Mardi 12 juin 2018

- Présidence de Mme Annick Billon, présidente -

Examen du rapport d'information et des propositions de recommandations sur les violences faites aux femmes

Mme Annick Billon, présidente. - Mes chers collègues, avant de donner la parole à nos six co-rapporteurs pour qu'ils nous présentent leur travail, je voudrais rappeler les circonstances dans lesquelles notre délégation a souhaité centrer ses travaux, depuis le début de cette année, sur les violences faites aux femmes.

Ce choix a été arrêté dès notre première réunion, le 9 novembre 2017. Nous avons alors souhaité apporter notre contribution au débat suscité par deux décisions de justice, très médiatisées, concernant des violences sexuelles dont avaient été victimes deux petites filles de onze ans. Ces affaires ont en effet, faut-il le rappeler ?, suscité une très vive émotion. Je n'y reviens pas.

Nous avons également souhaité aborder ces problématiques sans limiter notre approche aux violences commises sur des mineurs, qui était le sujet retenu par la commission des lois pour son groupe de travail, dès le mois d'octobre 2017.

Dans le sillage de ce qui est devenu l'« affaire Weinstein », il était important que nous fassions porter nos réflexions sur tout le spectre des violences faites aux femmes, quels que soient leur âge, les circonstances (au travail, dans l'espace public, au sein de la famille, etc.), ou le type de violence (harcèlement et autres agressions sexuelles, viol, violences au sein des couples, etc.).

Je vous invite à cet égard à prendre connaissance de la première partie du rapport, qui met en valeur, comme l'ont fait devant nous les experts que nous avons auditionnés, des points communs à toutes les violences faites aux femmes, comme par exemple l'omniprésence de la dimension sexuelle ou l'inversion de la culpabilité aux dépens de la victime (« elle l'a bien cherché », « comment était-elle habillée », etc.).

Le rapport souligne à juste titre que ces violences, quelles qu'elles soient, ont en commun une même origine : la conviction de l'infériorité des femmes, qui peut sévir très tôt, comme le montrent malheureusement les violences scolaires. À cet égard, un récent rapport a souligné le « rejet du féminin » qui se trouve à la base de ces violences, ce qui est très préoccupant, tant pour les filles que pour les garçons.

Car il faut en avoir conscience, la question que posent les violences faites aux femmes, c'est avant tout quelle société nous voulons pour notre pays et, surtout, quelles relations entre les femmes et les hommes !

Sur ce point, le rapport offre une sélection de citations éclairantes du lien entre le sexisme, que l'on pourrait à tort être incité à minimiser, au motif que « ce n'est pas si grave », et la banalisation des violences contre les femmes.

J'en reviens à l'organisation de nos travaux sur les violences. Nous avons décidé, afin de souligner l'importance particulière de ces sujets pour la délégation, de constituer une équipe de co-rapporteurs reflétant la diversité de nos groupes politiques, pour que nos futures conclusions soient inspirées par un esprit de consensus.

Ce rapport est la synthèse de dix-huit auditions et réunions de travail ainsi que de trois déplacements, au cours desquels nous avons entendu quelque trente-cinq experts et spécialistes. Ces chiffres ne comprennent pas, il faut le souligner, les auditions et déplacements organisés spécifiquement dans le cadre du rapport d'information de Maryvonne Blondin et Marta de Cidrac sur les mutilations sexuelles féminines.

Pour l'essentiel, les constats sur lesquels s'appuie le rapport prennent acte du fait que les violences constituent une inégalité majeure entre les femmes et les hommes. Ils soulignent que le combat contre ces violences exige la participation des hommes et insistent sur la nécessité d'un effort accru de prévention, dès le plus jeune âge.

Ils affirment la priorité absolue qui doit s'attacher à la protection des enfants, y compris de ceux qui, sans être victimes de violences dans leur chair, ne sont pas moins menacés par les violences intrafamiliales auxquelles ils assistent parfois, car « un enfant témoin est un enfant victime », pour reprendre les termes d'Édouard Durand, magistrat, co-président de la commission Violences de genre du Haut Conseil à l'Égalité.

Ils saluent l'engagement des associations dans la lutte contre les violences, qui suppose que des moyens leur soient attribués en cohérence avec des besoins croissants, en lien avec la libération de la parole des victimes.

Ils rappellent la gravité des conséquences des violences sur la santé des victimes ainsi que le risque de précarité sociale qui résulte trop souvent des traumatismes qu'elles ont subis.

Enfin, ils réaffirment l'importance d'un accompagnement adapté pour les victimes, et affirment l'attachement de la délégation à un traitement égal des violences sur l'ensemble du territoire, sans oublier les outre-mer, qui reviennent régulièrement dans les recommandations, ce dont il faut féliciter les co-rapporteurs.

Ceux-ci vont maintenant vous présenter les trente-six recommandations qui concluent cet important travail. Elles sont regroupées dans sept blocs thématiques, comme vous pouvez le constater dans le document qui vous a été distribué.

Noëlle Rauscent va vous présenter les premières d'entre elles. Chère collègue, vous avez la parole.

Mme Noëlle Rauscent, co-rapporteure. - Je vous remercie, madame la présidente. Il me revient donc de commencer la présentation de nos recommandations.

Nous proposons deux recommandations pour approfondir la connaissance des violences faites aux femmes et leur coût pour la société (nos1 et 2), et une recommandation pour renforcer la prévention des violences. Celles-ci s'inspirent en effet d'une conception rétrograde de la place des femmes dans la société. Il s'agit de faire de l'égalité entre garçons et filles, femmes et hommes, le premier rempart contre ces violences (n° 3).

La recommandation n° 1 porte sur l'importance des statistiques. La prévention des violences passe en effet par une bonne connaissance de leur fréquence et de leurs caractéristiques. Nous jugeons donc fondamental de disposer de statistiques précises, reposant sur des bases scientifiques et régulièrement actualisées, sur les différentes formes de violences faites aux femmes. Nous montrons dans le rapport qu'il faut faire attention aux enquêtes d'opinion qui ne sont pas fondées sur une méthodologie scientifique et laissent la place à la subjectivité des personnes interrogées, ce qui ne peut que biaiser les résultats, soit en les amplifiant par rapport à la réalité, soit en conduisant à des sous-estimations.

Nous estimons donc que les enquêtes telles que Virage sont indispensables pour avancer dans la compréhension de ces violences, mais aussi pour favoriser la libération de la parole.

Nous souhaitons que l'enquête Virage soit étendue à l'ensemble des outre-mer. Nous préconisons aussi une extension systématique des enquêtes existantes sur les violences faites aux femmes à l'enjeu spécifique des violences faites aux femmes en ligne.

Dans le même esprit, afin d'approfondir la connaissance des situations de sexisme et de harcèlement sexuel au travail, nous souhaitons que l'enquête du Défenseur des Droits sur ce sujet, datant de 2014, soit régulièrement actualisée.

Plus généralement, pour faciliter la réalisation de toutes ces enquêtes, nous recommandons la mise à l'étude de la création d'une agence nationale de recherche sur les violences faites aux femmes. Car, comme l'a dit Christelle Hamel, chercheure à l'Institut national d'études démographiques (INED), au cours de son audition, le 22 février 2018, ces violences sont comparables par leur ampleur à une « épidémie ».

La recommandation n° 2 porte sur le coût des violences faites aux femmes pour la société. Nous souhaitons qu'il soit procédé à une analyse précise des coûts économiques directs et indirects de l'ensemble des violences faites aux femmes (les frais médicaux, les frais de justice et de police, le coût social des arrêts de travail...). Il faut que les conséquences budgétaires en soient tirées pour garantir des moyens à la hauteur des besoins.

Enfin, la recommandation n° 3 concerne l'enjeu de la prévention des violences et de l'éducation à l'égalité et à la sexualité, préoccupation récurrente de la délégation, qu'elle a eu l'occasion de formuler dans de précédents travaux.

Nous souhaitons que soient assurées, sur tout le territoire, les séances d'éducation à la sexualité prévues par le code de l'éducation - cet impératif a également été relevé par le groupe de travail de la commission des lois sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs. Nous recommandons que l'égalité entre filles et garçons soit intégrée à ces séances, afin qu'elles contribuent à la diffusion d'un modèle de société égalitaire auprès des jeunes.

Voulons-nous une société où les jeunes filles ne peuvent aller aux toilettes dans les collèges que protégées des garçons par un digicode ? Voulons-nous une société où des fellations tarifées ont lieu dans les toilettes des collèges ? Car tel est l'enjeu de cette éducation à la sexualité...

Nous jugeons nécessaire que l'éducation à la sexualité et à l'égalité fasse partie de la formation initiale des personnels éducatifs pour qu'ils soient sensibilisés à l'importance de cet enseignement.

Nous demandons que l'obligation posée par le code de l'éducation soit rappelée à tous les chefs d'établissement, et nous proposons que l'éducation à la sexualité soit intégrée, dans ses deux dimensions (sexualité et égalité), aux formations destinées aux personnels encadrant des dispositifs d'accueil pour mineurs, par exemple le Brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur (BAFA).

Nous rappelons l'importance fondamentale de la médecine scolaire et la nécessité de renforcer ses moyens, comme l'ont fait nos collègues Marta de Cidrac et Maryvonne Blondin dans leur rapport sur les mutilations sexuelles féminines, sur l'ensemble du territoire.

Enfin, dans un souci de cohérence, nous préconisons une nouvelle rédaction des articles du code de l'éducation concernant l'éducation à la sexualité et l'information sur l'égalité femmes-hommes, afin de lier explicitement dans ces enseignements égalité et éducation à la sexualité.

Mme Laurence Cohen, co-rapporteure. - Nous proposons sept recommandations pour améliorer l'accueil et la prise en charge des victimes de violences. Il s'agit des recommandations nos 4 à 10.

La recommandation n° 4 reprend une préoccupation malheureusement récurrente de notre délégation, pour appeler au renforcement des subventions aux associations engagées dans la lutte contre les violences faites aux femmes. Nous avons toutes et tous en mémoire le cas de l'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT) qui s'est vue contrainte de fermer son standard, en janvier dernier, faute de pouvoir faire face à l'afflux des nouvelles demandes, en raison de moyens insuffisants. De même, il nous paraît important que ces subventions soient davantage prévisibles, dans une logique pluriannuelle. C'est un prérequis pour leur permettre de faire face à l'accroissement de leur activité dans le contexte actuel de libération de la parole.

La seconde partie de la recommandation reprend une proposition formulée dans les rapports de la délégation sur les agricultrices et sur les mutilations sexuelles féminines, afin de garantir une prise en charge des victimes dans les zones plus isolées (territoires ruraux...).

La recommandation n° 5 formule plusieurs propositions destinées à garantir à toutes les victimes de violences une prise en charge adaptée, notamment au moment du dépôt de plainte et du recueil de leur témoignage. Dans cet objectif, nous suggérons que soit mis en place, dans les commissariats et gendarmerie, un mot de passe, ou un code, dédié à ces violences (par exemple 3919, par référence au numéro d'urgence bien connu), pour orienter au mieux les victimes et respecter leur dignité, avec davantage de discrétion et d'anonymat. Cette recommandation tire les conséquences de témoignages de victimes choquées d'avoir dû exposer à la cantonade l'objet de leur présence dans un commissariat bondé. Nous réaffirmons la nécessité de la formation de tous les professionnels susceptibles d'être en contact avec des victimes de violence, notamment dans le cadre de la formation continue, qui n'est pas obligatoire. Il s'agit là encore d'une recommandation récurrente de la délégation.

Nous proposons la mise à l'étude de l'extension de salles inspirées des salles « Mélanie » destinées aux mineurs victimes de violences sexuelles, au profit des femmes victimes de violences, ainsi que la généralisation de la captation vidéo des auditions, pour éviter aux victimes la répétition du récit traumatique ; nous saluons à cet égard la pratique du parquet de Paris qui s'attache justement à éviter aux victimes la répétition de leur témoignage.

La recommandation n° 6 concerne plus particulièrement le recueil des preuves. Nous sommes favorables à la généralisation, après expérimentation, du recueil des preuves indépendamment du dépôt de plainte par les victimes, comme cela se fait au CHU de Bordeaux depuis plusieurs années. Dans le même esprit, nous soutenons le projet de développement de la Mallette d'aide à l'accompagnement et à l'examen des victimes d'agressions sexuelles (MAEVAS), mise en place par la Gendarmerie nationale. Plus généralement, nous estimons qu'un ensemble de recommandations regroupant les bonnes pratiques sur l'accueil et l'accompagnement des victimes de violences devrait être élaboré à destination de tous les professionnels de santé.

La recommandation n° 7 suggère que soient systématiquement réalisés des examens médicaux sur les auteurs présumés de viol, de façon à éviter d'infliger aux victimes des traitements préventifs particulièrement contraignants (VIH, hépatites...).

La recommandation n° 8 plaide pour une prise en charge à 100 % des soins psychotrauma liés aux violences sexuelles, pour les victimes majeures, comme cela existe déjà pour les victimes de terrorisme et pour les mineurs victimes de violences sexuelles. Nous reprenons ici une recommandation du Haut Conseil à l'Égalité (HCE)1(*). En outre, nous souhaitons que la mise en place d'unités pilotes spécialisées dans le psychotrauma, annoncée le 25 novembre 2017, soit rapidement suivie d'un déploiement concret, y compris dans les outre-mer. Ces deux recommandations sont importantes, car l'accompagnement psychologique des victimes est fondamental pour leur reconstruction.

La recommandation n° 9 préconise la mise à l'étude de solutions pour assurer la protection globale des victimes de violences et de leurs familles, du dépôt de la plainte à son aboutissement judiciaire.

Enfin, la recommandation n° 10 appelle à renforcer l'information des victimes de violences sur les procédures de réparation financière, pour les aider à mieux faire valoir leur droit à une indemnisation au titre des préjudices qu'elles ont subis.

Pour conclure, je veux insister sur le fait que le meilleur accompagnement des victimes est assuré à la fois par la cohérence et la complémentarité de ces recommandations.

Mme Nicole Duranton, co-rapporteure. - Nous formulons six recommandations pour garantir une répression pénale efficace et rigoureuse des violences faites aux femmes. Il s'agit des recommandations nos 11 à 16.

L'objet de la recommandation n° 11 est de rappeler que la délégation s'oppose au principe même de la correctionnalisation, qui consiste à juger comme des délits des infractions qui constituent des crimes. Nous insistons sur le caractère inacceptable de la correctionnalisation. Il est vrai que la correctionnalisation peut être assumée par la victime, par exemple si elle souhaite une procédure plus rapide, mais quand elle est motivée par le manque de moyens de la justice et l'encombrement des cours d'assises, il s'agit, pour reprendre l'expression forte du Docteur Piet, d'une « justice de misère ». Cette recommandation contre la correctionnalisation dite « en opportunité » rejoint les conclusions du groupe de travail de la commission des lois sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs.

La recommandation n° 12 préconise la mise à l'étude d'une spécialisation des magistrats et la création de chambres spécialisées, avec pour objectif de renforcer la cohérence du traitement judiciaire des violences sexuelles sur l'ensemble du territoire. Le procureur de la République de Paris en avait parlé lors de son audition, le 22 février 2018.

La recommandation n° 13 reprend une suggestion du procureur de Paris ; elle propose d'introduire une circonstance aggravante pour les agressions sexuelles ayant entraîné une incapacité totale de travail (ITT) supérieure à huit jours. C'est un vide juridique qu'il nous semble important de combler lors de la discussion du projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.

La recommandation n° 14 reprend l'une des propositions formulées dans le cadre du rapport «Femmes et laïcité2(*) » de la délégation et traduite dans une proposition de loi déposée par Chantal Jouanno et plusieurs de ses collègues de la délégation, au mois de mars 2017. Elle vise à créer un délit autonome d'agissement sexiste, qui permettrait notamment de pénaliser des comportements tel que le refus de serrer la main d'une femme parce qu'elle est une femme, ou de sanctionner certains comportements dans les transports ou dans la rue qu'il serait difficile de sanctionner comme des agressions sexuelles, même si certains (le frottage, les attouchements) en relèvent.

Nous pensons que la création d'un tel délit dans le code pénal serait plus pertinente que la création de l'outrage sexiste - de niveau contraventionnel - prévue par l'article 4 du projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes (nous en reparlerons jeudi). De plus, nous suggérons de créer une circonstance aggravante à ce délit, qui serait constituée lorsque la victime de l'agissement sexiste est une personne dépositaire de l'autorité publique (ou chargée d'une mission de service public), comme par exemple une élue, une enseignante ou une policière.

La recommandation n° 15 concerne la répression des actions sexistes malveillantes groupées sur Internet, dites « raids numériques ». Nous saluons les travaux du Haut Conseil à l'Égalité (HCE) sur ce sujet et exprimons notre soutien à l'article 3 du projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.

Enfin, la recommandation n° 16 formule une série de propositions qui s'inspirent des préconisations du HCE dans ce domaine pour renforcer la prévention du harcèlement sexiste et sexuel en ligne et la protection des victimes : créer une circonstance aggravante du délit de harcèlement sexuel si les faits sont commis par le biais d'un moyen de communication électronique ; inciter les réseaux sociaux à faire preuve de plus de diligence en ce qui concerne la modération des contenus sexistes ; obliger les plateformes à réagir aux signalements dans les plus brefs délais, avec une procédure d'urgence en cas d'attaque contre un-e internaut-e ; renforcer la formation des personnels de police, de gendarmerie et du monde judiciaire sur le repérage du cyber-contrôle.

Mme Laurence Rossignol, co-rapporteur. - Avant de commencer mon intervention, je voudrais remercier notre présidente pour la qualité de son écoute et sa capacité à créer du consensus.

Nous proposons quatre recommandations pour garantir une meilleure protection des plus jeunes victimes. Il s'agit des recommandations nos 17 à 20.

La recommandation n° 17 est favorable à l'allongement de dix ans des délais de prescription de l'action publique de certains délits et crimes sexuels commis à l'encontre des mineurs, ce qui permettrait aux victimes de porter plainte jusqu'à l'âge de 48 ans. Cette mesure serait un progrès par rapport à la loi actuelle. Elle fait l'objet d'un large consensus. Certes, l'imprescriptibilité aurait eu la préférence de certains, et il ne faut pas s'interdire d'y penser. Ce n'est pas un sujet tabou, même si le monde judiciaire, à ce jour, n'y est pas prêt.

La recommandation n° 18 a pour objectif de garantir la plus grande protection possible des mineurs contre les agressions sexuelles et le viol. Nous avons tous en tête les affaires, très médiatisées, et l'émotion qu'elles ont causée.

Cette recommandation présente la position de la délégation sur le débat relatif à l'instauration d'une présomption de non-consentement d'un mineur, en dessous d'un certain âge (à déterminer), à un acte sexuel avec une personne majeure. J'observe que des ministres se sont tout d'abord prononcées en faveur d'une présomption de non-consentement, avant que le Gouvernement finalement recule sur ce point. Je rappelle que le procureur de Paris s'était prononcé en faveur d'un seuil d'âge de treize ans.

Nous le savons, la solution proposée dans le cadre du projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, à l'article 2, ne satisfait pas grand monde...

Au terme de nos travaux, nous souhaitons, en cas de viol sur des jeunes mineur-e-s, laisser le moins de prise possible à la subjectivité et trouver une formule dans le code pénal qui garantisse une réponse cohérente sur l'ensemble du territoire et non pas un traitement hétérogène selon les juridictions.

Nous ne voulons pas que puissent se reproduire les « affaires » de Pontoise et de Melun.

Par ailleurs, il nous paraît important de ne pas lier ce débat juridique à des questions morales sur la sexualité des jeunes. À quel âge est-il acceptable qu'un-e jeune ait des relations sexuelles ? Ce n'est pas l'affaire du législateur. Tel n'est donc pas notre propos.

