Mardi 24 avril 2012

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

Audition de M. Dominique Martin, directeur des risques professionnels à la Caisse Nationale d'Assurance Maladie des travailleurs salariés (CNAMTS)

Mme Sophie Primas, présidente. - Merci d'être venu nous donner votre vision du problème que pose aux professionnels l'utilisation des pesticides. Nous espérons que vous nous éclairerez sur les différences d'approche que notre mission d'information a constatées entre la CNAM et la MSA sur la reconnaissance des maladies professionnelles.

M. Dominique Martin. - Je dois vous avertir que la question des pesticides n'est pas au centre des préoccupations du régime général.

Le régime général est divisé en trois institutions : le réseau lui-même - qui comprend la direction des risques professionnels, les Caisses d'Assurance Retraite et de la Santé au Travail (CARSAT), les Caisses Générales de Sécurité Sociale (CGSS), la Caisse Régionale d'Assurance Maladie d'Île-de-France (CRAMIF) - l'Institut National de Recherche et de Sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) et l'Eurogip, qui étudie les questions relatives à l'assurance et à la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles au plan européen et travaille essentiellement sur la normalisation.

Nos informations sont issues de la branche accidents du travail et maladies professionnelles (ATMP), qui est un assureur solidaire travaillant à partir de la sinistralité et qui réalise trois opérations principales : la réparation des sinistres, la tarification des entreprises et la prévention des risques.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Qu'en est-il dans l'industrie phytosanitaire ?

M. Dominique Martin. - Nos connaissances sont très générales et peu centrées sur les pesticides. Les pesticides concernent essentiellement deux secteurs : l'industrie, et les utilisateurs des produits, dont 99 % travaillent dans le domaine agricole, relevant de la MSA. Le reste est constitué par quelques salariés du régime général travaillant dans le secteur des espaces verts.

Nous n'avons pas de tableau spécifique pour les pesticides mais huit tableaux que je vous communiquerai, concernant des produits que l'on est susceptible de retrouver dans les pesticides. Ils nous permettent d'élaborer notre politique de prévention : la principale profession concernée, pour nous, est celle des coiffeurs, qui sont en contact avec des phosphores, des amines aromatiques, de l'arsenic, des dérivés de phénol...

La sinistralité est très basse et à la baisse. Les maladies professionnelles sont constituées à plus de 80% par des troubles musculo-squelettiques (TMS), environ 15% sont liées à l'amiante, les 5 à 6% restants regroupent 3 000 autres maladies dont principalement des cancers et des allergies. Ces cinq dernières années, en moyenne, on a recensé chaque année 27 cas où les produits concernés par les huit tableaux mentionnés précédemment ont provoqué des maladies, sans qu'on puisse incriminer directement les pesticides. Les chiffres sont en outre à la baisse : on recensait 80 cas en 1991, 23 cas en 2010.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Quelles sont les professions concernées ?

M. Dominique Martin. - Essentiellement, les coiffeurs et les travailleurs de l'industrie. Nous n'avons pas de données spécifiques sur les industries phytosanitaires, nos informations concernent l'industrie chimique. En 2010, on recense 29 maladies liées à la chimie organique de synthèse et 4 maladies liées à la fabrication de produits insecticides. Nous avons élaboré un système de codes risques : entre le travail dans les bureaux et celui dans l'unité de production, le risque n'est pas le même.

En 1995, on a créé un tableau 15 bis sur les réactions allergiques aux amines aromatiques, qui touchent beaucoup les coiffeurs : cette création récente explique l'accroissement constaté du nombre de cas.

Nos priorités concernent plutôt les produits cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR) dont les pathologies font certainement l'objet d'une sous-déclaration. En effet, à la différence des accidents du travail, les maladies professionnelles doivent être déclarées par la personne concernée. Les gens peuvent donc tomber malade sans que leurs maladies soient répertoriées comme maladies professionnelles. La loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) corrige ce phénomène de sous-déclaration en transférant 710 millions d'euros de la branche ATMP vers la branche maladie (dont le budget général s'élève à 12 milliards d'euros) : c'est le montant estimé de la compensation de la sous-évaluation. Un rapport annuel est élaboré sur ce thème.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Comment les tableaux de maladies professionnelles évoluent-ils ?

M. Dominique Martin. - Une commission spécialisée de la commission paritaire des conditions de travail, pilotée par le ministère du travail, étudie chaque année les remontées du terrain.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Sous quelle forme ?

M. Dominique Martin. - Les déclarations de maladies recueillies par le régime général.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Les données des centres antipoison (CAP) sont-elles prises en compte ?

M. Dominique Martin. - La première source de remontée d'informations est constituée par les sinistres professionnels, mais il y en a d'autres : la médecine du travail, les consultations spécialisées des CHU, les sources universitaires, les centres antipoison et les partenaires sociaux. L'évolution la plus récente remonte à 2003, pour le tableau 5 (affections professionnelles liées au contact avec le phosphore et le sesquisulfure de phosphore).

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Quand les tableaux sur l'amiante ont-ils évolué ? Est-ce à la suite des remontées ?

M. Dominique Martin. - Un rapport récent de l'INRS sur la dimension des fibres d'amiante est actuellement à l'étude ; le tableau devrait évoluer prochainement. Toutes les maladies professionnelles ne sont pas répertoriées dans les tableaux : c'est notamment le cas des risques psychosociaux. Certains tableaux ont évolué, comme le tableau 57 relatif aux troubles musculo-squelettiques à propos des pathologies de l'épaule.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Nous savons qu'il y a une différence entre la Caisse nationale et la MSA : comment cette dernière fait-elle évoluer ses tableaux ?

M. Dominique Martin. - La MSA  a son propre système d'évaluation de tableau, organisé autour de la commission supérieure des maladies professionnelles en agriculture (COSMAP). Au sein de la commission des conditions de travail, nous avons un représentant du ministère de l'agriculture qui fait le lien entre le régime général et la MSA.

Faut-il fusionner le régime général et la MSA ? La question des pesticides, à elle seule, ne le justifie pas. Les différences entre les deux régimes vont au-delà de la reconnaissance des maladies professionnelles ; les spécificités de la MSA sont très fortes, et nous-mêmes sommes très spécialisés. Nous sommes en train d'absorber le régime des mines ; c'est déjà une opération complexe.

Mme Sophie Primas, présidente. - Avez-vous accès à des informations provenant de la carte Vitale, pour étudier le lien entre certaines maladies et la profession des détenteurs ? Y-a-t-il un système de veille pour les maladies professionnelles ?

M. Dominique Martin. - Non. Ce qui existe en revanche, c'est la maîtrise médicalisée en entreprise (MME) : on recense les pathologies générales et les pathologies professionnelles, à partir des données fournies par la caisse primaire et les CARSAT. Ces données permettent d'avoir une vision globale au sein d'une entreprise particulière.

Nous sommes un assureur : nous travaillons à partir de la sinistralité déclarée, nous n'avons pas accès à des données en amont. En revanche, nous faisons de la prévention auprès des entreprises pour faire diminuer la sinistralité connue.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Que recense-t-on comme accidents dans l'industrie phytosanitaire ? Avez-vous des données sur la sinistralité ?

M. Dominique Martin. - Nous avons des données sur les accidents et les maladies professionnelles. On ne recense pas plus d'accidents dans la chimie que dans d'autres secteurs - le bâtiment est bien plus touché - car c'est un secteur très contrôlé. Quant aux maladies professionnelles, nous avons deux codes risques : les vingt-neuf cas liés à la chimie organique de synthèse, et les quatre maladies liées à la fabrication de produits insecticides, dont les pathologies pourraient être liées aux pesticides, sans qu'on puisse le certifier. Dans ces vingt-neuf cas, quinze sont liés à l'amiante et quatorze au benzène et à des radiations ionisantes... Même si on doit envisager une sous-déclaration des sinistres, ces chiffres très faibles ne peuvent masquer un phénomène de grande ampleur.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Y compris pour l'amiante ?

M. Dominique Martin. - Aujourd'hui, il n'y a plus de sous-déclaration pour l'amiante, ce qui était le cas auparavant.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Ce qui s'est passé hier pourrait se reproduire....

M. Dominique Martin. - Le fait est que certaines maladies ont un effet différé. Nous avons une priorité : le risque résultant des produits cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques (CMR), qui peuvent éventuellement inclure des pesticides. Nous définissons des programmes de protection des travailleurs. Quand c'est possible, nous encourageons la substitution en intervenant auprès de l'entreprise, comme nous l'avons fait récemment avec un fabricant de peinture brillante : le contrôleur de sécurité de la CARSAT lui a indiqué qu'il pouvait remplacer un produit dangereux. Il y a des actions incitatives ou contraignantes, les entreprises étant obligées de déclarer les produits qu'elles utilisent. Lorsque la substitution n'est pas possible, nous encourageons la protection individuelle et collective par des équipements élaborés par l'INRS.

