressions sexuelles décident de porter plainte.

Il faut aussi savoir que les femmes qui ne portent pas plainte immédiatement après les faits ne pourront généralement pas le faire avant plusieurs années. Tout cela plaide en faveur de l'allongement des délais de prescription, voire en faveur de leur suppression totale pour les violences en général, ou tout au moins celles envers les femmes.

En second lieu, les expertises psychiatriques en matière de syndrome post-traumatique ont fait l'objet d'avancées appréciables et, à condition que les experts reçoivent une formation adaptée - ce qui n'est pas encore le cas aujourd'hui - nous devrions pouvoir compter de plus en plus sur des expertises fiables, susceptibles de constituer des éléments de preuve. A ce titre, la question de la réunion des éléments de preuve ne doit pas constituer un obstacle à l'allongement des délais de prescription.

Enfin, si vous me permettez une troisième remarque, sans lien direct avec la proposition de loi, il faut soulever la question de l'attitude des parquets dans le traitement des affaires de violences envers les femmes.

Premier point : ceux-ci n'envoient que tardivement, voire pas du tout, d'avis à victimes ; en conséquence, celles-ci ne savent pas ce qu'il est advenu de leur plainte, et ne sont pas en mesure d'intenter d'éventuels recours. Il est anormal que, deux ou trois années après la survenue des faits, les victimes restent dans l'ignorance du sort qui a été réservé à leur plainte.

Second point : les procureurs ne s'en tiennent pas à la loi et subordonnent les poursuites à des conditions extra-légales : ainsi, en violation des règles relatives à la prescription, certains procureurs décident de classer sans suites, comme trop tardives, des plaintes déposées deux ans-et-demi après les faits ; des avis à victimes portent souvent la seule mention de « délit insuffisamment caractérisé » ; ou encore, dans le cas de viols ou d'agressions sexuelles au sein du couple, le procureur subordonne l'engagement de poursuites judiciaires à la question de savoir si les personnes vivent encore en couple.

Cette question ne devrait plus se poser en matière de violences conjugales et heureusement elle se pose de moins en mois, mais en matière d'agressions sexuelles, la plainte risque d'être classée si elle n'est pas déposée assez rapidement.

Mme Marylin Baldeck, déléguée générale de l'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT). - Je suis juriste et déléguée générale de l'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT). A titre liminaire, j'aimerais poser la question fondamentale de la justification philosophique de l'existence de délais de prescription. Je vous rappelle que la France, contrairement à d'autres pays tout aussi avancés, a fait le choix - qui est un choix idéologique - de permettre, qu'avec le temps, un délit s'efface et que la personne présumée auteure d'une infraction n'ait plus à répondre de ses actes. Je pense que ce choix mérite d'être discuté.

Nous connaissons bien les arguments qui sous-tendent ce choix juridique : un magistrat, alors conseiller de M. Dominique Perben lorsqu'il était garde des Sceaux de 2002 à 2005, nous avait à l'époque expliqué qu'il convenait de ne pas trop allonger les délais de prescription car la tranquillité publique commandait qu'on ne dérange pas, des années après, des personnes - auteures présumées - qui ont repris le cours normal de leur vie !

Il faut donc croire que la tranquillité publique s'accommode du désarroi des victimes, mais pas de l'inquiétude des agresseurs.

Je ne partage pas cette vision des choses et j'estime qu'il faut continuer de s'interroger sur la meilleure façon de concilier l'ordre public et le droit des victimes à demander réparation des actes qu'elles ont subis, même des années après leur agression.

Si notre association approuve la prorogation du délai de prescription de l'action publique, nous ne comprenons pas pourquoi elle ne s'appliquerait qu'aux agressions sexuelles et pas également au délit de harcèlement sexuel. Je vous rappelle que le harcèlement sexuel est un délit continu, caractérisé par des actes répétés dans la durée, commis dans un contexte professionnel où la victime est liée par un contrat de travail et placée sous l'autorité d'un supérieur hiérarchique ; à ce titre, il aboutit le plus souvent à anéantir la victime qui a besoin par conséquent de beaucoup de temps pour le dénoncer.

