Mercredi 15 mai 2013

 - Présidence de M. Jean-François Humbert, président -

Audition de M. Ricci-Bitti, président de la Fédération internationale de tennis (FIT) et M. Stuart Miller, responsable de la politique antidopage

M. Jean-François Humbert, président. - Notre commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte contre le dopage a été constituée à l'initiative du groupe socialiste, en particulier de M. Jean-Jacques Lozach, notre rapporteur.

Une commission d'enquête fait l'objet d'un encadrement juridique strict. Je signale au public présent que toute personne qui troublerait les débats serait exclue sur le champ. Je vous informe en outre qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Francesco Ricci-Bitti et Stuart Miller prêtent serment.

M. Francesco Ricci-Bitti. - Je suis moins ici en tant que président de la fédération internationale de tennis (FIT) qu'en tant que président de l'association des fédérations olympiques, le problème du dopage étant d'ordre général.

M. Stuart Miller, ici présent, responsable de la politique antidopage au sein de la FIT, et du comité exécutif de l'Agence mondiale antidopage (AMA) depuis dix ans, pourra répondre à la commission d'enquête si elle a besoin de détails à ce sujet...

Il était important que nous puissions vous expliquer nos positions et notre vision du futur. Notre organisation est compliquée et peut parfois prêter à confusion. Nous contrôlons en effet le programme antidopage, mais le tennis professionnel comporte beaucoup de composantes : la fédération internationale a ainsi la charge de la Coupe Davis et la Fed Cup, des quatre tournois du Grand Chelem, qui sont indépendants et dont nous ne touchons malheureusement pas les profits, des associations de tennis professionnel féminines et masculines, des huit tournois professionnels ainsi que des petits tournois. Nous sommes donc au sommet et à la base de la pyramide.

À partir de 2004-2005, les associations professionnelles nous en ont confié la responsabilité, du fait de notre plus grande indépendance. Nos investissements en la matière concernent à la fois les tests en compétition et hors compétition.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Quels montants financiers la FIT mobilise-t-elle dans la lutte antidopage ?

M. Francesco Ricci-Bitti. - En ordre de grandeur, le montant des sommes consacrées en 2012 à la lutte antidopage représente un peu moins de 2 millions de dollars. Nous pensons que ce montant va doubler d'ici quelques années, du fait de l'introduction du passeport biologique et autres tests. Les discussions n'ont toutefois pas été aisées, ainsi que vous pouvez l'imaginer.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Un certain nombre de recommandations ont été exprimées par l'AMA. En particulier d'augmenter le nombre de contrôles inopinés.

Or, dans les compétitions qui relèvent de votre prérogative, il existe une différence considérable entre le nombre de contrôles inopinés et de contrôles en compétition. Avez-vous l'intention de procéder à un rééquilibrage au cours des années à venir ?

M. Francesco Ricci-Bitti. - Chaque sport possède sa spécificité propre. En tennis, la compétition couvre pratiquement 52 semaines. Le problème existe, je ne le nie toutefois pas. L'AMA ne fait qu'une recommandation. Le tennis est un sport qui compte nombre de précompétitions, en particulier durant les semaines précédant le tournoi. Peu de périodes se situent en dehors de la compétition. C'est une spécificité de notre sport.

Notre intention est de suivre la recommandation de l'AMA, dans le respect de la spécificité de notre sport...

M. Stuart Miller. - Les tests hors compétition et en compétition se répartissent entre prélèvements d'urine et échantillons de sang. Comme l'a dit le président Ricci-Bitti, la proportion de temps passé hors compétition est moins importante au tennis que pour d'autres sports. Un coureur de marathon peut concourir deux ou trois fois par an, alors qu'un tennisman peut éventuellement jouer durant 30 semaines.

Sur le plan historique, les tests, au tennis, ont pour but de protéger l'événement. Un plus grand nombre de prélèvements est opéré durant cette période. Le code de l'AMA exige désormais que les organisations antidopage mènent des tests en dehors des périodes de compétition. Le nombre de prélèvements réalisés hors des compétitions a donc augmenté. En 2012, 15 % de tous les prélèvements étaient effectués hors compétition, sur un peu plus de 2 000 prélèvements au total. Le code antidopage précise que les organisations antidopage doivent prélever au moins 10 % de leurs échantillons sous forme sanguine. En 2012, 10 % des échantillons constituaient des prélèvements sanguins.

Comme l'a dit le président Ricci-Bitti, à la suite de l'affaire Armstrong, nous avons pris conscience de façon plus aiguë que le panorama de la lutte antidopage évoluait ; nous avons alors procédé à une nouvelle évaluation du risque et sommes arrivés à un accord avec nos partenaires, dans le cadre du programme antidopage, qui consiste à modifier le volume et les types de tests que nous réalisons.

Comme le président l'a également évoqué, nous avons décidé de recourir au passeport biologique. Nous avons donc pris conscience que les outils et les tendances évoluent, et qu'il faut réussir à les suivre. Dans les prochains mois, et à plus long terme encore, on peut penser que des modifications importantes seront apportées à notre programme ; elles dépasseront de loin les recommandations des agences antidopage quant aux valeurs des différents échantillons qu'il convient de prélever.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Patrice Clerc, qui a longtemps été directeur du tournoi de Roland-Garros, a estimé que les agences antidopage étaient passées à côté de l'utilisation potentielle de l'érythropoïétine (EPO) dans le tennis. Ces propos ont d'ailleurs été étayés par les déclarations d'un grand tennisman, Jim Courier.

Pensez-vous que l'EPO a pu sévir dans votre discipline ? Dans l'affirmative, a-t-elle été recherchée ?

M. Francesco Ricci-Bitti. - Ce qu'a rapporté la presse m'a étonné... Patrice Clerc connaît bien le tennis. Il a été responsable de Roland-Garros alors que le programme n'était pas cadré comme aujourd'hui. Dans les années 1990, c'est lui qui était en charge, à Roland-Garros, du test qu'il a mentionné.

L'EPO ne recourt pas à un test sanguin, comme l'a dit la presse, mais à un test urinaire standard. Or, ces tests n'avaient pas cours dans les milieux sportifs durant les périodes mentionnées par Patrice Clerc. Il s'agit donc plutôt de convictions personnelles.

Quant au passeport biologique, il détecte les conséquences de l'EPO, non la présence d'EPO même, celle-ci étant détectée dans l'urine.

M. Jean-François Humbert, président. - Pouvez-vous nous donner le chiffre du nombre de contrôles d'EPO réalisés chaque année dans le tennis lors des tournois principaux que vous avez évoqués ?

M. Stuart Miller. - Tout d'abord, le programme antidopage, dans le tennis, consistant à opérer des prélèvements sanguins pour rechercher l'EPO, existe depuis une dizaine d'années, voire plus.

Une forme simplifiée du passeport biologique existait avant même que l'actuel passeport n'apparaisse. On prélevait des échantillons de sang et on les confiait à des laboratoires, afin de savoir si l'athlète concerné recourait ou non à l'EPO. Ces laboratoires n'étaient pas accrédités par l'AMA. En cas de signes avérés d'utilisation, nous faisions un test spécifique d'urine destiné à rechercher l'EPO. Des dépistages auprès de plusieurs athlètes ont eu lieu au cours de ces douze à treize dernières années.

L'EPO est surtout utilisée dans les sports d'endurance, de façon à faciliter la récupération et à augmenter la capacité du sang de transporter l'oxygène. On peut bien entendu estimer que la prise d'EPO serait intéressante au tennis, les tennismen jouant six à sept matchs en quinze jours dans les grands tournois. Il serait donc quelque peu naïf de croire que l'EPO n'a aucun risque d'y être utilisée dans ce sport. C'est pourquoi nous avons réalisé, dans le cadre du programme antidopage, des essais ciblés en prélevant des échantillons chez des joueurs dont on peut craindre qu'ils courent un risque plus élevé que d'autres.

Nous disposons également d'une sélection aléatoire d'échantillons, à hauteur de 10 %, à des fins d'analyse directe. Nous dépistons par ailleurs d'autres athlètes pour cibler d'autres utilisateurs éventuels.

M. Jean-François Humbert, président. - Quels sont les indicateurs auxquels vous faites référence ? S'agit-il des hématocrites ?

Un seul laboratoire semble concerné, celui de Montréal. Il existe pourtant dans le monde - en particulier dans les pays dans lesquels se déroulent les quatre grands tournois du Grand Chelem - des laboratoires accrédités par l'AMA. Pourquoi concentrer tout cela sur le laboratoire de Montréal ?

M. Stuart Miller. - Les paramètres que l'on recherche pour déterminer la présence d'EPO sont les réticulocytes et l'hémoglobine, qui trahissent la stimulation de l'érythropoïèse. C'est un des indicateurs primaires que compte le passeport biologique. Nous mesurons également tous les autres paramètres, - hématocrites, facteurs hématopoïétiques, etc.

Pour ce qui est des laboratoires, nous avons essentiellement recours au laboratoire accrédité par l'AMA, à Montréal, et ce pour des raisons de coût. Le marché de l'analyse des échantillons antidopage est un marché ouvert, les laboratoires étant libres de fixer leurs tarifs.

Nous avons recours à une entreprise autonome sous contrat pour le prélèvement d'échantillons, ce qui permet de réaliser des économies d'échelle. C'est également vrai pour d'autres sports que le tennis...

M. Jean-François Humbert, président. - L'entreprise privée qui réalise les prélèvements est bien suédoise ?

M. Stuart Miller. - En effet. Il s'agit de l'International doping tests and management (IDTM)...

La seconde raison qui explique que les organisations antidopage choisissent tel ou tel laboratoire en particulier est imputable à la nécessité de traiter tous les sportifs de la même façon. Tous les laboratoires n'utilisent pas forcément le même matériel, et certains sont plus sensibles à la détection de certaines substances que d'autres. Il serait délicat de constater qu'un athlète testé positif à une substance par un laboratoire s'avère négatif à cette même substance dans un autre !

Cela étant, ceci ne s'applique pas dans les cas où un suivi est assuré, comme dans le cas du passeport biologique. On envoie alors des échantillons à d'autres laboratoires, dont celui de Chatenay-Malabry, de Lausanne, ou à Cologne. Nous en avons également envoyé à Pékin. L'utilisation des laboratoires est donc de plus en plus diversifiée.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Le tennis est un sport où les joueurs demandent davantage de contrôles antidopage, ce qui est étonnant par rapport à d'autres disciplines, mais n'avez-vous pas le sentiment que le rapport d'exclusivité qu'entretient la FIT avec le laboratoire de Montréal crée une forme de dépendance économique ?

M. Francesco Ricci-Bitti. - Il ne s'agit là que d'hypothèses. Le problème le plus important est celui de la qualité, et nous disposons d'un service de haute qualité, que ce soit à Montréal ou ailleurs en général.

Si je devais faire un commentaire, je dirais que l'AMA préfère généralement des laboratoires qui ne soient pas liés aux agences nationales.

La politique de communication de l'AMA, à travers l'affaire Armstrong, a focalisé l'attention des médias sur le sport qui contribue à hauteur d'au moins 80 % au budget de l'AMA, créant ainsi beaucoup de confusion.

À l'origine, les fédérations sportives internationales et les gouvernements devaient financer l'AMA à part égale. Dix ans après la création de l'Agence mondiale, il ressort que les fédérations y ont investi 80 à 90 %, alors que les gouvernements n'ont toujours pas fini de payer les jeux d'Athènes !

C'est pourquoi je suis très heureux que, lors du dernier week-end, le comité exécutif de l'AMA ait commencé à opérer certains changements significatifs dans ce domaine. J'ai, à ce propos, demandé officiellement à connaître, sous dix jours, le nom des pays qui se sont dotés d'une loi contre le dopage et le nom de ceux qui ont constitué une agence nationale destinée à lutter contre la fraude. On en compte une dizaine, ce qui, vous en conviendrez, est loin d'être suffisant !

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Ce qui vous pose problème, c'est donc le lien entre l'Agence nationale antidopage et le laboratoire de Châtenay-Malabry...

M. Francesco Ricci-Bitti. - Le secret pour progresser, en matière de lutte antidopage, réside dans la coopération opérationnelle entre les agences nationales et les fédérations internationales, suivant trois principes : l'exclusivité dans les compétitions, la transparence et la coopération.

Cette année, lors du tournoi professionnel de Montpellier, l'AFLD a réalisé des contrôles antidopage en notre nom. Si M. Genevoix me demande le programme de tests de Roland-Garros, je suis par ailleurs prêt à le lui transmettre et à en discuter avec lui.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Combien compte-t-on de cas reconnus positifs, selon la liste des produits prohibés par l'AMA, sur les 2 000 contrôles réalisés par an ?

M. Francesco Ricci-Bitti. - Je n'en connais pas le nombre, mais ce n'est pas un bon paramètre. En effet, parmi les cas positifs figure un finaliste de Roland-Garros, etc.

Si l'on en croit la presse, plus le nombre de joueurs contrôlés positifs est élevé, meilleur est le programme antidopage. Toutefois, si le nombre de cas positifs est trop élevé, c'est qu'il y a un problème ! Il n'y a donc pas de solution ! Ce programme comporte beaucoup de fonctions. La première vise l'éducation. Chaque contrôle positif est un échec. Un effort culturel doit être mené pour progresser avec les agences nationales. Beaucoup ont une attitude différente... Notre priorité est l'éducation et nous sommes très contents que quelques joueurs importants aient contribué à améliorer le programme antidopage après avoir protesté contre son intrusion. C'et donc une évolution positive !

M. Jean-François Humbert, président. - Permettez-moi d'être surpris : sur 2 000 contrôles, pas un seul ne s'est révélé positif. Le tennis serait-il un sport complètement à l'abri des phénomènes de dopage ?

M. Francesco Ricci-Bitti. - Certains joueurs très importants dans l'histoire du tennis ont été contrôlés positifs : finalistes de Roland-Garros, joueuses majeures - comme dans tout sport...

Je répète que le pourcentage de cas positifs ne constitue pas un bon paramètre par rapport à l'activité.

M. Alain Néri. - Si je comprends bien, en tennis, tout va bien dans le meilleur des mondes ! On fait des contrôles, et on ne trouve pas de cas positif. On en déduit donc que les joueurs respectent les règles, et vous faites, de surcroît, un gros effort en faveur de l'éducation.

Je ne suis pas aussi optimiste que vous ! Pendant trop longtemps, les joueurs n'ont pas voulu de contrôle dans le tennis. En outre, plus on cherche, plus on trouve. Or, je n'ai pas l'impression qu'il existe une volonté de beaucoup chercher, au vu du nombre de contrôles effectués.

Vous nous dites que l'on ne peut réaliser de contrôles inopinés. Mais les joueurs ne jouent pas 52 semaines dans l'année ! Ils ont un certain nombre de tournois à leur programme, et ont des périodes durant lesquelles ils sont en repos ou en préparation. On en connaît les dates, les joueurs devant passer un certain nombre de contrats.

Les contrôles urinaires pendant les périodes de compétition ne valent même pas l'argent que l'on dépense ! Tous les responsables sportifs reconnaissent que la seule détection qui vaille réside dans les contrôles inopinés. Si vous voulez que l'on reconnaisse votre volonté d'aboutir, il faut donc développer les contrôles inopinés !

Nous sommes nous aussi favorables à l'éducation. Elle comporte toutefois la prévention, mais aussi la sanction... Dès lors qu'il n'y a pas de sanction...

M. Francesco Ricci-Bitti. - Vous êtes mal informés !

M. Alain Néri. - On vous a posé la question de savoir combien de contrôles s'étaient révélés positifs. Vous ne nous avez pas répondu !

M. Francesco Ricci-Bitti. - Je n'ai pas cette information !

M. Alain Néri. - M. Miller, responsable de la politique antidopage, devrait être en mesure de nous répondre !

M. Francesco Ricci-Bitti. - Mon français n'est pas très bon. Je n'ai pas répondu parce que je n'ai pas l'information. Je n'ai jamais dit que j'étais optimiste ! J'ai essayé d'expliquer les conditions dans lesquelles le programme antidopage va se dérouler pour le tennis, chaque sport ayant des spécificités propres.

J'ai dit que, lors des compétitions, les tennismen jouent en moyenne trente semaines...

M. Alain Néri. - Dans d'autres sports aussi !

M. Francesco Ricci-Bitti. - Ce n'est pas la même chose pour les marathoniens. Nous considérons ainsi la semaine avant Roland-Garros comme hors compétition, et je tiens à dire que l'AMA juge depuis le début notre programme de qualité.

