Mardi 12 juin 2012

 - Présidence de M. Louis Nègre, président. -

Audition de M. Eric Doligé, sénateur du Loiret, Président du Centre européen de prévention des risques d'inondation (CEPRI)

M. Louis Nègre, président. - Nous auditionnons Monsieur Eric Doligé, sénateur du Loiret et membre de cette mission, en raison de son intérêt vif et ancien pour les questions liées à la prévention des inondations. Vous êtes ainsi l'auteur de plusieurs rapports à l'Assemblée nationale et au Sénat. Vous avez une expérience avérée dans le domaine qui intéresse notre mission sénatoriale puisqu'en outre, vous êtes :

- co-président de la commission mixte inondations, installée en juillet 2011 auprès du ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement - commission qui a notamment pour rôle de valider au niveau national les PAPI dont nous avons pu constater l'efficacité lors de nos déplacements sur le terrain ;

- membre du Conseil d'Orientation pour la Prévention des Risques Naturels Majeurs (COPRNM), placé auprès du ministre de l'environnement et chargé d'émettre des avis et de faire des propositions en matière de prévention des risques naturels, sur les actions et politiques publiques qui concourent à la réduction de la vulnérabilité aux catastrophes naturelles ;

- président du centre européen de prévention du risque inondation - le CEPRI - qui est une association créée en décembre 2006 ayant acquis au fil des ans une expertise indéniable, assurant une information des collectivités territoriales, y compris les plus petites, sur le cadre légal et les bonnes pratiques que vous avez pu recueillir dans ce domaine.

Le CEPRI s'inscrit pleinement dans le débat public par ses prises de position, mais également par ses publications, nombreuses et étayées, faisant du centre un acteur scientifique et technique désormais reconnu pour son expertise.

M. Eric Doligé, sénateur du Loiret, président du centre européen de prévention des risques d'inondation (CEPRI). - Je vous remercie pour votre invitation. Je m'efforcerai d'être bref, l'essentiel étant de répondre à vos questions.

Le 4 juillet, je me retirerai du CEPRI après deux triennats, comme je l'avais prévu dans les statuts lorsque je l'ai fondé. Je me retirerai également probablement de tous les autres organismes.

Avec un certain nombre de collègues et avec l'État, nous avons souhaité constituer le CEPRI car nous considérions qu'il manquait un outil sur la prévention des risques d'inondation, la formation et la recherche, qui soit proche des collectivités pour tirer profit de leurs expériences, créer des doctrines et pousser l'État dans sa réflexion. En effet, pour les risques naturels, l'État et les collectivités donnent toujours le sentiment de n'être pas toujours à la hauteur, ne se préparant pas suffisamment en amont. Cela s'explique par le fait que ces événements ne sont que des éventualités dans le temps d'un ou deux mandats, alors que d'autres priorités apparaissent et que les moyens sont bien souvent limités. Pourtant, les moyens financiers ne sont pas seuls à permettre de lutter contre les risques d'inondation.

J'ai créé le CEPRI après avoir présidé pendant dix ans l'établissement public Loire et après avoir rencontré plusieurs ministres et tenté de les convaincre. La durée ministérielle, trop courte au regard de celle des risques, ne permet pas de garantir une cohérence dans la réflexion.

Nous avons réalisé des documents que je vous laisserai. Ils sont consultables sur Internet et à la disposition, gratuitement, de tous ceux qui le souhaitent. Grâce à l'Association des Maires de France, nous avons eu l'opportunité de les diffuser en très grand nombre auprès des maires pour leur permettre d'appréhender le risque d'inondation, leurs obligations et les mesures simples à mettre en oeuvre pour faire face aux difficultés.

Nos adhérents sont de plus en plus nombreux. Nous avons créé un club des PAPI, afin de favoriser le partage d'expérience, d'éviter de refaire ce qui a déjà été fait ailleurs, et donc de gagner beaucoup de temps. C'est également dans cette optique que nous avons souhaité créer la commission mixte inondations, qui nous permet d'associer les collectivités territoriales. Nous considérons en effet que les collectivités doivent être associées aux réflexions et décisions les concernant.

J'ai souhaité que Madame Beaufils, sénatrice, me succède à la présidence du CEPRI. Il s'agit en effet d'une personne parfaitement au fait de ce sujet qui la passionne. Elle a suivi ce dossier depuis l'origine et me succèdera sans doute aussi dans les autres organismes.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Dans nos travaux, nous sommes allés de surprise en surprise, constatant qu'en dépit de l'existence d'une multitude d'organismes chargés de la prévention contre les inondations, les choses évoluent très lentement sur le terrain, même dans des lieux ayant subi des dégâts sérieux, voire connus des morts. Nous nous sommes demandés pourquoi et avons abouti à la conclusion que le problème n'est probablement pas pris sous le bon angle. En effet, la question des inondations est uniquement posée sous l'angle de la protection, alors qu'il serait probablement plus judicieux qu'elle le soit sous celui de l'aménagement du territoire. Il ne s'agit pas de supprimer les risques, ce qui est impossible, mais plutôt de réfléchir au meilleur moyen de vivre avec, en résistant mieux aux inondations. Ce diagnostic va-t-il dans le sens des réflexions du CEPRI ?

M. Eric Doligé. - Par le passé, nous ne nous intéressions effectivement qu'à la prévention. Chaque catastrophe occasionnait la rédaction d'un rapport où étaient envisagées des solutions généralement fort coûteuses pour se protéger contre les risques, telles que la construction de barrages ou de digues. Il est apparu que les moyens ne suivaient pas et que cela occasionnait des débats politiques compliqués entre les « anti » et les « pro » prévention. Pour avoir présidé pendant dix ans l'établissement public Loire, concernant les barrages, j'ai été amené à orienter progressivement ma réflexion sur la prévention. Il faut certes de la protection, mais beaucoup peut être fait en matière de prévention, avec des moyens moindre. L'important est de parvenir à faire passer les messages, à créer une culture de la prévention, tant au niveau de l'État que des populations, voire des élus, qui tendent à se détourner de ce sujet qui ne leur apparaît pas toujours prioritaire au regard de leurs multiples responsabilités. C'est pourquoi j'avais créé le CEPRI, dans l'objectif de faire passer les bonnes pratiques en matière de prévention.

Il me semble que les choses évoluent assez rapidement. Au fil du temps, j'ai constaté que le ministère s'intéressait de plus en plus à ces problèmes de prévention, ce qui n'était pas le cas dans le passé. Les premières mesures ont consisté à rappeler la hauteur des crues dans les communes. Or ceci est difficile car les modèles ne sont parfois plus en corrélation avec ce qui a existé, conduisant à ce que, si la crue de 1856 venait par exemple à se reproduire, les conséquences fussent différentes.

Pour moi, la société évolue d'autant mieux que les textes européens, traduits dans la loi française à l'occasion du Grenelle 2, prennent en compte la résilience. Aujourd'hui, il paraît impossible de continuer à vivre d'interdits, dès lors que plusieurs millions de logements sont construits en zone inondable. Plus de cent mille ont dû l'être depuis 2006. En outre, ces zones perdraient la totalité de leur capacité de concurrence avec d'autres territoires si elles devenaient totalement non constructibles. Il existe certes plusieurs niveaux d'inondabilité, mais il est possible de s'adapter à l'inondation. Des zones présentant des potentiels de développement ne peuvent être rayées de la carte. Il faut donc réfléchir aux moyens d'aménager les zones inondables. Je pense qu'au fil du temps, il est possible de réaménager le territoire pour le rendre habitable dans des zones moyennement ou faiblement inondables. Bien souvent, il suffit de former les entrepreneurs et de sensibiliser les populations aux dispositions à prendre. Des bâtiments « zéro dommage », capable de se relever très vite d'inondations, peuvent être construits.

M. Louis Nègre, président. - Il suffit donc de s'adapter au terrain et à l'inondation. Selon votre expérience, existe-t-il une ligne rouge à partir de laquelle rien n'est aménageable, ou tout peut-il être imaginable ? Aujourd'hui, à travers les PAPI, des travaux sont réalisés pour protéger contre une crue centennale. Des élus locaux ayant réalisé des travaux pour sortir des zones de danger des PPRI, se heurtent aux services de l'État, qui considèrent que la zone continue à être soumise à un danger. Quelle est votre position ?

M. Eric Doligé. - Il convient de rester prudent. La loi vise à protéger les populations et les biens, pour permettre à ces derniers d'être à nouveau opérationnels le plus vite possible. Il faut donc être en capacité de subir une inondation. Tout dépend bien sûr de son niveau. Une bonne connaissance du territoire et du risque est indispensable pour mettre en place les moyens adéquats. Il est regrettable que beaucoup de zones - pourtant connues comme potentiellement inondables - soient construites sans protection.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Là est le paradoxe. La loi n'est pas toujours appliquée.

M. Eric Doligé. - Il n'existe pas de véritable coercition. Une fois obtenu le permis de construire, en apprenant que la zone est inondable, les personnes se retournent contre celui qui a autorisé la construction, qu'il s'agisse du maire ou du préfet.

Comme le montrent les PAPI, les pouvoirs publics finissent par se protéger contre la crue centennale. J'ai demandé, à cet égard, la mise en place d'une doctrine nationale sur les risques d'inondation.

M. Louis Nègre, président. - Il n'existe donc pas de doctrine actuellement.

M. Eric Doligé. - Non, il convient de bâtir une stratégie nationale, comme l'ont fait d'autres pays, par exemple dans le nord de l'Europe (Angleterre, Pays-Bas) en décidant une protection maximale, c'est-à-dire contre une crue millenale. En France, le calage est plutôt sur la crue centennale, ce qui est acceptable. Il s'agit de définir sur quel type de crue doit porter la protection, mais également ce que nous souhaitons protéger (par exemple l'outil économique) et jusqu'à quel point. Nous devons également estimer à quelle somme nous souhaitons limiter le dégât, préciser quelle pourcentage de la population il est acceptable de déplacer. Une stratégie est en cours de définition au niveau national. Elle permettra de développer des politiques assez précises d'où découleront les autorisations ou refus de construire.

Les Anglais l'ont fait dans certains secteurs. Des inondations catastrophiques en 2005 leur ont permis de définir une stratégie précise. Les pays nordiques comme les Pays-Bas ont aussi des stratégies. Il s'agit de définir le risque acceptable compte tenu du territoire. Par exemple en France, si une crue centennale survient sur un seul fleuve, ce n'est pas une catastrophe. En revanche, si elle survenait en même temps sur quatre ou cinq fleuves comme ce fut le cas en 1910, les conséquences pour le pays seraient aujourd'hui pires que celles de la crise économique actuelle. Plusieurs points de PIB seraient perdus et difficiles à rattraper. Plus le temps passe, plus la crue centennale risque d'être destructrice. Voulons-nous nous protéger contre une crue centennale sur tous les fleuves de France ou seulement sur la Seine, estimant que ce serait la seule réellement dangereuse pour la France en termes économiques ?

M. Louis Nègre, président. - Définissez-vous la stratégie avec le ministère de l'environnement ?

M. Eric Doligé. - Oui, la commission mixte inondations (CMI) travaille sur la stratégie. Dans le cadre du COPRNM, nous avions défini une commission qui avait commencé à y travailler sous ma présidence. Après un an, nous avons constaté que cette façon de procéder était inefficace en raison du trop grand nombre de parties prenantes autour de la table. C'est pourquoi les travaux se sont poursuivis à la commission mixte inondations. Le ministère traduit nos travaux en rédigeant une stratégie qu'il nous présente lors de chaque réunion. Des territoires à risques vont prochainement être définis. Il sera tenu compte des problèmes environnementaux, économiques, humains ou encore culturels. Dans la stratégie nous définirons ce que nous souhaitons protéger et jusqu'à quel niveau de risque.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Une fois les objectifs définis, il restera à les atteindre. Dans le sud de la France, une de nos premières difficultés réside dans la désignation de celui qui devra mettre en oeuvre les PAPI. Dans de nombreux endroits, les syndicats mixtes ont du mal à se mettre en place. Que penseriez-vous d'obliger les collectivités à créer des syndicats mixtes lorsqu'une zone à risque est identifiée ?