Nous avons aussi un contrat d'objectifs et de gestion (COG) qui vise à protéger au moins 50 000 personnes cette année.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Le financement des programmes de protection est-il constant ?

M. Dominique Martin. - Il a augmenté dans le COG actuel, et les partenaires sociaux, qui en fixent les orientations, souhaitent qu'il soit reconduit au terme de la négociation avec l'État. Ce COG fixe des objectifs d'activité, c'est-à-dire d'augmentation du nombre de salariés protégés, et non de réduction de la sinistralité. Nous fixons nous-mêmes, par contrat, des objectifs aux CARSAT, dont la réussite a une incidence sur les salaires, comme dans toute administration moderne ! Ces objectifs ne sont pas toujours faciles à atteindre : il faut trouver des produits de substitution, des moyens de protection, trouver des accords avec les médecins du travail, etc. Heureusement, les relations entre les différentes structures devraient s'améliorer grâce à la mise en place de contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens entre les CARSAT, les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) et les services de santé au travail. La réforme de la loi sur la médecine du travail va permettre une meilleure coordination.

On a sûrement une action indirecte sur les pesticides à travers les CMR, qui contiennent des agents communs. Mais les pesticides ne sont pas répertoriés comme tels, contrairement à ce que fait la MSA. En revanche, nous n'avons pas d'action spécifique directe sur les pesticides, faute d'éléments d'alerte.

Il existe un cas particulier, celui des CGSS, caisses uniques dans les départements d'outre-mer. Elles prennent en compte l'utilisation des pesticides, notamment par épandage. L'INRS a publié un guide sur l'utilisation des produits phytosanitaires dans l'agriculture tropicale.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Les médecins sont-ils suffisamment formés et informés pour détecter les maladies professionnelles et leurs causes ?

M. Dominique Martin. - C'est une des failles de notre système de santé : les médecins traitants ne sont pas suffisamment sensibilisés aux risques professionnels, et c'est encore plus vrai dans le cas des pesticides. Je suppose que les médecins du travail le sont davantage.

Mme Sophie Primas, présidente. - Je suppose que les agents de la SNCF, quel que soit leur poste, ont le même médecin du travail.

M. Dominique Martin. - Nous fonctionnons par système d'alerte, et le champ est immense.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Ces systèmes d'alerte suffisent-ils ? Il y a le précédent de l'amiante...

M. Dominique Martin. - J'espère que les leçons ont été tirées du drame de l'amiante. L'ANSES, l'INRS, avec ses 650 personnes, les services de médecine du travail universitaire jouent leur rôle et on peut espérer éviter de passer à côté de risques importants, même si on ne peut pas tout contrôler.

Mme Sophie Primas, présidente. - Le problème, ce sont les maladies chroniques liées à des pratiques vieilles de vingt ans !

M. Dominique Martin. - On ne peut pas attendre vingt ans pour réagir. On est capable de dire qu'un produit est cancérogène avant qu'il ne produise des effets. Cette connaissance en amont est nécessaire, mais elle s'appuie davantage sur les agences sanitaires comme l'ANSES que sur nous.

Mme Sophie Primas, présidente. - A la CNAM, n'existe-t-il aucun service qui croise les maladies déclarées via la carte Vitale et les professions exercées par les malades avant ou au moment de l'apparition de la maladie ?

M. Dominique Martin. - L'agence chargée de la veille sanitaire en France est l'InVS : il a accès à toutes les données.

Mme Sophie Primas, présidente. - Il n'existe pas de registre unifié du cancer, la seule source de données, c'est la carte Vitale.

M. Dominique Martin. - Les registres du cancer dépendent de l'InVS ; je ne saurais dire s'il y en a partout. C'est le rôle de l'InVS de centraliser les informations de veille sanitaire à partir des données que lui fournit l'assurance maladie. Au sein de la CNAM, nous n'avons pas d'outil épidémiologique ni un seul épidémiologiste, à l'inverse de l'InVS, et ce n'est d'ailleurs pas notre mission. Il existe un secteur d'épidémiologie à l'INRS, il compte une dizaine de personnes.

Mme Sophie Primas, présidente. - Employez-vous des toxicologues ?

M. Dominique Martin. - Non. Nous nous concentrons sur la prévention, mais on en trouve probablement à l'INRS. C'est tout l'intérêt des plans régionaux de santé qui permettent de coordonner les compétences des uns et des autres. Nous avons cependant une quinzaine de laboratoires sur l'ensemble du territoire, qui travaillent sur des problématiques physiques, chimiques ou sonores.

La toxicologie est plus du ressort des laboratoires de l'INRS à Nancy. Nous, nous constatons l'utilisation ou l'absence d'utilisation de tel produit déclaré cancérogène.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Qui finance les études de l'INRS ?

M. Dominique Martin. - L'INRS dispose d'un budget de 89 millions d'euros par an : c'est une association financée à 99 % par la branche ATMP. Il bénéficie aussi de quelques appels d'offres extérieurs.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - L'industrie chimique participe-t-elle ?

M. Dominique Martin. - C'est totalement improbable. Ce serait très discutable ! Même si les fonds proviennent des entreprises, il s'agit d'une tarification fixée par voie réglementaire.

Audition de M. Didier Marteau, président de la chambre d'agriculture de l'Aube, co-président de la commission environnement de l'Assemblée Permanente des Chambres d'Agriculture (APCA)

Mme Sophie Primas, présidente. - Notre mission d'information s'intéressant aux conséquences de l'utilisation des pesticides sur la santé, nous souhaitons connaître le point de vue des chambres d'agriculture et leur rôle dans le plan Ecophyto 2018, notamment en matière de formation des utilisateurs : l'objectif de diminution de 50% pourra-t-il être atteint ? Un monde sans pesticides est-il possible ? Peut-on concilier l'intérêt sanitaire et l'intérêt économique ?

M. Didier Marteau, président de la chambre d'agriculture de l'Aube, co-président de la commission environnement de l'Assemblée Permanente des Chambres d'Agriculture (APCA). - Ayant eu une exploitation de grande culture dans l'Aube pendant trente-cinq ans, après avoir été éleveur et producteur de pommes et de légumes, je pense avoir acquis une vision globale dans une région, la Champagne, où la vigne est très présente. En tant qu'élu, d'abord au sein des jeunes agriculteurs de la F.N.S.E.A. puis dans les chambres d'agriculture, je me suis spécialisé dans le domaine de l'environnement bien que ce ne soit pas facile parce qu'on est souvent coincé entre les exigences de la société et celles des agriculteurs soumis à des contraintes, qualitatives et économiques, d'accès aux marchés. Mon objectif est d'engager 90% des agriculteurs dans une démarche raisonnée, l'agriculture biologique ne pouvant concerner, elle, que 5 à 10% des exploitants.

Mme Sophie Primas, présidente. - Pourquoi ?

M. Didier Marteau. - Parce qu'il s'agit d'une forme d'agriculture très précise, pointue et difficile.

Pour ma part, je vais au-delà de l'agriculture raisonnée : je pratique la culture à bas intrants mais je ne peux aller au-delà. Par exemple, l'attaque de pucerons lanigères pouvant faire perdre deux ans de production aux pommiers, on les a combattus avec des coccinelles importées qui tendent aujourd'hui à devenir des prédateurs des variétés existantes et non plus seulement des auxiliaires. Ce qui importe maintenant, c'est de trouver des solutions pérennes. Il y a eu des excès dans l'utilisation des produits phytosanitaires mais en matière d'agriculture biologique aussi, avec l'emploi du cuivre en particulier sur les vignes.

L'agriculture biologique apporte une valeur ajoutée par son prix mais si la production s'élargit trop, elle aura du mal à trouver son marché et ses produits ne pourront être requalifiés en produits standards car ils ne correspondent pas aux spécifications de ces derniers. Si je suis très favorable à l'agriculture biologique, à laquelle nous consacrons deux techniciens et demi et dont la part dans la surface agricole de mon département est passée de 1% à 4%, je privilégie une démarche par étape passant par l'agriculture raisonnée, puis l'agriculture intégrée en réduisant le plus possible l'usage de produits phytosanitaires.

Mais l'on ne peut pas forcer les gens même si, pour la démarche de réduction des doses Certiphyto, nous avons été bien suivis : 1 000 adhérents, sur un total de 3 500 sans compter les viticulteurs, acceptant de payer 5 € par hectare.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Pour Certiphyto, est-ce la chambre d'agriculture qui assure la formation ?

M. Didier Marteau. - Les chambres d'agriculture en assurent 40%, les établissements d'enseignement agricole publics 15,5%, les coopératives 9,8%, les filiales de négoce 8,5%, les maisons familiales rurales 5%, les fédérations départementales des syndicats d'exploitants agricoles (FDSEA) 2,5% et les fédérations régionales de défense contre les organismes nuisibles (FREDON) 1,5%.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Combien y-a-t-il de Certiphyto délivrés à ce jour ?