Nous avons contrôlé beaucoup de joueurs positifs et les avons sanctionnés. Certains sont Français. La sanction a été ensuite réduite par le tribunal. Ils sont tous connus, et la presse en a fait état... Nous considérons que la FIT a accompli un travail positif. Le tennis est un sport où le dopage n'a pas un impact direct sur la performance, mais il faut être vigilant : le dopage aide à récupérer, à jouer blessé... Nous avons toujours cherché à privilégier la qualité et non la quantité. L'efficacité d'un programme n'est pas liée à celle-ci.

Vous avez raison de considérer que les contrôles hors compétitions sont plus efficaces, et nous allons évoluer en ce sens, mais nous pensons que le programme existant est déjà très bon.

M. Alain Néri. - Il n'en demeure pas moins vrai que vous dites que le tennis n'est pas un sport où on a besoin de produits pour améliorer la performance physique...

M. Francesco Ricci-Bitti. - Au tennis, le dopage constitue une aide indirecte. Ce n'est pas ce qui fera un bon joueur !

M. Alain Néri. - Il est certain qu'on ne devient pas un bon sportif uniquement parce qu'on est dopé, mais vous ne pouvez pas prétendre que le tennis n'est pas un sport physique, certains matchs durant plus de cinq heures, et les temps de récupération entre les compétitions étant peu élevés. On ne peut nier que les conséquences physiques que cela entraîne puissent justifier une préparation. Pourquoi, durant ces périodes, ne serait-il pas possible de localiser et de contrôler les tennismen, comme dans d'autres disciplines ?

Quand un coureur cycliste n'est pas en compétition, il existe une période pendant laquelle on peut réaliser un contrôle inopiné...

M. Francesco Ricci-Bitti. - C'est la même chose au tennis !

M. Alain Néri. - Dans ce cas, pourquoi ne les multipliez-vous pas ?

M. Francesco Ricci-Bitti. - Nous disposons d'un tel programme. Il s'agit de la même procédure que dans le cyclisme : chaque joueur doit donner ses horaires quotidiens, 365 jours par an !

M. Alain Néri. - Si personne ne le contrôle, convenez que cela ne sert à rien !

M. Francesco Ricci-Bitti. - Les contrôles ont bien lieu et sont répertoriés !

Cela étant, je suis d'accord avec votre analyse : le tennis est un sport bien plus physique qu'il ne l'était de mon temps. Il est plus exigeant aussi et nous savons qu'il faut être très vigilant mais nous disposons d'un programme comme tous les sports...

M. Stuart Miller. - Je voudrais ajouter quelques chiffres concernant le nombre d'athlètes sanctionnés dans le cadre du programme antidopage...

Depuis 1995, 63 joueurs ont été sanctionnés, soit, en moyenne, 3,5 joueurs par an. En 2012, trois sanctions ont été prononcées. Comme M. Ricci-Bitti l'a dit, certains joueurs forts célèbres - Martina Hingis, Richard Gasquet, etc. - ont été sanctionnés pour avoir violé les règles du programme antidopage au tennis.

Chaque échantillon prélevé dans le cadre du programme antidopage l'est sans préavis. Le joueur concerné n'a aucune idée qu'il a été sélectionné et qu'on va lui prélever un échantillon, tant que l'escorte ne s'est pas présentée à lui. Ceci s'applique à la fois en compétition et hors compétition.

Tous les échantillons prélevés sont analysés pour déterminer s'ils contiennent des substances interdites. L'AMA dispose d'un programme qui exige les coordonnées des athlètes. Tous doivent se soumettre à ces contrôles. Cela dit, ainsi que je l'ai dit, nous savons que nous pouvons faire mieux dans certains domaines. C'est pourquoi nous avons l'intention d'augmenter assez fortement le nombre et la proportion des tests hors compétition. Nous voulons également augmenter le nombre d'échantillons sanguins prélevés, sans parler de l'introduction du passeport biologique.

Ceci se fait sur la base d'une évaluation de bonne foi. Je ne dirai pas que nous esquivons les tests qui sont prévus par le code de l'AMA. Nous y procédons au contraire, et le tennis a été l'un des premiers sports à introduire des tests hors compétition, au début des années 2000, longtemps avant que cette pratique ne devienne obligatoire dans le code de l'AMA.

Il faut reconnaître que certains de ces programmes antidopage ont un coût indirect. Supposons qu'un joueur ait été sanctionné, ou qu'on ait décelé une violation du code. Lorsqu'on lui propose de défendre sa réputation, il est prêt à dépenser des sommes considérables pour ce faire. Nous devons également défendre le programme antidopage et ceci peut coûter fort cher. Il n'est pas inhabituel que nous dépensions des centaines de milliers de dollars pour défendre un cas unique. C'est un engagement assez fort de notre part mais nous estimons qu'il nous incombe de le faire et nous ne le laissons pas aux fédérations nationales.

Il s'agit de dépenser les fonds de façon équilibrée, mais nous envisageons d'aller plus loin que l'immense majorité des programmes antidopage sportifs - prélèvements sanguins, prélèvements d'urine en compétition et hors compétition. N'oublions pas qu'il n'existe que deux disciplines dans le tennis, le simple et le double, alors que l'athlétisme en compte 47 !

J'estime personnellement que ce que nous réussissons à assurer est vraiment de très bonne qualité. Tout ce que le programme s'engage à faire est réalisé, et parfaitement conforme au code antidopage, depuis son introduction, en 2003. Si nous satisfaisons donc à toutes les exigences que l'AMA nous impose, je crois néanmoins qu'il faut aller encore plus loin, de façon à pouvoir s'assurer de l'intégrité de ce jeu.

M. Jean-François Humbert, président. - Je suis très difficile à convaincre quand j'entends que ce serait l'argument financier qui empêcherait de réaliser un certain nombre de contrôles. Sauf erreur de ma part, on parle bien ici de tennis professionnel ! Je ne vous demanderai pas de rappeler les gains que perçoivent les champions qui remportent un tournoi ! C'est un sport dans lequel il y a beaucoup d'argent -et cela ne me choque pas...

Pensez-vous que, dans ce contexte, compte tenu des sponsors et des intervenants financiers qui viennent compléter les dotations prévues par les organisateurs, cet argument soit acceptable ? J'ai beaucoup de mal à le comprendre et à l'accepter ! N'êtes-vous pas allé un peu loin dans la manière de justifier l'absence ou l'insuffisance des contrôles ?

M. Francesco Ricci-Bitti. - Je vais tenter de vous faire comprendre ma position...

En premier lieu, l'équilibre est toujours nécessaire. Ainsi que je l'ai déjà dit, la quantité ne constitue pas un paramètre pour juger de la qualité d'un programme antidopage, même si les contrôles hors compétition doivent être améliorés au tennis. Nous sommes d'ailleurs en train d'y travailler.

Quant à l'argument financier, notre organisation ne bénéficie pas des sommes considérables que génèrent les tournois. Il faut toujours conserver un équilibre entre l'investissement en faveur de l'éthique et du développement du sport. Le tennis est le seul sport - mis à part, pour le moment, le football et le cricket - à avoir dépensé 2 millions de dollars en faveur de la Tennis integrity unit.

Préserver l'éthique dans le sport passe par trois actions.

La première façon d'y parvenir, c'est de maintenir une équité sur les équipements. En tennis, nous disposons pour ce faire d'un laboratoire, à Londres, où nous testons les balles et les raquettes. Beaucoup d'investissements sont nécessaires en ce domaine, et nous sommes les seuls à les réaliser.

Le second moyen pour oeuvrer en faveur de l'éthique dans le sport est de lutter contre le dopage et le troisième consiste à veiller à l'intégrité du sport, qu'il s'agisse du tennis ou du football, en traitant la corruption générée par les paris en ligne, etc.

Comprenez les problèmes auxquels une autorité sportive internationale est aujourd'hui confrontée... Certes, le tennis n'est pas parfait en matière de lutte contre le dopage, mais nous avons toujours recherché la qualité. Sans faire de comparaisons, je dirais que certains sports privilégient la quantité. Je pense que nous avons, quant à nous, opéré le bon choix.

M. Jean-François Humbert, président. - Je n'irai pas jusqu'à vous demander quels sont, selon vous, les sports qui sont les plus touchés par le dopage. Mes collègues et moi aimerions comprendre la réalité du dopage dans le tennis -s'il existe, ce que je crois...

Les arguments que vous avez développés sont pour certain tout à fait acceptables et nous les acceptons. Je ne pense toutefois pas que le coût des contrôles et des analyses soit un argument acceptable pour un sport de la richesse humaine et sportive comme le tennis.

D'autres sports, moins riche que le vôtre, se prêtent à des contrôles et à des analyses. Je ne pense donc pas qu'il y ait de véritable obstacle uniquement dû aux problèmes d'argent !

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Quand des sanctions sont prises par votre fédération, la publicité en est-elle toujours faite ?

Avez-vous par ailleurs déjà été amené à suspendre tel ou tel joueur à l'occasion de tournois internationaux, parce qu'il présentait par exemple des taux d'hémoglobine étonnants ?

M. Stuart Miller. - Toutes les organisations antidopage sont dans l'obligation de publier toutes leurs décisions, en tennis comme ailleurs. Chacune des 63 décisions qui ont été prononcées dans le cadre du dopage figure sur le site Internet de la FIT.

Quant à votre question concernant la suspension éventuelle de joueurs, peut-être faites-vous ici allusion à la règle du « no start » que d'autres sports, comme le cyclisme en particulier, ont mis en oeuvre. À ma connaissance, cette règle est le précurseur du passeport biologique, à l'époque où il n'existait pas encore de règle concernant le taux d'hémoglobine contenu dans le sang d'un sportif. Le fait d'avoir un taux élevé représentant un risque pour la santé et la sécurité de l'athlète, c'est sur cette base, et non pour des raisons de lutte contre le dopage, que l'Union cycliste internationale (UCI) a imposé une limite de 50 % au-delà de laquelle un coureur est interdit de départ.

Aucune autre organisation antidopage, selon moi, n'a de règle similaire. Celle-ci a été reprise dans le passeport biologique du sportif. Des variations dans les paramètres sanguins, dont une hémoglobine dépassant 50 %, seraient immédiatement signalées comme dopage probable. Ce qui était une règle motivée par la préservation de la santé du sportif est devenue une règle qui expose lesdits sportifs à des sanctions pour violation du code antidopage.

Je voudrais compléter la réponse apportée à la question du coût. Notre engagement à augmenter les programmes de contrôle de façon importante démontre bien que notre motivation n'est pas financière. Vous aurez compris, je l'espère, que le programme antidopage, dans le domaine du tennis, a une structure financière différente de celle qui existe dans d'autres disciplines, comme le cyclisme et la natation, où beaucoup de prélèvements sont réalisés. N'oublions pas que, dans ce cas, les organisateurs d'événements payent les prélèvements. En cas de test positif, ces échantillons ne sont pas confiés à la fédération internationale, mais envoyés aux fédérations nationales.

Nous avons, pour notre part, décidé d'assumer la totalité de la responsabilité du prélèvement des échantillons, de leur analyse et de la gestion des cas positifs. Nous sommes l'un des rares sports à fonctionner ainsi. En cyclisme, ou en natation, ce sont d'autres qui paient. Bien entendu, s'ils veulent être tenus à l'écart de cette obligation financière, ils doivent interjeter appel.

M. Jean-François Humbert, président. - Lorsqu'un tennisman est convaincu de dopage, des mesures de suspension sont sans doute prises par sa fédération nationale, plus que par la FIT.

Qu'en est-il exactement en la matière de l'autorité qui décide de cette suspension, de l'application de la mesure disciplinaire, et de son respect ?

M. Francesco Ricci-Bitti. - Comme l'a dit M. Miller, il existe des systèmes différents. La FIT a, dès le départ, décidé d'assumer toutes les responsabilités légales, et nous avons centralisé l'ensemble de nos activités pour être plus efficaces. Les fédérations d'athlétisme et de cyclisme, par exemple, délèguent la question disciplinaire à chaque fédération nationale.

M. Jean-François Humbert, président. - En août 2012, vous avez pris acte de la suspension par l'USADA du docteur Garcia del Moral. Le docteur del Moral pratiquait la médecine à Valence et travaillait, d'après ce que nous avons pu savoir, avec différents joueurs de tennis, comme semble le reconnaître le site de la FIT. Avez-vous identifié des joueurs ayant recouru aux services du docteur del Moral, et pu discuter avec eux des relations qu'ils entretenaient avec ce praticien ?

M. Francesco Ricci-Bitti. - Personnellement, le docteur del Moral m'a créé bien des problèmes durant les Jeux olympiques. Nous avons cependant fait tout ce que nous devions faire à ce sujet...

M. Stuart Miller. - L'histoire du docteur del Moral a commencé avec l'enquête ouverte par l'USADA contre Lance Armstrong, à l'issue de laquelle celui-ci a été suspendu à vie, avec cinq autres personnes - médecins, entraîneurs et responsables de l'équipe.

Apparemment, le docteur del Moral avait déjà commis certaines infractions au code antidopage, surtout concernant l'administration, le trafic et la possession de substances interdites.

Le docteur del Moral, après avoir décidé de ne pas se défendre, a été radié à vie. Le code antidopage dit très clairement que les signataires du code mondial antidopage doivent en respecter toutes les décisions. Cette obligation a été respectée par la FIT.

Il était de notoriété publique que le docteur del Moral avait des liens, via sa clinique et une académie de tennis de Valence, avec des joueurs professionnels de tennis.

Toutefois, l'UCI a publiquement affirmé qu'elle ne reconnaissait, ni ne respectait la décision de l'USADA, mettant en doute sa compétence dans l'affaire Armstrong.

La FIT, quant à elle, a décidé de publier un communiqué de presse se démarquant de cette position, indiquant qu'elle appliquerait la sanction de l'USADA vis-à-vis du docteur del Moral. Ce communiqué de presse est toujours disponible sur le site de la FIT.

Ainsi que l'a dit M. Ricci-Bitti, nous devions également prendre d'autres décisions afin de respecter le code antidopage. Le docteur del Moral n'ayant pas contesté les attaques de l'USADA, nous avons estimé de notre devoir d'enquêter pour déterminer s'il avait ou non commis des infractions au programme antidopage. Nous avons croisé les références concernant ses activités à Valence avec une liste de tennismen qui faisaient partie du programme antidopage. Nous avons interrogé ces derniers individuellement, en septembre 2012, afin d'en apporter la preuve. Nous n'avons trouvé aucun élément probant, et ne pouvons donc porter aucune accusation contre le docteur del Moral.

Nous continuons néanmoins à contrôler toutes les informations relatives au docteur del Moral, lorsque ces données sont disponibles.

M. Francesco Ricci-Bitti. - L'initiative de la France, leader sur les sujets d'éthique sportive, est très importante. Il est bon qu'une autorité politique cherche à mieux connaître la réalité du terrain. Nous sommes quant à nous très engagés dans la bataille contre le dopage, et j'espère que nous vous en aurons convaincus. Cette bataille constitue un devoir en matière de santé et d'éthique.

En tant que responsable d'une grande fédération internationale, je tiens à vous remercier de votre engagement dans ce domaine. Je reste très admiratif de l'Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL), mise en place par la France, qui constitue un véritable modèle d'agence de régulation pour le monde entier !

Nous restons à votre disposition si vous désirez nous entendre à nouveau.

Audition de M. Laurent Jalabert, ancien coureur cycliste, ancien sélectionneur de l'équipe de France cycliste

M. Jean-François Humbert, président. - Notre commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte contre le dopage a été constituée à l'initiative du groupe socialiste, en particulier de M. Jean-Jacques Lozach, notre rapporteur.

Une commission d'enquête fait l'objet d'un encadrement juridique strict. Je signale au public présent que toute personne qui troublerait les débats serait exclue sur le champ. Je vous informe en outre qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Laurent Jalabert prête serment.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Je voudrais saisir cet instant pour vous délivrer deux messages.

Le premier s'adresse à l'entourage de Philippe Gaumont et est fait au nom de l'ensemble des membres de la commission d'enquête. Nous pensons à sa famille et lui apportons tout notre soutien dans cette épreuve extrêmement difficile et douloureuse.

Le second est un message de transparence pour le monde du cyclisme. Vous savez que dans cette commission d'enquête, nous essayons d'être juste et de nous pencher sur les pratiques de l'ensemble des disciplines, sans viser tel ou tel sport. En cyclisme la parole s'est déjà un peu libérée, parce que le dopage y est présent depuis longtemps et parce qu'il a connu des épisodes judiciaires très médiatisés. Nous pensons que cette parole publique est saine dans tous les sports et peut amener à une évolution des pratiques.