Une piste possible nous semble être, comme nous en avons déjà parlé le 31 mai et le 7 juin, l'adoption d'une modification du code pénal créant une infraction autonome qui sanctionnerait comme un crime toute relation sexuelle avec pénétration entre une personne majeure et un ou une mineur-e de treize ans. Cette infraction serait sanctionnée comme l'est actuellement le viol avec circonstances aggravantes. Il n'y aurait pas à rechercher si les critères de menace, violence, contrainte et surprise définis par le code pénal seraient réunis. Nous considérons qu'en dessous de treize ans, un enfant n'a pas le discernement nécessaire pour comprendre ce qu'implique une relation sexuelle : on ne doit donc même pas se demander s'il y a consenti.

Une telle solution nous paraît être la plus protectrice des plus jeunes mineurs, tout en respectant les droits de la défense, puisque le parquet conserverait l'opportunité des poursuites et que les avocats du mis en cause pourraient toujours arguer que l'auteur ne connaissait pas l'âge de la victime. Nous avons finalement retenu un seuil de treize ans, car il est cohérent avec le droit pénal qui fixe à cet âge le discernement et la responsabilité pénale des mineurs, et parce qu'il tient compte des relations qui peuvent exister entre des adolescent-e-s et de jeunes majeur-e-s.

Mais ce débat concerne le projet de loi lui-même, sur lequel nous statuerons jeudi.

La recommandation n° 19 exprime le droit imprescriptible de toute victime de crime sexuel dans l'enfance d'être entendue, et encourage à cet égard la diffusion, au sein des parquets, de la pratique consistant à mener des enquêtes, même en cas de prescription, comme cela se fait au parquet de Paris.

Enfin, la recommandation n° 20 soutient les mesures du 5ème plan de mobilisation et de lutte contre toutes les violences faites aux femmes qui concernent plus particulièrement les jeunes femmes de dix-huit à vingt-cinq ans. La protection de ce public très vulnérable n'est pas toujours suffisante, parce que ces jeunes femmes ne se perçoivent pas comme vivant en couple et ne se considèrent donc pas comme des victimes de « violences conjugales ». Il y a là un angle mort de la lutte contre les violences.

Il convient donc de se féliciter que l'Assemblée nationale ait adopté à l'article 3 bis du projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes une disposition prévoyant une circonstance aggravante en cas de violences commises dans un couple dit « non-cohabitant », selon les préconisations du Haut Conseil à l'Égalité.

Mme Françoise Laborde, co-rapporteure. - Nous proposons huit recommandations pour continuer le combat contre les violences intrafamiliales. Il s'agit des recommandations nos 21 à 28.

La recommandation n° 21 reprend une précédente proposition de la délégation, qui avait été émise dans le cadre du rapport de 2016 sur les violences conjugales dont j'étais co-rapporteure3(*). Nous suggérons la mise à l'étude d'une privation de l'autorité parentale qui viserait le parent condamné pour violences intrafamiliales. Car, comme l'a très bien dit le juge Édouard Durand, un conjoint violent ne peut pas être un bon parent.

La recommandation n° 22 confirme la position que nous avions déjà exprimée en novembre au moment de la proposition de loi sur la résidence alternée : nous mettons en garde contre les effets d'une résidence alternée systématique, qui remettrait en cause, dans les situations de violences intrafamiliales, la nécessaire protection des enfants et du conjoint. Nous devons être très vigilants sur ce point, car si la proposition de loi en cause n'a finalement pas été examinée à l'Assemblée nationale, nous avons été alertés sur le fait que la mesure pourrait être introduite par voie d'amendement dans le cadre des textes à venir sur la réforme de la justice.

La recommandation n° 23 suggère deux pistes d'évolution visant à mieux garantir la cohérence du droit pénal et du champ civil, dans le souci d'une meilleure protection des victimes de violences intrafamiliales. Il s'agit de mettre à l'étude une évolution législative qui exclurait sans ambiguïté le recours à la médiation civile en cas de violences intrafamiliales déclarées par le conjoint. Il s'agirait aussi d'envisager une intervention du procureur de la République en tant que partie au procès civil aux affaires familiales dans les situations de violences intrafamiliales.

La recommandation n° 24 approuve l'articulation pertinente du 5ème plan de mobilisation et de lutte contre toutes les violences faites aux femmes et du 1er plan interministériel de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux enfants car les deux sont liés.

Nous demandons à ce que le Parlement soit informé de l'application des mesures prévues par ces plans, et des intentions du Gouvernement à leur échéance. Nous souhaitons qu'ils soient reconduits de façon pluriannuelle. À cet égard, nous regrettons que le premier plan de lutte contre la traite des êtres humains (2014-2016) n'ait pas fait l'objet d'une évaluation et n'ait pas été reconduit au-delà de 2016.

La recommandation n° 25 plaide pour un déploiement rapide du Téléphone grave danger (TGD) dans les outre-mer, dans un souci d'égalité territoriale. Nous savons en effet que ce dispositif est efficace pour la protection des femmes contre les violences les plus dramatiques.

La recommandation n° 26, qui reprend, elle aussi, une recommandation du rapport de la délégation sur les violences conjugales, rappelle l'utilité de l'ordonnance de protection et les intentions du législateur sur la rapidité de sa délivrance, et invite les parquets à privilégier une convocation par voie d'huissier.

La recommandation n° 27 porte sur la mise à l'abri et l'hébergement des victimes de violences, en insistant sur la problématique des outre-mer et sur l'intérêt de prévoir des partenariats entre État, bailleurs sociaux, collectivités et associations.

Cette recommandation réaffirme aussi l'utilité de la spécialisation des Centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) et d'une offre d'hébergement non-mixte pour garantir une prise en charge efficace des femmes victimes de violences - notamment les femmes migrantes -, dans un contexte où sont annoncées des économies budgétaires sévères sur les crédits des CHRS.

Enfin, la recommandation n° 28 souhaite le lancement d'une campagne d'information et de sensibilisation sur le viol conjugal, notion qui demeure toujours concurrencée par celle de devoir conjugal, même dans l'esprit de certains professionnels des services de police et de la gendarmerie, comme le relève l'enquête de la Fédération nationale solidarité femmes (FNSF) sur les difficultés du dépôt de plainte, enquête qui sera annexée au rapport.

M. Loïc Hervé, co-rapporteur. - Ma présentation concerne le harcèlement sexuel au travail, dont les conséquences sont particulièrement graves pour les victimes, comme nous l'a notamment montré le Docteur Hirigoyen, psychiatre. Nous avons également entendu sur ce sujet le Défenseur des Droits qui a publié un avis dans le cadre de son audition. Cet avis est annexé à notre rapport.

Nous proposons donc huit recommandations pour renforcer la lutte contre le harcèlement sexuel au travail. Il s'agit des recommandations nos 29 à 36.

La recommandation n° 29 concerne la création du Comité social et économique (CSE) par les ordonnances travail. En effet, cette nouvelle instance fusionnera les Institutions représentatives du personnel (IRP), dont les Comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et les délégués du personnel, qui avaient une compétence dans la prévention du harcèlement sexuel au travail. Nous appelons à une vigilance particulière pour que la création de ces nouvelles instances n'aboutisse pas à un affaiblissement de la prévention et de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles au travail.

La recommandation n° 30 suggère la diffusion la plus large d'outils d'information et de sensibilisation, qui existent déjà, sur les enjeux des violences sexistes et sexuelles au travail. Le kit Agir contre le sexisme, élaboré par le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle (CSEP), a par exemple été un élément d'inspiration pour le Medef, d'après la note qui nous a été transmise.

La recommandation n° 31 salue la cellule Thémis mise en place par le ministère des Armées et suggère que ce dispositif de signalement des violences et d'accompagnement des victimes inspire d'autres structures, privées ou publiques. Ce constat de l'intérêt que présente cette cellule est indépendant des événements récents concernant les classes préparatoires à Saint-Cyr. Ces comportements inacceptables ont d'ailleurs été sanctionnés par la ministre des Armées. Il n'en demeure pas moins que le ministère de la Défense a su mettre en place, dès 2014, des procédures innovantes, dont l'intérêt a été souligné en 2016 par la commission des lois de l'Assemblée nationale et par notre délégation dès 2014, lors de la création de Thémis.

La recommandation n° 32 rappelle l'importance du rôle de l'Inspection du travail dans la prévention et la lutte contre les violences sexistes et sexuelles au travail, et plaide pour un renforcement de ses effectifs, dans un souci d'égalité territoriale.

La recommandation n° 33 est une reprise d'une proposition que la délégation avait formulée au moment de l'examen de la loi dite « El Khomri »4(*) : porter de six à douze mois de salaire le montant de l'indemnité plancher pour toute personne licenciée après avoir été victime de harcèlement.

La recommandation n° 34 porte sur le règlement intérieur des entreprises. Nous proposons qu'il comporte des dispositions précises sur la prévention et la répression des comportements contraires à l'égalité femmes-hommes, et nous suggérons qu'il soit donné en main propre à toute personne embauchée, contre remise d'une décharge engageant le nouveau salarié à respecter ses exigences en ce domaine.

La recommandation n° 35 rejoint une proposition du Défenseur des Droits. Elle propose de mettre à l'étude la possibilité de tenir compte, devant les juridictions civiles, d'enregistrements audio réalisés à l'insu de l'auteur présumé dans les affaires de harcèlement, comme cela se fait déjà devant les juridictions pénales. Il s'agit de faciliter l'établissement de la preuve dans ces affaires, où les victimes se heurtent souvent à de grandes difficultés pour faire valoir ce qu'elles subissent.

Enfin, la recommandation n° 36 préconise une modification du code du travail concernant la formation obligatoire des employés chargés des missions de recrutement. Cette formation comprend déjà les discriminations. Il s'agit de modifier le code du travail pour l'étendre aux violences sexistes et sexuelles. La recommandation suggère aussi d'envisager une extension de ces obligations de formation, actuellement réservées aux entreprises de plus de 300 salariés, aux entreprises de moins de 300 salariés.

Avant de conclure, je souhaite porter à votre attention que, dans le cadre de l'examen du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale a adopté début juin plusieurs amendements du Gouvernement déclinant son plan pour l'égalité professionnelle. Je relève notamment un amendement qui prévoit qu'un référent en charge de la lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes devra être désigné dans toutes les entreprises d'au moins 250 salariés.

De même, un référent devra être désigné au sein de la délégation du personnel au comité social et économique (ce point est de nature à nous rassurer s'agissant de la préoccupation exprimée à la recommandation n° 29).

Un autre amendement prévoit que les branches professionnelles devront également s'impliquer dans la prévention des risques liés au harcèlement dans les entreprises, le sujet devant être inclus dans le cadre de la négociation obligatoire sur l'égalité entre les femmes et les hommes. Il faudra être attentif au maintien de ces dispositions dans le projet de loi, au moment de son examen par le Sénat.

Nous en avons terminé avec la présentation de nos recommandations.

Mme Annick Billon, présidente. - Mes chers collègues, je constate que le rapport d'information qui vous est soumis, particulièrement sérieux, représente la synthèse de plusieurs mois de travail. Ce travail me semble de surcroît consensuel.

J'observe à l'attention de nos collègues ultramarines qu'il tient le plus grand compte de la situation dans les outre-mer. Je remercie nos collègues, et plus particulièrement Victoire Jasmin, d'avoir su attirer notre attention sur cette exigence d'égalité entre les territoires.

Je pense qu'un travail comme celui-ci doit impérativement être porté et diffusé par chacun d'entre nous, quelles que soient nos appartenances politiques, pour valoriser le travail du Sénat dans nos départements.

Qui souhaite intervenir sur les recommandations de nos co-rapporteurs ?

Mme Laurence Cohen, co-rapporteure. - Je voudrais revenir sur la présentation de la cellule Thémis qui figure dans le rapport, s'agissant de la lutte contre le harcèlement sexuel: si cette structure et les procédures mises en place par la Défense sont extrêmement prometteuses, il n'en demeure pas moins que le comportement de certains élèves de classes préparatoires à Saint-Cyr est absolument inadmissible. Je tenais à revenir sur ce point.

Mme Annick Billon, présidente. - Je pense que tout le monde souscrit.

M. Loïc Hervé, rapporteur. - Je confirme !

Mme Maryvonne Blondin. -  Je salue le travail accompli par nos collègues. Ce rapport sera un document de référence, c'est incontestable. Il est cohérent avec les constats et les conclusions du rapport que j'ai récemment porté avec Marta de Cidrac sur les mutilations sexuelles féminines5(*).

On retrouve bien dans ce rapport, très complet, tout ce que nous avons entendu sur les violences dans le cadre des nombreuses auditions que notre délégation a organisées depuis novembre 2017. On y retrouve en particulier nos préoccupations - hélas récurrentes - sur le manque de moyens de la médecine scolaire et sur la formation des professionnels.

À ce sujet, je voudrais vous annoncer que la première décision du nouveau gouvernement espagnol a été de renforcer la formation des magistrats aux violences faites aux femmes. C'est décisif !

Le rapport de nos collègues évoque les moyens des CHRS : c'est en effet un vrai sujet de préoccupation. Limiter leurs moyens revient à compromettre non seulement l'hébergement des personnes, mais aussi leur réinsertion. C'est très préoccupant.

Je suis d'accord avec les rapporteurs, nous devons être vigilants sur l'évolution des instances de représentation du personnel. On ne voit pas bien comment les CSE pourront, compte tenu d'un champ de compétences considérable, défendre efficacement les victimes de harcèlement sexuel.

Je voudrais aussi revenir sur la cellule Thémis : il s'agit là d'une structure exemplaire, car on sait bien qu'en matière de harcèlement, il faut que les victimes ne soient pas contraintes de passer par la hiérarchie. Que les armées aient réussi à mettre en place cet outil, alors-même que la hiérarchie est un élément essentiel du fonctionnement militaire, est vraiment très intéressant.

En conclusion, il faut que le Gouvernement se mobilise pour accompagner la mise ne oeuvre de ces recommandations !

Mme Annick Billon, présidente. - Merci, chère collègue, de nous faire voyager grâce à votre expérience de membre de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.

Mme Victoire Jasmin. - Ce travail est vraiment impressionnant. Je trouve cette approche transpartisane très enrichissante. Il faut remercier notre présidente d'encourager cette démarche.

Mme Annick Billon, présidente. - Quand il s'agit de lutter contre les violences faites aux femmes et aux enfants, la moindre des choses est que nous rassemblions nos énergies pour avancer ensemble !

Mme Claudine Lepage. - Je suis d'accord, le consensus entre nous est quelque chose de fondamental. J'observe d'ailleurs qu'au Sénat, on ne le trouve qu'à la délégation...

Je voudrais que, lorsque le rapport et les recommandations abordent l'accueil et la prise en charge des victimes, il mentionne le rôle des consulats. C'est important d'être vigilant, comme le sont nos rapporteurs, sur la nécessité d'une prise en charge et d'un accompagnement des victimes de violences sur tout le territoire, mais il ne faudrait pas oublier les postes diplomatiques. Or ceux-ci sont, pour de nombreuses victimes - souvent très jeunes, comme on l'a vu récemment lors de l'examen du rapport sur les mutilations sexuelles féminines - la première porte d'entrée vers un accueil et une prise en charge. N'oublions pas non plus l'importance de la coopération judiciaire internationale, à tout le moins entre pays européens. Les violences, y compris les violences intrafamiliales, ne s'arrêtent pas à nos frontières.

Mme Annick Billon, présidente. - Je suis d'accord. Pouvons-nous considérer que cette correction peut être faite à la recommandation n° 5, adaptée pour toutes les victimes de violences, sur l'ensemble du territoire, qui va mentionner spécifiquement les postes diplomatiques ? Je vois que les co-rapporteurs opinent.

Mme Claudine Lepage. - Ce serait en effet une correction pertinente. Je vous remercie.

La recommandation n° 5 est ainsi amendée.

Mme Marta de Cidrac. - J'ai pris connaissance du rapport avec beaucoup d'intérêt. Mais nous ne devons pas oublier que les inégalités professionnelles, notamment salariales, peuvent elles-aussi constituer une violence, du moins être ressenties comme telle. Là encore, c'est une dimension essentielle du travail de notre délégation.

Mme Marie-Thérèse Bruguière. - Je voudrais joindre mes félicitations aux compliments que les rapporteurs ont déjà reçus. Il me semble toutefois qu'à la recommandation n° 21, nous pourrions préciser que le parent qui serait privé de l'autorité parentale, si l'étude envisagée était concluante, pourrait aussi bien être la mère que le père. Les deux cas peuvent se produire : nous savons que des hommes, eux aussi, peuvent être victimes de violences.

Mme Françoise Laborde, co-rapporteure. - Le mot « parent » renvoie aussi bien à un homme qu'à une femme, mais je ne m'oppose pas à cette précision.

La recommandation n° 21 est ainsi amendée.

Mme Annick Billon, présidente. - Pouvons-nous considérer que les trente-six recommandations, amendées comme l'ont suggéré nos collègues Claudine Lepage et Marie-Thérèse Bruguière, sont adoptées ? Je ne vois pas d'opposition. Je constate l'unanimité entre nous et je vous en remercie.

Mes chers collègues, nous arrivons à la fin de notre réunion. Il va nous falloir désormais statuer sur le titre du rapport.

Je vais vous lire la liste des propositions que nous soumettons à vos délibérations, liste qui figure dans vos dossiers :

1. Prévenir et combattre les violences, première des inégalités entre les femmes et les hommes

2. Violences faites aux femmes : prévenir et combattre la première des inégalités entre les femmes et les hommes

3. Violences faites aux femmes : renforcer la prévention et la lutte contre la première des inégalités femmes-hommes

4. Renforcer la prévention et la lutte contre les violences faites aux femmes : un impératif/enjeu essentiel/prérequis de l'égalité femmes-hommes

5. Prévenir et combattre les violences faites aux femmes : un enjeu d'égalité femmes-hommes

Je m'adresse tout d'abord aux co-rapporteurs. Quel titre suggérez-vous ?

Mme Nicole Duranton, co-rapporteure. - C'est le titre n° 5 qui aurait notre préférence, à Laurence Cohen, Françoise Laborde, Loïc Hervé et moi-même, Noëlle Rauscent hésitant entre la première et la cinquième proposition.

Mme Maryvonne Blondin. - Le titre n° 5 me paraît le plus percutant.

Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure. - Pour ma part, je m'interroge sur le lien entre violence et inégalité - ou égalité. Pour moi, il vaut mieux situer le débat sur le plan du droit. Les violences constituent avant tout une injustice. C'est même une injustice planétaire ! Toutefois, dans la proposition n° 5, j'aime bien la notion d'enjeu.

Mme Annick Billon, présidente. - Je pense que l'injustice renvoie à un constat. L'enjeu nous permet de nous projeter, c'est un terme plus dynamique.

M. Loïc Hervé, co-rapporteur. - Cette dimension me semble en effet importante.

Mme Marta de Cidrac. - Je rejoins Laurence Rossignol. La dernière proposition me parle plus : pourquoi ne pas se référer à « un enjeu de justice » ?

Mme Céline Boulay-Espéronnier. - Ou « un enjeu de société » ?

Mme Annick Billon, présidente. - J'ai l'impression que cette dernière suggestion fait consensus. Sur la base de la proposition n° 5, nous pourrions donc envisager : « Prévenir et combattre les violences faites aux femmes : un enjeu de société ».

Je vais mettre aux voix cette dernière formule, qui me paraît rassembler nos différentes suggestions.

Ce titre est adopté à l'unanimité. Je constate qu'il en est de même pour le rapport et ses conclusions.

Le rapport d'information, intitulé Prévenir et combattre les violences faites aux femmes : un enjeu de société, est adopté à l'unanimité.

Nous pouvons en féliciter les co-rapporteurs.

Je vous donne rendez-vous ce soir, pour entendre Danielle Bousquet, présidente du Haut Conseil à l'Égalité, sur le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.

Annexe

Au terme de ce travail sur les violences faites aux femmes, la délégation présente dix constats et des points de vigilance et formule trente-six recommandations.