M. Louis Nègre, président. - Ceci serait dans un souci d'efficacité, car nous constatons que si rien ne bouge, compte tenu de la difficulté à se fédérer, la population et les associations montent au créneau en reprochant l'inaction des pouvoirs publics alors que le risque est connu.

M. Eric Doligé. - Avec les PAPI, les collectivités doivent se débrouiller et identifier un chef de file, qui peut par exemple être un département. Dans mon secteur, je suis en effet confronté au refus d'un certain nombre de mes collègues du conseil général de prendre en compte ces problèmes au prétexte qu'ils constituent un frein au développement. Même des personnes raisonnables et de qualité se ferment et montent au créneau dès que des solutions quelque peu coercitives sont envisagées. La question n'est pas simple. L'intercommunalité elle-même n'est pas suffisante. Il faut toujours un leader qui soit en capacité d'expliquer aux autres ce qui risque d'arriver sur leurs territoires.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Nous ne sommes pas naturellement favorables aux solutions coercitives à l'égard des collectivités territoriales. Force est pourtant de constater que pour prendre au sérieux le risque d'inondation, il faut au moins identifier une structure qui soit en charge de cette problématique. La deuxième question est celle du financement.

M. Eric Doligé. - Je considère que l'Etat ne peut rien faire, faute de moyens. Il n'est en capacité ni d'obliger les collectivités à agir, ni de les fédérer, ni de les faire payer. Seules les collectivités peuvent, selon moi, parvenir à se regrouper. Faut-il les y forcer ? La question reste ouverte.

Il faut toutefois veiller à ne pas se perdre dans la multitude de structures qui traitent des problèmes d'inondations.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Un établissement public sur tout ou partie du bassin pourrait être intéressant, à condition que les départements soient également impliqués. Le problème annexe est celui du financement. L'État octroie un certain nombre de subventions dans le cadre des PAPI, subventions qu'un tel établissement pourrait gérer. Nous réfléchissons à la possibilité qu'ils puissent bénéficier de recettes annexes, par affectation, par exemple d'une taxe sur les surfaces imperméabilisées ou autre. Partant de l'idée qu'il s'agit d'un problème d'aménagement du territoire, ne pourrions-nous pas inventer une taxe à l'image de celle qui existe pour les établissements publics fonciers ?

Dès lors que nous déciderions d'imposer une obligation, il serait indispensable d'octroyer des moyens pour la rendre acceptable. C'est ce vers quoi nous nous orientons.

M. Eric Doligé. - Je suis d'accord sur le principe ; il reste cependant à déterminer le bon périmètre. En créant les établissements publics territoriaux de bassins (EPTB), nous avons essayé de faire en sorte qu'ils couvrent une grande partie de la France, en regroupant toutes les collectivités par bassin versant. Lorsque ce dernier est très grand, comme celui de la Loire qui couvre un sixième du territoire national, cela pose des problèmes car ce qui est en vigueur en amont ne l'est pas toujours en aval. Peut-être faut-il envisager des sous-bassins.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Nous avons entendu l'agence régionale pour l'environnement (ARPE) de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur qui préconise des établissements publics d'aménagement et de gestion de l'eau (EPAGE), au niveau des sous-bassins regroupés dans un ensemble unique, avec des ressources propres permettant une planification des actions dans le temps. Cette idée nous a paru séduisante. Qu'en pensez-vous ?

M. Eric Doligé. - Le meilleur échelon est celui des collectivités regroupées, si possible par bassin. Il faut définir la meilleure taille du bassin pour que les acteurs soient confrontés à la même problématique et puissent travailler ensemble. Sans doute faut-il réfléchir au bon espace géographique. Une difficulté peut se poser, que je constate sur le bassin de la Seine : très en amont de Paris, les territoires supportent en ne bénéficiant de rien, alors qu'en aval, Paris bénéficie de tout.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Cela pose le problème de l'équité. Généralement, l'amont travaille pour l'aval, sans n'en recevoir aucun bénéfice. Il convient d'organiser la solidarité. Des dispositions financières pourraient permettre aux collectivités territoriales qui subissent des servitudes de bénéficier de compensations afin de financer des travaux pour mieux résister à l'inondation.

M. Eric Doligé. - Les établissements publics se financent par eux-mêmes. Or, il est difficile de trouver des sources de financement. Pour progresser, une recette pérenne est indispensable ; elle ne doit donc pas provenir de cotisations de ses membres. Les établissements publics entrent parfois en compétition avec les agences de l'eau qui bénéficient d'une cotisation sur l'eau. Sur la Loire, a été votée, sur ma proposition, une recette non négligeable calculée en fonction de l'utilisation de l'eau prélevée dans la Loire, par exemple par les centrales nucléaires.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Penser en termes d'aménagement du territoire présente l'avantage de sortir des préoccupations purement environnementales et permet d'envisager des taxes d'équipement, dès lors qu'il s'agit de mettre le territoire en capacité de résister et de se développer dans des conditions difficiles.

M. Eric Doligé. - Notre travail consiste maintenant à effectuer des estimations coûts/bénéfices. Des méthodes permettent en effet de calculer quel serait le coût d'une inondation centennale selon les lieux où elle se produirait, en fonction notamment de la taille des bassins et de la population qui s'y trouve. Le bassin doit être en capacité d'investir pour réduire ce coût. Il semble par exemple que pour protéger Paris, un investissement d'un milliard d'euros permettrait d'en protéger dix. L'investissement serait d'autant plus intéressant que les inondations sont susceptibles de se reproduire dans des délais courts. Il s'agit donc de donner aux collectivités territoriales des recettes pérennes devant permettre sur dix, quinze ou vingt ans de réaliser les travaux estimés nécessaires dans le cadre de la stratégie.

Aux Pays-Bas, il a ainsi été décidé d'investir environ cinquante milliards d'euros sur une période relativement courte (de l'ordre de vingt ou trente ans). Ils se sont fixé un objectif. La France en est encore loin alors qu'elle est exposée à des risques importants, comme le montrent les études que la directive européenne nous oblige à réaliser dans des délais relativement proche (2012, 2015) sur tous les territoires à risque. Des évaluations financières y sont associées, en fonction de différentes stratégies. Dès lors, nous devrons être capables de déterminer les montants théoriques nécessaires aux collectivités pour réaliser les travaux.

M. Louis Nègre, président. - Existe-t-il, au niveau européen, des pistes de financement intéressantes pour la France ?

M. Eric Doligé. - Il en existe certainement. Le CEPRI doit être en mesure de vous renseigner. C'est le partage d'expérience qui conduit à créer des systèmes et des structures. De notre côté, nous avons bien avancé avec les établissements publics locaux mais le problème du financement n'est cependant pas encore résolu.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - En France, surtout depuis une dizaine d'années, les problèmes de financement deviennent tabous. Nous sommes censés légiférer et réaliser des aménagements, sans que cela coûte un euro. Dans la réalité, c'est évidemment impossible. C'est pourquoi il faut désigner un acteur responsable de l'action et doté des moyens de la mener à bien.

Je souhaiterais également vous interroger sur la notion de responsabilité, notamment des deux acteurs principaux que sont le maire et le préfet. Le CEPRI a-t-il réfléchi à cette question ? Peut-être faudrait-il remettre en cause l'idée selon laquelle les autorités publiques sont censées assurer une sécurité totale aux populations, y compris à celles qui sont informées qu'il est dangereux de construire ou d'habiter dans certains endroits et qui n'en tiennent aucun compte.

M. Eric Doligé. - Nous avons envoyé un document aux maires des communes - elles sont près d'un tiers - exposées aux risques d'inondation, intitulé : Le maire face au risque d'inondation. Toute la réglementation sur la responsabilité du maire et de l'État y est rappelée, ainsi que la jurisprudence. Le cadre règlementaire est extrêmement précis et les élus ont tout intérêt à bien le connaître.

A la suite des problèmes que nous avons connus en bord de mer, l'État essaie de plus en plus de transférer la responsabilité des digues et donc des coûts afférents aux communes. Or, la responsabilité est celle du propriétaire. Selon les cas, il s'agit de l'État, des maires, d'associations de riverains ou de particuliers. Il est parfois très compliqué de trouver les responsables. Lorsque l'État transfère les levées aux collectivités territoriales, elles n'ont pas toujours été bien entretenues. Or dès qu'elles sont transférées, il s'aperçoit comme par hasard qu'elles doivent être mises en conformité dans des délais très courts, comme ce fut le cas avec les routes nationales. Comme les règles sont mal connues, il est malheureusement assez facile de se laisser déborder sur le sujet.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Tant que nous n'aurons pas une vision claire des responsabilités, les PPRI seront l'objet de négociations risques contre mètres carrés constructibles, ce qui n'est pas satisfaisant. Nous avons l'impression que la réglementation actuelle, comme la jurisprudence, ne permettent pas une approche dynamique de la problématique d'aménagement du territoire autrement dit, de la question : comment faire face aux inondations tout en permettant la vie dans les territoires. Si le seul résultat prévisible d'investissements majeurs se résume à laisser stagner une commune, on ne risque pas de soulever l'enthousiasme, notamment en période de raréfaction des moyens financiers. D'un autre côté, si nous nous orientons vers plus de souplesse, il faut dire qui prend les responsabilités et jusqu'où. Rappelez-vous la levée de boucliers après Xynthia, lorsqu'il a été envisagé d'évacuer des zones pourtant dangereuses.

M. Eric Doligé. - La responsabilité ne se délègue pas. Un maire ne peut la déléguer, par exemple, au président de la communauté de communes. C'est pourquoi il doit être très au fait de la réglementation sur les autorisations de construire et veiller à ce que d'éventuels aménagements n'amplifient pas les risques.

M. Louis Nègre, président. - Je souhaite revenir sur la stratégie en cours de définition en France. Avez-vous déjà des pistes sur ce qu'elle sera ? Cette stratégie tiendra-t-elle compte des pouvoirs locaux, en étant différente selon les spécificités des territoires ?

M. Eric Doligé. - Nous avons effectivement bien avancé dans nos travaux, la stratégie devant être terminée avant la fin de l'année. Je dispose des grandes lignes, que je pourrai vous transmettre.

La stratégie nationale définira les grandes orientations incontournables : ce qui doit être protégé, à partir de quand, avec quels moyens. Elle devra être suffisamment ouverte pour ne pas être bloquante. Les stratégies locales seront adaptées en fonction des impératifs spécifiques aux territoires.

M. Louis Nègre, président. - Quid de l'avenir des zones de danger fixées par les PPRI après des travaux d'aménagement ? La position de l'État et de ses services ne paraît pas claire.

M. Eric Doligé. - Elle ne le sera jamais dès lors qu'elle peut varier en fonction des hommes. Il faut se fixer des cadres suffisamment précis, qui n'existent pas aujourd'hui. Nous progressons bien dans ce domaine. Au sein de la commission mixte inondations, les PAPI sont défendus par les élus et les DREAL, représentant l'État donnent leur avis, variable selon les hommes qui les représentent et leurs sensibilités. Ce n'est pas une science exacte.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Certes, mais les objectifs pourraient être hiérarchisés et la prévention des inondations placée en tête.

M. Louis Nègre, président. - Les orientations dépendent actuellement de tel ou tel fonctionnaire. Cela n'est pas satisfaisant pour les élus des collectivités locales qui ne savent pas si les travaux qu'ils mettent en oeuvre permettront ou pas de sortir des zones de danger.

Se pose également le problème de la police de l'eau. La plupart des élus locaux sont remontés contre elle et notamment contre l'office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA), dont les positions ne sont pas toujours comprises. Que devons-nous en penser ?