M. Didier Marteau. - 140 000 agriculteurs sont formés sur les 400 000 potentiellement concernés.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Sur quoi cette formation certifiée porte-t-elle ?

M. Didier Marteau. - En premier lieu, il s'agit d'une sensibilisation à la dangerosité de certains produits pour les agriculteurs et pour l'environnement.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Cela signifie-t-il que vous connaissez la composition et la dangerosité des produits ?

M. Didier Marteau. - C'est systématique. Tout produit peut être dangereux ; ce qui importe c'est la dose et les mesures de protection. Nous le voyons bien avec les médicaments ou avec les aliments. Buvez dix litres d'eau et vous êtes mort !

J'insiste beaucoup sur la protection car n'ayant, pendant ma formation, jamais été sensibilisé à ces questions, j'ai utilisé, pendant dix ans et à mains nues, des colorants nitrés ou des insecticides plus dangereux que ceux d'aujourd'hui, même si l'on employait des doses plus faibles.

La formation porte aussi sur les bonnes techniques d'utilisation. Désormais, on ne traite plus pendant les périodes de chaleur de la journée mais plutôt le matin ou le soir, voire la nuit et l'on tient aussi compte du vent et de l'hygrométrie. Quant aux appareils, ils ne sont pas uniquement utilisés pour les traitements.

Enfin, nous donnons des conseils techniques, notamment relatifs au bulletin de santé du végétal (BSV) qui ne vont certes pas jusqu'à la préconisation, cette dernière relevant des organismes distributeurs.

Un intervenant de la MSA et un intervenant de la chambre d'agriculture assurent chacun une demi-journée de formation, de même que des personnels des organismes distributeurs, l'ensemble s'inscrivant dans le programme prévu au niveau national.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - L'industrie intervient-elle, que ce soit directement ou indirectement ?

M. Didier Marteau. - Non, celle-ci est exclue de toute participation à la fonction de conseil, même si les industriels peuvent intervenir en dehors des formations pour nous donner certaines informations.

Mme Sophie Primas, présidente. - Donnez-vous des informations sur les techniques alternatives aux pesticides ?

M. Didier Marteau. - Oui, nous expliquons les démarches vers lesquelles il est possible de se tourner, les agriculteurs, me semble-t-il, en connaissant déjà les grandes lignes.

M. Joël Labbé. - Pourtant, d'après certains de nos interlocuteurs, l'agronomie aurait été délaissée depuis nombre d'années ... Est-il si évident que les agriculteurs disposent de cette connaissance ?

Au-delà de la protection de l'agriculteur contre la dangerosité de certains produits, la profession ne doit-elle pas se préparer à l'interdiction de certaines molécules autorisées en France alors qu'elles ont été interdites dans d'autres pays ?

M. Didier Marteau. - Et, à l'inverse, certaines molécules sont interdites ici, alors qu'elles sont autorisées à l'étranger.

En matière d'agronomie, l'on revient à des techniques plus simples, protégeant mieux les sols, que j'avais apprises à l'école mais qui, il est vrai, ont été oubliées pendant une période, du fait de la chimie.

Pour ma part, j'ai toujours dû pratiquer l'agriculture raisonnée en cultivant des pommes à cidre dans la région d'Othe dont le potentiel de rendement était limité. Notons que le haut niveau des prix n'a pas incité les producteurs à abuser de l'azote ou de protections, afin d'augmenter la productivité. Nous n'avons globalement pas été confrontés à l'explosion de l'utilisation des produits que l'on pouvait craindre.

Les préoccupations agronomiques sont de retour, alors que, à une certaine époque, l'on a fait beaucoup de mal, comme avec ces colorants qui allaient jusqu'à éliminer les vers de terre ; il est certain qu'avec ces produits, on était sûrs de tuer les limaces qui nous posent aujourd'hui problème ! Désormais, c'en est fini de la mortalité des lièvres ou des perdrix du fait de ces produits.

Les produits sont moins dangereux qu'il y a quelques années, où ils étaient souvent en poudre, même si à mon sens ils devraient tous être sous forme liquide pour éviter les poussières. On ne mettait ni gants ni masques !

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - A partir de quand a-t-on utilisé davantage de protections ?

M. Didier Marteau. - En raison de leur instinct maternel protecteur, les femmes ont fait évoluer les choses.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - C'est sûr.

M. Didier Marteau. - La prise de conscience s'est opérée il y a dix ou quinze ans. Mais certains continuent à jouer avec leur santé ; ils font vraiment n'importe quoi. Il n'y a pas toujours de cabines sur les tracteurs.

Mme Sophie Primas, présidente. - Comment agissent les chambres d'agriculture vis-à-vis de ces agriculteurs ?

M. Didier Marteau. - Chez moi, dans une région céréalière où l'on cultive de grandes surfaces, nous sommes très spécialisés et très professionnels dans l'utilisation des produits qui, par leur coût, constituent un véritable investissement, et dont nous connaissons bien les risques car nous les utilisons souvent. Deux fois par semaine, je reçois de mon conseiller deux ou trois pages de préconisations très précises.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - De quel conseiller s'agit-il ?

M. Didier Marteau. - Celui de la chambre d'agriculture mais l'on reçoit aussi des documents de la coopérative ou des autres organismes économiques. Il est d'ailleurs intéressant d'observer les nuances entre ces conseils.

Mme Sophie Primas, présidente. - Sur quoi portent ces nuances ?

M. Didier Marteau. - Les organismes économiques accordent davantage d'attention à ce qui engage la quantité et la qualité des produits, alors que nous, chambre d'agriculture, nous n'avons pas d'intérêts dans la vente des produits, nous allons plus loin dans le conseil, nous n'encourageons à n'intervenir qu'au vu du seuil de nuisance, qui, par exemple, n'est atteint pour les pucerons que lorsqu'ils inoculent la jaunisse nanisante qui empêchera toute récolte.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Où en est-on au regard de la baisse de 50% en dix ans de l'utilisation de pesticides prévue par Ecophyto ?

M. Didier Marteau. - Cela ne se fait pas d'un claquement de doigt car un agriculteur, malheureusement, est libre de faire ce qu'il veut !

M. Joël Labbé. - Pas tout à fait...

M. Didier Marteau. - Il est vrai qu'il doit s'en tenir aux molécules autorisées mais il peut les utiliser sans limite de quantités. Notre but est surtout d'expliquer et de convaincre par des conseils très précis plutôt que contraindre. Alors que je n'étais pas rassuré lorsque nous avons proposé des formations, les agriculteurs ont répondu présent. Nous avons même dû constituer des listes d'attente et, compte tenu des difficultés financières que nous rencontrons pour satisfaire toutes les demandes, nous avons dû demander des délais supplémentaires par rapport à l'échéance de la fin de 2013.

Dans les régions très spécialisées, nous utilisons à plusieurs des appareils très perfectionnés ; en polyculture, on utilise des équipements moins performants parce qu'il s'agit simplement de traiter de petites surfaces, pour produire, par exemple, les céréales destinées aux animaux de l'élevage.

En ce qui me concerne, je n'utilise pas de semences traitées...

M. Joël Labbé. - Sont-elles encore beaucoup utilisées ?

M. Didier Marteau. - Oui, car les éleveurs n'ont pas le temps de faire les traitements auxquels nous procédons à l'automne. C'est juste un constat. Ce qui compte, c'est de comprendre pourquoi et de trouver une solution mais je ne cherche pas à opposer les uns aux autres.

Mme Sophie Primas, présidente. - L'objectif de notre mission n'est pas non plus de stigmatiser ni d'opposer.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Ne pourrait-on penser que l'industrie chimique a tout intérêt à vendre le maximum de produits ?

M. Didier Marteau. - Dire le contraire ne serait pas honnête. Mais certains organismes économiques sont aussi engagés dans des démarches durables, notamment en voyant nombre d'agriculteurs adhérer aux chambres d'agriculture.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - La chimie représente une dépense très importante dans une exploitation...

M. Didier Marteau. - Dans une exploitation céréalière comme la mienne, oui, le budget chimie est très important et ce qui n'est pas utilisé n'est pas jeté, on n'en a pas les moyens !

Si le plan Ecophyto a eu le mérite de proposer neuf axes, des difficultés demeurent quant au choix des bons indicateurs de suivi. S'agissant de l'objectif de diminution de 50% en 2018, très honnêtement, je ne pense pas qu'il sera atteint, les choses étant plus faciles dans certaines filières que dans d'autres comme les fruits et légumes. Par exemple, j'éprouvais aussitôt des difficultés à commercialiser mon cidre lorsqu'il y avait un léger dépôt de pomme dans les bouteilles.

M. Joël Labbé. - N'y a-t-il pas d'éducation du consommateur ?

M. Didier Marteau. - Non, et c'est même l'inverse lorsqu'on caricature les agriculteurs alors que l'agriculture a fait de gros progrès.