A. DIX CONSTATS ET POINTS DE VIGILANCE EN MATIÈRE DE VIOLENCES FAITES AUX FEMMES

1. La délégation est convaincue que les violences faites aux femmes sont la première des inégalités entre femmes et hommes et que les événements de 2016-2017 doivent constituer l'occasion d'une prise de conscience de la nécessité de renforcer l'égalité entre les femmes et les hommes.

Elle estime que ces violences sont encouragées par une généralisation inquiétante de comportements sexistes qui menacent les femmes dans tous les aspects de leur vie (au travail, dans les transports et dans l'espace public, à l'école...) et par la diffusion préoccupante d'une conception du rôle des femmes dans notre société qui s'appuie sur la conviction erronée de l'infériorité des femmes, contraire aux valeurs de notre République.

2. Convaincue que la dénonciation du sexisme ne doit pas être réduite à la prétendue « guerre des sexes » dont le spectre a été agité de manière récurrente depuis le début de l'« affaire Weinstein », elle appelle les hommes à rejoindre le combat contre les violences faites aux femmes et la dénonciation du sexisme.

3. Elle insiste sur l'importance de la prévention, dimension essentielle de ce combat, qui implique :

- un effort de sensibilisation au respect et à l'égalité entre filles et garçons, entre femmes et hommes, dès le plus jeune âge ;

- et la mise en oeuvre effective de l'obligation légale d'éducation à l'égalité et à la sexualité.

4. La délégation affirme sa préoccupation constante de protéger les enfants, non seulement des violences sexuelles, mais aussi des conséquences des violences intrafamiliales, car elle estime qu'un enfant témoin est un enfant victime.

5. La délégation exprime sa profonde considération à tous les acteurs et actrices de la lutte contre les violences faites aux femmes, dont elle salue l'engagement et l'implication.

Elle rappelle que les associations sont le véritable « bras armé » de la politique publique de lutte contre les violences faites aux femmes ; elle tient à rendre hommage à leurs responsables et à leurs bénévoles.

Elle souligne l'importance cruciale des moyens qui doivent leur être attribués, et notamment des subventions aux associations. Elle estime que, faute de crédits suffisants sur le programme 137 « Égalité entre les femmes et les hommes », la lutte contre toutes les violences faites aux femmes risque de ne pas être à la hauteur de la « grande cause du quinquennat ».

6. La délégation manifeste son soutien aux institutions où sont accueillies et soignées les femmes victimes de violences, comme La Maison des femmes de Saint-Denis, structure exemplaire dont elle considère que le modèle devrait être largement diffusé dans d'autres territoires.

7. Alertée par la gravité des conséquences des violences sur les victimes, qu'il s'agisse des menaces sur leur santé ou du risque de précarité sociale qui en est indissociable, la délégation est persuadée que la prévention et la lutte contre les violences faites aux femmes passent aussi :

- par une meilleure connaissance statistique de l'ampleur du phénomène ;

- et par une évaluation rigoureuse de l'ampleur du coût économique et social des violences faites aux femmes.

8. Soucieuse de garantir aux victimes un accompagnement adapté à leur fragilité et à leurs souffrances et de faciliter leur parcours judiciaire, la délégation :

- souhaite que soient réprimées à leur juste mesure des infractions qui portent atteinte à la dignité des femmes et qui menacent leur sécurité ;

- réaffirme l'importance décisive de la formation de tous les professionnels susceptibles de se trouver en contact avec des victimes de violence ;

- souligne la nécessité d'une prise en charge pluridisciplinaire des femmes victimes de violences, dans un cadre partenarial associant les services hospitaliers - dont les Unités médico-judiciaires (UMJ) - et les autres acteurs du territoire (collectivités, professionnels de santé, associations).

9. Attachée à un traitement égal de ces violences sur l'ensemble du territoire, qu'il s'agisse de l'accueil des victimes, de leur accompagnement ou de la condamnation des violences, la délégation :

- affirme son attachement à une politique publique ambitieuse de lutte contre les violences faites aux femmes dans les outre-mer ;

- salue l'ambition du 5ème plan de mobilisation et de lutte contre toutes les violences faites aux femmes, et se félicite qu'il traite les violences faites aux femmes dans leur globalité, sans omettre la prostitution et la traite des êtres humains ;

- rappelle l'importance de la continuité des politiques publiques de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes, au-delà des gouvernements et des personnes qui les portent ;

- plaide pour un renforcement des moyens de la justice, de façon à garantir des délais de jugement raisonnables aux victimes et à éviter que le recours à la correctionnalisation des viols soit la seule réponse possible à l'encombrement des cours d'assises.

10. La délégation insiste une nouvelle fois sur l'importance de la Convention d'Istanbul dans la lutte contre les violences faites aux femmes et appelle tous les pays du Conseil de l'Europe qui n'y auraient pas encore procédé, à une ratification rapide de ce texte essentiel pour la protection des femmes.

B. TRENTE-SIX RECOMMANDATIONS

Les trente-six recommandations adoptées par la délégation sont destinées à :

- approfondir la connaissance des violences et de leurs conséquences ;

- renforcer leur prévention par une organisation effective de l'éduction à la sexualité, conformément au code de l'éducation ;

- améliorer l'accueil et la prise en charge des victimes de violences ;

- garantir une répression pénale efficace et rigoureuse de ces violences ;

- mieux protéger les plus jeunes victimes ;

- poursuivre le combat contre les violences intrafamiliales ;

- et renforcer la lutte contre le harcèlement sexuel au travail.

1. Pour une connaissance statistique approfondie des violences faites aux femmes et de leur coût pour la société

Recommandation n° 1. - La délégation juge fondamental de disposer de statistiques précises, reposant sur des bases scientifiques, et régulièrement actualisées, sur les différentes formes de violences faites aux femmes. Elle estime que les enquêtes comme Virage sont nécessaires pour avancer dans la compréhension et la connaissance des violences faites aux femmes, mais aussi pour favoriser la libération de la parole. Elle souhaite que l'enquête Virage soit étendue à l'ensemble des outre-mer.

Elle plaide pour une extension systématique des enquêtes existantes sur les violences faites aux femmes à l'enjeu spécifique des violences faites aux femmes en ligne.

Afin d'améliorer la connaissance des situations de sexisme et de harcèlement sexuel au travail, la délégation souhaite que l'enquête du Défenseur des Droits sur le harcèlement au travail, réalisée en 2014, soit régulièrement actualisée.

Elle recommande la mise à l'étude de la création d'une agence nationale de recherche sur les violences faites aux femmes, pour approfondir la connaissance statistique des différentes formes de violences, sans oublier les territoires ultramarins.

Recommandation n° 2. - La délégation est convaincue que les moyens qui doivent impérativement être consacrés à la lutte contre les violences faites aux femmes ne sauraient être appréciés à l'aune de la contrainte budgétaire, et que la lutte contre les violences faites aux femmes doit faire l'objet d'un effort décisif.

Elle souhaite qu'il soit procédé à une analyse précise des conséquences économiques de l'ensemble des violences faites aux femmes, comportant le chiffrage de leurs coûts directs et une estimation de leurs coûts indirects. Elle demande que les conséquences budgétaires en soient tirées pour garantir des moyens à la hauteur des besoins.

2. Pour renforcer la prévention de violences qui s'inspirent d'une conception rétrograde de la place des femmes dans la société, et pour faire de l'égalité entre garçons et filles, femmes et hommes le premier rempart contre ces violences

Recommandation n° 3. - Convaincue que la lutte contre les violences faites aux femmes passe avant tout par un effort de prévention, la délégation :

- souhaite que soient effectivement assurées, sur tout le territoire, les séances d'éducation à la sexualité prévues par le code de l'éducation ;

- recommande que l'égalité entre filles et garçons, entre femmes et hommes, qui en est indissociable, soit intégrée aux séances d'éducation à la sexualité, afin qu'elles contribuent à la diffusion d'un modèle de société égalitaire auprès des jeunes ;

- appelle à une large diffusion des outils pédagogiques existants, afin de permettre à l'ensemble de la communauté éducative de s'approprier le contenu de cette information ;

- juge indispensable que l'éducation à la sexualité et à l'égalité fasse partie de la formation initiale des personnels éducatifs ;

- demande que l'obligation posée par le code de l'éducation soit rappelée à tous les chefs d'établissement, afin que ceux-ci mettent en oeuvre effectivement ces séances ;

- propose que l'éducation à la sexualité soit intégrée, dans ses deux dimensions (sexualité et égalité), aux formations dispensées aux personnels encadrant des dispositifs d'accueil pour jeunes mineurs, comme le BAFA.

Elle rappelle l'importance essentielle de la médecine scolaire et la nécessité de renforcer ses moyens par le recrutement d'infirmier-ères et de médecins scolaires, sur l'ensemble du territoire.

Elle préconise une nouvelle rédaction des articles du code de l'éducation concernant l'éducation à la sexualité et l'« information consacrée à l'égalité entre les hommes et les femmes », de manière à faire en sorte que la dimension de l'égalité soit indissociable de l'éducation à la sexualité.

3. Pour améliorer l'accueil et la prise en charge des victimes de violences

Recommandation n° 4. - La délégation recommande que les subventions qui sont attribuées aux associations engagées dans la lutte contre les violences faites aux femmes fassent l'objet d'un effort spécifique, dans un cadre pluriannuel, pour leur permettre de faire face à l'intensification de leur activité liée au contexte de la libération de la parole.

Afin d'offrir des lieux d'accueil aux femmes victimes de violences sur tout le territoire, la délégation suggère que, lorsqu'il n'existe pas de structure associative dédiée à la lutte contre les violences, notamment en zone rurale, des référents agissant comme le relais des associations spécialisées soient identifiés et formés à l'accueil et à l'orientation des victimes.

Recommandation n° 5. - Afin de garantir à toutes les victimes de violences une prise en charge adaptée sur l'ensemble du territoire, y compris dans les postes diplomatiques et consulaires, condition essentielle du dépôt de leur plainte et d'un parcours judiciaire prenant en compte leurs souffrances, la délégation :

- propose que soit mis en place, dans les postes de police et de gendarmerie, un code dédié à ces violences, assurant l'orientation des victimes dans des conditions de discrétion et d'anonymat indispensables au respect de leur dignité. La délégation suggère le choix du code « 3919 », par référence au numéro national d'accueil des femmes victimes de violences ;

- réaffirme la nécessité de sensibiliser tous les professionnels susceptibles d'être en contact avec des femmes victimes de violences, y compris dans les postes diplomatiques et consulaires, à la difficulté de l'écoute de ces personnes. Elle demande que cette formation continue constitue une obligation pour ces personnels ;

- souhaite la mise à l'étude de l'extension, aux femmes victimes de violences, de pratiques qui ont fait leurs preuves à l'égard des enfants victimes : l'aménagement de salles dédiées, sur le modèle des salles « Mélanie », et la généralisation de la captation vidéo des auditions, afin d'épargner aux victimes la répétition du récit de leur agression à tous les intervenants de la chaîne judiciaire ;

- salue une pratique du parquet de Paris consistant à attacher un soin particulier à la première audition des victimes, afin de leur éviter la répétition de leur témoignage, quand cette épreuve peut leur être épargnée, et estime que cette formule pourrait constituer un modèle pour les autres parquets.

Recommandation n° 6. - Préoccupée des difficultés liées au recueil des preuves de violences sexuelles, qui contribuent à des sanctions insuffisantes, la délégation :

- est favorable à la généralisation, après expérimentation dans des territoires pilotes, du recueil des preuves indépendamment du dépôt de plainte par les victimes de violences sexuelles et au déploiement plus large d'un dispositif comparable à celui mis en place à la Cellule d'accueil d'urgence des victimes d'agressions (CAUVA) de Bordeaux ;

- soutient le projet de développement de la Mallette d'aide à l'accompagnement et à l'examen des victimes d'agressions sexuelles (MAEVAS), réalisée par la Gendarmerie nationale. Elle est favorable à son extension à la Police nationale, de façon à garantir un traitement égalitaire des victimes de violences sexuelles sur l'ensemble du territoire ;

- estime qu'un ensemble de recommandations regroupant les bonnes pratiques en matière d'accueil et d'accompagnement des femmes victimes de violences devrait être élaboré à destination de tous les professionnels de santé. Cette mission pourrait être confiée à la Haute Autorité de Santé (HAS) ou à la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF).

Recommandation n° 7. - La délégation suggère que soient systématiquement réalisés des examens médicaux sur les auteurs présumés de viol, de façon à ne pas infliger aux victimes des traitements préventifs particulièrement contraignants (VIH, hépatites...).

Recommandation n° 8. - Préoccupée par la nécessité de favoriser la reconstruction des victimes par un accompagnement psychologique adapté, la délégation :

- plaide pour une prise en charge à 100 % des soins psycho-traumatiques liés aux violences sexuelles, pour les victimes majeures, comme cela existe déjà pour les victimes de terrorisme et pour les mineurs victimes de violences sexuelles ;

- souhaite que l'annonce de la mise en place d'unités pilotes spécialisées dans le psycho-trauma, le 25 novembre 2017, soit rapidement suivie d'un déploiement concret, y compris dans les outre-mer.

Recommandation n° 9. - La délégation préconise la mise à l'étude de solutions pour assurer la protection globale des victimes de violences et de leur famille, du dépôt de plainte à son aboutissement judiciaire.

Recommandation n° 10. - La délégation recommande de renforcer l'information des victimes de violences sur les procédures de réparation financière, notamment en matière de harcèlement sexuel au travail, pour les aider à mieux faire valoir leur droit à une indemnisation au titre des préjudices qu'elles ont subis.

4. Pour garantir une répression pénale efficace et rigoureuse des violences faites aux femmes

Recommandation n° 11. - Consciente des épreuves particulières qui résultent pour les victimes d'un procès aux Assises et que les délais de jugement devant les tribunaux correctionnels présentent l'intérêt d'une plus grande rapidité, la délégation s'oppose néanmoins au principe même de la correctionnalisation, qui consiste à juger comme des délits des infractions qui constituent des crimes. Elle s'élève contre toute correctionnalisation « en opportunité », en lien avec le manque de moyens de la Justice et l'encombrement des cours d'assises.

Recommandation n° 12. - Soucieuse de favoriser la cohérence du traitement des violences sexuelles sur l'ensemble du territoire, la délégation préconise la mise à l'étude d'une spécialisation des magistrats et de la création de chambres spécialisées.

Recommandation n° 13. - La délégation propose d'introduire dans le code pénal une circonstance aggravante pour les agressions sexuelles ayant entraîné une incapacité totale de travail (ITT) supérieure à huit jours.

Recommandation n° 14. - Particulièrement alarmée par la diffusion de comportements qui conduisent à mettre en cause la présence des femmes dans l'espace public et par la multiplication de propos, comportements et attitudes qui portent atteinte à leur dignité, la délégation recommande, comme elle l'a fait en 2016 en conclusion d'un précédent rapport6(*), la création dans le code pénal d'un délit autonome d'agissement sexiste, assorti d'une circonstance aggravante lorsque la victime d'un tel agissement est une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public.

Recommandation n° 15. - Très préoccupée par l'ampleur et la gravité des violences faites aux femmes sur Internet et sur les réseaux sociaux, la délégation est favorable à une pénalisation des « raids numériques » qui s'attaquent plus particulièrement aux femmes et à ceux qui défendent leurs droits. Elle salue la proposition du Haut Conseil à l'Égalité (HCE) sur ce sujet et soutient l'article 3 du projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, qui vise à étendre la définition pénale du harcèlement aux « agissements concertés », afin de réprimer spécifiquement le harcèlement en ligne.

Recommandation n° 16. - Afin de renforcer la prévention du harcèlement sexiste et sexuel en ligne et la protection des victimes, la délégation :

- préconise la création d'une circonstance aggravante du délit de harcèlement sexuel, qui serait constituée lorsque les faits sont commis à l'aide d'un réseau de communication électronique ;

- souhaite inciter les réseaux sociaux à s'engager à renforcer la modération des contenus sexistes et à automatiser le repérage par algorithme et la suppression des contenus sexistes ;

- recommande que les plateformes soient contraintes de réagir aux signalements dans les plus brefs délais et de mettre en place une procédure d'urgence en cas d'attaque contre un(e) internaute ;

- est d'avis que le repérage du cyber-contrôle doit faire partie de la formation, tant initiale que continue, des personnels des services de police et de gendarmerie et des magistrats.

5. Pour une meilleure protection des plus jeunes victimes

Recommandation n° 17. - La délégation est favorable à l'allongement de dix ans des délais de prescription de l'action publique de certains délits et crimes sexuels commis à l'encontre des mineurs, qui permettra aux victimes de porter plainte jusqu'à l'âge de quarante-huit ans révolus.

Recommandation n° 18. - La délégation souhaite que la définition pénale du viol, dans le cas de victimes particulièrement jeunes, laisse le moins de prise possible à la subjectivité et qu'elle permette une réponse pénale cohérente sur l'ensemble du territoire.

Elle insiste aussi sur le fait que ce débat juridique doit être tranché indépendamment de tout jugement moral sur la sexualité des jeunes.

Elle est donc favorable à l'instauration d'un seul d'âge de treize ans dans le code pénal. Tout acte de pénétration sexuelle commis par un adulte sur un enfant de moins de treize ans relèverait ainsi des sanctions prévues en cas de viol, sans que les critères de violence, contrainte, menace ou surprise prévus par l'article 222-23 du code pénal soient pris en considération, et sans que puisse être évoquée la question du consentement de la victime.

Recommandation n° 19. - Convaincue que les victimes de crimes sexuels durant l'enfance ont un « droit imprescriptible » à être entendues, la délégation encourage la diffusion, au sein des parquets, de la pratique consistant à mener des enquêtes, même en cas de prescription.

Recommandation n° 20. - La délégation salue les mesures du 5ème plan de mobilisation et de lutte contre toutes les violences faites aux femmes qui concernent plus particulièrement les jeunes femmes de 18 à 25 ans.

Elle souhaite que les actions engagées à ce titre soient poursuivies et que soient renforcés la prévention et le traitement de cet aspect spécifique des violences faites aux femmes.

Elle est favorable à une modification du code pénal qui prévoirait une circonstance aggravante en cas de violences commises dans un couple dit « non-cohabitant », selon les préconisations judicieuses du Haut Conseil à l'Égalité (HCE).

6. Pour continuer le combat contre les violences intrafamiliales

Recommandation n° 21. - Doutant qu'un conjoint violent puisse être un bon parent, la délégation suggère la mise à l'étude d'une privation de l'autorité parentale qui viserait le parent condamné - père ou mère - pour violences intrafamiliales.

Recommandation n° 22. - La délégation met en garde contre les effets de la mise en place d'une résidence alternée systématique en cas de séparation des parents, qui remettrait en cause, dans les situations de violence intrafamiliale, la nécessaire protection des enfants et du conjoint. Elle appelle à la plus grande vigilance à l'égard d'initiatives législatives qui éluderaient toute référence à l'intérêt de l'enfant ou à une situation potentiellement dangereuse, en raison notamment de violences intrafamiliales, dans la définition des conditions de recours à la résidence alternée prévues par le code civil.

Recommandation n° 23. - Dans le souci de mieux protéger les victimes de violences intrafamiliales dans les situations de séparation, la délégation :

- plaide pour une évolution législative visant à exclure sans ambiguïté le recours à la médiation civile quand l'un des conjoints fait état de violences de la part de l'autre conjoint ;

- suggère la mise à l'étude d'une intervention du procureur de la République comme partie dans le procès civil aux affaires familiales (divorce...) en cas de violences intrafamiliales.

Recommandation n° 24. - La délégation approuve l'articulation du 5ème plan de mobilisation et de lutte contre toutes les violences faites aux femmes avec le premier plan interministériel de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux enfants.

Elle souhaite que le Parlement soit régulièrement informé de l'application et de l'évaluation des dispositifs que ces plans prévoient, ainsi que des intentions du Gouvernement en ce qui concerne les plans à venir à l'échéance de 2019.

Elle regrette à cet égard que le premier Plan d'action national contre la traite des êtres humains (2014-2016) n'ait pas été reconduit et actualisé pour la période 2017-2019.