M. Eric Doligé. - J'ai pu laisser penser que je mettais en cause les DREAL, mais les élus ont également parfois tort. Même avec des règles, il leur arrive de démolir ce qu'avaient bâti d'autres élus, parce qu'ils ont des exigences particulières. Que ce soit l'État, les élus ou les associations, chacun interprète. Une commission mixte présente l'avantage de chercher des solutions équilibrées.

Chaque fois que l'ONEMA a pris des dispositions sur des cours d'eau, le conseil général que je préside a voté contre à l'unanimité, considérant qu'elles ne correspondaient aucunement à la réalité du terrain. Je constate l'existence d'une vraie difficulté à ce niveau.

M. Louis Nègre, président. - Aujourd'hui les PPRI, qui permettent de définir les zones inondables et donc d'avoir au moins connaissance du risque, sont établis par l'État. Les modèles sont différents les uns des autres, en raisons d'interprétations diverses. Par exemple, selon le modèle, les cotes d'inondations peuvent être très différentes. Ce flou conduit à une contestation des PPRI et à des négociations de ces plans entre les élus locaux et les préfets. Pourrions-nous, selon vous, imaginer des PPRIU construits différemment ou avec une autre gouvernance ?

M. Eric Doligé. - Rien ne peut être appliqué sans discussion préalable. En matière de PPRI, il existe des spécificités locales et chaque inondation a sa spécificité. Dans certains secteurs, les zones de danger sont déterminées en fonction de la hauteur de l'eau, mais cette dernière n'a pas les mêmes impacts selon la façon dont elle se produit (vague ou remontée progressive). Le PPRI est important. Cependant, j'ai vu des préfets avoir au début une exigence maximale et adopter progressivement, au fil du temps, une certaine souplesse. Par exemple à Orléans, une aréna doit être construite en zone inondable. Initialement, il était interdit de construire sur cette zone et l'autorisation a finalement été donnée. En effet, une inondation étant prévisible trois jours à l'avance dans ce secteur, toute manifestation éventuellement prévue a le temps d'être annulée. Le PPRI n'a donc pas été appliqué à la lettre.

Nous travaillons beaucoup sur ces sujets actuellement, en essayant d'analyser plus finement les enjeux. Il existe donc une évolution en la matière, comme l'avait montré un discours de Nicolas Sarkozy à Chaillot.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Il a prononcé deux discours. Dans l'un, il préconise la construction en zone inondable et dans l'autre, il défend le contraire.

M. Eric Doligé. - Lorsque je travaillais sur les logements résilients, j'avais rencontré le ministre Benoist Apparu pour évoquer la construction d'éco-quartiers. Alors que le ministère ne s'était aperçu de rien, j'avais constaté que les deux tiers des éco-quartiers étaient construits en zones inondables. Il est extrêmement important qu'une culture du risque soit acquise à tous les niveaux, afin que des précautions soient systématiquement prises. Ce sera déjà un grand pas. Notre travail est positif dans la mesure où il permet de faire évoluer la situation, mais beaucoup de chemin reste à parcourir pour résoudre les problèmes de gouvernance et financiers.

M. Louis Nègre, président. - Avec le temps, il est vrai que nous avons bien évolué. Pour autant, nous ne sommes pas au bout de nos peine avec tous les problèmes de police de l'eau, de moyens, de gouvernance, voire de citoyens, puisqu'ils doivent entretenir leurs berges.

M. Eric Doligé. - Au même titre qu'ils doivent entretenir les trottoirs.

M. Louis Nègre, président. - Dans bien des cas, la collectivité a récupéré cet entretien, mais à son corps défendant et avec l'argent des contribuables. Comme les trottoirs, basculerons-nous selon vous sur l'argent des contribuables de préférence à un entretien effectué par le propriétaire des berges, juridiquement responsable ?

M. Eric Doligé. - Je pense que dans un souci de cohérence et de continuité, il faudra qu'une personne unique assure cette responsabilité. La Loire relève de l'État, mais comme il n'a pas les moyens, il nous demande de plus en plus souvent de l'argent pour assurer son entretien.

Beaucoup reste certes à faire, mais je pense toutefois que nous avançons. Je vous laisse des brochures également consultables sur internet.  

Audition de M. Thierry Libaert, professeur à l'Université de Louvain, président du Laboratoire d'Analyse des Systèmes de Communication d'Organisation (LASCO-Louvain)

M. Louis Nègre, président. - Outre vos fonctions à l'Université de Louvain vous êtes, Monsieur le Professeur, maître de conférences à l'Institut d'études politiques de Paris, membre du comité économique et social européen, directeur scientifique de l'observatoire national des crises et l'auteur de nombreux ouvrages.

Vous avez développé le concept de communication sensible, partant du constat que la notion même de crise avait évolué - se montrant, écrivez-vous, « irréductible aux modèles explicatifs traditionnels » - et que la communication, désormais digitale, rendait caducs les principes de maîtrise de l'information.

Vos travaux récents concernent la communication, la crise, la transparence et l'environnement, thèmes que notre mission a abordés de façon connexe au cours de ses auditions et déplacements, mais qu'il est souhaitable que nous puissions mettre en relation.

Nous comptons sur votre contribution et votre expertise pour nous permettre d'entrer dans cette perspective en abordant les questions relatives l'évolution de la communication en temps de crise et en post-crise, mais également celles touchant aux mécanismes de décision. En effet ces derniers, en posant des règles de prévention, suscitent des interrogations, voire une franche hostilité des élus locaux et des citoyens, faute d'une information et d'une concertation bien conduites, mais aussi en raison de leur caractère contraignant.

M. Thierry Libaert. - Je vous propose de commencer par mes travaux les plus récents - ils datent de deux mois - intitulés : Ce que nous apprennent les rapports des commissions d'enquête. Je me suis basé sur un corpus de quinze rapports produits depuis une vingtaine d'années, tous sujets confondus. J'ai ainsi étudié des crises techniques à la suite d'accidents technologiques (la catastrophe AZF, le Mont Sainte-Odile), des crises en relation avec l'organisation et les défaillances de l'État (commission Outreau), des crises liées à des problématiques climat (les épisodes neigeux en Île-de-France). J'ai également travaillé sur des rapports américains (BP, 11 septembre). Enfin, j'ai étudié des rapports de seconde main tels que celui de Katrina ou le pré-rapport sur Fukushima. Pour avoir une vision explicative sur l'évolution dans le temps, j'ai aussi établi des comparaisons avec le rapport de la commission d'enquête sur le Titanic et les trois rapports sur le Hindenburg.

Pour moi qui découvrais, ce fut une surprise de constater combien le travail réalisé était volumineux et sérieux. Les rapports comportent cent à trois cents pages et ont nécessité de deux mois à trois ans et demi d'un travail toujours collégial. Chaque thème d'étude a fait l'objet d'une centaine d'auditions en moyenne.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Le paradoxe réside dans le fait que ces travaux n'ont généralement pas de suite.

M. Thierry Libaert. - Le travail réalisé est en outre extrêmement technique : la lecture de rapports tels que celui de la catastrophe du Mont Sainte-Odile ou du scandale du Médiator nécessitent un dictionnaire en permanence.

Je passe sur la méthode pour vous présenter les résultats qui me semblent les plus importants.

La lecture de la totalité des rapports donne le sentiment d'une inéluctabilité de l'événement. C'est comme si tout un ensemble d'éléments divers concordaient pour que la crise apparaisse, de manière inéluctable. Le mot qui revient le plus fréquemment dans les rapports est « conjonction ». Ceci est d'autant plus intéressant qu'immédiatement après une crise, nous tendons à penser qu'il n'existe qu'une cause unique, un seul responsable. Or l'analyse montre que la cause n'est jamais unique. Ainsi, la catastrophe de BP est due à la conjonction de six types de problèmes différents et de neuf causes. Pour le Médiator, la commission d'enquête de l'IGAS a déterminé six facteurs déclenchant. J'avais également analysé le retard de quatorze heures d'un train SNCF, dû à cinq causes différentes. Dans le cas des épisodes neigeux, sept causes ont été recensées. L'important est que la causalité est toujours extra disciplinaire ; elle appartient systématiquement à des champs de compétence bien distincts. Alors qu'il existe de nombreuses causes différentes, la lecture des rapports donne le sentiment d'une absence de pilotage global. Cela donne l'impression de plaques tectoniques de nature différente entrant en collision, chacune d'elle pouvant être pilotée mais pas l'ensemble. J'ai constaté qu'à des contrôles administratifs distincts et à des empilements de textes juridiques, vient généralement s'ajouter un événement déclencheur. Comme vous l'avez sans doute vu pour les inondations, la cause n'est pas unique. Elles sont probablement dues à la conjonction d'un événement climatique avec des problèmes d'entretien des digues, d'érosion des sols, etc.

M. Louis Nègre, président.- C'est donc le cumul de toutes ces causes qui produit la catastrophe.

M. Thierry Libaert. - Effectivement, c'est à la fois le cumul des causes, leur interférence et l'absence de vision globale. Un bon exemple pour illustrer ceci est le rapport de la commission d'enquête du FBI sur le 11 septembre. Toutes les informations existaient, mais de manière parcellaire au sein d'organismes divers (CIA, NSA, etc.), sans avoir jamais été mises en commun.

J'ai également constaté la place relativement faible de la communication. Quand elle existe, elle n'est vue que sous l'angle des processus tels que l'alerte ou l'évacuation. Je n'ai quasiment jamais constaté de véritable stratégie de communication définissant des cibles, des messages ou des interlocuteurs relais.

Enfin, les rapports de commissions d'enquête ne mentionnent jamais les hommes comme responsables. Ceux-ci ne sont jamais mis en cause ; seules les procédures le sont. Jamais une erreur humaine n'est relevée.

M. Louis Nègre, président. - Voulez-vous dire que les rapports sont très prudents par rapport aux responsabilités ?

M. Thierry Libaert. - Ils sont en effet très prudents quant aux responsabilités individuelles. Par exemple, dans le rapport sur Outreau, le juge Burgaud n'est jamais mentionné. Pour le Mont-Saint-Odile, le pilote n'est pas cité.

M. Louis Nègre, président. - Sans doute est-ce une volonté de laisser faire la justice.

M. Thierry Libaert. - Peut-être faudrait-il cependant s'interroger sur le facteur humain, car le facteur psychologique de la réaction individuelle en temps de crise a son importance.

Avant de venir, j'ai regardé quelques rapports sur les inondations, sujet que je ne connaissais pas. J'ai constaté qu'ils étaient nombreux. J'ai notamment lu le rapport Galley de 2001 sur les inondations de la Somme ou celui de Thierry Mariani en 1994. Bien que n'étant pas entré dans le détail, j'ai l'impression que les conclusions de mon étude sur les commissions d'enquêtes sont valables pour les inondations. Dans chaque cas, c'est un ensemble de facteurs qui, mis bout à bout, ont contribué à la crise.

Cela me fait penser à la focalisation qui a pu être faite à un moment donné sur l'alerte. L'analyse des crises montre qu'assez souvent, l'alerte a été donnée sans être suivie d'effet. De nombreux exemples en témoignent. Dans le cas de BP, toutes les alertes avaient été lancées. Pour l'explosion de la navette Challenger, l'alerte lancée par les ingénieurs de la NASA n'a pas été écoutée, au prétexte qu'il fallait savoir prendre des risques pour ne pas se faire dépasser par l'Europe ou le Japon. Il semble donc nécessaire de travailler non seulement sur la capacité à donner l'alerte, mais également sur la boucle de rétroaction. Il faut en effet veiller à ce que l'alerte soit prise en compte par les décideurs, parfois occupés par d'autres urgences.

