Mardi 13 novembre 2012

- Présidence de M. Serge Larcher, président -

La zone économique exclusive des outre-mer : quels enjeux ?- Audition de M. Vincent Bouvier, délégué général à l'outre-mer, accompagné de Mme Marie-Pierre Campo

M. Serge Larcher, président. - Nous voilà à nouveau réunis pour trois jours de travaux en séance plénière de notre délégation. La rencontre riche et passionnante organisée hier avec l'Institut national de l'audiovisuel sur le thème des mémoires audiovisuelles des outre-mer donnera lieu à des actes assortis d'un DVD, comme nous l'avions fait pour la rencontre du 9 mai dernier.

Nous renouons maintenant avec le thème des zones économiques exclusives et de leurs ressources. Les auditions prévues se concentrent sur les sujets miniers et les énergies marines, c'est-à-dire les perspectives d'avenir.

Jeudi matin, nous auditionnerons deux ministres du gouvernement polynésien par visioconférence, par souci d'économie, tant pour le budget du Sénat que pour celui de la Polynésie française.

Je souhaite la bienvenue au délégué général à l'outre-mer, Vincent Bouvier, que nous avons récemment entendu sur les perspectives européennes des régions ultrapériphériques et je le remercie de sa disponibilité.

Notre délégation a désigné trois co-rapporteurs sur les ZEE : Jean-Étienne Antoinette, Joël Guerriau, qui a succédé à Jean-Marie Bockel, et Richard Tuheiava.

M. Vincent Bouvier, délégué général à l'outre-mer. - Merci de m'auditionner sur ce sujet stratégique pour nos outre-mer. Ceux-ci représentent 97 % de notre zone économique exclusive, et c'est grâce à eux que la France dispose du deuxième domaine maritime mondial. Face à la concurrence mondiale, nous devons inventorier, protéger et exploiter nos ressources.

Quelles sont les orientations majeures de notre politique maritime ? Notre stratégie nationale pour la mer et le littoral se décline par bassin, dont quatre bassins ultramarins : les Antilles, la Guyane, l'Océan Indien et Saint-Pierre-et-Miquelon.

À la suite du Grenelle de la mer, le Comité interministériel de la mer du 8 décembre 2009 a mis en exergue la nécessité de développer la politique marine des outre-mer, et adopté un Livre bleu, qui doit aussi être décliné par région.

Cette orientation a été confirmée par la réunion du 11 juin 2011, lors de laquelle a été décidée la réforme portuaire. Bien entendu, la politique nationale doit être coordonnée au niveau européen : en octobre dernier, les ministres de la mer des États membres ont adopté à Limassol une déclaration commune qui insiste sur l'innovation et le développement économique.

Enfin, lors de la campagne présidentielle, M. Hollande a défini les trois axes de notre politique maritime : gérer et protéger notre important littoral, exploiter durablement nos ressources marines, renforcer la gouvernance de la mer et du littoral.

En tout état de cause, la mer est l'un des grands enjeux du XXIe siècle.

La délégation ayant déjà travaillé sur la pêche et l'aquaculture, je me limiterai aux ressources énergétiques.

D'abord, les hydrocarbures. Ils sont présents aux îles Éparses, à Saint-Pierre-et-Miquelon et, surtout, en Guyane, à 150 km au large de Cayenne. Le pétrole sera peut-être à la Guyane ce que le nickel fut à la Nouvelle-Calédonie... Cette découverte nous impose à la fois un devoir de gestion et de protection. Pour la Guyane, un arrêté du 22 décembre 2011 a prolongé de cinq ans un permis de recherche accordé à Shell, ou plus exactement à un consortium qui réunit entre autres Shell et Total. Six autres demandes sont en cours d'instruction. Deux arrêtés de janvier 2011 et de mars 2012 ont accordé des autorisations de travaux. Celles-ci ont été attaquées par des associations. C'est pour examiner les conséquences de l'exploration qu'un comité de suivi et de concertation avec les partenaires a été créé. L'État a également confié à Mme Duthilleul, ingénieur général des mines et présidente de l'ERAP, une mission d'accompagnement pour faire bénéficier la Guyane des retombées du pétrole et concilier impératif économique et devoir de protection de l'environnement ; elle a rendu un rapport d'étape en janvier 2012. La commission de suivi et de concertation se réunit régulièrement ; quatre groupes de travail ont été créés : sécurité et environnement, recherche, formation et retombées.

Deuxième ressource : les énergies marines renouvelables. L'objectif fixé par le Grenelle est très ambitieux : l'autonomie énergétique en 2030, 50 % en 2020. Nous en sommes loin. Énergie houlomotrice, climatisation par les eaux en profondeur, biomasse marine, éoliennes off shore, le panel est large. Sont développés en outre-mer de nombreux projets innovants : énergie thermique marine en Guyane et à la Martinique, climatisation par les profondeurs marines à La Réunion : c'est le projet SAC, Seawater Air Conditioning. Cela dit, restent des obstacles à surmonter, comme les freins technologiques - pour adapter, par exemple, l'éolien marin aux cyclones -, les tarifs de rachat et la prise en charge du risque industriel. Pour l'heure, de très grands groupes privés et parapublics s'intéressent à ces projets ; c'est dire leur intérêt.

Troisième ressource, les biotechnologies marines. Ainsi, les algues ont des débouchés sanitaires - la station marine de Roscoff exploite les oeufs des étoiles de mer pour fabriquer des médicaments anti-tumoraux - énergétiques, cosmétiques, alimentaires... Nous en sommes encore au stade de l'expérimentation.

Quatrièmement, les ressources minérales profondes : nodules polymétalliques, terres rares et encroûtements sulfureux difficiles à exploiter mais intéressants. Au large de Clipperton et de Wallis-et-Futuna, les ressources en nodules polymétalliques sont importantes. La concurrence est rude : les Chinois qui détiennent 35 % de la ressource en terres rares, l'exploitent à 95 %. Raison de plus pour développer cette activité.

J'en viens au contexte juridique. Il convient de le stabiliser rapidement, notamment sur la répartition des compétences en matière minière, entre État et collectivités. Le 5 septembre, la ministre de l'écologie a présenté les grandes lignes de la réforme du code minier. Un projet de loi est attendu pour début 2013. Ce texte a plusieurs objectifs : mise en conformité du code minier avec la Charte de l'environnement, notamment son article 7, révision des procédures, prise en compte des enjeux environnementaux, refonte du droit des installations classées, réforme de la fiscalité minière, adaptation aux spécificités ultra-marines, responsabilité sociale des entreprises.

Un groupe de travail informel, présidé par un conseiller d'État, M. Tuot, et auquel participe la délégation, travaille à un avant-projet de texte avec Mme Duthilleul. Parallèlement, le gouvernement a lancé un travail de codification de la partie réglementaire du code minier. Enfin, la répartition des compétences entre l'État et les collectivités est à l'étude. En Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, le transfert est déjà achevé. Cela pose question en Polynésie : comment définir les ressources stratégiques qui relèvent de l'État ? Les terres rares en font-elles partie ? A priori, oui, mais la question n'est pas encore tranchée.

Je termine sur les moyens.

Nous avons des ressources considérables outre-mer, pour l'innovation technologique et le développement économique de la France et de chacun des territoires d'outre-mer. L'outre-mer est une chance pour la France, mais la mer est aussi une chance pour l'outre-mer ! Nous avons aussi un devoir de protection, sans quoi tout cela restera un voeu pieux. Si nous voulons protéger le deuxième domaine maritime mondial de la pêche illégale et du pillage, nous devons avoir des forces de souveraineté suffisantes : par exemple, un nombre suffisant de bateaux de la Marine nationale. Le sujet est d'actualité à l'heure où l'on révise le Livre blanc de la défense. Dans les difficiles arbitrages à venir, il faudra insister sur la priorité de l'outre-mer.

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur. - Merci pour cet excellent exposé. Au fil des auditions se dégage une tendance : tout le monde se félicite de ce que la France, grâce à l'outre-mer, détient le deuxième domaine maritime mondial. Mais quid de l'enracinement de cette politique ? Les collectivités guyanaises n'ont pas été informées des permis de recherche délivrés sur les hydrocarbures, sinon par la presse. Une concertation préalable est nécessaire ; la LODEOM la prévoit d'ailleurs pour les permis d'exploitation mais l'on attend encore ses décrets d'application. Sans concertation, il est impossible de mettre en place les filières, d'accompagner cette industrie.

Aujourd'hui, le port d'attache de la plate-forme guyanaise est Paramaribo, au Surinam, et non Cayenne. À quand un tournant dans la gouvernance et dans l'enracinement des projets ?

Dernier point, où en est la coopération avec les pays limitrophes, celle de la Guyane avec le Brésil et le Surinam ou celle de La Réunion avec Madagascar ?

M. Serge Larcher, président. - À l'évidence, l'outre-mer présente de grandes potentialités pour la France, mais concrètement, quels sont les projets en matière de terres rares, de biotechnologies marines ? Avons-nous une stratégie pour mettre en valeur ces ressources ?

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur. - L'outre-mer est-il intégré dans la réflexion sur la révision du Livre Blanc ?

M. Michel Vergoz. - Parlons clair : les ultramarins que nous sommes avons le sentiment, voire la certitude que nos intérêts sont insuffisamment pris en compte. À votre avis, comment faire pour ne pas être perpétuellement à la remorque ? Nous essayons de parler d'une seule voix sur la pêche...

Un contre-amiral est désormais, je crois, secrétaire général adjoint de la mer. Enfin, on agit ! On reconnaît l'importance de la mer.

M. Vincent Bouvier. - Je conviens que la prise de conscience du fait maritime est récente. En 2008, on avait d'abord oublié l'outre-mer dans le Livre Blanc de la défense ! Concernant les hydrocarbures, il y a une volonté de concertation, de régler la question de la répartition des compétences. L'outre-mer a aussi besoin de ports adaptés aux besoins de développement. Mais les territoires devront se mettre d'accord : il n'y aura pas de grands ports partout.

La coopération ? Oui, il faut la renforcer avec les pays voisins, l'Europe et les grandes organisations non gouvernementales internationales de protection de l'environnement. Un exemple, nous coopérons avec la Dominique sur un projet d'exploitation géothermique.

La stratégie ? L'État, via ses grands instituts, soutient la démarche des grandes entreprises. Néanmoins, certains domaines comme les biotechnologies sont au stade de l'expérimentation ; d'où parfois une impression de tâtonnement.

Le Livre Blanc de la défense? Pour participer à un groupe de travail sur sa révision, je mesure qu'il y a une volonté, pour le dire brutalement, de ne pas oublier l'outre-mer contrairement à ce qu'il s'était passé la fois précédente.

Monsieur Vergoz, je l'ai dit, la prise de conscience de l'importance de la mer est récente. L'État a un rôle essentiel à jouer, mais les collectivités doivent aussi prendre leurs responsabilités.

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur. - La France paraît absente de la compétition internationale. Quand elle cherche à combler son retard, elle commet souvent des erreurs : voyez la Polynésie française. Avons-nous donc une stratégie ? Où en est le projet Extraplac ? Des Japonais ont trouvé les terres rares chez nous... D'où ma proposition de loi tendant à rendre la Polynésie française compétente en matière de ressources stratégiques, à l'exclusion des minerais nucléaires.

Dans le cadre du groupe informel sur le code minier, pourquoi mettre l'outre-mer à la fin ? L'administration doit changer d'approche.

M. Vincent Bouvier. - La France est-elle en retard ? En tout cas, nous voulons une vraie stratégie de développement maritime. Quant au projet Extraplac, il est toujours d'actualité : nous discutons avec les Canadiens.

La répartition des compétences est une question centrale, qui concerne aussi la Polynésie française. Le sens du mot « stratégique » reste à définir.

M. Serge Larcher, président. - En ce qui concerne les terres rares, des permis ont-ils été accordés ?

Mme Marie-Pierre Campo. - La Jamaïque a accordé un permis d'exploitation à L'IFREMER sur la dorsale océanique. Cela aura des implications indirectes sur l'outre-mer.

M. Serge Larcher, président. - Les Japonais ont opéré des prélèvements au large des Marquises sans autorisation. Nous retrouvons la problématique du Livre Blanc : comment protéger nos ressources ?

M. Vincent Bouvier. - Vous connaissez certainement les difficultés budgétaires. Il faudra faire des choix. Les projets industriels et énergétiques constituent de vraies vitrines technologiques, des premières mondiales parfois. En matière de recherche, la France est très bien placée.

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur. - Un rapport de Jacques Blanc en 2011 mettait en exergue la vulnérabilité du marché européen en ce qui concerne l'approvisionnement en ressources minérales destinées aux technologies de pointe. Une volonté de diversification des provenances existe-t-elle ?

M. Vincent Bouvier. - Nous sommes certes dépendants, mais nous n'avons pas de difficultés d'approvisionnement à ce jour.

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur. - Le rapport parlait d'une perspective de vulnérabilité.

M. Vincent Bouvier. - Certes, mais dans un contexte de raréfaction des ressources.

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur. - Pour les enjeux marins, l'État a-t-il une stratégie de financement des projets ? La politique fiscale d'aide au photovoltaïque a été erratique ...

M. Vincent Bouvier. - Il faut des solutions acceptables, notamment sur les tarifs de rachat. L'ADEME a des moyens, certes insuffisants. Nous voulons aussi recourir aux fonds européens. Rien n'est pire que l'hésitation : le ministre de l'outre-mer a rappelé son souci de stabiliser le droit, et notamment les règles fiscales.

M. Serge Larcher, président. - Merci de vos éclaircissements. Nous n'en sommes qu'au début du chemin. Tirons mieux parti des richesses de l'outre-mer !

Audition de M. Michel Paillard, département des énergies renouvelables marines, Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER)

M. Serge Larcher, président. - Que fait-on des ressources marines de l'outre-mer ? Pensez-vous dresser un état des lieux des énergies marines renouvelables, des atouts ultramarins, de la concurrence internationale ? Quels sont les projets de l'IFREMER les plus aboutis ? Quelles sont ses perspectives à long terme ? Quels sont les aménagements envisagés pour mieux exploiter ces ressources - infrastructures, formation, etc. ?

M. Michel Paillard. - Je me limiterai aux énergies marines.

L'éolien se décline en éolien posé, jusqu'à 40 m de profondeur, et flottant. On produit aujourd'hui principalement en Europe, mais aussi ailleurs, plus de 4 000 MW en éolien offshore, plus de 6 000 MW sont en construction et des dizaines de milliers en projet. La filière a atteint sa maturité, ce qui ne signifie pas que la recherche cesse. Bientôt, on ira vers des installations de 10 MW qui feront jusqu'à 180 m de diamètre, contre 6 MW pour 120-150 m de diamètre aujourd'hui. Il y a deux projets français d'éolien flottant, technique qui permet d'aller plus loin des côtes. Cela évite des conflits avec la pêche ou la protection du paysage.

J'en viens à l'énergie marémotrice. L'usine de la Rance date de 1966, elle avait été inaugurée par le général de Gaulle. Il y a aussi des installations récentes, en Corée par exemple, des projets au Royaume-Uni, mais cette technique très intéressante pose des problèmes environnementaux.

Les hydroliennes tirent parti de l'énergie cinétique, des courants marins. Il existe une dizaine de projets pionniers, et un projet de parc au large de la Bretagne ; il faut encore faire baisser les coûts. Le potentiel est faible au niveau mondial, mais comme les marées, les courants sont prévisibles : on sait donc ce qu'ils vont produire.

En revanche, l'énergie de la houle représente un potentiel immense, très bien réparti sur toutes les mers du monde ; le jour où les techniques seront prêtes leur rentabilité sera grande, notamment dans des îles ou archipels isolés.

Quant à l'énergie thermique des mers, le projet d'une centrale de 5 mégawatts à Tahiti n'a pas été financé à cause du contre-choc pétrolier, mais de nouveaux projets sont en cours.

Enfin, l'énergie osmotique est très difficile à exploiter. D'où le désintérêt des énergéticiens, sauf en Norvège.

La France est longtemps restée très en retard au plan technologique ; les Britanniques étaient leaders. Le Grenelle a changé les choses. Les Allemands et les Danois sont les leaders mondiaux de l'éolien, mais les Français commencent à s'y intéresser. AREVA a racheté un fabricant allemand, des appels d'offres sont lancés. Alsthom a créé une machine et veut la construire en France. Idem pour l'hydrolien. Bref, une filière industrielle se met en place, grâce à la contribution de grands industriels. Jusqu'à il y a peu, EDF était seule. STX SA est aussi partie prenante du projet de parc flottant à la Martinique. Il y a désormais plus de visibilité sur le marché mondial, et les entreprises françaises veulent conquérir des parts de marché.

L'IFREMER a des délégations dans la plupart des territoires d'outremer. Il s'intéresse aux énergies maritimes depuis la fin des années 1970, est aujourd'hui impliqué dans toutes les filières, à des degrés divers. Il participe aussi à des projets étrangers. Son originalité est d'être très pluridisciplinaire. Sur les matériaux composites, par exemple, il a une expertise très ancienne, liée au pétrole, valorisée aujourd'hui dans la recherche sur les énergies renouvelables. Nous avons aussi des spécialistes de la pêche. Rien ne marchera sans concertation avec les acteurs locaux.

L'IFREMER n'est pas initiateur de projets : il est sollicité par des industriels, notamment pour les investissements d'avenir.

En outre-mer, les projets sont encore rares, car les techniques ne sont pas encore au point. Un projet de climatisation par pompage de l'eau froide existe en Polynésie à l'Hôtel Intercontinental de Bora-Bora. À La Réunion, nous travaillons sur l'énergie de la houle, sur l'énergie thermodynamique à Saint-Pierre-et-Miquelon, sur le pompage destiné à la climatisation. À la Martinique, il y a un projet d'exploitation de l'énergie de la houle. En Guyane, rien. En Nouvelle-Calédonie, un projet d'exploitation des marées est en sommeil. Sur la plupart de ces projets, l'IFREMER n'a pas été sollicité. En Polynésie française, nous étudions le potentiel des passes des lagons, qui peut être intéressant à exploiter localement. Des industriels métropolitains ont exprimé leur intérêt.

En Nouvelle-Calédonie, il existe un projet de climatisation et un centre d'énergie de la houle, mais l'IFREMER n'est pas concerné.

Le jour où la filière aura atteint sa maturité, les choses changeront, mais il peut être contreproductif d'aller trop vite.

Une installation au Portugal a dû être démantelée, la technique n'étant pas encore fiable. À La Réunion, on songe à créer une unité pilote en 2014.

L'énergie thermique des mers repose sur la différence de température entre la surface et les fonds marins. C'est une technologie très capitalistique ; de plus, elle exige de capter énormément d'eau.

M. Serge Larcher, président. - Avec quelle énergie ?

M. Michel Paillard. - L'énergie consommée est moindre que l'énergie produite, la preuve en est faite depuis 1930 par Georges Claude.