Recommandation n° 25. - Dans un souci d'égalité territoriale, la délégation préconise un déploiement rapide, dans tous les outre-mer, du dispositif téléphone grave danger (TGD).

Recommandation n° 26. - La délégation rappelle l'utilité de l'ordonnance de protection (OP) pour la mise à l'abri des victimes de violences, notamment intrafamiliales. Elle souhaite que la volonté du législateur sur la rapidité de sa délivrance soit respectée, ce qui passe par des moyens budgétaires adaptés.

Comme elle l'a déjà fait dans le cadre d'un précédent rapport d'information7(*), elle préconise la généralisation de la convocation de l'ex-partenaire violent, qui conditionne la délivrance de l'ordonnance, par voie d'huissier plutôt que par lettre recommandée avec accusé de réception ; elle invite donc les parquets à privilégier cette modalité de convocation pour sécuriser et accélérer la procédure.

Recommandation n° 27. - En matière de mise à l'abri et d'hébergement des victimes de violences, la délégation recommande :

- d'accroître significativement, dans les outre-mer, l'offre d'hébergement pour les femmes victimes de violences, notamment dans les Centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) et dans les établissements accueillant des femmes avec enfants ;

- de mettre en oeuvre, en matière d'hébergement d'urgence, des partenariats entre l'État, les bailleurs sociaux, les collectivités locales et les associations spécialisées, pour faciliter la connaissance de l'offre de logements disponibles et favoriser le relogement pérenne des femmes victimes de violences et de leurs enfants.

Convaincue de la nécessité de prévoir des hébergements adaptés aux femmes victimes de violences pour une prise en charge efficace et une meilleure protection de ces personnes, notamment des femmes migrantes, la délégation plaide en faveur du maintien d'une spécialisation des CHRS et d'une offre d'hébergement non-mixte sur l'ensemble du territoire.

Recommandation n° 28. - La délégation souhaite le lancement d'une campagne d'information et de sensibilisation sur le viol conjugal, pour faire prendre conscience du fait que les relations sexuelles non-consenties entre conjoints sont un crime.

7. Pour renforcer la lutte contre le harcèlement sexuel au travail

Recommandation n° 29. - La délégation attire l'attention sur les risques d'affaiblissement de la prévention et de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles au travail et d'un accompagnement dégradé des victimes, qui pourraient résulter de la fusion des institutions représentatives du personnel (IRP) au sein du nouveau comité social et économique (CSE) prévu par les « ordonnances travail »8(*). Elle souhaite qu'une vigilance particulière accompagne la mise en place de ces nouvelles instances.

Recommandation n° 30. - Afin d'informer et de sensibiliser le plus grand nombre de salariés sur les enjeux du harcèlement et des violences sexuelles au travail, la délégation préconise une large diffusion du kit Agir contre le sexisme : trois outils pour le monde du travail, élaboré par le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP).

Elle propose par ailleurs d'étendre la diffusion des Fiches pratiques à conduire dans les situations de harcèlement sexuel au sein de la fonction publique aux services des ressources humaines des entreprises privées et aux organisations syndicales, en les adaptant à l'environnement de travail des entreprises.

Recommandation n° 31. - La délégation souhaite saluer le travail précurseur mené par le ministère des Armées à travers la création, dès 2014, de la cellule Thémis, dédiée au signalement des violences et à l'accompagnement des victimes.

Elle estime que ce dispositif pourrait inspirer d'autres structures, privées ou publiques, souhaitant mettre en place un accompagnement complet des victimes de harcèlement ou de violences dans le cadre professionnel.

Recommandation n° 32. - La délégation rappelle l'importance du rôle de l'Inspection du travail dans la prévention et la lutte contre les violences sexistes et sexuelles au travail. Elle souhaite que ses effectifs soient renforcés de façon à garantir une égalité territoriale en ce domaine.

Recommandation n° 33. - La délégation souhaite que soit portée à douze mois de salaire le montant de l'indemnité plancher pour toute personne licenciée après avoir été victime de harcèlement.

Recommandation n° 34. - La délégation suggère :

- que le règlement intérieur des entreprises comporte des dispositions précises en matière de prévention et de répression des comportements menaçant l'égalité femmes-hommes ;

- qu'il soit remis en main propre à toute personne recrutée, contre remise d'une décharge qui engagerait le nouveau salarié à se conformer à ces exigences.

Recommandation n° 35. - Comme l'a suggéré le Défenseur des Droits, la délégation propose, pour faciliter l'établissement de la preuve dans les affaires de harcèlement sexuel au travail, qu'il soit procédé à une étude de la possibilité de tenir compte, devant les juridictions civiles, d'enregistrements audio réalisés à l'insu de l'auteur présumé des faits, à l'instar de ce qui se fait déjà devant les juridictions pénales.

Recommandation n° 36. - La délégation préconise de modifier l'article L. 1131-2 du code du travail9(*) pour étendre la formation obligatoire à la non-discrimination, destinée aux employés chargés des missions de recrutement, aux violences sexistes et sexuelles.

Elle suggère aussi la mise à l'étude d'une extension de ces obligations de formation prévues par l'article L. 1131-2 du code du travail dans les entreprises de 300 salariés et plus, aux entreprises de moins de 300 salariés.

Audition de Mme Danielle Bousquet, présidente du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - Mes chères collègues, après notre première réunion de la journée, qui nous a permis d'adopter à l'unanimité notre rapport d'information sur les violences faites aux femmes, nous avons le plaisir d'accueillir ce soir Danielle Bousquet, présidente du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE), dans le cadre de nos travaux sur le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Je n'ai pas besoin de vous présenter Danielle Bousquet, dont vous connaissez tout l'engagement et l'implication en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes. Elle est accompagnée de Claire Guiraud, secrétaire générale du Haut conseil à l'égalité.

Chère Danielle Bousquet, je voudrais simplement vous dire que les travaux du HCE constituent toujours pour nous une source d'information et d'inspiration, tant par la qualité et la justesse de leur analyse que par la pertinence de leurs recommandations. Vos rapports sont pour nous des documents de référence.

Plus particulièrement, le HCE peut s'enorgueillir d'avoir été un lanceur d'alerte sur de nombreux sujets. Votre avis sur le viol a ainsi identifié, dès 2016, la problématique de l'insuffisante condamnation des violences sexuelles, et notamment des agressions ou des viols commis sur des mineurs, bien avant l'émotion suscitée par des affaires récentes. Il a également proposé d'instaurer une présomption de non-consentement d'un mineur de treize ans à un acte sexuel avec une personne majeure.

De même, votre rapport sur les violences faites aux femmes en ligne formule des propositions stimulantes, à commencer par la pénalisation des raids numériques. Certaines de vos recommandations ont d'ailleurs été reprises par le Gouvernement ou par l'Assemblée nationale dans le cadre du projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.

Néanmoins, vous avez communiqué sur les insuffisances du texte issu des débats qui se sont tenus à l'Assemblée nationale.

Nous comptons donc sur vous pour nous faire part de vos suggestions. Nous avons conscience des fortes attentes des associations sur le projet de loi du Gouvernement. Notre objectif vise à améliorer le texte au cours de son examen au Sénat afin d'aboutir à la solution la plus protectrice pour les victimes.

Madame la présidente, chère Danielle, je vous remercie chaleureusement de votre présence ce soir et vous donne sans plus tarder la parole.

Mme Danielle Bousquet, présidente du HCE. - Merci, madame la Présidente.

Je suis ravie que vous ayez invité le HCE à s'exprimer ce soir. En effet, nous attendons beaucoup de l'examen de ce projet de loi au Sénat. Ce texte compliqué, qui a suscité de fortes attentes et dont nous pensions qu'il ne poserait aucun problème, ne propose pas une formulation qui soit satisfaisante pour tous malgré notre objectif commun de mieux protéger les jeunes des agressions sexuelles des adultes. C'est pourquoi le bilan que nous en avons dressé à l'issue des débats à l'Assemblée nationale est « en demi-teinte ».

Au préalable, j'aimerais rappeler que nous sommes convaincus qu'un texte de loi ne pourra pas, à lui seul, régler la question des viols, des atteintes et des agressions sexuelles commises par des adultes sur des jeunes. Nous pensons par conséquent qu'il convient d'y ajouter des politiques publiques globales contre les violences, qui soient articulées autour de plusieurs piliers tels que la prévention des violences, la condamnation des agresseurs et bien entendu la protection des victimes.

Nous invitons donc les parlementaires à ajouter au début de ce texte un nouvel article pour indiquer la démarche, les concepts et les principes directeurs qui doivent sous-tendre la politique publique de lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Il convient ainsi d'affirmer la responsabilité de l'État et des collectivités territoriales dans cette lutte et de définir la philosophie de cette action. Ensuite, nous proposons de décliner les trois piliers majeurs que je viens de décrire.

Il sera également utile de rappeler les différentes formes que peuvent prendre les violences sexuelles et sexistes en évoquant la dimension essentielle que constitue la lutte contre la prostitution, deux ans après l'adoption de la loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées10(*).

En outre, nous pensons qu'il est indispensable d'ajouter au paragraphe concernant l'évaluation de la loi les moyens humains et financiers qui seront mis à disposition pour sa mise en oeuvre.

Nous souhaitons tout d'abord renforcer les éléments constitutifs des violences sexuelles en reprécisant le contenu des quatre critères du viol, à savoir la contrainte, la violence, la menace et la surprise. En effet, il est nécessaire de préciser ce dont il est question et de redire que la victime se trouve en état de vulnérabilité. Le texte du projet de loi n'évoque aucun de ces aspects pour le moment.

Par ailleurs, les femmes qui ont été victimes de violences sexistes et sexuelles en particulier doivent voir leurs soins psychologiques et psychiatriques complètement pris en charge par l'État. Ces femmes nous disent en effet à quel point elles se sentent « démolies » par les violences qu'elles ont subies. Il me paraît donc logique que la Sécurité sociale prenne en charge les soins dont elles ont besoin, ce qui implique de modifier un article du code de la Sécurité sociale.

Je vous livre à présent nos analyses et nos recommandations sur le texte lui-même.

Tout d'abord, nous avons été les premiers à recommander l'instauration d'un seuil d'âge de non-consentement. Ensuite, nous préconisons l'allongement des délais de prescription à trente ans pour les viols commis sur les mineurs. Par ailleurs, nous recommandons la condamnation des raids numériques, c'est-à-dire du harcèlement concerté par plusieurs agresseurs contre une même victime, et de renforcer la sanction du harcèlement sexiste dans l'espace public.

Comme je l'ai rappelé, nous avons dressé un bilan « en demi-teinte » du texte adopté à l'Assemblée nationale. Un certain nombre de mesures qui figurent dans la loi permettront, certes, de renforcer la lutte contre les violences. Cependant, deux articles nous posent de nombreux problèmes. L'article 2, relatif au seuil d'âge, fait d'ailleurs l'objet de controverses. Nous sommes défavorables à la rédaction de l'article tel qu'il est formulé aujourd'hui, et ce pour plusieurs raisons.

En premier lieu, le texte établit un seuil d'âge de non-consentement à quinze ans. Or notre proposition fixait ce seuil à treize ans. Ce choix nous a été inspiré par les avis d'experts membres du HCE et les pratiques existant dans d'autres pays. Par ailleurs, nous souhaitons éviter que le débat législatif soit affecté par des conceptions morales.

Aujourd'hui, il est possible d'imaginer qu'une jeune fille de quatorze ou quinze ans ait des rapports sexuels consentis avec son petit ami qui est en terminale et qui a dix-huit ans. Si nous affirmons d'emblée qu'il s'agit d'un viol, nous posons une sanction morale sur des actes sexuels librement consentis entre des jeunes. Une telle position nous semble totalement inadaptée. Le seuil de treize ans s'avère pour sa part moins arbitraire. En effet, aucun enfant de huit, dix ou douze ans ne peut choisir en toute connaissance de cause de vouloir avoir un rapport sexuel avec un adulte. Nous maintenons donc notre proposition de fixer le seuil de non-consentement à treize ans.

En second lieu, l'objectif de protéger les mineurs contre des infractions sexuelles en fixant un interdit clair à l'intention des adultes n'est absolument pas atteint en l'état actuel de la rédaction du texte. En effet, le texte ne reconnaît pas que toute pénétration sexuelle par un adulte sur un enfant est un viol. Si tel était le cas, on n'aurait pas besoin de cette « session de rattrapage » qu'est l'atteinte sexuelle avec pénétration sur mineur de quinze ans, dont on a élevé la sanction à dix ans d'emprisonnement. De plus, le fait que le consentement ait été introduit dans l'article du code pénal sur la contrainte morale, avec la référence au « discernement [du mineur de quinze ans] nécessaire pour consentir à ces actes », déplace le curseur du comportement de l'adulte vers celui de la victime, qui doit prouver son absence de consentement. Par conséquent, le texte n'atteint pas son objectif.

En troisième lieu, nous identifions un risque majeur de déqualification des viols et agressions sexuelles en atteintes sexuelles sur mineurs de quinze ans. En effet, dans le cas où les éléments constitutifs de viol seraient difficiles à établir, nous observons une tendance naturelle des juges à aller vers la qualification d'atteinte sexuelle, qui sera accentuée puisque la sanction de cette dernière a été renforcée. Cette réponse pourrait être satisfaisante pour les juges. Or, du point de vue de la victime, nous savons qu'il y a une grande différence entre être reconnue victime d'un viol ou d'un délit tel que l'atteinte sexuelle.

Nous avons écouté attentivement les débats. Nous reprenons donc nos propositions en toute connaissance de cause. L'âge de treize ans doit selon nous être reconnu comme un âge charnière. En outre, la nécessaire intentionnalité criminelle d'un adulte qui commet une pénétration sexuelle sur un enfant de moins de treize ans doit être reconnue. Il s'agit dans ce cas d'un viol, qui doit donc être puni de vingt ans de prison. Nous devons également reconnaître la nécessaire intentionnalité délictuelle d'un adulte qui commet une atteinte sexuelle sur un enfant de moins de treize ans et affirmer qu'il s'agit d'une agression sexuelle. Cela nous conduira à adapter en conséquence le régime des circonstances aggravantes et le régime de l'atteinte sexuelle.

Ces éléments permettent de répondre à l'ensemble des arguments qui ont été mobilisés dans les débats, et en particulier au Conseil d'État. Tout d'abord, cette philosophie ne contrevient pas aux principes de la légalité, puisque nous proposons de modifier l'article 222-24 du code pénal, qui prévoit aujourd'hui que la minorité de quinze ans est une circonstance aggravante. Nous le modifions en disant que la tranche d'âge de treize à quinze ans constitue une circonstance aggravante.

Notre deuxième argument consiste à dire qu'une telle conception ne transgresse pas le principe de nécessité et de proportionnalité des peines. En effet, en fixant le seuil de non-consentement à treize ans, l'écart d'âge entre la victime et l'agresseur s'avère suffisant.

Notre troisième argument garantit que nous ne portons pas atteinte au principe d'égalité devant la loi pénale puisque des peines distinctes correspondent aux infractions distinctes que sont le viol sur mineur de moins de treize ans et l'agression sexuelle sur mineur de treize à quinze ans.

Notre quatrième argument permet, grâce à cette conception que nous portons, de caractériser l'élément intentionnel de l'infraction exigé par la loi. La loi dit que « s'agissant des crimes et délits, la culpabilité ne saurait résulter de la seule imputabilité matérielle d'actes pénalement sanctionnés », ce que le Conseil d'État a confirmé.

Nous pensons par conséquent que la question de l'intentionnalité de l'infraction reste aujourd'hui au coeur du problème. L'article 121-3 du Code pénal indique « Il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre ». La culpabilité ne saurait donc résulter du fait que les événements se sont simplement déroulés. Il est inimaginable que des pénétrations puissent survenir de manière involontaire, comme il existe des homicides involontaires ! Nous savons que le viol n'est jamais un malentendu, il ne survient jamais par hasard. Il est l'aboutissement d'une stratégie mise en oeuvre par un agresseur qui choisit sa victime, l'isole, la viole, inverse la responsabilité et lui impose le silence. Cette loi du silence offre une impunité au violeur. Nous tenons donc à réaffirmer qu'un viol n'est jamais un accident ni le fruit du hasard.

J'aimerais également revenir sur la façon dont l'Angleterre a répondu à ces questions il y a une dizaine d'années. L'infraction de viol sur mineur de treize ans y existe depuis 2003, avec une présomption irréfragable de culpabilité. L'infraction est constituée si l'on « pénètre intentionnellement le vagin, la bouche ou l'anus d'une autre personne et si cette autre personne a moins de treize ans. » Cette infraction est punie de l'emprisonnement à vie. La question s'est posée en 2008 quand un mineur de quinze ans condamné pour un viol sur un mineur de treize ans a fait appel à la Chambre des Lords, au motif que cette présomption irréfragable violait selon lui son droit à un procès équitable. Il invoquait l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui stipule que toute personne qui est accusée d'une infraction est présumée innocente. Les juges ont conclu que l'infraction, telle qu'elle était définie, ne remettait pas en cause les droits de la défense, puisque l'élément intentionnel du viol sur mineur de treize ans était le fait « d'utiliser son pénis intentionnellement pour pénétrer l'orifice concerné ». Nous voyons bien par cet exemple que la réponse des juges se fonde sur l'intentionnalité de l'acte. De ce fait, une telle présomption de culpabilité ne mettait pas à mal le procès de ce jeune garçon.

Par conséquent, nous proposons de modifier le code pénal en adéquation avec ces propos en créant deux nouvelles infractions de viol et d'agression sexuelle sur mineur de treize ans.

Nous ajoutons tout d'abord un alinéa à l'article 222-23 du code pénal relatif au viol, qui dirait que « Le fait par un majeur d'exercer volontairement tout acte de pénétration sexuelle sur la personne d'un mineur de treize ans est également un viol et est puni de vingt ans de réclusion criminelle ».

En outre, nous proposons de modifier l'article 222-22 du code pénal qui définit le viol et les autres agressions sexuelles en y insérant un alinéa ainsi rédigé : « Le fait par un majeur de commettre volontairement une atteinte sexuelle sur la personne d'un mineur de treize ans est également une agression sexuelle ».

Ces deux propositions permettent de répondre ainsi à l'objectif, initialement posé par la secrétaire d'État à l'Égalité entre les femmes et les hommes, de protéger les enfants et de responsabiliser les adultes. Cette formulation est claire sur le fait que ce sont les adultes, les agresseurs. Le texte porte sur l'auteur des faits et non plus sur la victime.

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - Je vous remercie pour cette présentation. Il me semble que l'article 2 mobilise tout particulièrement les sénateurs et les sénatrices. Je propose que nous nous concentrions sur ce point en particulier et sur les propositions du HCE en la matière. En effet, un certain consensus existe au Sénat sur les articles 1 et 3.

Mme Danielle Bousquet. - J'aimerais ajouter quelque chose sur l'article 4, qui peut causer des problèmes s'il n'est pas rectifié. Si la terminologie d'outrage sexiste conserve sa rédaction actuelle, qui ne prévoit pas les circonstances où cela peut arriver, une concurrence sera créée dans le cas du milieu du travail entre l'outrage sexiste et l'agissement sexiste.

Mme Marta de Cidrac. - Suggérez-vous de remplacer « outrage sexiste » par « agissement sexiste » ?

Mme Danielle Bousquet. - En effet, car le terme d'agissement sexiste existe déjà. L'outrage fait aujourd'hui référence au respect de quelque chose. Or les femmes demandent simplement à agir comme elles le souhaitent dans l'espace public. La formulation d'outrage sexiste nous paraît donc inappropriée. Nous souhaitons la remplacer par l'agissement sexiste.

Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure. - Il faut à la fois changer le mot et rajouter la mention « dans l'espace public. »

Mme Danielle Bousquet. - En effet, la loi n'est pas suffisamment précise sur ce point. En outre, nous souhaitons que l'agissement sexiste soit puni par une contravention de 5ème classe. Jusqu'à présent, les contraventions de 4ème classe ne s'adressent qu'à des atteintes sur des biens. Or nous parlons dans ce cas d'êtres humains. Pour comparaison, l'abandon de déchets sur la voie publique est puni d'une contravention de 4ème classe.