Dans le cadre de la commission d'enquête, je souhaite signaler que nous avons demandé au ministère des sports et à huit grandes fédérations de nous fournir un certain nombre de documents relatifs à la lutte antidopage.

S'agissant du ministère, parmi plusieurs centaines d'éléments, nous avons demandé les procès-verbaux des prélèvements réalisés sur les tours de France 1998 et 1999.

Nous avons très récemment reçu les copies des procès-verbaux du Tour de France 1998 et nous remercions le ministère des sports pour sa pleine coopération.

Nous sommes donc aujourd'hui à même de faire les rapprochements entre les numéros des flacons inscrits sur les analyses de détection d'érythropoïétine (EPO) réalisées par le laboratoire de Châtenay-Malabry en 2005, et les procès-verbaux de prélèvement sur lesquels sont inscrits les noms des coureurs.

Nous n'avons pas eu d'expertise médicale sur ces résultats et n'avons pas encore pris de décision sur la façon dont nous les utiliserons. Cette décision sera d'ailleurs arrêtée collectivement.

Néanmoins, il m'est apparu aujourd'hui nécessaire, par souci d'honnêteté intellectuelle, de transparence et de franchise, d'indiquer à l'ensemble des acteurs du cyclisme, et notamment tous ceux qu'il nous reste à auditionner, que ces documents nous ont été fournis. Je profite donc de la publicité donnée à cette audition pour faire cette annonce.

Je termine en souhaitant à M. Jalabert une bonne fin de convalescence.

M. Jean-François Humbert, président. - Je joins mes souhaits à ceux du rapporteur...

M. Laurent Jalabert. - Je vous remercie d'avoir eu la patience d'attendre que mon état de santé s'améliore pour m'entendre.

J'ai eu un grave accident le 11 mars dernier. Vous m'avez convoqué dans les jours qui ont suivi. J'ai répondu que j'étais très honoré et que je serais présent, mais qu'il me fallait pour cela retrouver mes capacités physiques et pouvoir me déplacer.

Les choses se sont améliorées depuis, mais je pensais que je récupérerais plus vite. Les traitements médicaux que je prends pour soulager mes douleurs altèrent parfois ma concentration. C'est cependant un honneur pour moi de me trouver dans cette enceinte pour traiter d'un sujet qui, en ma qualité d'observateur, tant du milieu sportif en général, que du cyclisme en particulier, revient de façon régulière.

J'ai effectivement pratiqué beaucoup de disciplines. J'ai démarré le sport amateur à l'âge de douze ans. J'ai eu la chance de faire une carrière professionnelle et, aujourd'hui encore, je pratique le sport de façon régulière et intense, sauf événement fâcheux, comme cela a été le cas dernièrement.

J'ai été cycliste professionnel il y a de nombreuses années, mais je suis également un observateur du monde du sport et du cyclisme en particulier, notamment par le biais de prestations de consultant technique auprès de certains médias. J'ai aussi assumé le rôle de manager de l'équipe de France durant quatre années, pour les championnats du monde et les Jeux olympiques, période pendent lesquelles j'ai été directement en relation avec les coureurs actuels.

Mon analyse du cyclisme et des autres disciplines que j'ai pu pratiquer a évolué au fil du temps. J'ai aujourd'hui un regard plus transversal, ayant eu l'occasion, grâce aux Jeux olympiques, de côtoyer de près certaines disciplines et en pouvant apprécier la valeur des exploits réalisés par les athlètes.

Je suis ici pour évoquer avec vous les questions concernant l'efficacité de la lutte contre le dopage. Il me semble qu'aujourd'hui, quand on suit un événement sportif - le vélo en particulier - les gens ne se posent pas tant la question de savoir combien gagne l'athlète, quel braquet il a utilisé ou en combien de temps il a remporté l'épreuve, mais plutôt s'il est « chargé » ou non...

Cette question, le grand public, les journalistes, les commentateurs, les pouvoirs politiques, les instances du cyclisme se la posent. C'est une suspicion parfois lourde à porter quand on est passionné par un sport, et il est difficile d'admettre que tous les sports ne soient pas placés sur un pied d'égalité en matière de lutte antidopage.

J'ai essayé de réfléchir à des solutions efficaces en matière de lutte antidopage, bien qu'elle le soit à mon sens aujourd'hui dans le vélo, même si ce n'est pas l'image que le public en retient. On peut même dire que pour le cyclisme, c'est quelque peu contre-productif. Il a fait, après l'affaire Festina, les efforts qui s'imposaient. Il y a eu une prise de conscience générale d'un phénomène qu'il fallait enrayer. Les pouvoirs sportifs ont décidé de mettre en place des contrôles plus rigoureux, d'abord sanguins, puis un suivi longitudinal et la détection des transfusions sanguines. Il existe en outre aujourd'hui le passeport biologique, la géolocalisation ; les coureurs cyclistes professionnels sont enfin parmi les rares athlètes à devoir fournir leur emploi du temps quotidien...

Le cyclisme a donc été pilote en matière de mise en place de mesures antidopage. Je pense qu'il y a eu un avant et un après Festina. On a pris conscience que le cyclisme n'était pas sur la bonne voie, qu'il fallait évoluer et changer les choses.

Je pense qu'il y a toujours eu du dopage dans le sport... Il y en a eu dans le cyclisme ; il y en a probablement beaucoup moins aujourd'hui, mais je ne suis pas convaincu qu'il n'y en a plus du tout. C'est une lutte de tous les instants, qu'il faut continuer, mais qui doit aussi s'élargir pour qu'il y ait équité entre le cyclisme, souvent montré du doigt, et les autres sports, où on a l'impression, comme avant 1998 dans le monde du vélo, que le problème ne les concerne pas !

M. Jean-François Humbert, président. - Merci pour cette intervention liminaire, avec laquelle nous avons certainement un certain nombre d'idées en commun. Nous avons entendu un certain nombre de choses, et commençons peu à peu à nous faire notre opinion.

La parole est au rapporteur...

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Nous souhaitions vous auditionner notamment parce que vous étiez, il y a encore quelques semaines, sélectionneur de l'équipe de France de cyclisme, occupant donc une place essentielle dans la situation du cyclisme, mais également, comme nous l'avons fait tout à l'heure avec Richard Virenque et, il y a quelques semaines, avec un certain nombre d'autres coureurs, pour revenir sur la période pendant laquelle vous étiez compétiteur.

L'une des raisons qui nous a poussés à créer cette commission, c'est le traumatisme créé par l'affaire Armstrong, qui a admis avoir consommé des produits dopants tout au long de sa carrière cycliste. Sur la forme, considérez-vous que les grands champions cyclistes doivent assumer une sorte de devoir de vérité par rapport à toute cette période ?

M. Laurent Jalabert. - Armstrong est, selon moi, un athlète hors norme depuis son plus jeune âge. Il était déjà physiquement très fort lorsqu'il était, aux États-Unis, champion junior de triathlon. Il a déboulé dans le cyclisme avec beaucoup d'arrogance. C'est ce qui a d'ailleurs beaucoup déplu, y compris aux coureurs. Il ne respectait pas vraiment la hiérarchie, mais il s'est imposé par la force, en étant champion du monde. Il a démontré qu'il avait une faculté de se concentrer sur un seul objectif, sans jamais en dévier : gagner le Tour de France. On a appris trop tard que, pendant toute cette période, il nous avait bernés !

Je l'ai connu avant qu'il ne soit atteint d'un cancer. C'était déjà un rival de taille, mais j'arrivais à le suivre sans problème sur des épreuves d'une semaine, ou sur des classiques d'un jour. Après sa guérison, il a incarné le héros américain de bandes dessinées, qui a survécu à la mort, et qui devient plus fort que quiconque.

Beaucoup de spectateurs ou de compétiteurs ont ensuite éprouvé un sentiment d'impuissance : quand la course était dure, il était intraitable. On ne savait comment se débarrasser de ce garçon, bien plus fort que tout le monde !

J'ai eu le malheur de dire, à Hawaï, où je me trouvais pour un triathlon, en octobre, au moment où l'affaire Armstrong touchait à son terme, et au moment où l'Union cycliste internationale (UCI) l'a déchu de ces sept couronnes remportées lors du Tour de France, que c'était malgré tout un immense champion. Les mots ont sans doute dépassé ma pensée mais c'est un athlète hors norme, j'en suis convaincu. Je pense que ce garçon a des qualités physiques et mentales largement au-dessus de la moyenne, même s'il a fauté. Peut-être son envie de pouvoir l'a-t-elle poussé à devenir ce qu'il est devenu... La justice est passée. Cependant, il est dommage que la sanction soit tombée treize ans après sa première victoire.

Il y a, je crois, un effort à faire en matière de délais de condamnation entre l'acte frauduleux et la sanction. On attend parfois en effet plusieurs années. Il a fallu, par exemple, quatre ans pour que Floyd Landis soit déchu de son titre de vainqueur du Tour de France. Ce sont des procédures beaucoup trop longues ! Je ne sais dans quelle mesure on peut y remédier, mais il me semble que tout le monde y gagnerait, le vélo et - surtout - le public. J'imagine que cela coûterait en outre bien moins cher...

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Notre souci est d'améliorer la lutte contre le dopage, qui remonte à un passé récent, notamment durant les années 1990. Vous avez été cycliste de 1989 à 2002, période particulière concernant l'utilisation de l'EPO. Très franchement, quelles ont été vos relations avec le dopage durant cette période ?

M. Laurent Jalabert. - Je pense que le dopage a toujours existé dans le vélo, mais on en a pris vraiment conscience lors de l'affaire Festina. C'est à ce moment que la vérité a éclaté aux yeux du grand public, et qu'il est apparu que la réalité devait être prise en considération. Peut-être avait-on un sentiment détaché par rapport au dopage jusqu'alors...

Pendant ces années-là, j'ai couru pour trois écuries, en faisant pleinement confiance au staff des équipes parmi lesquelles j'ai évolué. L'une était française, l'autre espagnole, la dernière danoise. Je n'ai pas choisi : c'est le hasard de la vie qui a fait que j'ai trouvé refuge en Espagne quand l'équipe Toshiba s'est arrêtée ; j'ai ensuite quitté Once, avec qui j'étais en désaccord, et où j'étais probablement resté trop longtemps... J'ai signé un contrat au Danemark, alors que je souhaitais revenir dans une équipe française. Cela n'a pas a été possible, je ne sais pourquoi. J'étais pourtant huitième coureur mondial.

En intégrant des groupes sportifs dont on est salarié, on dispose de tout un encadrement, qu'il s'agisse du management, de la partie mécanique, ou de la partie médicale. J'avais complètement confiance à mon staff. Il fallait parfois faire face à des problèmes qui, lorsque nous étions en compétition, nécessitaient de recourir à un produit interdit, en ayant une autorisation médicale. J'ai donc parfois fait usage de produits, lorsque c'était nécessaire, pour des lésions avérées, mais je puis vous assurer qu'à aucun moment je n'ai cherché, en quelque manière que ce soit, à rencontrer des médecins, ou d'autres personnes, pour tenter d'améliorer mes performances. Je n'ai jamais participé à la « course à l'armement », ni dépensé un franc - à l'époque, nous n'étions pas encore passés à l'euro - pour consulter, ou acheter des produits interdits. Ce n'était pas dans ma culture, ni dans mes envies. Il est toutefois vrai que je ne puis dire si j'étais soigné de manière illégale ou non. Aujourd'hui, je n'en ai pas la certitude.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Pouviez-vous échapper à ce que vous avez appelé la « course à l'armement » ?

M. Laurent Jalabert. - Sans vouloir être prétentieux, j'ai fait partie, depuis tout jeune, des meilleurs de ma catégorie. J'étais en équipe de France junior ; j'ai été professionnel à vingt ans ; j'ai remporté des courses... Aujourd'hui, certains athlètes français, qui ont l'âge que j'avais à l'époque, gagnent des courses qui ne sont pas plus importantes que celles que j'ai gagnées alors. J'étais un athlète plein de qualités, un puncheur, et j'arrivais, grâce à cette explosivité, à tirer partie de certaines difficultés pour obtenir de grandes victoires.

J'ai eu une progression régulière, mais je n'ai fait, sur le Tour de France, qu'un seul classement au Top 10, en terminant une fois quatrième, au cours d'une échappée de 200 kilomètres, comme cela arrive rarement. Ce jour-là, Miguel Indurain était dans une forme catastrophique. Nous avons pu prendre le large et arriver à Mende avec un certain nombre de minutes d'avance. Sans cette journée, je n'aurais probablement pas réalisé de Top 10...

Après le Tour de France de 1995, je me suis mis à rêver que le Tour de France était à ma portée et que je pouvais gagner. Les journalistes m'ont d'ailleurs présenté comme un rival direct de Miguel Indurain. Dès la première étape de montagne, lors du Tour de France de 1996, je me suis brûlé les ailes et j'ai disparu de la circulation. J'ai reçu là une claque mais, à aucun moment, je n'ai souhaité participer à la course à l'armement pour gagner le Tour de France ! Cela ne m'intéressait pas !

M. Alain Néri. - Vous avez quand même gagné le Tour d'Espagne !

M. Laurent Jalabert. - J'ai en effet gagné le Tour d'Espagne, qui dure trois semaines, mais il ne s'agit pas de la même épreuve que le Tour de France. Les qualités de récupération, je les ai, mais j'ai eu beaucoup de faiblesses. Ce tour-là, je l'ai gagné parce que nous disposions d'une équipe forte. Il s'est présenté une situation analogue à celle qui s'était présentée à Mende, en 1995, et je me suis retrouvé leader très tôt dans la course, qui a alors été verrouillée. J'avoue avoir cependant eu les pires difficultés, la dernière semaine, à conserver ce maillot jaune. Cela ne s'est pas vu, parce que le cyclisme est également une partie de bluff : il faut savoir cacher ses faiblesses à l'adversaire.

Le niveau n'était pas le même, pas plus que l'engagement physique. On était en outre au mois de septembre. J'ai toujours mieux performé à certaines périodes qu'à d'autres. J'ai souvent été bon en mars-avril, en difficulté en été et mieux sur la fin de saison...

M. Jean-François Humbert, président. - Pour être en forme en fin de saison, que ce soit au printemps ou à un autre moment, le rôle des médecins est en théorie important.

Quelles ont été vos relations avec les médecins des trois équipes auxquelles vous avez appartenu ? Aviez-vous avec eux des relations de confiance ou vous méfiiez-vous, à l'époque, de ce qu'ils pouvaient éventuellement prescrire ?

M. Laurent Jalabert. - Aucune prescription ne m'a jamais été établie, et je n'ai jamais détenu de produits à mon domicile.

En compétition, les médecins étaient toujours présents. Dans ma première équipe, je crois me souvenir que le médecin était un médecin du Comité olympique international (CIO). Je ne me souviens plus très bien de la manière dont les choses fonctionnaient. Chez Once, le soir des étapes, le médecin passait nous dispenser un soin de récupération ; nous n'avions pas vraiment connaissance de ce dont il s'agissait.

Ai-je été trompé ou non ? Je ne le crois pas. Certes les contrôles sont faciles à déjouer, mais j'en ai passé de nombreux. A aucun moment, je n'ai été tendu, stressé, inquiet. Je ne me suis jamais soustrait à l'un d'eux.

J'aurais aimé courir encore durant les années 2010. Je pense que j'aurais été capable de gagner encore davantage !

M. Jean-François Humbert, président. - Vous aviez donc des relations de confiance avec les médecins. N'y avait-il pas de risque qu'ils vous fassent avaler tel ou tel comprimé plutôt que tel autre, ou vous injecte je ne sais quoi ? Cette crainte n'existe-t-elle pas toujours ?

M. Laurent Jalabert. - Cette crainte peut exister un moment, puis une relation de confiance s'installe. Les questions, nous ne les posions plus. Personnellement, je ne les posais pas. Quand le Tour de France de 1998 a connu tous ces dénouements, comme d'autres, nous avons été arrêtés, perquisitionnés, retenus dans les chambres ; le bus a été dépouillé de tous ses médicaments, le docteur a été emmené en garde à vue, sans que personne ne sache ce qui se passait. J'ai passé trois ou quatre heures avec un commissaire qui voulait me faire avouer que j'étais un tricheur. Il n'est rien ressorti de tout cela.

