COMMISSION MIXTE PARITAIRE

Lundi 16 juillet 2018

- Présidence de Mme Brigitte Bourguignon, députée, présidente -

La réunion est ouverte à 19 h 30.

Commission mixte paritaire sur le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel

Conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution et à la demande de M. le Premier ministre, une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, texte adopté par l'Assemblée nationale le 19 juin dernier et par le Sénat le 16 juillet, s'est réunie à l'Assemblée nationale le lundi 16 juillet 2018.

La commission mixte paritaire procède à la désignation de son bureau, ainsi constitué :

- Mme Brigitte Bourguignon, députée, présidente ;

- M. Michel Forissier, sénateur, vice-président ;

- M. Aurélien Taché, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale ;

- Mme Catherine Fournier, sénatrice, rapporteure pour le Sénat.

La commission mixte paritaire procède ensuite à l'examen des articles restant en discussion.

Mme Brigitte Bourguignon, députée, présidente. - Le calendrier serré n'a pas empêché le dialogue entre les rapporteurs. Cependant, les positions des deux assemblées divergent, notamment sur le titre Ier mais également sur le titre II du projet de loi.

M. Michel Forissier, sénateur, vice-président. - Les échanges entre les rapporteurs ont été francs et cordiaux, mais la démocratie n'oblige pas à être d'accord sur tout.

Les rapporteurs vont s'exprimer ; mais je souhaiterais rappeler quel a été notre état d'esprit lors de l'examen de ce texte.

Les principales orientations du projet de loi que nous examinons aujourd'hui, qu'il s'agisse de la place des branches professionnelles, du financement ou, plus ponctuellement, de la monétisation du compte personnel de formation (CPF) ou de l'élargissement du champ de l'assurance chômage, ont ainsi été préservées. Nous avions en effet, dès le départ, la volonté de faire aboutir cette réforme tout en y imprimant, bien sûr, la marque du Sénat, d'où la suppression des mesures que nous estimions inutiles, précipitées, ou inabouties.

Cette volonté avait certes été d'emblée malmenée par l'élargissement du champ du texte bien au-delà de ses objectifs initiaux déjà très ambitieux et la poursuite, parallèlement à l'examen parlementaire, de certaines négociations conduisant au dépôt tardif d'amendements du Gouvernement.

Elle a toutefois été totalement mise à mal par l'intervention du Président de la République devant le Congrès il y a tout juste une semaine, annonçant le dépôt d'un amendement dont nous n'avons réussi à prendre connaissance que le lendemain à l'issue d'un incident de séance pendant la discussion générale et qui - rien de moins - met fin par anticipation à l'actuelle convention d'assurance chômage

On nous objectera que la forme ne doit pas l'emporter sur le fond mais il est des circonstances où la forme importe et où le Parlement, s'il veut être respecté, ne doit pas tout accepter. C'est sans doute sur ce point, plus que sur les circuits de l'apprentissage ou de la formation professionnelle, que nous risquons d'achopper aujourd'hui.

Mme Catherine Fournier, rapporteure pour le Sénat. - Le Sénat a adopté aujourd'hui même le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, modifié par 215 amendements en commission et 169 en séance publique.

En préservant les grands équilibres du texte, nous l'avons enrichi en poursuivant cinq objectifs.

Le premier objectif de la commission a été de renforcer le rôle des régions en matière d'apprentissage tout en approuvant les nouvelles missions confiées aux branches professionnelles.

Nous avons tenu à inscrire dans la loi le principe de compétences partagées entre les régions et les branches professionnelles. Nous avons également souhaité que les régions élaborent une stratégie pluriannuelle des formations en alternance, et qu'elles puissent conclure des conventions d'objectifs et de moyens avec les centres de formation d'apprentis qu'elles soutiendront au titre de l'aménagement du territoire.

Elles pourront créer avec l'État un comité régional de l'orientation, chargé de coordonner les interventions des organismes participant au service public régional de l'orientation. Elles disposeront en outre d'au moins vingt heures par an prises sur le temps scolaire pour réaliser des actions d'information sur les professions et les formations dans toutes les classes de quatrième et de troisième.

Nous avons également souhaité améliorer l'orientation des élèves, apprentis et étudiants, valoriser la fonction de maître d'apprentissage et moderniser le statut de l'apprenti.

Le second objectif poursuivi par le Sénat a été de préserver le rôle des partenaires sociaux et des régions en matière de formation professionnelle.