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - Il me paraît important que chacune des sénatrices présentes puisse vous interroger ou préciser certains des points que nous venons d'entendre. Hier soir, nous avons auditionné la secrétaire d'État à l'Égalité entre les femmes et les hommes et la garde des Sceaux sur ce projet de loi. Lors de ces discussions, l'avis du Conseil d'État et l'inconstitutionnalité nous ont été régulièrement opposés. En outre, certains affirment que l'âge de treize ans ne permettrait pas de protéger la tranche d'âge comprise entre treize et quinze ans.

Mme Danielle Bousquet. - La formulation que nous proposons établit clairement que la circonstance aggravante sera retenue entre treize et quinze ans. Cela met fin à cette prétendue « zone blanche », pour autant qu'elle ait jamais existé...

Mme Laure Darcos, co-rapporteure. - Je me demande pour ma part si le renvoi au terme de crime, plutôt qu'à celui de viol, ne serait pas pertinent d'agissant de victimes très jeunes. Nous parlons de cas jugés aux assises et relevant des peines pour viol aggravé, à hauteur de vingt ans de prison.

Mme Danielle Bousquet. - Le viol est assurément un crime...

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - Cette intervention me paraît intéressante. En effet, nous imaginions proposer que toute relation sexuelle avec pénétration entre un adulte et un enfant de treize ans serait un crime spécifique. L'avantage de cette proposition résiderait dans le fait que les critères constitutifs du viol, à savoir la menace, la violence, la contrainte et la surprise n'entreraient pas en ligne de compte.

Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure. - Pour expliciter la question qui vient d'être posée, j'aimerais rappeler tout d'abord que nous cherchons toutes ici à atteindre les mêmes objectifs. Il nous revient cependant de trouver la formulation juridique qui convaincra le Gouvernement. Parallèlement à la proposition du HCE, une autre option juridique consisterait à éviter de rester dans la logique de la menace, violence, contrainte et surprise. En outre, une nouvelle infraction criminelle serait créée, qui concernerait tout acte de pénétration d'une personne majeure sur un mineur de moins de treize ans, et qui serait punie d'une peine de vingt ans de réclusion. Il s'agit donc d'un crime spécifique.

Mme Laure Darcos, co-rapporteure. - Il s'agirait d'une manière de répondre, entre autres objectifs, à la correctionnalisation de ce genre d'affaires.

Mme Danielle Bousquet. - Je n'ai pas d'avis précis sur ce point. L'essentiel, à mes yeux, consiste à interroger le comportement de l'adulte et non celui de l'enfant. Le viol est un crime. Certes, tous les crimes ne sont pas des viols. D'un point de vue juridique, j'ignore ce qu'entraînerait la disparition du mot viol dans cette disposition législative.

Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure. - Il s'agirait toujours d'un crime.

Mme Dominique Vérien. - Notre proposition vise à sortir de la définition du viol, qui implique que quatre critères soient réunis, et à créer un nouveau crime qui punirait toute relation sexuelle entre un adulte et un mineur de moins de treize ans.

Mme Danielle Bousquet. - Avez-vous fait expertiser juridiquement cette proposition ?

Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure. - Des magistrats y sont en effet favorables. Selon moi, il ne s'agit pas d'une présomption irréfragable, dans la mesure où le législateur conserve la capacité d'énoncer une infraction pénale, qu'elle soit délictuelle ou criminelle. Une fois qu'il a désigné un nouveau crime qui s'identifie par la commission des faits, alors les seuls faits compteront.

Mme Danielle Bousquet. - Ainsi que l'intentionnalité.

Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure. - Absolument. Par conséquent, la défense pourra toujours faire valoir que l'auteur ignorait l'âge de la victime ou qu'il ne pouvait être que trompé. Or si l'auteur a été trompé sur l'âge de la victime, l'infraction ne sera pas constituée, puisque l'intention relative à l'âge de la victime n'existera pas. Toutefois, j'estime que la question de la présomption irréfragable constitue un piège dont nous devons sortir. De plus, le Conseil constitutionnel n'a, par définition, pas formulé d'avis sur ce sujet. Pourtant tout le monde s'exprime en son nom. Par conséquent, nous pouvons proposer plusieurs rédactions. Nous avons d'ailleurs interrogé la garde des Sceaux sur ce point : elle ne m'a pas paru vraiment trancher sur la question de l'inconstitutionnalité supposée d'une telle mesure.

Mme Danielle Bousquet. - Je m'étonne du fait que Nicole Belloubet se soit montrée initialement favorable au seuil de treize ans et qu'elle ait changé d'avis. Pourtant, elle est juriste, elle vient du Conseil constitutionnel.

Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure. - Une fois que l'arbitrage a été rendu au niveau du Gouvernement, il est difficile de s'y opposer.

Mme Danielle Bousquet. - La solution que vous préconisez, à savoir de contourner ce problème en n'utilisant pas le mot viol, me paraît regrettable d'un certain point de vue, car j'estime qu'il est important pour les victimes d'être reconnues comme victimes d'un viol.

Mme Dominique Vérien. - La notion de crime comporte une valeur forte ; il faut rappeler que le viol est un crime.

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - En effet, le crime implique une valeur non seulement plus générale, mais également plus violente. Il est associé à la mort.

Mme Marta de Cidrac. - Je trouve pour ma part que le terme de viol renvoie clairement à des images très violentes. Dans la mesure où nous sommes dans le cadre d'une loi sur l'égalité entre les femmes et les hommes, il me paraît important. Toutefois, les crimes peuvent concerner des actes très variés ; quant à la définition du viol, elle est claire pour tout le monde. En réalité, des avantages et des inconvénients existent dans les deux cas de figure. Il convient de choisir la solution qui correspond le mieux à l'objectif que nous poursuivons.

Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure. - Étant donné que le viol a une définition pénale spécifique, le fait de citer le viol fait référence à la définition pénale du viol.

Mme Marta de Cidrac. - Je ne suis pas juriste, mais je m'interroge sur une éventuelle possibilité de redéfinir le viol.

Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure. - Cela me semble difficile en cette occurrence.

Mme Dominique Vérien. - Notre objectif est que la victime n'ait pas besoin de prouver l'une des quatre conditions constitutives du viol. Cela implique de sortir de cette logique.

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - Lorsque nous parlons de crime pour des relations entre un adulte et un mineur de moins de treize ans, l'impact est fort. Encore une fois, cette formulation a l'avantage de ne pas se référer aux éléments constitutifs du viol. Selon moi, la loi pénale sert avant tout à faire juger les auteurs.

Mme Danielle Bousquet. - Je comprends bien que vous essayez de trouver une stratégie qui fasse aboutir cette démarche. Je me demande pourtant si le résultat serait conforme à votre objectif. Ne risquons-nous pas, en prenant une tangente qui soit moins explicite, d'occulter justement le mot de viol ? L'utilisation ultérieure que certains pourraient faire d'un tel texte me pose problème.

Mme Laurence Rossignol, co-rapporteur. - Aucun d'entre nous n'est sûr d'avoir raison sur le sujet.

Pour ma part, je ne suis pas insensible au fait de désigner par une incrimination spécifique et nouvelle un crime de violence sexuelle sur enfant. Il ne s'agit pas simplement d'une extension du viol, mais d'un crime en soi.

Mme Danielle Bousquet. - En effet, je perçois la nuance.

Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure. - Ce crime serait commis par définition sous contrainte morale, même si ce point ne fait pas l'unanimité.

Mme Martine Filleul. - Je trouve qu'il est toujours très percutant d'évoquer ce qui existe ailleurs dans le monde. Vous avez évoqué l'Angleterre comme élément de comparaison. Disposez-vous d'exemples d'autres pays qui ont travaillé sur le sujet et légiféré en ce sens ?

Mme Danielle Bousquet. - Tous les pays européens ont légiféré sur le sujet. Les seuils d'âge fixés s'étendent de douze à seize ans. En général, ce seuil est fixé en dessous de quinze ans.

Mme Martine Filleul. - Cette donnée est très intéressante.

Mme Danielle Bousquet. - Je vous invite à consulter nos rapports. Ces informations y figurent.

Mme Marta de Cidrac. - J'aimerais revenir sur la question de la terminologie. Selon les passages de l'étude d'impact du projet de loi relatifs aux sanctions, il existe une gradation réelle entre le viol, l'agression sexuelle et l'atteinte sexuelle.

Si le terme de viol n'est pas utilisé, les faits ne relèveraient-ils pas d'une autre nature ? Ce point suscite mon inquiétude. Ne nous éloignons-nous pas de notre objectif ? À titre personnel, je ne suis pas certaine qu'il ne faudrait pas maintenir le terme de viol, y compris avec ses quatre critères qui permettent tout de même de qualifier très clairement ce crime. Autrement, nous rentrons dans une définition trop générale.

Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure. - Pour ma part, j'aime l'idée que le texte renvoie à un crime sur enfant, protégé par la Convention internationale sur les droits de l'enfant.

Mme Marta de Cidrac. - Nous pourrions insérer la formulation de « viol sur enfant ».

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - Il est important que nous échangions autant que possible sur ces différents points. Aujourd'hui, un consensus se dégage globalement au sein de la délégation autour de l'idée d'instaurer un seuil de treize ans en matière de non-consentement. Cependant, il n'existe évidemment pas de consensus au Sénat sur ce sujet.

Mme Danielle Bousquet. - J'aimerais rappeler que nul ne peut imaginer qu'un adulte qui pénètre sexuellement un enfant puisse le faire sans intention de le faire. Dans ce sens-là, il s'agit d'un viol. Selon moi, il faut le dire aussi simplement que cela.

Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure. - Je vous rappelle que les arguments qui nous sont opposés affirment que certes le pénis est arrivé malencontreusement dans l'un des orifices d'un enfant, mais que l'auteur ne savait pas qu'il s'agissait d'un enfant. La question de l'intention ne porte pas sur le fait d'avoir pénétré, mais sur le fait d'avoir pénétré un mineur. En outre, nous entendons fréquemment parler de « Lolitas » ayant eu un comportement prétendument aguichant : l'intentionnalité réside en réalité sur la connaissance de l'âge de la victime.

Mme Marta de Cidrac. - Je pense également que nous devons envoyer un message clair, pour dire à tout homme qui aurait un doute sur ce point que c'est à lui qu'il incombe de faire preuve de discernement, et non à la jeune fille. Il convient de renvoyer la responsabilité vers le prédateur potentiel. Il me paraît trop facile de faire porter la responsabilité de tels actes à ces soi-disant « Lolitas ». C'est l'adulte qui doit faire preuve de discernement.

Mme Danielle Bousquet. - En effet, il faut s'adresser à l'agresseur. Peu importe le comportement de ces jeunes filles, elles restent des enfants. Un adulte doit avoir le discernement de savoir qu'il fait face à un enfant.

Mme Marta de Cidrac. - En effet, même si l'adulte trouve le comportement de la petite fille « aguichant », et même s'il évalue son âge à seize ans plutôt que treize ans ou moins, c'est à lui de contrôler ses pulsions.

Mme Danielle Bousquet. - Vous avez raison, c'est important de le rappeler.

Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure. - Nous évoquons le cas des petites filles. Je serai curieuse de savoir si le même raisonnement concernant les « Lolitas » s'applique aux petits garçons.

Mme Marta de Cidrac. - Cette remarque nous renvoie à un terrible constat, celui de « l'ordre des choses ». Selon les représentations communes, ne considère-t-on pas, finalement, qu'une petite fille sera de toute façon pénétrée un jour dans sa vie - vous me pardonnerez cette expression brutale ? Cette approche, qui conduit à considérer que « ce n'est pas si grave », ou que « c'est dans l'ordre des choses », n'est pas valable pour les petits garçons. On entend parfois de tels discours... Je pense donc que nous devons porter une approche différente concernant les petits garçons et les petites filles.

Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure. - Nous pourrions défendre devant le Conseil constitutionnel que tout acte de pénétration commis intentionnellement par une personne majeure sur un mineur de treize ans est un crime de violence sexuelle sur enfant, puni d'une peine d'emprisonnement de vingt ans. De plus, nous pourrions imaginer que l'intentionnalité, comme facteur commun, porte de la même manière sur la pénétration et sur l'âge du jeune. Il y avait intention d'avoir une relation sexuelle et intention de l'avoir avec un jeune mineur.

Mme Danielle Bousquet. - La rédaction du texte anglais est très explicite sur la définition du crime de violence sexuelle sur mineur. Je me demande si une telle formulation serait concevable dans le droit français.

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - En effet, la formulation retenue en Angleterre est claire. Toutefois, je ne suis pas persuadée que nous ayons les mêmes repères.

Mme Dominique Vérien. - Une telle formulation permet néanmoins de mettre les auteurs face à leur responsabilité d'une manière plus efficace.

Mme Marta de Cidrac. - Je reviens à l'amendement proposé par le HCE, et qui établit que « le fait, par un majeur d'exercer tout acte de pénétration sexuelle sur la personne d'un mineur de treize ans est également un viol et est puni de vingt ans de réclusion criminelle. » Finalement, cette formulation pourrait répondre à nos questionnements. En effet, si cet acte est considéré comme un viol, les quatre qualificatifs sont de fait inclus dans le terme de viol.

Mme Danielle Bousquet. - Nous l'avons formulé ainsi pour cette raison.

Mme Marta de Cidrac. - Votre amendement répond alors à nos interrogations. Votre rédaction précise qu'il s'agit d'un viol « dès lors » qu'un adulte agresse un enfant par pénétration. Par conséquent, il n'est pas nécessaire de prouver les quatre éléments constitutifs du viol. Que pensez-vous de cette façon de présenter les faits ?

Mme Danielle Bousquet. - Nous précisons bien que la pénétration a été faite sur un mineur de treize ans.

Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure. - Il me semble que, dans le code pénal, le montant de la peine qualifie le niveau de l'infraction. Si la peine est de vingt ans, alors il s'agit d'un crime.

En réalité, toutes les rédactions me conviennent si nous parvenons à faire évoluer le Gouvernement. En effet, il n'est pas nécessaire de passer par une autre qualification criminelle. Nous pouvons partir du montant de la peine.

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - Ne devrions-nous pas éviter de proposer un trop grand nombre de rédactions différentes, afin de ne pas perdre en compréhension ?

Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure. - Nous pourrions proposer deux rédactions différentes aux ministres concernées.

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - Je vous remercie toutes, madame la présidente et mesdames les sénatrices, pour ce temps d'échange.

Mme Victoire Jasmin. - J'aimerais simplement présenter mes excuses pour mon retard et remercier Danielle Bousquet pour son intervention.

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - Il est important que nous communiquions durant les prochains jours sur toutes ces questions. Il s'agit d'un sujet difficile, sur lequel nous poursuivons un objectif commun. Selon moi, nous devons proposer l'instauration d'un seuil d'âge de non-consentement, a fortiori parce que d'autres pays européens prévoient de telles mesures. Merci encore, madame la présidente, madame la secrétaire générale, pour votre disponibilité et pour toutes ces précisions.

Jeudi 14 juin 2018

- Présidence de Mme Annick Billon, présidente -

Examen du rapport d'information et des propositions de recommandations sur projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - Mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd'hui pour adopter le rapport d'information de la délégation sur le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Il est assorti de vingt-deux recommandations, précédées de quelques constats d'ensemble.

Je rappelle que nous avons été officiellement saisis par la commission des lois et que ce texte sera examiné par la commission des lois la semaine prochaine, puis en séance les 4 et 5 juillet, en principe.

Je vous invite à être vigilants sur les délais limite en matière de dépôt d'amendement, si vous souhaitez tirer les conséquences de certaines de nos recommandations par des amendements qui seront présentés, je le rappelle, à titre individuel, le cas échéant co-signés.

Je rappelle aussi que nous sommes une équipe de six co-rapporteures, reflétant la diversité politique de notre assemblée. Nous avons voulu être plus forts, par ce consensus, pour porter les demandes de la délégation. La même démarche a guidé l'élaboration du rapport d'information que nous avons adopté mardi, Prévenir et combattre les violences faites aux femmes : un enjeu de société.

Nous allons passer sans plus tarder aux interventions des co-rapporteures. Noëlle Rauscent étant excusée, je vais prononcer en premier lieu son intervention en son nom.

« Mes chers collègues, dans cette présentation à six voix, il me revient de vous présenter les objectifs et les dispositions contenues dans le projet de loi initial, tel qu'il a été adopté en conseil des ministres et déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale. Il comporte cinq articles répartis en quatre titres :

- les articles 1er et 2 (titre I) concernent le renforcement de la protection des mineurs contre les violences sexuelles ;

- l'article 3 (titre II) adapte la définition du délit de harcèlement au contexte spécifique du cyber-harcèlement ;

- l'article 4 (titre III) crée un délit d'« outrage sexiste » ;

- enfin, l'article 5 (titre IV) porte sur l'application de ces dispositions aux Outre-mer.

Je vais donc présenter plus en détail les articles 1er à 4 du projet de loi.

L'article 1er vise la prescription des crimes de nature sexuelle ou violente sur mineurs : il prévoit que l'action publique de ces crimes se prescrit par trente ans (au lieu de vingt) à compter de la majorité des victimes. L'âge maximal d'engagement de l'action publique dans ces situations passerait donc de trente-huit ans à quarante-huit ans révolus. Cette disposition consensuelle est cohérente avec les conclusions de notre rapport sur les violences. La recommandation n° 6 préconise son maintien.

L'article 2 tire les conséquences du débat suscité par des décisions de justice récentes mettant en cause le consentement supposé d'un mineur à une atteinte sexuelle commise par un majeur. Il prévoit :

- de compléter l'article 222-22-1 du code pénal sur la « contrainte morale » exercée en cas d'agression sexuelle, pour prévoir que « lorsque les faits sont commis sur la personne d'un mineur de quinze ans, la contrainte morale ou la surprise peuvent résulter de l'abus de l'ignorance de la victime ne disposant pas de la maturité ou du discernement nécessaire pour consentir à ces actes ». Il importe de préciser que cette rédaction résulte de l'avis du Conseil d'État du 15 mars 2018, qui s'est inspiré de la formule retenue par le code pénal en matière d' « abus d'ignorance ou de faiblesse » (article 223-15-2).

En outre, l'article 2 prévoit d'aggraver les peines prévues par l'article 227-26 relatif à l'atteinte sexuelle commise sur un mineur de quinze ans. En cas de pénétration par une personne majeure, les peines passeraient de cinq à dix ans d'emprisonnement, et de 75 000 à 150 000 euros d'amende.

Enfin, l'article 2 prévoit, à l'article 351 du code de procédure pénale, que le président de la cour d'assises pose systématiquement la question subsidiaire de la qualification de l'atteinte sexuelle, lorsqu'un accusé majeur est poursuivi pour viol sur mineur de quinze ans, et que le viol n'est pas caractérisé. C'est une piste intéressante. Il s'agit de garantir que l'auteur des faits soit sanctionné sur la base de l'atteinte sexuelle, pour éviter l'absence de toute condamnation s'il est acquitté par la cour d'assises.

L'article 3 modifie les articles du code pénal définissant le harcèlement - sexuel et moral - pour l'étendre aux « propos ou comportements [...] imposés à une même victime de manière concertée par plusieurs personnes, alors même que chacune de ces personnes n'a pas agi de façon répétée ».

L'objectif est d'adapter la condition de la répétition, posée par la définition pénale du harcèlement, à des agissements qui, bien qu'uniques, ont en raison de leur concomitance - souvent concertée - les mêmes effets sur les victimes que des faits de harcèlements répétés, c'est-à-dire :

- porter « atteinte à leur dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant » (art. 222-33 du code pénal) ;

- « créer à [leur] encontre une situation intimidante, hostile ou offensante » (art. 222-33 du code pénal) » ;

- causer une « dégradation de [leurs] conditions de vie par une altération de [leur] santé mentale » (art. 222-33-2-1 (harcèlement conjugal) et 222-33-2-2 (harcèlement moral)).