Je ne peux affirmer que je n'ai jamais rien pris d'illicite. Il y a eu des moments où je savais que des corticoïdes, pour soigner des pathologies précises, m'ont été administrés, avec une autorisation thérapeutique.

M. Jean-François Humbert, président. - Les fameuses AUT !

M. Laurent Jalabert. - Il n'y en a pas eu tant que cela... Nous avions des carnets de santé, sur lesquels devait figurer la prescription. On le signalait donc au moment du contrôle. Jamais je n'ai reçu le moindre avis d'anomalie de qui que ce soit, lors d'un contrôle médical.

M. Jean-François Humbert, président. - Le 1er juillet 2009, vous aviez donné une interview à La Dépêche et déclaré - je vous cite : « Le jour où je voudrais parler du dopage, je ferai un livre. Ce n'est pas un sujet tabou. Il faudrait plus parler de certaines personnes que de certaines pratiques, que l'on connaît par coeur ». Pouvez-vous nous en dire plus aujourd'hui ?

M. Laurent Jalabert. - Je n'ai pas le souvenir de cette déclaration... Nous étions soignés, je n'ai jamais dit le contraire. Étions-nous dopés ? Je ne le pense pas...

J'ai également dit qu'à aucun moment je n'ai cherché à rencontrer qui que ce soit pour améliorer mes performances, ni même acheté un produit interdit.

Après l'affaire Festina, un certain nombre de réglementations ont changé. Les injections étaient interdites en France. Je les ai refusées lorsqu'on m'en a proposé. Certaines ont pris conscience du phénomène et ont voulu évoluer ; d'autres ont fait comme si rien ne s'était passé. Je fais partie de ceux qui ont voulu changer, en essayant de faire évoluer le sport dans la bonne direction. Cela ne m'a pas empêché d'avoir des résultats probants lors des deux derniers Tours de France, qui ont presque été les meilleurs pour moi !

M. Jean-François Humbert, président. - Vous disiez qu'il faudrait parler davantage de certaines personnes que de certaines pratiques. Pensiez-vous à certains médecins ?

M. Laurent Jalabert. - Je ne me rappelle pas de cette interview...

Le docteur de l'équipe Once portait le surnom de « docteur Citroën », par opposition à la façon dont le docteur Ferrari, administrait des potions magiques aux coureurs de son équipe. La chose était connue. Le « docteur Citroën » ne voulait pas prendre de risque pour la santé.

Je sens bien que vous voulez me faire dire que je n'étais pas clair mais, dans ces années-là...

M. Jean-François Humbert, président. - Ce n'est pas du tout mon intention !

M. Laurent Jalabert. - Je l'espère !

M. Jean-François Humbert, président. - Si tel avait été le cas, je vous aurais posé directement la question !

M. Laurent Jalabert. - C'est un large sujet que celui de l'efficacité de la lutte contre le dopage. Vous m'avez demandé de répondre à des questions, j'y réponds sans problème...

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - En 2009, en devenant sélectionneur de l'équipe de France, avez-vous évoqué la problématique du dopage avec le président de la fédération ?

M. Laurent Jalabert. - Pas du tout ! Les relations avec la fédération sont un peu particulières. J'ai été sélectionneur durant quatre ans, sans avoir jamais eu de contrat, bien que ce soit écrit dans les journaux et de notoriété publique ! J'avais une indemnité de 15 000 euros par an tout compris. Mes déplacements me prenaient une quinzaine de jours par an. Étant donné tous les coups que j'ai pris, cette fonction ne méritait pas que je m'investisse autant !

Le président n'a pas été le premier à me la proposer. En 2002 ou 2003, au moment où j'ai arrêté ma carrière, Patrick Cluzaud, directeur technique national, me l'avait déjà proposée. J'avais estimé que c'était trop tôt. Je sortais du peloton, je connaissais bien les coureurs et je n'avais pas une âme de manager. D'autres activités se mettaient en place et je n'ai pas voulu « charger la mule ». Je voulais également profiter de ma famille...

En 2009, quand M. Lappartient, qui venait d'arriver, m'a dit qu'il aimerait bien que je sois sélectionneur de l'équipe de France, je me suis dit : « Pourquoi pas ? J'ai appris, je connais, j'ai gagné des courses, j'ai participé aux plus grandes compétitions, j'ai côtoyé le haut niveau et j'ai l'habitude de préparer de grands rendez-vous... Pourquoi ne pas transmettre cette expérience à la jeune génération ? » ? J'ai accepté...

La première année a été très difficile, la nomination du sélectionneur n'étant pas du ressort de la fédération, mais de la ligue... Je n'y étais pour rien. Le président n'était pas d'accord avec cette interprétation. J'ai ensuite voulu conseiller les coureurs que j'ai sélectionnés pour les mondiaux, afin de leur faire comprendre qu'une course de 260 kilomètres, qui se joue dans la dernière heure, ne peut se gagner en s'entraînant seulement cinq heures par jour. Cela me paraissait normal pour des cyclistes professionnels. Les entraîneurs des équipes me sont tombés dessus, pensant que j'allais m'immiscer dans leur travail. J'ai abandonné et me suis contenté de sélectionner les coureurs.

Vous évoquiez l'aspect médical. La fédération française de cyclisme compte un médecin, Armand Mégret. Je n'ai jamais eu de feuille de route... La directrice internationale m'a dit de lui donner les noms des coureurs une fois sélectionnés, la fédération souhaitant, avant les championnats du monde, qu'ils aient validé le quatrième volet du suivi longitudinal. Une fois ma liste de vingt coureurs arrêtée, début août ou mi-août, je la donnais à la fédération. Pour autant, je ne suis jamais allé fouiller dans les valises des coureurs qui ont participé aux championnats du monde, m'en tenant à une stratégie de course et à essayer de construire une équipe performante.

M. Jean-François Humbert, président. - On dit souvent qu'en France, les coureurs pourraient pâtir de la forte lutte antidopage menée dans notre pays. Que pensez-vous de cette affirmation ? Peut-elle avoir une influence sur les résultats des athlètes français ?

M. Laurent Jalabert. - Ce n'est pas le sentiment que j'ai aujourd'hui, au vu des résultats, la France figurant parmi les nations qui ont le plus gagné depuis le début de la saison. Peut-être est-elle en retrait sur certaines compétitions, comme les grands classiques du calendrier, tel Liège-Bastogne-Liège par exemple. On n'est pas en mesure de « jouer la gagne », mais il faut dire que Voeckler s'était cassé la clavicule peu de temps avant. Il aurait pu être parmi les finalistes... On a beaucoup gagné cette année...

J'ai l'impression que la lutte contre le dopage, dans le cyclisme, a porté ses fruits, malgré tout ce que l'on peut entendre. La peur du gendarme, les contrôles inopinés, le passeport biologique, les contrôles ciblés, ont permis de resserrer le filet et de sortir momentanément les tricheurs du jeu, en leur laissant cependant une seconde chance.

J'ai la conviction qu'il s'agit d'une lutte efficace, même si elle comporte quelques lacunes vis-à-vis de méthodes qui ne sont pas encore détectables. Que faire face à cela ? Je ne suis pas certain que le fait de conserver des flacons en vue d'analyses ultérieures permette véritablement de faire avancer les choses...

M. Jean-François Humbert, président. - Quels moyens seraient-ils selon vous efficaces et quels sont ceux qui remportent vos suffrages ?

M. Laurent Jalabert. - J'ai relevé quelques axes de réflexion... Le cyclisme a été pilote en matière de suivi longitudinal, de contrôle sanguin, de passeport biologique, de détection des manipulations sanguines, de localisation des athlètes et de contrôles inopinés ciblés. Je crois savoir que peu de fédérations lui ont emboîté le pas...

Je ne suis pas ici pour faire le procès des autres sports. J'adore le sport, et j'ai beaucoup de respect pour les autres sportifs. Cependant, l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) a réalisé, en 2012, 1 812 contrôles dans le cyclisme, pour 112 600 licenciés, soit 1,6 %. C'est peu ! Au rugby, on a enregistré 588 contrôles pour 322 000 licenciés, soit 0,2 %. C'est moins... Le football a connu 548 contrôles pour 2 225 000 licenciés, soit 0,02 % Le tennis n'apparaît même pas dans la liste ; on recense moins de 400 contrôles pour 1 125 000 licenciés, soit moins de 0,035 % !

Il faudrait que le nombre de contrôles soit équitable entre les fédérations. On parle beaucoup du cyclisme et de ses problèmes, qui font les choux gras de la presse. Peut-être cela fait-il un peu avancer les choses mais, en matière de lutte antidopage, il me semble qu'on devrait s'inspirer de ce qui se fait dans le vélo et qui apporte des résultats.

J'ai discuté il y a peu avec un manager de rugby de troisième division, qui a reconnu que le monde du rugby comptait peu de contrôles. Lorsque cela arrive, le contrôleur donne, une heure avant le match, le nom des trois joueurs qui vont être contrôlés. Dans le vélo, je n'ai jamais connu cela ! Je veux bien que l'on affirme que tous les coureurs cyclistes sont dopés, qu'on n'ait aucun respect pour les anciens champions, que l'on considère que leurs performances sont tronquées, mais j'aimerais aussi, pour que l'on puisse comparer, que tout le monde soit placé sur un pied d'égalité. Or, les chiffres démontrent le contraire ! Il me semble qu'il faudrait tenir compte du nombre de licenciés en cas de contrôles dans les différentes disciplines sportives et harmoniser la réglementation sportive. Le cyclisme - français en particulier - a voulu faire le ménage. Les choses sont en bonne voie, même si elles ne sont pas parfaites. Les méthodes employées sont efficaces, à condition d'y mettre les moyens.

La lutte antidopage coûte mais, dans le vélo, les équipes participent. Les organisateurs également. Ce ne sont pas ceux qui gagnent le plus d'argent ! Une équipe de vélo, aujourd'hui, dispose d'un budget moindre qu'une équipe de rugby - et je ne parle même pas du football ! Le vélo n'a aucune autre ressource que le partenariat. Si un coureur triche, il place cinquante personnes dans la difficulté.

Une des difficultés du vélo est peut-être d'être un sport dispersé à travers les pays ou le continent alors que, dans les sports collectifs, tout le monde est rassemblé au même endroit, s'entraîne en même temps. Est-ce une incitation au dopage ? C'est difficile à dire...

Dans une période de doute, lorsqu'on ignore si l'on va faire ou non le Tour, que l'on ne sait pas si son contrat va être renouvelé, cela peut pousser à la tentation...

Le dopage, ce n'est pas seulement courir vite ou pédaler longtemps. Cela peut aussi concerner, par exemple, la précision du tir ou la lutte contre le soleil. Je ne crois pas qu'il existe aujourd'hui une véritable équité dans la façon de lutter contre le dopage dans notre pays.

La devise de notre pays est « Liberté, égalité, fraternité ». Je ne vois pas où se situe l'égalité dans cette affaire ! Il en va de même des sanctions...

Il y a deux ou trois ans, lors du Tour de France, Kolobnev se fait prendre pour l'utilisation frauduleuse d'un diurétique. Il est éliminé du Tour de France, suspendu pour deux ans ; cette suspension est ramenée à un an par sa fédération. Un an plus tard, quasiment jour pour jour, Cesar Cielo se fait prendre pour avoir utilisé la même substance : il a pu participer aux championnats du monde, la décision ayant été cassée pour vice de forme ! Dans quel monde vit-on ? Est-on sur la même planète ? A-t-on les mêmes droits ? Le dopage ne touche-t-il que le monde du cyclisme, ou le sport dans son ensemble ?

Des gens vont bien se charger d'aller rechercher les anciens champions, et essayer de savoir si leurs performances sont vraiment honnêtes ! Certaines personnes en font leur fonds de commerce et pensent qu'il suffit de multiplier la pente par le poids pour savoir si le coureur est dopé ou non. Personnellement, je ne me rappelle pas de la moitié des étapes du Tour d'Espagne ! J'ai peut-être pris un coup à la tête lors de mon accident, mais je me demande comment on peut affirmer que tel ou tel n'était pas clair parce qu'il a gravi un col à telle ou telle allure !

M. Alain Néri. - Que pensez-vous de votre collègue Bassons ?

M. Laurent Jalabert. - Je le connais. Il a la réputation d'un coureur sain, et tout le monde la lui reconnaît...

M. Alain Néri. - Quel jugement portez-vous sur l'action que Bassons a voulu mener contre le dopage ?

M. Laurent Jalabert. - C'est aujourd'hui son travail. Je crois qu'il est impliqué au niveau départemental ou régional. Je trouve cela très bien...

M. Alain Néri. - Il a mis sa carrière en jeu, et l'a d'ailleurs arrêtée de façon brutale, après avoir été victime de menaces de la part d'Armstrong...

M. Laurent Jalabert. - Armstrong est un tortionnaire ! J'ai dit qu'il avait des qualités athlétiques hors norme, et je le maintiens. Il m'a un jour menacé, lors d'un Paris-Nice. Il nous avait attaqués toute la journée ; au moment de l'arrivée, à Millau, dans la dernière montée, il attaque. On part tous les deux. J'arrive à le suivre : il se met à côté de moi, et me dit : « C'est moi qui gagne l'étape ! ». S'il gagnait l'étape, je perdais le maillot blanc de leader... Les choses se sont jouées aux bonifications. Je lui ai dit : « Tu gagnes si tu peux ! ». Je l'ai battu au sommet ! Pour moi, il n'y avait pas d'irrégularité. Il a cru que j'allais pieusement respecter ce qu'il avait dit. Le lendemain matin, il m'a dit : « Il n'y a que les montagnes qui ne se rencontrent pas ; tu vas me le payer ! ».

C'est quelqu'un de très rancunier. J'ai souvenir du Tour de France 2000, particulièrement difficile pour moi. J'étais en très grande difficulté, naviguant loin de la tête. Je cherchais alors une équipe, ayant décidé de quitter Once. Il m'est arrivé d'attaquer loin de l'arrivée, en début d'étape. Il crie immédiatement à ses coureurs de rouler derrière. J'étais à deux heures au classement général, ne représentant aucun danger ! J'ai vraiment eu le sentiment de payer l'épisode précédent.

Je connais l'histoire de Christophe Bassons. Elle n'est pas unique. Un coureur italien a également été menacé par Armstrong, qui a cherché à l'intimider. Je pense que Bassons a eu tort de s'arrêter. Il avait des qualités - et les a d'ailleurs encore. Comme moi, il continue à pratiquer le sport. Nous sommes originaires du même endroit. Nous étions dans le même club, avons eu le même entraîneur et la même formation quand nous étions jeunes - même si nous n'avons pas le même âge.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Avez-vous perçu une sorte de complaisance de la part de l'UCI, un certain laisser-aller, dans la lutte contre le dopage ?

M. Laurent Jalabert. - Je ne saurais le dire. Les contrôles étaient pratiqués de la même façon... Je n'ai pas lu le rapport sur l'affaire Armstrong, mais on laisse entendre qu'il aurait été protégé. Si c'est vrai, c'est inqualifiable ! Si on ne peut plus faire confiance au pouvoir sportif, qui est là pour appliquer les règles, où va-t-on ? Je n'ai pas eu ce sentiment - mais cela ne veut pas dire que ce ne soit pas le cas. Je n'en sais rien...

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Pensez-vous que les produits utilisés durant les années 1990 soient toujours utilisés ? Existe-t-il une nouvelle génération ?

M. Laurent Jalabert. - Comment le savoir, si ce n'est en opérant des contrôles ? Nombre de produits tolérés dans les années 1990, comme les corticoïdes, sous certaines conditions, ont été ensuite retirés.

Aujourd'hui, un problème de tendinite entraîne un arrêt de travail de deux semaines. A l'époque on m'avait autorisé une infiltration ; aujourd'hui, je serais obligé de m'arrêter.

Les coureurs prennent-ils toujours de l'EPO ? Il me semble que ce se serait stupide, car elle se détecte ! Ils sont sûrs de se faire prendre. Cependant, là où on ne cherche pas, on ne risque pas de trouver ! Y en a-t-il ailleurs ? La question peut se poser pour les sports dits « techniques ». Le vélo est souvent assimilé à un sport physique. Il faut appuyer fort sur les pédales, et il serait normal que les coureurs soient obligés de se doper ! Aujourd'hui, je comprends cette vision : désormais, j'évite les côtes et, quand je les monte, elles me brûlent les cuisses. Il faut rouler des kilomètres pour progresser.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Vous êtes passé par trois équipes différentes. Avez-vous perçu des différences entre les encadrements ?