Comment diminuer les doses ? J'ai diminué personnellement de 30% l'utilisation des produits phytosanitaires mais c'est très difficile d'aller au-delà.

Aujourd'hui, on utilise des désherbants, des fongicides, des insecticides ou des régulateurs de croissance, qui évitent la verse en période de pousse à condition de traiter au bon moment, c'est-à-dire dans les trois ou cinq jours propices, sinon la quantité comme la qualité en sont affectées. Tout est programmé. Il y a aussi un problème de choix de variétés résistantes. D'où l'importance de la recherche. Quand je livre mon grain, il est soumis à huit analyses pour contrôler sa valeur boulangère qui dicte le prix payé.

Mon blé doit atteindre un niveau de protéines de 11,5 et ne pas dépasser un certain niveau de mycotoxines, sinon il n'est pas exportable et part vers l'alimentation animale. Il y a donc un risque à ne pas le protéger. Par exemple, si l'on ne l'avait pas fait il y a trois ou quatre ans, la France n'aurait pas pu exporter son blé, situation dans laquelle se trouve le Danemark aujourd'hui : il donne son blé aux cochons et importe pour la boulangerie. Pour qu'une plante pousse, il faut de l'azote, mais si la plante verse et touche le sol, elle se gâte, surtout si le temps est humide. Pour se prémunir contre la verse, on peut semer moins dru et plus tardivement mais il y a des risques : j'ai vu mon rendement chuter à cause du gel et des limaces.

A l'inverse, pour l'orge, l'azote étant présent, le risque est d'avoir trop de protéines. Il y a beaucoup de critères et il faut faire des choix pour ménager un certain équilibre.

Pour ma part, travaillant beaucoup en réduction de doses, notamment de désherbants, je suis maintenant confronté au risque de créer des résistances. Soyons donc très prudents quant aux voies dans lesquelles nous engageons les agriculteurs, sachant que ce qui est valable pour le bio ne l'est pas pour le reste et qu'il existe, pour les productions légumières ou fruitières, des cahiers des charges extrêmement précis impliquant notamment l'irrigation ou des traitements systématiques.

M. Joël Labbé. - La recherche a-t-elle les moyens de travailler ?

Mme Sophie Primas, présidente. - Est-ce que seulement on la laisse faire ?

M. Didier Marteau. - Mon regret est que les recherches ont été trop concentrées sur la qualité et la quantité et pas sur la résistance aux insectes et aux maladies.

M. Joël Labbé. - Le rôle des technico-commerciaux n'a-t-il pas été de forcer la dose ?

M. Didier Marteau. - J'en ai fait partie. L'homologation d'une variété repose sur des critères de quantité et de qualité et non de résistance.

En matière de recherche, je constate que l'INRA, qui fait globalement du bon travail, se concentre davantage sur la recherche sociologique, économique et technique que sur la recherche fondamentale dont nous avons besoin. De plus, faute de moyens, l'INRA travaille trop en partenariat avec des institutions y compris avec des obtenteurs qui créent des variétés.

Il y a encore beaucoup à faire. Par exemple, dans Ecophyto, lors de la constitution des dossiers des 180 fermes de référence DEPHY (démonstration, expérimentation et production de références sur les systèmes économes en phytosanitaires), l'INRA s'est battu pour être en charge de la gestion des bases de données, alors que j'avais fait valoir auprès de sa présidente, Mme Marion Guillou, que ce n'était pas leur métier. Mais devant l'insistance des chercheurs de l'INRA, nous avons laissé faire. Résultat : depuis deux ans, le projet patine en matière de traitement des informations sur les 25 premières fermes, dont la mienne, alors qu'il y en a 180 concernées.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Vous avez indiqué que les cahiers des charges en matière de légumes étaient très précis : jusqu'à quel point ? Mentionnent-ils l'irrigation ou les traitements chimiques ?

M. Didier Marteau. - Comme vous ne souhaitez pas trouver des pucerons dans votre salade ni des limaces dans vos haricots verts, il faut traiter. Il en va de même pour les taches de maladies. Demandez aux agriculteurs qui travaillent pour Bonduelle, vous verrez que ces exigences sont extrêmement précises pour la production légumière industrialisée.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Fournit-on aussi aux agriculteurs la liste des produits à utiliser ?

M. Didier Marteau. - Oui, avec les quantités. Cela figure dans le contrat pour obtenir un produit standardisé.

Mme Sophie Primas, présidente. - Ils ne prennent aucun risque ; ne serait-ce pas, si je puis dire, « ceinture et bretelles » quelles que soient les conditions météorologiques !

M. Didier Marteau. - Dans l'Aube, où l'on a développé la culture de la pomme de terre sur 4 000 ou 5 000 hectares, les producteurs, même sans contrat avec Bonduelle ou avec Mc Cain, utilisent aussi les produits phytosanitaires, notamment pour le stockage, afin de pouvoir exporter.

Si mon jus de pomme est trouble, je le vends plus difficilement. Sans doute est-ce dû à un défaut de communication... En fait, il ne suffit pas de faire de la qualité pour que se développe le marché. Finalement, ce sont surtout les crises qui suscitent les prises de conscience chez les consommateurs et qui infléchissent les tendances : on l'a vu avec la viande bovine lors de la crise de la vache folle.

Mme Sophie Primas, présidente. - Les céréaliers semblent moins exposés que les arboriculteurs, les maraîchers, les vignerons. A-t-on fait des progrès dans ces cultures ?

M. Didier Marteau. - Pour produire du Champagne, le kilo de raisin rapporte 5 €, contre 1 € pour le raisin de table, et le premier n'est pas soumis à des exigences de qualité : les fongicides n'amputent donc pas le revenu du producteur, or 150 viticulteurs sur 1 500 dans l'Aube adhèrent à notre groupe, contre un tiers d'exploitants en grandes cultures. Nous avons du mal à nous faire entendre, cependant le mouvement est lancé. Lors d'une réunion récente où j'avais invité des agriculteurs, j'ai été déçu que telle agricultrice bio considère comme nulle toute autre forme de production. Mais ce qui compte, ce sont les étapes de la prise de conscience.

Mme Sophie Primas, présidente. - C'est un long chemin ?

M. Didier Marteau. - Oui ! A la suite de la pollution des eaux causée par la goutte de produit tombée sur le sol, la dépollution peut prendre une vingtaine d'années : la simazine n'est plus utilisée depuis dix ans, or les problèmes causés par la pollution qu'elle engendre persistent alors qu'il n'y a plus de stocks utilisés. C'est que l'on en employait huit à dix kilogrammes par hectare ! On ne disposait pas, à cette époque, pour maîtriser le chiendent, du glyphosate, le fameux Roundup, décrié mais plus efficace et donc utilisé à plus faibles doses.

Nous avons commis des erreurs, je ne crains pas de le reconnaître. Je suis convaincu que les pollutions ponctuelles sont plus dangereuses que les pollutions diffuses dans les champs. Dans l'Aisne, sur la rivière du Péron, la qualité des eaux de captage était si déplorable qu'une action a été menée au sein d'Agri Péron : 80 exploitations remises aux normes, tous les agriculteurs formés et informés. Le problème a été réduit de 70% en trois ans. Désormais, le rinçage des cuves se fait dans les champs, à l'eau claire, et non plus, en grande quantité, dans la cour de ferme, toujours au même endroit, souvent à proximité d'un ruisseau, d'une rivière ou de la nappe phréatique. Des bêtises énormes ont été commises. Les agriculteurs apprennent les bonnes pratiques : désherber le soir, ne pas mélanger désherbant et insecticide, etc.

M. Joël Labbé. - On emploie des insecticides chimiques parce qu'il ne faut pas d'insectes dans les légumes, avez-vous dit. Pourtant, les agriculteurs bio se débrouillent et vous ne trouvez pas d'insectes dans leurs produits.

La population des abeilles est en crise en raison de pratiques néfastes. Tout est question d'équilibre, les insectes, les herbes, ne sont pas bons ou mauvais en eux-mêmes, il faut travailler en recherchant l'équilibre.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Que pensez-vous de la démarche de M. Paul François, fondateur de l'association Phytovictimes ? Avez-vous vu le documentaire « La mort est dans le pré » d'Éric Guéret récemment diffusé à la télévision ?

M. Didier Marteau. - Pour répondre à M. Labbé, un puceron ne me dérange pas, sauf s'il est porteur de maladie.

M. Joël Labbé. - Cela ne poserait pas de problème si la plante était plus rustique.

M. Didier Marteau. - Plus on sème tard, moins les risques d'invasion de pucerons sont grands, mais les risques d'un rendement faible sont accrus. On a considérablement développé le conseil et l'observation. On définit des seuils de nuisance, en-deçà desquels on déconseille d'intervenir. Le soleil peut guérir certaines maladies et l'on surveille aussi la météo pour déterminer s'il faut ou non traiter.