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur. - Comment l'IFREMER accompagne-t-il un projet ? Qui les lance, et quelles sont vos relations avec les industriels ?

M. Michel Paillard. - En outre-mer, il importe de bien connaître la ressource, donc de développer des modèles. Sur cette recherche en amont, l'IFREMER est moteur. En revanche, nous ne développons pas de modes d'exploitation pour les vendre aux industriels, mais nous y songeons.

Les premiers systèmes d'exploitation de l'énergie de la houle ont été élaborés en laboratoire, par des gens qui ne connaissaient pas la mer. Faute d'ingénierie off shore, ce fut un échec. C'est la raison pour laquelle les industriels viennent nous voir : le bassin de Brest a servi pour tester de nombreux appareils.

Bref, nous sommes associés à la production du prototype. Nous n'avons pas vocation à développer un projet industriel. En revanche, nous pouvons apporter une assistance à un maître d'ouvrage, par exemple un territoire. C'est le cas en Polynésie.

M. Michel Vergoz. - À vous entendre, il n'y a aucune stratégie globale, c'est du coup par coup... C'est surprenant compte tenu de la dépendance insulaire à l'énergie fossile. Qu'attend-on ? Les régions établissent des schémas régionaux de développement des énergies renouvelables. À quoi cela sert-il, sans gouvernance globale ?

M. Michel Paillard. - Les schémas régionaux concernent les énergies renouvelables existantes. Du fait que les énergies marines sont émergentes, elles sont seulement évoquées sans être programmées. Je sais que l'ADEME est intervenue à La Réunion, mais j'ignore dans quelles conditions. Dans la plupart des cas ce sont des industriels locaux qui initient la démarche.

Les conditions sont très différentes outre-mer : la houle, les cyclones... d'où l'importance de mener des tests dans les bassins avec les opérateurs locaux en coopération avec les pôles de compétitivité et les centres de recherche en métropole. Le pôle Mer Bretagne échange déjà avec la Polynésie française, mais tout cela est, encore une fois, émergent : les pôles de recherche ou de compétitivité outre-mer ont été créés récemment.

M. Jacques Berthou. - Il serait bon d'établir un état des lieux précis des énergies susceptibles d'être développées à moyen et long terme ainsi que des spécificités locales. Les élus que nous sommes en ont besoin pour soutenir la filière.

M. Serge Larcher, président. - Quels sont les secteurs prioritaires à développer ?

M. Michel Paillard. - La commission européenne a réalisé en 2007 une étude sur le potentiel des régions ultrapériphériques. Cela dit, nous ne disposons d'aucune étude prospective car de nombreuses filières ne sont pas mûres. Mais les énergies marémotrice, éolienne ou hydrolienne sont pour demain : les premières fermes sont prévues en 2020 au large de Cherbourg, selon Alsthom.

L'énergie houlomotrice est plus complexe ; pour être fiable, il faut que le démonstrateur survive à la vague cinquantennale. Le projet Palemis sera prêt dans vingt ans. Vient ensuite la mise au point du récupérateur et la phase industrielle. Entre les deux, l'éolien flottant ? Sera-t-il accepté ? Peut-être dans trente ans quand l'énergie sera trop chère...

Les courants ne sont pas assez forts outre-mer, leur énergie n'est pas exploitable.

Reste l'énergie thermique de la mer, très intéressante aux Antilles et, surtout, en Polynésie française.

Monsieur Vergoz a raison : les territoires doivent afficher des objectifs précis programmés dans le temps.

M. Serge Larcher, président. - Il faut travailler avec nos voisins, comme la Martinique et la Guadeloupe avec Dominique sur la géothermie. Nous sommes loin d'avoir atteint les objectifs du Grenelle : 50 % d'autonomie énergétique en outre-mer. Merci de nous avoir éclairés sur l'éventail des possibilités.

M. Michel Paillard. - La compétition internationale pourrait accélérer la maturation des énergies marines. Il faut investir dans la recherche, comme l'a fait la Grande-Bretagne pour exploiter ce potentiel.

M. Serge Larcher, président. - Le mot « potentiel » est le leitmotiv de nos réunions !

Audition de M. Vincent Trelut, directeur du développement ERAMET, accompagné de M. Alexandre Vié

M. Serge Larcher, président. - Nous étudions depuis cinq mois l'importante question des zones économiques exclusives. Monsieur Trelut nous parlera des ressources minières outre-mer. La parole aux industriels !

M. Vincent Trelut. - ERAMET est un groupe métallurgique, de la mine à la transformation métallurgique avancée - pour l'aéronautique, par exemple - jusqu'au recyclage.

Avec 47 sites industriels, nous sommes présents dans 20 pays, dont la Chine, mais aussi la Nouvelle-Calédonie, une collectivité française qui a un statut très particulier.

M. Serge Larcher, président. - La Chine, notre principal concurrent.

M. Vincent Trelut. - Pour nous, c'est un gros marché : ce pays consomme la moitié des ressources de nickel et de manganèse. Nous y avons trois usines de manganèse. En Indonésie, les Chinois nous font de la concurrence. Ils sont très intéressés, en particulier, par les ressources marines.

M. Serge Larcher, président. - Alors que personne en France n'investit dans les nodules polymétalliques...

M. Vincent Trelut. - Les ressources minérales profondes sont de trois sortes : les sulfures hydrothermaux sont liés à l'activité volcanique ; on peut exploiter les sites éteints entre 1 500 et 2 000 mètres de profondeur, ce qui est raisonnable. Ensuite, les nodules polymétalliques, dont on me parlait déjà à l'université dans les années 1970. Enfouis à 4 500 m, on ne sait comment récupérer ces cailloux dispersés sur le sol, qu'on trouve notamment au large de l'îlot de Clipperton. Des demandes de permis sont déposées, mais uniquement pour verrouiller l'accès à ces ressources. Enfin, les encroûtements cobaltifères dans les marges continentales, par exemple, au large de Tahiti, sont plus accessibles. Leur point commun est d'être situés à des profondeurs plus importantes que celles des mines marines existantes : 100 à 150 mètres pour les diamants dans l'Atlantique au large de l'Afrique australe, idem pour l'extraction de sables de construction en Bretagne.

La France n'est pas en retard : personne à ce jour n'exploite de mines marines profondes. Deux sociétés juniors, Nautilus Mineral et Neptune, y travaillent. Des études sont en cours, les engins sont là puisqu'on extrait du pétrole off-shore à des profondeurs bien plus grandes que 1 500 mètres, mais personne n'a encore lancé d'exploitation.

La Chine a déposé des permis d'exploration dans les eaux internationales auprès de l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM), qui dépend de l'ONU. Sa zone économique exclusive, pour les minerais profonds, n'est pas très intéressante. Elle n'est donc pas spécialement en avance...

En revanche, la France dispose de gisements de sulfures hydrothermaux grâce à ses îlots volcaniques... La France a donc peut-être plus de perspectives avec la Polynésie française et Wallis-et-Futuna que le Japon, qui n'a pas de zones aussi prometteuses. De plus, nous ne sommes pas en retard technologiquement, grâce à notre compétence en ingénierie marine.

M. Serge Larcher, président. - Le potentiel est donc prometteur à vingt ans ?

M. Vincent Trelut. - Certes, mais ces minerais marins ne sont pas nécessaires pour couvrir les besoins de la planète : ce n'est pas comme le pétrole....

M. Serge Larcher, président. - Quid des métaux rares ?

M. Vincent Trelut. - La Chine détient un tiers des terres rares, mais des milliers de géologues arpentent le monde pour trouver de nouveaux gisements. Et ils en trouvent... Si la France a des ressources, cela réduira notre dépendance et sans être une nécessité pour l'approvisionnement, les terres rares seraient également l'occasion de développer une filière industrielle.

M. Joël Guerriau, co-rapporteur. - N'est-ce pas vrai pour n'importe quels métaux ?

M. Vincent Trelut. - Certes ! Personne n'a dressé un inventaire précis des ressources marines dans notre zone économique exclusive au demeurant très vaste. En toute hypothèse, l'effet environnemental de leur exploitation sera moindre que sur terre. D'autant qu'on espère trouver des métaux à forte teneur affleurant les fonds marins, de même que les Égyptiens ou les Crétois de l'Antiquité trouvaient de l'or, de l'argent ou du cuivre à portée de main. Actuellement, les mines de cuivre terrestres - c'était le cas de la mine de Falun, en Suède, pays qui n'est pas réputé pour son laxisme environnemental - exigent la manipulation de millions de tonnes de roches et une énorme consommation d'eau douce.

M. Joël Guerriau, co-rapporteur. - A-t-on l'espoir que les mines marines deviennent rentables ?

M. Vincent Trelut. - Depuis 2005, la Chine a changé le monde de la mine : la demande augmentant, les ressources terrestres s'épuisent et la teneur des minerais restant à exploiter diminue. À long terme, nous en viendrons donc aux minerais sous-marins.

M. Joël Guerriau, co-rapporteur. - Dispose-t-on des engins nécessaires, ou la recherche doit-elle progresser ?

M. Vincent Trelut. - Il faut encore faire de la recherche-développement en France. Après la phase d'exploration, on pourra se poser la question de l'exploitation, et faire des essais.

M. Joël Guerriau, co-rapporteur. - La France est-elle bien placée ?

M. Vincent Trelut. - Elle n'est pas en retard, sauf peut-être dans telle ou telle technique particulière. Des partenariats avec d'autres pays sont d'ailleurs envisageables. Nos connaissances actuelles permettent d'élaborer un socle technologique français.

M. Joël Guerriau, co-rapporteur. - C'est une obligation.

M. Vincent Trelut. - En effet : ne ratons pas le coche.

Nous n'avons pas encore d'activités dans la zone économique d'outre-mer. La concurrence s'exerce surtout entre les États, non entre les sociétés privés. Le projet le plus mûr est celui de sulfure de cuivre et de zinc en Papouasie ; il n'y a pas de verrou technologique, non plus qu'à Wallis. La question est celle des moyens financiers et la connaissance des ressources. Nous n'avons pas besoin d'évolutions fiscales, mais d'un partenariat renforcé : le consortium actuel est trop étriqué, nous ne sommes plus que trois. Je répète que le problème est financier : des puissances étrangères misent beaucoup plus de moyens sur ces projets d'avenir.

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur. - Quid de la réforme du code minier ?

M. Vincent Trelut. - Le code minier a le mérite d'exister. Le domaine sous-marin reste à défricher. Il est difficile de prévoir à l'avance. Une question importante est celle des retombées pour les collectivités. En l'état actuel du droit, rien n'interdit un partenariat avec Wallis-et-Futuna. Peut-être l'encadrement pourrait-il être amélioré.

Quoi qu'il arrive, il faudra tenir compte des spécificités de l'exploitation sous-marine. Nous en sommes encore à un stade très préliminaire. Quand viendra le temps de l'exploitation, alors il faudra veiller à l'impact environnemental, qui reste mal connu.

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur. - Des activités sont-elles prévues dans notre zone économique exclusive ?

M. Vincent Trelut. - Si le partenariat à Wallis-et-Futuna se confirme, oui. Pour l'heure, nous ne voulons pas nous disperser.

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur. - Je participe au groupe de travail informel sur la réforme du code minier. Le principe de précaution doit prévaloir, lorsqu'on ne maîtrise pas le risque. Il y a eu des études sur le cobalt et le manganèse en Polynésie : les ressources y sont les plus élevées au monde.

Le recyclage est un enjeu immense. Quels acides employer pour extraire les métaux rares de la boue ? Les techniques sont-elles au point ?

M. Vincent Trelut. - En effet, on ne doit se lancer dans une exploitation que si l'absence de risque est avérée. La France doit-elle être pionnière ? Ce n'est pas sûr.

L'exploration a très peu d'impact sur l'environnement : on se borne à prélever des échantillons au fond des mers avec des sous-marins de poche. L'exploitation, c'est autre chose.

Tant qu'on ne sait pas, on ne peut pas exploiter. Mais il faut chercher pour savoir, et faire des essais ! C'est là que se situe le débat. Refuser même les essais est contraire à l'esprit du principe de précaution. Si pareille règle devait être instaurée, autant le savoir au plus vite, nous éviterons de perdre de l'argent ! Nous avons suffisamment de travail ailleurs.

M. Alexandre Vié. - Des biologistes sont associés à chaque campagne, pour comprendre ce qui se passe dans ces zones.

M. Vincent Trelut. - Le recyclage des terres rares va progresser, celui des métaux comme le cobalt existe déjà. L'enjeu sous-marin est différent : c'est d'avoir du minerai très riche, facilement extractible.

Entre la production initiale et le recyclage, la demande a augmenté : le recyclage ne pourra jamais suffire aux besoins.

Ce ne sont pas des terres rares que l'on a trouvé à Wallis. Encore une fois, ce sont des minerais riches en surface que nous cherchons. Descendre à 3 000 m pour trouver un peu de terres rares ne présente aucun intérêt.

M. Alexandre Vié. - Les terres rares ne sons pas rares !

M. Serge Larcher, président. - Il faut être demain en position de force, notamment sur les matériaux stratégiques. À vous entendre, il s'agirait d'exploiter à un coût moindre des minerais riches.

M. Vincent Trelut. - Mais aussi de construire des filières high tech et de mettre au point des techniques écologiquement responsables.

M. Serge Larcher, président. - Vous ne voyez aucun intérêt à réformer le code minier ?

M. Vincent Trelut .- Je ne parlais que des activités sous-marines, où l'on est loin d'avoir établi quelles sont les bonnes et les mauvaises pratiques.

M. Joël Guerriau, co-rapporteur. - Quel benchmerking sur les investissements des différents pays ?

M. Vincent Trelut. - Nous disposons de rapports de sociétés privées, mais seuls les instituts d'État ont une vue d'ensemble ; l'IFREMER pourrait vous renseigner sur l'activité de L'IFREMER japonais...

M. Alexandre Vié. - Nautilus représente quelques centaines de millions.

M. Vincent Trelut. - Nous en sommes à vingt millions, rien que pour trouver des gisements. L'exploitation en coûtera des centaines, et au minimum un milliard.

Audition de M. Bruno Martel-Jantin, adjoint au chef du service Ressources minérales, Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM)

M. Serge Larcher, président. - Nous sommes curieux d'entendre l'avis du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) sur les réserves de notre zone économique exclusive outre-mer.

M. Bruno Martel-Jantin. - Vous m'avez invité en tant qu'adjoint au chef du service Ressources minérales du BRGM ; depuis, les ressources minérales ont été regroupées avec la géologie et la géothermie. Même si mes compétences sont plus commerciales que scientifiques, je suis prêt à alimenter le débat.

Le BRGM compte 1 100 salariés, dont 700 ingénieurs et techniciens. Nous sommes présents dans toutes les régions et la plupart des territoires d'outre-mer, sauf à Saint-Pierre-et-Miquelon ; nous n'avons plus de représentation permanente en Polynésie. Notre chiffre d'affaires outre-mer représentait 6 millions d'euros en 2011, sur un total de 140 millions : 2 millions à La Réunion et à Mayotte, 1,5 à la Martinique, 1 en Guyane, 0,9 en Guadeloupe et 0,3 en Nouvelle-Calédonie.

Nos missions sont l'appui aux politiques publiques, la recherche et les activités à caractère commercial : cela vaut aussi pour l'outre-mer. Notre personnel en outre-mer est très limité et dispersé : 35 personnes, dont 10 volontaires du service civique.

Le BRGM, outre-mer, se préoccupe de géologie, de maîtrise des risques, de gestion de l'eau et des ressources minérales. Sur ce dernier point, nous sommes surtout actifs en Guyane. En Nouvelle-Calédonie, nous n'avons qu'un agent détaché.

Notre activité minière outre-mer est prioritairement orientée vers l'aide aux politiques publiques régaliennes, d'où nos fortes relations avec les services d'État et la faiblesse de nos relations contractuelles avec les régions.

Depuis la fin des grands inventaires miniers des années 1970, le BRGM ne s'intéresse plus guère aux ressources minérales en Guyane, même s'il apporte un appui technique à l'exploitation légale de l'or. Cela dit, M. Arnaud de Montebourg, ministre du redressement productif, nous a récemment sollicités pour relancer l'inventaire minier en France, y compris en outre-mer. On reverra donc le BRGM en Guyane.

Le BRGM s'implique aussi dans la gestion des ressources en granulats. Il est associé à ERAMET dans un projet sous-marin à Wallis-et-Futuna, en lien avec L'IFREMER.

M. Joël Guerriau, co-rapporteur. - Comment se répartit votre activité entre trois missions ?

M. Bruno Martel-Jantin. - Dans l'ensemble, par tiers. Les activités commerciales nous servent à équilibrer nos comptes et donc à amplifier nos actions publiques et scientifiques.

M. Joël Guerriau, co-rapporteur. - Quels sont vos clients ?

M. Bruno Martel-Jantin. - Nous avons une stratégie opportuniste : nous faisons feu de tout bois. Cela dit, nous nous efforçons d'être cohérents avec notre mission publique. Les mêmes questions nous sont posées par nos clients privés et nos tutelles publiques sur la sécurité d'approvisionnement ou la stratégie de développement minier : nous leur répondons en fonction du même socle de connaissances.

M. Joël Guerriau, co-rapporteur. - Ces clients s'intéressent-ils à l'outre-mer ?

M. Bruno Martel-Jantin. - Certains, oui. Iamgold, qui a connu des déboires en Guyane, a songé à nous confier les études environnementales sur le site de Grand Caïman, mais nous avons refusé. Nous sommes beaucoup plus sollicités que par le passé, notamment en Guyane.

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur. - Le BRGM est un établissement public.

M. Bruno Martel-Jantin. - Industriel et commercial.

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur. - Comment arbitrez-vous donc entre les collectivités publiques et les sociétés privées? Qui décide ?

M. Bruno Martel-Jantin. - Tout dépend du directeur régional, qui est le mieux placé pour apprécier les enjeux au regard de nos activités. Il est le premier à recevoir les sollicitations des préfectures pour l'appui aux politiques publiques dans la prévention des risques naturels et le secteur minier. Si une activité du BRGM peut mettre en difficulté une de nos antennes par rapport à la tutelle, nous la limitons. Nous privilégions l'appui au développement des territoires. L'activité commerciale ne vient qu'après, s'il ne remet pas en cause notre stratégie.

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur. - Les inventaires sont-ils publics ? N'importe qui peut-il savoir où se trouve tel ou tel métal, ou y a-t-il une sécurisation ? Je pense aux orpailleurs clandestins...

M. Bruno Martel-Jantin. - Tous les inventaires sont publics. Détenteur de ce patrimoine, nous sommes extrêmement sollicités pour le mettre à disposition. Notre tutelle a rappelé qu'il n'y avait aucune limite à la mise à disposition à condition d'assurer la traçabilité des demandes.

Quotidiennement, cela pose problème. Répondre aux appels téléphoniques et organiser la consultation des documents a un coût...

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur. - Quid du domaine marin ? Y-a-t-il des échanges d'information avec le Brésil ou le Surinam ?