J'ai également constaté que beaucoup de travaux sur les inondations excluent le risque climatique. Les experts interrogés estiment en effet ne pas être en mesure d'affirmer que les événements sont liés au dérèglement climatique. Or le 28 mars dernier, le groupement international d'expert sur le climat (GIEC) a rendu pour la première fois un rapport selon lequel il existe une probabilité pour que le dérèglement climatique amplifie les risques d'événements extrêmes tels que les vagues de chaleur ou de froid, les inondations ou encore les tempêtes. Le document de synthèse d'une vingtaine de pages à l'usage des décideurs, qui évoque un dérèglement climatique et non un réchauffement, les invite à travailler sur la question de la vulnérabilité des populations. En conclusion, le GIEC recommande que les travaux sur les phénomènes météorologiques extrêmes se fassent en lien avec l'adaptation aux risques climatiques.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - En France, nous avons constaté une évolution dans la communication. Traditionnellement, les informations arrivaient au préfet, qui les relayait jusqu'au maire, ce dernier les retransmettant éventuellement à la population. Selon la nouvelle doctrine, l'information doit désormais être diffusée tous azimuts. Mais en fonction de quoi une information est-elle ou non prise en compte ? Le meilleur exemple est celui des alertes orange et rouges de Météo France : à partir de la troisième alerte non suivie d'effets calamiteux, personne ne fait plus attention. Selon vous, comment faire pour que les informations pertinentes soient prises en compte ? Faut-il les diffuser tous azimuts ? Faut-il utiliser des personnes-relais spécifiques ?

M. Thierry Libaert - En premier lieu, il faut savoir qu'en temps de crise, il existe une temporalité du message : il n'a pas la même force en fonction du moment auquel il est diffusé. Généralement, lorsque la crise arrive, les informations ne sont pas écoutées. Durant la phase aigüe, les personnes sont dans l'émotion, dans l'affectif. Après quelques heures, elles sont dans la recherche des causes et des conséquences. Il ne faut pas confondre les deux phases, ce qui a été souvent fait par le passé, notamment par les industriels qui donnaient des informations factuelles. Or en phase aigüe de crise, dans une temporalité d'émotion, les consommateurs n'écoutent pas les messages de rationalisation.

Il est également important d'avoir conscience que les populations occidentales n'ont plus confiance dans les pouvoirs publics ni dans les entreprises. Ce phénomène, particulièrement prononcé en France, s'aggrave régulièrement depuis une quinzaine d'années. Des études internationales menées chaque année en février sur quarante pays montrent des pics historiques de défiance. Il convient donc de s'interroger sur les vecteurs capables de donner des messages avec une dose de crédibilité que n'ont plus les interlocuteurs naturels. Selon le rapport, la confiance perdue par les organismes publics et privés s'est transférée vers le monde des ONG. La population croira plus facilement une association de protection de l'environnement ou une association de consommateurs que les pouvoirs publics, les entreprises, ou même les experts, qui n'inspirent plus autant confiance que par le passé.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. Ceci est d'autant plus surprenant que les ONG ne sont pas plus fiables que d'autres interlocuteurs.

M. Thierry Libaert. - Sans doute ne le sont-elles pas, mais elles ont auprès du public l'image d'organismes désintéressés.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Ce qui est pourtant faux.

M. Thierry Libaert. - Dans l'esprit de la population, si une association de consommateurs se bat contre un produit, c'est dans l'intérêt des consommateurs ; si une association de protection de l'environnement se bat contre une source de pollution, c'est dans l'intérêt de la planète. L'association de protection de l'environnement fait partie du top 5 des organismes inspirant confiance. Cependant, en affinant les questions, il apparaît que si de l'écologie politique est introduite, la confiance décroît. La confiance se porte aussi sur le corps médical en cas de risque industriel. Une étude datant de quelques années démontrait que sur le risque industriel, ce sont les pompiers qui inspirent la plus grande confiance, en raison de leur compétence et de leur objectivité, dès lors qu'ils sont indépendants financièrement. Ces études sont intéressantes pour choisir des relais d'opinion crédibles.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Je pense que la diffusion de l'information en vrac à tout le monde est sans intérêt. En revanche, il nous semble que lorsque l'information est relayée par des personnes de confiance, les chances qu'elle soit prise en compte sont plus grandes. Qu'en pensez-vous ?

M. Thierry Libaert. - Ceci est vrai, mais ce n'est pas suffisant. Outre la prise en compte de la temporalité et le choix de l'interlocuteur le plus crédible, il faut pratiquer la communication comportementale, qui vise à amener un changement, à engager les personnes à agir.

Tout dépend de la manière dont est communiquée l'information. Il apparaît par exemple que le discours alarmiste ne fonctionne pas. En outre, pour diffuser une information, il ne faut pas se contenter d'envoyer un message. Plusieurs outils doivent être employés concomitamment.

Par exemple sur les phénomènes de communication comportementale liés à l'éco-citoyenneté, des tests ont été réalisés sur des quartiers. Envoyer des plaquettes, coller des affiches ou diffuser des spots radio apparaît peu efficace (seulement 14 % des personnes modifient leur comportement). Le porte à porte pour dialoguer est un peu plus efficace, incitant 17 à 18 % de la population à changer son comportement. En revanche, la conjonction de ces modes de communication est très efficace, touchant 38 à 43 % de la population.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Il faut donc des répétiteurs.

M. Thierry Libaert. - Il ne s'agit pas exactement de répétiteurs. Une fois une plaquette distribuée pour exposer le problème, il s'agit d'échanger pour approfondir la question. Les personnes ont alors le sentiment de participer, de pouvoir donner leur avis.

Se pose ensuite la question de la personnalisation. Il se trouve que sur nombre de sujets importants, les personnes ne se sentent jamais réellement concernées à titre personnel. En témoigne la campagne sur la sécurité routière, montrant des accidents et des enfants s'écrasant sur les pare-brises. En voyant la campagne, les personnes disaient : « Elle est bien cette campagne. J'espère que maintenant, les gens vont comprendre ». 95 % des français s'estimant bons conducteurs, ils estimaient que cela concernait les autres, mais pas eux-mêmes. Il en va de même pour la citoyenneté environnementale. Pour qu'une communication soit efficace, chacun doit se sentir concerné. Il faut personnaliser le message.

Par ailleurs, il convient d'éviter d'adopter un discours trop scientifique. Le message, le plus simple possible, doit permettre aux personnes de visualiser les conséquences de l'événement. Ainsi, dans le cas des inondations, est-il préférable d'évoquer l'ampleur de la montée des eaux que le débit du fleuve.

Il faut aussi utiliser les bons outils. Selon une récente étude réalisée sur les outils en cas de crise naturelle, la radio locale d'information est le vecteur bénéficiant de la meilleure audience, devant la télévision ou les radios nationales.

Enfin, selon une étude réalisée sur six catastrophes naturelles dans le monde liées à des phénomènes météorologiques, il convient de répondre aux questions que se posent les populations :

- Que se passe-t-il ?

- Comment suis-je impacté (quelle est la conséquence immédiate pour moi) ?

- Que dois-je faire, quelles consignes dois-je mettre en oeuvre immédiatement pour me protéger ?

- Qu'en est-il de ma famille et de mes proches ?

- Que va-t-il se passer ensuite ?

- Sur qui puis-je compter, qui peut m'aider ?

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Dans le cas précis des inondations, des informations météorologiques vous paraissent-elles de nature à influencer le comportement de la population ? Cela améliore-t-il la capacité à réagir à la crise ?

M. Thierry Libaert. - Je ne sais pas. Je n'ai pas d'avis sur cette question. Dans l'avenir, les crises climatiques et les inondations risquent de se multiplier dans le monde. De ce fait, les populations sont peut-être plus réceptives. Dans le même temps, les informations sont souvent ponctuelles. Je me souviens, habitant à Paris, d'avoir reçu une communication très bien conçue sur le risque d'inondation centennale, au moment du centenaire de cette inondation. Une fois passé cet anniversaire, plus aucune communication n'a été faite, comme si nous étions protégés pour les cent ans à venir, alors qu'il convient au contraire de rester très vigilant. Sans doute faut-il communiquer plus régulièrement.

Les crises ont changé de nature. Pendant longtemps, les travaux relatifs à la gestion de crise étaient liés aux événements extraordinaires, notamment avec l'émergence des risques technologiques majeurs. La météorologie a contribué à des visions de type effet papillon ou théorie du chaos, c'est-à-dire que les crises peuvent survenir en raison de petits grains de sable peut-être mal gérés. Toutes choses égales par ailleurs, la crise H1N1 en témoigne : les crises attendues et pour lesquelles nous nous préparons n'arrivent pas et celles qui surviennent n'ont pas été prévues. La crise est de plus en plus mutante et protéiforme, en recomposition permanente, un peu comme un virus informatique ou biologique. Il faut sans doute améliorer la culture du risque.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Justement, comment définir la culture du risque ? En quoi consiste-t-elle ? Il faut faire le tri entre les informations. Les phénomènes de rumeur sont récurrents, rumeurs qui se propagent, sans que nous sachions pourquoi ni comment. Dans le Var, une rumeur a ainsi circulé, selon laquelle un barrage, celui de Carcès, allait se rompre. Chacun était persuadé de tenir cette disposer d'une source très sûre. Quel type d'information rectificative peut être efficace en pareil cas ?

M. Thierry Libaert. - La communication de crise reste un domaine embryonnaire. Démentir est difficile car cela revient à donner une crédibilité à la rumeur. Les études montrent que la rumeur circule tant qu'elle permet à ceux qui la propagent de se valoriser. Le meilleur moyen de la combattre est de mettre en évidence le côté crédule de la personne qui la fait circuler. La rumeur d'Orléans, selon laquelle des femmes disparaissaient dans des cabines d'essayage, a cessé lorsqu'il a pu être prouvé qu'elle avait un caractère antisémite, tous les commerçants visés étant juifs.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. -Dans le cas des inondations, il est difficile de faire des annonces personnalisées. Existe-t-il un type de parole permettant de faire décroître les rumeurs alarmistes ?

M. Thierry Libaert. - Je pense qu'il n'existe sans doute pas de réponse nationale. Il faut, selon les circonstances, repérer les acteurs crédibles. Je crois beaucoup aux acteurs locaux. Il convient de déterminer, comme cela a été fait pour les risques industriels, en qui les populations ont confiance. Selon un travail réalisé aux États-Unis sur les pressions sociales, les gens bougent beaucoup plus dès lors qu'il leur est démontré que des personnes qui leur ressemblent font la même chose. C'est la théorie dite « des coups de pouce ». Personne n'a envie de se sacrifier pour les autres, mais si d'autres qui nous ressemblent agissent comme nous, nous sommes davantage enclins à modifier nos comportements.

M. Louis Nègre, président. - Je souhaite revenir sur la défiance à l'égard des autorités, qui selon vous s'aggrave dans tous les pays occidentaux. A quoi tient-elle ?

M. Thierry Libaert. - Il existe en France un passif de gestion des crises, que les pouvoirs publics ont toujours minimisé, qu'il s'agisse du sang contaminé, de la vache folle, de l'amiante ou encore de Tchernobyl. La population a eu le sentiment d'une ultra rassurance et d'une ultra minimisation de la part de l'État. De ce fait, dans les moments les plus importants pour leur intégrité physique, les personnes n'ont plus confiance dans l'État. Le gouvernement n'a jamais dit que le nuage radioactif de Tchernobyl s'était arrêté à la frontière du pays. Pourtant, dans l'esprit des gens, c'est ce qui a été dit.

M. Louis Nègre, président. - Personnellement, je fais remonter cette défiance à Tchernobyl. A l'époque, j'ai reçu des amis italiens. La communication de leur gouvernement - ce pays n'avait pas de centrales atomiques comme la France - était inverse de celle du gouvernement français. Ainsi, alors que nous nous apprêtions à manger des cerises, mon ami m'a indiqué qu'en Italie, ceci était fortement déconseillé.

M. Thierry Libaert. - En Belgique, j'ai été témoin d'une différence de communication similaire entre la Wallonie et la Flandre. Cependant, selon les travaux d'un historien sur les peurs au moyen-âge, lors de la grande peste qui a décimé un Français sur trois, les pouvoirs publics se voulaient déjà très rassurants.