L'allongement du délai de prescription de l'action publique dans ce cas paraît plus que nécessaire, quand la victime doit d'abord s'extraire d'une situation de domination avant de pouvoir entamer des démarches judiciaires.

Alors que le plan global triennal de lutte contre les violences faites aux femmes a prévu de consacrer l'année 2012 à la lutte contre les violences sexuelles au travail, que le problème du harcèlement sexuel se pose dans tous les secteurs - public et privé - et n'épargne aucun domaine d'activité, qu'on estime à 20 % la proportion de femmes victimes de harcèlement sexuel au travail, que la France n'a toujours pas harmonisé son droit interne avec les directives européennes sur le sujet, je pense que votre délégation pourrait utilement consacrer une partie de ses travaux à cette question majeure.

Je vous rappelle, en guise de conclusion, qu'aujourd'hui, alors que des millions de femmes sont victimes d'actes de harcèlement sexuel sur le lieu de travail, seules soixante-dix condamnations pour harcèlement sexuel ont été prononcées cette année, dont certaines sont des viols, mais qualifiés de harcèlements sexuels parce qu'ils sont commis sur le lieu de travail et, à ce titre, passibles d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende, soit trois fois moins que la peine prévue pour un vol de portable !

Mme Isabelle Steyer, membre de la commission justice de la Fédération nationale Solidarité Femmes (FNSF). - En tant qu'avocate spécialisée dans la défense du droit des femmes victimes de violences, qu'elles soient physiques ou sexuelles, je peux vous dire, qu'en cette matière, la justice fonctionne à l'envers.

Faute de formation des intervenants - gendarmes, policiers, procureurs, magistrats de cour d'assises ou de tribunaux correctionnels, mais aussi juges aux affaires familiales - l'accueil réservé par le service public de la justice aux femmes qui viennent déposer plainte - et notamment la salve de questions parfois intimes auxquelles elles sont soumises - montrent une parfaite méconnaissance des conséquences psychologiques dont elles souffrent. Ces questions vont placer les femmes dans une situation difficile, au point, dans certains cas, de les amener à se rétracter et à retirer leur plainte.

J'estime que les dysfonctionnements du traitement judiciaire - notamment le fait que l'agresseur bénéficie d'un magistère d'avocat plus puissant que celui de la victime - s'apparentent souvent à un déni de justice pour ces femmes.

L'argument tenant au risque de perdre des preuves - que ses adversaires opposent à l'allongement du délai de prescription - ne tient pas dans ces affaires. Je vous rappelle que, dans 80 % des cas, l'agresseur est un proche, voire le conjoint de la victime, ce qui rend l'examen de l'ADN inapproprié en l'espèce puisque la qualification du délit ou du crime va dépendre entièrement de l'absence de consentement de la victime, à qui incombe la charge de la preuve, rajoutant au traumatisme de l'agression, l'obligation de prouver qu'elle a effectivement été violée.

Faute de preuves matérielles, on en est souvent réduit à rechercher une multiplicité des victimes, la récurrence des plaintes contre un même agresseur devenant un élément à charge contre lui.

L'allongement du délai de prescription va permettre à la police de faire ces recherches et de rapprocher les victimes sur les dix années précédentes.

A cet égard, il serait très utile de pouvoir disposer d'un fichier national des mains courantes, qui nous permettrait peut-être d'écrire une histoire de la récidive, ce qui me paraît aujourd'hui essentiel quand on est confronté aux stratégies d'évitement de certains agresseurs.

Je voudrais, avant de conclure, vous dire combien est aujourd'hui ridicule l'indemnisation du préjudice de viol en France, car il me semble que cela contribue à la banalisation des actes de violences sexuelles et à la minimisation de leurs conséquences psychologiques pour les femmes qui en sont victimes : alors qu'un homme maintenu en détention pendant un mois est indemnisé 50 000 euros, 500 000 euros quand sa détention a duré trois ans, une enfant de huit ans violée par son beau-père deux fois par semaine pendant quatre ans a droit, comme réparation de son préjudice, à 25 000 euros, au mieux, en région parisienne ! Tant que l'on ne revalorisera pas l'indemnisation du préjudice subi par les victimes de violences sexuelles, on ne pourra pas parler de réparation.