M. Bruno Martel-Jantin. - Le domaine marin n'est pas la spécialité du BRGM même si une cartographie des fonds de Mayotte établie à partir de techniques géophysiques figure dans notre rapport d'activités. De manière générale, l'IFREMER a compétence sur la mer. Nous collaborons sur la frange côtière et l'exploitation des granulats ; nous sommes associés au projet mené à Wallis-et-Futuna où nous nous occupons des aspects géologiques.

Les collaborations interrégionales ? Elles sont faibles. Pour avoir travaillé en Guyane, j'estime qu'elles devraient l'être davantage dans le secteur minier avec le Brésil. Il y a des synergies à développer, bien que les frontières limitent les collaborations pour des raisons économiques et financières.

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur. - Participez-vous à la réforme du code minier ?

M. Bruno Martel-Jantin. - Le BRGM a mis en place un atelier interne. Je n'y suis pas assez impliqué pour vous en dire plus. La question du guichet « H » et de la mise à disposition de l'information nous occupe et pose de nombreuses questions. Est-ce judicieux de prévoir une mise à disposition complète ? Il n'y a pas d'obligation, actuellement, pour les données de sondage et certaines données d'exploration. Si oui, selon quelles modalités pratiques ? Faut-il élargir les missions du guichet « H » au-delà des données juridiques ?

M. Serge Larcher, président. - Merci de ces renseignements.

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur. - Comment concilier les activités commerciales avec la protection des intérêts nationaux ?

M. Bruno Martel-Jantin. - Certaines de nos missions d'appui aux politiques publiques sont confidentielles ; c'est le cas de la mission d'intelligence économique sur les ressources minérales. Généralement, la tutelle nous demande de décliner nos rapports sous une forme adaptée à la diffusion publique.

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur. - Le Centre d'analyse stratégique fait-il partie de vos clients politiques ?

M. Bruno Martel-Jantin. - Oui, de même que la Défense.

Audition de M. Jacques Peythieu, vice-président Stratégie et Développement, AREVA Mines, accompagné de MM. Guillaume Renaud et Christian Polak

M. Serge Larcher, président. - Bienvenue à Monsieur Jacques Peythieu d'AREVA Mines. Votre entreprise est peu engagée dans la zone économique exclusive française, mais elle le sera peut-être demain. Le potentiel serait riche...

M. Jacques Peythieu. - Merci de me recevoir. M. Guillaume Renaud, qui s'occupe des relations publiques, et M. Christian Polak, chargé de la veille stratégique sur les métaux, pourront aussi répondre à vos questions.

Jusqu'au début 2012, l'activité d'AREVA se concentrait sur deux métaux, l'or et l'uranium ; elle représentait 16 % de notre chiffre d'affaires. Nous avons vendu la partie « or » cet été dans le cadre d'un plan de développement stratégique pour financer nos autres activités. Notre présence est réduite à zéro outre-mer car on n'y a malheureusement pas trouvé d'uranium.

M. Serge Larcher, président. - Avez-vous procédé à des explorations ?

M. Jacques Peythieu. - Pour des raisons historiques, AREVA s'est spécialisée dans le nucléaire. Nous avons choisi l'or pour nous diversifier.

M. Serge Larcher, président. - La discussion sera limitée... Les ressources marines vous intéressent-elles ?

M. Jacques Peythieu. - Nous avons des accords avec d'autres entreprises sur des sites où il y a aussi de l'uranium. Par exemple, avec ERAMET au Gabon où l'on a trouvé un gisement de terres rares et de manganèse. En revanche, on n'a pas trouvé d'uranium dans les gisements sulfurés des fonds marins.

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur. - Que pensez-vous de la réforme du code minier ? Y êtes-vous associés ? Est-ce un enjeu pour vous ?

M. Guillaume Renaud. - Nous sommes évidemment concernés puisque nous sommes une société minière. Nous avons extrait 75 000 tonnes d'uranium en France, ce qui nous a permis d'être leader après la guerre. Nous n'excluons pas d'exploiter de nouveau ce minerai dans l'Hexagone. Nous sommes associés à la réforme, via la Fédération des minerais, des minéraux industriels et métaux non ferreux (FEDEM). Le droit actuel nous convient, même s'il faut y intégrer davantage les questions environnementales, conformément à une tendance mondiale.

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur. - Y a-t-il des exemples à suivre ?

M. Guillaume Renaud. - Au Kazakhstan, nous sommes associés à l'État kazakh. Au Canada, il faut être Canadien pour exploiter l'uranium : un partenariat était donc indispensable. Au Niger, nous avons accordé une participation gratuite à l'État, sous la forme d'un free carry, à hauteur de 10 % ; c'est souvent le cas en Afrique. À chaque fois, nous nous adaptons. Faut-il prévoir une participation gratuite en France ? Je ne le crois pas.

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur. - Vous avez entendu parler du projet Iamgold en Guyane : les collectivités locales doivent-elles avoir un rôle dans la gouvernance ?

M. Jacques Peythieu. - La question est politique ; il est difficile à un industriel d'y répondre...

Il est légitime que l'État ou les collectivités locales perçoivent une rente minière, qui peut prendre la forme de participations gratuites ou de royalties ; le Niger demande les deux. En Australie, il n'y a pas de participation au capital, mais les royalties sont plus élevées.

M. Guillaume Renaud. - Tout dépend du niveau d'investissement. Une mine de cuivre ou de fer coûte des milliards de dollars. En revanche, en Guyane, l'or peut être exploité par des PME, et la communauté locale peut intervenir.

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur. - Qu'avez-vous à dire du recyclage et du procédé qui permet d'extraire les terres rares ? Les impacts environnementaux sont-ils maîtrisés ?

M. Guillaume Renaud. - Chaque mine, chaque minerai a sa signature... Le recyclage correspond plutôt à de la sous-production : un métal aide les autres à se développer ; c'est le cas du gisement polymétallique de Mabounié au Gabon. Un savant japonais affirme avoir trouvé des terres rares dans le Pacifique : l'industrie minière a l'habitude d'un travail plus rigoureux. Quant à la crise médiatique des terres rares entre les Chinois et Rhodia, c'est un faut débat.

En revanche, notre expertise sur l'uranium est précieuse pour le gisement du Niger. Nous la développons là-bas pour des raisons plus commerciales que stratégiques.

M. Serge Larcher, président. - Rien ne dit qu'on ne trouvera jamais d'uranium dans les fonds marins...

M. Jacques Peythieu. - La géologie n'est pas une science exacte, mais a priori, les zones volcaniques des Caraïbes et de Polynésie ne recèlent pas d'uranium. D'ailleurs, celui-ci est soluble et se dépose très mal sur les sédiments ; un point sur lequel le rapport japonais est exact.

M. Serge Larcher, président. - Merci de votre venue.

M. Christian Polak. - Le stockage de l'énergie sous forme d'hydrogène est un secteur prometteur pour l'outre-mer. Nous serions heureux d'être auditionnés sur ce point.

M. Serge Larcher, président. - Nous vous réinviterons avec plaisir !

Mercredi 14 novembre 2012

- Présidence de M. Serge Larcher, président -

La zone économique exclusive des outre-mer : quels enjeux ?- Audition de M. Rémi Galin, chef du bureau des ressources minérales, et de Mme Odile Gauthier, directrice de l'eau et de la biodiversité, Ministère de l'Écologie, du développement durable et de l'énergie

M. Serge Larcher, président.- Mes chers collègues, nous poursuivons notre cycle d'auditions sur les aspects miniers et énergétiques des zones économiques exclusives. Aujourd'hui, nous recevons Mme Odile Gauthier, directrice de l'eau et de la biodiversité au ministère de l'Écologie, du développement durable et de l'énergie, et M. Rémi Galin, chef du bureau des ressources minérales. Madame la directrice, le potentiel que recèlent nos ZEE a-t-il un avenir ?

Mme Odile Gauthier, directrice de l'eau et de la biodiversité au ministère de l'Écologie, du développement durable et de l'énergie. - Je vais tout d'abord vous présenter notre direction au sein du ministère. La Direction de l'eau et de la biodiversité est chargée des questions liées aux ressources minérales non énergétiques. Le bureau de M. Rémi Galin s'occupe de la co-tutelle du BRGM avec nos collègues de la recherche. La Direction de l'eau et de la biodiversité se préoccupe également de la qualité et de l'environnement marins. À ce titre, nous exerçons la tutelle de l'IFREMER, conjointement avec le ministère de la Recherche. Nous vous présenterons quelques exemples de nos travaux conjoints avec l'IFREMER sur les ressources minérales marines. L'exploitation, mais aussi la préservation de la qualité des milieux marins très en amont, sont les deux angles de la mission de notre direction. Je cède la parole à M. Rémi Galin pour exposer la cartographie des substances et les aspects liés aux explorations et permis en cours.

M. Rémi Galin, chef du bureau des ressources minérales. - Mon bureau est engagé dans la problématique de l'approvisionnement en ressources minérales pour l'ensemble de l'industrie française, qu'il s'agisse de la construction, de l'industrie métallurgique et de la transformation des métaux. Dans ce cadre, nous sommes l'un des acteurs prépondérants du Comité pour les métaux stratégiques (COMES), qui a un groupe de travail spécifiquement dédié à la ressource. La ressource marine est un potentiel fort pour les années à venir et fait partie de nos préoccupations. L'IFREMER nous rend compte à cet égard de ses travaux. Certains d'entre eux, en cours d'achèvement, nous fournissent les informations techniques dont nous disposons. L'étude de l'IFREMER sur l'état des connaissances et des propositions pour une stratégie française pour les dix ans à venir est en cours d'examen par le groupe de travail du COMES. Nous y travaillons collectivement avec les différents ministères concernés. L'IFREMER constitue donc notre référentiel en termes de connaissances techniques. Je les ai exploitées pour vous permettre d'appréhender les perspectives réelles et les contraintes d'exploitation de ces ressources.

Il existe trois principaux types de ressources minérales non énergétiques présentes au fond des mers, sur lesquels nous avons focalisé, à des échelles différentes, nos travaux ces dernières décennies : les sulfures hydrothermaux, les encroûtements cobaltifères, les nodules polymétalliques. Un autre classement concernant les zones marines outre-mer définit quatre domaines principaux : les marches continentales, les îles et les îles volcaniques actives ou récentes, les anciens volcans et les atolls immergés, et enfin les plaines abyssales.

Les ressources les plus immédiatement disponibles sont les sulfures hydrothermaux, dans des zones favorables à la formation des sulfures polymétalliques. On les trouve à Wallis-et-Futuna, autour de la Nouvelle-Calédonie, aux îles Saint-Paul et Amsterdam, dans l'archipel des Crozet, à Kerguelen, Mayotte, aux Antilles et en Polynésie française. Ces amas sulfurés ont en général des teneurs en métaux sensiblement supérieures à celles des mines exploitées à terre, notamment en cuivre et en zinc. On trouve aussi des métaux plus rares, plus stratégiques, pour nos industries métallurgiques : l'indium, le germanium, le cadmium, l'antimoine, le sélénium, le bismuth ; et les fameuses terres rares, qui sont utilisées dans la composition des infrastructures de nos énergies renouvelables.

Le second type de ressources minérales présentes dans les volcans anciens et atolls immergés, tels que l'archipel des Tuamotu, les Kerguelen, Mayotte, les îles Éparses, sont les encroûtements cobaltifères. Il s'agit de l'oxyde de fer et du manganèse, c'est-à-dire des métaux un peu moins intéressants sur le plan économique aujourd'hui. Les concentrations les plus élevées sont en Polynésie. Elles y sont plus fortes que celles des minerais extraits à terre. On pense que ces encroûtements cobaltifères pourraient être une ressource d'avenir pour le cobalt, aujourd'hui présent au Congo, une zone géopolitique soumise à de fortes tensions. On trouve aussi, dans les volcans anciens et atolls immergés, des terres rares et du platine, qui augmentent considérablement la valeur du minerai.

Troisième type de ressources minérales, les nodules, présents dans les plaines abyssales : Polynésie française, Clipperton, où les travaux sont engagés depuis bien plus longtemps. On a beaucoup compté sur les nodules polymétalliques dans les années 1970, avant de prendre conscience de la complexité de leur éventuelle mise en exploitation. Une des difficultés majeures est d'identifier la localisation des nodules les plus intéressants, c'est-à-dire à forte teneur en métal. On a trouvé des substances intéressantes dans certains nodules, mais pour d'autres, la teneur en métal est trop faible pour envisager une exploitation. Ils peuvent contenir du cuivre ou des éléments plus rares tels que tellure, zirconium, thallium.

Les marches continentales intéressent plutôt la Guyane, et éventuellement Saint-Pierre-et-Miquelon. Nos connaissances y sont beaucoup plus lacunaires. Le Brésil a cependant exploré ses zones ; il est possible que les eaux guyanaises recèlent le même type de ressources, c'est-à-dire sous forme de sédiment (sable) et non pas d'encroûtements ni de nodules. En termes d'exploitation, ces ressources pourraient s'apparenter aux granulats marins. On trouve dans ces sables des concentrations assez fortes en scandium, vanadium, titane, zirconium. Mais nous n'avons aujourd'hui aucun élément d'information pour la Guyane. Nous nous contentons de nous appuyer sur les travaux de l'IFREMER et sur ceux réalisés par le Brésil. L'évaluation de ces ressources reste à engager.

Enfin, les révélations très médiatisées des chercheurs japonais selon lesquelles les fonds des mers recèleraient des terres rares en énorme quantité dans les sédiments de Polynésie française sont à prendre avec circonspection. Les concentrations annoncées sont assez faibles, comparées à celles exploitées à terre notamment en Australie. On peut s'attendre à ce qu'il existe des zones plus riches, mais comment et où les trouver ? Il faut d'abord mettre en place des modèles de création de gisements qui permettent de localiser et d'expliquer la localisation de la ressource. C'est le travail de géologie, qui appartient au BRGM et à l'IFREMER. Ensuite viennent les phases de prélèvement des échantillons, de mise en valeur de la ressource, et de persuasion des investisseurs. C'est une problématique d'inventaire que le ministre du redressement productif, M. Arnaud Montebourg, a évoquée ces dernières semaines. Il a mis l'accent sur la nécessité du renouvellement de l'inventaire métropolitain, mais le raisonnement pour le offshore s'applique a fortiori, car il est encore moins connu.

En conclusion de ce panorama très rapide, on connaît assez bien les amas sulfurés, pour lesquels des projets miniers commencent à se présenter, comme à Wallis-et-Futuna. Ce sont les plus intéressants en teneur en métaux. Ils présentent potentiellement les possibilités d'exploitation plus matures, même si on n'en est pas encore à cette phase, en tout cas en zone française. Pour les autres, la connaissance est encore à affiner et à construire.

Les travaux récents de la France dans ce domaine ont largement été organisés dans le cadre du Comité interministériel de la mer (CIMER). L'IFREMER en est le porteur principal ; c'est un opérateur majeur au niveau mondial aujourd'hui.

Je vais à présent vous présenter l'état des campagnes. La plus ancienne campagne internationale a porté sur les nodules polymétalliques, à Clipperton, où la France détient un permis jusqu'en 2017, qui porte sur l'aspect ressources mais aussi sur l'aspect environnemental. En Atlantique Nord, la France vient d'obtenir, au cours de l'été 2012, par l'intermédiaire de l'IFREMER, un permis déposé en avril auprès de l'Autorité Internationale des Fonds Marins (AIFM). La France s'est engagée sur un programme de travail portant sur 14 millions d'euros sur quinze ans, qui ne sont, à ce jour, pas financés du tout. C'est un sujet qui est en discussion avec les responsables politiques. Cette grosse somme est à répartir sur les quinze ans. Les années pendant lesquelles les campagnes seront menées seront les plus onéreuses : il faut compter 3 à 4 millions d'euros par année de campagne maritime.

La seule procédure de dépôt du dossier pour la demande de permis a coûté 500 000 dollars, financés à 50 % par le ministère chargé de la mer et à 50 % par la direction générale de la compétitivité de l'industrie (DGCIS) du ministère du redressement productif. Ces 500 000 dollars représentent uniquement le coût du « ticket d'entrée ».

Mme Odile Gauthier. - Les 14 millions d'euros sont liés à une stratégie pour obtenir le permis. Plusieurs stratégies étaient envisageables.

M. Rémi Galin. - Nous pouvions en effet opter pour d'autres stratégies, à 15, 20 ou 25 millions d'euros, en fonction du nombre de campagnes en mer. La décision a été arrêtée en avril. Pour des raisons budgétaires, nous avons choisi la formule minimaliste, sans pour autant que les modalités de financement n'aient été arrêtées. C'est un vrai sujet...

Les derniers travaux sur lesquels des efforts importants ont été réalisés, portent sur la zone de Wallis-et-Futuna : la ZEE au sud de Futuna. C'est un partenariat public privé. 18 millions d'euros ont été engagés ces trois dernières années, pris en charge par le ministère de l'Écologie, l'Agence des aires marines protégées, et par un consortium qui au départ était constitué d'ERAMET (l'opérateur minier), Technip (l'opérateur industriel), l'IFREMER et le BRGM, qui n'a participé qu'à la première campagne, et s'est retiré ensuite. AREVA était également présent sur les deux premières campagnes et s'est ensuite retiré. Le consortium est donc aujourd'hui réduit à ERAMET, l'IFREMER et Technip. L'État français est, lui, intervenu dans la première campagne. Nous suivons depuis les travaux par l'intermédiaire du COMES (Comité pour les métaux stratégiques). Trois campagnes ont eu lieu. Elles correspondent aux autorisations préalables qui ont été obtenues ; c'est le cadre juridique du code minier qui s'est appliqué. Ce n'était pas un permis exclusif de recherche, mais une autorisation de protection préalable, donc une procédure plus légère.

Dans le cadre de cette autorisation, l'IFREMER a pu bien tester ses outils de détection. Les amas sulfurés sont dans des sources hydrothermales. On sait bien détecter les sources hydrothermales « actives », qui sont les plus actives au regard de la biodiversité, mais aussi les plus contraignantes si on imaginait un jour de les exploiter. Il faut donc trouver des sites « éteints », c'est-à-dire qui ont fonctionné dans le passé. C'est plus compliqué. Par étalonnages successifs du matériel de l'IFREMER, on a trouvé de manière significative, dans la dernière campagne achevée en juillet, ce type de gisement, sur lequel des échantillons ont été prélevés dont la teneur en métal est supérieure à celle obtenue par les exploitations à terre. Les profondeurs d'eau, de 1 500 mètres, sont gérables selon les critères reconnus par Technip. Les contraintes technologiques sont ailleurs, j'y reviendrai, ainsi que sur les données relatives à la biodiversité qui n'ont pas encore été traitées et qu'il faut prendre en compte. On n'est pas capable aujourd'hui d'affirmer s'il existe un gisement, quel est son volume et son épaisseur. Pour obtenir ces données, un forage est nécessaire, d'une densité suffisante pour dimensionner un projet minier.