Malgré nos doutes sur l'efficacité de la monétisation du CPF, nous ne nous sommes pas opposés à cette réforme qui est pourtant, selon les auditions que nous avons menées, unanimement rejetée par les acteurs concernés et nous avons cherché à limiter ses effets pervers. Nous avons donc créé une période de transition pour la conversion en euros et prévu des règles d'actualisation régulière des droits acquis. Nous avons également encouragé une réelle co-construction des parcours de formation en permettant à un accord d'entreprise de définir les formations pour lesquelles l'employeur s'engage à abonder le CPF de ses salariés.

Le Sénat a modifié la composition du conseil d'administration de France compétences afin de garantir le respect du quadripartisme.

Il a également prévu que la région désigne elle-même l'opérateur du conseil en évolution professionnelle chargé de suivre les actifs de la sphère privée sur son territoire.

De plus, pour assurer une transition correcte, notre assemblée a allongé les délais accordés aux partenaires sociaux dans les branches pour définir le périmètre d'intervention des futurs opérateurs de compétences, afin d'éviter qu'il soit imposé par l'État.

J'en viens au troisième objectif de la commission, celui de renforcer la logique des droits et des devoirs du demandeur d'emploi.

Nous avons considéré qu'il revenait à la loi, et non au pouvoir réglementaire, de fixer les principes de la radiation et de la suppression du revenu de remplacement en cas de manquement du demandeur d'emploi à ses obligations.

Nous avons précisé les règles de l'offre raisonnable d'emploi pour favoriser le retour à l'emploi des allocataires, et nous avons relevé le plafond de la pénalité administrative en cas de fraude.

Le Sénat a supprimé la possibilité pour le Gouvernement d'imposer un bonus-malus pour moduler la contribution des employeurs à l'assurance chômage, considérant que ce dispositif était complexe et peu efficace pour lutter contre le recours excessif aux contrats courts.

Dans le nouveau cadre défini pour la négociation de la convention d'assurance chômage, notre assemblée a souhaité que le Gouvernement communique au Parlement le projet de document de cadrage au plus tard quatre mois avant la fin de validité de la convention.

Le Sénat ne pouvait donc accepter l'amendement annoncé par le Président de la République devant le Congrès, et déposé in extremis après un incident de séance, qui anticipe l'ouverture de la négociation de la convention d'assurance chômage. Cet amendement remet profondément en cause l'équilibre du titre II, et son dépôt tardif témoigne, sinon d'une provocation, du moins d'un manque de considération de l'exécutif à l'égard du Parlement et en particulier du Sénat. Sur le fond, la conformité à la Constitution de cet amendement n'est pas garantie : il pourrait se révéler contraire au principe constitutionnel de la liberté contractuelle.

Concernant les travailleurs handicapés, le Sénat s'est montré attentif à ce que leurs parcours professionnels soient aussi fluides que possible entre milieu protégé et milieu adapté ou milieu dit « classique ». Il s'est également attaché à protéger le modèle économique des entreprises dotées de plusieurs établissements des nouvelles modalités de calcul de l'obligation d'emploi des travailleurs handicapées (OETH) ainsi qu'à réhabiliter l'accord agréé comme possible voie d'acquittement de l'OETH.

S'agissant de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, il a surtout souhaité préserver l'équilibre originel du texte, en conciliant au mieux l'impératif d'égalité salariale et l'autonomie de gestion des entreprises.

Enfin, le Sénat a recentré le projet de loi sur ses objectifs initiaux. C'est pourquoi il a rejeté l'article qui traite de la responsabilité sociale des plateformes numériques à l'égard de leurs collaborateurs, ainsi que tous les articles relatifs à la réforme du régime de la disponibilité des fonctionnaires et à l'élargissement des recrutements par voie directe, qui sont dépourvus de lien avec l'objet du texte.

Le Sénat a eu une attitude d'ouverture constante sur ce texte. Nous n'avons pas remis en cause la philosophie générale du projet de loi ; nous avons tenté de nuancer ses excès et nous avons accueilli favorablement nombre des amendements proposés par le Gouvernement.

Malgré tous les efforts du Sénat, force est de constater que nous n'aboutirons pas à un accord aujourd'hui à l'issue de notre réunion.