M. Laurent Jalabert. - En effet. Dans ma dernière équipe, les médecins étaient présents, mais certains coureurs préféraient être soignés ailleurs. Cela préoccupait le manager, qui avait instauré un contrôle interne à la veille des courses. Il contrôlait les coureurs qu'il jugeait suspect, pour s'assurer qu'ils étaient dans la bonne ligne de conduite.

Les médecins de l'équipe qui pratiquaient ces contrôles, au bout de quelques semaines, me demandaient s'il était nécessaire que je pratique ces contrôles. Je leur répondais que je voulais bien les faire, mais que ce n'était pas utile...

Je ne sais si vous vous souvenez de l'étape de Sanary, où Armstrong m'a doublé à quatre kilomètres de l'arrivée, et m'a tapé sur la fesse en me disant : « Suis-moi ! ». J'avais, ce jour-là, pris une échappée au départ, et fais quasiment tous les cols en tête ensuite. J'ai souvent regretté d'être parti seul, car la journée a été extrêmement difficile... Ce matin-là, nous avons eu un contrôle à l'hôtel. Mon taux d'hématocrite était de 39. Cela ne m'a posé aucun problème pour attaquer ensuite ! J'ai été deux fois meilleur grimpeur du Tour de France, sans avoir des valeurs hors norme ! J'ai simplement adapté ma course et mes qualités du moment à mes ambitions, à mes objectifs. Je savais que je n'étais pas capable de lutter pour le classement général. Je me suis rendu compte, en 1996, que le Tour de France n'était pas fait pour moi !

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Vous avez laissé entendre qu'à côté du médecin officiel de l'équipe, il pouvait y avoir des médecins satellites, à la périphérie des coureurs...

M. Laurent Jalabert. - Oui, j'en suis convaincu. Il me semble qu'une équipe structurée, avec un médecin attitré, est probablement la meilleure solution - à condition que cette personne soit intègre. C'est pourquoi j'ai eu le sentiment de ne pas avoir été trahi, et qu'à aucun moment je n'ai eu recours à qui que ce soit, à l'extérieur des équipes dont j'ai fait partie.

J'ai aujourd'hui la conviction que l'on peut courir le Tour de France sans se doper, et obtenir des résultats. Je veux bien admettre que le vélo est une discipline qui mérite tous les blâmes, mais j'aimerais bien qu'un jour, on reconnaisse que c'est un sport qui a été avant-gardiste en matière de lutte antidopage, qui a su prendre ses responsabilités. Il est malhonnête de le montrer aujourd'hui comme la discipline qui compte la seule catégorie de tricheurs du sport.

Selon moi, le dopage n'est pas l'apanage du sport professionnel, il existe aussi dans le sport amateur. Je fais depuis de nombreuses années de la course à pied, du vélo, du triathlon. J'ai une âme de sportif, et je pense que ce sera le cas jusqu'à la fin de mes jours. C'est une question de bien-être, et cela m'a probablement sauvé la vie lors de mon accident. J'ai été retrouvé en état de défaut respiratoire, et si je n'avais pas eu un coeur entraîné et solide, vous n'auriez pu m'auditionner ! Le vélo santé est donc mon credo. Or, la seule fois où j'ai été contrôlé depuis que j'ai arrêté ma carrière, c'est lors de trois courses cyclosportives.

Je n'ai jamais subi un contrôle en triathlon, ou sur une course à pied. Je ne dis pas qu'il n'y en a pas, mais je n'ai jamais été contrôlé. Toutefois, à chaque fois que quelqu'un est venu faire un contrôle sur une cyclosportive, j'ai été tiré au sort !

Il serait bon de mettre le nez dans les sports d'amateurs. Ce n'est par l'argent qui induit la tricherie, mais la performance, l'envie d'être meilleur, qui peut pousser à tricher.

Il y a trois ans, sur un championnat de France, un collègue de France Télévisions m'a informé d'une grosse polémique en salle de presse. Certaines affirmaient en effet que j'avais été déclaré positif sur un triathlon. Si je prends aujourd'hui des médicaments à cause de mon accident, je suis contre. Quand je fais du sport, c'est pour mon plaisir. Quel intérêt aurais-je à me mentir ? J'ai demandé à ces journalistes d'où ils tenaient leur information. Ils m'ont répondu que c'était une source sûre, sans pouvoir me dire laquelle. Je leur ai dit n'avoir jamais été positif au triathlon, et d'ailleurs n'avoir jamais été contrôlé ! Il s'agissait du triathlon de Belfort, auquel je n'ai jamais participé !

La personne à l'origine de cette rumeur a tenu des propos injurieux à mon égard : selon elle, je m'étais mis au triathlon pour écouler mon stock de seringues, etc. Il est sûr qu'il est plus facile de boire de la bière au comptoir que d'aller à la piscine apprendre à nager !

Je suis un vrai sportif, j'aime le port. Je souhaiterais que l'on puisse un jour arrêter de se poser les questions que l'on se pose concernant le cyclisme et qu'on s'interroge sur les autres disciplines, certaines performances me semblant inquiétantes -mais vous devez le savoir !

Jeudi 16 mai 2013

- Présidence de M. Jean-François Humbert, président -

Audition de M. Jean-Pierre Paclet, ancien médecin de l'équipe de France de 2004 à 2008

M. Jean-François Humbert, président. - Je signale au public que le silence est nécessaire.

Je vous souhaite la bienvenue, Monsieur Paclet. Je vous informe en outre qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jean-Pierre Paclet prête serment.

M. Jean-Pierre Paclet, ancien médecin de l'équipe de France de 2004 à 2008. - Depuis trente ans que j'exerce dans le sport, auprès d'athlètes de haut niveau, j'ai toujours été viscéralement opposé au dopage. D'un point de vue éthique, c'est une tricherie. Quel exemple pour les enfants ! Si les miens avaient pu devenir sportifs de haut niveau, j'aurais été très ennuyé qu'ils prennent des substances dangereuses. J'ai été formé à la faculté de médecine de la Pitié-Salpêtrière, où ce n'était pas une préoccupation pour nos enseignants : je n'y ai reçu aucune formation sur ce sujet. La médecine du sport marche sur deux jambes : il y a les médecins qui réparent, et ceux qui préparent. Je suis de ceux-là. Ceux-ci étudient la physiologie et cherchent à améliorer le fonctionnement normal de l'homme, parfois en franchissant les limites.

Selon le type d'activité sportive, l'exposition au dopage varie. Un premier type regroupe les sports dans lesquels la performance est avant tout physique : athlétisme, cyclisme, natation, haltérophilie, ski de fond... Les athlètes y sont les plus susceptibles d'accepter la pilule blanche, ou la piqûre verte, si cela peut améliorer leur performance de 5 %, 10 %, voire 20 %. Ainsi dans le sprint, passer en-dessous de 10 secondes, c'est passer du niveau régional au niveau international ; passer en-dessous de 9,5 secondes, c'est devenir une star mondiale ! D'autres sports, à l'inverse, dépendent peu de la performance physique : il n'est que de voir, par exemple, la silhouette des champions de golf. Les sportifs y sont peu intéressés par le dopage. Un troisième groupe, enfin, comprend les sports dans lesquels la performance physique entre en ligne de compte, parmi d'autres facteurs : performance technique, dynamique collective, état psychologique...

On a beaucoup dit que le dopage était lié à des considérations financières. Mais en haltérophilie - le culturisme est la discipline qui a le plus utilisé les anabolisants - beaucoup de sportifs se dopent sans ce type de motivation, puisqu'ils demeurent anonymes. Dans ce cas, les fédérations sont impuissantes, seule la police peut intervenir.

Le profil culturel du sportif est déterminant. A-t-il réfléchi à sa pratique ? Un joueur de l'équipe de France de football m'a appelé et m'a recommandé de ne pas fléchir : preuve que certains sont fermement opposés au dopage et se réjouissent de la multiplication des contrôles. D'autres évitent le dopage par peur des contrôles, et non pour des motifs plus raisonnés. Je tiens à souligner à ce propos l'importance de l'éducation des jeunes.

Longtemps, la lutte contre le dopage a été confiée aux organisations sportives : fédérations, comité international olympique, FIFA... Les résultats ont toujours été faibles, et les contrôles en retard par rapport aux pratiques. Les affaires qui ont éclaté (Agricola en Italie, Fuentes en Espagne, Hamilton aux États-Unis) sont le fruit de l'action de services de l'État (police, douanes...), non des organisations sportives. Ce sont eux qui sont véritablement efficaces dans la lutte contre le dopage : les liens qui se tissent au sein des organisations sportives affaiblissent l'énergie des contrôles, de même que la perspective du passage devant le tribunal arbitral du sport et des complications juridiques subséquentes.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Notre but est d'améliorer l'efficacité de la lutte contre le dopage par la formulation de propositions à l'adresse de l'État et du mouvement sportif. N'hésitez pas à en faire ! Ne pensez-vous pas que les sportifs puissent être associés au moins à certains aspects de la lutte contre le dopage - la prévention, par exemple ?

M. Jean-Pierre Paclet. - Oui, la prévention est l'un des rôles des fédérations, qui sont en contact avec les sportifs. Il faut les encourager dans ce sens. Mais le plus efficace, c'est le contrôle a posteriori : c'est ce qui a fait tomber M. Armstrong, qui avait déjoué les contrôles médicaux pendant dix ans.

M. Jean-François Humbert, président. - Pourquoi est-il passé à travers ?

M. Jean-Pierre Paclet. - Avec la complicité de l'Union cycliste internationale (UCI), qui n'allait pas tuer la poule aux oeufs d'or, ni abîmer son image... C'est ce que j'ai lu dans la presse.

M. Jean-François Humbert, président. - C'est la seule raison ?

M. Jean-Pierre Paclet. - M. Armstrong était entouré de spécialistes de physiologie de haut niveau, qui connaissaient bien leur affaire.

M. Jean-François Humbert, président. - Le genre de médecins qui préparent, justement...

M. Jean-Pierre Paclet. - Oui, mais peut-on vraiment leur conserver le titre de médecins ?

M. Jean-François Humbert, président. - Ces explications suffisent-elles ? Qui a le rôle le plus important, le médecin de l'équipe ou le médecin personnel ?

M. Jean-Pierre Paclet. - Le médecin personnel, M. Ferrari. C'est lui qui fait la proposition - pour des raisons financières, car la dose d'EPO coûte cher ! C'est lui qui sait comment échapper à 95 % des contrôles, par l'usage de micro-doses, le choix des heures de prises... Et pour les 5 % restants, on s'arrange...

M. Jean-François Humbert, président. - C'est-à-dire ?

M. Jean-Pierre Paclet. - L'UCI enterrait l'affaire. La responsabilité est donc partagée.

M. Jean-François Humbert, président. - Et pour les sports collectifs ?

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Vous dites qu'on ne vous a jamais parlé de dopage dans votre formation médicale ?

M. Jean-Pierre Paclet. - C'était moins à la mode, sans doute. À présent, on en parle.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Le plus choquant, c'est l'implication des médecins...

M. Jean-Pierre Paclet. - Oui, c'est un scandale. Je ne les considère d'ailleurs pas comme des collègues. Cela dit, il y a peu de médecins français impliqués : à part le docteur Bellocq - qui ne se cachait pas pour exposer ses idées, fausses mais plus tolérables - et le médecin de l'équipe « Crédit agricole », ce sont des médecins d'autres nationalités - Italiens, Américains, Belges, Espagnols... - qui sont concernés.

M. Jean-François Humbert, président. - Vous parlez d'une formation d'une heure en tout, dans le cursus de médecine du sport, sur le dopage. Or ce problème concerne aussi les pratiquants occasionnels : sportifs du dimanche, membre d'équipes amateur... La formation des médecins sur ce sujet est donc laissée pour compte.

M. Jean-Pierre Paclet. - Beaucoup de matières sont insuffisamment enseignées : je dois faire mon cours sur la pathologie de l'épaule en trois heures, il m'en faudrait au moins dix fois plus ! La formation médicale en médecine du sport laisse à désirer.

M. Jean-François Humbert, président. - Sur le volet dopage...

M. Jean-Pierre Paclet. - Comme sur d'autres ! Il faut dire quels sont les risques, ce qu'il faut ne pas faire, comment exercer une surveillance...

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. -Vous avez été médecin de l'équipe de France de 2004 à 2008, et donc lors de la finale de 2006. Après votre départ vous avez publié un ouvrage, « L'implosion », dans lequel vous affirmez que « certains cadres de l'équipe de France qui évoluaient en Italie présentaient un taux d'hématocrite anormal » en 1998. Pouvez-vous préciser ?

M. Jean-Pierre Paclet. - C'est curieux comme on retient trois lignes d'un ouvrage de 150 pages ! Ce n'était pourtant pas une révélation : les actes du procès du docteur Agricola à Turin avaient été publiés dans la presse à l'époque. Deschamps et Zidane jouaient alors à la Juve. Ils présentaient une variation anormale du taux d'hématocrite, dont un spécialiste italien avait affirmé qu'il ne pouvait résulter que d'une prise de produits dopants. Cela se savait, avant que je publie mon livre en 2010. Mais en 2002, il n'était pas question de toucher aux icônes, la presse française avait donc rendu compte de cela avec discrétion.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - De quel produit un taux de 52 % révèle-t-il l'utilisation ?

M. Jean-Pierre Paclet. - L'EPO, qui à l'époque était la substance reine : elle n'était pas détectable. J'en ai entendu parler pour la première fois dans les années 1990 : un journaliste de mes amis m'a indiqué que les Italiens avaient trouvé quelque chose. Il le savait - tout le monde savait - car les sprinteurs caracolaient dans les côtes, les équipes roulaient à 50 km/h de moyenne... Cela se conservait dans des glacières, et c'était indétectable : pas vu, pas pris ! Cela montre bien les limites du contrôle pour les fédérations : c'est la police, ou la douane, qui doivent opérer, fouiller les voitures...

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - L'EPO peut-elle servir dans le football ?

M. Jean-Pierre Paclet. - Non, ou alors dans les phases de préparation physique en début de saison, ou peut-être pour faciliter la récupération... Il faudrait poser la question à des pharmacologues. Le docteur Agricola n'a jamais publié les résultats de ses tests dans une revue scientifique !

M. Jean-François Humbert, président. - Il a pourtant bien dû considérer qu'il y a des effets positifs...

M. Jean-Pierre Paclet. - Ces gens fonctionnent de manière très expérimentale : si le coureur respire mieux et roule plus vite, pourquoi pas ? Leur démarche est empirique.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Dans le dossier médical révélé lors du procès de la Juventus, on apprend qu'une de nos icônes avait 51,8 % d'hématocrite...

M. Jean-Pierre Paclet. - J'avais retenu le chiffre de 51,9 %.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Vous avez raison, 51,9 %.

M. Jean-Pierre Paclet. - A l'époque, le doute était possible mais on ne pouvait rien prouver. La norme de 50 % avait été fixée au jugé par les directeurs sportifs, qui constataient qu'au-delà le sang des coureurs atteignait un tel degré de viscosité qu'ils se réveillaient la nuit avec des crampes, et devaient remonter sur un vélo pour relancer la pompe !

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - L'UCI aurait ainsi légalisé, en quelque sorte, l'utilisation de l'EPO dans le peloton ?

M. Jean-Pierre Paclet. - Paradoxalement, oui. Tant qu'on restait en-dessous d'un taux de 50 %, c'était accepté. Puis on a découvert que l'injection d'un litre de sérum faisait baisser le taux d'hématocrite ; et actuellement, l'utilisation de micro-prises donne un résultat équivalent sans faire augmenter ce taux !

M. Jean-François Humbert, président. - Y a-t-il des substances qui peuvent servir de substitut à l'EPO, et qui ne seraient pas encore détectables ?

M. Jean-Pierre Paclet. - On parle depuis deux ou trois ans de l'hémoglobine recombinante. C'est une vraie course entre les fabricants de médicaments et les organismes de lutte contre le dopage. Un chercheur américain a découvert une molécule, le GR 1516, qui permet à un rat de courir 40 % plus longtemps qu'un rat entraîné. Mais il la destine à l'amélioration des conditions de vie des obèses et en a donné la formule à l'Agence mondiale antidopage (AMA). De nouvelles molécules sont régulièrement inventées. Toutefois, les contrôleurs sont toujours en retard sur les entourages des sportifs de haut niveau. Ce qu'il faudrait, c'est fouiller les voitures du Tour de France, faire des descentes à Clairefontaine, et analyser mêmes les produits ordinaires. Cela ferait peur.