Il est possible qu'ERAMET dépose assez rapidement une demande de permis exclusif de recherche. Il est le seul à avoir la capacité technique pour le faire. Il envisage un partenariat afin d'abaisser le coût du ticket d'entrée du permis d'exploration, d'environ 100 millions d'euros, auxquels s'ajoutent les coûts d'exploitation qui se comptent en centaines de millions d'euros.

Nautilus, groupe australien à capitaux canadiens, s'intéresse également à la zone et est engagé dans un projet d'exploitation en Papouasie-Nouvelle-Guinée, mais a une attitude de financier plutôt que d'exploitant minier. Il fait beaucoup d'entrisme au niveau international.

Voici pour l'état des lieux technique de la ressource et de la prospection en France. Toutes les autres informations que nous avons proviennent des campagnes de reconnaissance scientifique qui ont été largement menées par l'IFREMER ou par du travail documentaire réalisé à l'occasion des travaux.

Mme Odile Gauthier.- Pour ce qui concerne les enjeux économiques et environnementaux de l'exploitation de ces ressources, nous pensons avec l'ADEME que les amas sulfurés constituent la piste la plus opérationnelle à court ou moyen terme, et dans les vingt ans à venir. À terme, il faudra sans doute faire appel à ces ressources minérales offshore, à une date qui dépendra aussi de tous les axes qui sont mis en place actuellement sur les métaux stratégiques en terme d'économie de matière, de substitution et de recyclage. Selon les hypothèses que l'on fait dans ces trois domaines (par exemple, la capacité à récupérer dans nos consommations de produits électroniques davantage de terres rares), on n'arrive pas du tout aux mêmes besoins à venir de matières premières minérales. Le groupe recyclage du COMES y travaille actuellement. Or, on est aujourd'hui dans une grande incertitude sur ces sujets, qui dépendront aussi de la capacité technologique et des coûts afférents à l'exploitation de ces ressources minérales non énergétiques.

M. Rémi Galin.- Au fur-et-à-mesure que les pays se développent, l'appel aux matières premières va devenir plus important et ne sera pas satisfait par les politiques qui ont été énoncées.

Mme Odile Gauthier.- Bref, on aura besoin de ces ressources, mais à quelle échéance ? Ce n'est pas évident. On peut se tromper. La deuxième question s'agissant des enjeux économiques, concerne les deux niveaux d'analyse : pour les territoires eux-mêmes, quelles retombées économiques et financières ? Cette question est liée à la fiscalité des ressources ; et surtout, quelle capacité des territoires à développer des filières en aval pour produire de la valeur ajoutée et de l'emploi ?

En termes d'intérêt national, nous avons des territoires qui ont de fortes potentialités justifiant que l'IFREMER et Technip puissent poursuivre leur avancée technologique s'ils considèrent qu'ils ont des perspectives. Mais l'intérêt national ne se confond pas nécessairement avec l'intérêt économique des territoires. On a vu qu'AREVA s'était retiré du projet minier de Wallis-et-Futuna, et qu'ERAMET poursuivait sa propre stratégie. On doit avoir à l'esprit ces deux aspects, les intérêts n'étant pas toujours convergents en termes de calendrier notamment. En outre, des analyses au niveau des territoires sur les filières aval à construire n'existent pas encore.

Face à des pays comme la Chine ou le Brésil dans le domaine des métaux stratégiques, la France ne peut pas être une concurrente à elle seule. Il faut un angle d'attaque européen, qui se traduise par un vrai travail de la Commission européenne, pas seulement pour peser sur les prix chinois quand la Chine décide de diminuer drastiquement ses exportations de terres rares, mais aussi pour associer des filières technologiques françaises à d'autres Européens, y compris la grande Europe, pour peser face à l'Asie et à l'Amérique du Sud. Là où ERAMET n'irait pas sur un marché, une entreprise allemande pourrait y entrer. L'IFREMER est très sollicité par des Européens et même des Russes. Une stratégie d'utilisation des ressources est développée au niveau européen, mais il faut aller plus loin.

S'agissant des enjeux environnementaux, la connaissance des grands fonds est encore très limitée. Nous avions insisté pour que, dans le cadre des travaux d'exploration menés à Wallis-et-Futuna, il y ait en même temps l'analyse de la richesse en termes de connaissance sur la biodiversité de ces grands fonds, et l'analyse en termes de capacités d'exploitation des métaux. C'est très important, car des moyens énormes sont mobilisés pour les campagnes. Il faut à la fois se préoccuper des enjeux de connaissance des minerais et des enjeux de connaissance de la biodiversité. Sinon, on court le risque de se tromper, ou de donner prise à la critique. L'AIFM (Autorité internationale des fonds marins) insiste d'ailleurs sur la nécessité de prendre en compte ces deux dimensions, l'exploitation des minéraux et l'éthique de la biodiversité.

Le ministère de l'Écologie a commandé en mai 2012 à l'IFREMER et au CNRS une expertise scientifique collective sur les impacts environnementaux possibles de l'exploitation des ressources minérales marines profondes. Notre commande porte sur une analyse bibliographique de l'existant, mais aussi sur des pistes sur les domaines dans lesquels il est nécessaire de faire progresser les connaissances, et enfin des scénarii pour améliorer les connaissances et conjuguer l'exploitation des ressources minérales marines profondes avec l'impact environnemental. Il faut avancer en parallèle sur ces deux aspects, y compris pour que les territoires puissent bien appréhender les décisions à prendre, soit en matière d'exploitation, soit en matière de protection des écosystèmes. Nous aurons une première synthèse en novembre 2013, et le rapport final en mars 2014.

Se pose également la question des technologies éventuelles d'exploitation : comment exploiter, avec quelles techniques d'exploitation, comment avoir des processus acceptables pour l'environnement ? C'est un champ d'investigation neuf. On n'a pas encore de vision pour exploiter ces ressources avec un moindre impact environnemental. Les opérateurs miniers pourraient approfondir leur réflexion sur leurs méthodes et leurs techniques d'exploitation en même temps qu'ils déposent leur demande de permis de recherche. C'est à développer.

M. Rémi Galin.- Le seul projet que nous devons suivre attentivement, mais qui est repoussé de semestre en semestre, est le projet de Salora. Nautilus n'est pas très clair dans son discours : le groupe évoque des difficultés techniques avec le constructeur du bateau qui aurait fait faillite. C'est difficilement vérifiable. Il y a aussi la question des relations politiques avec le territoire. En tout état de cause, le premier coup de pioche n'a pas été donné aujourd'hui.

Mme Odile Gauthier.- Vous demandiez ce qui était nécessaire pour favoriser les processus d'exploitation. Il faut un encadrement juridique lisible, ce qui renvoie à la réforme du code minier. Dans le cadre du second appel d'offres éolien en mer, on s'est aperçu qu'on n'avait pas d'encadrement règlementaire des activités en ZEE ! Le ministère a donc produit un décret, passé en Conseil d'État mais non encore publié, pour encadrer notamment les activités non minières en ZEE de façon à permettre à la fois la prise en compte de la Charte de l'environnement et davantage de lisibilité pour les investisseurs.

J'en viens à la réforme du code minier. Un travail est en cours sous la présidence du conseiller d'État M. Thierry Tuot. Il réunit chaque semaine toutes les parties prenantes pour élaborer d'ici le 15 décembre les grandes orientations de la réforme, qu'ensuite l'administration déclinera techniquement dans des projets de textes. Des travaux spécifiques pour l'outre-mer sont prévus, mais dans un second temps, une fois les grandes orientations dégagées.

La question de la fiscalité et des retombées au profit des territoires n'a pas encore été abordée par le groupe de travail de M. Thierry Thuot, mais le sera. Je crois qu'il faut être prudent sur cette question : tant qu'on n'aura pas identifié les ressources et les modalités d'exploitation, il sera difficile d'en évaluer la rentabilité économique et a fortiori les retombées pour les territoires. La fiscalité sur cette activité peu connue est un sujet complexe. De plus, se pose la question de la concurrence entre les territoires. Chaque territoire devra-t-il appliquer la même réglementation ? Ce n'est pas simple.

La réforme du code minier devrait être soumise assez rapidement au Parlement. À ce stade, elle ne devrait pas être centrée sur la question de l'exploitation à vingt ans des ressources minières profondes.

Les deux acteurs majeurs sont Technip et l'IFREMER, qui sont bien placés, mais ils ne sont pas des opérateurs miniers. ERAMET et AREVA ont leur propre stratégie d'entreprise. L'avenir des activités off-shore en ZEE repose sur les partenariats européens qui sont à construire. L'IFREMER a la capacité technique de développer des activités dans ce domaine, d'ailleurs l'exploitation minière profonde est un de ses axes stratégiques. Il faut faire en sorte que le BRGM et l'IFREMER travaillent mieux de concert sur ces questions, notamment sur les amas sulfurés. Notre rôle de tutelle est impliqué.

Je vais maintenant clarifier le positionnement de l'IFREMER. Dès lors que l'IFREMER est opérateur dans une campagne pour un État ou un opérateur étranger, il est expert auprès de l'État français pour nous assister dans nos décisions. Notamment pour les titres miniers en mer, l'IFREMER est obligatoirement expert auprès du ministère pour donner un avis scientifique avant la décision. Nous travaillons actuellement avec l'IFREMER afin de définir des règles de déontologie, qui permettent à l'IFREMER à la fois de poursuivre son développement technologique et ses relations avec les opérateurs privés, et aussi son rôle de conseil auprès des ministères pour des décisions publiques.

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur.- J'aimerais soulever quelques questions. Tout d'abord, le pouvoir réglementaire a tendance à prendre le pas sur le pouvoir législatif : vous avez rédigé un décret faute de décision législative. Ce n'est pas nécessairement à déplorer, mais je tenais à le souligner.

Ensuite, vous avez évoqué les retombées économiques pour les territoires dont les intérêts seraient selon vous parfois en contradiction avec les intérêts nationaux. En Guyane, des entreprises nationales, voire européennes, de l'industrie spatiale, pourraient aussi travailler en lien avec les activités d'hydrocarbures. Certaines le font déjà, comme la Sodexo. Quand ce n'est pas le cas, c'est que nous n'avons pas su anticiper. Il n'y a pas eu de dialogue. Il faut donc trouver davantage de cohérence entre les décisions prises au niveau gouvernemental et les applications locales.

J'en viens à la fiscalité : certes, dans certains domaines, nous manquons de données pour apprécier les mesures à mettre en oeuvre. Mais certaines propositions législatives qui présentent un intérêt (par exemple, comment indexer la fiscalité sur le cours de l'or) ne sont pas entendues par le gouvernement. La réforme du code minier devrait être l'occasion de trouver des synergies entre la nécessité de protéger l'environnement, de favoriser des retombées économiques et de promouvoir l'attractivité des territoires. Nos territoires ont besoin de retombées fiscales mais aussi économiques.

Mme Odile Gauthier.- Il est difficile d'avoir une visibilité sur la rentabilité et les retombées économiques d'activités qui relèvent de la prospective. Il y a une stratégie de long terme à mettre en place, par exemple sur l'activité portuaire. Je suis en revanche d'accord avec vous sur la fiscalité de l'or en Guyane.

M. Rémi Galin.- Il peut exister un hiatus entre les intérêts du territoire et ceux de l'État. Une entreprise chinoise qui exploite une ressource dans la ZEE d'un territoire, en se conformant aux règles fiscales du territoire, alimente ses propres usines. Cette alimentation fait précisément défaut à nos industries nationales. De surcroît, la France a pu aider cette entreprise chinoise à se développer. Là réside le hiatus. Mais cela ne signifie pas nécessairement que les intérêts locaux et nationaux sont antagonistes. Les territoires doivent développer l'internationalisation de leurs rentes minières pour ne pas que leurs ressources leur échappent ! La valorisation de leurs ressources minières crée de la richesse pour le territoire !

M. Joël Guerriau, co-rapporteur.- S'agissant des sources hydrothermales, existe-t-il beaucoup de sites éteints répertoriés, et représentent-ils un intérêt économique ?

M. Rémi Galin.- Je m'appuie sur les études de l'IFREMER. Aujourd'hui, les potentiels annoncés sont importants et représentent des années d'approvisionnement pour les industries. La difficulté réside dans l'identification des zones où ils sont éteints. La dernière campagne de l'IFREMER à Wallis-et-Futuna a permis des progrès dans son savoir-faire et sa technologie. Il n'existe pas de cartographie. Quelques zones d'intérêt ont été identifiées, comme à Wallis-et-Futuna et aux Tuamotu en Polynésie française. Il faut faire un inventaire minier off-shore. C'est un investissement d'avenir à faire pour attirer les projets miniers. C'est un investissement coûteux qui relève d'un choix d'investissement collectif.

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur.- Quel est votre sentiment sur la question de la dépendance nationale et de la sécurisation des approvisionnements stratégiques ? Le mode de consommation français et européen doit-il changer et s'appuyer sur le recyclage, qui constitue une forme d'autonomie énergétique ? Il s'agit d'éviter la pénurie. Or, ce n'est pas la préoccupation des opérateurs que nous avons entendus !

Mme Odile Gauthier.- J'ai en effet insisté sur le recyclage. Selon la vitesse à laquelle on arrive à recycler des matières premières ou à réduire la consommation, la date à laquelle on a besoin de ces ressources n'est pas la même. On ne peut pas continuer à consommer sans se préoccuper de recyclage ou de substitution de ressources ! Nous avons des mines terrestres énormes qui ont un impact sur l'environnement très important. Le COMES traite de tous ces aspects en même temps. La France a tout à gagner à travailler sur ces aspects de recyclage, de substitution et d'économies de ressources, en même temps que sur l'exploitation de nouveaux gisements.

M. Rémi Galin.- Le recyclage et la substitution sont aussi une condition d'acceptabilité des nouveaux projets. Il faut travailler sur tous ces aspects à la fois. Nous avons un devoir impérieux d'exemplarité. D'un autre côté, le recyclage et la substitution sont aussi une opportunité d'activité économique.

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur.- Peut-on dire que nous sommes dans une phase conservatoire, en attendant que les opérateurs aient plus de visibilité et que la recherche scientifique ait davantage progressé ? L'ensemble de ces données constitue-t-il un atout ?

Mme Odile Gauthier.- Oui, c'est un atout, mais à quelle échéance ? Et à condition d'allier la connaissance des minéraux et de la biodiversité.

M. Serge Larcher, président.- Les ZEE constituent une chance en matière de biodiversité et de matières minières. C'est une richesse potentielle. Mais elle pose la question de la protection de la nature. D'autre part, technologiquement, comment faire pour descendre dans les grandes profondeurs et atteindre les nodules polymétalliques ? Quant aux terres rares, elles ne sont pas rares. Ce qui importe est la teneur en métaux. L'intérêt est donc de trouver des matériaux qui ne soient pas trop profonds, et qui peuvent être exploités à bas coût et à profusion.

M. Rémi Galin.- Je ne crois pas qu'on cherche ce qui est rare. Les amas sulfurés recèlent du zinc et du cuivre, qui ne sont pas des métaux rares. Ces métaux ont une valeur plus importante aujourd'hui qu'il y a trente ans. On a cherché les métaux les plus couramment utilisés. Aujourd'hui, on en a trouvé d'autres, qu'on sait quantifier et mesurer, et il y a un marché. L'approche est différente. Aujourd'hui, on a besoin de métaux plus stratégiques.

M. Serge Larcher, président.- Il reste à maîtriser la technologie.

M. Rémi Galin. - Oui. Il faut aussi avoir une approche prudente. On voit apparaître des associations environnementales dans le Pacifique qui ont des revendications légitimes, mais qui nous obligent à avancer avec précaution.

M. Serge Larcher, président.- Il ne faut pas laisser les autres exploiter nos zones.

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur. - Vous avez cité des études du Brésil. Existe-t-il d'autres études communes avec d'autres pays ? Existe-t-il une coopération ?

M. Rémi Galin.- L'IFREMER est un opérateur mondial, et à ce titre, il contribue à certains travaux. Sur certains permis, mais à ma connaissance, pas français, des pays se sont associés. C'est un de nos axes de travail, pour nous comme pour le COMES. Le Brésil pourrait être un bon candidat pour nous, par exemple.

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur.- Y aura-t-il une réflexion sur l'outre-mer dans la réforme du code minier ?

Mme Odile Gauthier.- Oui. L'outre-mer fera l'objet d'une réflexion spécifique.

La zone économique exclusive des outre-mer : quels enjeux ?- Audition de M. Damien Siess, directeur-adjoint, Direction productions et énergies durables, Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME)

M. Serge Larcher, président. - Je souhaite la bienvenue à M. Damien Siess, directeur-adjoint à la Direction productions et énergies durables de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME).

M. Damien Siess, directeur-adjoint à la Direction productions et énergies durables de l'ADEME. - Je vais tout d'abord vous présenter les missions de l'ADEME, établissement public à caractère industriel et commercial, placé sous la tutelle conjointe des ministères en charge de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, et de l'enseignement supérieur et de la recherche. L'ADEME participe à la mise en oeuvre des politiques publiques dans les domaines de l'environnement, de l'énergie et du développement durable. Afin de leur permettre de progresser dans leur démarche environnementale, l'Agence met à disposition des entreprises, des collectivités locales, des pouvoirs publics et du grand public, ses capacités d'expertise et de conseil. Elle aide en outre au financement de projets, de la recherche à la mise en oeuvre dans ses domaines d'intervention.

Les métiers de l'ADEME se déclinent selon quatre modalités :

- Connaître : l'ADEME assure l'animation et participe au financement de la recherche et de l'innovation. Elle participe également à la constitution et à l'animation de systèmes d'observation pour mieux connaître l'évolution des filières et être au fait des meilleures technologies d'aujourd'hui et de demain ;

- Convaincre et mobiliser : l'information et la sensibilisation des publics sont des conditions essentielles de réussite des politiques en matière d'environnement. Dans ce cadre, l'ADEME met en oeuvre, avec des partenaires pour démultiplier les effets, des campagnes de communication de grande ampleur pour faire évoluer les mentalités, les comportements et les actes d'achats et d'investissement. L'ADEME mène ainsi des campagnes grand public pour le compte du gouvernement ;

- Conseiller : l'ADEME assure un rôle de conseil pour orienter les choix des acteurs socio-économiques. C'est une aide à la décision pour les entreprises. La diffusion directe par des relais de conseils de qualité est une composante majeure de la mise à disposition de l'expertise de l'Agence (aide aux maîtres d'ouvrage, soutien aux relais et réseaux d'acteurs pour démultiplier l'offre de conseils). L'ADEME élabore également des outils et des méthodes adaptés aux attentes de ces acteurs ;

- Aider à réaliser : pour les aides directes à la concrétisation des projets, l'ADEME déploie des types de soutien financier gradués. Elle favorise également la mise en oeuvre de références régionales et nationales.

Le rôle de l'ADEME est d'avoir « un coup d'avance » pour alimenter les décisions publiques et définir la réglementation de demain. Pour être éligibles à nos aides, il faut aller au-delà des prescriptions réglementaires.