L'élaboration de la loi nécessite un temps de réflexion indispensable, de préférence préalable au temps d'examen par le Parlement. Nous connaissons les contraintes qui pèsent sur le Gouvernement lorsqu'il élabore un projet de loi, mais nous déplorons la méthode retenue, qui nuit à la capacité du Parlement à exercer pleinement ses missions. Tout dépôt d'un amendement substantiel du Gouvernement en cours d'examen parlementaire traduit un évident manque d'anticipation, une certaine improvisation ou une stratégie spécifique. Elle prive en outre les rapporteurs d'une étude d'impact sérieuse, de l'avis du Conseil d'État et de la possibilité d'organiser des auditions. Ce texte en offre malheureusement un certain nombre d'exemples : sur l'emploi des travailleurs handicapés et l'égalité professionnelle, sur les plateformes numériques ou encore sur les fraudes au détachement, marquées par les hésitations du Gouvernement. Je songe surtout à la décision, déjà évoquée, du Président de la République, le 9 juillet dernier, de mettre fin par anticipation à la convention d'assurance chômage car elle a condamné à l'échec notre réunion de commission mixte paritaire.

Jusqu'à cette date, nous avions le sentiment qu'un accord était envisageable : les divergences entre nos deux assemblées étaient bien moins nombreuses que les points de convergence. Mais le calendrier parlementaire très contraint et l'annonce du Président de la République ont ruiné cette possibilité. Nous regrettons cette situation, car le Sénat a démontré lors de l'examen du projet de loi d'habilitation à réformer par ordonnances le code du travail, puis du projet de loi de ratification, sa capacité à forger des compromis avec l'Assemblée nationale.

Le Sénat est resté fidèle à sa tradition en ouvrant le dialogue avec l'Assemblée nationale pour enrichir le texte et donner tout son sens au bicamérisme. Au-delà du sujet qui nous préoccupe aujourd'hui, et indépendamment de nos orientations politiques, il nous importe dans les mois qui viennent de préserver ce bien précieux qu'est le travail législatif, aujourd'hui quelque peu malmené, et de réfléchir aux moyens de rééquilibrer les relations entre le Parlement et le Gouvernement. Une société démocratique équilibrée se doit non seulement d'entendre, mais surtout d'acter les travaux de ses deux chambres, représentant les citoyens, mais également les élus responsables des territoires.

M. Aurélien Taché, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Un mois après son adoption par l'Assemblée nationale, le Sénat a approuvé ce matin le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel.

Sur les 124 articles que compte le projet de loi au terme de la première lecture, 96 articles restent en discussion, le Sénat ayant adopté seulement 28 articles conformes. Parmi ces 96 articles en discussion, 17 ont été supprimés par le Sénat et 20 ont été introduits lors de ses discussions.

S'agissant du titre Ier, je ne partage pas votre analyse selon laquelle l'équilibre issu des travaux de l'Assemblée nationale en première lecture aurait été préservé au Sénat, s'agissant du rôle des régions, ou plutôt devrais-je dire des entreprises, à qui nous aurions souhaité que vous fassiez davantage confiance.

Ainsi, en matière d'apprentissage, la réaffirmation de la compétence régionale s'inscrit dans une opposition claire à la nouvelle gouvernance voulue par notre majorité, comme en témoigne notamment l'adoption d'une stratégie régionale pluriannuelle opposable aux branches professionnelles et aux opérateurs de compétences, qui devraient rendre des comptes à la région via un rapport.

Même chose pour le conseil en évolution professionnelle, la désignation des nouveaux opérateurs par France compétences ayant été supprimée au bénéfice des régions. Il s'agit pourtant d'une mission clef de cette nouvelle institution, qui doit permettre de remédier aux faiblesses actuelles d'un CEP insuffisamment déployé.

Les divergences sont aussi réelles sur le titre III, puisque l'ensemble du volet relatif à la fonction publique a été supprimé par le Sénat.

Les six articles concernant la disponibilité et l'accès à certains postes à responsabilité dans les trois fonctions publiques ont ainsi été purement et simplement supprimés du projet de loi. Ces suppressions contrastent nettement avec la volonté exprimée par notre assemblée en première lecture, qui était de favoriser, conformément aux annonces faites par le Gouvernement en février dernier, la mobilité et la diversité des parcours dans la sphère publique.

Ces différents points, je le crois, auraient à eux seul rendu difficile un accord de nos deux chambres sur le texte.

Les échanges menés avec les rapporteurs du Sénat, que je remercie pour leur accueil, aussi chaleureux que constructif, ont cependant conduit à identifier un autre désaccord, plus fondamental, concernant le titre II relatif à l'assurance chômage.