Le projet de loi adapte donc la définition du harcèlement sexuel aux « raids numériques », par lesquels plusieurs internautes décident d'adresser à une personne des courriels offensants ou menaçants. Le Haut conseil à l'égalité, dans son rapport sur les violences faites aux femmes en ligne, avait préconisé cette évolution. C'est une avancée incontestable. La recommandation n° 15 tire les conséquences de ce progrès.

Enfin, l'article 4 crée l'« outrage sexiste », lequel trouve son origine dans la prise de conscience du développement inacceptable de comportements insultants, qui sont aujourd'hui le quotidien de trop nombreuses femmes et qui affectent leur dignité.

La définition de cette infraction s'appuie sur celle du harcèlement sexuel, mais elle n'exige pas la répétition des faits que suppose le harcèlement dit « d'ambiance », tandis que le harcèlement assimilé au « chantage sexuel », pour sa part, n'a pas à être répété.

L'article 4 du projet de loi insère donc dans le code pénal un article 611-2 qui définit l'outrage sexiste :

- il doit être « imposé » ;

- il consiste en des propos ou comportements « à caractère sexuel » qui portent « atteinte à [la dignité des victimes] en raison de leur caractère dégradant ou humiliant » ou créent « à [leur] encontre une situation intimidante, hostile ou offensante » ;

- il est puni de l'amende prévue par les contraventions de 4ème classe, assortie le cas échéant de peines complémentaires telles que l'obligation d'effectuer un stage11(*).

Enfin, le nouvel article du code pénal prévoit des circonstances aggravantes lorsque l'outrage sexiste est commis sur des personnes vulnérables, en réunion ou dans les transports.

Lors de son audition, le 11 juin 2018, Nicole Belloubet, garde des Sceaux, en réponse au président de la commission des lois qui faisait valoir le caractère réglementaire de ces mesures, a observé que le projet de loi créait une nouvelle peine, l'obligation de suivre un stage de lutte contre le sexisme, et qu'à ce titre l'intervention du législateur était nécessaire. »

Mme Laurence Cohen, co-rapporteure. - Mes chers collègues, je vais vous présenter la démarche qui a guidé l'élaboration de notre rapport et rappeler la façon dont nous avons travaillé pour aboutir aux conclusions que nous vous présentons aujourd'hui.

Première remarque : il était nécessaire que la délégation soit saisie du projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes par la commission des lois. C'est une étape particulièrement importante de cette session, car - c'est une évidence - les violences faites aux femmes constituent pour nous une préoccupation constante. Mais c'est encore plus vrai cette année.

Il faut en effet rappeler que, dès sa première réunion, le 9 novembre 2017, la délégation a souhaité apporter sa contribution au débat suscité par deux décisions de justice, très médiatisées, concernant des violences sexuelles dont avaient été victimes deux petites filles de onze ans.

Ce travail s'est inscrit dans un contexte international qui voyait une libération de la parole des femmes, avec le mouvement Metoo, portant au grand jour l'ampleur du sexisme et des violences sexuelles. Quand Geneviève Fraisse disait alors : « Les femmes ont pris la parole », elle établissait un parallèle éclairant avec la prise de la Bastille. Elle parlait d'une révolution !

Je rappelle que avons souhaité aborder les problématiques liées à ce débat sans limiter notre approche aux violences commises sur des mineures, qui était celle de la commission des lois, mais en étendant notre analyse à tout le spectre des violences faites aux femmes. Il nous semblait en effet que les violences sexuelles sur mineurs pouvaient difficilement être appréhendées de façon indépendante des autres violences faites aux femmes qui, faut-il le rappeler ici, ne sont pas des actes isolés, mais font partie d'un continuum inhérent au patriarcat...

Du mois de novembre au mois de mars, nous avons donc entendu un grand nombre d'expertes et d'experts sur les violences faites aux femmes : violences conjugales, sexuelles, intrafamiliales, harcèlement sexuel, violences en ligne...

Ce travail a abouti, mardi 12 juin, à l'adoption d'un rapport d'information sur les violences, intitulé Prévenir et combattre les violences faites aux femmes : un enjeu de société, émanant d'un groupe de travail pluripartisan représentant la diversité politique du Sénat. Vous le savez, cette approche transpartisane est un peu une « marque de fabrique » de notre délégation, car nous l'avons expérimentée pour de nombreux rapports. Elle permet de garantir que les conclusions de la délégation reflètent le consensus le plus large, sans jamais tirer vers le plus petit dénominateur commun, mais au contraire en élevant le débat.

Les auditions multiples auxquelles nous avons procédé depuis le mois de novembre dans ce cadre nous ont permis d'élaborer une position sur la question, particulièrement complexe, du traitement pénal des violences sexuelles commises sur des mineurs par des personnes majeures.

Je dois dire que nos positions ont évolué au fil des auditions et de nos échanges de vues, au cours d'une longue maturation de notre réflexion.

Nous avons voulu adopter la même approche pluraliste en ce qui concerne l'examen du projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Nous avons ainsi désigné un groupe de travail composé de six co-rapporteures, pour valoriser le travail collectif de la délégation et renforcer ses positions lors de la discussion en séance publique. Ont donc été désignées Annick Billon pour le groupe centriste, Laure Darcos pour le groupe Les Républicains, Françoise Laborde pour le groupe RDSE, Laurence Rossignol pour le groupe socialiste, Noëlle Rauscent pour le groupe LaRem et moi-même pour le groupe CRCE.

De surcroît, dans le souci de valoriser au mieux les travaux du Sénat dans le cadre de la navette parlementaire, nous avons entendu, le 31 mai, Marie Mercier, rapporteur du rapport d'information du groupe de travail de la commission des lois sur les infractions sexuelles commises contre les mineurs, et rapporteur du projet de loi, qui nous a présenté les principales conclusions de son rapport Protéger les mineurs victimes d'infractions sexuelles, et la proposition de loi qui en a résulté.

Nous avons également entendu, le 11 juin, les deux ministres avec nos collègues de la commission des lois.

De plus, nous avons auditionné le 7 juin les représentants du Conseil français des Associations pour les droits de l'enfant (COFRADE), qui avaient des remarques sur l'article 2 du projet de loi, puis le 12 juin Danielle Bousquet, présidente du Haut conseil à l'égalité (HCE) - interlocutrice incontournable de notre délégation.

Enfin, nous entendrons la semaine prochaine Marie-Pierre Rixain, présidente de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale, qui nous présentera leur apport à la discussion du texte. Les positions des deux délégations sont, en principe, assez convergentes sur la question du seuil d'âge.

Pour conclure, je souligne que, même si le rapport d'information que nous avons adopté mardi et le rapport sur lequel nous allons nous prononcer ce matin sont deux exercices distincts, il y a indéniablement des correspondances et une cohérence d'ensemble entre eux.

Ainsi, plusieurs des recommandations que nous avons formulées dans le rapport d'information sur les violences trouvent un aboutissement dans le rapport sur le projet de loi, qui fait des propositions pour enrichir le texte issu des débats de l'Assemblée nationale. Celles-ci pourront être traduites sous forme d'amendements au projet de loi lors de la discussion de celui-ci.

Je pense en particulier à notre recommandation visant à la création, dans le code pénal, d'une infraction spécifique qui sanctionnerait toute relation sexuelle avec pénétration entre une personne majeure et un-e mineur-e de treize ans. Je pense aussi à notre proposition visant à proposer une nouvelle formulation des dispositions du code de l'éducation qui concernent l'éducation à la sexualité et l'information sur l'égalité femmes-hommes.

Laurence Rossignol et Françoise Laborde vous présenteront plus en détail nos propositions pour améliorer et enrichir le projet de loi.

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - Je vais vous présenter les convergences existant entre le rapport de la délégation sur les violences faites aux femmes et le rapport du groupe de travail de la commission des lois sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs, qui a débouché sur la proposition de loi dite « Bas-Mercier » adoptée le 27 mars dernier par le Sénat12(*).

Ces points de convergence tiennent aussi bien aux objectifs de nos travaux qu'aux constats et recommandations qui en ont résulté.

Bien sûr, nous avons un objectif commun, celui de protéger au mieux les enfants et d'entendre la parole des victimes. Dans cet esprit, il faut noter une convergence importante en ce qui concerne l'allongement des délais de prescription pour les mineurs victimes d'infraction sexuelle, que nos collègues de la commission des lois sont d'avis de porter à trente ans à compter de l'âge de la majorité de la victime. Cette évolution avait émergé des travaux de la Mission de consensus co-présidée par Jacques Calmettes et Flavie Flament, dont notre collègue Laurence Rossignol avait pris l'initiative quand elle était ministre. Une telle disposition, qui n'était pas gagnée d'avance, paraît désormais recueillir un très large consensus. Elle permettra aux victimes de porter plainte jusqu'à l'âge de quarante-huit ans révolus au lieu de trente-huit ans.

De surcroît, nous avons adopté des démarches symétriques en analysant le continuum des violences et en soulignant l'importance de l'amélioration des connaissances statistiques, qu'il s'agisse des violences faites aux enfants ou de celles faites aux femmes. Il existe de nombreux chiffres dans ce domaine, qui émergent souvent de sondages et ne sont donc que des estimations. Or ce sujet mérite une approche scientifique, comme celle de l'enquête Virage.

En ce qui concerne les constats, le rapport de la commission des lois s'émeut de l'expansion des violences qui, facilitées par l'accès à Internet, menacent tout particulièrement les jeunes. Il souligne aussi le danger que constitue l'exposition des enfants et adolescents à des vidéos pornographiques. Cela rejoint largement les constats dressés par la délégation au moment de l'examen de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel, qui s'était intéressée à cette question. Malheureusement, les constats établis par nos collègues il y a quatre ans restent d'actualité aujourd'hui.

En outre, nous sommes d'accord avec la commission des lois sur le caractère « perfectible » des procédures judiciaires pour les victimes (délais excessifs, correctionnalisation, engorgement des juridictions en lien avec le manque de moyens de la justice).

Au-delà de ces constats consensuels, nous avons relevé des pistes d'évolution communes à nos travaux :

- premièrement, s'agissant des actions à mener pour faciliter le dépôt de plainte et améliorer l'accompagnement des victimes, nous nous rejoignons sur le fait de permettre aux victimes de réaliser des prélèvements indépendamment du dépôt de plainte, sur l'aménagement de salles dédiées pour l'audition des victimes (inspirées des salles Mélanie) ; sur l'importance de la formation des professionnels ; sur une meilleure information concernant les procédures de réparation financière ; ou encore sur la nécessité de renforcer l'offre de soins dans le domaine du psycho-trauma, car l'accompagnement psychologique est crucial pour la reconstruction des victimes ;

- deuxièmement, en ce qui concerne la prévention des violences par l'éducation, dès le plus jeune âge : nos collègues des lois, comme la délégation, attachent une grande importance au respect de l'obligation légale d'éducation à la sexualité. Comme nous, ils recommandent une application effective du code de l'éducation à cet égard, qui prévoit au moins trois séances par an, dans toutes les classes, comme le fait notre recommandation n° 21.

Au-delà de ces propositions convergentes, le groupe de travail des lois a suggéré des pistes d'évolution qui nous paraissent dignes d'être soutenues, même si elles ne figurent pas en tant que telles dans nos recommandations. Je pense à l'élargissement de la surqualification pénale d'inceste aux actes commis entre personnes majeures (actuellement, la surqualification ne concerne que les faits commis par une personne majeure sur un mineur), aux recommandations relatives au renforcement des peines encourues par les auteurs d'infractions sexuelles, à leur souci de renforcer les moyens de la justice et de la police.

Pour conclure, il nous paraît important de souligner que la proposition de loi de nos collègues Philippe Bas et Marie Mercier, qui traduit les recommandations formulées dans leur rapport, fait preuve d'une plus grande ambition que le texte du Gouvernement. En effet, elle ne se limite pas au volet répressif, mais comporte également un volet entier réservé à la prévention et à la formation, car il s'agit d'une loi d'orientation et de programmation.

Ce volet constitue à notre avis une plus-value indéniable de ce texte par rapport au projet de loi du Gouvernement. Il nous paraît important que ces apports du Sénat soient valorisés dans le cadre de l'examen du projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. C'est l'objet de la recommandation n° 20.

Je cède la parole à Laure Darcos.

Mme Laure Darcos, co-rapporteure. - Je vais vous présenter les principaux apports de l'Assemblée nationale au projet de loi. Il s'agit de dispositions dont notre délégation peut demander le maintien dans le cadre de la discussion au Sénat.

Je voudrais rappeler que nos collègues députés ont parfois repris à leur compte certaines initiatives sénatoriales. On peut s'en féliciter, tout en regrettant qu'ils n'en mentionnent pas l'origine...

Un point fait consensus, comme l'a souligné notre présidente, c'est l'allongement du délai de prescription à trente ans au lieu de vingt ans, prévu par l'article premier. Je n'y reviens pas ; c'est la recommandation n° 6.

En ce qui concerne l'article 2 sur la répression du viol et des atteintes sexuelles, tel qu'adopté par l'Assemblée nationale, cet article étend la définition du viol incestueux aux victimes majeures, comme le préconisait très opportunément la proposition de loi de nos collègues Philippe Bas et Marie Mercier. Il s'agit là d'un vrai progrès. Notre recommandation n° 11 le soutient.

Toujours à l'article 2, l'Assemblée nationale a modifié la définition du viol prévue par le code pénal (« Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol ») pour permettre de réprimer des actes dans lesquels la pénétration est commise non pas seulement « sur » la personne d'autrui, mais aussi « avec » celle-ci. Il s'agit de prendre en compte dans la définition du viol le cas, par exemple, de fellations imposées. C'est une amélioration, car ces actes, dont les conséquences sur les victimes sont comparables à celles d'un viol, ne relèvent aujourd'hui, au sens du code pénal, que de l'agression sexuelle car la définition du viol implique la pénétration de la victime. Notre recommandation n° 9 préconise de conserver cette disposition.

S'agissant de l'article 2, Laurence Rossignol reviendra tout à l'heure sur ce qui concerne plus précisément la protection des enfants et je m'en tiendrai donc là pour cet article.

En ce qui concerne l'article 3 sur le cyber-harcèlement, un amendement clarifie le champ d'application de la nouvelle disposition proposée en matière de répression des « raids » numériques. Il s'agit de prévoir que, outre les cas dans lesquels le raid sera concerté, l'infraction pourra aussi être reconnue en cas de concertation « tacite ». C'est une précision importante qui étendra le champ d'application de cette nouvelle infraction.

Un autre amendement adopté à l'article 3 complète les circonstances aggravantes associées aux délits de harcèlement sexuel et moral, pour y intégrer l'utilisation de moyens de communication en ligne. La recommandation n° 15 soutient ces mesures.

J'en viens aux articles additionnels introduits par les députés, nouvelles dispositions dont nous pourrions préconiser le maintien dans le texte adopté par le Sénat.

L'article 3 bis étend les circonstances aggravantes dont sont assorties certaines infractions.

Il crée ainsi une circonstance aggravante pour violences commises au sein des couples dits « non-cohabitants ». Ce point répond à une préoccupation exprimée dans notre rapport Prévenir et combattre les violences faites aux femmes : un enjeu de société, et l'on ne peut que s'en féliciter. En effet, cette disposition doit permettre de mieux réprimer les violences commises contre de très jeunes femmes qui ne se sentent pas concernées par la notion de « violence au sein des couples », mais qui n'en subissent pas moins des comportements violents de la part de leur « petit ami ». Il s'agit là d'une évolution préoccupante de notre société, relayée par notre rapport. Notre recommandation n° 12 soutient cette avancée.

L'article 3 bis prévoit également des circonstances aggravantes pour des faits de violences commis en présence d'enfants. Cette disposition rejoint les positions exprimées dans notre rapport en ce qui concerne la protection des enfants exposés aux violences intrafamiliales. Comme l'a dit de manière très frappante l'un des experts que nous avons entendus au cours de cette session, « un enfant témoin est un enfant victime ». Il faut donc que ce point soit conservé par le Sénat : c'est la recommandation n° 4.

Cet article 3 bis prévoit aussi les circonstances aggravantes lorsque le harcèlement sexuel est imputable à un ascendant ou à une personne ayant autorité de droit ou de fait sur la victime et lorsqu'il est dû au conjoint ou partenaire de celle-ci. La recommandation n° 14 soutient cet ajout.

Les articles 2 bis A et 2 bis B proposent des mesures en vue de renforcer la prévention des violences faites aux femmes en situation de handicap. On peut également s'en féliciter. Je rappelle que nous avons identifié les violences faites aux femmes handicapées comme un sujet de travail possible. Ce projet n'a malheureusement pas pu aboutir, en raison du décès de la regrettée présidente et fondatrice de l'association Femmes pour le dire, Femmes pour agir (FDFA). Néanmoins, je pense pouvoir affirmer, sous le contrôle de notre présidente, que nous gardons ce sujet en mémoire pour une date ultérieure. Notre recommandation n° 18 soutient bien évidemment ces deux articles.

L'article 2 bis C reprend en des termes identiques (sans en mentionner la source) l'article 6 bis de la proposition de loi « Bas-Mercier », adopté à mon initiative... Il crée des circonstances aggravantes aux peines encourues pour les délits de non-assistance à personne en danger et de non-dénonciation des agressions et mauvais traitements infligés aux mineurs, si la victime a moins de quinze ans. Notre recommandation n° 3 préconise de façon cohérente de conserver cette disposition qui me tient particulièrement à coeur !

On note également plusieurs demandes de rapports. L'article 2 bis E concerne les dispositifs locaux d'aides aux victimes d'agressions sexuelles, avec l'objectif d'analyser la pertinence d'une généralisation d'un dispositif comme la Cellule d'accueil d'urgences des victimes d'agressions (CAUVA) de Bordeaux, qui permet aux victimes de viol et d'agression sexuelle de réaliser des prélèvements indépendamment d'un dépôt de plainte, dans le cadre d'une convention conclue entre le parquet et le CHU.

Cette demande de rapport va dans le sens de la recommandation n° 6 de notre rapport Prévenir et combattre les violences faites aux femmes : un enjeu de société, appelant à la généralisation, après expérimentation, du recueil des preuves indépendamment du dépôt de plainte par les victimes, dans des structures adaptées sur l'ensemble du territoire. Nous sommes donc favorables à son maintien dans le projet de loi au cours de son examen par le Sénat.

L'article 2 bis prévoit pour sa part un rapport du Gouvernement au Parlement sur les dispositifs locaux d'aide à la mobilité des victimes de violences sexuelles. Il rejoint une préoccupation de la délégation sur la situation des femmes victimes de violences dans des territoires isolés, et qui peuvent être confrontées à des difficultés pour effectuer des démarches ou subir des soins, compte tenu de l'éloignement de leur domicile. Le rapport de la délégation sur les agricultrices, adopté en juillet 2017, s'était fait l'écho de ces difficultés. Notre recommandation n° 16 soutient les motivations de ces demandes de rapport.

Je cède la parole à Laurence Rossignol.

Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure. - Il me revient de vous présenter nos propositions sur la protection des enfants et la défense des victimes de violences.

À l'article 2, un amendement de l'Assemblée nationale a augmenté les peines encourues pour le délit d'atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans (sept ans de prison au lieu de cinq). Il reprend en des termes strictement identiques l'article 5 de la proposition de loi « Bas-Mercier » (sans en mentionner l'origine).

Le III de l'article 2 concerne la question subsidiaire d'atteinte sexuelle qui doit être posée par le président du tribunal lors du procès d'une personne majeure accusée de viol sur mineur de moins de quinze ans. Ce point est destiné à éviter que l'agresseur puisse être acquitté quand le viol ne peut être prouvé. Il s'agit là, évidemment, d'un moindre mal pour éviter l'impunité des prédateurs sexuels. Je pense que nous pouvons être d'accord avec le fait que cette question subsidiaire peut, cumulée avec l'augmentation des peines pour atteinte sexuelle, qui passeraient à sept ans d'emprisonnement, mieux réprimer les agressions sexuelles commises sur mineurs.