L'ADEME compte 1 000 agents, répartis dans les services centraux et les directions régionales, y compris dans les quatre DOM historiques ainsi qu'à Saint-Pierre-et-Miquelon, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française. L'outre-mer représente 10 % des effectifs et du budget de notre action régionale, et une cinquantaine de personnes.

Le budget de l'ADEME s'élève à quelque 200 à 250 millions d'euros annuels. Les engagements annuels représentent 600 à 650 millions d'euros par an. Le domaine énergie-climat représente la moitié de notre activité ; c'est le premier métier de l'Agence. Enfin, depuis le lancement des investissements d'avenir, nous avons un budget à part, le budget du Commissariat général à l'Investissement (CGI) confié à l'ADEME : quatre programmes représentent 2,5 milliards d'euros d'investissements d'avenir, dont 1,5 milliard affectés aux énergies décarbonées, la chimie verte, les réseaux intelligents... Nous sommes donc un acteur important dans l'innovation pour les énergies de demain.

S'agissant de l'énergie et du climat, nous avons deux compétences : les économies d'énergie et le développement des énergies renouvelables. L'un des grands objectifs que nous a confiés le gouvernement est véritablement l'efficacité énergétique et l'aide au financement ou à l'expertise des énergies renouvelables.

S'agissant particulièrement des énergies marines, il faut savoir qu'elles concernent davantage le littoral et la zone territoriale que la ZEE : plus on s'éloigne de la côte, plus les contraintes se multiplient et élèvent les coûts. Le coût de raccordement, ne serait-ce qu'électrique, avoisine le million d'euros par kilomètre ; le coût d'intervention en maintenance et en installation est également plus élevé ; les contraintes physiques sur les matériaux, liées aux marées et au vent, doivent aussi être prises en compte.

L'exploitation à distance des côtes est donc un sujet de long terme, qui supposerait, pour se développer, des baisses très fortes des coûts technologiques (notamment du raccordement), qui permettraient de démultiplier la surface potentielle.

Elle présente cependant également des avantages : en s'éloignant des côtes, on multiplie le potentiel en surface. L'acceptabilité de l'exploitation est davantage acquise que sur le littoral, marqué par les conflits d'usages potentiels liés à l'esthétique, la pêche, la plaisance... La pression foncière au sens large du point de vue des usages de la mer est beaucoup plus prégnante à proximité des côtes.

La deuxième évolution qui favoriserait le développement des énergies marines loin des côtes consisterait en des solutions massives de stockage, notamment d'électricité, soit de type gravitaire (par différence de hauteur entre des niveaux d'eau), soit des stockages chimiques, aujourd'hui pas complètement maîtrisés, ou à des coûts prohibitifs. La mise en place de telles technologies de rupture à l'horizon de 40 à 50 ans rendrait les ZEE potentiellement intéressantes, car elle augmenterait la rentabilité de projets de très grande taille, certes chers en investissement, mais avec la possibilité à la fois de stocker l'énergie sur place et de la rapatrier à terre pour satisfaire la demande à tout moment.

Ces éventuelles évolutions relèvent pour l'instant de la prospective et de la recherche à des échéances de 30 ou 40 ans. La maturité à court et moyen termes des technologies demeure proche des côtes.

Je vais à présent vous présenter les différentes technologies marines, par ordre de maturité décroissante.

La plus mature et la plus ancienne des technologies marines est le marée-moteur. C'est un système de barrage aux coûts connus, mais dont les perspectives sont relativement faibles en termes de croissance car il existe peu de sites adaptés dans le monde, et les sites existants ont des impacts environnementaux forts (blocage de la circulation d'eau, impact sur la biodiversité).

Ensuite, l'éolien : l'éolien posé sur le fond des mers, jusqu'à 40 mètres, est la deuxième technologie plus mature car c'est une adaptation directe de ce que l'on sait faire à terre. L'éolien posé n'est cependant pas conçu comme une énergie marine. Il s'est d'abord développé sur des sites de faible profondeur, en mer Baltique par exemple, assez loin des côtes pour éviter les conflits liés à la dénaturation du littoral. En outre-mer, les fonds descendent très vite, ce qui rend quasiment impossible le déploiement de ces technologies ancrées, sauf à les installer à moins de deux kilomètres des côtes.

Pour ces mêmes raisons, les développements pour l'instant peu matures de l'éolien flottant sont plus intéressants car ils permettent de s'affranchir de la profondeur. Des systèmes d'ancrage permettent de maintenir la plateforme flottante sur laquelle sont installées les éoliennes. Il s'agit cette fois d'une véritable énergie marine, pour laquelle la France a des atouts importants : elle possède à la fois un espace maritime énorme qui produit de l'énergie grâce à la houle, les vagues, le courant ; et également les capacités scientifiques et industrielles pour développer les plateformes en mer et les navires, que ce soit pour l'installation ou la maintenance. Il y a donc un véritable potentiel pour la France, comme l'a souligné cette semaine encore la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, Mme Delphine Batho. L'éolien flottant rassemble des professionnels très compétents en ancrage, en stabilité de flotteurs, et qui ne sont pas des acteurs historiques de l'éolien. Il y a donc une véritable rencontre entre les acteurs de la mer et ceux de l'éolien pour cette technologie.

La raison pour laquelle l'éolien en mer n'est pas nécessairement le plus intéressant pour l'outre-mer est que, dans un certain nombre de territoires d'outre-mer, on atteint déjà un taux important d'énergies renouvelables intermittentes parmi les énergies électriques. Dans certaines conditions (consommations faibles et périodes ensoleillées et éventées), ce taux peut atteindre 30 % de la production d'électricité à un instant donné, ce qui est la limite si on veut aujourd'hui gérer « sereinement » un réseau électrique. Cela ne signifie pas qu'on ne puisse pas faire mieux demain, surtout si l'on dispose de réseaux intelligents et de capacité de stockage. Cela signifie que les énergies renouvelables constituent un enjeu très important dans les outre-mer : c'est le cas de la géothermie et de certaines des énergies marines que je vais présenter, et dans une moindre mesure de l'éolien en mer.

L'hydrolien (grandes hélices sous-marines qui utilisent le courant des marées, d'autant plus important qu'on a des phénomènes d'accélération à proximité des côtes) trouve des zones propices très près des côtes. Si, demain, on s'affranchissait de certaines contraintes, on pourrait utiliser les grands courants océaniques qui sont loin des côtes, mais on retombe sur les contraintes que j'ai indiquées précédemment. On utilise donc l'énergie hydrolienne plutôt à proximité des côtes, en métropole, où on trouve des phénomènes de marnage plus importants qu'en outre-mer. Le potentiel pour l'hydrolien en outre-mer est donc assez faible.

Le houlomoteur (utilisation directe de l'énergie des vagues ou de la houle) se présente également sous deux options : soit à proximité des côtes où on utilise les phénomènes liés aux vagues hautes, soit l'utilisation de la houle océanique, moins importante en hauteur mais très régulière et très puissante. Le potentiel en outre-mer est important, mais de façon intermittente, en fonction de l'intensité de la houle. Les services météorologiques peuvent prédire les niveaux d'intensité de la houle, ce qui est un facteur positif. Mais globalement, l'hydrolien reste peu mature.

L'énergie thermique des mers est cruciale pour l'outre-mer, avec deux types d'applications possibles : électrique, en utilisant les différences de température entre l'eau en surface et l'eau profonde ; ou pour des besoins de climatisation directement à partir de l'eau froide récupérée dans les profondeurs pour alimenter un réseau d'eau froide. Ces deux applications sont donc adaptées à l'outre-mer : la première permet de fournir de l'électricité de base ; la seconde permet de fournir des systèmes de froid renouvelable, particulièrement intéressants pour les territoires d'outre-mer soumis à des climats de forte chaleur. À l'inverse des technologies précédentes, on recherche cette fois des eaux profondes, sans avoir besoin d'aller très loin des côtes.

Enfin, l'énergie osmotique qui consiste à utiliser la différence de salinité entre deux eaux, n'est pas du tout mature et utilise des matériaux coûteux ; cette énergie n'est pas d'actualité aujourd'hui.

J'en viens plus précisément aux enjeux directs pour l'outre-mer. Vous savez que l'énergie y est plus chère qu'en métropole, de l'ordre de quatre fois plus chère. L'intérêt de remplacer ces énergies par des énergies renouvelables - remplacement acté par un certain nombre de schémas régionaux pour l'outre-mer - est double : ce sont des énergies carbonées pour l'instant, et dont les moyens de production coûtent cher. Un système de péréquation, la Contribution au service public de l'électricité (CSPE) a été mis en place. Surtout, le potentiel existe réellement : nous avons l'accès à la mer et à la ressource, pour certaines des énergies marines renouvelables. L'intérêt est fort pour les énergies de base, et pour les solutions de stockage. Pour les énergies qui ne produisent en permanence, il faut raisonner en stockage associé pour avoir de réelles perspectives. C'est le cas de l'éolien en mer.

Parmi les plus beaux exemples de projets actuels qui donnent des perspectives intéressantes pour l'outre-mer, j'en citerai deux qui sont liés à l'énergie thermique des mers (ETM). Le premier, l'ETM Martinique, qui vise à produire de l'électricité, a été soutenu par la France dans le cadre de l'appel d'offres de la Commission européenne NER 300, qui consiste à financer au niveau européen des projets d'énergies renouvelables ou de stockage de CO2 avec les crédits des mises aux enchères des crédits carbone. La France a soutenu sa candidature ; l'ADEME a indiqué que si le projet était retenu au titre du programme NER 300, il y aurait un complément de financement au titre des investissements d'avenir déployé par le budget français. Mais ce projet ETM Martinique est actuellement en souffrance, car il figure en dernière position dans le classement des projets rendu par la Commission européenne en juillet 2012, c'est-à-dire qu'il est premier « relégable ». En effet, la Commission européenne aura moins de crédits que prévu pour chaque projet, compte tenu de la baisse du cours du carbone constatée au moment du lancement du programme. Certains projets de la liste préliminaire ne seront donc pas retenus. Il est très probable que le projet ETM Martinique soit « recalé » quand la Commission annoncera sa décision finale. Se posera alors la question, pour DCNS, la région Martinique et les autres porteurs de projet, de l'avenir de ce projet, dont l'intérêt technique demeure. Quelle partie des études environnementales ou sur le gisement pourra être réutilisée pour d'autres énergies marines, par exemple pour un projet de climatisation ? En tout état de cause, le projet est en soi un beau projet, qui utilise la différence de température en surface (25 degrés) et en profondeur (5 degrés), mais très cher et très probablement non retenu par la Commission européenne.

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur.- Pourquoi a-t-il été classé dernier ?

M. Damien Siess - Le critère déterminant du classement est le ratio entre le coût et le productible, notamment la quantité d'énergie produite in fine. D'autres projets sont plus immédiatement rentables. Il ne m'appartient pas de juger si ce sont les projets les plus chers ou les moins matures qui mériteraient justement d'être aidés...

Le deuxième projet très important est le projet SWAC à Saint-Denis, à La Réunion, d'un budget de 140 millions d'euros, dont 20 millions d'euros d'aides financés par l'ADEME et 30 millions d'euros de la région, du Fonds européen et du FEDER. C'est un projet de climatisation qui utilise de l'eau profonde pour fournir du froid renouvelable. Ce projet est porté par un consortium au sein duquel GDF-Suez est le leader. La société Climespace et la Caisse des Dépôts sont également parties prenantes. Le deuxième intérêt du projet est qu'il permet un effacement électrique : les pompes à chaleur ont besoin de moins d'électricité que les climatiseurs pour produire du froid. Le coefficient de performance est donc très élevé, de l'ordre de 10 (l'énergie obtenue sous forme de froid est 10 fois supérieure à l'énergie utilisée par la pompe à chaleur).

Or, chaque production électrique dans les zones non interconnectées comme La Réunion étant plus chère que la moyenne nationale, la différence est compensée par la CSPE, le système de péréquation qui sert à payer le tarif de première nécessité. Un système peu coûteux en électricité comme ce projet SWAC permet donc de faire des économies sur la CSPE. L'objectif économique de ce projet est qu'EDF puisse rémunérer la société porteuse du projet pour les kilowatts heure électriques non appelés (les effacements) et qu'ensuite cette rémunération soit répercutée sur la CSPE mais de façon moindre que ce qui aurait été répercuté si on avait seulement fait tourner les climatiseurs. En revanche, le dispositif actuellement prévu par la CSPE ne permet pas de compenser l'effacement avec de la CSPE. Peuvent être compensés les seuls trois domaines suivants : tarif de première nécessité, production dans les zones non interconnectées et production renouvelable. Il n'existe pas de rémunération possible par la CSPE d'économies d'énergie ni sur le stockage. C'est paradoxal au regard des enjeux à moyen et long termes. Cela nécessiterait une modification législative. C'est l'objet d'un amendement à la proposition de loi du député M. François Brottes instaurant une tarification progressive de l'énergie. Cet amendement permettrait à la CSPE de compenser l'effacement électrique. Une telle disposition aurait un fort impact sur la faisabilité du projet SWAC.

Ce projet devra par ailleurs obtenir l'aval de la Commission européenne, compte tenu des niveaux d'aide apportés. Cela suppose encore un an de discussion pour que les financements publics accordés soient validés avant le commencement du projet.

D'autres projets de même nature sont en cours, mais moins avancés : l'un à Saint-Pierre à La Réunion, porté par EDF, sera sans doute déposé prochainement. Si le projet ETM Martinique ne se fait pas du tout et qu'il est décidé de faire autre chose que de l'électricité, l'eau profonde froide serait alors utilisée directement dans un autre réseau de froid et éventuellement dans d'autres territoires.

L'ADEME soutient par ailleurs des projets houlomoteurs, à un stade d'avancement encore moindre. Je souhaite citer un projet qui met en évidence l'importance du stockage : c'est un projet de steppe marine en Guadeloupe, à un stade expérimental pour l'instant, et qui permettrait le stockage de l'électricité sur le même principe que les steppes en zone montagneuse, avec des dénivelés et un système de réservoirs aval et amont. Ces systèmes ont de très bons rendements, proches de 85 % à 90 %. On peut réaliser ce type de projet soit en bord de mer, à proximité d'une falaise par exemple, soit en pleine mer avec des digues et des lagons artificiels. Il s'agit d'une technologie d'avenir, nous en sommes au stade de la recherche-développement.

En conclusion, il faut continuer la recherche-développement technologique, notamment pour permettre le développement d'un certain nombre de filières qui ont un fort potentiel à la fois en termes d'enjeux énergétiques pour l'outre-mer et pour l'industrie française. À terme, il faut non seulement développer les espaces marins proches des côtes, mais utiliser aussi la ZEE. Aujourd'hui, on en est encore au stade de la recherche - développement.

M. Serge Larcher, président.- Je vous remercie de cet exposé exhaustif.

M. Joël Guerriau, co-rapporteur.- J'ai le sentiment que vous opposiez l'outre-mer à l'hexagone. Or, il y a une diversité de situations dans les outre-mer. Certains territoires pourraient-ils être exploités comme des zones pilotes, afin que la technologie ainsi expérimentée soit ensuite généralisée, voire exportée ? Les thermo-énergies par exemple, pourraient-elles constituer un projet expérimental ?

M. Damien Siess. - La ZEE ultra-marine se caractérise par un enjeu double : un intérêt pour la demande énergétique nationale et des filières d'export. L'expérience montre qu'on ne peut pas être présent à l'export si on n'a pas au préalable un marché domestique sur lequel on existe. En outre-mer comme ailleurs, les meilleurs acteurs sont ceux qui ont une présence forte chez eux. Si on réalise de beaux projets en Martinique, en Guadeloupe ou à La Réunion, on peut prétendre les exporter, vers la zone Caraïbes par exemple. De même, les enjeux de la géothermie sont doubles : l'énergie géothermique peut aussi intéresser d'autres territoires comme la Dominique, qui consomment des énergies chères et carbonées.

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur.- Avez-vous des études précises, par exemple pour la Guyane, où nous avons de nombreux fleuves, sur les barrages ?

Par ailleurs, l'ADEME possède-t-elle des études incitant davantage à développer tel ou tel procédé ?

M. Damien Siess - Je ne suis pas sûr que nous ayons des études sur le potentiel hydroélectrique en Guyane. On considère généralement que l'hydroélectrique est une énergie terrestre.

Pour répondre à votre deuxième question, l'ADEME a produit un document fondateur au moment où les investissements d'avenir ont été lancés. Quand l'ADEME s'est vue confier les 2,5 milliards d'euros au titre des investissements d'avenir, elle a ciblé précisément ce qu'elle voulait pour leur mise en oeuvre. D'autres modalités d'application des crédits des investissements d'avenir ont davantage été des guichets ouverts. Avant de recevoir les projets et de monter leur financement, nous avons pris le temps d'établir des feuilles de route et de lancer des appels à manifestation d'intérêt très ciblées sur la différence technologique et les potentiels existants. Il y a eu notamment une feuille de route sur les énergies marines, qui a indiqué que nous allions cibler telle ou telle technologie ; ensuite, les projets reçus dans le cadre des appels à manifestation d'intérêt devront bien répondre à tel ou tel verrou technique ou socio-économique, actuel ou à venir en cas de développement important des énergies marines. Ce travail en amont nous a permis de cibler les projets.

M. Serge Larcher, président.- Je vous remercie pour votre exposé clair et complet.

Jeudi 15 novembre 2012

- Présidence de M. Serge Larcher, président -

La zone économique exclusive des outre-mer : quels enjeux ? - Visio-conférence avec M. Temauri Foster, ministre des ressources marines du gouvernement de la Polynésie française, et M. Jacky Bryant, ministre de l'environnement et des mines du gouvernement de la Polynésie française

M. Serge Larcher, président .- Monsieur le ministre, je vous remercie pour votre disponibilité car le décalage horaire entre la Polynésie et l'hexagone, de 11 heures depuis le passage ici à l'heure d'hiver, vous conduit à nous rencontrer à 22 heures, heure locale.

Cette visioconférence est une première pour la délégation à l'outre-mer qui fêtera bientôt son premier anniversaire et j'espère qu'aucune saturation des réseaux du côté des États-Unis ne viendra perturber ou interrompre nos échanges. La thématique des zones économiques exclusives nous fait aborder décidément de nombreux défis techniques !

Notre délégation a en effet choisi comme sujet d'étude les ZEE ultramarines : à travers de nombreuses auditions, nous en explorons semaine après semaine les ressources et les enjeux. Ces enjeux sont évidemment majeurs pour les collectivités des outre-mer et il était donc indispensable de recueillir l'expression d'autorités politiques locales sur ce sujet : Richard Tuheiava, un de nos trois rapporteurs, avec Jean-Étienne Antoinette, sénateur de Guyane et Joël Guerriau, sénateur de Loire-Atlantique, n'a pas manqué d'attirer notre attention sur ce point.