Dès l'examen en commission, le Sénat a procédé à une suppression sèche de l'article 33 relatif à la mise en oeuvre par voie réglementaire des règles en matière de bonus-malus et de cumul entre revenus d'activité et allocation chômage, qui sont pourtant déterminantes pour lutter contre la précarité dans l'emploi.

Ce désaccord s'est ensuite cristallisé au stade de la séance publique, avec le rejet de l'amendement gouvernemental visant à traduire l'engagement pris par le Président de la République lors du dernier Congrès.

Le Gouvernement a en effet proposé une rédaction globale de l'article 33, demandant aux partenaires sociaux de renégocier dans un délai de quatre mois la convention d'assurance chômage, en proposant notamment une nouvelle articulation entre assurance et solidarité. Cette logique d'ensemble se substitue donc à la seule fixation par décret de certains paramètres relevant en principe de la compétence des partenaires sociaux, telle que le prévoyait initialement le texte.

La majorité à l'Assemblée nationale soutiendra au contraire cette démarche du Président de la République et du Gouvernement, qui a le mérite de donner aux partenaires sociaux le pouvoir de renégocier tout de suite l'architecture d'ensemble de l'assurance chômage.

Toute disposition qui viendrait contraindre de quelconque manière que ce soit le périmètre ou la finalité de cette négociation serait contraire à cet amendement, qui vise au contraire à redonner, selon l'expression consacrée, le maximum de grain à moudre à la démocratie sociale ; cela suffira - j'en ai peur - à constater l'ampleur de ce qui nous sépare.

Au-delà de ces trois séries de désaccords majeurs, plusieurs rédactions adoptées par le Sénat reviennent enfin sur les travaux de notre assemblée et éloignent ainsi encore davantage la possibilité d'un accord.

Je pense ainsi à la suppression de plusieurs missions de France Compétences, à la création de nouvelles obligations pour la formation des enseignants allant au-delà du domaine de la loi, à la suppression de l'âge minimal pour travailler dans un débit de boissons, ou encore à la modification des règles de calcul de l'obligation d'emploi de travailleurs handicapés et de la liste de ces bénéficiaires dans le secteur public.

L'ensemble de ces éléments - et je le regrette - devrait nous amener à constater dès maintenant la divergence entre nos deux chambres et malheureusement à acter l'échec de notre commission mixte paritaire.

M. Gérard Cherpion, député. - Les deux rapporteurs ont été parfaitement clairs : nous allons vers un échec, que je regrette très sincèrement, car il me semble que le Sénat avait très largement amélioré la qualité de ce texte, par un certain nombre d'amendements, et que tout était possible.

Mais cela n'est plus d'actualité du fait d'un « amendement du président de la République » - car c'est en fait de ça dont il s'agit -  venu modifier complètement le sens du texte en cours de discussion. C'est une responsabilité enlevée aux parlementaires, sénateurs comme députés, et nous ne pouvons pas accepter, à mon sens, que l'on continue à travailler dans de ces conditions.

J'ajoute, s'agissant du calendrier, que le Sénat a terminé d'examiner le texte ce midi, et la commission à l'Assemblée reprendra ses travaux mercredi : on voit très bien dans quel système nous fonctionnons - ou plutôt ne fonctionnons pas - et je ne peux que le regretter. L'examen du texte au Sénat avait, me semble-t-il, apporté un certain nombre d'avancées, et permettait d'équilibrer l'ensemble du système, que ce soit sur l'apprentissage, sur la formation professionnelle comme sur l'assurance chômage, les autres parties du texte pouvant être sujettes à des discussions plus fines. Nous passons à côté d'une belle occasion, et si nous revenons vers le texte de l'Assemblée, nous n'aurons pas fait de progrès dans le sens qui doit être le nôtre, c'est-à-dire la formation de nos jeunes et des personnes en recherche d'emploi. N'oublions pas que le projet d'amendement du Gouvernement à l'article 33 aura aussi des conséquences pour les demandeurs d'emploi, sur la durée et le montant de l'indemnisation.