Cette position, exprimée à la recommandation n° 2, ne nous empêche pas de continuer à être opposés à la correctionnalisation du viol et à demander que celui-ci soit puni en tant que crime.

S'agissant de l'atteinte sexuelle avec pénétration, créée par le projet de loi, elle suscite des interrogations de notre part et nous paraît passer à côté de l'objectif. En effet, nous estimons qu'elle risque de renforcer une tendance déjà préoccupante à la correctionnalisation des viols. Les victimes seront incitées à privilégier la correctionnalisation pour éviter les risques de la cour d'assises. D'ailleurs, la notion même d'atteinte sexuelle avec pénétration, sorte de substitut du viol, est en soi contestable. C'est un viol qui n'ose pas dire son nom et qui n'est pas condamné comme un viol. Or en matière de violences faites aux femmes et aux enfants, il faut nommer les choses !

J'en viens tout naturellement à la présentation de notre proposition principale, qui concerne l'introduction d'un seuil d'âge dans la loi (recommandation n° 1) : notre objectif est de mieux réprimer les viols sur les jeunes mineurs en évitant toute subjectivité dans l'appréciation du viol. Notre priorité est d'empêcher que des précédents comme l'affaire de Pontoise se reproduisent. L'idée serait de poser un interdit absolu sur les relations sexuelles avec pénétration entre un adulte et un enfant.

C'est bien aux adultes de protéger les enfants et non aux enfants de se garder des agressions dont les menacent certains prédateurs...

De surcroît, il nous paraît inacceptable que, en raison de la subjectivité inhérente à la définition du viol, son traitement judiciaire soit marqué par la contingence, pouvant aller de l'acquittement à une peine d'emprisonnement. Nous proposons donc une formule qui garantisse une réponse cohérente sur l'ensemble du territoire et non un traitement hétérogène selon les juridictions, et qui permette d'éviter tout débat sur la violence, menace, contrainte ou surprise.

Ces deux exigences supposent de définir un seuil d'âge en dessous duquel un acte sexuel avec pénétration, commis par une personne majeure sur celle d'un mineur, serait sanctionné comme un viol, autant qu'un viol. Nous avons estimé que le seuil de treize ans était le plus pertinent, parce qu'il marque la « limite indiscutable de l'enfance », pour reprendre les mots de nos collègues de la Délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale. De plus, le seuil de treize ans est cohérent avec le droit pénal, qui fixe à cet âge le discernement et la responsabilité pénale des mineurs. Enfin, il permet de prendre en compte les relations sexuelles qui peuvent exister sans contrainte entre des adolescentes d'une quinzaine d'années et de jeunes majeurs. Il ne faudrait pas que ces derniers se retrouvent condamnés pour viol parce que les parents de leur « petit-e ami-e » auraient porté plainte.

Il s'agit donc de fixer dans la loi l'interdiction absolue d'un rapport sexuel entre un adulte et un enfant, et de poser le principe selon lequel braver cet interdit est un crime.

Tels sont les principes qui guident notre réflexion.

D'autres pays ont tiré les conséquences de cet impératif. On oppose un risque d'inconstitutionnalité à la mise en oeuvre de ce principe dans notre droit pénal, au nom des droits de la défense. Pour autant, nous avons observé que plusieurs pays européens ont introduit ces seuils d'âge, notamment le Royaume-Uni. Que je sache, ce pays n'est pas connu pour mettre en péril les droits de la défense...

Plus généralement, l'argument de l'inconstitutionnalité de la solution que nous proposons, que l'on entend régulièrement opposer à celle-ci, ne me semble pas pertinent. Pour moi, il s'agit d'une simple rumeur qui a prospéré. Tant que le Conseil constitutionnel ne s'est pas prononcé, on ne peut savoir comment il réagirait par rapport à sa traduction législative ! La seule façon de savoir si ce que nous proposons est inconstitutionnel est d'aller au bout de notre démarche.

Comment atteindre cet objectif ? Nous avons eu ce débat à la suite de l'audition de Danielle Bousquet.

Il s'agit donc avant tout de se prononcer sur un principe : quand un acte de pénétration sexuelle est commis par un adulte sur un enfant de moins de treize ans, il n'y a pas à s'interroger sur le consentement de l'enfant, ni même sur l'existence de la « contrainte, de la menace, de la violence ou de la surprise ». Il s'agit d'un crime qui doit être puni à hauteur de vingt ans de réclusion.

L'intentionnalité des faits, exigence du code pénal, résulterait de l'acte lui-même, car personne ne prétendrait qu'on pénètre quelqu'un par accident ou inadvertance... Elle résulterait aussi du fait de connaître l'âge de la victime.

Pour conclure sur ce sujet, je tiens à relever que le Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE) n'a pas été consulté sur ce projet de loi. Il a donc émis un avis pour faire connaître sa position sur le texte du Gouvernement.

J'en viens à nos autres propositions visant à la protection des enfants et à la défense des victimes de violences, que je vais présenter plus brièvement.

En ce qui concerne la protection des enfants, nous proposons également d'étendre les missions des services de l'Aide sociale à l'enfance (ASE), définies par l'article L. 221-2 du code de l'action sociale et des familles, au repérage et à l'orientation des mineures victimes ou menacées d'excision. Il s'agit là de la reprise d'une recommandation formulée dans le rapport de Maryvonne Blondin et Marta de Cidrac sur les mutilations sexuelles féminines. C'est la recommandation n° 5.

S'agissant de la défense des victimes de violences sexuelles, nous formulons cinq propositions.

Premièrement, nous plaidons pour que l'amnésie traumatique soit reconnue comme obstacle insurmontable à la mise en mouvement de l'action publique, au sens de la loi portant réforme de la prescription en matière pénale (recommandation n° 8). Cette proposition reprend l'article 2 bis de la proposition de loi dite « Bas-Mercier », adopté à l'initiative de notre collègue François-Noël Buffet. Nous pensons qu'une telle mesure faciliterait la reconnaissance en justice des troubles psycho-traumatiques qui affectent la mémoire des victimes et peuvent, de ce fait, constituer un réel obstacle insurmontable.

Deuxièmement, nous souhaitons offrir la possibilité au procureur de la République de diligenter une enquête, même en cas de prescription. Tant notre rapport sur les violences que celui du groupe de travail de la commission des lois ont souligné l'intérêt de cette pratique, aussi bien du point de vue de la reconstruction des victimes, qui se sentent alors plus facilement reconnues comme victimes par l'institution judiciaire et peuvent même être confrontées à leur agresseur, que du point de vue de la prévention de la récidive. En effet, nous savons que les violeurs sont souvent des récidivistes. L'ouverture d'une enquête, même en cas de prescription, permettrait ainsi de s'assurer que l'auteur présumé des infractions dénoncées n'a pas commis d'autres infractions dont le délai de prescription ne serait pas écoulé (recommandation n° 7).

Troisièmement, nous suggérons une amélioration formelle de la définition de la contrainte morale à l'article 222-22-1 du code pénal, pour lever une ambiguïté inhérente à la rédaction actuelle. Il s'agit de prévoir que la contrainte morale peut résulter de la différence d'âge entre la victime et son agresseur ou de l'autorité de droit ou de fait que celui-ci peut exercer sur elle, et non pas du cumul de ces deux critères (recommandation n° 10).

Quatrièmement, nous proposons la création d'une circonstance aggravante en cas de violences sexuelles occasionnant une incapacité totale de travail (ITT) supérieure à huit jours. Je vous renvoie au rapport pour plus de précision (recommandation n° 13).

Enfin, notre cinquième proposition consiste à mieux indemniser les personnes licenciées après avoir été victimes de harcèlement sexuel, en instaurant une indemnité plancher de douze mois au lieu des six mois actuellement prévus par le code du travail. L'enjeu est de garantir aux victimes une meilleure prise en charge de leur préjudice, tout en incitant les employeurs à respecter leurs obligations de prévention (recommandation n° 17).

Je cède la parole à Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde, co-rapporteure. - Je vais vous présenter pour ma part nos recommandations qui concernent la prévention des violences et ce que le projet de loi appelle « l'outrage sexiste ».

En ce qui concerne la prévention des violences, nous formulons trois propositions.

La première vise à enrichir le projet de loi d'un volet préventif. Comme l'a déjà souligné la présidente, cette dimension est totalement absente du projet de loi présenté par le Gouvernement, qui se limite au volet répressif de la protection des victimes de violences, contrairement à la proposition de loi adoptée par le Sénat le 27 mars dernier, à l'initiative de Philippe Bas et Marie Mercier (recommandation n° 20).

Notre rapport sur les violences faites aux femmes a montré l'importance cruciale de la prévention dans la politique de lutte contre ces violences. Nous jugeons donc particulièrement important de voir figurer un volet préventif dans le projet de loi sur les violences sexuelles et sexistes, évoquant aussi la question des moyens. C'est pourquoi nous recommandons d'inscrire dans le projet de loi une dimension préventive, en y annexant le rapport sur les orientations de la protection de protection des mineurs contre les violences sexuelles, joint à la proposition de loi dite « Bas-Mercier ».

Notre deuxième proposition en matière de prévention consiste à revoir les dispositions du code de l'éducation sur l'éducation à la sexualité, pour y intégrer l'information sur l'égalité femmes-hommes (recommandation n° 21, déjà mentionnée par notre présidente).

Nous avons pu le constater au fil de plusieurs rapports, toute réflexion sur les violences faites aux femmes et sur la persistance de ce fléau social ne peut que conduire à plaider pour le renforcement de leur prévention à travers l'éducation, dès le plus jeune âge. Ce constat est partagé par le rapport d'information de la commission des lois sur la protection des mineurs victimes d'infractions sexuelles, mais aussi par le Défenseur des Droits.

Des séances d'éducation à la sexualité en milieu scolaire sont prévues depuis la loi du 4 juillet 200113(*). Malheureusement, cette obligation légale est inégalement mise en oeuvre. Je vous renvoie sur ce point à notre rapport Prévenir et combattre les violences faites aux femmes : un enjeu de société.

Il nous paraît nécessaire que les séances d'éducation à la sexualité intègrent la dimension essentielle de l'égalité et qu'elles concernent les élèves pendant toute leur scolarité, alors que c'est trop souvent aujourd'hui la pornographie qui, avec les réseaux sociaux, accompagne les jeunes dans les débuts de leur vie amoureuse.

Or, comme nous l'avons relevé dans notre rapport d'information sur les violences faites aux femmes, le cadre légal de l'éducation à la sexualité est confus et difficile à comprendre, car il regroupe un ensemble de séances d'information dédiées à des sujets variés, allant de l'éducation à la sexualité jusqu'à la législation relative aux dons d'organes (je vous renvoie sur ce point au rapport).

Pour plus de cohérence, nous proposons donc que les articles du code de l'éducation qui rendent obligatoires les séances d'éducation à la sexualité soient reformulés, de manière à lier éducation à la sexualité prévue par l'article L. 312-16 du code de l'éducation, et l'information sur l'égalité prévue par l'article L. 312-17-1 de ce code. Cette proposition reprend une recommandation de notre rapport sur les violences faites aux femmes.

Enfin, en matière de prévention, nous recommandons une modification du code de la sécurité intérieure pour étendre à l'appel à la haine à raison du sexe les motifs de dissolution des associations (recommandation n° 22).

Il s'agit là de la reprise d'une recommandation formulée dans le rapport La laïcité garantit-elle l'égalité femmes-hommes ?, qui s'étonnait que ne figure pas parmi les motifs de dissolution des associations l'incitation à la discrimination, à la haine ou à la violence à raison du sexe d'une personne ou d'un groupe de personnes. Or l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure prévoit la dissolution appelant à la haine, à la discrimination ou à la violence, à raison de l'origine ou de la religion.

Nous soutenons une telle mesure, car la plupart des lois réprimant l'injure, la menace ou l'appel à la haine ont déjà intégré le sexe à leurs critères, aux côtés de l'origine et de la religion. Il s'agit là d'une mise à jour dont on peut penser qu'elle est essentiellement préventive. Mais on ne peut pas exclure aujourd'hui, malheureusement, que des associations diffusent un message de haine à l'égard des femmes, comme cela se passe sur les réseaux sociaux en matière de cyber-harcèlement. Il est donc important de marquer la réprobation de la société pour ce type de propos ou de comportements et de combler une lacune étonnante de notre législation.

J'en viens maintenant à notre position sur l'outrage sexiste et à notre proposition de créer un délit autonome d'agissement sexiste (recommandation n° 19).

Nous estimons que l'outrage sexiste prévu par l'article 4 du projet de loi n'est pas pleinement convaincant. La définition de l'outrage sexiste, en se référant « au fait d'imposer à une personne tout propos ou comportement à connotation sexuelle ou sexiste... » renvoie implicitement à la notion de consentement de la victime.

De fait, cette définition risque d'altérer l'efficacité de la nouvelle mesure en faisant porter le débat sur le comportement de la victime et sur l'hypothèse d'une attitude aguicheuse supposée qui exonérerait de responsabilité l'auteur de l'infraction, alors que sa définition doit être centrée sur le comportement de l'auteur des faits.

On peut également avoir des doutes sur l'efficacité réelle de l'outrage sexiste du point de vue de son application, car l'infraction devra être constatée en flagrant délit pour être verbalisée. Pour être efficace, cette mesure impliquera des moyens considérables...

Enfin, le niveau des amendes - 135 ou 1 500 euros en cas de circonstances aggravantes, soit des contraventions de 4ème ou 5ème classe - nous semble inadapté à des comportements qui gâchent au quotidien la vie des femmes et qui menacent nos valeurs.

Pour ces différentes raisons, nous proposons plutôt la création, dans le code pénal, d'un délit autonome d'agissement sexiste, recommandation là encore formulée dans le cadre du rapport La laïcité garantit-elle l'égalité femmes-hommes ?, publié en novembre 2016.

La définition de ce délit s'inspirait de l'agissement sexiste défini par l'article L. 1142-2-1 du code du travail et par le statut des fonctionnaires, l'objectif étant de compléter le code pénal en cohérence avec le code du travail, de même que le harcèlement sexuel est traité à la fois par le code pénal et par le code du travail.

Ce délit pourrait sanctionner des comportements tels que le refus de serrer la main d'une femme parce qu'elle est une femme, le fait de récuser un soignant en raison de son sexe... De telles attitudes ne se limitent pas aux relations entre collègues ou au sein d'une hiérarchie, mais affectent potentiellement tous les aspects de la vie des femmes qui en font les frais. Je vous invite à lire le rapport pour avoir des éléments intéressants de droit comparé sur la création d'un délit spécifique destiné à réprimer ces comportements.

Selon nous, le délit d'agissement sexiste dont je viens de vous esquisser les contours présente l'avantage de poser comme critère, non seulement l'objet des comportements sanctionnés, mais aussi l'effet de ces comportements sur la victime.

Nous sommes également attachés à l'existence d'une circonstance aggravante liée au préjudice exercé sur une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public.

Pour autant, nous estimons que diverses mesures prévues par l'article 4 du projet de loi pourraient utilement compléter la définition de l'agissement sexiste. Il s'agit plus particulièrement de l'introduction de plusieurs circonstances aggravantes. Enfin, il nous paraît important de ne pas limiter la sanction de ce nouveau délit au champ contraventionnel. Des peines d'emprisonnement sont nécessaires dans certains cas, au regard de la gravité des comportements qu'il a vocation à sanctionner. L'agissement sexiste ne se limiterait pas aux comportements ou propos déplorés dans les transports ou dans la rue.

Je cède la parole à Mme Billon pour notre débat sur ces recommandations.

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - Nous passons au débat sur les recommandations qui viennent de vous être présentées.

Avant d'aborder le vote de ce rapport, j'aimerais que tout le monde puisse s'exprimer sur la recommandation qui faisait consensus mardi dernier concernant l'article 2 du projet de loi, c'est-à-dire la proposition de poser un interdit sur toute relation sexuelle avec pénétration entre un adulte et un enfant de moins de treize ans. Cette recommandation vise à faire de cet acte un crime. Un tel interdit existe au Royaume-Uni, qui n'est pas un pays connu pour bafouer les droits de la défense. Il s'agit de la recommandation n° 1.

Je remercie chacun d'entre vous d'être concis lors de ce tour de table.

Mme Maryvonne Blondin. - Je maintiens ma position de mardi et confirme qu'il est interdit de toucher à un enfant de moins de treize ans ; je suis d'autant plus confortée dans ma décision que le Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE) n'a, semble-t-il, pas été consulté en vue de l'élaboration du projet de loi. De plus, je regrette que celui-ci nous soit soumis dans la précipitation, selon la procédure accélérée, sans réflexion préalable suffisante à mon sens.

Sur ces sujets, notre délégation est là pour poser des principes : cet interdit en fait partie.

Mme Françoise Laborde, co-rapporteure. - Je reste, moi aussi, sur le seuil d'âge de treize ans, qui correspond encore à l'enfance. À quinze ans, c'est moins indiscutable. Ce seuil d'âge permet de rendre compte de la différence d'âge, importante, entre un enfant de moins de treize ans et un jeune majeur. Chaque cas est différent, bien sûr, mais il faut poser un âge où la personne appartient encore au monde de l'enfance, quel que soit son sexe. Je vous rappelle en effet qu'il peut y avoir des relations non consenties entre de jeunes garçons...

Je reste sur cette position et je la défendrai par amendement.

Mme Marta de Cidrac. - Merci, madame la présidente. Chers collègues, le sujet qui nous réunit nous touche de près, puisque nous débattons de l'humain. Nous ne sommes pas en train de parler de normes ou d'autres sujets qui, bien qu'importants aussi, ont une incidence humaine sans doute moindre...

Sur le sujet de l'âge, c'est vrai que nous en avons beaucoup parlé entre nous. Au début, rappelez-vous, nous n'étions pas d'accord. Pour ma part, je n'étais pas tout à fait favorable initialement à ce seuil de treize ans. Par la suite, au fil des discussions et des auditions, j'ai été beaucoup plus partagée. Ce seuil de treize ans me semble finalement pertinent.

Mais une fois que l'on a affirmé cela, je pense que l'on n'a peut-être pas tout dit. Nous savons que la traduction juridique ne doit pas être négligée, car il ne faudrait pas que la décision que nous prendrons, aussi légitime qu'elle soit, et bien qu'elle s'appuie sur de bonnes intentions, créée une faille dans la législation.

Donc je pense qu'il faut que nous soyons vigilants. Mais je pense aussi - c'est un sujet très personnel - qu'il est nécessaire que nous fassions quelque chose pour tous ces enfants qui subissent des agressions sexuelles.

Toute agression d'un enfant, garçon ou fille, est quelque chose de très grave. Quant au viol, il me semble que nous, à la délégation, pouvons situer à l'âge de treize ans cette limite. Puis au cours du débat sur le projet de loi, les juristes auront toute latitude pour donner leur avis.

Après tout, nous sommes dans notre rôle pour exprimer nos convictions. Je ne doute pas que toutes les personnes qui s'intéressent à ces sujets soient de bonne foi et aient pour préoccupation commune de bien faire. C'est un débat que nous avons eu entre collègues du même groupe politique.

Je pense que la délégation porte un message fort en demandant que le seuil d'âge soit fixé à treize ans. Si nous sommes d'accord, nous essaierons ensemble de défendre ce principe et, peut-être, de faire évoluer les choses.

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - La volonté de protéger les enfants nous guide depuis le début de nos auditions sur les violences, en novembre 2017. Mais il s'agit de questions dont la complexité a pu susciter des interrogations et conduire certains d'entre nous à faire évoluer leurs conclusions.

Je pense qu'il y a de fortes attentes à l'égard de notre délégation, par exemple s'agissant de la défense de propositions qui n'ont pas pu prospérer à l'Assemblée nationale. Nos collègues de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale, que nous entendrons mardi 19 juin, nous confirmeront sans aucun doute que nous partageons tous une conviction : la nécessité de protéger les enfants.