M. Joël Labbé. - Qui dit s'il faut intervenir ?

M. Didier Marteau. - Les conseillers.

M. Joël Labbé. - Ceux des firmes ?

M. Didier Marteau. - Les agriculteurs se parlent, s'informent ; les organismes économiques ont aussi bien évolué.

Mme Sophie Primas, présidente. - Isagri ne fournit-il pas des modules informatiques de prévision des risques ?

M. Didier Marteau. - Oui, cela fait partie des outils que nous utilisons.

Mme Sophie Primas, présidente. - Et ils ne sont pas liés à l'industrie chimique. La modélisation informatique semble encore peu diffusée pour aider à traiter de manière différente même au sein d'une parcelle. La recherche est-elle suffisante sur ces questions ?

M. Didier Marteau. - L'agriculteur passe aujourd'hui beaucoup de temps à faire de l'observation : il fait le tour de ses parcelles fréquemment, ne désherbe que sur le pourtour, utilise un matériel très sophistiqué. Ce qui m'intéresse, c'est que nous apportions des solutions aux professionnels avec des variétés, des techniques appropriées, des connaissances techniques...

Oui, l'apiculture a un souci, mais il est multifactoriel et tient largement au mauvais état sanitaire de nos abeilles qui sont victimes de parasites comme le varroa (acarien)... On a beaucoup accusé les traitements de semence, mais les problèmes touchent aussi des régions, comme la Corse ou la Savoie, où ces traitements ne sont pas employés. Je signale que l'on a importé en quantité des abeilles peu résistantes. Aujourd'hui, on cherche une molécule pour traiter les parasites. Il y a aussi le frelon asiatique, qui s'attaque aux colonies...

M. Joël Labbé. - Les produits phytosanitaires n'ont-ils pas d'impact sur les abeilles ?

M. Didier Marteau. - Ils ne sont pas inoffensifs, certes, mais il faut trouver une molécule pour combattre les parasites de l'abeille.

Quant au documentaire relatif, notamment, à M. Paul François, je l'ai regardé. Je crois que naguère les agriculteurs fumaient beaucoup : avec les traitements phytosanitaires, ce n'est pas le bon cocktail... Aujourd'hui, les nouvelles générations d'agriculteurs, qui ont fait des études, qui ont conscience des risques, fument moins, se protègent des produits et les utilisent avec plus de discernement. Depuis quelques années, la MSA procède à des études sur les risques de maladies ; nous sommes également sensibilisés au problème. Mon père, qui est mort de la maladie de Parkinson, n'a jamais manipulé de produits en diffusion aérienne, il faisait appel à une société spécialisée. En revanche, il diluait sur le semoir, avec un bâton, les produits de traitement de semence saupoudrés, lesquels contenaient, je crois, du mercure et d'autres substances...

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Mais M. Paul François n'a que 45 ans !

M. Didier Marteau. - Les produits incriminés sont moins nocifs aujourd'hui qu'il y a dix ans - et l'on a appris à s'en protéger. Faut-il ne plus utiliser de produits chimiques ? Cela, ne peut se décréter. Mais je rappelle que l'homologation suppose la signature des ministères de l'agriculture, de la santé et de l'environnement et que la procédure s'étale sur dix ans et non sur trois comme aux États-Unis d'Amérique.

M. Joël Labbé. - N'y a-t-il pas, tout de même, un débat sur les AMM ?

M. Didier Marteau. - Aucun produit n'est inoffensif. Tous les produits sont dangereux ! Tous les médicaments...

M. Joël Labbé. - Les produits phytosanitaires ne sont pas des médicaments !

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Si la dose est trop importante, le produit est-il dangereux ?

M. Didier Marteau. - C'est l'exposition qui fait le risque : l'agriculteur est en première ligne. Je me suis beaucoup investi sur cette question, et je ne me suis pas fait que des amis parmi mes pairs. A cet égard, Ecophyto a le mérite d'encourager à communiquer. J'essaie de convaincre, je travaille avec tout le monde au niveau régional. Aux chambres d'agriculture, un groupe permanent est en place, qui se réunit tous les mois et demi : responsables régionaux, maires, etc. Une partie de nos débats est ouverte à tous les partenaires, y compris France Nature Environnement, les trois ministères, les Agences de l'eau, la Fédération régionale de défense contre les organismes nuisibles (FREDON), etc. Nos discussions sont intéressantes.

Mme Sophie Primas, présidente. - Je vous remercie.

Audition de M. Pascal Ferey, vice-président de la Fédération Nationale des Syndicats d'Exploitants Agricoles (F.N.S.E.A.), président de la commission environnement de la F.N.S.E.A., de M. Cédric Poeydomenge, directeur-adjoint de l'Association Générale des Producteurs de Maïs (AGPM), responsable du service économique et syndical, et de Mme Sophie Metais, chargée de mission environnement réglementation, facteurs de production à l'AGPM

Mme Sophie Primas, présidente. - Notre mission se concentre sur la santé de ceux, tels les agriculteurs, qui sont au contact direct des pesticides. Quel regard porte la F.N.S.E.A. sur cette question ? La Fédération est-elle impliquée dans la mise en oeuvre du plan Ecophyto 2018 ? Mène-t-elle des actions de formation, de prévention, promeut-elle des techniques alternatives ? Enfin, quel est votre sentiment sur l'objectif de réduction de 50% ? Va-t-on y parvenir ?

M. Pascal Ferey, vice-président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles, président de la commission environnement. - La F.N.S.E.A. attache beaucoup d'importance au sujet. Les aspects techniques relèvent plutôt des chambres d'agriculture. Mais comme nous étions les représentants du monde agricole au Grenelle de l'environnement, le plan Ecophyto 2018 est donc un vrai sujet pour nous.

Nous nous intéressons aussi à la dimension européenne, car les produits agricoles circulent librement dans l'Union européenne. Nous avons retravaillé avec les parlementaires européens sur la directive 91-414 et, désormais, sa rédaction prévoit des règles de réciprocité - hélas, pas toujours respectées en France. Nos règles sont souvent plus restrictives que la directive et pénalisent les producteurs français, de cerises par exemple : si rien ne change, on ne trouvera plus sur les étals que de la cerise turque, parce que nos autorités ont tardé à homologuer telle molécule pourtant agréée au niveau européen.

Nous avons participé à la mise en place du plan Ecophyto 2018 et souhaitons, bien sûr, sa réussite. Nous n'opposons pas agriculture bio et agriculture conventionnelle, les deux cohabitent plutôt bien. Cela dit, dans un programme de vaccination, quand 80% de la population est vaccinée, les 20% restant sont bien protégés. Que se passerait-il en revanche si personne ne l'était, autrement dit si 100% de l'agriculture était bio ? N'assisterait-on pas au retour en force des ravageurs, que la chimie tient à distance ?

Il est temps de trouver des solutions alternatives à l'utilisation des produits phytosanitaires, qui ont fait la réussite de l'agriculture française et européenne. Nous sommes au bout d'un système, celui du tout chimique, qui a été à l'origine de trente années de progrès agricole et alimentaire mais qui a aussi connu ses déviances.

Je note que les gouvernements successifs ont délégué à des firmes privées la recherche sur la productivité des semences. Des semences très productives ont été mises au point, mais fragiles, sensibles aux ravageurs. Le plus urgent est que les gouvernements et l'Union européenne remettent la main à la poche pour redéfinir des programmes de sélection, afin de sortir de l'impasse d'une recherche abandonnée aux firmes privées. Je ne fais pas le procès de ces dernières : on leur a délégué une mission que la puissance publique aurait dû assumer. On critique Monsanto, pour avoir produit l'agent orange, mais c'est l'armée américaine qui l'a utilisé au Vietnam !

L'INRA et le CIRAD en conviennent et souhaitent développer la recherche fondamentale sur le sujet. Mais, en France, on manque d'agronomes réputés, d'entomologistes de grande renommée. Les débats du Grenelle en ont souffert. Au-delà de la bonne volonté des chercheurs du Muséum d'histoire naturelle, il n'y avait rien !

Le tout chimique a atteint ses limites. On bute aujourd'hui sur des phénomènes de résistance, peut-être pour avoir trop délaissé l'agronomie - et je ne pense pas seulement à la rotation des cultures, plutôt difficile pour les vergers... Faire disparaître totalement les ravageurs ou les maladies qui pourraient affecter les cultures est une vue de l'esprit. La FNSEA oeuvre cependant à les maîtriser. Je suis exploitant dans la Manche : je produis du lait, du maïs pour le fourrage et des céréales à paille pour mes animaux, et je travaille depuis dix-huit ans en technique simplifiée sans labours. Or je l'ai fait sans documentation ; je comprends que, faute d'études à consulter, les exploitants écoutent les négociants, les techniciens.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Vous avez mentionné des méthodes alternatives.