Je vous donne la parole.

M. Temauri Foster, ministre des ressources marines du gouvernement de la Polynésie française.- C'est un grand honneur pour moi d'être entendu par la délégation sénatoriale à l'outre-mer. La Polynésie française est une poussière d'îles, située au coeur d'une immense zone maritime de 5 millions de km2. Nos 119 îles représentent 270 000 habitants, un PIB de 4,2 milliards d'euros, et un taux de chômage estimé à plus de 12 %. La Polynésie ressent fortement la crise, avec une chute du PIB de 10 % sur la décennie.

Je vais tout d'abord vous présenter un rapide panorama des secteurs économiques auquel s'intéresse le ministère des ressources marines. En 2011, les produits de la mer, la pêche, l'aquaculture et la perliculture représentaient une production de 11 000 tonnes pour une valeur estimée à plus de 142 millions d'euros ; la perliculture et la pêche sont les première et deuxième ressources du pays à l'exportation.

Les énergies renouvelables marines représentent une production annuelle de 200 millions de KWh et 28 % de la production totale d'énergies renouvelables. Nos objectifs fixés par le schéma directeur des énergies renouvelables nous conduiront à privilégier les projets hydroélectriques tout en optimisant la filière photovoltaïque et en préparant l'avenir avec des projets pilotes sur les énergies du futur. En 2018, 38 % de notre production d'électricité devra venir des énergies renouvelables, contre 28 % aujourd'hui.

Pour atteindre nos objectifs économiques, toutes filières confondues, des mesures d'accompagnement sont indispensables : refonte de notre cadre réglementaire et institutionnel ; nécessité de mieux gérer et protéger nos ressources ; évaluation et refonte de notre dispositif d'aides avec le souci de plus d'efficacité et d'équité ; développement de nos coopérations régionales et internationales ; formation de notre jeunesse et des acteurs de ces filières. Notre programme est ambitieux, et correspond aux enjeux économiques, sociaux et énergétiques que nous devons relever. La réduction de notre dépendance aux énergies fossiles est notamment un objectif crucial pour nous. Nous avons fixé comme objectif d'augmenter le chiffre d'affaires du secteur des énergies marines d'ici 2018. Mais les équipements structurants sont très coûteux. Nous cherchons des financements nationaux et internationaux, publics ou privés. Nous avons besoin du soutien de la métropole pour financer des investissements lourds, notamment en matière d'énergies renouvelables et de pêche. Nous souhaitons bien sûr le maintien du dispositif de défiscalisation.

Enfin, j'exprime toutes mes préoccupations sur la diminution des moyens déployés pour surveiller notre immense zone économique exclusive. Enfin, nous sollicitons un accompagnement renforcé dans la recherche et développement de nos filières les plus importantes.

M. Serge Larcher, président.- Je vous remercie, Monsieur le ministre. Vous avez soulevé le problème de la souveraineté sur nos espaces maritimes. La rédaction d'un Livre blanc de la Défense est actuellement en cours ; notre préoccupation est d'y affirmer notre volonté de protéger, sauvegarder et surveiller les espaces maritimes de tous nos outre-mer, afin que nos richesses halieutiques et minières ne soient pas exploitées par d'autres. La France doit se doter des moyens d'affirmer sa souveraineté dans ce domaine.

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur.- Pouvez-vous nous dresser un état des lieux des projets en cours concernant les énergies renouvelables ?

M. Temauri Foster.- La Polynésie s'est engagée à réduire ses besoins en énergies renouvelables de 50 % d'ici 2020. Un plan a été mis en place. Nous travaillons actuellement au développement d'une autre centrale de distribution hydroélectrique d'un potentiel de production de 10 mégawatts. Pour ce qui concerne le solaire, nous arrivons à saturation. Il faut désormais trouver des solutions de stockage de l'énergie solaire.

L'un des projets les mieux maîtrisés en Polynésie utilise l'énergie thermique des mers : c'est le SWAC, un système de climatisation qui utilise de l'eau profonde pour fournir du froid renouvelable. Un hôtel de Bora-Bora est entièrement climatisé grâce à ce système. Cela fonctionne très bien. Un deuxième projet SWAC en cours concerne un hôtel en construction sur l'atoll de Marlon Brando. Un troisième projet SWAC a pour objet de climatiser l'hôpital de Taiohae aux Îles Marquises. Son plan de financement est en cours de finalisation. Un quatrième projet SWAC concerne la côte ouest de Tahiti.

Nous avons par ailleurs entamé une étude sur l'énergie houlomotrice. Nous attendons un projet finalisé de la société porteuse du projet.

Concernant l'énergie hydrolienne, un début de travaux a été réalisé sur l'atoll de Hao, où des essais sur la courantologie ont été menés. Nous cherchons des sociétés pour réaliser les futures turbines. Notre objectif est d'appliquer ce programme dans tous les atolls où il y a de forts courants.

Enfin, nous avons, en partenariat avec l'État, cofinancé un projet d'études qui utilise l'énergie thermique des mers (ETM). Nous avons fait appel à une société française et une société japonaise, qui ont travaillé en collaboration. L'étude est à présent terminée. Nous attendons la finalisation de ce projet, très coûteux, pour lequel nous avons besoin du soutien financier de la métropole.

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur.- Quel est le sentiment du gouvernement polynésien au regard des enjeux des ressources minérales profondes et au vu des contraintes technologiques et budgétaires ?

M. Temauri Foster.- Mon collègue, M. Jacky Bryant, vous répondra plus précisément sur les ressources minérales. Pour ce qui concerne les ressources marines, nous maîtrisons les ressources de surface, mais pas celles des grandes profondeurs. Il faut investir beaucoup de moyens pour connaître les ressources de nos fonds marins. De plus en plus de navires de recherche, nationaux et internationaux, sillonnent nos océans. Mais nous ne connaissons pas toujours les objectifs de leurs recherches.

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur.- On constate une baisse capacitaire en matière de surveillance. Dans les huit prochaines années, comme l'indique le Livre Blanc sur la Défense, on rencontrera des difficultés réelles en matière de surveillance des mers. Quelles sont vos recommandations sur cette importante question ?

M. Temauri Foster.- Je dois vous faire part de ma profonde déception. Nous n'aurons peut-être plus de moyens pour assurer la surveillance de notre ZEE d'ici huit ans. Je reste persuadé qu'avec l'aide de l'État d'autres moyens seront déployés. Je m'adresse à vous pour relayer ce message afin que l'État investisse en Polynésie dans des moyens plus modernes, satellitaires notamment, pour déceler tous les navires conformes à la réglementation imposée par les différents comités de pêche internationaux. Ces navires qui naviguent dans nos ZEE doivent être équipés de façon à pouvoir être détectés par des radars. Nous devons être capables de déceler les navires étrangers qui pénètrent dans nos ZEE. De tels outils modernes nous permettraient de simplifier notre intervention, même si nous n'aurons prochainement plus autant de bateaux de surveillance.

M. Serge Larcher, président.- C'est une préoccupation de la délégation que la France puisse exercer ses compétences régaliennes sur ses ZEE. Le Livre Blanc sur la défense nous inquiète beaucoup. Les navires étrangers peuvent traverser nos ZEE, mais non y stationner pour y piller nos richesses. Nous devons nous faire entendre.

M. Joël Guerriau, co-rapporteur.- Vos objectifs sont ambitieux et clairvoyants. Votre espace maritime de 5 millions de km2 constitue une richesse mais aussi un défi. Existe-t-il un document plus précis qui analyse cet espace maritime, et décrive les moyens à mettre en oeuvre pour aller dans le sens de vos préoccupations ?

La pêche et l'aquaculture polynésiennes sont en concurrence avec l'Asie. Pourquoi cette concurrence est-elle si forte, et comment pouvez-vous renforcer votre compétitivité pour y faire face ?

En matière de recherche et développement, de quoi disposez-vous sur votre territoire, en matière d'effectifs notamment ? Quels sont vos besoins ?

Vous avez à relever un certain nombre de défis ; quels sont les handicaps les plus lourds à surmonter pour vous ?

M. Temauri Foster.- Nous avons mis en place, avec l'État, un Conseil polynésien de la Mer et du Littoral, présidé par le Haut-Commissaire et par le Président de la Polynésie. Dans le cadre d'un renforcement du partenariat avec l'État, ce Conseil étudie les moyens de renforcer la contribution à l'essor économique de la Polynésie, tout en veillant à la protection de l'environnement.

Il se réunit deux fois par mois et est composé de plusieurs comités, notamment : le comité stratégique qui conduit la politique maritime intégrée ; le comité opérationnel de l'action en mer, chargé de coordonner l'action des services de l'État et de la Polynésie. Les aspects liés à la surveillance de la pêche en Polynésie sont en cours de discussion. L'État et la Polynésie travaillent ensemble pour accompagner le développement des activités autour des ressources marines, mais nous ne disposons pas d'un Livre Bleu.

S'agissant de la concurrence avec l'Asie, il est très difficile pour la Polynésie d'être compétitive, pour des raisons notamment salariales ; la main d'oeuvre asiatique est très faiblement rémunérée comparée à celle polynésienne, qui perçoit un SMIC. Un autre handicap pour nous est l'éloignement de notre territoire des autres marchés. Cet éloignement est dû au coût élevé du transport. Pour y remédier, nous avons demandé que la Polynésie puisse bénéficier du dispositif européen d'aide au transport des produits de la mer, dispositif dont bénéficient la Guadeloupe et La Réunion. Cela permettrait à la Polynésie d'exporter davantage ses produits. Nous sommes par ailleurs à la recherche de marchés de niches, mais nous sommes freinés par le coût du fret.

Pour être plus compétitifs, nous avons choisi d'améliorer et d'accroître notre flottille de pêche afin qu'elle couvre une surface plus importante de ZEE. Il faut savoir en effet qu'un tiers seulement de notre ZEE est exploité de manière constante et efficace. Nous examinons par ailleurs la possibilité de faire appel à une part raisonnable de main d'oeuvre étrangère, notamment à des techniciens de haut niveau pour assurer la conservation des poissons dans le froid.

M. Serge Larcher, président.- Votre marché cible est-il hexagonal, ou bien est-il constitué des pays de votre zone, y compris le Japon par exemple ?

M. Temauri Foster. - Notre plus gros marché pour la pêche est l'Europe. Nous travaillons également avec les États-Unis, les Îles Hawaï, le Japon.

M. Serge Larcher, président.- Quelles sont vos attentes s'agissant de la recherche et développement ? Travaillez-vous avec l'IFREMER par exemple ?

M. Temauri Foster.- Nous travaillons avec l'IFREMER, l'IRD, le Trium, qui sont installés en Polynésie française. Notre partenariat porte sur la recherche fondamentale et appliquée. Nous cherchons à avoir un soutien technique de chercheurs métropolitains spécialisés pour accompagner nos axes de développement.

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur.- Quel est votre sentiment sur la question des câbles optiques sous-marins, technologie de pointe ?

M. Temauri Foster. - Cette poussée technologique est inévitable et s'avère indispensable dans le monde actuel de la communication et des échanges. Je me réjouis que la Polynésie dispose de câbles optiques sous-marins, mais je crois qu'ils doivent être davantage développés. Le câble polynésien est sous-exploité. Il faut accroître son utilisation pour raccorder plus de capacités, améliorer la qualité de la transmission, augmenter la puissance du débit entrant et sortant, et diversifier la ramification vers d'autres pays.

M. Serge Larcher, président.- Je vous remercie, Monsieur le ministre. Vous pouvez compter sur notre soutien, tout particulièrement sur les questions de la souveraineté française sur nos ZEE et de la recherche et développement.

M. Serge Larcher, président. - Nous entendons à présent M. Jacky Bryant, ministre de l'environnement et des mines du gouvernement de la Polynésie française. Je vous cède immédiatement la parole.

M. Jacky Bryant, ministre de l'environnement et des mines du gouvernement de la Polynésie française.- Avant de vous présenter mon ministère, je ne peux pas faire l'impasse d'une première réflexion sur la relation des Polynésiens avec le monde océanique, relation qui remonte à la nuit des temps. C'est l'océan qui fait le lien entre nos îles. Nous ne pouvons pas, aujourd'hui, envisager de développement durable sans avoir à l'esprit l'ensemble de nos déplacements immémoriaux sur mer. La source de nos connaissances se trouve dans la répétition de ces déplacements, et dans nos traditions, cruciales pour comprendre notre démarche et pour permettre les mutations vers l'avenir.

J'en viens à la présentation du Ministère de l'environnement, de l'énergie et des mines de la Polynésie française. Il exerce, sous l'autorité du Président de la Polynésie française, les missions confiées par le conseil des ministres en matière de politique environnementale, énergétique et minière. Il assure également le suivi des conséquences des essais nucléaires en Polynésie française.

À ce titre, il exerce la tutelle sur les services administratifs suivants :

- la direction de l'environnement ;

- le service de l'énergie et des mines ;

- la délégation polynésienne pour le suivi des conséquences des essais nucléaires.

En matière d'environnement, l'axe de travail prioritaire du gouvernement porte sur le volet réglementaire, avec la volonté affichée de rendre notamment le dispositif répressif plus efficace et dissuasif.

En 2012, deux lois du pays ont ainsi été promulguées : l'une relative à la protection des espaces classés et l'autre à la répression du dégazage en mer. Un projet de loi du pays relatif aux espèces protégées a été soumis à l'Assemblée de la Polynésie française, tandis qu'un autre projet de loi du pays, relatif à l'habilitation des agents assermentés pour constater et rechercher les infractions en matière environnementale, est en cours de rédaction.

Nous nous préoccupons également du traitement des pollutions. En 2012, dans le cadre d'un partenariat avec l'Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Énergie (ADEME), une étude sur le gisement des déchets dans l'ensemble du Pays a été réalisée. La restitution des résultats interviendra à la fin de l'année et débouchera sur la rédaction de la politique sectorielle des déchets.

Ce document référence présentera les objectifs de la Polynésie française à court, moyen et long termes ainsi que les plans d'actions et de financements correspondants. Il quantifiera également le nécessaire effort de solidarité à mettre en place vis à vis des îles éloignées.

Le gouvernement finalise par ailleurs la mise en place d'une responsabilité élargie du producteur, qui permettra de responsabiliser les metteurs sur le marché de certains produits, et de les sensibiliser à leur collecte et à leur traitement en fin de vie.

Pour ce qui concerne les opérations liées à la biodiversité, des plans de gestion des écosystèmes réconciliant les savoirs traditionnels et la connaissance scientifique sont en cours d'élaboration, prioritairement sur les îles sentinelles que sont Eiao, Scilly, Rapa et Maiao.

Enfin, la Polynésie française, en partenariat avec l'État et l'Union Européenne, poursuit le déploiement de nombreux projets environnementaux, notamment dans le cadre des dispositifs INTEGRE, RESCUE et du RUAHATU. Ainsi, un nouvel axe dénommé « Zones de vie » a été créé afin de favoriser des projets d'aménagement destinés à améliorer le cadre de vie des citoyens.

J'aborde à présent la politique énergétique du ministère. Le projet de loi du pays relatif aux principes directeurs de la politique énergétique de la Polynésie Française, présenté à la fin de ce mois à l'assemblée de la Polynésie française, inscrit la maîtrise de l'énergie comme axe de travail prioritaire.

Le gouvernement a souhaité y poser les bases d'une saine concurrence dans le domaine des énergies renouvelables. D'autres lois du pays viendront compléter ce cadre réglementaire, notamment sur la production, le transport et la distribution d'électricité, ainsi que la définition de règles d'urbanisme, d'aménagement et de construction réduisant la consommation d'énergie.

La Chambre territoriale des comptes avait reproché à la Polynésie française de s'être entièrement retirée de sa mission d'autorité concédante et de contrôle. Le gouvernement s'efforce de prendre les dispositions nécessaires pour que le Pays soit à nouveau porteur de ses choix de développement énergétique et qu'il exerce un véritable contrôle sur le délégataire du service public.

Progressivement, la Polynésie française se réapproprie sa mission de transport de l'énergie électrique, maîtrisant ainsi les flux et choisissant la nature des énergies prioritaires, privilégiant les énergies renouvelables (photovoltaïque, hydraulique, etc.). Les gouvernements précédents avaient mis en place des incitations financières fortes pour les installations photovoltaïques, jusqu'au 30 juin 2011, en faisant abstraction de la concession liant la Polynésie française à l'opérateur historique. Ces incitations financières pèsent aujourd'hui, et de manière durable, sur le budget du Pays. Le gouvernement a maintenu une politique d'incitation des installations photovoltaïques tout en privilégiant l'utilisation de l'électricité produite en autoconsommation et en limitant les coûts pesant sur le budget de la collectivité.

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur.- Pouvez-vous nous dresser un panorama de vos ressources minérales profondes ?

M. Jacky Bryant.- Nous avons très peu de connaissances sur nos ressources. De nombreuses informations laissent à penser que les fonds marins de la Polynésie française seraient riches en minerais, plus ou moins précieux. Nous avons comme objectif de produire, d'ici 2013, une étude prospective globale des activités liées à l'exploration et à l'exploitation des ressources minérales océaniques profondes, à partir des publications qui ont été faites. Quelques atolls disposent de ces ressources, mais leur exploitation est sans commune mesure avec les quantités existantes.

La Polynésie française détient notamment dans son sol et son sous-sol maritime des encroûtements de ferromanganèse enrichis en cobalt et platine. Les premiers résultats de l'étude en cours permettent d'affirmer qu'en Polynésie française les trois types de gisements rencontrés, par ordre d'intérêt décroissant, sont les suivants :

- les encroûtements polymétalliques, qui présentent le plus grand intérêt, de par leur richesse en cobalt (1,8 %) et platine (2,8 g/T) ainsi que leur présence à des profondeurs modérées (entre 800 et 1 500 mètres, sur les flancs et sommets des monts sous-marins), notamment aux Tuamotu et entre Tahiti et les Australes. Cette configuration autorise une exploitation relativement aisée ;

- les vases des plaines abyssales, qui contiennent des terres rares (lanthanides, yttrium, scandium) en quantité significative, à des profondeurs comprises entre 4 000 et 5 000 mètres ;

- les nodules polymétalliques, qui présentent un intérêt très limité, de par leur teneur réduite en éléments métalliques.

Ces gisements marins en eau profonde ne présentent cependant pas d'intérêt immédiat, dans la mesure où les ressources terrestres actuellement identifiées en cobalt, platine et terres rares, d'exploitation bien plus aisée, correspondent respectivement à 100, 200 et 800 années de consommation.

Par ailleurs, il n'y a aucun projet minier en cours dans la ZEE polynésienne. En effet, malgré l'importance des travaux déjà menés dans la ZEE dans le cadre du programme ZEPOLYF, de nombreuses données restent à acquérir pour définir précisément les caractéristiques des gisements identifiés, notamment dans les secteurs des îles Tuamotu et celles de la Société, ainsi que leurs rendements potentiels. En outre, l'expérience de la dernière concession minière, mal vécue par les populations, incite le Pays à demeurer prudent, pour protéger ses populations et son environnement souvent endémique à une île.