M. Patrick Hetzel, député. - Je voudrais aller dans le même sens que notre collègue Gérard Cherpion : il est effectivement décevant de constater que nous rejetons de cette manière tout le travail effectué au Sénat. Cela montre une nouvelle fois le décalage énorme entre ce que la majorité, ici à l'Assemblée nationale, déclare et ce qu'elle fait en réalité. Nous avons d'ailleurs à plusieurs reprises insisté sur l'impréparation de ce texte, et nous assistons aujourd'hui à une nouvelle démonstration de cette impréparation. Ce qui est d'autant plus insupportable, c'est que nous avions demandé plusieurs fois à la ministre de dire ce qu'elle souhaitait, notamment sur le financement du hors-quota, et l'on voit un nouvel arbitrage du Gouvernement, qui revient sur ses décisions. On est en train de mettre en péril par ces décisions les lycées professionnels. La majorité actuelle portera une lourde responsabilité dans les dysfonctionnements qui ne manqueront pas d'arriver. De notre côté, nous aurons fait le maximum pour alerter sur les problèmes, mais cet autisme persistant est assez inquiétant.

Mme Brigitte Bourguignon, députée, présidente. - Merci d'éviter ce terme !

Au vu de ces échanges, je crois que nous ne pouvons que constater l'échec de cette commission mixte paritaire.

M. Michel Forissier, sénateur, président. - Je le regrette, puisque nous avions commencé nos travaux dans un état d'esprit d'ouverture, comme je vous l'ai indiqué tout à l'heure. Ce qui est difficile, dans notre système bicaméral, c'est qu'une assemblée construit d'abord son texte sans en parler à l'autre, sans co-construction préalable. A l'avenir, la réflexion sur le fonctionnement de nos institutions devrait, à mon sens, également porter sur les échanges en amont entre nos deux assemblées, car il est toujours très difficile de tomber d'accord sur un texte qui n'a pas été co-construit au préalable.

Sur le fond, enlever la compétence de la formation professionnelle aux régions n'est évidemment pas envisageable pour le Sénat qui représente les collectivités territoriales. Nous avions espéré, lors de la première audition de la ministre devant notre commission, que le Gouvernement fasse un pas vers nous, et nous aurions pu en faire un également, même si nous comprenons évidemment que le Président de la République tienne les promesses qu'il a faites aux Français.

Sur la méthodologie, dans nos intérêts respectifs, il faut vraiment que nous ayons plus de temps pour travailler car l'examen des textes est aujourd'hui une course de vitesse. Sous la précédente législature, j'ai été rapporteur sur beaucoup de sujets, et notamment l'ordonnance relative au nouveau statut de l'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), qui a été adoptée conforme par le Sénat, mais le travail préparatoire avait été beaucoup plus important. Évidemment, ce n'est pas parce que nous sommes devant un échec aujourd'hui que cela nous empêchera de trouver des points d'accord à l'avenir, dans l'intérêt général des Français, surtout des jeunes de niveaux IV et V qui attendent aujourd'hui beaucoup de la formation professionnelle Je vous remercie toutefois pour votre accueil car nous n'arriverons pas aujourd'hui à convaincre les majorités des deux assemblées de faire le pas nécessaire.

La commission mixte paritaire constate qu'elle ne peut parvenir à élaborer un texte commun sur les dispositions restant en discussion du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel.

La réunion est close à 20 heures.

Mercredi 18 juillet 2018

- Présidence de M. Jacques Grosperrin, vice-président -

La réunion est ouverte à 17 h 30.

Commission mixte paritaire sur la proposition de loi relative à l'encadrement de l'usage du téléphone portable dans les écoles et les collèges

Conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution et à la demande de M. le Premier ministre, une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à l'encadrement de l'utilisation du téléphone portable dans les établissements d'enseignement scolaire, s'est réunie à l'Assemblée nationale le mercredi 18 juillet 2018.

Elle a procédé à la désignation de son bureau, qui a été ainsi constitué :

- M. Bruno Studer, député, président,

- M. Jacques Grosperrin, sénateur, vice-président.

La commission a également désigné :

- Mme Cathy Racon-Bouzon, députée,

- M. Stéphane Piednoir, sénateur,

comme rapporteurs respectivement pour l'Assemblée nationale et le Sénat.

M. Bruno Studer, député, président. À l'occasion de la première commission mixte paritaire réunissant nos deux commissions à l'Assemblée nationale, je forme le voeu que nous aboutissions à un résultat satisfaisant sur cette proposition de loi relative à l'encadrement de l'utilisation du téléphone portable dans les établissements d'enseignement scolaire.