M. Pascal Ferey. - Il y a les rotations des cultures, les moyens de lutte issus de l'agriculture bio ou chimique, les indicateurs de pression des nuisibles, pour réduire l'utilisation des pesticides sans remettre en cause l'économie de l'agriculture... Il convient aussi de mieux cerner les paramètres : je suis moins ennuyé d'utiliser un herbicide qu'un insecticide - moins j'en emploie, mieux je me porte. Ma coopérative a acheté un automoteur, le salarié qui le manie connaît chaque produit utilisé.

On ne changera pas les habitudes d'un coup ; et l'on sait bien que, lorsque les prix de vente d'un produit agricole baissent, les phytosanitaires sont moins employés. Si le cours remonte, l'utilisation des pesticides augmente à nouveau.

Il serait bon d'étudier les voies choisies par d'autres pays européens. Le Danemark a pris des décisions drastiques, que l'on pourrait qualifier de courageuses, sur la production des céréales pour porcs et volailles ; mais, en conséquence, il a été forcé d'importer des céréales, car, sans pesticides, les taux de mycotoxines sur ses cultures étaient considérables. Utilisant moi-même des techniques sans labours, je suis très sensible aux mycotoxines, qui seront de plus en plus traquées par les autorités. Des risques sanitaires significatifs existent pour les consommateurs. Du reste, la Commission européenne conditionne ses aides à la déclaration des infestations de fusarium (champignon pathogène des plantes) dans les exploitations ; des retenues peuvent être pratiquées.

La formation des agriculteurs et des utilisateurs de pesticides est fondamentale. Le Certiphyto est une véritable réussite. En raison des difficultés budgétaires, nous avons obtenu que l'échéance à laquelle tous les agriculteurs devront être formés soit reportée de 2013 à 2015. Nous cotisons tous au Fonds d'assurance formation des agriculteurs, Vivea, qui finance l'essentiel de l'effort ; l'ONEMA l'abonde aussi. 180 000 agriculteurs ont été formés l'an dernier, 80 000 le seront cette année. Nous avons voulu que les sessions de formation soient gratuites, mais les files d'attente sont telles que des formations payantes sont proposées. Je le réprouve. C'est comme si on demandait à un salarié de payer sa formation Les chambres d'agriculture cherchent à résorber les files d'attente, mais tout le monde sera formé dans le délai imparti et je rappelle que le financement de telles formations relève du paritarisme. Il faudrait augmenter l'effort de l'ONEMA. En 2013-2014, on aura presque fini.

Mme Sophie Primas, présidente. - Mais il faudra tout recommencer !

M. Pascal Ferey. - Oui, dans cinq ans. Le premier cycle de formation a concerné 620 000 exploitants. Le nombre de ceux-ci tendant à décliner, ils seront moins nombreux pour le cycle suivant, qui sera aussi plus simple.

La mise en place des chaînes d'observation, des bulletins de santé du végétal (BSV), des fermes DEPHY, aura été achevée en 2012 : après ces investissements, la deuxième étape ne passera pas par des crédits de fonctionnement mais par des solutions alternatives au sein de l'exploitation. Aujourd'hui, on débloque des crédits publics pour les bâtiments d'élevage. Il en existe également concernant les pesticides mais 80% des agriculteurs n'y sont pas éligibles car les cartographies ont été faites par les agences de l'eau et c'est essentiellement la politique des masses d'eau qui détermine l'affectation des sommes, dans des périmètres très précis. Il est temps d'agir sur tout le territoire, avec des outils très performants.

La F.N.S.E.A. regroupe des employeurs de main-d'oeuvre, qui doivent former leurs salariés. Mais, là encore, le Fonds d'assurance formation des salariés d'exploitations agricoles manque de crédits pour former les 100 000 salariés concernés. L'agriculteur se forme à l'acquisition des produits phytosanitaires, le salarié se forme aux pratiques. Il y a là un sujet d'inquiétude.

Mme Sophie Primas, présidente. - Quelles sont vos recommandations ?

M. Pascal Ferey. - Avant tout, discerner les priorités : pour moi, ce sont les maraîchers, les horticulteurs, qui travaillent dans des lieux confinés, ou les arboriculteurs - qui pulvérisent assez largement des produits dans l'atmosphère - qui sont les premiers concernés, avant les céréaliers, qui ne manipulent les pesticides qu'au moment du remplissage de la cuve.

Mme Sophie Primas, présidente. - Et les viticulteurs aussi ?

M. Pascal Ferey. - Bien sûr.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Le risque phytosanitaire disparaît-il si les agriculteurs sont formés et protégés ?

M. Pascal Ferey. - Arrêtons de parler des médicaments de la plante ! Il y a un terme usuel au niveau européen, c'est « pesticides ». Les pesticides sont des agents dangereux. Il convient de les utiliser avec parcimonie au même titre que le traitement de médecine humaine.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Les agriculteurs sont-ils malades à cause des pesticides ?

M. Pascal Ferey. - L'agriculteur de Charente a un vrai problème de santé certainement lié à l'utilisation de produits phytosanitaires, l'alachlore en l'occurence. Mais toutes les règles d'usage ont-elles été respectées ? De toute façon, le fait que les firmes phytosanitaires aient écrit les précautions à prendre sur le flacon ne doit pas les décharger de toute responsabilité. C'est choquant.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Le Lasso n'est pas interdit en France, certes, mais il l'est partout ailleurs !

M. Pascal Ferey. - Même chose pour les pesticides utilisés par les producteurs de banane dans les départements d'outre-mer.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - N'y a-t-il pas un problème à résoudre concernant la phase de l'homologation des produits ?

M. Pascal Ferey. - Plutôt après, quand il s'agit de réglementer ou d'interdire telle ou telle utilisation. Ainsi la chlordécone, utilisée dans les bananeraies, a été interdite aux Etats-Unis en 1992 mais nous avons traîné sept ans avant de l'interdire en France, pour des raisons purement politiques : dans les DOM, dont je m'occupe depuis vingt ans, il ne faut pas faire de vagues, et, même si l'on y voit des pratiques peu recommandables pour le traitement aérien sur la banane, on ne dit rien pour éviter le blocage des ports et de l'économie de toute une île...

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Est-il impossible que des agriculteurs soient malades des pesticides ?

M. Pascal Ferey. - Non, mais les premiers agriculteurs atteints sont plutôt les éleveurs, qui utilisent des biocides dans les bâtiments, aussi toxiques pour l'homme, aussi agressifs que des pesticides. Les membres du Groupement de Recherche en Économie Quantitative d'Aix-Marseille (GREQAM) le reconnaissent : les pathologies les plus récurrentes affectent les éleveurs.

M. Henri Tandonnet. - Quels sont les produits toxiques concernés ?

M. Pascal Ferey. - Les virocides.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Est-il exact que la F.N.S.E.A. a voté contre la reconnaissance de la maladie de Parkinson comme maladie professionnelle lors de la réunion de la commission supérieure des maladies professionnelles en agriculture ?

M. Pascal Ferey. - Oui, car on ne dispose pas d'éléments suffisants pour imputer cette maladie entièrement aux pesticides. Certains professeurs sont dubitatifs. Je souhaiterais du reste qu'on entende moins les ténors du barreau, et davantage les vrais scientifiques, la MSA et d'autres services de santé sur ces questions : quand les liens de causalité seront avérés, nous accepterons le classement en maladie professionnelle. Mais faut-il vraiment rechercher systématiquement un délit ? On incrimine telle ou telle société. Pour ma part, j'ai utilisé du Lasso... en suivant bien sûr les instructions inscrites sur l'emballage. Vous ne laissez jamais une bouillie en agitation au soleil pendant des heures. Quand la bouillie est en agitation vous ne mettez pas votre nez dessus pour voir quel fumet elle a !

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - N'est-ce pas, tout de même, un produit interdit ?

M. Pascal Ferey. - Ni en France, ni en Europe. Mais c'est une question politique : aux autorités d'agir ! Quant à moi, comme utilisateur, je n'emploie que des produits qui ont obtenu une AMM.

M. Joël Labbé. - Vous voulez donner la parole aux « vrais scientifiques ». Mais nombre d'entre eux appellent comme vous au débat !

M. Pascal Ferey. - Je suis membre du Haut Conseil des biotechnologies et je souhaite que les sommités du monde médical et de la recherche se concertent, à l'abri de toutes les pressions, de tous les groupes d'influence, afin d'éclairer la décision politique.

Mme Sophie Primas, présidente. - Qui réunir ? Lors d'un colloque récemment tenu au Palais de Luxembourg, le Pr. Charles Sultan, le Dr. Pierre Lebailly se sont exprimés. Or leurs propos font polémique alors qu'ils se bornent à remarquer de forts taux de cancers en cas d'expositions croisées.

M. Pascal Ferey. - Je ne proposerai pas de noms, d'autant que les débats sur ce point sont vifs au sein de la F.N.S.E.A. Mieux vaut faire confiance au pouvoir politique, à l'ANSES, pour organiser ces débats, que demander leur avis à la F.N.S.E.A. ou à la Confédération paysanne !