Des travaux d'exploration complémentaires doivent donc nécessairement être réalisés. Or, de tels travaux sont extrêmement coûteux. Autant les moyens d'exploration des grands fonds sont aujourd'hui bien maîtrisés, autant en matière d'exploitation les techniques et processus sont toujours en cours de développement. Le coût estimé pour l'exploration d'une zone de 100 km² avoisine les 2 849 200 euros.

La Polynésie française suit avec grand intérêt le projet SOLWARA, première exploitation industrielle en eau profonde prévue pour la fin 2013 en Papouasie Nouvelle-Guinée. La faisabilité technique et la rentabilité économique de ce type d'exploitation devra être démontrée.

Enfin, la Polynésie française est exclue des programmes de financement des études et formations dans le cadre de la coopération du Pacifique Sud.

Encore une fois, j'attire votre attention sur notre démarche. Si la logique est de soutenir le développement de la Polynésie par l'extraction des ressources (nodules, encroûtements, terres rares...) pour compenser la baisse de l'activité d'autres domaines économiques, ou la baisse des transferts de l'État, alors cette logique n'a pas d'avenir. Notre démarche doit porter aussi sur le volet environnemental. La ressource minérale, la ressource minière et la ressource en biodiversité doivent trouver leur place dans une exploitation que nous devons créer, imaginer, mais pour laquelle nous devons aussi investir des moyens. Il faut un projet de développement durable pour que la connaissance des grands fonds ne serve pas seulement à l'extraction : la magie des profondeurs doit aussi devenir un atout pour un nouveau type de tourisme de découverte des fonds marins : la plongée en eau profonde. Cette approche prendra du temps. Il faut beaucoup investir dans la recherche.

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur.- Quels enseignements tire-t-on des études d'impact sur l'exploitation des gisements : quelle rentabilité économique ; quel impact sur l'environnement ?

M. Jacky Bryant.- L'exploitation des ressources minières océaniques, qui s'apparente à l'industrie pétrolière offshore, nécessitera la mise en place d'infrastructures lourdes tant sur site qu'à terre, pour l'extraction, le transport, le stockage et le traitement des minerais le cas échéant. Toutes ces activités génèreront des quantités importantes de boues et de déblais à terre, qui devront être pris en charge et éliminés.

Les impacts environnementaux de telles activités sur les écosystèmes des grands fonds, bien que difficilement quantifiables, sont largement prévisibles : la perturbation de la morphologie des fonds marins et de leur environnement physico-chimique et hydrodynamique, ainsi que les inévitables pollutions accidentelles connexes, entraîneront une forte perturbation, voire une destruction irréversible de la biodiversité et des habitats des zones d'extraction.

Ces effets seront d'autant plus fortement ressentis au niveau des monts sous-marins que ces derniers sont caractérisés par leur grande vulnérabilité, liée à un fort taux d'endémisme et de spéciation. L'industrie de la pêche polynésienne risque également d'être atteinte puisque les monts sous-marins, où se concentrent les poissons pélagiques et notamment les thonidés, constituent des zones de pêche privilégiées pour la flottille palangrière polynésienne.

Enfin, la mise en exploitation de certains gisements, identifiés au sein de zones de reproduction des thonidés, aurait des répercussions à l'échelle du stock mondial de cette ressource.

M. Joël Guerriau, co-rapporteur.- Quelles sont les actions que vous conduisez actuellement pour optimiser les ressources en énergie des océans ? Quels enseignements en tirez-vous ?

M. Jacky Bryant.- Un atlas du potentiel de développement des énergies marines renouvelables a été réalisé l'année dernière par le Pays. Il en ressort que la Polynésie française possède non seulement un fort potentiel dans l'exploitation thermique des mers, mais également un avantage comparatif. En effet, la Polynésie française présente les caractéristiques suivantes :

- un fort différentiel thermique : la température de l'eau change rapidement avec la profondeur ;

- et un tombant près des côtes : il existe de la profondeur très près des côtes, ce qui réduit les coûts d'investissements.

Le Pays a ainsi tout intérêt à développer le SWAC (Climatisation par l'eau des océans), technologie qui consiste à utiliser l'eau froide des profondeurs des mers pour refroidir par contact, grâce à un échangeur, l'eau du circuit des climatiseurs. Cette eau froide se substitue aux compresseurs électriques.

Après un projet pilote dans un hôtel de Bora Bora, ce système de climatisation est en cours de déploiement dans un second hôtel au large de Tahiti, ainsi qu'au centre hospitalier de la Polynésie française. Cette technologie est très intéressante pour une autre raison : elle contribue à la diminution des gaz à effet de serre.

La deuxième technologie utilisant le différentiel thermique est la production d'électricité destinée à la consommation. L'état du fluide circulant dans un circuit fermé (habituellement de l'ammoniaque) se modifie en fonction de sa température. La modification de l'état (passage de l'état liquide à l'état gazeux) fait fonctionner la turbine qui fabrique l'électricité. Cette électricité va être par la suite transportée vers les points de consommation. Toutefois, cette technologie est nouvelle et en cours d'expérimentation. Les coûts de construction sont très élevés et il convient de noter que la mise en place d'une telle technologie occupera un domaine maritime qui pourrait concurrencer d'autres activités maritimes.

Il ressort également de l'étude produite l'année dernière que la Polynésie aurait intérêt à exploiter l'énergie de la houle, compte tenu de sa surface maritime. Là encore, cette technologie demeure nouvelle et nécessite des expérimentations. De même, sa mise en place occupant un domaine maritime, pourrait concurrencer d'autres activités maritimes.

Il n'en demeure pas moins que la Polynésie, compte tenu de sa configuration géographique, dispose d'atouts certains en matière d'études et d'expérimentations de nouvelles technologies durables liées à la mer et au soleil. Une réflexion devrait pouvoir être menée afin de favoriser l'implantation d'unités de recherche dans ces domaines.

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur.- Quelles sont les actions locales en cours concernant la réforme du code minier ?

M. Jacky Bryant.- La loi organique statutaire donne compétence à la Polynésie française pour réglementer et exercer les droits d'exploration et d'exploitation des ressources minérales de sa ZEE, y compris du plateau continental constituant son sol et son sous-sol. Cette compétence ne concerne cependant ni les matières premières stratégiques, ni la recherche scientifique en mer, ces domaines relevant de l'État. De même, celui-ci conserve dans la ZEE les compétences en matière de circulation en mer, de sécurité des navires et de répression de la pollution causée par les opérations d'exploration et d'exploitation minières.

Mon ministère travaille actuellement à la refonte du code polynésien en vue de l'adapter aux techniques modernes de prospection et d'extraction. Les points suivants sont concernés :

- la procédure d'instruction et d'attribution des titres miniers ;

- le choix du mode de gouvernance ;

- les mesures fiscales et douanières ;

- le contrôle et les sanctions administratives et pénales ;

- le renforcement de la protection de l'environnement marin.

Interruption de la visioconférence du fait de la dégradation de la liaison.

La zone économique exclusive des outre-mer : quels enjeux ? - Audition de M. Yves Fouquet, spécialiste des ressources minérales marines profondes à l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER)

M. Serge Larcher, président. - Mes chers collègues, nous auditionnons M. Yves Fouquet, spécialiste des ressources minérales marines profondes à l'IFREMER. Je lui cède tout de suite la parole.

M. Yves Fouquet, spécialiste des ressources marines profondes à l'IFREMER. - Je vous remercie de m'avoir invité. Géologue, je travaille sur les grands fonds marins depuis 1982. J'ai fait une thèse sur les ressources minérales terrestres et j'ai travaillé au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) : j'ai mené des explorations terrestres essentiellement au Gabon. Je suis donc initialement un « terrien » mais je travaille sur les océans depuis de nombreuses années.

Je vais commencer mon propos par une courte introduction pour bien préciser le sujet. J'évoquerai ensuite le contexte international. Je montrerai enfin les potentialités des zones économiques exclusives (ZEE) françaises.

Pourquoi s'intéresser aux océans ? Les océans recouvrent deux tiers de la planète. Près de 60 % des océans sont à plus de 2 000 mètres de profondeur. Les explorations scientifiques des grands fonds ont conduit à la découverte de certains types de minéralisation. L'intérêt des océans n'est pas de remplacer les continents en termes de ressources, mais ils peuvent permettre la diversification des sources d'approvisionnement. Depuis quelques années, dans le contexte de l'augmentation de la demande au niveau mondial, l'industrie s'intéresse à ces connaissances scientifiques sur les grands fonds.

On peut relever plusieurs contextes dans lesquels les différents types de minéralisation peuvent se former. Ma présentation n'évoquera pas le contexte du plateau continental, dans lequel on trouve des sables, des graviers ou des minéraux lourds. On a ensuite le talus continental et les grands fonds, avec les zones sédimentaires et la croûte océanique, essentiellement volcanique. Dans les plaines abyssales, on trouve les nodules, les encroûtements et, éventuellement, les sédiments métallifères qui peuvent contenir de petites concentrations de terres rares. Dans la partie volcanique, on trouve les amas sulfurés associés aux sources hydrothermales.

Les nodules sont des boules d'une dizaine de centimètres de diamètre qui peuvent tapisser les fonds océaniques, en particulier dans les zones éloignées des continents. Ils se situent à environ 4 000 mètres de profondeur.

À des profondeurs moindres, entre 1 000 et 3 000 mètres, on peut trouver les encroûtements de manganèse qui, contrairement aux nodules, se forment sur tout substrat dur, comme des anciens volcans ou des atolls immergés. Il s'agit de croûtes noires, qui peuvent faire de 10 à 20 cm d'épaisseur.

Le troisième des principaux groupes de minéralisations est celui des sulfures hydrothermaux : ces sites se situent entre 1 000 et 5 000 mètres de profondeur et se présentent sous forme de cheminées hydrothermales.

S'agissant de la composition de ces minéralisations, les nodules sont composés essentiellement de manganèse et de fer. Ils peuvent aussi contenir - il s'agit des éléments intéressants - du nickel, du cobalt et du cuivre (en moyenne à hauteur de 2 %). Les encroûtements contiennent également une dominante de fer et de manganèse, mais également 0,7 % de cobalt en moyenne. Ils sont donc plus riches que les nodules. Il ne s'agit par ailleurs que d'une moyenne et certaines zones sont beaucoup plus enrichies. Les sulfures hydrothermaux sont constitués d'une combinaison de souffre et de métaux, avec, en moyenne 11 % de zinc et 5 % de cuivre. Ce sont donc des composés plutôt riches.

À côté de ces métaux de base, on peut trouver d'autres métaux : des encroûtements enrichis en platine, tellure ou nickel ; pour ce qui concerne les sulfures, on peut trouver des concentrations en métaux précieux, en or et en argent, mais aussi du plomb ou du cobalt, ou encore des métaux plus rares comme le germanium.

Quelles sont les dimensions de ces différents objets ? La zone la plus intéressante en matière de nodules, qui fait l'objet aujourd'hui de permis miniers dans les zones internationales, se situe au milieu de l'océan Pacifique. Il s'agit d'une zone très étendue, de plusieurs milliers de kilomètres carrés. Pour ce qui concerne les amas sulfurés, l'extension ne comprend que quelques centaines de mètres. Ces objets sont donc tout à fait différents des nodules en termes de nature, de richesse et d'extension.

Depuis plusieurs années, on constate un certain engouement pour ces ressources marines profondes. À partir 1978, date de découverte des premières sources hydrothermales au large du Mexique, de nombreuses campagnes d'exploration ont eu lieu dans l'Est du Pacifique. De nombreux sites hydrothermaux ont été découverts dans les années 1980. À la fin des années 1980 et au début des années 1990, des actions d'exploration ont été menées dans le Sud-ouest du Pacifique et ont permis la découverte d'autres sites hydrothermaux. Plus récemment, à la fin des années 1990 et dans les années 2000, des actions ont eu lieu dans l'Atlantique, notamment dans le cadre de programmes européens, essentiellement dans la ZEE des Açores. Dans le Pacifique-Est, la France coopère avec l'Allemagne, les États-Unis et le Canada. Dans le Sud-ouest du Pacifique, des coopérations ont existé avec l'Allemagne et le Japon.

Il y a donc des enjeux scientifiques, à la fois en géosciences mais aussi en biologie, des enjeux environnementaux - de connaissance de la biodiversité et des écosystèmes des grands fonds marins - ; des enjeux économiques et technologiques car, pour explorer et exploiter, il faut faire évoluer les technologies. Il y a bien sûr également des enjeux juridiques, des enjeux géopolitiques liés à la diversification des sources d'approvisionnement. Enfin, il y a des enjeux d'éducation et de formation.

Je souhaite maintenant dresser l'état des lieux au niveau mondial.

S'agissant des ZEE des États, on a des permis d'exploration par exemple dans le Sud-ouest Pacifique et dans les zones japonaises. En 2010 et 2011, des permis d'exploitation ont été délivrés en Papouasie et en mer Rouge. Ainsi, à horizon de plusieurs années, il pourrait y avoir de l'exploitation.

Le domaine international est géré par l'Agence internationale des fonds marins (AIFM), liée à l'ONU. Une législation internationale s'est mise en place progressivement : au début des années 2000 pour les nodules et en 2010 pour les sulfures hydrothermaux. La législation sur les encroûtements est en cours de discussion et pourrait être adoptée l'année prochaine.

Cette législation a conduit au dépôt de permis d'exploration, notamment pour la zone au large du Mexique. La France a un permis dans cette zone, tout comme l'Allemagne. Des groupes privés ont également obtenu des permis dans cette zone particulièrement intéressante en matière de nodules. Dans l'Océan Indien, l'Inde a obtenu un permis dans une zone nodulée.

S'agissant des sulfures, quelques heures après la validation de la législation, la Chine a déposé un dossier. Elle détient aujourd'hui un permis dans l'Océan Indien, à la pointe Sud-est de l'Afrique. La Russie a obtenu un permis dans l'Atlantique. La France envisage de déposer une demande de permis au Nord de la zone russe dans l'Océan Atlantique. Ce permis est en cours de discussion. La Corée a obtenu un permis dans l'Océan Indien. On sait par ailleurs que le Brésil se mobilise sur ce sujet et a la volonté de déposer un permis dans l'Atlantique, au Sud du permis russe. On soupçonne enfin que les Chinois souhaitent déposer un nouveau dossier pour l'Atlantique Sud.

S'agissant des encroûtements cobaltifères, le Japon et la Chine souhaiteront très certainement déposer des permis quand la législation sera déposée.

Comme vous le voyez, il y a une vraie dynamique en termes de dépôt de dossiers par les différents pays.

Mme Catherine Tasca. - Quelle est la nature exacte de ces permis ? S'agit-il de permis exclusifs et quelle durée couvrent-ils ?

M. Yves Fouquet - Dans les zones internationales, ce sont des permis exclusifs délivrés pour 15 ans. Des rapports doivent être produits chaque année pour indiquer les travaux réalisés sur la base de ces permis.

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur. - Vous parlez bien de l'Autorité des fonds marins qui est basée à Kingston, en Jamaïque ?

M. Yves Fouquet - Oui, c'est bien cela !

M. Serge Larcher, président. - N'est-elle pas à Montego Bay ?

M. Yves Fouquet - L'Autorité est basée à Kingston, mais la convention qui régit le droit de la mer a été signée à Montego Bay.

Pour terminer, je souhaite apporter un éclairage sur le potentiel de nos ZEE.

Ces zones font à peu près 11 millions de kilomètres carrés, une grande partie étant située en Polynésie, mais aussi autour des îles Kerguelen, Crozet et Saint-Paul et en Nouvelle-Calédonie.

Du point de vue hydrothermal, on connaît certains indices aux Antilles, un potentiel existe près de Clipperton tout comme autour des volcans actifs de Polynésie. Une amorce d'exploration a été lancée avec succès à Wallis-et-Futuna. Il pourrait également y avoir un potentiel autour des volcans actifs en Nouvelle-Calédonie. Pour avoir des minéralisations de ce type, il faut des températures de 300 ou 400 degrés pour le cuivre et 150 ou 200 degrés pour le zinc, ce qui n'est possible qu'en grande profondeur.

Pour les oxydes de manganèse, on en a découvert aux Kerguelen, un potentiel existe du côté des îles Éparses mais il reste à explorer. Quelques jalons existent en Nouvelle-Calédonie. Des actions d'exploration ont été menées en Polynésie française il y a plus d'une vingtaine d'années. On y a démontré l'existence de croûtes intéressantes : les zones les plus enrichies en cobalt sont, au niveau mondial, en Polynésie. À Wallis-et-Futuna, des opérations préliminaires ont été menées et ont conduit à la découverte de croûtes entre 500 et 1 500 mètres.

S'agissant enfin des nodules, beaucoup d'explorations ont eu lieu dans le Pacifique. Quelques nodules sont connus du côté de Clipperton ou de la Polynésie. Les nodules étant loin des îles, les zones intéressantes sont plutôt dans les zones internationales.

Enfin, je souhaite souligner que, au cours des deux dernières années, des campagnes d'exploration ont été menées dans la ZEE de Wallis-et-Futuna. On n'avait jusqu'alors pas de cartes hydrographiques : dans beaucoup de ces zones, il faut donc faire les cartes. On s'est focalisé sur les zones volcaniques actives : on a mené des explorations scientifiques pour retrouver des indices, c'est-à-dire un processus conduisant à la concentration de métaux. Ces explorations, financées par l'État français, par l'IFREMER mais aussi par les groupes privés comme ERAMET, ont été fructueuses puisque des indices ont été trouvés.

Il y a donc un réel potentiel et un contexte mondial qui montre que beaucoup de choses se passent dans ce domaine.

M. Serge Larcher, président. - Merci pour votre excellente présentation ! Nous aurions peut-être dû commencer par vous auditionner.

M. Yves Fouquet. - Une réflexion nationale a été menée en 2010 sur les ressources minérales marines. Cela a abouti à un document qui a été publié récemment, analysant le sujet et ayant une approche prospective. Certaines conclusions ont été reprises par le Comité interministériel de la mer de l'année dernière. Elles font aujourd'hui l'objet de discussions au niveau ministériel.

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur. - Merci pour cet exposé ! Notre compréhension est redessinée s'agissant du contexte mondial. Votre exposé démontre que les choses bougent en ce moment.

M. Yves Fouquet - Pour ce qui concerne les ressources minérales marines, je suis le seul spécialiste en France. Je travaille depuis 30 ans sur ce sujet. Si beaucoup d'efforts ont été faits par la France dans les années 70, les spécialistes de l'époque sont aujourd'hui en retraite. Le dernier spécialiste des nodules part en retraite dans six mois et ne sera pas remplacé : il n'y aura alors plus de mémoire.

Il y a un vrai engouement en matière de ressources minérales profondes. Il faut cependant faire passer la bonne information : ce n'est pas l'Eldorado, mais il y a un vrai potentiel.