Les quatre articles de la proposition de loi sont encore en discussion. L'esprit de l'article 45 de la Constitution, qui doit guider nos travaux, implique que si nous parvenons à un texte commun, celui-ci doit pouvoir être adopté par les deux assemblées. Dans cette logique, je veillerai à ce que la parité entre nos deux assemblées soit maintenue tout au long de nos débats, tant pour le nombre de commissaires que pour les majorités.

M. Jacques Grosperrin, sénateur, vice-président. - Je suis heureux de revenir dans un lieu où j'ai exercé des mandats précédemment. J'espère que notre commission mixte paritaire sera conclusive, tout comme l'a été celle sur le projet de loi relatif à l'orientation et à la réussite des étudiants. Je remercie les rapporteurs pour leur travail. Certains parlementaires ont souligné le fait que l'interdiction de l'usage du téléphone portable dans les établissements scolaires relevait du règlement intérieur de ces derniers, et que son inscription dans un texte législatif relevait de l'affichage politique. Je pense néanmoins que c'est un signal fort qui permet de montrer que l'école, le collège et le lycée sont des espaces sanctuarisés. Cela permet aussi de garantir l'effectivité de l'interdiction dans tous les établissements.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - En effet un certain nombre de réserves se sont exprimées à l'Assemblée nationale et au Sénat sur l'opportunité de légiférer. En entrant dans le sujet, on s'aperçoit qu'il existe un réel besoin de sécurisation des pratiques des chefs d'établissements, des enseignants et des surveillants.

La modification que le Sénat a apportée à l'article 1er donne de la cohérence à l'ensemble, en accordant aux lycées « l'autorisation d'interdire » l'usage du téléphone portable.

Le Sénat a également précisé utilement les conditions de confiscation et de restitution des appareils.

De façon générale, nous pensons qu'il faut faire confiance aux chefs d'établissement pour fixer les règles du jeu. Le débat au sein de la communauté éducative sur ces questions au moment de la rédaction du règlement intérieur est utile en ce qu'il permet une appropriation des règles et une prise de conscience des enjeux.

Mme Cathy Racon-Bouzon, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - Je salue le travail constructif qui a été réalisé tant à l'Assemblée qu'au Sénat, dans des délais assez courts, et qui a permis d'enrichir la proposition de loi déposée en mai dernier, en précisant et complétant le dispositif initial, mais également en introduisant des dispositions sur l'éducation au numérique à l'école, avec trois nouveaux articles.

Nous parvenons ainsi à un texte équilibré, qui repose sur deux jambes : d'une part, le principe d'une interdiction du portable dans les écoles et collèges, et le cas échéant dans les lycées, pour donner aux enfants une forme de « droit à la déconnexion » ; d'autre part, l'éducation des élèves à l'utilisation des outils et des ressources numériques, qui est devenue indispensable aujourd'hui.

Un tel texte me semble utile à la fois pour renforcer la base juridique de l'interdiction des portables dans les établissements scolaires, pour permettre aux établissements qui le souhaitent de prévoir une interdiction totale (ce qui n'est pas possible aujourd'hui, d'un point de vue juridique) et pour autoriser l'usage pédagogique des portables pendant les activités d'enseignement, ce qui est aujourd'hui prohibé.

Nous vous proposerons, M. Piednoir et moi-même, de reprendre la rédaction du Sénat sur l'article 1er, avec une petite modification. Nous avions débattu à l'Assemblée de la question des lycées ; il ne nous avait pas semblé opportun de poser le principe d'une interdiction, comme dans les écoles et les collèges. Mais la disposition adoptée par le Sénat, qui permet aux lycées de prévoir dans le règlement intérieur une interdiction totale ou partielle du portable, me semble intéressante : elle donne une assise juridique aux lycées qui souhaiteraient prévoir une telle interdiction, tout en leur laissant le choix.

Les modifications apportées aux dispositions sur la confiscation me paraissent également bienvenues, en clarifiant et en simplifiant la rédaction initiale.

Nous vous proposerons toutefois de rétablir dans la loi la notion d'usages pédagogiques des portables, comme dérogation au principe d'interdiction, qui avait été supprimée au Sénat, car elle me semble particulièrement importante.

Nous vous proposerons de rétablir l'article 2 et de réintroduire à l'article 3 la notion de « citoyenneté numérique » qui avait été supprimée. Il me paraît en effet essentiel de renforcer le rôle de l'école dans l'éducation de nos enfants à un usage responsable et éclairé du numérique, pour qu'ils apprennent à vivre dans le monde tel qu'il est.