M. Jean-François Humbert, président. - La peur du contrôle ferait reculer le dopage ?

M. Jean-Pierre Paclet. - Ce n'est pas le seul facteur.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Quand vous étiez médecin des Bleus, discutiez-vous de ces sujets avec les joueurs ?

M. Jean-Pierre Paclet. - Oui, parfois. En 1992, lorsque je travaillais avec les Espoirs, je les convoquais une ou deux fois par an pour leur parler du dopage, leur dire que c'était une tricherie et les alerter sur les dangers pour la santé que cela représentait -  et sur les risques juridiques. Certains étaient sensibles à mon discours, d'autres non : une équipe est aussi diverse qu'une promotion au service militaire...

M. Dominique Bailly. - Aviez-vous une relation forte avec l'équipe technique ?

M. Jean-Pierre Paclet. - En quinze ans de collaboration avec M. Domenech, nous avons toujours été d'accord : il ne m'a jamais adressé de demande sur ce point. Une fois, nous allions jouer un match de qualification à Metz, les organisateurs nous avaient indiqué qu'il n'y aurait pas de contrôle le lendemain. J'ai alors prétendu que j'allais faire des achats au Luxembourg, où les médicaments sont en vente libre. Le lendemain, nous avons gagné, et lorsque j'ai confirmé à M. Domenech que je n'avais rien fait de tel, il m'a dit qu'il s'en réjouissait car il n'aurait pas été fier sinon.

M. Dominique Bailly. - Et avec d'autres que M. Domenech ? L'entourage partage-t-il cet état d'esprit ?

M. Jean-Pierre Paclet. - Ce n'est pas le facteur capital. Nous fournissions de la vitamine C, et c'est tout.

M. Jean-François Humbert, président. - C'est tout ?

M. Jean-Pierre Paclet. - Oui. Sauf, naturellement, si j'ai été trompé - mais je regardais toujours ce qu'il y avait sur la table de nuit des joueurs - je puis affirmer que nous avons été en finale en 2006 uniquement avec du Vitascorbol et du Berocca.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Vous êtes moins sûr pour la période antérieure...

M. Jean-Pierre Paclet. - En effet. Pas forcément en ce qui concerne les pratiques du personnel de l'équipe de France mais plutôt à propos des pratiques des équipes où les joueurs jouaient.

M. Jean-François Humbert, président. - Quelles équipes ?

M. Jean-Pierre Paclet. - La Juventus, et d'autres équipes italiennes. C'est une question de culture : les joueurs anglais sont laissés libres de boire et manger ce qu'ils veulent avant un match, par exemple. L'Italie a été le noyau du dopage dans toutes les disciplines.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Mme Buffet a déclaré que lorsqu'elle était ministre des sports, en 1998, elle avait subi « des pressions de toutes sortes » à la suite d'un contrôle antidopage inopiné à Tignes. Avez-vous eu affaire à ce genre de pressions ?

M. Jean-Pierre Paclet. - Les contrôles inopinés sont à la base de l'action antidopage. Y renoncer reviendrait à arrêter les contrôles. Mais ils sont trop souvent mal expliqués, et donc mal vécus. Les prélèvements sont faits au plus mauvais moment : pendant la sieste, qui est une phase de récupération primordiale. Ceux qui ont été effectués à Tignes furent les premiers. Nous n'avons pas su adopter le bon discours : il faut expliquer que les contrôles ne sont pas l'indice d'un soupçon mais ont pour objectif de préserver le sport, et les sportifs, du dopage. La loi Buffet a été très mal expliquée : il ne faut pas être manichéen.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Que pensez-vous de l'existence de deux listes de produits interdits, l'une pour les périodes de compétition, l'autre pour le reste de l'année ? Est-ce scientifiquement justifié ?

M. Jean-Pierre Paclet. - Oui : en dehors des périodes de compétition, il faut pouvoir avoir recours à des médicaments usuels pour se soigner ! Il y a des justifications d'ordre thérapeutique : en cas de laryngite aigüe, ou pour se faire arracher une dent, mieux vaut utiliser des corticoïdes. Le problème vient plutôt des produits interdits : le cannabis, par exemple, qui est à l'origine de 80 % des condamnations pour dopage en France ! Si l'on veut que le sport serve à l'éducation des cités, il faut changer cela, et différencier les produits festifs des autres, ou dans certaines zones, nous n'aurons plus de joueurs !

M. Dominique Bailly. - Que pensez-vous de l'action des instances fédérales en termes de prévention et d'information ? Font-elles correctement leur travail ? La fédération a mis en place un conseil de l'éthique, qu'en pensez-vous ?

M. Jean-Pierre Paclet. - Les instances de formation ne se soucient guère de former des hommes : elles veulent avant tout de bons footballeurs. J'ai écrit mon livre car j'étais furieux lorsqu'Anelka a été critiqué pour avoir insulté M. Domenech. « C'est la France des racailles », écrivait le lendemain M. Finkielkraut. Or Anelka a été élevé dès l'âge de douze ans à Clairefontaine, où il était en pension, puis dès quinze ans au centre de formation du PSG, où il était interne. Ses parents sont instituteur et employée à la mairie des Ulis. Mais son éducation a été faite par le football français ! Les valeurs éthiques et civiques y sont trop négligées : un ancien directeur du centre de formation de Clairefontaine me parlait d'un élève de douze ans qui était un voyou, qu'il aurait fallu renvoyer, mais qu'il a conservé car il jouait bien au football.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - La situation a-t-elle évolué depuis ?

M. Jean-Pierre Paclet. - Une prise de conscience commence. Mais il faut aller contre l'éducation de ces joueurs : ce sont des enfants confrontés à des problèmes sociaux, dont les parents voient la carrière de footballeur comme la promesse de la poule aux oeufs d'or...

M. Jean-François Humbert, président. - Avez-vous des choses à ajouter ?

M. Jean-Pierre Paclet. - Oui. Il faudrait réfléchir à la portée des sanctions personnelles. Dans les sports collectifs, les sanctions devraient être collectives. Cela inciterait l'ensemble les dirigeants, les entraineurs, les accompagnateurs à s'engager davantage. J'ai expliqué à un responsable de la FIFA qu'avec les sanctions existantes il était possible d'amener en finale une équipe intégralement dopée. Cela l'a paniqué...Si l'on dit « un joueur positif, toute l'équipe sera sanctionnée », il y aura des ruptures de contrat - il n'y en a pas actuellement  - et la situation changera.

M. Jean-François Humbert, président. - Merci. N'hésitez pas à nous adresser des communications écrites si besoin.

Table ronde « dopage et libertés publiques »

M. Jean-François Humbert, président. - Madame, Messieurs, soyez les bienvenus. Cette table ronde sur la lutte contre le dopage et les libertés publiques vise à stimuler notre réflexion en confrontant les différents points de vue. Nous recueillerons celui des sportifs : M. Serge Simon s'exprimera pour les joueurs de rugby et M. Kastendeuch, pour l'ensemble des professionnels, leurs propos étant complétés par ceux de M. Eric Boyer, ancien champion cycliste. Sur un tel sujet, il nous fallait également inviter des juristes : des universitaires qui pensent le droit comme Mme  Prune Rocipon jusqu'à ceux qui l'appliquent au quotidien tel M. Olivier Niggli, conseiller juridique de l'AMA (agence mondiale antidopage), en passant par les avocats qui le font vivre, d'où la présence de M. Jean-Christophe Lapouble.

Nos débats devraient aborder quelques sujets clés : les obligations de géolocalisation des sportifs, le passeport sanguin ou la nature des sanctions. Je signale au public présent que le silence est nécessaire.

Bien que le format retenu soit celui d'une table ronde, vous vous exprimez devant une commission d'enquête qui fait l'objet d'un encadrement juridique strict, tout faux témoignage étant passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Jean-Christophe Lapouble, Serge Simon, Sylvain Kastendeuch, Olivier Niggli, Éric Boyer et Mme Prune Rocipon prêtent successivement serment.

M. Jean-Christophe Lapouble, avocat, docteur en droit spécialiste du sport. - En 1993, lorsque j'ai fait ma thèse sur la loi de 1989 relative au dopage, on me disait que le problème n'existait pas et que dans tous les cas, il devait se régler en interne. Malheureusement, on en est toujours là.

J'ai été inspecteur de la jeunesse et des sports jusqu'en 2000 et suis actuellement maître de conférences à Sciences-Po Bordeaux, ainsi qu'avocat au cabinet Veber à Lyon. Dans ce cadre, j'ai eu à connaître l'affaire Christophe Bassons, véritable cas de contrôle antidopage inversé. Pour le reste, j'écris un certain nombre d'articles et j'ai en tant qu'expert près le Conseil de l'Europe et son assemblée parlementaire, rédigé un rapport sur la France qui a conduit à la loi de 2006. J'ai aussi participé à plusieurs missions d'observateurs de l'Agence mondiale antidopage (AMA).

Avec le recul de quelques années, j'estime que les choses ont un peu bougé et je me félicite de la création de votre commission, qui est une première. J'espère que le projet de loi qui en sortira apportera de nouvelles améliorations car jusqu'à maintenant, on s'est plutôt contenté, au niveau français comme international, de poser des couches successives, sans vision d'ensemble.

M. Serge Simon, président de Provale (Union des joueurs de rugby professionnels). - Je vous remercie de m'accueillir devant cette commission dont je souhaitais depuis longtemps la mise en place. J'ai créé et dirigé le centre d'accompagnement et de prévention pour les sportifs (CAPS) au CHU de Bordeaux, qui héberge l'antenne médicale de prévention du dopage (AMPD). Je préside le syndicat des joueurs de rugby professionnels et suis secrétaire général de la fédération nationale des associations et des syndicats de sportifs (FNASS). Médecin et ancien sportif de haut niveau, j'estime bien entendu que la lutte contre le dopage est nécessaire, mais pas pour les raisons qui sont habituellement invoquées. Se concentrer sur les raisons sanitaires, c'est faire fausse route, car l'enjeu de santé publique est souvent dissocié du risque objectif. En France, le tabac cause 60 000 morts par an ; l'alcool tue plus de 50 000 personnes par an et voit sa consommation tolérée, voire valorisée alors que la consommation de cannabis, indirectement responsable de 230 décès, est réprimée dans la mesure où elle pose problème à la société. Je ne pose pas de jugement de valeur, j'observe simplement que l'identification d'un problème de santé publique tient à d'autres facteurs que le seul risque objectif, d'ordre structurel ou culturel. Autre exemple : le paludisme concerne 500 millions de personnes et tue un million de personnes par an, sans déclencher de mobilisation comparable à celle qui a suivi la pandémie de H1N1, qui a tué 18 500 personnes en 2009.

Pour le dopage, le risque objectif est très difficile, voire impossible à évaluer, les études de mortalité et de morbidité étant inexistantes. Quant au périmètre de la consommation de produits dopants, il n'est même pas défini. Les seuls chiffres disponibles sont ceux des contrôles de l'agence française de lutte contre le dopage (AFLD) : sur 10 000 prélèvements, seuls 200 ont donné des résultats anormaux dont 30 % du fait du cannabis. Pourtant, la réaction de la société au dopage est très vive car il affecte un idéal sportif fait de passion et d'exemplarité. Là réside le véritable moteur de la lutte antidopage, d'où une politique qui tient davantage de la course à la répression qu'à l'efficacité. Il faut apporter une vision réaliste, lucide, pragmatique à la lutte contre le dopage, pour sortir du diktat de l'émotion, du cercle vicieux fondé sur l'idée que le sport est profondément touché, que les sportifs sont tous dopés, mettre à distance l'injonction d'agir, pour prendre le temps de la réflexion, d'études factuelles. La course à la répression vise à démontrer la détermination. L'argument de santé publique n'est qu'un habillage. La lutte contre le dopage doit être plus raisonnée, se libérer de la pression médiatique, du marketing de l'idéal sportif, pour s'occuper des réalités des sportifs.

M. Sylvain Kastendeuch, président de la fédération nationale des associations et des syndicats de sportifs (FNASS). - Je suis très heureux que les sportifs puissent se faire entendre. Je préside la FNASS qui représente environ 4 000 sportifs professionnels et j'assure la coprésidence du l'Union nationale des footballeurs professionnels (UNFP), ayant moi-même été footballeur professionnel pendant 19 ans. J'ai aussi été adjoint au maire de Metz chargé des sports et de la jeunesse. La FNASS regroupe actuellement cinq disciplines : le rugby, le handball, le basket, le cyclisme et le football.

Nous sommes évidemment favorables à une lutte intensive contre le fléau du dopage. Elle doit être renforcée de façon plus intelligente par moins de localisation individuelle dans les sports collectifs et par plus de contrôles sur les lieux d'entraînement et de compétition. Avec 10 130 contrôles en 2009, 10 500 en 2010 et 9 500 en 2011, la lutte bat son plein et les sports collectifs en ont largement pris leur part. Mais combien de cas de dopages avérés ont-ils été mis en évidence par tous ces contrôles ?

Nous souhaitions revenir sur certains propos tenus lors de vos auditions précédentes. Tout d'abord, pour rappeler qu'une infraction à la législation antidopage ou des résultats d'analyses anormaux ne sont pas synonymes de cas de dopage avérés. Ensuite, lorsque le sénateur Alain Néri laisse entendre que les athlètes des sports collectifs ne souhaitent pas être soumis à des contrôles inopinés, c'est en fait tout le contraire. Nous sommes complètement en faveur de ces contrôles, tout en souhaitant qu'ils soient réalisés sur le lieu de travail - nous passons huit à dix heures par jour dans nos clubs - et non au domicile. Il n'est pas tolérable non plus pour des sportifs d'entendre le directeur des contrôles de l'AFLD, M. Jean-Pierre Verdy, affirmer qu'il aimerait procéder à davantage de contrôles sur les animaux car « eux, au moins, ne peuvent pas dire non ». Pour M. Verdy, un sportif devrait donc tout accepter, y compris de ne pas pouvoir s'opposer à une réglementation ; il n'aurait d'autre choix que de donner son consentement.

Nous ne pouvons pas non plus accepter les contrôles pour ciblage décrits par M. Genevois ; leur légalité n'est pas établie dans la mesure où le décret qui doit les mettre en oeuvre n'a toujours pas été adopté et où le groupe de travail peine à communiquer sur ses travaux.

Nous contestons aussi la proposition du président de la fédération de l'athlétisme qui, comme solution à la triche dans le sport, n'envisage rien de moins que la levée du secret médical ! Les sportifs ne sont pas des citoyens de seconde zone et ils ne veulent pas le devenir du fait de mesures qui n'accorderaient aucun respect à leur vie privée. Enfin, à l'inverse du président de l'International Rugby Board (IRB) qui invoque la spécificité du sport au sein du Traité de Lisbonne, nous estimons que le calendrier des compétitions, ainsi que l'ensemble des questions sportives doivent être réglés par les partenaires sociaux au sein de chaque discipline. Cela commence à se faire mais c'est encore insuffisant.

Nous sommes contre le système actuel de localisation des sportifs dans les disciplines collectives. En 2011, en effet, l'AFLD a développé un nouveau mode de contrôle : 2 568 prélèvements pour le profilage ont été réalisés sur un total de 1 648 sportifs. 75 profils anormaux ont pu être mis en évidence et aucune sanction n'ayant été prise, on s'est contenté d'informer du médecin de la fédération.

Quant au passeport biologique, qui sera mis en place en 1er juillet 2013, les données qu'il contient feront l'objet d'un traitement statistique sur lequel la CNIL (Commission nationale informatique et libertés) n'a pas encore rendu d'avis. Le principe de localisation, tel que pratiqué par l'AFLD, n'a rien apporté à la lutte contre le dopage. Le système des groupes cibles est anormalement intrusif, puisqu'il commande aux sportifs concernés, qui n'ont pas donné leur accord, de communiquer à l'AFLD des informations sur leurs lieux de résidence, d'entraînement, et de compétition, de façon à pouvoir être localisables et éventuellement soumis sur-le-champ aux divers contrôles ordonnés discrétionnairement par l'agence. Le principe d'égalité entre tous les sportifs n'existe plus et les athlètes désignés sont placés sous l'emprise d'un régime d'exception dans lequel le sportif est un suspect potentiel. Enfin, le sportif localisable se trouvera soumis à une surveillance permanente qui le prive d'une vie familiale normale.

Ces moyens de lutte sont-ils donc toujours pertinents ? Nous pensons que non. Les sportifs professionnels n'ont-ils pas droit à être traités avec éthique et équité ? Aucune autre catégorie professionnelle n'est soumise à des obligations aussi intrusives, que l'on songe même aux militaires, aux médecins, aux pilotes d'avions, aux capitaines d'industrie, aux opérateurs de marché, sans même parler des représentants du peuple français, appelés à décider du sort de leurs concitoyens.

Plusieurs actions contentieuses sont en cours : l'une devant la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), visant à contester le principe de localisation permanente posé par l'ordonnance du 14 avril 2010 ; l'autre devant la Cour de Cassation, accompagnée de deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) portant sur les multiples violations des droits de la personne causées par le principe de localisation permanente.

M. Olivier Niggli, avocat, conseil juridique de l'Agence mondiale antidopage. - Avocat et conseil juridique de l'AMA, j'ai participé à la rédaction du code mondial antidopage et travaillé sur sa révision de 2009 et sur celle qui est en cours.

La première version du texte avait adopté le principe de la localisation sans l'harmoniser entre les différentes fédérations, laissant à chacune d'entre elles le soin de gérer ce principe comme elle l'entend. Certains sports, comme le cyclisme, s'y sont habitués, avec des contraintes bien plus fortes que celles qui existent aujourd'hui, 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24, sans que cela pose de problème majeur, une décision de la justice espagnole ayant même reconnu la nécessité et la proportionnalité du dispositif.

La nécessité d'une harmonisation entre les différents sports s'est fait sentir lors de la révision engagée en 2007. L'AMA est intervenue, a procédé à de larges consultations et adopté un standard minimum acceptable par tous, à savoir l'obligation pour les sportifs concernés - essentiellement des sportifs d'élite - de définir une heure par jour, entre 6 heures et 23 heures, au cours de laquelle ils peuvent être contrôlés. Liberté était laissée à chaque fédération pour aller plus loin. Certaines agences nationales ont été plus zélées que d'autres, mais doivent être visés les sujets présentant un risque. Une polémique a pu naître lorsque certains sports ont été confrontés à des questions inédites pour eux. Ce fut notamment le cas des sports collectifs. Au final, le système est toutefois largement accepté. Le Conseil d'État en a reconnu l'utilité ; quant au recours devant la CEDH, nous en verrons bien l'issue... Si l'on veut que les contrôles soient efficaces, il faut qu'ils aient aussi lieu hors compétitions, les tests en compétition étant très prévisibles.

Le système du passeport des athlètes, se fonde sur un profil sanguin ou à l'avenir, urinaire, suivi dans le temps, et nécessite de connaitre non seulement la localisation du sportif, mais aussi le calendrier de ses compétitions et des périodes de repos. Les experts doivent accéder à l'emploi du temps, aux activités de l'athlète, pour les mettre en rapport avec les éléments du profil sanguin. Ce système est aujourd'hui souhaité par beaucoup d'athlètes, qui veulent pratiquer leur sport dans un environnement assaini et relativement bien accepté.

M. Éric Boyer, ancien coureur cycliste, manager général de l'équipe COFIDIS de 2005 à 2012. - Coureur cycliste entre 1985 et 1995, j'ai ensuite été consultant et organisateur de compétitions avant de diriger l'équipe Cofidis de 2005 à 2015. Cette dernière ayant connu des problèmes de dopage en 2004, ma mission première a été de redonner à chaque coureur la possibilité d'évoluer dans le peloton sans recourir à ces pratiques, quand bien même ce n'était pas le cas des équipes rivales. J'ai ainsi constaté l'échec total de l'Union cycliste internationale (UCI) patente dans l'affaire Armstrong, et sa complicité avec certains dirigeants d'équipes dans un sens qui n'était pas celui de la lutte antidopage. De même, j'ai observé que pour les médecins de certaines équipes, la protection de la santé des coureurs comptait moins que la recherche de la performance, à laquelle ils étaient financièrement intéressés. Tout cela est insupportable. La responsabilité des médecins des équipes est très engagée dans la lutte contre le dopage.

Les cyclistes ont été les premiers à pratiquer la géolocalisation. Ils ont accepté de se soumettre à ce dispositif très contraignant et complexe pour démontrer à quel point ils étaient prêts à participer à la lutte antidopage. Au-delà du passeport sanguin, qui est très intéressant mais n'a peut-être pas porté tous ses fruits, je pense qu'il faut instaurer un passeport physiologique permettant de contrôler, tout au long de sa carrière, la situation du sportif par rapport à ses propres limites. En effet, si un coureur passe de la 50e à la 5e place du Tour de France, c'est qu'il y a quelque chose d'anormal.

Mme  Prune Rocipon, juriste, responsable de la formation Mesgo (Master in european sport governance), au Centre de droit et d'économie du sport. - Juriste au Centre de droit et d'économie du sport (CDES) de Limoges, je suis conseil juridique d'institutions sportives. J'ai abordé la question du dopage lorsque, travaillant au ministère de la jeunesse et des sports auprès de Sophie Chaillet, j'ai rédigé les décrets d'application de la loi de 2006 en particulier en matière disciplinaire. Je rédige des articles dans la revue du CDES et j'assure la présidence d'instances disciplinaires de la fédération française de gymnastique et de la fédération internationale de ski de montagne ainsi que des fonctions d'inspecteur disciplinaire auprès de l'Union of European football associations (UEFA). Le dopage est un fléau contre lequel il convient de lutter. C'est un phénomène structurel - plus qu'individuel - qui ne peut être abordé dans un cadre franco-français, mais dans celui de la réglementation européenne (Conseil de l'Europe) et internationale (AMA). Comme Serge Simon, je pense que l'enjeu de la lutte antidopage ne se limite pas à la santé publique ; il renvoie aux valeurs du sport, à son intégrité et à son exemplarité. Jusqu'à quel point peut-on porter atteinte aux libertés publiques au nom de cette lutte ? Quelle est l'efficacité réelle de cette dernière ? Force est de constater qu'elle n'est pas avérée. Que faire pour l'avenir ? Telles sont les principales questions soulevées par cette table ronde.

M. Jean-François Humbert, président. - Merci.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - La lutte contre le dopage pose la question de la gouvernance des acteurs du monde sportif. En matière de dopage comme sur les autres sujets, le dialogue social au sein du sport français est-il suffisant ? Ne peut-on aller plus loin ? Sommes-nous en avance ou en retard par rapport à d'autres pays ?

M. Sylvain Kastendeuch. - Toutes les obligations de la lutte antidopage reposant sur les sportifs, les employeurs ne s'en occupent pas, ce qui est à mon avis un mauvais calcul de leur part. Le dialogue social n'existe pas. Du reste, la voix des joueurs n'est pas prise en compte dans les conseils d'administration de la ligue de football professionnel (LFP) et de la fédération. Les employeurs ne s'intéressent au sujet que lorsque l'un de leurs joueurs est contrôlé positif et que se déclenche l'agitation médiatique. S'ils nous encouragent officieusement à faire entendre notre voix, ils n'engagent eux-mêmes aucune démarche officielle.

M. Serge Simon. - Dans le système sportif français et international, le dialogue social est nul. Son organisation date d'un siècle. Un seul joueur siège au comité directeur de la fédération française de rugby ; et encore, coopté par les autres membres, il n'est en aucun cas le représentant des pratiquants. De même, sur les 13 membres du comité directeur on ne compte qu'un joueur. Nous ne pesons rien.

Nous sommes en retard sur les autres pays. Sans aller jusqu'aux États-Unis, où les employeurs et les sportifs professionnels négocient jusqu'au calendrier et au format des épreuves, il nous faut sortir du système dictatorial actuel, d'autant plus paradoxal que le sport est censé incarner la démocratie et les valeurs républicaines.

Il est d'autant plus difficile pour les pratiquants de s'exprimer que ce sont des présumés coupables ; leur parole est suspecte. M. Olivier Niggli se félicitait des chiffres de la géolocalisation. Mais sur les 13 738 contrôles en compétition, seules 222 infractions ont été constatées. Quant aux 17 166 contrôles effectués hors compétition, ils n'ont permis de caractériser que 28 infractions. On ne peut pas dire que la géolocalisation fasse preuve d'une efficacité torride...

M. Eric Boyer nous dit que les cyclistes avaient accepté de « se soumettre » à la géolocalisation. C'est révélateur. Il ne s'agit donc pas d'une question d'efficacité mais de l'acceptation d'une soumission par des sportifs, dont la parole est suspecte par nature.

M. Jean-Christophe Lapouble. - En quoi les écrits de Coubertin portent-ils la marque d'un esprit démocratique ? Comme le sociologue marxiste Jean-Marie Brohm l'indique à juste titre, le sport est d'abord un univers de lois et de règles. Le problème en France est que nous avons confié aux fédérations des prérogatives de puissance publique sans toujours nous donner les moyens du contrôle.

Autre question : peut-on durablement traiter de la même façon les sportifs professionnels et amateurs ? Je pense que non. Même s'il y a des limites, le système américain qui distingue bien ces deux catégories - les amateurs relevant de la National Collegiate Athletic Association, les professionnels assurant le show - pourrait nous faire réfléchir. Peut-on leur par exemple leur imposer les mêmes règles en matière de géolocalisation ? J'ai signé un article intitulé « La géolocalisation, quand Big Brother s'invite chez les sportifs ». On ne peut pas l'envisager de la même manière dans l'une et l'autre catégorie.

Après avoir subi un certain ostracisme, après m'être heurté à l'absence de reconnaissance du dopage, je suis ravi que le problème soit aujourd'hui envisagé globalement. Mais j'ai un doute sur l'appréhension éthique du dopage. Le mouvement sportif est ambivalent et tend à considérer le dopage comme une affaire interne. L'éthique est un problème personnel. Si l'on considère le dopage uniquement comme une affaire éthique, on en laisse la responsabilité aux institutions sportives. Il est vrai qu'il ne s'agit pas d'un problème majeur de santé publique.

La disposition instaurée en 1999, sans que personne ne s'en émeuve, qui oblige un médecin à dénoncer un sportif qu'il suspecte de dopage est choquante. Vichy avait instauré une telle obligation pour les maladies sexuellement transmissibles. Toute une série de mesures sont ainsi inadaptées.

Une vision globale est nécessaire. Mais le sport amateur n'est pas le sport professionnel. Les sportifs amateurs sont représentés dans les fédérations, c'est bien, mais les résultats des élections sont aisément prédictibles. La démocratie a des progrès à faire.

M. Jean-François Humbert, président. - Rien n'est jamais joué en démocratie.

M. Olivier Niggli. - A l'AMA, avons mené des discussions avec les syndicats de joueurs, notamment UNI Global. Le dialogue existe.

Beaucoup de sports ne sont pas représentés par des syndicats. Au sein du Comité olympique, les athlètes élisent leurs représentants au Comité des athlètes. Il ne s'agit donc pas simplement d'un dialogue social entre les athlètes et le monde sportif. Beaucoup d'athlètes ne se sentent pas représentés et s'expriment grâce à ces instances.

Tout le monde convient que les chiffres disponibles ne sont pas satisfaisants. De plus, il faut les manier avec précaution : attention à ne pas comparer des pommes avec des poires ! La liste des substances interdites est deux fois plus longue en compétition qu'hors compétition et les probabilités de résultats positifs sont donc très différentes. Nous devons à l'évidence disposer de meilleures données pour élaborer des statistiques plus fiables.

M. Eric Boyer. - Les athlètes, qui pratiquent un sport professionnel et sont soumis à l'exigence de résultats, sont livrés à eux-mêmes. Ils n'ont personne vers qui se tourner en cas de problèmes. Ainsi, à l'UCI, le représentant des coureurs est nommé par le président de l'institution, qui détermine aussi son budget !

M. Jean-François Humbert, président. - C'est le gage d'une grande indépendance en effet !

Mme Prune Rocipon. - Aux États-Unis la réglementation est fondée sur le dialogue social et les collective agreements. Dans certains pays européens le dialogue social est balbutiant, la France est dans une situation médiane à cet égard.

Je partage l'avis de M. Lapouble : à l'heure actuelle, le mouvement sportif n'est pas capable de résoudre seul le problème du dopage. Il faudrait interroger des représentants des employeurs ou des ligues.

M. Jean-François Humbert, président. - Estimez-vous que la lutte contre le dopage affecte excessivement les droits des sportifs ou que ces atteintes restent proportionnées au but recherché ?

M. Jean-Christophe Lapouble. - Aux États-Unis, la lutte contre le dopage a pris le plus de retard dans les disciplines qui se sont dotées précocement d'une organisation professionnelle. Voyez le base-ball : il faut faire le show. Donc l'auto-organisation n'est pas nécessairement le gage de l'efficacité.

M. Jean-François Humbert, président. - Des membres de notre commission se sont récemment rendus outre-Atlantique. Il y aurait beaucoup à dire.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - La proportion de contrôles positifs dans les disciplines non olympiques aux Etats-Unis est de 1 % à 2 %, la même que dans les disciplines olympiques en France.

M. Jean-Christophe Lapouble. - On ne peut exiger les mêmes contraintes des sportifs amateurs et des sportifs professionnels, dotés de moyens.

L'égalité des sportifs n'a jamais existé. C'est une fiction juridique, un pur concept. Les sportifs sont-ils des sous-citoyens ? Non. Mais comme tout système le sport a ses règles qu'il faut respecter, de même que doit l'être le règlement intérieur d'une entreprise par ses salariés. On prête au sport une vertu d'exemplarité et aux sportifs des qualités morales qu'ils n'ont peut-être pas. Les médias s'étonnent de leurs défauts mais ils sont des êtres humains comme les autres.

Il n'est pas anormal que les règles du système soient respectées. Je ne vois pas d'inconvénients à la géolocalisation, même si les modalités peuvent être adoptées. Selon Willy Voet, Christophe Bassons, pourtant meilleur au début de la saison, avait vu ses résultats baisser quand les autres ont commencé à prendre des produits dopants. Ainsi le passeport biologique et/ou physiologique serait un bon remède et permettrait d'alléger les contraintes de la géolocalisation.

M. Serge Simon. - Pour apprécier la proportionnalité des moyens, il nous faudrait un constat de départ, des chiffres permettant de dresser l'état des lieux, de fixer des objectifs et d'apprécier les résultats obtenus, d'évaluer les politiques mises en oeuvre. Or c'est impossible, les statistiques ne sont pas fiables, comme vient de le dire M. Niggli. Si demain, il faut implanter des puces électroniques aux sportifs, pourquoi pas, si un danger imminent est avéré ? Mais faute de données, de constat, de statistiques, le débat reste abstrait et entretient la suspicion : les sportifs sont suspectés de tricher dès lors qu'ils refusent de se soumettre à une nouvelle exigence. C'est l'Inquisition.

L'intérêt de cette commission d'enquête est d'aboutir à des données factuelles et de dépassionner le débat. Il s'agit de politiques publiques. Elles doivent être évaluées. Le paludisme n'intéresse pas les laboratoires pharmaceutiques car il concerne surtout le Sud : cet exemple montre que les acteurs d'un système en définissent les termes. Ici des organismes récoltent des fonds importants et doivent justifier de leur action. Soyons factuels !

M. Sylvain Kastendeuch. - Dans les sports collectifs, la géolocalisation cible un ou deux joueurs d'une équipe, faute de moyens selon l'AFLD. C'est injuste. De plus, ces joueurs ciblés ont conscience que le risque de contrôle est accru, ils ne se laisseront pas piéger. Fondamentalement, le remède est mal conçu. C'est pourquoi nous préférons les contrôles inopinés sur la base de tirages au sort. Cessons d'appliquer le modèle des sports individuels, où les athlètes déterminent eux-mêmes leur calendrier et leurs entraînements aux sports collectifs, où l'employeur décide de tout.

M. Olivier Niggli. - La proportionnalité est une préoccupation permanente. Il est difficile de tenir la balance entre le contrôle de tricheurs aux procédés sophistiqués, comme l'affaire Armstrong le révèle, et le droit des athlètes. L'AMA a mené de nombreuses consultations pour rédiger le Code. Elle demande l'opinion d'experts indépendants sur les questions délicates. L'ancien président de la Cour européenne des droits de l'homme rendra un avis sur la révision en cours.

Il est toujours possible de s'appuyer sur l'absence de chiffres pour refuser d'agir. Mais les agences antidopage bénéficient de remontées d'informations importantes...