Enfin, la procédure pénale française repose - vous le savez - contrairement à celle d'autres pays, sur le principe de l'opportunité des poursuites et non sur celui de la légalité des poursuites.

Il me semble néanmoins qu'il conviendrait que les dossiers classés sans suite fassent l'objet d'une décision motivée afin de permettre au moins aux victimes d'en connaître les raisons.

Un débat s'est ensuite instauré avec les membres de la délégation.

M. Alain Gournac. - Je pense que toute mesure pour défendre les femmes victimes de violences est une avancée bonne à prendre, même si la proposition de loi de nos collègues ne constitue pas la panacée.

Bien sûr, elle ne règle pas les problèmes graves de la formation, de la prévention et de la qualification des personnels chargés de l'accueil et de l'écoute des femmes victimes de violences, écoute qui doit être aussi attentive et positive que possible.

Porter plainte n'est déjà pas une démarche facile pour la victime d'une agression sexuelle, mais c'est rendre les choses plus pénibles encore si les conditions de confidentialité ne sont pas réunies et si la victime doit expliquer devant tout le monde les raisons de sa venue.

Trois ans c'est trop court pour permettre à une femme de se relever et de porter plainte. Il faut donc allonger le délai de prescription.

J'ai été interpelé par ce que vous avez dit sur le harcèlement sexuel, une question sur laquelle j'ai beaucoup travaillé. Deux choses me paraissent essentielles sur ce sujet : il faut d'abord s'attacher à la formation des personnels de police et de gendarmerie chargés de l'accueil des femmes victimes de ces violences et, en second lieu, il faut développer la prévention, l'information.

Les associations ne peuvent porter seules cet effort, les pouvoirs publics doivent aussi y contribuer et nous devons les y inciter à l'occasion de la période électorale dans laquelle nous entrons.

Mme Catherine Génisson. - Je tiens à remercier toutes celles et ceux qui ont apporté leur témoignage sur ce sujet. Je suis persuadée que ce texte constitue une avancée et j'espère qu'il recueillera le plus grand nombre de voix lors de son examen en séance publique au Sénat.

Comme l'a dit mon collègue avant moi, il ne résoudra pas tous les problèmes et, parmi ceux-ci, je voudrais en souligner trois qui me paraissent particulièrement importants et que nous avons plus ou moins abordés au cours de notre débat.

Le premier concerne la sensibilisation des femmes, en particulier, et de l'opinion publique, en général : la question des violences faites aux femmes n'est pas suffisamment débattue sur la place publique.

Le deuxième concerne l'insuffisance de la formation de l'ensemble des professionnels qui sont censés accueillir et accompagner les victimes : gendarmes, policiers, magistrats, mais aussi professionnels de santé. Il n'est pas normal qu'on traite une présumée victime d'agressions sexuelles comme un suspect.

Le troisième, enfin, est le manque de moyens mobilisés au service de l'application de la loi. Il ne suffit pas de voter des textes. Il faut que, sur le terrain, des relais existent pour garantir leur mise en oeuvre. Or, il est terrible de constater que nous entendons toujours les mêmes témoignages en dépit des avancées législatives. La raison en est que nous ne nous préoccupons pas assez de la formation et des moyens - humains et financiers - dont disposent les acteurs de terrain garants de la bonne application du droit. J'en fais l'expérience dans ma circonscription, à Arras, en particulier, où le tissu associatif est en grande difficulté. Et que dire du Réseau des déléguées régionales aux droits des femmes qui ont aujourd'hui le sentiment d'avoir été abandonnées !

Ces trois sujets méritent une véritable réflexion de fond si on veut donner une réelle effectivité au dispositif juridique dont nous disposons pour accompagner les femmes victimes de violences.