Il me semble qu'en France, la communication de crise a connu une véritable rupture lors de la canicule de 2003. C'est à cette occasion que les services du premier ministre ont demandé la première grande étude sur la communication de crise. En 2005, une circulaire était adressée à tous les préfets sur ce thème. La même année, un département dédié à la communication de crise était créé au sein du service d'information du Gouvernement. Une évolution a donc eu lieu.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Cela reste toujours néanmoins sur le thème « on contrôle ».

M. Thierry Libaert. - C'est vrai, mais l'idée de rassurance immédiate est moins présente. L'épisode H1N1 en témoigne. Pour la première fois, le Gouvernement n'a pas cherché à cacher le risque et la potentielle gravité de la situation, en demandant aux populations de se faire vacciner. Cette crise a été selon moi le révélateur d'un tournant, et sans doute également de la difficulté de l'exercice, dès lors que la crise ne s'est finalement pas produite.

Lors de Katrina, la question de la gouvernance, le besoin de sentir qu'il existait un pilote, occupait une grande place dans les préoccupations des citoyens. C'est dans de tels moments que les populations attendent beaucoup de l'ETA.

M. Louis Nègre, président. - Ils attendent beaucoup de l'État, à condition qu'il ne les trompe pas. Dans le cas de Fukushima, nous avions le sentiment que l'exploitant comme le gouvernement japonais tendaient à expliquer que tout est sous contrôle. Concernant la grippe H1N1, mon sentiment est que la communication n'est pas si réussie, comme en témoigne le stock de vaccins à l'issue de la crise, double de celui de nos voisins allemands et anglais. Il semble que nous en ayons trop fait. Pourquoi des gouvernements quasiment équivalents au nôtre ont-ils réagi si différemment, avec des décisions conduisant à des dépenses nettement moindres ? Pour les politiques, le pilotage d'une crise est très difficile dès lors que s'ils en font trop, cela leur est également reproché.

M. Thierry Libaert. - Si le politique n'est pas présent en temps de crise, il se le voit reprocher. Dans le même temps, sa présence est vue comme une récupération. Il en est ainsi. Il faut l'accepter.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Savez-vous expliquer la vitesse avec laquelle ces catastrophes sont oubliées ? Les inondations du Var en 2011 constituent le point de départ de notre réflexion. Cependant, alors que les inondations apparaissent tous les trois à cinq ans, chacune apparaît comme une nouveauté.

M. Thierry Libaert. - Je n'ai pas vu d'étude portant sur la mémoire des inondations. Il existe des crises pour lesquelles la mémoire est très forte, notamment celles qui touchent à la santé, à l'environnement (souvent lorsqu'il existe une relation avec la santé) ou aux enfants. Les crises industrielles ou celles relatives à de la corruption sont par contre beaucoup plus vite oubliées que celles qui touchent à l'intégrité physique des personnes. Ainsi, la crise Perrier, celle du talc Morhange ou encore de la toxine dans le Coca Cola sont encore dans les mémoires.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Cela reste abstrait, alors que même en vivant dans des lieux ayant déjà subi des inondations, les personnes oublient que cela peut se reproduire et être extrêmement dangereux. Le cas de la crue centennale de la Seine à Paris que vous avez cité montre que le vocabulaire est inadéquat. Centennal signifie tous les cent ans, alors que ce n'est pas le cas. Est-ce un problème de vocabulaire ? L'humanité a-t-elle besoin, pour continuer à vivre, de ne pas s'embarrasser de craintes ?

M. Thierry Libaert. - Je n'ai pas vu d'étude sur ce sujet, mais je vais vous donner mon sentiment. La France est très attachée à la propriété privée, c'est pourquoi, même en présence d'un risque, les personnes ne veulent pas quitter leurs maisons. Chacun a en outre l'impression qu'il pourra passer entre les gouttes. Enfin, ils veulent croire que dès lors que c'est arrivé, cela ne se reproduira pas avant dix ou quinze ans.

Je reviens sur les messages relatifs aux événements climatiques pour vous citer un exemple de communication qui a bien fonctionné. Lors de la tempête du 26 décembre 1999, EDF a si bien communiqué qu'elle est devenue, dans les semaines qui ont suivi, l'entreprise préférée des Français. Peu avant la tempête, l'entreprise avait bénéficié du retour d'expérience de son homologue au Québec, qui avait subi un événement similaire. Suivant les conseils donnés par Hydro-Québec, EDF :

- a évité de faire des promesses qu'elle ne pouvait tenir, afin de ne pas faire monter le ressentiment ;

- s'est conduite en entreprise « grand frère », c'est-à-dire s'est efforcée de donner des conseils pratiques à la population ;

- a communiqué le moins possible, mais a toujours cherché à ce que soient diffusées des images la montrant toujours sur le terrain.

Enfin, il me paraît également primordial de veiller à la cohérence des discours, pour que la population n'ait pas le sentiment qu'on lui dissimule quelque chose.

Audition de Mlle Mathilde Gralepois, maître de conférence au Département Aménagement de l'Université de Tours

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Nous nous posons la question des modèles et de leur fiabilité ; il ne faut pas leur faire dire plus qu'ils ne le peuvent. Comment traduire en règlementation d'urbanisme l'existence de risques ? Étant élus locaux, nous savons que la réalité a peu de rapport avec la fiction selon laquelle les risques sont scientifiquement évalués et traduits sur des cartes. Selon notre expérience, comme vos études semblent le montrer, les cartes de zones inondables sont le résultat de négociations et leur caractère scientifique reste encore à démontrer. Pourriez-vous nous rappeler le résultat de vos études qui, s'agissant des risques technologiques et des inondations, ont porté sur la manière dont sont menées ces négociations entre les élus et les préfets ? Pour reprendre l'expression d'une personnalité que nous avons reçue, pour le maire, l'adversaire n'est pas l'inondation, mais le PPRI. Quelles sont vos conclusions ?

Mme Mathilde Gralepois - Je vous remercie de me convier à cette mission d'information sur les inondations. Je suis enseignant-chercheur à l'Université, avec une formation en sciences politiques. Mes travaux portent à la fois sur les outils permettant la prise en compte des risques dans l'aménagement du territoire et sur les acteurs qui les utilisent et les construisent, avec une entrée plus spécifique sur les acteurs locaux que sont les communes et les groupements de communes. Je m'interroge sur le rôle de la maîtrise de l'urbanisme dans le processus de prévention et de gestion des risques d'inondation, avec la spécificité d'avoir plutôt travaillé sur des crues lentes (Loire, Seine et Rhône dans l'agglomération lyonnaise).

Actuellement, les plans de prévention des risques d'inondation (PPRI) sont en cours de révision. Les différents rapports constatent la pérennité d'une répartition des rôles quelque peu conflictuelle entre l'État, qui assure la sécurité, l'équité et l'expertise officielle des territoires, et les communes dans leur mission de développement et d'aménagement. Pourtant, ces rôles sont transformés par l'évolution des conditions concrètes de leur exercice, notamment du côté de l'État, avec la transformation de ses services déconcentrés au niveau local se traduisant par la recomposition des directions départementales des territoires (DDT), des DREAL et des services préfectoraux - notamment les services interministériels de défense civile - suite à la RGPP. La modification des services de l'Etat entraîne des contradictions : ils restent garants de la sécurité et de l'équité, tout en subissant la réduction de leurs moyens budgétaires et techniques, qui les fragilise. Cette fragilité se traduit dans la construction de la connaissance du risque - l'État local recoure en effet de plus en plus à des bureaux d'expertise - mais également dans la prise de décision. Pour défendre sa légitimité au sein du processus de décision, l'État tend à contrôler la participation des collectivités locales.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Si je comprends bien, la répartition théorique des rôles entre l'Etat et les collectivités s'est trouvé complètement modifiée parce que l'Etat n'a plus les moyens d'assurer ce qu'il est censé assurer, notamment en matière d'expertise. Ceci l'amène à se concentrer sur ses fonctions dites un peu vite, régaliennes. Il est d'autant plus crispé lors de la prise de décision que ses moyens d'expertise se réduisent, l'empêchant d'avancer des arguments techniquement fondés.

Mme Mathilde Gralepois. - En parallèle, les collectivités locales voient généralement leurs budgets augmenter, bien que nous soyons en période de restriction budgétaire des pouvoirs publics. Certaines collectivités, notamment les grandes communes ou les communautés urbaines, sont en effet parfois capables de déployer des moyens financiers, humains et techniques que l'État n'a plus. En outre, les compétences qui leur sont transférées tendent à faire vaciller la répartition traditionnelle des rôles. Par exemple, sur certains tronçons de fleuves, les collectivités locales se retrouvent gestionnaires de la surveillance et de l'entretien des digues, ainsi que d'une partie de l'alerte et de la vigilance sur les risques. La constitution des plans communaux de sauvegarde, suite à la loi de modernisation de la sécurité civile de 2004, a également, de son côté, réinterrogé la construction théorique selon laquelle le secours relève de l'Etat et la sauvegarde des communes. Cette frontière entre secours et sauvegarde est devenue très poreuse. Des communes capables de produire de l'expertise en viennent à gérer le secours, par exemple en réalisant les plans d'évacuation des populations sous l'égide et de contrôle des préfectures, ces dernières se positionnant surtout en réception de cette connaissance.

J'ai décidé d'articuler ma présentation autour d'une question volontairement provocatrice : au vu du contexte actuel, n'existe-t-il pas une nécessité de confier la totalité de la politique de prévention et de gestion des risques d'inondation aux collectivités locales, notamment aux communes et aux intercommunalités ?

Je n'apporterai pas de réponse à la place du législateur. En revanche, je vais participer à la réflexion en proposant deux axes de réflexion. Si la totalité de la politique de prévention et de gestion des risques d'inondation était entièrement déléguée aux communes, il faudrait sans doute réinterroger l'organisation intercommunale, mais également les outils de maîtrise de l'urbanisme utilisés dans la prévention des risques.

Concernant l'organisation municipale, je pense qu'il faudrait donner une place à part à la prévention et à la gestion des risques d'inondation dans les organigrammes. En effet, il n'existe pas aujourd'hui d'organisation standardisée. Selon l'histoire locale, la prévention et la gestion des risques se retrouvent dans un service d'urbanisme, de sécurité civile, d'environnement ou de réseaux.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Ceci est assez normal puisque la prévention et la gestion des risques relèvent en principe de l'État.

Mme Mathilde Gralepois. - Effectivement, depuis que les pompiers ont quitté les corps municipaux en 1994, les communes ont perdu la compétence qui leur permettait depuis des décennies de diagnostiquer les risques à l'échelle municipale.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Cette compétence n'a pas été complètement perdue, les maires étant toujours en liaison avec leurs pompiers. L'organisation des communes tient compte du fait que, dès que plusieurs communes sont concernées, les décisions relèvent du préfet. C'est la raison pour laquelle il n'existe pas d'organisation stricte comme cela peut exister à l'étranger, où les crises se gèrent localement.

Mme Mathilde Gralepois. - Pour la gestion des crises, la question peut effectivement se poser. En revanche, pour ce qui concerne la prévention des risques, notamment leur prise en compte dans l'aménagement et l'urbanisme, je constate qu'il manque aujourd'hui un espace de connaissance.

M. Louis Nègre, président. - Sur quoi vous basez-vous pour affirmer cela ? Dans ma commune, il existe un PPRI. Mes services de l'urbanisme en ont conscience, ainsi que mes propriétaires fonciers. Où est le problème ?

Mme Mathilde Gralepois. - Il existe plusieurs niveaux de réponse à cette question. Le plan de prévention des risques délivre des prescriptions dans le cadre de la délivrance des permis de construire. Pour une partie des services de l'urbanisme, ces prescriptions sont vécues comme autant de contraintes qui, lorsqu'elles sont mises en oeuvre, peuvent entrer en contradiction avec une parcelle voisine déjà construite. Ces différences sont finalement préjudiciables et peuvent générer des risques là où le règlement cherche à les diminuer.

M. Louis Nègre, président. - Vous êtes en train de dire que les contraintes locales sont gommées au profit de la constructibilité.