M. Serge Simon. - Lesquelles ?

M. Olivier Niggli. -L'affaire Armstrong est révélatrice ! Lisez les témoignages !

M. Serge Simon. - Cessez de généraliser ! Soyons concrets et répondons aux problèmes identifiés.

M. Olivier Niggli. - Ne nous focalisons pas uniquement sur les chiffres. Les statistiques futures seront meilleures puisque l'AMA, qui ne dispose pas de statistiques fiables des agences nationales, a demandé aux laboratoires de lui adresser directement des données. D'ici là, ne restons pas inactifs, au prétexte que nous n'aurions pas de statistiques.

M. Eric Boyer. - Depuis l'affaire Festina, les procédés de la lutte antidopage sont à la limite de la légalité et du respect des droits des sportifs. Mais l'état des coureurs le justifiait.

Multiplier les contrôles ne sert à rien. Ils sont inefficaces. Armstrong en a subi de nombreux sans jamais être pris. Plus importants sont la qualité des contrôles et le choix du moment. La géolocalisation paraît efficace à cet égard. Il faut aussi donner les moyens aux scientifiques de détecter les nouvelles molécules mises au point par la médecine. Le sportif qui veut tricher est très vite informé, en effet, des nouvelles découvertes été capable de les utiliser tout aussitôt.

Mme Prune Rocipon. - Le dispositif de lutte contre le dopage porte indéniablement atteinte aux libertés individuelles des sportifs ; mais, d'un point de vue juridique, il paraît proportionné au regard des objectifs, même si des progrès pourront être réalisés en concertation avec les sportifs.

M. Serge Simon. - Je suis ravi que M. Niggli reconnaisse que nous manquons d'un état des lieux chiffré. Comment apprécier dès lors la proportionnalité ? C'est la quadrature du cercle.

Monsieur Lapouble, chaque système a ses règles certes. Mais celles-ci doivent être conformes à la loi. Un salarié peut contester le règlement intérieur d'une entreprise qui y contreviendrait.

La lutte contre le dopage est-elle efficace ? Deux critères permettent d'apprécier l'efficacité d'un test : la sensibilité, soit la capacité de détecter une molécule, et la spécificité, la capacité à cibler la molécule recherchée. Or les contrôles urinaires ne sont ni sensibles, l'affaire Armstrong le démontre, ni spécifiques, car ils multiplient les faux positifs : un contrôle positif ne signifie pas que le sportif est dopé, mais révèle simplement une consommation de cannabis, d'un produit soumis à autorisation temporaire d'utilisation (AUT), ou d'une substance sans effet sur les performances.

M. Jean-François Humbert, président. - Concrètement, que faut-il faire ?

M. Serge Simon. - Je n'ai pas l'ambition de réformer la lutte antidopage. Mon seul objectif est de gagner en lucidité, de mettre un terme à une escalade sans fondement qui s'auto-entretient : l'inefficacité des procédés à supprimer le fléau crée une surenchère. L'impérieux besoin d'agir ne répond pas à un souci d'efficacité mais sert à démontrer la détermination. Prenons un peu de recul ! Cessons de franchir les lignes et de faire des sportifs des sous-citoyens. Sur la réforme de la lutte antidopage, laissez-moi un peu de temps...

M. Jean-François Humbert, président. - Le temps presse, à vous entendre, mais vous ne proposez guère de solution....

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - L'Union nationale des coureurs professionnels se disait favorable à la localisation dès 2002 et aux contrôles inopinés dès 2006. Dans les arbitrages à venir, l'accent doit être mis sur les contrôles inopinés.

Les garanties de confidentialité des données collectées par le système ADAMS (système d'administration et de gestion antidopage) sont-elles suffisantes ?

M. Jean-Christophe Lapouble. - J'ai signé un article sur le sujet. J'ai émis les mêmes doutes sur le système ADAMS que pour tout système de transfert de données. Les données collectées par l'AFLD sur les sportifs français sont transmises à l'AMA à Montréal, sous l'autorité de la Commission d'accès à l'information du Québec, puis transmises à des pays tiers si le sportif voyage : le degré de protection y est alors variable, tributaire de failles informatiques, ou d'indiscrétions. Il faut être vigilant, surtout quand les données sont transférées dans des pays où il n'y a aucune sécurité technique ou juridique.

Quant à la reconnaissance du dopage, elle relève de la sociologie non de la science expérimentale. Il y a 25 ans déjà on niait l'existence du dopage, en pointant l'absence de constat. L'affaire Armstrong révèle aussi un système mafieux destiné à éviter les contrôles, et à masquer ou subtiliser les résultats des contrôles positifs.

M. Olivier Niggli. - Monsieur Simon, les faux positifs sont très rares, ce sont des accidents, ils ne sont pas générés par le système. Un résultat d'analyse de laboratoire ne devient un contrôle positif qu'en l'absence d'explications valables (autorisation d'usage à des fins thérapeutiques, par exemple).

Les informations recueillies par le logiciel ADAMS sont stockées sur un serveur à Montréal. Nous attendons que l'Union européenne reconnaisse que la législation québécoise, très proche de la législation française, offre un degré de protection suffisant.

Surtout les données ne sont accessibles qu'aux acteurs autorisés : athlètes, fédérations internationales et agences nationales compétentes. Une agence nationale peut autoriser, de manière volontaire, une organisation étrangère, dans le pays où se rend le sportif, à prendre en charge des contrôles et à y avoir si elle estime que les garanties sont suffisantes. Ce ne peut être qu'un acte volontaire, qui peut être conclu par contrat. Il n'y a pas de partage immédiat et généralisé d'informations. Le système est cloisonné. Le système ADAMS offre le plus de protections aux sportifs. Sinon les informations circulent selon des voies non sécurisées : méls, fax, etc. Tout système informatique présente des risques, mais l'AMA investit et met tout en oeuvre pour augmenter sa sécurité.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - La pénalisation de l'usage des produits est-elle nécessaire, notamment pour faciliter les enquêtes ? Certains parlent à ce propos de « double peine ». Que pensez-vous des sanctions collectives dans les sports collectifs ?

M. Serge Simon. - La punition collective, c'est le retour du droit colonial !

Mme Prune Rocipon. - Autant la pénalisation de certaines infractions commises par les entourages des sportifs est indispensable, car le dopage est un système global, autant pour les athlètes eux-mêmes, la sanction sportive paraît suffisante.

Il faut réfléchir à la possibilité de sanctionner les clubs. Les sanctions actuellement pèsent sur les seuls athlètes. D'autres pistes peuvent être envisagées. L'UEFA a déjà prévu des sanctions progressives à l'égard des clubs.

M. Eric Boyer. - La sanction sportive paraît suffisante. Il faut être prudent : des accidents existent, des coureurs peuvent recourir à certains produits avec d'autres fins que d'améliorer leurs performances. Le cycliste est le dernier maillon d'une chaîne. Le dopage réclame la complicité de médecins, des dirigeants. Les médecins en Italie sont à peine poursuivis. Les lois en Espagne n'étaient pas adaptées à la faute du docteur Fuentes dans l'affaire Puerto. Des sanctions pénales sont nécessaires dans ces cas.

M. Jean-François Humbert, président. - Le trafic est déjà passible de sanctions pénales.

M. Olivier Niggli. - Il est indispensable que l'entourage du sportif puisse être poursuivi pénalement. Est-il nécessaire de pénaliser le dopage pour déclencher des enquêtes ? La réponse dépend des systèmes juridiques. Elle sera diverse. L'Italie, où le dopage est un délit, n'a jamais mis un athlète en prison mais a pu diligenter des enquêtes grâce à ce cadre juridique, qui a permis à la police et aux douanes de travailler.

M. Sylvain Kastendeuch. - Ne sous-estimons pas le poids de la sanction sportive. Deux années de suspension représentent une sanction très dissuasive pour un sportif professionnel. Surtout pas de sanctions collectives, sauf à considérer que la lutte antidopage concerne tous les joueurs de la même équipe de la même façon, ce qui est loin d'être le cas.

M. Serge Simon. - Je suis opposé à la pénalisation de l'usage des produits dopants tant que la lutte antidopage ne s'appuiera pas sur des données et des méthodes solides.

M. Jean-Christophe Lapouble. - La détention de produits est déjà pénalisée en droit français. Cette disposition permet d'ouvrir des enquêtes. Les peines collectives paraissent aberrantes. L'affaire Armstrong a été révélée, non par un procureur, qui a fait chou blanc, mais par une commission administrative qui a mené l'enquête. Si l'on s'en donne les moyens, on peut utiliser d'autres voies que la pénalisation pour traquer le dopage.

Mme Delmas-Marty, professeur au collège de France, écrivait que la sanction administrative ou disciplinaire est souvent plus sévère que la sanction pénale.

M. Jean-François Humbert, président. - Il est temps de présenter vos conclusions, en évoquant le passeport biologique.

Mme Prune Rocipon. - Un mot sur la définition du dopage. D'un point de vue juridique, le dopage est caractérisé par une infraction à la législation antidopage. Il convient de réfléchir à la définition de ces infractions, comme l'AMA le fait à l'occasion de la révision du Code.

Les atteintes aux libertés individuelles paraissent proportionnées et justifiées.

N'oublions pas non plus le contexte international, sans nous focaliser sur certaines disciplines médiatiques. Sans doute faudra-t-il refonder la lutte contre le dopage, sur la base d'études nouvelles, sans se dispenser d'agir pour autant. Il serait en effet souhaitable de disposer de chiffres sur les conséquences du dopage sur la santé des athlètes à long terme.

Enfin, le passeport biologique n'est pas encore entré en vigueur en France, même si son introduction dans la loi a été décidée. A priori, vu l'inefficacité des contrôles, il apparaît comme une mesure pertinente, au même titre que la géolocalisation.

M. Eric Boyer. - Lorsqu'à vingt ans j'ai souhaité devenir coureur cycliste, je n'imaginais pas à quel point le dopage était répandu dans ce sport. Tous mes camarades l'ont rencontré un jour ou l'autre. Le dopage résulte d'une rencontre, non d'un plan prémédité. Il est aussi l'héritage de nos pères. Il m'est arrivé de rêver de démarrer ma carrière sans cet héritage. J'ai rencontré le dopage alors que je venais de fonder une famille et que mes résultats n'étaient pas à la hauteur. J'étais seul, sans personne à qui me confier. Les gamins qui se lancent aujourd'hui doivent pouvoir trouver une oreille attentive et des solutions face au dopage.

La géolocalisation est contraignante mais efficace : elle dissuade les coureurs de partir loin pour mettre en place un protocole de dopage.

Le passeport biologique ? Pourquoi pas ? Mais le passeport physiologique semble préférable, et permettra d'accompagner un athlète en difficulté à franchir des caps et non à prendre des décisions regrettables.

M. Olivier Niggli. - Difficile de mieux décrire la raison d'être de la lutte antidopage ! Ce témoignage rejoint celui de nombreux athlètes qui souhaitent un sport propre ; il est la meilleure réponse à ceux qui évoquent l'absence de statistiques.

La lutte antidopage est en mutation. Outre les contrôles, elle peut s'appuyer sur les collaborations avec l'industrie pharmaceutique, les investigations, etc. Tous les moyens au niveau national comme international doivent être mobilisés.

La géolocalisation est indispensable. Les nouvelles technologies, grâce notamment aux applications mobiles, facilitent le quotidien des sportifs.

Le passeport permettra de mieux cibler les contrôles, d'améliorer leur efficacité et de suivre les athlètes venant de pays où les contrôles sont défaillants.

Il ne faut pas baisser la garde. L'affaire Armstrong a montré la sophistication des tricheurs. Les athlètes nous demandent de protéger le sport.

M. Sylvain Kastendeuch. - J'ai commencé à jouer au foot à partir de 5-6 ans, j'ai été footballeur professionnel jusqu'à 38 ans. Le témoignage d'Eric Boyer m'a fait frissonner. J'ai eu beaucoup de chance, je n'ai jamais rencontré le dopage.

Je plains les footballeurs désignés au sein des équipes pour être géolocalisés. Ils sont contraints de penser quotidiennement au dopage. Je ne dis pas qu'il n'y a pas de dopage dans le football.

Nous avons cinq propositions. Tout d'abord supprimons l'exigence de localisation individuelle dans les disciplines collectives. Il est significatif que seul le nom d'Armstrong ait été autant évoqué ce matin. Remplaçons-la par une localisation collective pendant la saison sportive sous la responsabilité de l'employeur, seul décideur en la matière, et maître de l'agenda sportif, à la différence des sports individuels.

Suivons également la préconisation de l'AMA - c'est l'un de mes rares points d'accord avec M. Niggli - soutenue par la FIFA, mais non appliquée en France, selon laquelle seuls doivent être choisis dans le groupe cible les sportifs désignés par le collège scientifique de l'AFLD après une évaluation des risques pertinents.

Renforçons les contrôles inopinés sur le lieu de travail et sur tout l'effectif, de manière aléatoire, autant de fois que nécessaire.

Les syndicats de sportifs doivent être soutenus dans la mise en place de programmes de sensibilisation ou de formation à destination notamment des centres de formation. Les syndicats de footballeurs à cet égard sont très représentatifs : 96 % des footballeurs professionnels adhèrent à l'Union nationale des footballeurs professionnels.

Enfin les fédérations doivent remplir les objectifs qui leur sont attribués par les conventions signées avec les ministères, notamment en matière de prévention et de lutte contre le dopage.

M. Serge Simon. - La lutte antidopage, comme toute politique publique, doit rendre des comptes de ses moyens, de ses méthodes, de ses objectifs.

Elle doit accepter les critiques. Ainsi de la géolocalisation. Nous ne souhaitons pas nous soustraire au contrôle. La simple lecture de la presse permet de savoir où les mille rugbymen professionnels se situent en permanence. Donc oui à la localisation, mais avec des procédés simples. Oui aussi aux contrôles inopinés. La géolocalisation est coûteuse et impossible à évaluer. Le rapport de l'AFLD ne mentionne aucun contrôle positif en résultant. Deux rugbymen seulement ont été suspendus pour « no show », Yohan Huget et Djibril Camara. Un an de suspension parce qu'on ne sait pas manipuler un logiciel : on marche sur la tête ! La lutte antidopage doit respecter les libertés individuelles et justifier les entorses éventuelles avec soin.

Armstrong était un invité de marque aujourd'hui ! Monsieur Niggli, cette affaire n'est pas l'étendard de la lutte antidopage mais constitue plutôt la preuve de son échec : c'est une enquête administrative qui a fait chuter Armstrong. Tout le monde savait. D'autres méthodes sont disponibles que la biologie pour collecter des preuves : des témoignages, des saisies de disques durs, etc. Cessons de nous focaliser sur une méthode unique dont l'échec nous pousse à la surenchère. Sortons du dogmatisme, appuyons-nous sur des faits et libérons la parole. L'extrême sensibilité médiatique de ce sujet rend impossible toute discussion. Armstrong est tombé car la parole s'est libérée, notamment grâce aux témoignages des athlètes. Ceux-ci sont des êtres responsables. Ils sont les premiers concernés ! Comment envisager de ne pas les associer ? Ecoutons-les ! Le sportif n'est pas d'abord un suspect.

M. Jean-Christophe Lapouble. - Il convient de distinguer le sport professionnel du sport amateur qui ne doit pas supporter les mêmes contraintes.

Dans les commissions disciplinaires fédérales il est nécessaire que les professionnels soient représentés. Rendons les séances disciplinaires publiques, comme l'avait réclamé Christophe Bassons. Cela contribuera à libérer la parole et évitera les rumeurs.

En outre, il convient d'unifier le régime juridique des sanctions prise par les fédérations. Actuellement, si l'AFLD ne fait pas appel, le tribunal administratif du domicile du sportif est compétent ; en cas d'appel, le Conseil d'État sera compétent. L'AFLD doit être saisie de l'ensemble des appels, puis le Conseil d'État statuera éventuellement.

Les statuts et les règlements doivent être relus. Dans l'affaire Bassons, la fédération française de cyclisme s'est attribué à tort le pouvoir réglementaire, à la place du gouvernement. Pourtant le ministère avait contrôlé le règlement.

J'en terminerai par le rôle des fédérations internationales. Certaines fonctionnent à l'envers : la lutte contre le dopage n'est pas leur premier objectif. Bien plutôt, elles souhaitent éviter qu'on en parle. C'est le cas de l'UCI, mais pas uniquement - même si l'UCI est la seule à s'être fait prendre.

Merci pour votre invitation. Je suis impatient de lire les conclusions de votre commission d'enquête.

M. Jean-François Humbert, président. - Merci à vous. Notre travail va continuer. Nous organiserons d'autres rencontres. Notre rôle : apporter un complément aux textes existants. Merci pour votre participation et votre franchise.