Mme Françoise Laborde. - Je suis heureuse de retrouver un certain nombre d'entre vous avec qui nous avions eu l'occasion de travailler en 2010 lors de l'adoption de la loi relative aux violences faites aux femmes.

Il est vrai qu'à chaque fois que nous sommes saisis d'un texte relatif à ce sujet, nous avons le sentiment d'un éternel recommencement : les lacunes et les obstacles semblent être toujours les mêmes et il faut toujours avancer, patiemment, pas à pas.

La question de la formation des professionnels, notamment, est récurrente. Je voudrais dire que, même dans les commissariats, les choses avancent, certes trop lentement, mais nos efforts sont pris en compte. J'ai été très sensible à ce que nous a dit Mme Isabelle Steyer concernant la nécessité de recouper les plaintes pour pouvoir confondre les agresseurs et je crois que cette information est un argument supplémentaire pour justifier l'allongement de la prescription. Je reste sidérée du si petit nombre de condamnations - soixante-dix - pour harcèlement sexuel !

Enfin, je crois que nous devons contribuer à faire circuler l'information puisque nous disposons au Parlement de réseaux de communication larges et efficaces. Nous ne manquerons pas de le faire !

Mme Gisèle Printz. - Je vous remercie pour ces témoignages qui ont été très riches. En cette année 2012 d'élection présidentielle, je pense qu'il ne serait pas inutile d'interpeler les candidats sur ces sujets.

A titre personnel, j'estime que la prévention de ces comportements doit se faire dans les établissements scolaires, dès le plus jeune âge. Il faut sensibiliser les jeunes et parler de l'aggravation du nombre d'agressions sexuelles ainsi que des sanctions encourues par les agresseurs.

Le viol reste aujourd'hui un tabou pour les femmes, mais aussi pour les hommes, n'oublions pas qu'il n'y a pas que des agresseurs, mais aussi des agressés !

Enfin, je ressens toujours la même colère quand j'entends à la radio parler de viols commis dans le cadre de conflits armés, comme si cela faisait partie de l'ordre normal des choses de s'en prendre aux femmes dans le contexte ! Cette banalisation me hérisse !

M. Yves Lambert. - Je souhaitais juste préciser mes propos au sujet du dépôt de la plainte, pour être bien sûr que nous ayons tous compris qu'une femme qui ne dépose pas plainte immédiatement après l'agression mettra parfois des années à le faire, ce qui justifie, à mes yeux, l'allongement du délai de la prescription.

Par ailleurs, je veux témoigner que dans le commissariat avec lequel nous travaillons, le banc d'attente pour les usagers est distant de un mètre cinquante seulement du guichet d'accueil, ce qui ne permet pas de garantir la confidentialité. D'autant plus que, dans tous les cas, l'agent demande à ce que la plainte soit motivée, ce qui n'est pas normal car, d'une part, c'est contraire à la charte d'accueil des usagers et, d'autre part, parce que c'est au parquet et non au policier ou au gendarme qu'il revient de juger de l'opportunité des poursuites.

Mme Hélène Conway Mouret. - J'ai été très touchée par vos témoignages. Alors que je viens d'écrire un article pour une association intitulé « 2012 sera associatif ou ne sera pas », je suis particulièrement sensible à ce que les uns et les autres ont pu dire sur le manque de moyens dont disposent les associations alors qu'elles ont un rôle d'accueil et d'accompagnement des personnes qui est absolument essentiel.

Mme Marie-Pierre Martinet. - Je suis assez agacée, pardonnez ma franchise, par l'argument selon lequel il y aurait aussi des hommes victimes de violeurs. C'est un argument que l'on nous ressort à chaque fois mais qui risque de « noyer le poisson ». Oui, il y a un nombre non négligeable d'hommes victimes de violences venant de femmes qui sont elles-mêmes victimes de violences. Je pense qu'entre la légitime défense des femmes agressées et la qualification d'agresseur, il faut faire la part des choses.