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur. - Vous avez évoqué la législation internationale. Nous sommes en train de réformer notre code minier. La France n'est-elle pas en retard en matière de législation ? Par ailleurs notre législation nationale est-elle cohérente avec la législation internationale ?

M. Yves Fouquet. - Je ne suis pas juriste, mais je connais les discussions actuelles sur le code minier.

Quand on regarde les critères retenus pour le programme Extraplac, il s'agit de questions de pente ou d'épaisseur de sédiments, critères qui m'ont toujours paru orientés sur la recherche de pétrole. Je pense que, pour la mise en place de législations, il est important de connaître le potentiel des ZEE. S'agissant de la France, ne faisons pas l'erreur d'instituer des critères orientés par les pétroliers n'ayant aucune connaissance des objets minéralisés. Les juristes et les scientifiques doivent discuter ensemble.

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur. - J'ai le sentiment que les opérateurs industriels sont encore un peu timides. Quelles sont les ressources minérales profondes qui auraient un intérêt stratégique majeur pour les prochaines années ?

M. Yves Fouquet. - C'est une question délicate. Cela dépend des éléments qui seront stratégiques dans 20 ou 30 ans. L'exemple très médiatisé, ce sont les terres rares : c'est un groupe chimique très particulier. C'est un élément stratégique du fait du monopole de la Chine. Mais d'autres éléments comme l'indium ou le germanium, qui ne sont pas des terres rares, sont également stratégiques.

On évoque beaucoup les terres rares, notamment suite à un article d'une université japonaise évoquant la Polynésie française. Or, en Polynésie, les sédiments concernés sont en grande profondeur et les concentrations sont limitées. Les mines chinoises ont des taux de concentration plus importants. Il faut donc rester objectif. Pour la Polynésie française, il convient de faire des explorations plus poussées, en cherchant des concentrations dépassant la moyenne.

M. Joël Guerriau, co-rapporteur. - Merci pour cette présentation très intéressante et très instructive.

La technologie des forages d'exploration est-elle au point ? D'où viennent les outils de forage ? Sont-ils le produit de nos propres industries ? Qui détient les savoir-faire ? Comment avez-vous vécu ces forages ?

De nombreuses nations s'intéressent aux ressources minérales marines et déposent des permis. Les Français ont été les pionniers : notre pays perd-il son avance scientifique en matière d'exploration ? Certaines opportunités qu'il ne faudrait pas manquer existent-elles aujourd'hui ?

Comment peut-on fédérer les intérêts industriels, techniques et scientifiques pour que la France prenne toute sa place au plan international ?

M. Yves Fouquet. - La France est très bien placée en matière de connaissance scientifique, du fait de l'effort fait au cours des années 1970. Le permis de nodules français est situé dans la zone où la densité est la plus importante. La France a été considérée comme explorateur pionnier en matière de nodules et, en matière de sources hydrothermales, elle a été le découvreur en 1978 et reste bien placée.

Pour autant, la France était bien placée dans les années 1970-1980 car elle disposait de la technologie. À la fin des années 1980, les sous-marins japonais et russes sont apparus. Avec les actuels engins téléopérés, la technologie s'est démocratisée, avec les allemands, les portugais, les canadiens, les japonais... La Chine a testé cet été son sous-marin habité, qui peut plonger le plus profond au monde. Il y a également des pays très dynamiques comme l'Inde ou la Corée.

Dans ce domaine existe une vraie volonté politique en Chine et en Corée. Il faut ensuite aussi les moyens et les technologies.

L'Europe a, au contraire, délaissé le Pacifique au cours des dix dernières années. En France, on ne compte que cinq ou six personnes qui travaillent sur ce sujet.

Les industriels ont pris des risques pour la phase d'exploration à Wallis-et-Futuna et cette phase a permis la découverte d'indices intéressants. Dans mon équipe, trois personnes partent en retraite dans l'année qui vient. La France est donc certes bien positionnée de par la durée de la recherche et de par la technologie, mais on arrive à la limite de crédibilité : la France ne dispose plus des masses critiques pour mener tout de front. Notre pays a développé de bonnes coopérations avec la Russie dans l'Atlantique. Au Brésil, une vraie volonté politique existe et les moyens sont là, mais les chercheurs sont encore ignorants : une volonté de coopération avec la France existe. Si la France ne le fait pas, les Chinois y sont prêts.

Mme Catherine Tasca. - S'agissant de la campagne de Wallis-et-Futuna, j'ai été étonnée de vous entendre évoquer un problème de cartographie. Cela concerne-t-il beaucoup de territoires ? Y a-t-il une planification des campagnes de cartographie ?

M. Yves Fouquet. - Non, pour l'instant, le seul programme planifié est celui relatif à l'extension du plateau continental. Pour autant, il ne suffit pas de faire des cartes, il faut aussi établir un inventaire des indices minéralisés. Cette démarche n'est pas lancée et il n'existe par ailleurs pas de stratégie de financement.

Les zones clés pour notre pays sont, dans le fil d'une stratégie nationale, l'axe France-Brésil, mais aussi le permis de la France dans l'Atlantique et le permis pour les nodules. Les actions semblables à celle menée à Wallis-et-Futuna sont intéressantes et peuvent être un exemple. Il faut donc de l'argent et, surtout, des bras.

Mme Catherine Tasca. - Ou des têtes !

M. Yves Fouquet. - S'agissant des technologies, pour les sulfures, il y a des choses à développer du point de vue des équipements de forage. Il y a les outils géophysiques, de méthode indirecte. Il y a également des technologies à développer pour la surveillance de l'environnement.

M. Serge Larcher, président. - Nous vous remercions pour votre contribution d'aujourd'hui, qui nous permet d'y voir un peu plus clair. Les opérateurs industriels nous avaient plutôt inquiétés, en minorant l'intérêt de ces richesses minérales, estimant qu'elles étaient inexploitables du fait de la profondeur ou du manque de technologies appropriées et que, d'autre part, il y avait suffisamment de minerais et de terres rares sur les continents.

M. Yves Fouquet. - Certes, mais il faut diversifier les ressources d'approvisionnement !

M. Serge Larcher, président. - Ils estiment par ailleurs qu'il existe peut être des minerais riches à des profondeurs moindres. Enfin, ils soulignent que le mode d'exploitation conduirait à nuire à l'environnement.

M. Yves Fouquet - Le point important est déjà de savoir ce qui existe.

M. Serge Larcher, président. - Il faut donc faire l'inventaire de toutes ces possibilités.

La zone économique exclusive des outre-mer : quels enjeux ?- Audition de M. Julien Denègre, Business development manager, Département Mines, Métaux, Défense nucléaire, TECHNIP

M. Serge Larcher, président. - Je souhaite la bienvenue à M. Julien Denègre, Business Development Manager, dans le département Mines et métaux de Technip. Quels sont les enjeux des ZEE pour la France et l'Europe ?

M. Julien Denègre, Business Development Manager, Mines et métaux, Technip. - Je suis responsable commercial de la branche Mines et métaux du groupe Technip, société d'origine française créée en 1958 par l'Institut français du pétrole, à l'initiative du général de Gaulle. Notre coeur de métier est l'ingénierie et la construction de grands projets dans le domaine de l'énergie pour des sociétés minières comme ERAMET et AREVA, et des groupes pétroliers, comme Total, Shell, BP. Nous ne sommes pas opérateurs nous-mêmes. Notre chiffre d'affaires atteignait 7 milliards d'euros en 2011 ; nous employons 32 000 personnes dont 4 500 en France. Notre groupe est donc très international. Nos trois segments sont les activités sous-marines, les activités de surface en mer, et les activités terrestres.

Nous n'avons pas d'activité en mer dans la ZEE française autre que le projet de Wallis-et-Futuna ; nous l'avons commencé en 2010, en partenariat avec l'IFREMER et ERAMET. Notre unique projet en outre-mer, qui a atteint le stade de l'exploitation, est à terre. il concerne l'exploitation du nickel en Nouvelle-Calédonie. Nous travaillons par ailleurs, dans cette région du monde, en Australie et en Papouasie-Nouvelle-Guinée.

Nous sommes très exposés à la concurrence européenne, américaine, sud-asiatique, chinoise. Nous sommes pionniers pour l'activité minière sous-marine, pour laquelle nos concurrents sont néerlandais, car les Pays-Bas ont une forte culture des métiers du dragage.

Enfin, pour répondre à une question que vous m'avez posée par écrit, n'étant pas « miniers » nous-mêmes, nous ne sommes pas impliqués dans la réforme du code minier. Nous apportons des solutions d'exploitation à nos clients : nous construisons des usines, à terre comme en mer. Une fois l'usine terminée, nous n'intervenons plus, ni dans la maintenance, ni dans l'opération. Nous ne cherchons pas à rentrer dans ces activités, car nous deviendrions concurrents de nos clients.

M. Serge Larcher, président. - Avez-vous des projets en Guyane ?

M. Julien Denègre. - Non. Si Total ou Shell nous demandait de construire une usine ou une plateforme, nous le ferions. Mais nous ne sommes pas concessionnaires d'un permis d'exploitation de pétrole, que ce soit en Guyane ou ailleurs.

S'agissant de l'état des lieux des campagnes, l'IFREMER a réalisé trois campagnes en mer à Wallis-et-Futuna, qui étaient essentiellement des campagnes d'exploration. Nous n'en sommes pas encore à l'exploitation, ni même aux études d'ingénierie.

Nous travaillons par ailleurs sur des projets qui en sont au stade de l'exploitation de minerais en eau profonde ou peu profonde, pour des compagnies australiennes, canadiennes, sud-africaines ou japonaises. Nous avons réalisé des études et des systèmes permettant l'exploitation de minerais en eau peu profonde ou très profonde. Jusqu'à 3 000 mètres, la profondeur est considérée comme accessible. De 4 000 à 6 000, c'est difficile, mais nous y viendrons un jour. D'autres projets sont beaucoup plus accessibles : le phosphate par exemple, est à une profondeur de 200 à 400 mètres seulement. En Nouvelle-Zélande ou aux Fidji, où l'eau est peu profonde, les solutions mises en oeuvre consistent dans le dragage.

À l'inverse, à Wallis-et-Futuna, le système déployé est très proche des systèmes pétroliers très profonds, dans des conditions extrêmes.

Nous travaillons aussi avec Nautilus en Papouasie. Nous avons également travaillé pour le compte d'un consortium japonais.

À l'instar des Français, les Japonais cherchent à valoriser les minerais qui se trouvent dans leur ZEE. Les Coréens, qui n'ont pas de ressources dans leurs eaux, vont explorer ailleurs. Ils ont des concessions aux Îles Tonga où ils cherchent à mettre en place un pilote. C'est ce que nous avons fait à Wallis-et-Futuna : nous avons mis en commun les expertises nationales de l'IFREMER et d'ERAMET. Nous avons les savoir-faire, que nous associons, à l'image de ce que feront bientôt les Brésiliens et de ce que font déjà les Russes.

M. Serge Larcher, président. - Quels pourraient être les scénarios de prospective à moyen et long termes dans nos ZEE ?

M. Julien Denègre. - Nous avons la chance d'avoir une immense ZEE. Technip a choisi de commencer par Futuna car nous savions qu'il était très probable que nous y trouverions des amas sulfurés. C'est aujourd'hui la ressource la plus convoitée. Nous savons aussi que la Polynésie et les Caraïbes pourraient receler des ressources. Le programme EXTRAPLAC au large de la Guyane a montré qu'il pouvait y avoir des hydrates de métal. Mais explorer notre riche ZEE suppose une stratégie de long terme, avec les moyens financiers suffisants pour mener à bien ces campagnes. Le partenariat permet de mettre en commun les compétences, mais aussi les moyens financiers. Technip n'a pas vocation à faire de l'exploration ; nous intervenons une fois l'exploration terminée, quand le forage est fini et quand le potentiel minier a déjà été prouvé. Pour autant, au vu du gros potentiel, notre président a souhaité accompagner le financement de Futuna, mais ce n'est pas la vocation de Technip. L'IFREMER reste le maître d'oeuvre du projet à Futuna, même si les industriels intéressés contribuent financièrement. L'exemple de Futuna est intéressant non seulement pour la science, mais aussi du point de vue de la structure contractuelle choisie, qui met en commun les savoirs des établissements publics, des spécialistes de l'exploration, de la technologie et de l'exploitation. Il fallait une société minière pour porter la concession, ERAMET en l'occurrence. Ce projet est un bon laboratoire scientifique, mais aussi d'idées.

Si, demain, on veut exploiter la ZEE pour son potentiel minier ou énergétique, il faudra le soutien d'une société pétrolière ou « énergéticienne ». Si on veut exploiter les hydrates en Guyane, il serait bon que GDF-Suez ou Total soit intéressé à prendre part à un consortium.

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur.- Le montage financier consiste souvent en un partenariat public-privé. Les industriels prennent des risques. Est-ce un bon schéma de fonctionnement ?

M. Julien Denègre. - Nous pensons que oui. C'est le schéma à Futuna. Les engagements du Grenelle de la Mer de 2009 comportaient un important volet sur l'océanographie, l'amélioration des connaissances des fonds marins et en particulier de la ZEE française. Les objectifs sont louables, mais coûteux compte tenu justement de l'immensité de notre ZEE. Un moyen de financer l'océanographie est de coupler les campagnes en mer avec les projets industriels. Le projet de Nautilus en Papouasie-Nouvelle-Guinée qui a nécessité de nombreuses campagnes en mer, est privé, et aujourd'hui, Nautilus est probablement le seul projet d'exploration de gisement qui ait été réalisé à un niveau scientifique aussi élevé, et grâce à des moyens privés. Les campagnes de forage de cette profondeur, comme les études d'impact environnementales très approfondies, n'avaient encore jamais été réalisées. Les scientifiques qui ont contribué au projet de Nautilus se sont félicités d'avoir pu atteindre ce niveau élevé de connaissance, grâce aux moyens financiers.

Pour conclure, il sera d'autant plus facile d'explorer les fonds marins français que des industriels s'y associeront, avec des moyens de financer des campagnes comme celles de Nautilus.

De même, nous avons exploré la ZEE de Futuna avec l'IFREMER à un niveau qui n'avait jamais été réalisé, grâce à la mise en commun des moyens financiers. Je ne suis pas sûr qu'aujourd'hui les ministères de tutelle aient la capacité de déployer un effort financier de cette envergure. Or, l'objectif est industriel, comme l'indique l'engagement du Grenelle de l'environnement de « préparer à moyen terme le pilotage industriel » de la zone de Futuna. Pour autant, les projets industriels sont aussi un moyen d'améliorer la connaissance scientifique de la ZEE, comme cela a été le cas à Futuna, d'une manière considérable.

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur.- Comment passe-t-on de l'exploration à l'exploitation ?

M. Julien Denègre. - Pour envisager l'exploitation d'un projet minier, il faut avoir démontré sa rentabilité. Cela implique plusieurs étapes :

- établir plusieurs études : une étude géologique du gisement ; une étude d'impact environnemental en vue de démontrer que l'exploitation sera acceptable du point de vue de l'environnement ; et une étude d'ingénierie ;

- en déduire si le projet est rentable, et à quelle échéance, compte tenu également du coût du minerai sur le marché et des coûts de maintenance de l'opération.

Il faut ensuite instruire un titre minier, compte tenu des risques environnementaux et des retombées pour le territoire. À Futuna, nous avons trouvé un gisement, mais nous n'avons pas encore réalisé les études du pilote. L'acceptabilité environnementale et la rentabilité n'ont pas encore été démontrées. Nous avons commencé l'exploration en 2010 ; nous espérons que les résultats des analyses nous seront remis en juin 2013. S'ils sont concluants, nous mèneront davantage de campagnes et probablement des études d'ingénierie qui détermineront l'existence d'un intérêt économique pour éventuellement poursuivre le projet. Les éléments économiques, financiers et environnementaux, sont donc cruciaux pour décider de la réalisation du projet.

M. Joël Guerriau, co-rapporteur.- Quel est le grand rendez-vous que la France ne doit pas manquer sur le plan technologique ou industriel ?

M. Julien Denègre. - Les enjeux d'aujourd'hui concernent l'exploration minière, qu'elle soit maritime ou terrestre. Il faut encourager les projets comme celui de Futuna, et avoir une vision à long terme. Les filières électronucléaire, d'Airbus ou d'Ariane, ont mis dix à quinze ans pour être créées. Pour développer une filière, il faut du temps, une stratégie de long terme, et l'encouragement continu de cette filière. Si le projet à Futuna continue, on peut aboutir à une vraie filière minière sous-marine française. Il y a eu une véritable impulsion après le Grenelle, après le Livre Bleu, après le plan métaux stratégiques de M. Jean-Louis Borloo en 2010, puis avec la création du Comité des métaux stratégiques, le COMES. Il y a donc eu une réelle continuité. Cette dynamique doit être poursuivie et entretenue, par des mécanismes financiers ou juridiques. Certes, le risque existe : dans une campagne à la mer, on peut ne rien trouver. Aussi bien l'État que les industriels, Technip et ERAMET, ont pris ce risque. Mais j'y crois. On peut aboutir à une vraie filière. Le nouveau gouvernement s'y intéresse, dans la continuité du gouvernement précédent.

M. Serge Larcher, président.- C'est un véritable sujet pour nous. Le potentiel en richesses existe. Il nous reste à rendre possible à terme l'exploitation de matériaux qui seront demain rares ou enfouis à des profondeurs inaccessibles. L'enjeu est aussi notre dépendance énergétique. C'est politique. Les industries de pointe ont besoin de matériaux stratégiques.

M. Julien Denègre. -Par exemple, les turbines éoliennes consomment beaucoup de cuivre et un peu de terres rares. La fabrication de ces machines, dont l'objet est de contribuer au développement durable, nécessite des minerais, donc d'exploiter une mine... L'image de la mine n'est pas très positive aujourd'hui.

M. Serge Larcher, président.- Mais nous avons besoin de matériaux rares, et spécifiques aux milieux océaniques, qui sont très agressifs.

M. Julien Denègre - Une autre question importante est la sécurisation des matières premières par des sociétés françaises. On peut acheter du cuivre à la Chine, mais cela peut devenir risqué si la Chine se trouve brusquement en situation de monopole, comme c'est le cas en ce moment avec ses exportations de terres rares. La vraie question est : la France a-t-elle la volonté d'exploiter des mines avec des miniers français ? En Nouvelle-Calédonie, beaucoup de titres ont été attribués à des sociétés étrangères. Le nickel n'est pas seulement exploité par ERAMET. Une des raisons qui nous ont incités à commencer par Futuna était d'empêcher les industriels étrangers, nombreux à s'être intéressés à ce projet, de prendre des titres miniers sur ce territoire. Nous avons commencé par Futuna pour protéger les intérêts français.

La France doit donner les titres miniers aux compagnies minières françaises. Le danger de perdre notre souveraineté sur nos territoires est réel. On l'a fait dans le passé... Le contrôle de notre ZEE est un vrai sujet stratégique.