Mme Sophie Primas, présidente. - Tous les experts sont passionnés, y compris le Pr. Sultan...

M. Pascal Ferey. - Et le Pr. Narbonne au sujet des organophosphorés ! Je préfère faire confiance aux scientifiques, à condition que le choix final revienne aux politiques.

M. Joël Labbé. - C'est le but de notre mission d'information.

M. Cédric Poeydomenge, directeur adjoint de l'Association générale des producteurs de maïs. - Il y a la molécule, mais aussi la façon de l'utiliser. Si l'on veut réduire la quantité de produits phytosanitaires employés, il ne faut pas fermer la porte au progrès et à l'innovation : traiter au bon moment, au bon endroit, avec des quantités plus faibles, s'intéresser aux traitements de semence, ainsi qu'aux OGM, même si c'est un mot tabou...

M. Pascal Ferey. - Le débat fait rage autour de l'épandage aérien.

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous avons organisé une table ronde sur le sujet, le 10 avril dernier.

M. Pascal Ferey. - Autre sujet : l'encapsulage des semences.

Nous étions favorables au durcissement de la réglementation sur l'épandage aérien, car il fallait corriger les débordements. La France a pris des décisions courageuses. Nous souhaitons que cette pratique perdure, dans les conditions prévues par la réglementation.

Mme Sophie Primas, présidente. - On est passé de l'autorisation à l'interdiction, sauf dérogations.

M. Joël Labbé. - Les avantages de l'épandage aérien sont discutables... Il est, en outre, indispensable d'informer les riverains, ce qui est loin d'être toujours le cas.

M. Pascal Ferey. - C'est pourtant la règle, depuis l'année dernière.

M. Cédric Poeydomenge. - Moins de 3% des surfaces de maïs en France sont traitées par épandage aérien. Mais, pour le maïs doux, c'est indispensable si l'on veut éviter que le consommateur ne retrouve des larves dans les boîtes de maïs ! Sur certaines zones, l'épandage aérien est le meilleur moyen pour intervenir à l'instant T. Lorsqu'il a plu, on ne peut utiliser l'enjambeur tant que les sols ne sont pas portants ; si le terrain est en pente, son utilisation peut être périlleuse. En Aquitaine et en Midi-Pyrénées, nous avons mis en place un réseau de piégeage de parasites - pyrale, sésamie et héliothis (insectes ravageurs) - afin de déterminer le meilleur moment pour traiter.

En revanche, dans les zones périurbaines ou à proximité de sites sensibles, le traitement se fait, bien entendu, par enjambeur terrestre. Le traitement aérien est cantonné à des parcelles spécifiques, qu'il s'agisse de culture conventionnelle ou bio, ces dernières étant traitées par épandage aérien avec le bacillus thuringiensis ou Bt (insecticide biologique).

M. Pascal Ferey. - Même chose dans les DOM pour la banane. On n'a pas trouvé à ce jour d'alternative à l'épandage aérien. Il s'agit d'huiles, nécessaires pour préserver l'activité des produits antifongiques. La cartographie proposée par le Groupe de Recherche et d'Action sur le Foncier (GRAF) est précise : demain, 25% ou 30% de la surface seront abandonnés, on n'y fera plus de banane.

M. Joël Labbé. - Vous prônez donc la recherche publique sur les alternatives.

M. Pascal Ferey. - La recherche, publique et privée !

M. Joël Labbé. - Une recherche indépendante, dotée des moyens nécessaires ?

M. Pascal Ferey. - Elle doit être indépendante, mais il faut associer étroitement recherches privée et publique. Un divorce entre les deux nous ramènerait vingt ans en arrière ! À la commande publique de donner le la, de déterminer les actes de recherche.

M. Joël Labbé. - Sur commande politique, donc.

M. Pascal Ferey. - Quand j'ai abandonné le labour, j'ai travaillé pendant cinq ans à l'aveugle, au risque du surdosage, faute de bibliographie...

La France est confrontée à la concurrence des pays du sud de la Méditerranée : avant cinq ans, les plantes à parfum, aromatiques et médicinales seront produites au Maroc, car nous n'avons plus de produits pour les traiter chez nous!

Le Grenelle a complété la liste européenne de 1991. Nous sommes aujourd'hui dans une impasse technique, faute de produits homologués. Les firmes ne veulent plus déposer d'AMM, car le marché n'est pas suffisamment porteur. Nous pensions que les règles de réciprocité des connaissances permettaient leur utilisation... À tort. Un exemple : les Italiens ont les moyens de procéder au désherbage du riz, nous pas, car la France refuse de donner son feu vert.

Mme Sophie Primas, présidente. - Si la France ne peut plus produire de riz, sera-t-elle conduite à importer son riz d'Italie ?

M. Joël Labbé. - A contrario, un produit comme le Cruiser est autorisé en France alors qu'il est interdit en Italie ou en Allemagne.

M. Pascal Ferey. - Cette prudence se comprend quand il s'agit d'un insecticide, mais je parle ici d'herbicides ! On pêche par tempérament : en France, c'est tout ou rien ! La clé d'une agriculture à la fois compétitive et protectrice de l'environnement, c'est le développement durable. Si l'on va jusqu'au bout de la logique actuelle, il faut interdire le riz italien ! Je vous souhaite bon courage.

M. Joël Labbé. - Il faut au moins harmoniser la réglementation au niveau européen.

M. Cédric Poeydomenge. - Nous subissons la concurrence intracommunautaire. Il faut renforcer et harmoniser la réglementation, au moins au sein de l'Union européenne. Et je ne parle pas des nombreux produits utilisés partout dans le monde mais interdits en France depuis plus de vingt ans... À vouloir toujours laver plus blanc que blanc, nous pénalisons nos agriculteurs et les filières. À la suite des dégâts de l'héliothis sur le haricot vert, les contrats sont partis en Espagne, en Belgique ou en Europe de l'Est !

M. Pascal Ferey. - Les agriculteurs sont responsables de l'utilisation des produits, qui doivent être homologués. Mais on ne parle pas assez des importations parallèles ! Nous n'avons pas les moyens techniques de contrôler ce qui se commande sur Internet.

Mme Sophie Primas, présidente. - Le phénomène est-il important ?

M. Pascal Ferey. - Il est impossible à chiffrer. S'il est moins important pour les produits phytosanitaires que pour d'autres produits, il existe, et s'accroît. Pas vu, pas pris ! Certains importateurs de produits venant d'Espagne, de Belgique ou d'Allemagne ont pignon sur rue, comme le réseau AUDACE (Association des utilisateurs et distributeurs de l'agrochimie européenne), fort bien structuré et efficace, qui participe au groupe Ecophyto et est régulièrement entendu au Sénat ! Ce n'est pas acceptable.

Les mesures prises en France pour réduire l'utilisation de produits phytosanitaires vont dans le bon sens, les agriculteurs ont pris le problème par le bon bout. Mais ne laissons pas se développer une économie parallèle, souterraine, incontrôlable !

Que la France veuille montrer l'exemple avec Ecophyto, très bien. Mais la F.N.S.E.A. ne veut pas voir des pans entiers de notre économie détruits par une réglementation trop restrictive, quand nos voisins européens sont autorisés à utiliser des produits qui nous sont interdits !

Mme Sophie Primas, présidente. - De quels produits s'agit-il ?

M. Pascal Ferey. - La bifenthrine (insecticide de la famille des pyréthrinoïdes) par exemple, inscrite à l'Annexe 1 de la directive 91/414 de l'Union européenne. Or la France, qui est rapporteur, s'abstient...

M. Cédric Poeydomenge. - C'est un produit pour lutter contre les insectes du sol.

M. Pascal Ferey. - D'autres produits figurant sur la liste de l'annexe 1 ont été retirés dans celle du Grenelle. Sur ce point, les associations spécialisées de la F.N.S.E.A. n'ont pas d'états d'âme : nous assignerons la France devant la Cour de Justice de l'Union européenne.

Mme Sophie Primas, présidente. - N'existe-t-il pas des produits de substitution ?

M. Cédric Poeydomenge. - Le Cruiser, autorisé en France, lutte contre les taupins dans le maïs, mais le Gaucho et le Régent ont été interdits, car un défaut de pelliculage des semences entraînait une mortalité des abeilles.

M. Joël Labbé. - C'est un raccourci !

M. Cédric Poeydomenge. - Je reprends les termes du jugement du tribunal. Obligés de réduire les matières actives, nous nous retrouvons souvent dans des impasses.

M. Pascal Ferey. - Nous n'avons plus de produits pour lutter contre les ravageurs du sol. Seules deux molécules efficaces ont une AMM, or des résistances se développent. Dans dix ans, le Nord de la France ne produira plus de pommes de terre ! Si la culture est agressée au stade végétatif, elle développera toutes les pathologies imaginables. Un tubercule ou une racine (betterave, carotte, céleri...) attaqués par les taupins ne sont pas commercialisables.