Je souhaite ensuite préciser que, dans le cadre du plan gouvernemental triennal contre les violeurs, lancé par Mme Roselyne Bachelot-Narquin il y a trois ans, l'année 2012 est consacrée aux violences subies sur le lieu de travail. Ce n'est donc pas une année spécifique dédiée à ces violences, mais la continuation d'un programme qui s'inscrit dans la durée.

Mme Gisèle Printz. - On me dit toujours trop féministe, voire suffragette ! En pensant aux hommes, je voulais juste donner un gage de ma bonne foi, mais je suis d'accord sur le fond avec vous.

Dr. Emmanuelle Piet. - Je souhaite apporter des précisions sur trois points.

Concernant la baisse des subventions aux associations, même les grosses associations nationales comme la nôtre sont touchées. Cette année, - 5 % de subventions sur trois ans signifie un poste d'écoutante en moins.

Concernant la sensibilisation, le plan triennal auquel vous venez de faire allusion prévoyait une campagne d'information contre le viol en 2011. Force est de constater qu'elle a été « translucide ». Espérons que la campagne consacrée au harcèlement sexuel sera plus visible !

Concernant le « profil » du violeur-type et son supposé rajeunissement, je dois dire que nous n'avons pas cette impression. Pour nous, le violeur a de dix à quatre-vingt-dix ans, il vient de tous les milieux sociaux et pas seulement des quartiers défavorisés, l'actualité l'a largement prouvé.

Enfin, je pense comme vous qu'il faut interpeler rapidement les intéressés sur ces fameux « week-end d'intégration » dans les Grandes écoles. J'ai soigné récemment quatre jeunes filles de Dauphine qui n'ont pu témoigner qu'après l'obtention de leur diplôme et les violences en tous genres continuent...

Mme Ernestine Ronai. - Concernant la sensibilisation, je la juge essentielle, tant en direction des magistrats que de l'opinion publique car les agressions sexuelles restent trop banalisées dans notre pays. Je regrette qu'à l'École nationale de la magistrature il n'existe aucune formation spécifique sur les agressions sexuelles. Sans réelle volonté politique, il reste illusoire d'adopter un plan triennal ou de prévoir une formation. Il s'agit d'y mettre des moyens et d'en accompagner la mise en oeuvre. Force est de constater que nous sommes encore loin du résultat.

Mme Olivia Cattan. - Je souhaitais vous faire part des résultats d'un sondage publié par Paroles de Femmes et l'IFOP dans le Journal du dimanche, intitulé « Ce que veulent les femmes », qui fait apparaître un écart phénoménal entre le nombre d'agressions sexuelles subies et le nombre d'agressions déclarées. Le sondage fait apparaître que 95 % des femmes interrogées disent vouloir des sanctions et que justice soit faite.

En matière de prévention dans les écoles, notre association se rend depuis cinq ans dans quinze collèges et lycées, à raison d'une heure par semaine. Cela coûte cher et nous manquons de soutiens financiers puisque nous ne recevons pas de subventions de l'État.

Concernant l'âge des violeurs, je ne peux que vous donner mon témoignage et ce que je vois, notamment dans les centres de rétention dans lesquels je me rends, ce sont des violeurs de plus en plus jeunes, de 13 à 17 ans parfois. Récemment, quatre viols ont été commis dans les collèges d'Argenteuil : ce sont des gamins. Il faut absolument que nous les aidions à ne pas récidiver !

Enfin, je me demande dans quelle mesure nous ne devrions pas mettre en place des juridictions spécialisées dans la lutte contre les violences envers les femmes, à l'instar des conseils de prud'hommes ou des tribunaux de commerce : c'est d'ailleurs ce que vient de faire l'Espagne...

Mme Maya Surduts. - Je reviens sur la proposition évoquée par Mme Olivia Cattan d'instaurer des tribunaux spécialisés dans les affaires de violences envers les femmes. C'est une proposition que nous avions envisagée dans le cadre du collectif qui a travaillé à l'élaboration de la proposition de loi-cadre sur les violences envers les femmes. Nous ne l'avions finalement pas retenue, car nous avons très vite compris que la notion de tribunaux spéciaux avait laissé en France de trop mauvais souvenirs. Mais peut-être pourrait-on envisager de confier le traitement de ces affaires à des chambres spécialisées, constituées de magistrats formés à ces questions ?