Mme Mathilde Gralepois. - Non, car lorsqu'un PPRI présente des contraintes, elles sont globalement respectées. En revanche, elles peuvent produire des effets contradictoires lorsqu'elles sont prises en compte à la parcelle, sans intégrer une réflexion plus large. En outre, bien que les règlements inscrits dans les PPRI semblent a priori très précis, il apparaît que les contraintes peuvent être réinterprétées par les architectes, promoteurs et entreprises de travaux publics qui les mettent en oeuvre.

Ainsi, dans l'agglomération de Tours, en dépit d'un PPRI très précis, des expérimentations de construction tenant compte des contraintes produisent des bâtiments qui, finalement, génèrent d'autres lieux de rétention de l'eau et d'autres risques pour la sécurité des personnes.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Voulez-vous dire qu'en raisonnant par parcelle, nous méconnaissons que chaque construction a un effet sur l'ensemble dont les conséquences sont, sinon imprévisibles, du moins imprévues ?

Mme Mathilde Gralepois. - Oui.

M. Louis Nègre, président. - Pouvez-vous citer un exemple dans lequel le respect des prescriptions pour chaque construction produit néanmoins un effet inverse de celui escompté ?

Mme Mathilde Gralepois. - Je vais en citer deux. Le premier concerne une ville ayant subi une inondation importante en 2003 et ayant néanmoins souhaité poursuivre la construction d'un quartier qui avait pourtant été inondé. Le PPRI imposait l'élévation des rez-de-chaussée, occupés par du stationnement, la réalisation de points de rassemblement, des coursives reliant les bâtiments pour faciliter l'évacuation, etc. Il s'avère que ce type de bâti peut engendrer des risques nouveaux en cas d'inondation, différents de ceux qu'ils permettent de parer. Par exemple, les parkings sont conçus pour empêcher l'eau d'entrer jusqu'à un certain seuil. Si ce seuil est dépassé, ils deviennent de véritables piscines, constituant un danger supplémentaire pour les personnes. Les constructions n'ayant encore jamais été mises à l'épreuve des faits, la connaissance des conséquences n'est pas stabilisée. En outre, ce type de quartier pose d'autres problèmes : les rez-de chaussée n'étant pas de plain-pied, ils sont difficiles à commercialiser et la forme urbaine rend le quartier non désirable. Elle renvoie à un urbanisme sur dalle d'après-guerre, donnant de la ville une image assez éloignée de celle que les urbanistes tentent de lui donner aujourd'hui. Les services de sécurité civile s'opposent par ailleurs à ces formes urbaines, argumentant qu'il s'agit d'espaces pouvant conduire à de l'occupation non contrôlée. Ainsi, en appliquant un plan de prévention des risques comportant des prescriptions d'urbanisme à la parcelle et non intégrées dans un projet urbain, les constructions peuvent présenter des risques.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - N'est-ce pas le même type de problème que celui que vous signaliez dans votre article sur Caluire, qui s'est finalement vidée partiellement de sa substance en appliquant son PPRI ?

Mme Mathilde Gralepois. - Effectivement, cela fait également partie de l'argumentaire repris par les élus, selon lequel les plans de prévention des risques ne proposant que de la réglementation sans entrer dans les projets de territoires, ils génèrent des contraintes qui réduisent les dynamiques de renouvellement urbain et peuvent conduire à la désertification des centre-ville ou à l'impossibilité de retravailler l'urbain existant. Une grande partie des débats sur les PPRI porte sur la mise en constructibilité de secteurs qui pourraient être urbanisés alors qu'ils sont placés en zones inondables. Mais il faut aussi poser la question de l'urbanisme existant. Du point de vue des services de l'urbanisme, les contraintes de l'urbanisme n'apportent pas de solution. Ils contraignent en effet le renouvellement urbain nécessitant de retravailler la mixité des fonctions, les morphologies, ou encore les hauteurs.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - S'agit-il d'arguments avancés parce qu'ils arrangent les élus ou est-ce votre sentiment personnel ?

M. Louis Nègre, président. - Pour prolonger cette question, quelle est votre position en tant que spécialiste de l'aménagement urbain face au problème du risque, qui n'est pas négligeable ?

Mme Mathilde Gralepois. - Selon moi, si un quartier doit continuer à être un lieu de vie - ceux que j'ai étudiés sont généralement des quartiers historiques ayant vocation à rester des quartiers urbains dans l'avenir - il faut pouvoir continuer à intervenir dessus. Sans intervention, ces quartiers vont poser problème, ne serait-ce qu'en raison d'enjeux énergétiques, le patrimoine immobilier pouvant être très ancien. Autre exemple, les tailles d'appartements évoluant dans les centres urbains, il faut être en mesure de réagencer les formes urbaines, pour éviter de voir partir la population.

M. Louis Nègre, président. Que proposez-vous ?

Mme Mathilde Gralepois. - Il faut que les PPRI s'inscrivent dans les projets urbains. Cela permettrait aux maires de mieux défendre les restrictions de constructibilité et éviterait qu'apparaissent des contradictions à l'échelle supérieure du territoire.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Le problème vient donc de ce que ces documents d'urbanisme sont statiques et ne s'inscrivent pas dans un projet de développement.

Mme Mathilde Gralepois. - A titre d'exemple, je connais trois communes dans les environs de Tours, impactées significativement par le PPRI. L'une, Saint-Pierre-des-Corps, est ouvrière ; la seconde, Tours, comporte un centre historique et la troisième, La Riche, est résidentielle. Toutes trois, dans le projet de territoire de l'agglomération, ont des vocations différentes et complémentaires. Si elles appliquaient le PPRI sans dialoguer entre elles, elles passeraient à côté d'une partie de l'enjeu relatif à la maîtrise de l'urbanisme. Certaines communes ont vocation à rester des centres urbains quand d'autres sont plutôt destinées à développer des activités économiques. En matière de prévention des risques, il me paraît important de prendre en compte ces dynamiques de développement. A défaut, toutes risquent de s'orienter vers un même type de développement (zones d'activité commerciale, logement social ou autre). Aujourd'hui, le PPRI est vécu comme une contrainte qui n'alimente pas la réflexion du projet urbain.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Donc, le PPRI ignore le projet urbain, ou empêche un projet urbain cohérent.

Mme Mathilde Gralepois. - Les décalages temporels entre les moments où sont instruits les plans locaux d'urbanisme et ceux où sont approuvés les PPRI sont significatifs de l'absence de communication entre ces deux documents. Le rôle du PPRI mériterait sans doute d'être clarifié. S'il est un document destiné à produire du règlement et de la servitude, la difficulté est qu'il ne produit pas de solution technique. Il donne l'impression de suivre une logique exhaustive alors que finalement, nombreux sont les sujets qu'il ne traite pas. Très précis sur certains points, il n'en éclaire pas d'autres. Ainsi, le PPRI ne s'intéresse qu'à l'urbanisme futur et non à l'existant ; il ignore également l'urbanisme souterrain et donc les réseaux. Il ne s'intéresse pas non plus à l'organisation de la collecte et du traitement des déchets. Les questions relatives aux grandes infrastructures de services urbains locaux ne sont pas prises en compte. Si le PPRI devenait un outil d'aménagement, il ne relèverait alors sans doute plus de la compétence de l'Etat.

M. Louis Nègre, président. - Les trois communes que vous avez citées ont-elles un PPRI, avec des zones rouges, bleues et blanches ?

Mme Mathilde Gralepois. - Oui, elles en ont un.

M. Louis Nègre, président. - Il est admis aujourd'hui par les populations que les zones rouges sont dangereuses. Chez nous, elles ne sont quasiment plus construites. En revanche, nous construisons en zones bleues, en prenant certaines précautions, à l'image de ce qui se pratique à Avignon. Je comprends bien que la forme urbaine de la dalle soit peu attractive et qu'il existe une contradiction entre ce qu'impose le PPRI et une vie urbaine normale. Cependant, je suis maire et le risque peut concerner la vie des personnes. Risqueriez-vous la vie des gens pour avoir des formes urbaines plus attractives ? Quelle solution proposez-vous ?

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Comment intégrer la dimension de la sécurité dans celle de la dynamique ? Nous savons que tel qu'il est conçu et appliqué, le PPRI ne le permet pas, créant au moins autant de problèmes qu'il n'en résout. Vous suggérez qu'il s'ouvre donc à d'autres perspectives, notamment en intégrant un projet de développement. Vous dites aussi que le PPRI peut induire des effets pervers imprévus, une succession de décisions urbanistiques positives pouvant en effet conduire à des conséquences négatives. Comment envisageriez-vous la mise en place des modalités d'élaboration de ces documents, qui ne seraient plus des PPRI, et qui permettraient de concilier autant que possible la protection des personnes avec une dynamique urbaine ?

M. Louis Nègre, président. - Cette question est au coeur de nos réflexions sur l'aménagement du territoire.

Mme Mathilde Gralepois. - Je pense qu'un des enjeux est l'émergence de nouveaux métiers, voire de nouvelles filières économiques, dans les domaines de la construction ou de l'architecture. Il me semble que les différentes compétences permettant la prise en compte du risque dans l'aménagement ne sont pas sur des logiques professionnelles et culturelles favorables à la communication. Les services de l'urbanisme recherchent le développement territorial, les services de l'environnement sont favorables à un retour à du périurbain maraîcher et souhaitent voir stoppée la construction dans les espaces inondables et les services de sécurité civile s'inquiètent des espaces qui, n'étant plus urbains, apparaissent difficiles à contrôler. Par exemple à Blois, qui a restitué tout son déversoir en procédant à des expropriations et à une désurbanisation, les services de sécurité civile s'inquiètent des nouveaux usages du territoire concerné.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Cela signifie-t-il que des populations s'installent sur cette zone alors que cela n'est pas souhaité ?

Mme Mathilde Gralepois. - Il ne s'agit pas nécessairement d'habitat. Lorsque j'y suis allée, des propriétaires utilisaient les terrains de tennis de l'ancien déversoir pour entraîner leurs chevaux à la course d'obstacles.

M. Louis Nègre, président. Quel était le problème ?

Mme Mathilde Gralepois. - Cet usage n'avait pas été anticipé les services municipaux et génère des problèmes pour le service des espaces verts. Les machines ne peuvent plus circuler dans les zones labourées par le galop des chevaux.

M. Louis Nègre, président. - Il s'agit donc d'une occupation inadaptée du terrain.

Mme Mathilde Gralepois. - Je pense qu'il existe un espace transversal de prévention et de gestion des risques, qui n'est plus occupé par les communes. Il se situe à la frontière de la sécurité civile, de l'environnement et de l'urbanisme, faisant le lien entre les différentes interrogations en matière de prévention des risques et de diagnostic. Aujourd'hui, cette multidisciplinarité est rare dans les communes et lorsqu'elle existe, elle est peu légitime, car peu portée politiquement. En effet, rares sont les communes ayant des élus qui portent politiquement la question de la prévention des risques. L'émergence des questions de développement durable a fait naître l'espoir de voir mieux portées les questions de préventions des risques, en les réintégrant au coeur des dimensions économiques, sociales et environnementales. Cependant, à l'échelle des communes, les personnes chargées du développement durable ne se sentent pas investies de la prévention des risques majeurs, car elle relève de la sécurité. Finalement, la thématique des risques se trouve souvent orpheline.

M. Pierre-Yves Collombat. - Le fait que cette thématique soit renvoyée à des problèmes de sécurité bloque la réflexion.

Mme Mathilde Gralepois. - Aujourd'hui, la réflexion a effectivement peu d'espace.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Si la prévention était pensée en termes de développement et de projet urbain, il serait donc plus aisé de prendre en compte, selon vous, la totalité des paramètres.

Mme Mathilde Gralepois. - Il existe là un espace métier qui nécessiterait d'être porté politiquement et légitimé.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Connaîtriez-vous un exemple de commune qui aurait réussi à appréhender le problème sous le bon angle ?