Sur l'article 4, nous vous proposerons de retenir la rédaction adoptée par le Sénat : il n'est pas indispensable en effet de prévoir un rapport spécifique sur les expérimentations en matière de numérique.

M. Patrick Hetzel, député. - Bien qu'il y ait une dimension d'affichage politique dans la discussion et l'adoption de cette proposition de loi dont les dispositions principales figuraient déjà dans la loi depuis 2010, je reconnais que ce texte est intéressant. Le travail du Sénat l'a beaucoup enrichi, notamment en supprimant la mention sur les usages pédagogiques du téléphone pour la renvoyer aux règlements intérieurs des établissements. Il faut laisser une part d'initiative au « terrain » à travers les règlements intérieurs d'établissement.

La possibilité d'encadrer l'usage des téléphones portables au lycée est une très bonne chose. Le Sénat a également amélioré la rédaction de la proposition de loi en ce qui concerne les confiscations.

Enfin, des ajouts inutiles ont été supprimés par le Sénat, notamment la notion de « citoyenneté numérique ». Il n'est pas opportun de l'introduire dans ce texte dans la mesure où le ministre a annoncé un débat sur la question du numérique à l'école.

En définitive, le texte adopté par le Sénat est meilleur qu'à l'issue des travaux de l'Assemblée nationale.

M. Jean-Jacques Lozach, sénateur. - Le groupe Socialiste et Républicain du Sénat a exprimé un désaccord sur le support législatif mais non sur le principe même de l'interdiction du téléphone portable et de l'ensemble des objets connectés dans les établissements d'enseignement primaire et secondaire. En conséquence, nous nous abstiendrons.

M. Frédéric Reiss, député. - Pour compléter les propos de M. Patrick Hetzel, j'approuve l'ajout par le Sénat, dans un paragraphe distinct, de la possibilité d'interdire l'usage des téléphones portables au lycée.

La loi du 12 juillet 2010 a permis à un grand nombre d'établissements d'introduire l'interdiction du téléphone portable dans leurs règlements intérieurs, et les formulations trouvées ont pu servir d'exemple.

Mme Annick Billon, sénatrice. - Je me réjouis de voir que cette commission mixte paritaire va probablement parvenir à un accord, et que les avancées proposées par le Sénat soient entendues par l'Assemblée nationale.

Je regrette néanmoins que cette proposition de loi ne traite que du téléphone portable dans les établissements scolaires alors que la question du numérique et de la jeunesse mériterait d'être traitée dans son ensemble.

M. Max Brisson, sénateur. - Je m'interroge sur le temps consacré par le Parlement à ce sujet qui relève du niveau réglementaire, alors que des réformes essentielles, comme celle du baccalauréat, sont actuellement entreprises par le ministère de l'Éducation nationale par voie réglementaire, et donc sans véhicule législatif - même si cela résulte de la répartition entre domaines réglementaire et législatif.

Nous souhaitons que le ministre indique comment le numérique est utilisé à l'école dans les pratiques pédagogiques. Ce sujet pourrait faire l'objet d'un projet de loi.

Mme Géraldine Bannier, députée. - Ayant une expérience professionnelle au collège et au lycée, je me réjouis de cette proposition de loi. Il existait une grande incertitude, d'un établissement à l'autre, sur les possibilités d'interdiction et de confiscation. J'approuve également l'autorisation des usages pédagogiques du téléphone portable.

M. Cédric Roussel, député. - Je me réjouis d'avoir participé à l'enrichissement de ce texte et j'espère que nous parviendrons à un accord. Ce sujet a donné lieu à des réunions publiques dans les territoires. Certains parents ont du mal à encadrer l'usage des appareils connectés et l'Éducation nationale peut donner l'exemple. C'est aussi une avancée dans la lutte contre le harcèlement sur les réseaux sociaux.

La commission mixte paritaire passe ensuite à l'examen des articles restant en discussion.

EXAMEN DES ARTICLES

Article premier - Encadrement de l'utilisation du téléphone portable dans les établissements d'enseignement scolaire

M. Bruno Studer, député, président. - Sur cet article 1er, la commission mixte paritaire est saisie d'une proposition de rédaction n° 1 des deux rapporteurs.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - L'apport principal du Sénat à ce premier article est l'extension au lycée de la possibilité d'interdire l'usage du téléphone portable.