Ces questions ne s'improvisent pas, et il faut bien former les professionnels qui ont à les traiter : les travailleurs sociaux, les magistrats et les avocats aussi bien sûr, car parmi ces derniers - je ne parle pas de ceux qui travaillent avec nous - il y en a beaucoup qui sont mal préparés à traiter ces affaires, ce qui explique en partie les difficultés que nous rencontrons dans l'application de la loi du 9 juillet 2010.

La justice en France manque de moyens.

Lorsqu'il nous a reçues, à l'issue de notre manifestation du 5 novembre dernier, le conseiller du Premier ministre est convenu que l'application du deuxième plan de lutte contre les violences avait rencontré « quelques difficultés » ; on peut craindre que le troisième plan ne soit pas promis à un avenir meilleur.

Nous devons faire très attention à la question de la prescription. A l'occasion de l'élaboration de la proposition de loi-cadre, nous avions rencontré des magistrates de gauche, mais pas particulièrement féministes. Elles ne semblaient pas très bien saisir ce que nous voulions et nous ont au contraire mises en garde contre le climat sécuritaire qui règne actuellement, il faut bien le reconnaître. Il s'agit donc d'une question grave, complexe, qui ne concerne pas que les violences envers les femmes et qui mérite débat.

Deux remarques enfin, pour terminer. Les violences envers les femmes sont confiées, à l'échelon départemental, à des structures de lutte contre la délinquance. Cela n'est pas satisfaisant car on ne peut tout de même pas placer sur le même plan le traitement de ces violences et le vol d'un sac.

Ensuite, ce qui met les violences envers les femmes tout à fait à part, c'est que c'est le seul cas où la victime se sent coupable parce que, dans le fond, la société lui reproche de ne pas jouer le jeu. C'est ce qui rend les choses si difficiles.

Mme Christine Beynis, présidente du Groupe de femmes pour l'abolition des mutilations sexuelles et autres pratiques affectant la santé des femmes et des enfants (GAMS). - Je voudrais abonder dans le sens de M. Yves Lambert et faire remarquer la situation particulière des femmes issues de l'immigration, notamment subsaharienne.

Ces femmes sont confrontées à des difficultés supplémentaires pour porter plainte en cas d'agressions sexuelles : elles ne parlent pas toujours bien le français ; elles sont culturellement davantage dépendantes de leur mari ; enfin, faute de pouvoir présenter les papiers d'identité que leur aura confisqué leur mari, elles éprouvent la crainte, justifiée, de se retrouver incarcérées.

Mme Marilyn Baldeck. - Je voudrais simplement apporter un argument de nature technique qui n'a pas encore été évoqué à l'appui de votre proposition de loi.

Contrairement au dépôt de plainte avec constitution de partie civile, un simple dépôt de plainte ne suffit pas à interrompre le délai de prescription. Si la réponse judiciaire n'est pas suffisamment diligente, la plainte en question, même si celle-ci a été déposée dans les trois années suivant les faits, risque donc de tomber sous le coup de la prescription.

Mme Laurence Cohen. - Je souhaiterais revenir sur l'opportunité d'instaurer, ou non, des tribunaux spécialisés dans la répression des violences envers les femmes. C'est un sujet sur lequel le collectif qui a préparé la « loi-cadre » a beaucoup réfléchi et je pense que l'on ne peut l'écarter d'un revers de main. Plutôt que d'évoquer des « tribunaux spéciaux », notion qui renvoie à de terribles souvenirs, il conviendrait plutôt de parler de tribunaux « dédiés » qui permettraient de confier ces affaires à des hommes et des femmes formés à ces questions.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - Je vous remercie pour la qualité des échanges que nous avons eus cet après-midi. Ils ont été très utiles et ont contribué à faire évoluer nos réflexions sur ce sujet. Nous y serons tous très attentifs dans le cadre de la discussion de la proposition de loi qui doit intervenir la semaine prochaine.