Mme Mathilde Gralepois. - Je peux citer deux exemples différents. Le premier concerne la communauté urbaine de Nantes, où des services sont désormais dédiés à la prévention et à la gestion des risques au niveau intercommunal, ce qui peut toutefois poser question quant à légitimité de cet échelon pour prendre en charge une telle politique et à son autonomie à l'égard du pouvoir municipal. Ce service joue le rôle d'intermédiaire entre les différents aspects de la politique de prévention, dont l'aménagement. Il a notamment réalisé une carte d'aléas à l'échelle de l'intercommunalité, au moment où Nantes-Métropole réalisait le plan local d'urbanisme de ses communes. Les risques recensés allaient au-delà de la définition des risques majeurs donnée par les services de l'État. La carte interrogeait par exemple les interactions entre les débordements de petits cours d'eau, qui ne font pas l'objet de PPRI. Étaient également recensées des zones d'inondation connues, dues à d'autres phénomènes que les crues du fleuve. La carte montrait également l'interaction entre différentes formes de risques, par exemple entre la présence de zones inondables et de zones industrielles.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Cela reste dans la même logique de recensement des aléas et de zonage. Cela a-t-il été intégré dans un projet d'aménagement du territoire ?

Mme Mathilde Gralepois. - Oui, puisque cette carte a été réalisée en même temps que les plans locaux d'urbanisme et par la même institution.

Mon autre exemple, très différent, concerne la commune de Blois, qui a décidé de tirer un trait sur le développement urbain de toute sa rive sud, en accord avec le PPRI qu'elle a appliqué au pied de la lettre. Cet espace, situé au coeur de l'agglomération, a donc été entièrement désurbanisé. La ville ne se développera plus que sur la rive nord. Il ne reste qu'un quartier sur la rive sud, sur lequel plus aucun permis de construire ni d'agrandissement ou de modification n'est attribué.

M. Louis Nègre, président. - Comment ceci est-il vécu ?

Mme Mathilde Gralepois. - Ceci est vécu par les élus comme par les habitants de manière très douloureuse.

M. Louis Nègre, président. - Le Fonds Barnier n'intervient-il pas, dès lors qu'il s'agit d'un aléa fort ?

Mme Mathilde Gralepois. - Les expropriations ont été financées par plusieurs partenaires.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Quelle a été l'influence de cette décision sur la dynamique urbaine ?

Mme Mathilde Gralepois. - Il s'agissait d'un lieu dans lequel il était projeté d'harmoniser la répartition du logement dense, celui-ci ainsi que l'habitat collectif à caractère social étant particulièrement concentré au nord de l'agglomération. La décision de désurbaniser a donc abouti à l'accentuation du phénomène de concentration. Lorsque la prévention des risques n'est pas intégrée dans une logique de projet de territoire, elle peut contribuer au renforcement d'autres problèmes ou aller à l'encontre d'objectifs de développement.

M. Louis Nègre, président. - Il existe des risques d'inondation substantiellement différents, selon que les zones sont rouges, bleues ou blanches. En zone bleue il est possible de construire. N'est-il pas possible selon vous d'intégrer le risque dans le développement urbain, dès lors bien entendu qu'il est modéré ?

Mme Mathilde Gralepois. - Je pense qu'il existe aujourd'hui un champ d'étude et de diagnostic qui n'est pas investi. Il s'agirait par exemple d'étudier l'aménagement du territoire dans des zones inondables en travaillant sur des paramètres tels que les fonctions urbaines ou les morphologies. Un champ de compétence, mélange d'ingénierie urbaine et hydraulique, pourrait par exemple préconiser une disposition d'immeubles de préférence à une autre pour une meilleure résilience. La décision peut aussi consister à ne construire que pour accueillir des activités commerciales diurnes. Actuellement, la réglementation n'entre pas dans ces considérations. Sans doute les réflexions pourraient-elles aussi porter sur le choix des matériaux ou le traitement de l'espace public.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Nous n'en sommes qu'aux balbutiements.

Mme Mathilde Gralepois. - C'est vrai. Les quartiers résilients existant aujourd'hui restent dans des logiques de réponses techniques. Les fonctions, la morphologie ou les espaces publics n'entrent pas dans les réflexions. Ces dernières pourraient même peut-être aller plus loin, en segmentant les populations afin de déterminer lesquelles seraient les mieux à même de vivre dans ces quartiers, par exemple des populations mobiles de préférence à des maisons de retraite.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - J'aimerais que vous nous parliez des négociations entre les maires et les préfets dans le cadre des PPRI.

Mme Mathilde Gralepois. - Je constate qu'aujourd'hui, il existe des collectivités locales qui peuvent entrer dans des jeux d'expertise et de contre-expertise que les services de l'Etat ne peuvent pas se permettre. Si une collectivité dispose d'un budget suffisant pour faire appel à un grand bureau d'étude, elle peut être en mesure de contester point par point les modèles proposés par l'Etat.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - J'ai fait cette remarque à un préfet. Il existe une inégalité de traitement de fait entre une collectivité locale disposant de moyens importants lui permettant d'argumenter et une commune moins favorisée financièrement, qui se verra imposer les décisions de manière beaucoup plus expéditive. Je ne l'ai pas convaincu !

Mme Mathilde Gralepois. - Les différences de ressources créent sans nul doute des inégalités de fait.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Nous avons vraiment l'impression que cette approche des problèmes reste à l'état de perspective. Cela rejoint notre vision. Vouloir penser l'inondation uniquement en termes de protection et de sécurité conduit à des impasses.

Mme Mathilde Gralepois. - Si les outils de prévention des risques ne cherchent pas à s'intégrer totalement dans le projet urbain, ce sont au final les services de l'urbanisme qui ont le dernier mot, ne serait-ce qu'au moment de l'attribution du permis de construire.

M. Louis Nègre, président. - Peu de maires, dites-vous, portent la prévention des risques. Pourquoi, alors que par définition, ils sont les premiers responsables ?

Mme Mathilde Gralepois. - Sans doute parce qu'il convient de clarifier les responsabilités relevant de l'Etat et celles relevant des maires, car il existe souvent une ambigüité quant à la répartition des compétences. Il est également ancré dans les esprits que la responsabilité est celle du maire et non de ses adjoints ou des autres conseillers municipaux. En conséquence, la prévention des risques n'est pas vue comme une compétence devant faire l'objet d'une délégation à un adjoint, comme le sont la petite enfance, l'urbanisme ou encore la culture ou le développement économique.

Audition de Mme Florence Jacquinod, chargée de recherche à l'Université de Saint Etienne, sur la géo-visualisation en trois dimensions et de M. Julien Langumier, chercheur associé au laboratoire RIVES et chargé de mission à la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement de la région Rhône-Alpes

M. Louis Nègre, président. - Nous recevons à présent, Mme Florence Jacquinod, chargée de recherche à l'Université de Saint Etienne et M. Julien Langumier, chargé de mission à la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement de la région Rhône-Alpes,

Vous avez réalisé un système de simulation en 3D du risque inondation. Il constitue un outil très pratique, pour apprécier les conséquences de cet aléa et pourrait permettre aux différentes parties prenantes de mieux en appréhender la réalité.

Pour parfaitement éclairer les membres de la mission sur les possibilités technologiques disponibles pour mieux représenter le risque, je vous propose de vous présenter et d'ensuite nous exposer le fruit de vos travaux.

Mme Florence Jacquinod, chargée de recherche à l'Université de Saint Etienne. - Je fais actuellement une thèse dans l'unité mixte de recherche du CNRS « Environnement Ville et Société » à Lyon et Saint-Etienne, sur l'utilisation des géo-visualisations 3D. Ce néologisme est employé pour distinguer ces représentations des jeux vidéo et du cinéma et préciser qu'il s'agit d'outils de géographie destinés aux aménageurs. Mes travaux portent sur ce que ces représentations peuvent apporter à la gouvernance des territoires. Ma démarche est pragmatique. Dès lors que les outils sont innovants et un peu compliqués à mettre en oeuvre, plutôt que de les tester en laboratoire, je procède à des expérimentations sur des projets réels. Je mets donc les outils à la disposition des acteurs locaux et je procède à une analyse sociologique de la manière dont ces outils servent aux aménageurs.

Je finance cette aide grâce à un contrat de recherche que je réalise à l'université de Saint-Etienne, totalement appliqué à la politique de prévention des risques d'inondations.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Plus qu'à l'outil lui-même, vous vous intéressez donc à la façon dont il est utilisé.

M. Julien Langumier, chercheur associé au laboratoire RIVES et chargé de mission à la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement de la région Rhône-Alpes -. Pour ma part, j'ai cumule deux fonctions. Je suis chercheur en sciences sociales et j'ai soutenu une thèse en ethnologie et anthropologie sociales en 2006. Pour ce faire, j'ai travaillé sur les inondations de 1999 dans les basses plaines de l'Aude, plus particulièrement sur le village de Cuxac-d'Aude. Dans ce cadre, j'ai abordé trois questions :

- le vécu de la catastrophe en procédant par enquête auprès des habitants sinistrés à propos du traumatisme de la catastrophe, en analysant par exemple les interventions des cellules médico-psychologiques ;

- l'histoire de l'urbanisation en zone inondable et notamment de la périurbanisation en contexte de crises agricoles, avant l'apparition des PPRI ;

- les bouleversements politiques à l'échelle municipale suite à une catastrophe avec l'observation d'un phénomène de recompositions dans les années suivant une inondation catastrophique.

Des communes agricoles dont la population a quasiment doublé dans les années 80 ont accueilli de nouveaux habitants dans des lotissements périurbains. Dans le cas que j'ai étudié, jusqu'à la catastrophe, les anciens propriétaires fonciers - les natifs - tenaient le pouvoir municipal. A l'occasion de la catastrophe, un basculement s'est produit.

Je me suis donné pour tâche d'expliquer ce changement. J'ai notamment montré que la catastrophe subie par les nouveaux habitants a constitué un élément fondateur de leur appartenance au village, alors qu'auparavant, ils étaient considérés comme des étrangers. C'était l'un des éléments de ma thèse.

Ma seconde fonction est celle de chargé de mission à la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement de la région Rhône-Alpes. Je travaille plus particulièrement sur le volet inondations du plan Rhône.

Nous collaborons avec le milieu universitaire depuis trois ans, dans le cadre particulier d'un plan Grand Fleuve, pour disposer d'outils innovants et expérimentaux. L'outil de géo-visualisation que nous allons vous présenter en fait partie. La donnée qui apparaîtra à l'image est la même que celle qui figure dans les cartes de PPRI. Notre démarche consiste à représenter le risque en trois dimensions plutôt qu'à l'aide de cartographies classiques en deux dimensions, l'enjeu étant d'observer ce qu'apporte ce nouveau mode de présentation.

Nous avons réalisé des maquettes 3D dans quatre à cinq départements, sur une quinzaine de communes, dans le cadre de l'élaboration des PPRI.

Mme Florence Jacquinod. - Actuellement, le recours aux technologies de représentation en trois dimensions se développe assez rapidement dans l'aménagement des territoires. Les communes, communautés de communes et d'agglomérations prennent en mains ces outils relativement facilement, dans la mesure où il leur permet de communiquer des informations à des acteurs qui n'ont pas nécessairement l'habitude de lire des cartes. Cette représentation en 3D permet en effet une meilleure compréhension. Les outils ont donc rapidement montré leur potentiel, notamment en matière de travail collaboratif.

Il apparaît que les technologies 3D sont nombreuses, alors que les méthodologies pour les mettre en oeuvre sont rares car sans analyse sur leur utilité, il est difficile de calibrer leur usage. Le partenariat avec un laboratoire de recherche et les expérimentations en cours ont donc pour objectif de déterminer des méthodologies qui soient simples, reproductibles et facile à mettre en oeuvre par les services de l'État. Ces expérimentations nous permettent également d'identifier des verrous et les difficultés à lever.

Le second objectif assigné aux chercheurs et le transfert de compétences. Une fois élaborée une méthodologie, nous avons pour rôle d'accompagner les services dans cette évolution de leur métier.

Enfin, nous cherchons à déterminer les apports de ces représentations, en étudiant la manière dont différents acteurs s'approprient ces outils. Nous observons les rôles de ces représentations lors de réunions avec des techniciens, de réunions de concertation avec des élus ou de réunions publiques avec les riverains.

Dans le mini-film 3D qui vous est projeté, vous pouvez observer le Rhône du nord vers le sud au niveau d'un territoire savoyard. Il s'agit d'un territoire que nous avons modélisé en trois dimensions. Comme vous le voyez, des bâtiments sont représentés. Notre maquette nous permet de nous placer de n'importe quel point de vue. A partie d'elle, nous pouvons créer des films qui serviront de support lors des réunions de concertation. Des données thématiques peuvent être ajoutées à ce type de maquette, sur le risque d'inondation par exemple, ou pour tout autre usage.

Ce second film montre la représentation d'une commune dans la Drôme. Il a été utilisé en réunion de concertation avec les élus, puis en réunion public. Il représente l'aléa de référence, avec deux couleurs. Apparaissent en bleu clair les zones où la hauteur d'eau est inférieure à un mètre et en bleu foncé celles où la hauteur d'eau est supérieure à un mètre.

Sur cette maquette, nous avons représenté les bâtiments et la végétation. Nous avons sélectionné les grandes haies du paysage, afin de permettre à chacun de se repérer. L'image aérienne permet de visualiser les routes et l'occupation du sol. Cette représentation, qui montre tout le territoire communal, est aussi précise que la carte d'aléa.

Nous constatons qu'une fois qu'elles ont trouvé des points de repères, les personnes assimilent mieux l'information, ce qui facilite la discussion et les explications. Une fois l'information assimilée et discutée, il est possible de s'arrêter sur des zones à enjeux et d'approfondir la réflexion en envisageant plusieurs alternatives.

Ces outils présentent l'intérêt d'être relativement flexibles et faciles à utiliser. L'intérêt de ces représentations est également qu'il soit possible d'y faire figurer des données spécifiques. Elles constituent également un véritable outil de réflexion sur le devenir d'un territoire.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Pouvez-vous introduire des modifications ?

Mme Florence Jacquinod. - Nous pouvons introduire des modifications dans les maquettes, mais pas dans les films une fois qu'ils ont été réalisés.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Il serait intéressant de pouvoir visualiser plusieurs évolutions possibles, en fonction d'hypothèses d'aménagement différentes.

M. Julien Langumier. - Ces maquettes sont en effet malléables. Des modifications sont possibles, notamment dans le cadre de nouveaux projets d'aménagements hydrauliques, lorsque sont connues les nouvelles enveloppes inondables ou pour représenter différentes crues. Nous pouvons substituer une enveloppe par une autre et amener l'auditoire à réfléchir sur les changements et à les apprécier au regard des enjeux. Représenter le bâti en 3D est aussi une manière d'apprécier de manière sans doute plus intuitive la limite entre une zone urbanisée et une zone non urbanisée. Avec ces maquettes, il est également possible de faire de la pédagogie sur le fonctionnement d'un fleuve, d'un champ d'expansion de crue, l'aménagement d'un déversoir ou encore le confortement d'une digue.

M. Louis Nègre, président. - C'est donc un outil de communication avant d'être un outil scientifique. Quelle est l'occurrence de la crue du Rhône projetée à l'écran ?

M. Julien Langumier. - Il s'agit de la crue de référence du PPRI, survenue en 1856 et modélisée aux conditions actuelles. Sur ce secteur précis, elle se confond presque entièrement avec la crue de 2003.

Nous avons observé en réunion cette représentation de la donnée technique qui est plus sensible pour le public. Les élus locaux et la population parvenaient à faire le lien entre l'expérience vécue de 2003 et l'année de référence du PPRI, ce qui est un élément intéressant pour l'acceptabilité de cette année de référence.

M. Louis Nègre, président. - Avez-vous déjà réalisé des maquettes sur des crues millénales ?

M. Julien Langumier. - Nous n'en avons pas encore réalisé mais l'envisageons dans le cadre de la mise en oeuvre de la directive européenne sur les inondations qui nécessite de cartographier cette crue. C'est un chantier important qui attend les différents services de l'État. Sur le Rhône, nous avons la chance de bénéficier de données hydrauliques déjà constituées, notamment grâce à l'étude globale Rhône, étude transversale multithématique. Il nous reste à mettre à jour la topographie pour avoir un bon degré de précision. En outre, sur le Rhône, nous disposons d'une donnée topographique très précise grâce à la base de données qu'a réalisé l'IGN sur ce fleuve, qui permet une précision à vingt centimètres de chaque point, avec un point tous les deux mètres. En outre, chaque fossé, digue ou talus a été relevé manuellement par des géomètres. L'IGN élargit actuellement cette démarche à d'autres bassins.

M. Louis Nègre, président. - Avez-vous représenté la crue sur l'Ile de la Barthelasse ?

M. Julien Langumier. - Non car pour choisir les territoires qui allaient bénéficier de ces représentations, nous nous sommes calés sur la programmation des PPRI par les services de l'État. Dans le département du Vaucluse, les communes concernées étant couvertes par des PPRI remontant à juillet 2000, il n'a pas été jugé urgent de les réviser. D'autres linéaires du Rhône étaient en effet soumis à des documents beaucoup plus anciens tels que le plan des surfaces submersibles, remontant à un décret de 1935, ou les plans de zone inodables, se référant à un texte de 1911.

M. Louis Nègre, président. - Avez-vous constaté de grandes évolutions par rapport à 1911 ?

M. Julien Langumier. - La crue de référence de 1856 était déjà bien connue en 1911 et en 1935. Nous retrouvons des informations cohérentes et assez proches. Cependant, grâce à l'excellente connaissance topographique dont nous bénéficions, nous gagnons beaucoup en crédibilité. Nous pouvons par exemple discuter avec des agriculteurs sur des relevés de terrains particuliers, ce qui leur montre que nous connaissons ces zones.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Il est étrange que les crues de 1856 et de 2003 soient comparables, alors qu'entre temps le Rhône a été aménagé.

M. Julien Langumier. - Le débit de 1856, élément de référence a été modélisé dans les conditions actuelles, en intégrant les aménagements hydroélectriques. La proximité entre les événements s'entend en termes de débits, à quelques centaines de mètres cubes seconde près sur le secteur précis que je vous ai montré.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. -Les effets ne peuvent être les mêmes.

M. Julien Langumier. - Dans le cas présent, nous trouvons des conséquences proches car la zone se trouve dans un champ d'expansion de crue. Lors des aménagements de la compagnie nationale du Rhône, la configuration de cette grande plaine inondable a été conservée. Sur d'autres secteurs, des plaines historiquement inondables, telle que celle de Piolenc-Mornas, ont été soustraites à l'inondation par les aménagements hydroélectriques.

M. Louis Nègre, président. - Vous avez également évoqué des changements de gouvernance à la suite d'inondations. Pouvez-vous préciser ?

M. Julien Langumier. - Le territoire que j'ai étudié durant ma thèse présentait une stabilité du pouvoir municipal depuis l'entre-deux guerres, avec des bastions plutôt à gauche. Il existait également une stabilité dans la répartition des rôles entre les propriétaires fonciers et les ouvriers agricoles. La crise viticole des années 70, qui se manifesta par de violentes manifestations, a poussé les villages viticoles du Languedoc-Roussillon à accueillir de nouvelles populations, devenant des villages périurbains. La greffe de ces populations a mis très longtemps à prendre, les nouveaux arrivants étant stigmatisés comme des étrangers même après de longues années d'installation. Le basculement municipal, qui aurait sans doute fini par se produire, a probablement été précipité par l'occurrence de la catastrophe de 1999. Cette dernière a en effet offert aux nouveaux habitants, qui se sont regroupés au sein d'une association de sinistrés, une ressource politique. Très vite, cette association est en effet devenue la liste d'opposition au pouvoir municipal en place.

Les nouveaux habitants cultivaient une certaine rancoeur d'être mis à l'écart de certaines institutions villageoises telles que la cave coopérative, le club de rugby ou la mairie. Ils se sentaient exclus des réseaux de sociabilité.

La catastrophe a servi de catalyseur. La ressource politique vient du fait que les nouveaux habitants ont été les premières victimes de Cuxac-d'Aude à témoigner dans les médias.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Je suis frappé par la capacité d'oubli des populations après les catastrophes. Parfois la mémoire revient, mais, le plus courant c'est une alternance de phases d'amnésie et de phases d'angoisse. L'amnésie explique en partie la difficulté que nous rencontrons à intégrer le risque comme l'une des caractéristiques essentielles du territoire. Mais l'amnésie permet de vivre.

M. Julien Langumier. - A l'échelle du village, lors de mes travaux sur les basses plaines de l'Aude, je n'ai pas réussi à identifier deux groupes, l'un qui aurait été dans l'oubli et l'autre dans la reconnaissance du risque et dans le souvenir de la catastrophe. J'ai plutôt rencontré des personnes qui passaient d'une position à l'autre selon les circonstances. Cette attitude est sans doute une manière de conjuguer des injonctions contradictoires. Ces personnes habitent sur place et s'y projettent dans le long terme. En même temps, elles ont vécu un événement catastrophique qui pourrait les pousser à quitter leur territoire.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Ce que vous observez peut aussi expliquer les difficultés des élus à intégrer ce paramètre. Il faut à la fois prendre des précautions, interdire certaines choses et continuer à vivre. Il faudrait trouver une manière de protéger qui ne soit pas perçue comme une contrainte, une barrière à l'avenir.

M. Julien Langumier. - En passant de mon travail de thèse à une position plus opérationnelle, j'ai été amené à travailler sur ces considérations. Dans le cadre du plan Rhône et de son volet inondation, nous avons développé une communication en rupture avec les campagnes de communication classiques, qui se traduisent souvent par la diffusion de messages descendants, via des plaquettes généralement assez mal reçues. Nous avons notamment fait appel à des supports culturels et artistiques tels que des photographies ou des films. Nous avons mis sur pied une programmation culturelle sur le Rhône qui visait, en étant très adaptée au territoire, à sensibiliser les populations. Nous avons ainsi pu investir l'espace public pour parler de la crue en dehors de la catastrophe. En outre, le recours à de tels supports nous a permis de sortir du registre très technique, voire technocratique, des documents règlementaires. Nous avons alors observé une réelle appétence des populations riveraines à l'égard de la connaissance. Nous avons été marqués par le succès de cette démarche. Les journalistes, relayant spontanément le message de prévention, ont permis de démultiplier son rayonnement et sa portée.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Concernant les modélisations en 3D, pensez-vous parvenir prochainement à modifier des paramètres en temps réel ?

Mme Florence Jacquinod. - C'est compliqué. Quand nous représentons tout un territoire, nous ne sommes pas en capacité d'avoir un modèle 3D qui sache gérer toutes les interactions entre tous les objets. Nous procédons de manière thématique. Des travaux portent sur cette question. Tout dépendra des paramètres à modifier et de ce qu'il sera nécessaire de modéliser.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Sur quel modèle hydraulique vous êtes-vous basés ?

M. Julien Langumier. - Nous avons utilisé le modèle en une dimension de la compagnie nationale du Rhône, qui couvre l'ensemble du linéaire rhodanien, en donnant une excellente indication sur l'altitude du fleuve en son centre, c'est-à-dire la ligne d'eau en lit mineur.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Cela représente-t-il vraiment la réalité ?

M. Julien Langumier. - Oui, nous bénéficions d'un très bon niveau de précision. En fonction de l'élévation du fleuve en son centre, nous disposons de points de contrôle efficaces par rapport aux crues déjà observées pour étudier ensuite les débordements dans le lit majeur.

M. Louis Nègre, président. - Qu'appelez-vous une très bonne précision ?

M. Julien Langumier. - La topographie est appréciée à l'échelle de 20 centimètres. Là est donc la marge d'erreur.