La culture du maïs est vouée aux gémonies, car elle consomme beaucoup d'eau, au mauvais moment. Mais on oublie que c'est la seule culture dont le sol ne s'appauvrit pas en matière organique !

L'encapsulage des semences rendra demain de grands services dans le maraîchage. Dans la Manche, on ne sait plus faire de carotte de sable. Les molécules de désinfection du sol sont soit retirées, soit trop onéreuses. Quant aux Landes, elles ont désormais leur propre nématode : bientôt, il faudra importer nos carottes du Royaume-Uni !

M. Joël Labbé. - Ce n'est pas par plaisir que l'on interdit des molécules ! Si des molécules doivent être interdites pour préserver la santé humaine et l'environnement, la recherche agronomique, qui a trop longtemps été le parent pauvre, trouvera des alternatives.

M. Pascal Ferey. - Le sable est un support inerte. Sans désinfection contre les nématodes, on ne peut rien faire.

M. Henri Tandonnet. - Le problème vient aussi du développement de la grande culture, qui a favorisé la prolifération des insectes. Il y a dix ans, il n'y avait ni carottes, ni nématodes dans les Landes ! On a fait des cultures sur des centaines d'hectares et l'on a amené les problèmes qui vont avec...

M. Pascal Ferey. - On n'y faisait que du maïs !

M. Henri Tandonnet. - On peut cultiver autrement qu'en faisant 500 hectares de carottes.

M. Pascal Ferey. - La Manche ne compte pas d'exploitations de cette taille dont une partie en AOC : dans cinq ans on n'y produira plus de carottes.

M. Henri Tandonnet. - Je suis d'accord avec vous sur la nécessité d'harmoniser la réglementation européenne. Par ailleurs, il est inacceptable que l'on puisse importer des légumes qui ont été traités avec des produits interdits en France et dans l'Union européenne depuis quinze ans !

Mme Sophie Primas, présidente. - Absolument.

M. Pascal Ferey. - Nous sommes pleinement d'accord. Les pouvoirs publics publient chaque année les taux d'anomalies de détection de produits phytosanitaires dans les aliments. N'en déplaise aux médias, on est souvent dans l'épaisseur du trait... Mais les produits concernés sont souvent ceux qui viennent à contre-saison : pourquoi manger des fraises et des haricots verts venant du Kenya à Noël ? Je préfère les marrons !

Ma coopérative, dont la marque commerciale phare est Florette, a été obligée d'importer des salades d'Espagne en pleine saison car, en matière de lutte contre le puceron de la salade, la réglementation française impose de distinguer entre les différents types de salade : laitue, batavia, iceberg, scarole, frisée, etc. Dans le reste de l'Union européenne, on s'en tient au terme générique de « salade ». En 2011, nous avons ainsi perdu plusieurs millions d'euros de chiffre d'affaires, faute d'avoir pu lutter contre le puceron. Quand il achète une salade de 4ème gamme (produits végétaux frais, commercialisés prêts à l'emploi, c'est-à-dire lavés, épluchés et découpés. Ce sont les salades, crudités variées, mélanges de légumes à cuire... conditionnés en sachet plastique), le consommateur ne veut pas retrouver de la protéine carnée entre ses feuilles ! Idem pour les carottes de 4ème gamme : les bâtonnets qu'on savoure à l'apéritif doivent être impeccables. On importe donc des carottes de sable du Royaume-Uni...

M. Joël Labbé. - On propose au consommateur des produits stéréotypés. Il y a là un axe de travail.

M. Pascal Ferey. - Si vous pouviez convaincre M. Leclerc de changer ses pratiques ! Allez donc un samedi après-midi dans n'importe quelle enseigne de la grande distribution, où les produits phytosanitaires sont en vente libre, et cherchez donc le vendeur formé qui devrait obligatoirement être présent dans le rayon pour vous conseiller ! Quand j'ai fait l'expérience en achetant du Roundup, seule la caissière a pu me renseigner !

M. Joël Labbé. - C'est la même chose dans toutes les jardineries.

M. Pascal Ferey. - Le Grenelle a imposé une règle, qui est bienvenue. Mais pourquoi stigmatiser le monde paysan ? Il faut encadrer la vente, former les vendeurs.

Je salue les efforts faits par la S.N.C.F., ainsi que par les collectivités pour les routes. L'ensemble de la chaîne doit oeuvrer pour une utilisation raisonnée des pesticides.

M. Joël Labbé. - Des pesticides acceptables !

M. Pascal Ferey. - Je n'utilise que les produits qui ont reçu une AMM.

M. Cédric Poeydomenge. - Il ne faut pas opposer les moyens de lutte entre eux. Arvalis expertise des méthodes de lutte alternatives, par exemple contre la pyrale. Mais en attendant la solution, on ne peut pas se permettre de passer deux ou trois années blanches, car la concurrence est féroce sur un marché mondialisé !

M. Joël Labbé. - En effet. Une régulation, européenne d'abord, mondiale ensuite, est nécessaire.

M. Cédric Poeydomenge. - On ne peut pas interdire une molécule en espérant trouver une alternative par la suite ! Il faut assurer le maillage.

M. Pascal Ferey. - Il faut investir fortement dans la formation des jeunes des lycées agricoles. Pour ma part, j'ai quitté l'école à seize ans, sans formation aucune. Président de l'EPLEFPA (établissement public local d'enseignement et de formation professionnelle agricoles) de Coutances, spécialisé dans la conchyliculture et le maraîchage, j'ai élaboré deux projets, avant de capituler au bout de deux ans : il était impossible de changer les programmes de formation. Techniquement, nous sommes parmi les meilleurs. Mais nous avons avant tout besoin de savoirs ! Les jeunes doivent recevoir, au lycée agricole ou au CFA, un véritable programme d'approche rénové. En 1975, la référence était Dominique Soltner. C'est toujours le cas aujourd'hui ! Or la connaissance de la plante ne suffit pas, il faut aussi apprendre à l'accompagner, à la protéger. C'est par la formation des jeunes que nous corrigerons les excès de la croissance agricole de ces dernières décennies.

Mme Sophie Primas, présidente. - Et par la recherche fondamentale.

M. Pascal Ferey. - Les agriculteurs de demain sont dans nos lycées. Il faut leur enseigner les savoirs... et les langues !

Le débat est passionné et passionnant. Le comité de gouvernance du plan Ecophyto 2018, dont je suis membre, se réunit prochainement. Les chambres d'agriculture, les syndicats sont très impliqués. Il faut orienter les crédits pour que le plan Ecophyto 2018 soit une réussite.

Mme Sophie Primas, présidente. - Au sujet des pesticides, quelles sont vos divergences de vues avec la Confédération paysanne, que nous entendrons également ?

M. Pascal Ferey. - Un gouffre ! Sur ce sujet, nous avons une opposition culturelle. Je le dis souvent à M. François Dufour, qui est un ami : l'estuaire de la Gironde est le plus pollué en métaux lourds ! La bouillie bordelaise est peut-être naturelle, mais elle entraîne une pollution au cuivre !

M. Joël Labbé. - Ne généralisons pas. Il serait intéressant d'organiser une audition contradictoire entre vos deux organisations.

M. Pascal Ferey. - Aucun problème !

Je suis producteur de lait en AOC. Le Grenelle a mis l'accent sur l'agriculture bio, et a eu l'intelligence d'organiser le marché avant la production. Mais attention : le bio cannibalise aujourd'hui les autres produits sous signe de qualité, dont la part demeure d'environ 20%. Le camembert bio cannibalise le camembert fermier. Pour 100 000 tonnes de camembert conventionnel, Coeur de Lion et autres, il y en a 10 000 tonnes sous signe de qualité ; l'AOC n'en représente que 4 200 tonnes, contre 20 000 il y a six ou sept ans ! Il faut gérer le marché, organiser les producteurs.

Mme Sophie Primas, présidente. - C'est votre rôle !

M. Pascal Ferey. - La Confédération paysanne ne facilite pas les choses... Il faut éviter que le bio ne soit utilisé par la grande distribution comme produit d'appel, comme cela est le cas pour le carburant. Il est impossible de faire du bio au prix du conventionnel !

M. Joël Labbé. - C'est la force de la grande distribution...

Mme Sophie Primas, présidente. - Pour faire face aux cinq enseignes de la grande distribution, il ne faut pas être plus de dix producteurs. À vous de vous organiser !

M. Pascal Ferey. - Je l'ai dit à M. Denis Baupin : s'il veut nourrir la population parisienne avec les AMAP (Associations pour le Maintien de l'Agriculture Paysanne), il faudra réintroduire les tickets de rationnement ! Les circuits courts ne nourriront pas tous les Français, mais il faut les organiser, diversifier la production, sans opposer bio et conventionnel.

Dans les grands bassins maraîchers de production, si l'on réduit l'utilisation de produits phytosanitaires, il faudra espacer les exploitations, faute de quoi on ne pourra lutter contre les ravageurs.