S'agissant de l'encadrement de l'utilisation du portable dans les écoles et les collèges, la rapporteure pour l'Assemblée et moi-même vous proposons de reprendre la rédaction du Sénat, en y réintroduisant la notion d'usages pédagogiques du téléphone portable comme exception à l'interdiction, laissée à l'appréciation de chaque établissement dans le cadre de son règlement intérieur.

Mme Cathy Racon-Bouzon, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - Il s'agit en effet d'un bon compromis. La formulation proposée permettra de susciter le débat au sein de chaque établissement.

La proposition de rédaction n° 1 est adoptée.

La commission mixte paritaire adopte l'article 1er dans la rédaction issue de ses travaux.

Article 2
Introduction d'une dimension numérique dans la définition de l'éducation à la responsabilité civique

Mme Cathy Racon-Bouzon, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - Nous proposons de retenir le texte adopté par l'Assemblée nationale, qui mentionne l'éducation aux outils d'internet et des services de communication en ligne.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - Le Sénat avait proposé de supprimer cet article, mais nous pouvons accepter la proposition de la rapporteure de l'Assemblée nationale.

La commission mixte paritaire adopte l'article 2 dans la rédaction de l'Assemblée nationale.

Article 3
Renforcement de la formation à l'utilisation des outils et ressources numériques

Mme Cathy Racon-Bouzon, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - Nous proposons de revenir au texte de l'Assemblée nationale pour le paragraphe I de cet article, qui comprend la notion de « citoyenneté numérique ». Celle-ci est essentielle pour apprendre aux enfants l'usage responsable d'Internet et des réseaux sociaux. Pour le paragraphe II, nous proposons de retenir le texte du Sénat concernant l'application de ces dispositions à Wallis-et-Futuna.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - J'ai exprimé des réserves sur l'expression de « citoyenneté numérique », que le Sénat a d'ailleurs supprimée. J'accepte toutefois sa réintroduction puisqu'un débat sur l'utilisation du numérique en milieu scolaire a été promis pour le début de l'année 2019.

M. Bruno Studer, député, président. - Je salue à ce propos l'initiative de la présidente de la commission de la Culture, de l'Éducation et de la Communication du Sénat en matière de numérique éducatif, et je rappelle que la mission d'information sur l'école dans la société du numérique, dont MM. Frédéric Reiss et Cédric Roussel sont membres et que je préside, remettra ses travaux en septembre 2018.

M. Patrick Hetzel, député. - Je m'étais vivement opposé à l'introduction de cette terminologie dans ce texte. Je ne voterai donc pas en faveur de cette proposition de rédaction.

M. Max Brisson, sénateur. - Je suivrai le rapporteur du Sénat. Moi qui ai longtemps été professeur, je m'interroge toutefois sur les injonctions que nous adressons au corps enseignant. Les programmes sont déjà suffisamment lourds : la barque finit par être trop chargée ! Il convient de faire confiance aux professeurs, qui sont capables d'assurer la transmission des savoirs et des savoir-être.

M. Frédéric Reiss, député. - Je voterai contre cette proposition.

Mme Annick Billon, sénatrice. - Je suivrai, sans grand enthousiasme, le rapporteur du Sénat.

La proposition de rédaction n° 2 est adoptée.

La commission mixte paritaire adopte l'article 3 dans la rédaction issue de ses travaux.

Article 4
Expérimentations en matière d'utilisation des ressources numériques

La commission mixte paritaire adopte l'article 4 dans la rédaction du Sénat.

Titre de la proposition de loi

La commission mixte paritaire adopte le titre de la proposition de loi dans la rédaction du Sénat.

La commission mixte paritaire adopte ensuite l'ensemble des dispositions de la proposition de loi restant en discussion, dans la rédaction issue de ses travaux.

M. Bruno Studer, député, président. - Je vous remercie pour l'adoption de ce texte commun ; c'est une perspective réjouissante !

M. Jacques Grosperrin, sénateur, vice-président. - Je remercie les rapporteurs pour leur travail et les collègues qui ont voté pour cette proposition de loi. Nous sommes conscients de la dimension de communication du texte et de ce qui se fait déjà par les règlements intérieurs mais cette proposition de loi est un marqueur symbolique important du rôle et de la place de l'école dans notre société. C'est pourquoi je remercie mes collègues députés du groupe Les Républicains pour leur abstention.

La réunion est close à 18 heures.