Mme Martine Filleul. - Je suis convaincue de la nécessité de criminaliser les actes sexuels commis sur les enfants de moins de treize ans. La responsabilité de l'agression doit revenir au seul auteur. Le consentement de l'enfant ne doit être questionné en aucun cas. Ce n'est pas à l'enfant de prouver qu'il n'a pas consenti à cette agression sexuelle.

Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure. - Nous devons en avoir conscience : dans l'histoire, ni le code pénal ni le code civil n'ont pris en charge de manière naturelle la protection des femmes et des enfants contre les violences sexuelles. Je dirai même qu'ils ont longtemps pris acte, voire organisé, l'impunité de leurs auteurs, traduisant ainsi la tolérance et la complaisance de notre société.

Rappelons que le viol n'a été criminalisé qu'il y a quarante ans, après une bataille politique, associative et juridique très difficile. Il a fallu convaincre un Parlement qui, à l'époque, était encore majoritairement masculin...

Les avancées dans ces domaines ne se sont jamais faites dans le consensus. Le sujet de la protection des victimes de violences sexuelles se heurte à une sorte de solidarité passive, à l'égard des hommes qui franchissent la ligne blanche, la délinquance sexuelle étant relativisée comme faisant « partie de la vie », liée au caractère irrépressible de la sexualité masculine.

La frontière de la reconnaissance de l'enfance n'est pas si simple, et c'est un progrès de civilisation que de reconnaître aux enfants ce statut d'enfant et d'assurer la protection qui l'accompagne, notamment contre la prédation sexuelle.

Si nos prédécesseurs au Parlement n'avaient pas bousculé les règles existantes, nous n'aurions rien, sur le plan législatif, en matière de protection des femmes et des enfants contre les violences sexuelles. Ces progrès ont dû être acquis, ils ne se sont pas faits de manière spontanée.

Le moment est historique pour notre délégation, qui doit montrer qu'en protégeant les droits des femmes, on protège aussi les droits des enfants, et que c'est à nous de les porter. À cet égard, il est révélateur que le Parlement n'ait pas de délégation à la protection de l'enfance. Je vous invite à faire preuve d'audace, en affirmant que c'est à nous de défendre les droits des enfants contre les prédateurs adultes.

Mme Dominique Vérien. - Je suis favorable à l'idée qu'en dessous d'un certain âge, un enfant ne peut aucunement consentir à une relation sexuelle avec un adulte, et n'a de toute façon pas le discernement nécessaire pour cela. En dessous d'un certain âge, un « oui » ne peut refléter la volonté de la personne. Je suis persuadée que le seuil d'âge de treize ans constituerait sur ce point une avancée.

La proposition consistant à créer un nouveau crime, qui concernerait tout acte de pénétration sexuelle commis par un adulte sur un enfant de moins de treize ans, devrait permettre d'éviter l'écueil d'une supposée inconstitutionnalité.

On entend parler de risque de vide juridique qui résulterait d'une éventuelle question prioritaire de constitutionnalité (QPC) abrogeant par la suite les dispositions relatives à ce nouveau crime. Or celui-ci n'abrogerait pas les autres dispositions du code pénal sur les violences sexuelles. Je suis d'accord avec Laurence Rossignol : c'est au Conseil constitutionnel de dire si la solution que nous préconisons est inconstitutionnelle.

Enfin, nous sommes là pour faire évoluer la loi par de tels débats. D'autres pays européens ont fixé des seuils d'âge pour le consentement des mineurs : nous pouvons nous en inspirer.

Mme Laurence Cohen, co-rapporteure. - Notre préoccupation première doit être de protéger les enfants. J'ai déposé une proposition de loi fixant ce seuil d'âge à quinze ans. Je n'ai pas évolué sur ce point, mais je me rallierai au seuil de treize ans, car je considère que le problème ne réside pas uniquement dans le choix de l'âge.

Je voudrais être certaine qu'avec cette mesure, la loi protège aussi les enfants entre treize et quinze ans. Il est préférable d'avoir ce débat aujourd'hui qu'en séance.

Sur ces questions, il nous faudra être en mesure de répondre aux arguments d'autorité de la commission des lois. C'est certes une difficulté... Lors de la discussion en séance, le débat sera plus complexe qu'aujourd'hui, entre nous.

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - Notre conviction est que tous les mineurs doivent être protégés ; la question est de fixer un interdit. À cet égard, le choix d'un seuil d'âge de treize ans renvoie à un écart d'âge par rapport à l'auteur des faits qui serait majeur. L'avantage de ce seuil est de fixer un interdit clair.

Mme Laure Darcos, co-rapporteure. - À cette étape, je me pose beaucoup de questions. Ce débat est complexe et je craindrais que nous préconisions une mesure inappropriée. De mes derniers échanges avec notre collègue Marie Mercier, rapporteure du projet de loi pour la commission des lois, je retiens que de nombreux magistrats semblent penser que fixer un seuil à treize ans serait une erreur.

Quoi qu'il en soit, le travail que nous avons réalisé pendant cette session est formidable ; il nous aura unis en nous faisant entendre des témoignages qui nous ont fait vivre des moments forts...

J'ai une préoccupation : qu'adviendrait-il de la nouvelle loi si une QPC, à l'occasion d'un procès, conduisait à l'abrogation, pour inconstitutionnalité, de la disposition que nous soutenons sur le seuil d'âge de treize ans ?

Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure. - Le cas s'est posé en 2012, à propos du harcèlement sexuel, à la suite d'une QPC favorable au plaignant. Cela a abouti à l'abrogation des dispositions législatives relatives au harcèlement sexuel. Mais en quelques mois, nous avons travaillé à l'élaboration d'un nouveau texte qui a été, quant à lui, jugé conforme à la Constitution.

Mme Laure Darcos, co-rapporteure. - Oui, mais je m'inquiète précisément du vide juridique qu'il pourrait y avoir en attendant le vote du nouveau texte...

Nous parlons du précédent de Pontoise et du problème de la correctionnalisation du viol : certes, mais il est vrai qu'en la matière, un jury populaire n'est pas nécessairement plus sévère que certaines cours d'assises... On ne peut jamais savoir comment réagira un jury populaire face à un viol...

Je trouvais que le seuil de treize ans était clair auprès de l'opinion publique et des associations, mais qu'en est-il de la majorité sexuelle ? Qu'en est-il de la cohérence du texte ?

De ce fait, je suis tout-à-fait d'accord pour le principe consistant à poser un seuil d'âge de treize ans, par cohérence avec notre travail. Mais je ne suis pas certaine, dans l'hémicycle, de voter l'amendement qui tirera les conséquences sur le projet de loi en discussion du seuil d'âge de treize ans. Je me prononcerai en fonction des arguments qui seront alors exposés. Encore une fois, mon inquiétude vient d'un risque de vide juridique en raison d'une éventuelle QPC.

Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure. - Le procureur de la République de Paris et la procureure en charge des mineurs, auditionnés en novembre 2017 par le groupe de travail de Marie Mercier, ont défendu cet âge de treize ans ! Que dire de plus ? Je choisis pour ma part de suivre leur avis !

Mme Dominique Vérien. - Créer un nouveau crime n'empêcherait pas les dispositions relatives au viol, actuellement en vigueur, de continuer à s'appliquer. Je ne vois pas où serait le vide juridique.

M. Max Brisson. - Je partage ce qu'a dit Laurence Rossignol, mais j'espère qu'au Parlement français, la délégation aux droits des femmes n'est pas le seul endroit où l'on réfléchit aux droits de l'enfant...

L'histoire nous apprend que notre vieux pays a su faire des révolutions, mais qu'il est aussi conservateur, et que le droit y a souvent été un refuge de la conservation, voire de la réaction. C'est souvent par des ruptures politiques que l'on a fait avancer les choses en France.

Je suis assez d'accord avec ce qu'a dit Laurence Rossignol, mais je dois tenir compte du débat au sein de notre groupe politique, comme l'ont indiqué Marta de Cidrac et Laure Darcos, d'autant plus que des objections viennent de collègues que j'estime et dont on ne peut prendre les remarques à la légère.

Certes, la politique, au sens noble du terme, bouscule parfois le droit : c'est bien pour ça que nous sommes là. Mais nous devons aussi être conscients que nous sommes entrés dans un cycle de judiciarisation de notre société, à l'anglo-saxonne, ce qui doit nous inciter à la prudence. Il nous faut prendre en considération ce que nous disent nos collègues afin d'éviter d'aboutir à un résultat qui ne serait pas conforme à ce que nous souhaitons.

La délégation a conduit sa réflexion et a émis un point de vue. Il ne serait pas pertinent, à ce stade, de changer de braquet. La délégation est dans son rôle en proposant ce seuil d'âge de treize ans. Les arguments qui seront développés dans l'hémicycle guideront nos votes respectifs. Le débat aura lieu et la délégation y contribuera en portant ses convictions.

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - Je suis d'accord : à l'issue du cycle d'auditions auquel nous avons procédé, la délégation se doit d'afficher ses convictions. C'est un débat qui doit avoir lieu. Nous sommes conscients des arguments qui peuvent nous être opposés et nous savons à quel point ils peuvent être déstabilisants.

Par ailleurs, des associations ont attiré notre attention sur la difficulté de protéger les enfants, malgré les dispositifs qui existent dans ce domaine.

Mme Chantal Deseyne. - Je constate que nous partageons tous les mêmes objectifs, et c'est cela qu'il faut rappeler : la volonté de protéger les enfants et d'affirmer que l'on ne peut pas toucher un enfant, que c'est un interdit absolu, que le viol est un crime.

Pour ma part, comme Laurence Cohen, je suis plus favorable à un seuil d'âge de quinze ans, qui selon moi appartient encore au monde de l'enfance.

Bien sûr, des débats animent mon groupe sur ce sujet ; chacun se positionnera en fonction des arguments qui seront exposés dans l'hémicycle.

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - Comme je le disais, j'ai retenu le seuil de treize ans parce qu'il pose une différence d'âge importante par rapport à des relations sexuelles avec un jeune majeur. Il peut y avoir des collégiens ou lycéens qui entament une relation sexuelle avant leur majorité. Ma préoccupation est : que se passera-t-il quand l'un deux deviendra majeur ? Cela vaut aussi pour les relations homosexuelles. Des parents, jusqu'à la majorité de leur enfant, pourraient initier une procédure judiciaire au nom de celui-ci parce qu'ils s'opposent à ces relations. Qu'adviendrait-il de celui qui est devenu majeur ?

Physiquement et psychologiquement, l'enfant évolue considérablement entre douze et quatorze-quinze ans. Tous ces arguments ont contribué à me faire pencher vers le seuil d'âge de treize ans.

Mme Claudine Kauffmann. - Ces débats sont passionnants, mais pour ma part je suis d'une autre génération... Je comprends que le seuil d'âge de treize ans puisse être considéré comme adapté à la société de 2018, mais je partage aussi les propos de Laurence Cohen sur le choix de quinze ans. Je m'associerai toutefois à la décision de la délégation.

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. -Nous devons nous garder de tout jugement moral. Or fixer le seuil d'âge à quinze ans revient à porter un jugement moral sur la sexualité des jeunes et à considérer qu'ils ne devraient pas avoir de relations sexuelles avant quinze ans.

M. Marc Laménie. - Tous les drames touchant des fillettes, des enfants très jeunes, abusés par des prédateurs sexuels qui les attirent parfois sur les réseaux sociaux me marquent profondément.

Doit-on fixer le curseur à treize ou à quinze ans ? Je m'interroge. Mais je ne m'opposerai pas au choix du seuil de treize ans que préconise le projet de rapport d'information de la délégation. Nous verrons ensuite pendant la discussion du texte en séance.

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - Souhaitez-vous vous abstenir, cher collègue ?

M. Marc Laménie. - J'adopterai le rapport qui nous a été présenté.

Mme Laurence Cohen, co-rapporteure. - Je voudrais lever une ambiguïté et compléter ce que j'ai dit tout à l'heure : l'alinéa 15 de l'article 2 crée une infraction délictuelle que la délégation ne souhaite pas. Je confirme que je suis opposée à cette disposition qui crée un délit d'atteinte sexuelle avec pénétration sur mineur de moins de quinze ans. Cela suscite une regrettable confusion par rapport au viol. En fixant le seuil d'âge à treize ans, une relation sexuelle avec pénétration commise par une personne majeure est un crime, les choses sont claires, je confirme que cela permet de mieux protéger les enfants.

Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure. - J'avais tout d'abord retenu l'âge de quinze ans, mais j'en suis revenue en considérant que les parents pourraient alors intervenir dans la vie sexuelle de leur enfant mineur, et porter plainte au nom de leur enfant.

Notre seule divergence avec la commission des lois, finalement, porte sur cette disposition. Nous retenons le principe de criminalisation, alors que la commission des lois privilégie, me semble-t-il, une infraction délictuelle qui relève du tribunal correctionnel et non des assises.

Par ailleurs, je voudrais revenir sur les représentations associées aux comportements que nous dénonçons. D'aucuns avancent que certains hommes se font séduire par des jeunes filles, trompés par une apparence physique qui les fait paraître plus âgées. Ce n'est pas le problème : un homme n'a pas à profiter sexuellement d'une gamine de douze ans, au motif qu'il existerait des « lolitas » prétendument aguicheuses. Du reste, on parle des « lolitas », mais jamais des jeunes garçons. Ne peut-on pas penser qu'en atténuant la responsabilité de celui qui profite sexuellement d'un jeune mineur, on protège moins bien les garçons ?

Mme Marta de Cidrac. - Nous devons être clairs sur notre motivation relative au seuil d'âge de treize ans, même si celui de quinze ans avait été retenu dans un premier temps par certains d'entre nous.

Il est en effet important que nous jouions pleinement notre rôle pour que le débat puisse avoir lieu lorsque nous serons dans l'hémicycle - je ne parle pas de l'accord que nous avons ce matin à l'égard du projet de rapport.

Je rejoins ce qui a été dit sur le seuil d'âge de treize ans. À treize ans, nous avons affaire à de petites filles, quelle que soit leur apparence physique. C'est à la personne majeure, à l'agresseur, de faire preuve de discernement ! Nous devons porter ce message.

Mme Françoise Laborde, co-rapporteure. - Danielle Bousquet, présidente du Haut conseil à l'égalité, a précisé lors de son audition que l'intentionnalité des faits était nécessairement manifeste dès lors qu'il y a pénétration. Une pénétration n'est jamais malencontreuse, même si l'auteur des faits peut arguer qu'elle a eu lieu sans violences.

Mme Dominique Vérien. - Ce que l'on nous oppose, c'est le problème de la présomption irréfragable liée à l'âge de la victime, qui ne permettrait pas à l'auteur des faits de se défendre.

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - Venons-en aux recommandations.

Mme Marta de Cidrac. - L'une de vous a présenté une recommandation qui tire les conséquences d'actes dans lesquels la pénétration est commise sur la personne de l'auteur. Pouvons-nous y revenir ?

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - Il s'agit de la recommandation n° 9, qui vise à retenir une modification de la définition pénale du viol adoptée à l'Assemblée nationale.

Certaines recommandations qui vous sont soumises aujourd'hui reprennent des recommandations qui concluaient le rapport d'information que nous avons adopté mardi à l'unanimité.

C'est le cas de la recommandation n° 1, relative au seuil d'âge. Je vous propose d'assurer la cohérence entre celle-ci et le projet de rapport que nous examinons ce matin, en alignant la rédaction qui vous est proposée ce matin, s'agissant du seuil d'âge, sur celle, plus précise, qui a été retenue il y a deux jours.

Mme Laurence Cohen, co-rapporteure. - Le texte que nous avons adopté mardi est effectivement plus précis.

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - Nous pensons en effet que lorsque la victime a moins de treize ans, les critères de menace, contrainte, violence et surprise n'ont pas à entrer en ligne de compte, et que la question du consentement de la victime ne se pose pas. Nous conservons donc la formulation adoptée mardi dernier.

La recommandation n° 1, amendée pour être identique au texte adopté dans le cadre des conclusions du rapport d'information Prévenir et combattre les violences faites aux femmes : un enjeu de société, est adoptée ainsi modifiée.

Qu'en est-il des recommandations qui concluent le projet de rapport d'information qui vous a été adressé et qui se trouvent dans vos dossiers ?

Je ne vois pas d'opposition.

Les recommandations n os2 à 22 sont adoptées.

Le rapport est donc adopté.

Venons-en maintenant au titre. Je rappelle que nous avons adopté il y a deux jours un rapport d'information abordant les violences faites aux femmes dans leur globalité, intitulé Prévenir et combattre les violences faites aux femmes : un enjeu de société.

Pour le présent rapport d'information, qui concerne spécifiquement un projet de loi, je vous suggère, tout simplement : Projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes : contribution au débat.

Qu'en pensez-vous ? Je constate que nous sommes d'accord.

Le rapport d'information, intitulé Projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes : contribution au débat, est donc adopté à l'unanimité.

Je rappelle que la commission des lois se réunit la semaine prochaine pour examiner ce texte. Êtes-vous d'accord pour que Laurence Rossignol et moi-même allions y présenter les conclusions de la délégation ?

Il n'y a pas d'objection. Nous allons donc procéder ainsi.

S'agissant de la séance publique, nous disposons d'un temps de parole au cours de la discussion générale de cinq minutes, comme pour les commissions saisies pour avis. Je vous propose d'intervenir au nom de la délégation, chacune des autres co-rapporteures prenant la parole au nom de son groupe. Je vois qu'il n'y a pas d'opposition.

Avant de nous séparer, je vous propose de mandater notre secrétariat pour effectuer les corrections formelles qui pourraient être nécessaires pour assurer la cohérence entre nos deux rapports d'information, adoptés sur des sujets voisins à deux jours d'intervalle.

Nous avons donc épuisé l'ordre du jour. Je vous remercie pour vos contributions à ce riche débat.


* 1 Cette recommandation a été formulée par le HCE dans son Avis pour une juste condamnation sociétale et judiciaire du viol et autres agressions sexuelles, publié en octobre 2016.

* 2 La laïcité garantit-elle l'égalité femmes-Hommes ?, rapport de Chantal Jouanno au nom de la délégation aux droits des femmes, n° 101 (2016-2017).

* 3 2006-2016 : un combat inachevé contre les violences conjugales, rapport de Corinne Bouchoux, Laurence Cohen, Roland Courteau, Chantal Jouanno, Christiane Kammermann et Française Laborde au nom de la délégation aux droits des femmes, n° 425 (2015-2016).

* 4 Loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.

* 5 Mutilations sexuelles féminines : une menace toujours présente, une mobilisation à renforcer, rapport d'information de Maryvonne Blondin et Marta de Cidrac au nom de la délégation aux droits des femmes, n° 479 (2017-2018).

* 6 La laïcité garantit-elle l'égalité femmes-hommes ?, rapport d'information n° 101 (2016-2017), présenté le 3 novembre 2016 par Chantal Jouanno, rapporteure, au nom de la délégation aux droits des femmes.

* 7 2006-2016 : un combat inachevé contre les violences conjugales, rapport d'information n° 425 (2015-2016).

* 8 Ces ordonnances ont été ratifiées par la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018 ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social.

* 9 « Dans toute entreprise employant au moins trois cents salariés et dans toute entreprise spécialisée dans le recrutement, les employés chargés des missions de recrutement reçoivent une formation à la non-discrimination à l'embauche au moins une fois tous les cinq ans. »

* 10 Loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées.

* 11 À cet égard, diverses possibilités sont prévues en fonction des circonstances : un stage de lutte contre le sexisme et de sensibilisation à l'égalité entre les femmes et les hommes ; un stage de citoyenneté ; un stage de responsabilisation pour la prévention et la lutte contre les violences au sein du couple et sexistes ; un stage de sensibilisation à la lutte contre l'achat d'actes sexuels.

* 12 Proposition de loi d'orientation et de programmation pour une meilleure protection des mineurs victimes d'infractions sexuelles.

* 13 Loi n° 2001-588 du 4 juillet 2001 relative à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception.