Jeudi 27 février 2020

- Présidence de M. Michel Magras, président -

Étude sur les enjeux financiers et fiscaux européens pour les outre-mer en 2020 - Audition de M. Emmanuel Berthier, directeur général des outre-mer (DGOM)

M. Michel Magras, président. - Mes chers collègues. Nous poursuivons ce matin nos auditions sur les enjeux financiers et fiscaux européens pour les outre-mer en 2020, en accueillant M. Emmanuel Berthier, Préfet, Directeur général des outre-mer. Il est accompagné de MM. Etienne Desplanques, sous-directeur des politiques publiques et Ibrahim Moussouni, chef du bureau des politiques européennes, d'insertion régionale et de valorisation de l'outre-mer du ministère des outre-mer. Nos collègues Vivette Lopez, Dominique Théophile, et Gilbert Roger sont rapporteurs de cette étude.

Je vous précise que nous avons déjà entendu le Secrétariat général des affaires européennes (SGAE), les représentants d'EURODOM et de la Fédération des Entreprises d'Outre-Mer (FEDOM), ainsi que le délégué interministériel à la transition agricole des outre-mer, M. Arnaud Martrenchar.

Avec dix autres collègues, dont le président de la commission des affaires européennes, M. Jean Bizet, nous nous sommes aussi rendus à Bruxelles. Nous avons été reçus à la Représentation permanente, par M. Philippe Léglise-Costa et son équipe, que nous comptons auditionner à nouveau début avril. Nous nous sommes également rendus au Parlement, et à la Commission. Nous avons par ailleurs échangé avec les représentants des bureaux des régions ultrapériphériques (RUP) installés à Bruxelles, notamment ceux de Guyane et de Guadeloupe, ainsi qu'avec M. Olivier Gaston, président exécutif de l'Association des pays et territoires d'outre-mer (OCTA).

Des visioconférences sont en outre prévues pour chaque bassin océanique, et cet après-midi à 17 heures, nous auditionnerons un représentant du Conseil régional de Guadeloupe.

Nous suivons avec la plus grande attention les négociations qui se déroulent à Bruxelles, et nous serons bien entendu très heureux de vous entendre sur le dernier Conseil européen, qui n'a pu parvenir à un accord pour son nouveau cadre financier pluriannuel (CFP) 20121-2027. Comme à l'accoutumée lors de nos auditions, nous vous avons adressé une trame qui servira de fil conducteur à nos débats.

Avant de vous donner la parole, je voudrais demander à mes collègues de bien vouloir noter la date du jeudi 14 mai 2020 dans leur agenda.

Le Président du Sénat a initié cette semaine un groupe de travail sur la décentralisation, réunissant sous sa présidence, entre autres, les présidents de groupe politique, le président de la commission des lois, le président de la délégation aux collectivités territoriales, le président et le rapporteur général de la commission des finances, et moi-même, en qualité de président de la délégation aux outre-mer. Une réunion de ce groupe de travail sera consacrée aux collectivités ultramarines, courant mai 2020.

Afin de faire remonter les propositions des différents territoires à ce groupe de travail en vue de cette séquence, je souhaite organiser une réunion élargie de la délégation, salle Médicis, la journée du 14 mai 2020, associant des représentants des exécutifs de l'ensemble de nos collectivités ultramarines, et des juristes, dont ceux de l'association des juristes en droit des outre-mer (AJDOM).

Pour préparer cette réunion, un questionnaire portant sur les différentes problématiques de la différenciation sera diffusé prochainement, afin de permettre une réflexion en amont. Le Sénat, à l'issue des travaux de ce groupe de travail, prévu le 10 juin 2020, devra exprimer des recommandations fortes sur la différenciation dans les outre-mer.

M. Emmanuel Berthier, directeur général des outre-mer. - Comme vous l'avez rappelé, l'année 2020 est décisive pour les outre-mer et l'Europe, en raison de concomitance des négociations sur le CFP post-2020, de la renotification des principaux régimes d'aides d'État (octroi de mer, aides au rhum, défiscalisation), ainsi que de la délicate négociation d'un accord de partenariat avec les Britanniques.

L'enjeu des négociations budgétaires est stratégique pour les outre-mer, puisque les fonds européens structurels et d'investissement (FESI) représentent 4,8 milliards d'euros dans les régions ultrapériphériques (RUP), c'est-à-dire un cinquième de l'ensemble des FESI destinés à la France. La part du Fonds européen de développement régional (FEDER) et du Fonds social européen (FSE) consacrée aux RUP atteint même 25 % de l'enveloppe nationale. Les autorités de gestion sont maintenant pleinement opérationnelles, après quelques difficultés liées à des changements institutionnels. Les taux de consommation du FEDER, du FSE, et du Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) sont en léger décalage par rapport à la moyenne hexagonale, mais celui-ci se réduit depuis la fin de l'année 2017. De plus, dans toute l'Europe, les taux de consommation augmentent fortement en fin de période.

Pour l'heure, les autorités de gestion des RUP n'ont pas enregistré de dégagement d'office, à l'exception des programmes Interreg. De plus, le niveau d'avancement de la consommation du Fonds européen de développement (FED) est satisfaisant. Il existe quelques difficultés de programmation des Fonds de liaison entre actions de développement de l'économie rurale (LEADER), mais elles se retrouvent au niveau national. Les programmes Interreg de petite taille rencontrent également des difficultés et des dégagements d'office ont été constatés pour le programme entre Mayotte et son voisinage. Enfin, les RUP comme les pays et territoires d'outre-mer (PTOM) peinent encore à accéder aux programmes horizontaux.

La proposition initiale de la Commission européenne, en ligne avec les annoncés faites par son président, M. Jean-Claude Juncker, en Guyane à l'automne 2017, contient des avancées assez significatives pour les outre-mer. S'il n'y a pas de changement de périmètre pour les fonds, cette proposition prévoit une allocation spécifique RUP étendue au FSE. Elle prévoit un instrument particulier, intégré au budget de l'Union, en remplacement du FED, et régi par des règles souples. Le président Juncker avait également promis une amélioration de l'accès aux programmes horizontaux pour les RUP et les PTOM, ce qui est effectivement le cas dans les règlements concernés, et indiqué que des dérogations seraient maintenues pour les RUP en matière de soutien aux investissements. Par exemple, la capacité de financement des aéroports sera maintenue dans les RUP pour la période 2021-2027.

M. Jean-Claude Juncker avait également fait part de son souhait de faciliter le mixage du FEDER, des fonds PTOM, et des fonds Afriques Caraïbes et Pacifique (ACP), pour accompagner l'émergence de programmes régionaux. C'est effectivement le cas dans le projet de règlement relatif à la coopération territoriale européenne, ce qui facilitera l'insertion des RUP et des PTOM dans leur bassin océanique, en associant ces territoires aux pays ACP.

Depuis la fin 2017, les positions portées par les autorités françaises sont claires. Il s'agit tout d'abord de défendre le Programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (POSEI), qui atteint actuellement 278 millions d'euros par an, ainsi que les plans de compensation des surcoûts dans le cadre du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP). La France demande également le maintien du taux de cofinancement spécifique aux RUP en matière de FEDER, de FSE, et de FEADER, qui atteint aujourd'hui 85 %. Par ailleurs, nous demandons de manière répétée l'assouplissement des règles de concentration thématique pour le FEDER et le FSE. Pour l'heure, la Commission européenne propose un taux de 35 % pour l'objectif stratégique n° 1 concernant la recherche, l'innovation et la croissance des PME, ce qui nous apparaît trop élevé. Nous demandons également le relèvement de l'allocation spécifique RUP, pour permettre de financer effectivement l'extension au FSE+. Nous demandons par ailleurs l'augmentation de l'enveloppe globale des PTOM. A tout le moins, nous souhaitons qu'elle puisse être préservée.

Le ministère des outre-mer participe à la construction des positions fixées par le SGAE, et négociées par la Représentation permanente à Bruxelles. Les positions que le ministère affiche en interministériel sont nourries par celles des PTOM et des RUP, avec lesquels nous avons des relations suivies. Nous organisons des points d'étape trimestriels avec l'ensemble des directeurs Europe des RUP possédant la qualité d'autorité de gestion, et nous associons de manière très étroite les PTOM aux négociations pour la Décision d'association outre-mer (DAO).

Nous avons clairement mis en oeuvre une stratégie d'alliance avec l'Espagne et le Portugal pour les RUP, malgré quelques difficultés initiales, en raison d'échéances électorales dans ces deux pays. Lors d'une conférence organisée à Bruxelles le 19 novembre 2019, les trois États membres et les 9 RUP ont présenté une déclaration commune. Nous préparons par ailleurs actuellement un non-paper commun. Nous défendons également avec ces deux États le maintien du budget de la politique agricole commune (PAC) et du Poséi. Nous avons ainsi produit un courrier conjoint le 9 octobre 2018, dont les termes ont été réitérés en 2019.

Nous avons eu des échanges satisfaisants avec les Pays-Bas et le Danemark lors de la négociation de la DAO. Néanmoins, le volet financier provoque un certain nombre de tensions, ces deux États défendant une évolution du CFP à 1 % du Revenu national brut (RNB).

Les négociations des règlements sont toujours en cours. La DAO a fait l'objet d'un accord partiel, de même qu'un certain nombre de règlements horizontaux, notamment Life, Horizon Europe ou encore Invest EU. Les principaux règlements qui nous concernent en sont au stade des trilogues, en particulier s'agissant du FEDER, du FSE+, du FEAMP, ou du NDICI. Nous constatons un retard sur la PAC, obligeant la négociation d'un règlement provisoire pour 2021.

Le Conseil européen des 20 et 21 février 2020 n'a pas été conclusif, s'agissant de la boîte de négociation financière.

Néanmoins, nous avons constaté un certain nombre d'avancées dans les négociations des règlements, bien que tous les problèmes n'aient pas été réglés. L'éligibilité au FEDER des grandes entreprises dans les RUP est notamment acquise. L'absence de soumission de l'allocation spécifique RUP aux règles de concentration thématique n'est pas remise en cause. De plus, si le FEAMP connaît un plafonnement à 50 % des plans de compensation des surcoûts, la dernière position du Conseil européen prévoit une autorisation de dépassements sur justification. Nous prêtons par ailleurs une grande attention aux dispositions du FEDER, et en particulier, nous n'avons pas encore obtenu) le maintien de la dérogation permettant l'éligibilité des installations de traitement des déchets. La Commission demeure en effet fermée sur ce point.

Les taux de cofinancement atteignent aujourd'hui 85 %. Dans le prochain cadre financier pluriannuel, il est prévu de les abaisser à 75 %, selon la dernière proposition présentée en amont du Conseil des 20 et 21 février 2020. Aucun accord n'ayant pour l'heure été conclu, cette proposition n'est cependant pas encore totalement entérinée. L'allocation spécifique RUP destinée au FSE + devrait également passer en volume de 375 à 250 millions d'euros, mais cette enveloppe est imputée sur l'allocation spécifique au niveau global, ce qui va réduire d'autant l'allocation spécifique destinée au FEDER : le compte n'y est donc toujours pas.

Par ailleurs, suite au dernier Conseil européen, nous constatons que la concentration thématique pour l'objectif stratégique n° 1 est ramenée à 30 %.

Les discussions risquent par ailleurs de s'avérer délicates concernant le montant global de l'enveloppe PTOM, bien que la proposition initiale de la Commission prévoit une augmentation par rapport à la précédente programmation.

Le montant du Poséi dépendra de celui de la PAC, et de l'arbitrage final du Conseil entre le premier et le second pilier. La dernière position affichée par la présidence du Conseil européen est celle d'une baisse globale par rapport à la proposition initiale, avec un rééquilibrage en faveur du premier pilier par rapport à la proposition finlandaise. Nous suivons avec attention les négociations concernant la PAC, notamment l'équilibre entre 1er et 2ème pilier, car cela affectera le Poséi destiné aux RUP.

Il faut noter que le Président de la République, rendant compte des objectifs stratégiques que la France s'était fixée lors du dernier Conseil, a témoigné de la volonté de défendre la PAC et les spécificités des RUP.

La France souhaite par ailleurs aboutir à un accord avant la fin de l'année. En cas d'échec, les plafonds applicables à l'année 2020 seraient néanmoins prorogés d'un an. Cependant, nous tenons à ce que les instruments, à l'exception de la PAC, puissent réellement faire l'objet d'une décision définitive, et entrent en application au 1er janvier 2021.

S'agissant des enjeux fiscaux, la France défend la renotification des régimes actuels d'aides d'Etat. Nous demeurons cependant ouverts à un certain nombre de simplifications. Nous avons notamment demandé la renotification de l'octroi de mer, et de l'aide sur le rhum au début de l'année 2019. Le processus d'évaluation est en cours, par des cabinets mandatés par la direction générale de la fiscalité et des douanes (DG TAXUD) : PricewaterhouseCoopers (PWC) pour l'aide au rhum ; le cabinet italien Economisti Associati Consulting pour l'octroi de mer.

Pour défendre le maintien de ces régimes, nous avons notamment démontré qu'ils étaient nécessaires, proportionnés, et n'entraînaient pas de distorsion de la concurrence à l'échelle de chacun de nos territoires. Nous avons également souligné qu'il n'existait pas de surcompensation des surcoûts.

Nous sommes dans l'attente des décisions concrétisant la prolongation de deux ans pour le Règlement général d'exemption par catégorie (RGEC). Le RGEC ne constitue cependant pas pour nous un sujet de préoccupation majeur, dans la mesure où la Commission européenne ouvre une réflexion de nature générale, qui sera l'occasion d'évoquer à nouveau des sujets tels que la prise en compte des investissements de renouvellement.

Nous percevons néanmoins que la commission pousse à des simplifications. Nous souhaitons donc bien cerner les enjeux de leur application. S'agissant de l'aide au rhum, les opérateurs demandent des simplifications pour permettre d'augmenter légèrement le contingent chaque année, sans passer par la lourde procédure actuelle. Sur l'octroi de mer, la Commission semble vouloir alléger les procédures sur la modification des listes. Nous sommes néanmoins extrêmement attentifs à la sécurité juridique du dispositif en cours d'élaboration, et sommes par ailleurs ouverts à un relèvement des seuils d'assujettissement.

Parallèlement à la négociation budgétaire qui nous occupera toute l'année, sous le contrôle étroit du SGAE, nous devrons assurer la négociation sur ces régimes d'aides d'État à partir de rapports d'évaluation réalisés pour le compte de la Commission. Nous connaîtrons sur ce point des négociations très intenses dans les prochains mois.

M. Michel Magras, président. - Je vous remercie. Votre exposé concorde avec ce qui nous a été dit, tant ici qu'à Bruxelles. Nous aurons l'occasion de revenir en détail sur ce que je perçois comme une nouvelle approche de la Commission européenne. Je laisse maintenant la parole au rapporteur.

M. Gilbert Roger, rapporteur. - Il existe un risque que le Brexit donne le sentiment à nos concitoyens, en particulier dans les RUP et les PTOM, que nous nous dirigeons vers une baisse générale des fonds. Lorsque nous nous sommes rendus à la Commission européenne, il nous a été souligné que la perte de la contribution nette britannique, qui s'élevait à 13 milliards d'euros, exigerait que des économies soient réalisées. Or cela pourrait donner l'envie à nos concitoyens de suivre l'exemple anglais. Comment l'Exécutif et l'administration envisagent-ils de faire face à ce problème ?

Par ailleurs, quel montant atteindraient les dégagements d'office sur l'ensemble des programmes ? En outre, comment les collectivités peuvent-elles améliorer leur propre travail, pour les éviter ?

Je ne suis pas un spécialiste de l'octroi de mer, mais il me semble qu'il s'agit d'une mesure extrêmement spécifique à la France. Quelle substitution peut être envisagée dans le cadre d'une éventuelle décision de suppression de l'octroi de mer au niveau européen ?

M. Emmanuel Berthier. - Le Brexit a eu un impact immédiat sur la négociation du futur CFP, comme nous avons pu le constater lors du Conseil européen du 20 et 21 février 2020. En effet, les Britanniques sont contributeurs nets. Leur départ pose par conséquent des problèmes de financement globaux. Il existe donc un risque de réduction des enveloppes. Par ailleurs, les Britanniques, qui avaient 12 des 25 PTOM de l'Union européenne, constituaient pour nous des alliés de poids dans les négociations terminales sur ces questions. Nous n'avons plus désormais que deux partenaires ayant des PTOM, le Danemark, avec le Groenland, et les Pays-Bas, dont l'approche financière apparaît cependant différente de celle du gouvernement français. Les Britanniques vont donc nous manquer dans cette perspective. Leur départ aura notamment un impact sur la mise en oeuvre des coopérations régionales, en particulier sur la mobilisation d'Interreg. Ce problème ne doit cependant pas être surévalué, dans la mesure où les PTOM britanniques connaissaient une activité assez faible s'agissant du fonctionnement d'Interreg Caraïbes.

Le véritable risque pour les outre-mer tient au futur accord de partenariat économique entre l'Union européenne et le Royaume-Uni. Il ne faudrait pas que les Britanniques deviennent une plateforme de réexportations de produits provenant de nos PTOM, en attirant des matières premières, et en les transformant sans appliquer les règles européennes, notamment sur le plan douanier. Nous devrons faire preuve d'une vigilance particulière sur le sucre. Le gouvernement a ainsi mis en place un dispositif pour anticiper les conséquences du Brexit, qui ressemble à celui mis en oeuvre pour les négociations sur le cadre financier pluriannuel. Nous veillons ainsi à une bonne articulation avec le SGAE, afin de défendre les intérêts français dans l'analyse des impacts du Brexit, et la définition de la position française dans la future négociation, qui s'annonce rude.

M. Gilbert Roger, rapporteur. - J'essaie d'être un consommateur engagé. J'apprécie beaucoup que dans les grandes surfaces désormais, les territoires et l'État aient mis en place un étiquetage spécifique pour les bananes provenant des départements antillais. Pour le sucre cependant, une telle mesure n'existe pas. Il est très difficile de savoir si le sucre provient des territoires ultramarins. Les Britanniques risquent donc d'être intraitables en la matière. Je ne comprends donc pas que nous n'arrivions pas à mettre en place un étiquetage spécifique pour le sucre.

M. Emmanuel Berthier. - Il convient de souligner la différence d'organisation et de priorité des filières. Pour la banane, la Martinique et la Guadeloupe ont réussi à construire une filière professionnelle efficace, notamment en matière de marketing et de différenciation de produit. Sur le sucre, malgré une prise de conscience récente, des efforts supplémentaires doivent être consentis.

M. Michel Magras, président. - Les accords de libre-échange ont posé un véritable problème d'équité pour la banane, aussi bien en termes de traitement, de qualité biologique, que de qualité sanitaire. Pour le sucre, la question apparaît plus délicate. La France est le premier producteur de sucre de l'Union européenne, mais elle produit essentiellement du sucre blanc. Les outre-mer produisent pour leur part du sucre roux, qui est et qui devrait être considéré comme un produit haut de gamme. D'autre part, des marchés nouveaux s'ouvrent, attentifs à la qualité. Le principal producteur de sucre en outre-mer est La Réunion. Or les accords signés avec les pays tiers posent problème. L'Union européenne avait par exemple autorisé le Vietnam à importer 20 000 tonnes de sucre sur le territoire européen. Il a fallu un travail remarquable de notre délégation, et une résolution du Sénat pour que soit précisée la part de sucre roux dans ce montant global. Les Vietnamiens étaient en effet sur le point d'exporter 20 000 tonnes de sucre roux, soit un cinquième de la production réunionnaise. Nous devons donc être particulièrement attentifs à la distinction entre ces deux types de sucre. Il s'agit d'un outil de communication indispensable pour promouvoir cette filière.

Il faut également mettre en lumière les différentes qualités qui existent en matière de sucre roux. Ainsi, à une époque, dans la Caraïbe, il était de notoriété publique que le meilleur sucre provenait de Saint-Kitts-et-Nevis. Cette notion de qualité doit être prise en compte pour l'avenir de la filière du sucre, comme pour celle du rhum, qui est un produit aussi noble que le cognac. La France défend son vin, à raison, et j'ai toujours considéré que le rhum est aux outre-mer ce que le vin est à la France. L'étiquetage sera néanmoins difficile, car il n'est pas sûr que les entreprises concernées soient prêtes à l'effectuer.

M. Gilbert Roger, rapporteur. - Cela correspond à la discussion que nous aurons avec les Britanniques. Cette question se posera également en matière de pêche. Une absence d'accord serait terrible.

M. Etienne Desplanques. - Il n'y a pas eu pour l'heure de dégagements d'office sur le FSE ou le FEDER, hors coopération territoriale européenne. Les seuls qui sont intervenus concernent le programme Mayotte avec les pays du voisinage : il a été de 219 000 euros pour 2018, et de 157 000 euros pour 2019. Ces montants apparaissent donc limités.

Nous avions également obtenu en 2018 pour Saint-Martin un régime dérogatoire évitant le dégagement d'office sur le programme Interreg avec Sint-Marteen, en raison du passage du cyclone Irma, qui avait ralenti l'activité administrative. Nous l'avons également sollicité pour l'année 2019. Néanmoins, il existe un risque de dégagement d'office d'environ un million d'euros. Ces deux programmes Interreg sont donc de petites tailles, puisqu'ils représentent de 10 à 12 millions d'euros. Ils n'ont donc pas la masse critique leur permettant de tenir les obligations administratives. Il suffit qu'un projet ne se réalise pas pour que le taux de consommation chute dramatiquement. Il n'existe donc pas une fongibilité comparable à celle qui peut exister dans d'autres programmes Interreg beaucoup plus étendus. Cela pose des questions concernant l'organisation après 2020, et l'évolution de la cartographie des autorités de gestion dans ce domaine, notamment par rapport au programme opérationnel (PO) Caraïbes ou Océan Indien. Nous échangeons actuellement avec les collectivités sur cette question.

Par ailleurs, le cabinet mandaté par la Commission sur l'octroi de mer n'a pas encore remis son rapport. Nous l'attendons pour avril ou mai 2020. Sa transmission permettra de lancer la négociation, de telle manière qu'une décision puisse être prise par le Conseil européen d'ici à la fin de l'année. Je tiens également à préciser que le régime d'aides d'État ne concerne pas l'octroi de mer en soi, mais les différentiels de taux, c'est-à-dire quand existe une différence entre le taux appliqué aux produits importés et ceux produits localement. Cette différence constitue une aide d'État, et est par conséquent soumise à autorisation. En cas de non-reconduction, ce seront donc les différentiels d'octroi de mer qui seraient éventuellement remis en cause. La difficulté se poserait donc avant tout pour les entreprises locales plutôt que pour les collectivités. Il convient donc de distinguer la renotification de ces différentiels, de la réflexion portant sur l'avenir de l'octroi de mer en tant que tel, qui fait l'objet de rapports nombreux, tels que celui de la Commission nationale d'évaluation des politiques publiques outre-mer (CNEPEOM).

Nous entamons ainsi des discussions avec la Commission européenne dans la perspective d'une reconduction de l'octroi de mer. La non-reconduction n'est donc pas une option. Nous sommes cependant ouverts à une évolution de l'encadrement de ces différentiels. Des propositions seront vraisemblablement faites par la Commission dans la perspective d'une simplification, mais elles ne doivent pas fragiliser l'assise juridique de ces différentiels.

M. Emmanuel Berthier. - Nous craignons le passage d'un système certes lourd, mais assumé concrètement au plus haut niveau européen, et qui prévient de nombreux contentieux, à des décisions qui pourraient être transférées à des autorités nationales, qui deviendraient ainsi vulnérables, y compris financièrement, à des contentieux engagés par des entreprises.

M. Michel Magras, président. - Cela est plus qu'une crainte, puisque cette volonté semble clairement affichée à Bruxelles.

M. Jean-François Rapin. - En tant que rapporteur au titre de la commission des finances du CFP, je souhaiterais apporter quelques précisions. Nous ressentons certaines tensions, dans la mesure où le retrait du Royaume-Uni provoquera un véritable cataclysme financier. À ce titre, il serait naïf d'imaginer que nous pourrions préserver les budgets en l'état. Nous ne souhaitons pas que la PAC baisse, ni les fonds de cohésion. Nous ne souhaitons pas non plus que les fonds d'investissement sur la défense baissent, ce qui apparaît beaucoup plus délicat. Enfin, il existe également un enjeu spatial pour les outre-mer, en raison de la base de lancement européenne de Guyane. Or si l'Union européenne en tant que telle souhaite s'engager de façon plus nette sur le spatial, la hausse des crédits sera moindre qu'annoncée initialement.

Au niveau parlementaire, un bon travail a été réalisé en amont en ce qui concerne l'outre-mer. Des amendements ont ainsi été portés à la résolution du Sénat sur le CFP, et je pense qu'ils ont été bien accueillis par la Commission. Nous avons également pris hier une résolution commune avec la Commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale. L'un de ses articles concerne les RUP et les PTOM, et affirme qu'il est essentiel de porter une attention particulière à ces territoires. La négociation sera néanmoins très délicate. Les enjeux sont divers, et la fracture qu'a provoquée le Brexit permet désormais à certains de défendre des positions sur lesquelles ils n'étaient pas majoritaires par le passé. Ainsi, plus que jamais, le jeu des alliances sera essentiel dans la négociation. Nous percevons la nécessité de rallier certains pays, en particulier sur la question des RUP et des PTOM.

En ce qui concerne le FEAMP, la négociation s'annonce également difficile. Elle interviendra de surcroît au moment où sera revue la politique commune sur la pêche. Le premier volet, normatif et réglementaire, fait déjà l'objet de très vives tensions. Je crois également que la délégation aura un rôle à jouer sur cette question, en faisant valoir sa vision des choses. Notre délégation devra travailler en collaboration avec la Commission des affaires européennes dans cette perspective.

Il me semble par ailleurs de bon sens de faire valoir directement sur l'étiquetage notre spécificité nationale en ce qui concerne le sucre. Nous ne sommes pas les mieux placés en termes de production stricto sensu, mais en ce qui concerne la production de qualité, au regard des pays qui nous concurrencent, nous devons travailler à une meilleure reconnaissance des produits. J'ignore comment la filière est organisée. Lors d'un récent voyage en Guadeloupe, j'étais cependant désolé de constater que le sucre qui nous était servi était réunionnais. Je crois donc qu'existe un véritable enjeu sur cette filière. Vous pourrez compter sur moi sur cette question, l'Association Nationale des Elus du Littoral (ANEL) étant également un porteur fort des messages ultramarins.

Monsieur le directeur, vous souligniez le fait que les négociations sur le taux de contribution des États portaient sur une variation de 1,17 % à 1 %, voire, dans le pire des cas, 0,97 % du revenu national brut. Cela représente des sommes considérables, et chaque dixième de point représente des milliards d'euros qui ne sont pas répartis sur les différentes politiques européennes. Or nous devrons par la suite trancher, au sein des différentes commissions. Je le faisais valoir au président Jean Bizet. Nous adoptons des résolutions sur l'agriculture, sur la défense, sur le spatial, mais nous devons prendre en compte le fait que nous n'aurons pas le moindre euro supplémentaire, notamment en recettes propres. Les outre-mer doivent donc se battre pour n'être pas une simple variable d'ajustement.

M. Michel Magras, président. - La délégation est heureuse de disposer de ces antennes au sein de la Commission des affaires européennes, et de la Commission des finances.

M. Gérard Poadja. - Nous nous rendons compte que nous sommes dans une situation délicate. Pendant un temps, nous connaissions des difficultés d'éligibilité de nos dossiers, pour des raisons techniques. Je souhaite donc que dorénavant, nous fassions preuve d'une meilleure coordination pour nous assurer de cette éligibilité. Je note également le bon niveau de consommation du FED. Nous avons par ailleurs été confrontés ces derniers temps à cette volonté d'assouplissement des règles ou de simplification. Je souhaite désormais la voir prochainement en oeuvre au sein de nos collectivités.

Je fais par ailleurs toujours la part des choses entre nos collègues de l'océan Indien et nous, dans le Pacifique. Nos voisins comptent en effet énormément sur la présence française. C'est la raison pour laquelle j'insiste régulièrement au sein de la Commission de la défense sur le fait que la France n'est pas uniquement l'Europe. Elle dispose d'un vaste océan dans le Pacifique, et je tiens à ce que cette France existe réellement. Je vous ai entendu sur les risques de sortie d'autres pays, et les difficultés que cela nous poserait. Néanmoins, si nous faisons preuve d'une réelle solidarité entre l'ensemble de nos territoires, nous pourrons faire preuve d'une meilleure coordination auprès de l'Europe.

M. Emmanuel Berthier. - Je partage les analyses et les objectifs des sénateurs. Le ministère des outre-mer doit du reste s'occuper de manière équivalente de nos PTOM et de nos RUP. J'étais ainsi avec la ministre des outre-mer à Papeete, pour le dernier forum de l'Union européenne des PTOM, où étaient présents les Britanniques. Les problématiques sont aussi complexes pour chaque catégorie. Celles-ci peuvent cependant parfois être mises en concurrence par nos partenaires européens, et il est à ce titre essentiel que la position française soit de la plus grande cohérence possible. Nous devons notamment démontrer l'existence d'un « pack parlementaire ». Il est essentiel qu'Assemblée nationale et Sénat démontrent leur parfaite cohérence.

Nous avons également besoin d'un relais efficace au sein du Parlement européen. Le travail que nous réalisons avec les parlementaires européens est à ce titre extrêmement utile. Ce triptyque Assemblée nationale, Sénat, et Parlement européen est donc fondamental, tout comme l'est la cohérence globale de l'équipe France, en particulier dans la dernière phase des négociations. Il ne serait pas bon que naissent des différences d'appréciation entre les régions les plus développées et les RUP. Ce débat doit exister, mais il doit avoir lieu entre nous, sans quoi nos partenaires européens pourront en tirer avantage.

M. Michel Magras, président. - Je suis revenu de Bruxelles avec le sentiment que des changements étaient à l'oeuvre, notamment en ce qui concerne les approches des différentes instances de l'Union européenne. Jusqu'à présent, les sujets que nous évoquons étaient la chasse gardée de la Commission européenne, présidée par M. Jean-Claude Juncker. Depuis le renouvellement, nous avons cependant le sentiment que le Parlement européen entend s'impliquer davantage dans la gestion des fonds. La France participe-t-elle de cette évolution, à un niveau politique ?

Par ailleurs, il nous est souvent répété que les outre-mer françaises ont des amis à la Commission européenne. Nous n'en avons jamais douté, mais ce sont des amis qui gèrent des enveloppes. Il nous a été affirmé que l'enveloppe Poséi ne devait pas diminuer. Or la baisse de la PAC me semble devoir avoir un impact sur les fonds Poséi, à moins que la France ne décide le maintien des aides à la politique agricole en outre-mer.

J'ai compris que si l'enveloppe est fixée par Bruxelles, la répartition faite par les États membres doit être validée in fine par la Commission européenne. Pour ce faire, elle devra évaluer et contrôler la bonne utilisation des fonds. J'ai donc le sentiment que le dégagement d'office risque d'augmenter la règle dans la nouvelle programmation avec la règle du N+2 au lieu du N+3. Partagez-vous ce sentiment ?

Nous avons également interrogé la Représentation permanente sur la place des outre-mer en son sein. Il nous a été indiqué que la Représentation permanente, en accord avec le SGAE, pilote l'ensemble des démarches à Bruxelles. Les outre-mer, dans leur diversité, sont-ils suffisamment pris en compte ? Ne pensez-vous pas que les ultramarins devraient être présents de manière permanente en plus des groupes d'intérêt tels qu'Eurodom, et des représentations des collectivités ?

En ce qui concerne la pêche, le Brexit pose le problème des zones de pêche entre la France et le Royaume-Uni. Mais n'aura-t-il pas également un impact sur les outre-mer ? Je pense notamment à la zone Caraïbe, où des îles dépendent du Royaume-Uni.

Enfin, je partage votre souci de distinguer la question de l'octroi de mer en lui-même de celle des différentiels. J'ai cependant le sentiment que l'Europe souhaite revenir sur le système même de l'octroi de mer, pour des questions liées aux règles de la concurrence. Il n'a en effet jamais été possible d'assurer sa pérennité. L'Europe ne risque-t-elle pas de demander à la France son abandon, en échange du maintien de la compensation des surcoûts ?

M. Emmanuel Berthier. - Nous sommes, pour la négociation du cadre financier pluriannuel, dans un cadre différent de celui de 2014-2020. Le trilogue est organisé par les traités, et le rôle du Parlement européen comme du Conseil européen doit s'articuler avec la force de proposition de la Commission européenne. Il reviendra in fine à cette dernière d'exécuter les décisions prises par le Conseil, mais celui-ci aura le dernier mot. Il convient néanmoins d'être très présent au sein de ces trois institutions. Nous devons donc être capables de suivre un flot de réunions très important. Je considère ainsi que l'organisation interne construite par la France est efficace. Pour avoir été négociateur au sein du dispositif 2014-2020, il me semble que nous n'avons pas eu à souffrir de la comparaison avec les Allemands.

Nous avons par ailleurs un conseiller outre-mer à la Représentation permanente, en contact constant avec la DGOM, qui est capable de renseigner l'ambassadeur sur les rapports de force au sein de chaque réunion. Nous disposons également de lobbyistes, et de représentants indépendants des collectivités. Néanmoins, un problème de cohérence globale du dispositif français peut se poser. Les Britanniques, lorsqu'ils négociaient, considéraient que l'ensemble de ceux qui défendaient leurs intérêts devait être guidé par un objectif unique. Ils étaient ainsi réunis, quel que soit le cercle auquel ils appartenaient, par l'ambassadeur à Bruxelles. Nous devons faire des progrès en la matière, en particulier pour articuler les positions présentées par le gouvernement et les intérêts de chaque collectivité. Celles-ci ont toute légitimité pour être représentées à Bruxelles, et défendre leurs intérêts, mais il ne faudrait pas qu'elles imaginent agir en parallèle de la Représentation permanente française par une action de lobbying. Cela pourrait s'avérer mortifère dans une négociation au long cours, où nos positions doivent être cohérentes d'un bout à l'autre. Le dispositif français me semble néanmoins pour l'heure robuste.

M. Etienne Desplanques. - Les problèmes posés par le Brexit sur la pêche dans la Manche ne concernent pas directement les outre-mer. Néanmoins, certains ont pu craindre que n'arrivent dans l'océan Indien des navires précédemment utilisés en mer du Nord ou dans la Manche. Nous restons néanmoins interrogatifs vis-à-vis de ce risque, dans la mesure où les techniques de pêche sont très différentes pour chacune de ces zones.

Il est possible qu'apparaissent des problématiques de réglementation dans la Caraïbe au regard des PTOM. Néanmoins, les PTOM britanniques de la zone disposent de leur propre pouvoir réglementaire en matière de pêche, puisqu'ils ne sont pas soumis aux règles de pêche européennes, en dehors des principes de la DAO. Des difficultés de coordination pourraient cependant survenir, mais aucune difficulté particulière en la matière ne nous a été remontée pour l'heure.

S'agissant de l'octroi de mer, les différentiels sont des aides d'États, et sont donc autorisés pour une période limitée, qui a du reste tendance à se réduire. Il apparaît ainsi difficile d'imaginer que les autorisations d'aides d'État puissent être illimitées dans le temps. Par ailleurs, il est vrai que l'octroi de mer est parfois critiqué par la Commission, mais ces critiques ne portent généralement pas sur la question de cherté de la vie. La Commission européenne craint surtout que l'octroi de mer constitue une barrière à l'entrée pour des produits d'États de la zone géographique concernée. Ces critiques émanent essentiellement de la Direction générale en charge de la négociation des accords commerciaux (DG TRADE). Nous avons cependant toujours répondu sur ce point que l'octroi de mer est un dispositif fiscal, et non une mesure de politique commerciale. De plus, il n'est pas démontré qu'un différentiel d'octroi de mer ait un impact sur le commerce régional, qui est du reste assez faible, notamment en raison de droits de douane parfois très élevés dans la zone. Il n'a par ailleurs jamais été démontré qu'un différentiel d'octroi de mer voté par un conseil régional l'ait été pour empêcher l'importation d'un produit en provenance d'un pays tiers.

M. Michel Magras, président. - Je crains pour ma part le risque inverse. Une RUP peut décider d'importer un produit en provenance de n'importe quel territoire de la zone Caraïbe. Une fois entré sur son sol, il est en territoire européen. Il se trouve alors en position de concurrence commerciale avec les produits provenant du reste de l'Europe. C'est la raison pour laquelle les PTOM devaient en théorie signer des conventions avec l'Union européenne. Je me suis notamment chargé de cela lorsque Saint-Barthélemy est passé du statut de RUP est à PTOM.

Par ailleurs, vous avez souligné la possibilité d'un mixage entre FED, FEDER, et ACP. Entre FED et ACP, les sommes sont si disproportionnées que j'en suis étonné. Jugez-vous ce mixage crédible ?

M. Emmanuel Berthier. - Les modalités de gestion du FED sont beaucoup plus souples que celles du FEDER. L'Union européenne propose donc la création d'un instrument permettant de gérer le financement des futurs projets avec la même souplesse qu'actuellement. Par ailleurs, la question qui se pose est, pour un PTOM disposant de FED, et entretenant des relations avec des pays ACP en bénéficiant également, de trouver les moyens juridiques et financiers de construire des projets communs. Cet instrument a été proposé par la Commission, et expertisé par les différents États. Nous nous rallions à cette solution. Nous considérons en effet qu'elle devrait permettre de gérer de façon plus efficace les crédits européens au bénéfice de projets régionaux. Cette question est cependant distincte de l'appréciation que nous pouvons avoir des conditions d'utilisation actuelles des fonds Interreg.

Par ailleurs, concernant le Poséi, il est très compliqué de répondre à votre question tant que les enveloppes ne sont pas connues.

M. Michel Magras, président. - Lorsque nous nous sommes rendus à Bruxelles, il nous a également été fait part des nouvelles orientations de la Commission, notamment le New Green Deal. En écoutant nos interlocuteurs, j'ai eu le sentiment que celles-ci remettaient en cause la manière dont l'Europe aide les projets. Il semblerait que le mode subvention doive être abandonné, au profit d'un accompagnement. Des sommes sont ainsi mises à disposition, mais elles demeurent en quelque sorte la propriété de l'Union européenne, qui contrôlera tout du long leur bonne utilisation. Dans le cas contraire, elles pourront être récupérées. Ne pensez-vous pas que ces règles, qui sont incontestablement de bonne gestion, puissent constituer un frein pour les investisseurs du développement économique, privés comme publics ?

M. Emmanuel Berthier. - Le débat est ancien au sein de l'Union européenne, entre contrôle centralisé des projets, ou déconcentration de la responsabilité. Un même débat existe en France, lorsque l'on compare l'efficacité des appels à projets contrôlés par les ministères, aux crédits engagés sur le plan territorial. Le sujet devient néanmoins prégnant, car l'enveloppe que l'Union européenne consacrera à l'ensemble des programmes sera finie, alors même que le financement d'autres initiatives, telles que le Green Deal, sera prioritaire. Celui-ci ressemble assez à un préciput destiné à financer des appels à projets.

Cette évolution répond à la demande de certains États, qui considèrent qu'il vaut mieux financer des projets depuis Bruxelles, plutôt que d'envoyer des fonds dans les régions, où il est plus difficile d'en contrôler l'utilisation. Ce débat est récurrent, mais il est en effet posé avec force en ce moment.

M. Michel Magras, président. - Je suis particulièrement sensible à la nécessité d'une cohérence nationale. Nous devons être capables, tous ensemble, de présenter un front uni à Bruxelles, en dépit de notre diversité. Je pense qu'il s'agit d'une clé de la réussite.

Je vous remercie pour cet échange.

M. Gérard Poadja. - Je crois également qu'il est indispensable qu'il y ait une véritable équipe France dans ces négociations, sur l'ensemble de nos dossiers.

Jeudi 27 février 2020

- Présidence de M. Michel Magras, président -

Étude sur les enjeux financiers et fiscaux européens pour les outre-mer en 2020 - Audition de MM. Guy Losbar, premier vice-président du conseil régional de la Guadeloupe, président de la commission ad hoc octroi de mer, et Jean-Louis Boucard, directeur général des services (en visioconférence), et de MM. Denis Céleste, directeur général adjoint des services, en charge du développement économique, et Fritz Jalet, directeur de la fiscalité

M. Michel Magras, président. - Mes chers collègues. Après l'audition, ce matin, de M. Emmanuel Berthier, directeur général des outre-mer, nous poursuivons cet après-midi notre consultation des territoires ultramarins sur la thématique des enjeux financiers et fiscaux européens pour les outre-mer en 2020, par une visioconférence avec la Guadeloupe.

Nous sommes en liaison avec MM. Guy Losbar, premier vice-président du Conseil régional de la Guadeloupe, président de la commission ad hoc octroi de mer, et Jean-Louis Boucard, directeur général des services. A Paris, nous accueillons en outre MM. Denis Céleste, directeur général des services adjoint, en charge du développement économique, et Fritz Jalet, directeur de la fiscalité.

Nos collègues Vivette Lopez, Gilbert Roger et Dominique Théophile ont été désignés rapporteurs de cette étude. Je salue Dominique Théophile qui est actuellement à Basse-Terre, au Conseil régional, et qui participe depuis là-bas à notre visioconférence.

Je vous rappelle que cette étude a pour objet d'identifier les enjeux européens de cette année 2020 pour nos outre-mer, et de mesurer concrètement comment la France fait entendre sa voix à Bruxelles pour défendre des dossiers qui les concernent directement.

Nous discernons plusieurs enjeux cruciaux.

L'enjeu financier d'abord.

Le nouveau cadre financier pluriannuel 2021-2027 va déterminer les ambitions que se fixe l'Europe pour la décennie à venir. L'échec du dernier Conseil européen, vendredi dernier, montre les profondes divergences actuelles entre les Etats, conduisant à un risque de blocage, avec de graves conséquences sur les politiques sectorielles, comme la politique agricole commune (PAC) et donc le POSEI, et sur le niveau des fonds structurels bénéficiant aux régions ultrapériphériques (RUP) comme le FEDER ou le FEAMP.

L'enjeu fiscal ensuite.

Comme vous le savez, la France bénéficie, au sein de l'Union européenne, de différentes dérogations au droit communautaire pour ses départements d'outre-mer. Deux d'entre elles arrivent à échéance au 31 décembre 2020, à savoir l'octroi de mer et la taxation du rhum. Nous souhaitons connaître vos attentes et votre avis sur la manière dont la France gère ces deux dossiers essentiels pour les finances et les économies locales.

L'impact du Brexit enfin.

Outre le volet financier, la sortie du Royaume-Uni fait peser de fortes interrogations sur l'accord commercial qui sera conclu avec ce pays qui dispose de productions ultramarines susceptibles d'entrer en concurrence avec les productions des régions ultrapériphériques françaises.

Je précise que nous avons déjà entendu dans le cadre de notre étude, le Secrétariat général des affaires européennes (SGAE), les représentants d'Eurodom et de la FEDOM, ainsi que le délégué interministériel à la transition agricole des outre-mer, M. Arnaud Martrenchar.

Avec dix autres collègues, dont le président de la commission des affaires européennes, Jean Bizet, nous nous sommes aussi rendus à Bruxelles. Nous avons été reçus à la Représentation permanente, au Parlement, et à la Commission. Nous avons échangé avec les représentants des bureaux de la Guyane, de la Guadeloupe installés à Bruxelles et avec le président du comité exécutif de l'OCTA. La précédente visioconférence était avec La Réunion et nous serons avec la Nouvelle-Calédonie la semaine prochaine.

À ce stade, nous avons un certain nombre d'interrogations et de motifs d'inquiétude sur lesquels nous voudrions échanger avec vous. Je n'en dirai pas davantage pour vous permettre, Monsieur le premier vice-président, de répondre au questionnaire qui vous a été transmis et de développer votre analyse des différents points de vigilance concernant la Guadeloupe.

À l'issue de vos propos préliminaires, je passerai la parole à nos deux rapporteurs. Ensuite, je complèterai peut-être le questionnaire si nous avons besoin d'éclaircissements.

M. Guy Losbar, premier vice-président du conseil régional de la Guadeloupe, président de la commission ad hoc octroi de mer. - En introduction, vous avez bien montré l'enjeu de cette audition sur l'octroi de mer et plus largement sur les fonds européens. Nous savons l'importance de ces dispositifs pour l'économie et l'avenir même de nos régions. Au-delà de la protection de notre économie, nous savons l'importance de l'octroi de mer pour le financement des collectivités locales. Aujourd'hui, avec le Brexit, les nouvelles stratégies et les menaces qui peuvent peser sur le maintien d'un certain nombre de fonds européens, il est important que nos problématiques soient bien connues et maîtrisées. Grâce à cette connaissance, il sera plus facile de mettre en place des stratégies concertées dans notre pays. Nous vous apporterons toutes les précisions nécessaires.

M. Michel Magras, président. - Je propose que vous nous présentiez un exposé à partir de la trame qui vous a été communiquée. Comment les politiques européennes sont-elles appliquées en Guadeloupe ? Quels enjeux financiers souhaitez-vous développer ? Quels sont les enjeux fiscaux ? Quel est votre degré de satisfaction sur la période qui vient de s'écouler ? Quelles sont vos craintes pour celle qui démarrera en 2021 ? Nous avons relevé, pour la période à venir, un certain nombre de difficultés qui nous ont été confirmées au cours des auditions. Nos rapporteurs peuvent introduire les questions qui les concernent.

M. Dominique Théophile, rapporteur. - Au vu de la trame qui a été remise à la région Guadeloupe, il me semblerait effectivement intéressant que nos intervenants commencent à répondre à nos questions. Nous pourrons ensuite approfondir certains points.

M. Gilbert Roger, rapporteur. - Trois questions essentielles ressortent de toutes nos auditions.

Quelles dispositions prenez-vous en tant qu'autorité régionale pour éviter au maximum le dégagement d'office, qui souvent, sur les financements européens, tend à prouver à la Commission que nous ne sommes pas performants sur l'utilisation des crédits et à inciter celle-ci à diminuer le montant de ces derniers d'un engagement budgétaire à l'autre ?

Sur le Brexit, nous expliquons que si, après le départ de nos amis britanniques, nous faisons encore moins en Europe pour nos territoires et en particulier les territoires ultramarins et les régions ultrapériphériques, nous pourrions donner l'idée à tout le monde qu'il vaut mieux être en dehors de l'Europe qu'à l'intérieur de l'Europe. Comment préparez-vous les dossiers pour faire en sorte que nous soyons les plus performants possible ? Le Sénat souhaite bien évidemment vous accompagner dans ces démarches.

Quant à l'octroi de mer, ne craignez-vous pas qu'il devienne un problème franco-français et que nous nous retrouvions plus qu'isolés au sein de l'Union européenne ? Peut-être faudrait-il commencer à imaginer un nouveau système qui nous mettrait à l'abri des décisions européennes.

M. Jean-Louis Boucard, directeur général des services. - Je commencerai par l'utilisation maximaliste des fonds européens et la notion de dégagement d'office.

Les fonds européens se révèlent très précieux pour nos territoires. Aujourd'hui, nous sommes dans l'obligation de justifier des fonds trois ans après leur engagement, mais il est prévu dans la prochaine programmation de ramener ce délai à N+2. Jusqu'à présent, nous n'avons pas eu à subir de dégagement d'office dans notre région. Les crédits sont utilisés, parfois avec difficulté. Nous devons en effet adopter un rythme de consommation en cohérence avec la capacité d'absorption du territoire, ce qui n'est pas toujours le cas. Sur ces fonds européens, nous avons à la fois des porteurs de projets privés et des porteurs de projets publics. Or, assez récemment, un rapport sur les finances locales a montré la difficulté pour les opérateurs publics de porter des projets qui pourraient consommer des fonds européens.

Au 31 décembre 2019, nous n'avons pas connu de dégagement d'office. Nous avons même clôturé avec un peu d'avance et nous comptons bien rester sur un rythme qui nous permettrait d'éviter de perdre le moindre centime d'euro. Cet exercice nécessite bien entendu un pilotage très précis et des échanges réguliers avec la Commission, à travers les comités de suivi. Nous ajustons les programmes de manière à répondre aux besoins du territoire qui ont évolué depuis l'adoption de ces programmes. De nouvelles priorités se font jour. Sur la gestion de l'eau, par exemple, l'appel aux fonds européens n'était pas forcément celui que nous avions envisagé au départ. Sur le transport aussi, nos besoins s'affirment et devraient consommer des fonds européens que nous n'avions pas vraiment calibrés dans les montants initiaux. Deux fois par an, en concertation avec la Commission européenne, nous réajustons les programmes. Le dernier réajustement a eu lieu avant la fin de l'année 2019. Le programme actuel devrait nous amener presque jusqu'à la fin, avec une révision ultime permettant de servir les derniers projets qui ne l'auraient pas été jusqu'alors.

La démarche exige aussi une animation assez spécifique pour des territoires comme les nôtres. Nous avons un tissu économique très particulier, avec des microentreprises et très peu d'entreprises de taille importante, capables d'une consommation équivalente à celle du territoire hexagonal. Nous devons véritablement tenir la main des porteurs de projets pour les amener jusqu'au dépôt des dossiers et les aider à consommer les fonds conformément aux exigences de la Commission européenne, ce qui n'est pas toujours aisé.

Nous avons mis en place des dispositifs d'accompagnement. Nous séparons bien l'accompagnement de l'instruction du dossier, qui doit rester totalement neutre, afin de faire entrer le maximum de porteurs de projets dans le circuit des dossiers européens. Contrairement à d'autres territoires, nous avons sérié les aides aux entreprises en fixant un seuil. En dessous de 80 000 euros, les opérateurs n'entrent pas dans une mécanique européenne lourde. Au-delà de 80 000 euros, les dossiers trouvent leur financement dans le cadre du FEDER. Le nombre de porteurs de projets se réduit dans cette deuxième catégorie, qui s'adresse à moins d'entreprises.

Nous vous transmettrons des éléments écrits sur ces questions très techniques. Aujourd'hui, si nous devons dresser le bilan de l'utilisation des fonds, nous pouvons considérer que nous sommes dans la bonne épure, malgré un retard à l'allumage sur le fonds social européen, sur lequel nous avons pris des dispositions en vue d'une restructuration. Un opérateur régional a en effet connu quelques difficultés, mais il est aujourd'hui en mesure de mettre en oeuvre le fonds.

Jusqu'à présent, cette sous-utilisation du fonds social européen a été compensée par une surconsommation du FEDER. Globalement, nous prévoyons de réajuster tout cela cette année et nous n'avons pas d'inquiétude majeure en matière de dégagement d'office. Nous comptons sur la capacité des maîtres d'ouvrage publics, essentiellement les communes et les EPCI, à conduire à terme des projets sur lesquels nous avons pris de grands engagements, notamment concernant l'eau et les déchets, avec des montants relativement importants qu'il faudra consommer avant le terme de la programmation.

Sur le FEADER, la consommation est très satisfaisante. Nous n'avons pas non plus connu de dégagement d'office. Nous souffrons néanmoins d'un retard à l'allumage dû à la mise en place tardive des outils qui a affecté toutes les régions françaises. Les derniers outils n'ont été livrés que début 2019, notamment sur les aides surfaciques. Nous avons quand même mené une grande opération, la construction d'un barrage pour près de 30 millions d'euros qui s'achèvera en 2020. L'industrie sucrière va également entrer en pleine puissance de consommation.

D'ici la fin de la programmation, nous devrions atteindre une consommation satisfaisante sur le FEADER, au bémol près de l'utilisation du programme Leader. Sur ce programme qui soutient de petits projets en milieu rural, nous sommes confrontés à une inadéquation du niveau d'exigence pour leur éligibilité. Un agriculteur dans une zone reculée de l'archipel est soumis aux mêmes exigences en matière de présentation de projet et de justification de la dépense qu'un grand opérateur. Cette situation se traduit par un désintérêt pour ce programme qui se révèle extrêmement complexe. Nous avons aussi été très fortement pénalisés en début de programmation sur l'aide à la replantation de la canne à sucre. Jusqu'à présent, étaient agréées des opérations collectives concernant un nombre important de porteurs de projets, regroupés derrière un seul opérateur. Au niveau national, la décision a été prise de présenter un projet par opérateur. Ainsi, chaque planteur de canne correspondait à un projet. Nous avons été confrontés à une démultiplication du nombre de projets à instruire pour des montants qui n'excédaient pas parfois 3 000 euros. Nous avons résolu cette difficulté en reportant cette mesure sur des aides régionales.

S'agissant du FEAMP, il faut noter que la pêche est particulière dans les deux régions françaises d'Amérique que sont la Martinique et la Guadeloupe. Il s'agit en effet d'une pêche traditionnelle, avec des opérateurs confrontés à la difficulté de justifier leur production et leurs ventes. À La Réunion et en Guyane, les crédits du FEAMP sont utilisés de façon maximaliste, que ce soit sur le plan de compensation des surcoûts ou le FEAMP lui-même. En Guadeloupe, en revanche, nous peinons à consommer ces fonds. Le besoin existe, mais les marins-pêcheurs ne sont pas en mesure, malgré l'assistance technique que nous avons déployée au niveau du Comité régional des pêches, de monter des dossiers et de justifier du surcoût qui pourrait leur permettre de percevoir des montants relativement intéressants.

Vous évoquiez dans le questionnaire l'idée d'un Poséi pêche. Aujourd'hui, le plan de compensation des surcoûts de la pêche reste l'instrument qui permettrait d'accompagner de manière très efficiente les marins-pêcheurs, mais ses modalités de mise en oeuvre nous pénalisent. Nous avons commencé la programmation avec une dérogation de la direction des pêches nous permettant d'attester des dépenses suivant un système déclaratif. Nous revenons désormais à une comptabilité selon les règles et de plus en plus de marins-pêcheurs n'accèdent pas à ces fonds européens. Nous avons quand même pris la décision d'axer les dépenses sur des infrastructures, notamment à travers un plan régional de modernisation des équipements de pêche. Les investissements réalisés sur les ports de pêche nous offrent la possibilité, si tout va bien, de consommer l'enveloppe avant le terme. Nous devrons cependant faire le constat que le plan de compensation des surcoûts n'est pas suffisamment actionné du fait de la structure des bénéficiaires.

Quant au programme de coopération régionale Interreg, nous nous trouvons actuellement dans la 3ème programmation. Ce programme se révèle compliqué à mettre en oeuvre, même si nous avons beaucoup progressé. Dans notre bassin de coopération, nos partenaires sont des pays tiers et les instruments financiers ne se conjuguent pas aisément. Interreg est financé par le FEDER. Pays tiers, nos partenaires peuvent actionner le FED, le Fonds européen de développement, mais se retrouvent confrontés à une difficulté de mise en oeuvre. Si nous pouvons décider de l'utilisation des fonds, la comitologie sur le FED est relativement compliquée. La Commission a permis qu'une enveloppe soit dédiée à la coopération FED-FEDER, mais les résultats restent relativement faibles à ce stade. Nous nous trouvons dans une zone où les relations ne sont pas évidentes, car nous n'avons pas un historique de coopération avec ces pays.

Les deux premiers programmes avaient beaucoup misé sur le rapprochement et la construction de communautés de vues et d'action entre les acteurs de la coopération. Certains projets ont bien fonctionné, notamment en matière de transport maritime. Quelques expériences se révèlent même assez compétitives, y compris au niveau international. Sur la traçabilité des échanges aéroportuaires, une entité européenne a pu bénéficier de fonds. Nous menons également des actions intéressantes pour l'harmonisation du transport aérien. Il existe une problématique importante dans ce domaine, avec un chapelet d'îles disséminées dans la Caraïbe et des systèmes d'interconnexion qui n'existent pas pour les très petites compagnies. Nous avons pu financer des projets spécifiques permettant à des compagnies de se regrouper et de proposer des solutions de ticketing, ce qui favorise les déplacements dans la zone. Enfin, nous pouvons citer la coopération autour de la problématique de la lutte contre les sargasses qui affecte la quasi-totalité des pays de la Caraïbe. Ces programmes nous permettent de construire ensemble. Nous nous heurtons cependant à des difficultés linguistiques et culturelles. Cette coopération se construit assez lentement, mais elle commence à porter ses fruits et là encore, nous n'avons pas connu de dégagement d'office pour l'instant. Nous sommes plutôt optimistes pour la fin de la programmation.

Globalement, nous tenons le rythme en termes de mise en oeuvre des fonds européens. L'exercice est difficile ; il exige un suivi permanent. Nous devons aussi aider les porteurs de projets à entrer dans la programmation. La complexité de mise en oeuvre de ces fonds constitue une vraie problématique pour les porteurs de projets, qui sont soumis aux mêmes exigences, quelle que soit leur taille. Au niveau public, nous observons une difficulté à assurer la maîtrise d'ouvrage. La région Guadeloupe a pris des maîtrises d'ouvrage sur de grandes problématiques comme l'eau ou les déchets, car les collectivités qui en ont la compétence n'étaient pas en mesure de le faire. Nous pouvons encore le faire, mais jusqu'à un certain point. Il faut tenir compte des capacités locales.

M. Michel Magras, président. - Merci beaucoup pour ce message très clair et très satisfaisant en termes de consommation des fonds. N'avez-vous pas quand même connu un petit problème de dégagement sur le programme Interreg ?

M. Jean-Louis Boucard. - Non. Nous avons atteint le seuil. Le programme géré en transfrontalier par Saint-Martin et Sint-Maarten connaît des difficultés de consommation, mais le programme géré par la région Guadeloupe ne présente pas de difficulté.

M. Michel Magras, président. - Pour la période qui se termine, vous avez donc pu consommer les fonds et mener les programmes de manière à rendre leur utilisation aussi efficace que possible. Vous avez fait le choix d'une représentation à Bruxelles et vous mutualisez les locaux avec les autres RUP présentes. Cette représentation de la région ultrapériphérique Guadeloupe constitue-t-elle un choix efficace qu'il faudrait, selon vous, dupliquer ? La présence physique de représentants institutionnels guadeloupéens à Bruxelles rend-elle les démarches plus opérationnelles ? Ces représentants entretiennent-ils une relation facile avec la Représentation permanente de la France sur place ?

M. Ruddy Blonbou, directeur adjoint du cabinet du Président de la région Guadeloupe. - À Bruxelles, la représentation de la Guadeloupe remplit deux missions, car elle couvre deux périmètres. Dans les bureaux, vous retrouvez tout d'abord les RUP françaises, à savoir La Réunion, Mayotte, la Guyane, la Martinique et la Guadeloupe. Cela nous permet de mutualiser les moyens et d'adopter une approche commune, notamment sur certains sujets. Cette représentation est également en lien constant avec les RUP ibériques que sont les Açores, les Canaries et Madère. La conférence des présidents de RUP se réunit au moins une fois par an et effectue un travail de lobbying assez important auprès de la Commission et du Parlement européen. Ce bureau, que nous partageons avec nos collègues français, est relativement important. Sur le dossier de la pêche, par exemple, ce travail constant a permis d'obtenir une inflexion en 2017. Certaines régions métropolitaines françaises ont également des représentants avec lesquels nous échangeons parfois. L'ARF est elle aussi présente à Bruxelles au moins périodiquement.

M. Dominique Théophile, rapporteur. - La Martinique avait fait le choix d'installer ses représentants à Paris.

M. Ruddy Blonbou. - C'est plus récent. Historiquement, la Martinique disposait d'une représentation permanente sur place. Aujourd'hui, elle partage son temps entre Paris et Bruxelles.

M. Michel Magras, président. - La France dispose d'une Représentation permanente à Bruxelles. Il me semble que l'outre-mer, via le ministère, devrait être physiquement présent au sein de cette représentation. Je pense que les questions de fond concernant les outre-mer sont suffisamment nombreuses pour justifier cette présence. Il nous a été affirmé que l'organisation actuelle est efficace. Je note cependant que chaque région ultrapériphérique française a choisi d'être aussi présente. Ce choix se comprend, car il permet de faciliter les démarches et le suivi des dossiers. Néanmoins, existe-t-il des liens entre ces sphères, et, le cas échéant, des frictions ? Faut-il pérenniser cette organisation ?

Actuellement se discute à Bruxelles la nouvelle programmation pour la période 2021-2027 et je n'ai pas le sentiment que nous aboutirons facilement. Nous avons quelques inquiétudes et nous aimerions savoir si vous êtes tenus informés et si vous êtes parties prenantes pour faire entendre les voix de chaque région. Quelles sont vos propres inquiétudes ? Nous entendons notamment que l'enveloppe financière de la politique agricole commune va être réduite. Bruxelles nous assure cependant que le Poséi conservera la même enveloppe, et qu'il reviendra à l'État de répartir l'enveloppe globale. Finalement, nous avons le sentiment que l'Europe va voter une enveloppe et nous renvoyer vers la France pour la part des fonds qui reviendront aux outre-mer. Pour autant, l'Europe continuera de valider, d'évaluer, de contrôler et de demander le remboursement si les projets n'aboutissent pas.

M. Denis Céleste, directeur général adjoint des services, en charge du développement économique. - Nous souhaitons insister sur la simplification. Nous avons connu de nombreuses difficultés dans la mise en oeuvre des programmes européens, en particulier le FEADER et le FEAMP. Les fonds européens sont déjà complexes, mais une complexité supplémentaire a été ajoutée au niveau national. Nous avons notamment évoqué la problématique des outils informatiques. Les régions agissaient pour la première fois en qualité d'autorité de gestion. Nous avons dû consentir des efforts considérables pour obtenir les résultats que nous vous présentons aujourd'hui. Pour cette nouvelle programmation, nous espérons que votre délégation viendra en soutien des régions d'outre-mer sur la problématique de simplification de la mise en oeuvre des programmes européens.

S'agissant de la PAC, nous savons qu'une baisse globale doit intervenir. Nous craignons surtout que le 1er pilier qui concerne les aides directes soit le grand bénéficiaire au détriment du 2ème pilier. Toutes les régions partagent cette inquiétude. Voilà deux jours, dans une rencontre avec les régions de France, cette problématique a été posée. Nous ne souhaitons pas être la variable d'ajustement, au niveau national, entre le 1er et le 2ème pilier. Même si une baisse de la PAC doit intervenir, les régions d'outre-mer souhaitent le maintien du niveau des aides sur le FEADER et resteront très attentives sur le sujet.

M. Jean-Louis Boucard, directeur général des services. - Nous sommes informés par plusieurs canaux et nous faisons connaître nos attentes vis-à-vis des futurs programmes. Nous travaillons en étroite collaboration avec les autres régions à travers un groupe outre-mer au sein des régions de France, mais aussi avec nos rapporteurs géographiques. Des réunions régulières sont également organisées au niveau de l'Agence nationale de la cohésion des territoires. Les fonctionnaires de la collectivité et les élus échangent souvent sur les règlements publiés, ainsi que sur le dernier round de négociations relatif au cadre financier, avec des évolutions qui pourraient ne pas être sans conséquences sur la mise en oeuvre des fonds européens en Guadeloupe.

La diminution de l'enveloppe globale est déjà annoncée. Nous en prenons acte. À cela s'ajoute la question des niveaux de concentration des politiques européennes, notamment ce qui relève de l'Europe intelligente et l'Europe durable, pour lesquelles nous avons un niveau de concentration de 60 %, pour un territoire encore confronté à des retards structurels importants, notamment sur l'eau, les déchets, le transport et certaines infrastructures, comme la mise aux normes parasismiques de tous les ouvrages routiers. Nous devons affecter des crédits sur des priorités d'innovation et d'Europe verte qui font sens, mais nous sommes également obligés de traiter des retards structurels qui demeurent importants.

La règle du N+2 va également poser problème, puisqu'il faudra consommer des fonds dans des délais plus courts. En outre, ce raccourcissement se conjugue avec la concentration et la diminution du taux d'intervention des fonds européens. Ces trois éléments rendront plus complexe la mise en oeuvre des fonds. Nous devrons nous organiser, privilégier des projets très consommateurs de fonds européens. J'espère aussi que nous observerons une amélioration de la situation des porteurs de projets publics qui ne sont pas forcément au rendez-vous aujourd'hui de la consommation des fonds, du fait de leurs difficultés financières.

M. Michel Magras, président. - Une réflexion pour une approche plus globale et simple au niveau régional permettant de fusionner entre les fonds du FEDER, le FED des PTOM et le FED des ACP. Une telle évolution vous semble-t-elle envisageable ? Les autres îles sont organisées de manière assez singulière. Pensez-vous qu'il existe une ouverture ?

Par ailleurs, outre la réduction de la durée d'utilisation, il semblerait que les aides versées par l'Europe, en plus d'être en baisse en pourcentage, changeraient de forme. Il ne s'agit plus de subventions, mais d'une mise à disposition de fonds, avec un contrôle plus étroit pour s'assurer que ces fonds ont été utilisés conformément à l'objectif présenté initialement. Avez-vous été sensibilisés à cette nouvelle approche qui trouvera son application dans le cadre du Green Deal au départ, mais qui pourrait se généraliser à terme ?

M. Jean-Louis Boucard. - Nous n'avons pas noté cette évolution comme une difficulté à ce stade. La programmation actuelle s'inscrit déjà dans cette tendance, en accordant plus de liberté dans la mise en oeuvre des fonds, mais plus de contrôle. Le comité national de suivi donne un avis et des contrôles sont réalisés avec encore plus de prégnance que par le passé. La simplification s'accompagne toujours de mesures de contrôle plus importantes. Pouvons-nous monter encore d'un cran ? Je pense que nous arrivons déjà au maximum de ce qui peut être contrôlé. Nous pouvons même nous interroger sur l'efficacité de certains dispositifs comme le programme Leader sur lequel le degré de contrôle est tellement important par regard des enjeux financiers que nous pouvons nous demander s'il vaut la peine d'affecter autant d'ETP à la mise en place de ces fonds. Nous en discutons d'ailleurs de manière très ouverte avec la Commission. Aujourd'hui, je ne ressens pas ce point comme un élément qui pourrait perturber davantage la mise en oeuvre des fonds.

M. Dominique Théophile, rapporteur. - Je pense que nous avons balayé l'ensemble des questions sur cette partie. Nous pouvons aborder la partie fiscale.

M. Michel Magras, président. - Sur l'octroi de mer, la question se situe à deux niveaux. L'Europe apporte des aides compensatoires, mais l'outil lui-même a toujours semblé poser problème à l'Europe. Quel est votre sentiment sur le sujet ? Je sais que des études nombreuses ont été réalisées, notamment une étude récente de la CNEPEOM. Il semblerait que rien ne soit remis en cause pour l'instant, que ce soit l'octroi de mer ou les aides sur le rhum.

M. Guy Losbar. - Effectivement, différentes études ont été menées sur le devenir de l'octroi de mer. Ce dispositif poursuit un double objectif : la compensation des coûts pour protéger l'économie et la fiscalité, puisque ce sont près de 250 millions d'euros qui sont collectés et reversés chaque année au niveau des collectivités. En Guadeloupe, la recette fiscale pour un habitant s'élève à 1 050 euros alors que l'octroi de mer représente 400 euros par habitant.

Nous venons d'établir le rapport à mi-parcours, avec une analyse très détaillée sur les taux, le niveau de compensation, les impacts microéconomiques, l'exonération, etc. Ces éléments nous confortent sur le maintien de l'octroi de mer. En parallèle, nous savons que les décisions prises en Guadeloupe, en Martinique ou en Guyane présentent de l'importance et qu'il est nécessaire d'harmoniser les stratégies.

M. Denis Céleste. - Nous disons très souvent qu'il existe deux octrois de mer. Sur la problématique européenne du différentiel, nous ne voyons pas véritablement de difficultés. L'Europe nous réclame des éléments pour pouvoir justifier ce différentiel. Nous venons de le faire à travers le rapport à mi-parcours, le rapport de reconduction dans lequel nous justifions la nécessité de maintenir ce dispositif pour le développement de notre territoire. Nous sommes en revanche plus inquiets sur le débat franco-français relatif aux exonérations et à la fiscalité. On entend très souvent que la vie chère dans les DOM résulte de l'octroi de mer. Or, les chiffres le démentent. Nous pensons que le problème vient des marges et nous allons travailler sur le sujet au niveau de la collectivité régionale.

Tant que nous justifions auprès de la Commission européenne de la nécessité de maintenir ce dispositif pour le développement de notre territoire, nous n'avons aucun problème. L'octroi de mer représente un outil de développement économique très important pour nous.

M. Fritz Jalet, directeur de la fiscalité. - Nous constatons tous les jours que l'opinion a tendance à confondre l'octroi de mer dans sa vision européenne et dans sa vision franco-française. L'Europe a mis en place un système permettant à la France d'autoriser les régions d'outre-mer à instaurer des différentiels pour accompagner leur développement économique. La taxation à l'importation et la problématique des exonérations relèvent en revanche du périmètre franco-français.

L'article 349 du traité de l'Union reconnaît les difficultés permanentes des régions ultrapériphériques et autorise la France à mettre en place ces différentiels de 10, 20 ou 30 % sur les importations. La procédure que nous utilisons pour calculer les surcoûts qui frappent la production locale n'a d'ailleurs jamais été contestée par l'Union européenne. Nous réfutons le terme de protection qui est souvent employé. L'octroi de mer ne constitue pas une protection, mais vient compenser les surcoûts qui affectent la production locale par rapport au même produit importé, ces surcoûts venant de l'importation des matières premières des biens d'équipement, du stockage plus important du fait de l'éloignement, etc.

Pour nous, la mise en oeuvre de ce dispositif ne soulève pas de difficultés vis-à-vis de l'Union européenne. Il nous semble que les interrogations concernent plutôt le niveau national, avec l'impact sur les prix à la consommation, les taux appliqués, etc. Sur ces deux périmètres, nous avons élaboré des propositions pour tenter d'améliorer la lisibilité du dispositif.

M. Michel Magras, président. - Ces propositions nous intéressent.

M. Guy Losbar. - Les surcoûts représentent 29-30 %. Aujourd'hui, le dispositif de l'octroi de mer représente une compensation de 52 %. Par ailleurs, l'octroi de mer contribuerait au renchérissement du coût de la vie en outre-mer. Or, nous avons réalisé des études montrant que le taux moyen atteint 11,28 %. Si nous comparons avec le taux de TVA de 20 %, nous sommes au-delà.

Il faut néanmoins reconnaître la complexité du dispositif, liée à la multitude des taux en application. Surtout, les données de douane ne sont pas suffisamment fiables pour identifier l'impact réel sur la production locale ou la conquête des parts de marché. Nous avons donc choisi de mettre en place un observatoire au niveau de la région Guadeloupe afin d'apprécier statistiquement, sur chaque activité, l'impact sur la production et le développement.

M. Michel Magras, président. - Je conclus que la problématique est surtout franco-française et que nous sommes en mesure de fournir des justifications permettant à l'Europe de reconduire périodiquement le dispositif.

M. Dominique Théophile, rapporteur. - Voilà quelques semaines, la Commission a annoncé le lancement d'une mission d'expertise sur l'octroi de mer confié à un cabinet italien. La région a-t-elle été consultée sur le sujet ?

M. Denis Céleste. - Nous avons été consultés. Un économiste de l'Université des Antilles est associé à ce cabinet italien. Nous l'avons rencontré et lui avons fait part des éléments que nous évoquons ici. C'est la première fois que la Commission européenne se rend sur le terrain pour mieux comprendre la problématique de l'octroi de mer. Il nous semble que c'est un point positif.

M. Dominique Théophile, rapporteur. - Le rapport biennal de la Commission nationale d'évaluation des politiques publiques en outre-mer traite de l'octroi de mer. Je regrette que cette commission soit bientôt dissoute, au motif, selon le gouvernement, que les études sont déjà réalisées dans d'autres sphères, et je soutiendrai l'amendement de notre collègue Catherine Conconne pour maintenir son existence.

M. Victorin Lurel. - J'aimerais attirer l'attention sur l'avenir de l'octroi de mer. De très nombreuses études existent. Outre l'étude de la CNEPEOM, celle de l'Inspection générale des finances est attendue avant juin pour préparer la loi de finances. L'Europe y travaille aussi avec le cabinet Economisti Associati.

Ce dispositif représente 1,3 milliard d'euros. Il a fait partie de la revue des aides économiques et fiscales. La ministre a décidé d'ouvrir une réflexion sur l'avenir de l'octroi de mer et j'y souscris. J'ai été confronté à ce problème lorsque j'étais ministre. Nous avons eu les pires difficultés pour convaincre l'Europe à l'époque. Le cabinet Legrand en 2012 a dû inventer une méthodologie particulière pour justifier le différentiel. J'entends la distinction entre l'octroi de mer européen et l'octroi de mer proprement français mais j'attire néanmoins l'attention sur la fragilité de cette distinction.

L'IGF intervient pour remplacer l'absence de modèles, de simulations et d'études empiriques afin de pouvoir convaincre demain la Commission. Il nous est reproché de tout taxer, même lorsqu'il n'existe pas d'équivalent dans la production locale. Finalement, cette mesure est devenue un droit de quai. Elle ne constitue plus une taxe pour protéger la production, fournir des ressources aux collectivités ou ménager le pouvoir d'achat des ménages. Les régions doivent démontrer l'efficience du dispositif, prouver que le différentiel a permis le développement des filières endogènes. Or nous avons du mal à le faire aujourd'hui. Je vous invite à relire le rapport de l'Autorité de la concurrence (ADLC) de juillet 2019. La partie relative à l'octroi de mer appuie les propos des représentants de la région : l'octroi de mer n'est pas le seul facteur d'enchérissement. Le rapport évoque aussi les marges et d'autres facteurs, en décomposant les prix de revient, les marges et les prix à la vente et au détail. L'Autorité formule des propositions que la délégation aurait quelque intérêt à examiner.

La région doit engager des études pour prouver que l'octroi de mer a servi à son développement interne, que les surcoûts ne sont pas surcompensés, car les détracteurs essaient de démontrer que nous utilisons l'octroi de mer indûment et que le différentiel, tel qu'il est pratiqué, n'est pas forcément fondé.

La lisibilité soulève également une vraie difficulté. Il existe aujourd'hui 22 taux, me semble-t-il, ce qui ne va pas dans le sens de la simplification. En outre, il est très difficile de trouver le bon taux avec les professionnels. Pour l'identifier, il faudrait réaliser des études empiriques et économétriques. Or, nous fonctionnons aujourd'hui au radar et l'Europe s'en plaint. L'ADLC indique bien que certains produits ne devraient pas subir l'octroi de mer.

Enfin se pose la question du périmètre. Lorsque j'étais ministre, nous avions obtenu l'augmentation du seuil. Faut-il le maintenir ou revenir à 300 000 euros aujourd'hui ? La direction du Trésor déclarait la dernière fois que le dispositif avait été pensé comme un impôt de rendement. Mais le rendement n'est pas au rendez-vous aujourd'hui et , de mémoire, seules 174 entreprises sur 40 000 le payaient en Guadeloupe, autant en Martinique et un peu moins encore en Guyane. En outre, il existait une asymétrie : certaines entreprises qui n'étaient pas assujetties à l'octroi de mer pouvaient bénéficier d'exonérations pour leurs intrants. Il faudrait vérifier si ce point est aujourd'hui corrigé. La plupart des observateurs estiment qu'on devrait revenir au seuil initial. Quelle est votre position ? On aurait besoin d'une simulation sur la perte que cette décision engendrerait pour la région afin de ne pas avancer à l'aveuglette.

Quant aux produits éligibles, l'octroi de mer porte aujourd'hui sur les marchandises, les biens et les livraisons. Les services ne sont pas couverts alors qu'ils représentent 85 % de la richesse produite. J'avais envisagé de les taxer, mais les présidents de région y étaient opposés et j'avais finalement reculé. Cette mesure présente des inconvénients. Néanmoins, de nombreuses entreprises en outre-mer ne participent pas à l'effort commun. Il me semblerait courageux d'y réfléchir. Il faudrait apprécier l'impact sur les prix, l'inflation. Faut-il, dans une économie de consommation comme la nôtre, où la production se réduit à la portion congrue, ne faire porter l'impôt que sur la production matérielle ? Peut-être faut-il préparer des réponses à ces questions qui se poseront nécessairement.

M. Michel Magras, président. - Je remercie le président Lurel pour cet exposé aussi développé sur l'octroi de mer. Il s'agit effectivement d'un problème de fond. En Europe, il ne devrait pas poser de problème sur la prochaine programmation. J'ai entendu que vous avez été capables d'apporter toutes les justifications demandées et que le dispositif sera reconduit pour une période. Je suis assez conforté dans l'idée qu'il s'agit d'un choix franco-français dont l'Europe aura tendance à tenir compte.

Rencontrez-vous des difficultés sur le rhum ?

M. Denis Céleste. - Une discussion s'ouvre actuellement, car le dispositif arrive à échéance fin 2020. Cette semaine, plusieurs réunions ont eu lieu avec différents ministères et des dates ont été arrêtées pour la mise en place d'un groupe de travail à compter du 23 mars avec l'ensemble des partenaires, en vue d'élaborer une proposition d'ici le mois de juin. Nous considérons qu'il faut continuer d'augmenter le contingentement au profit de notre territoire. La Guadeloupe a consenti de nombreux efforts ces dernières années sur la production de rhum. Il importe de maintenir une fiscalité adéquate et de rééquilibrer la problématique entre les différents territoires. Nous suivons attentivement cette question. Nous n'avons pas toujours été associés en amont à la négociation et nous souhaitons y participer en espérant que le dispositif sera maintenu.

M. Michel Magras, président. - Au cours de notre voyage à Bruxelles, j'ai relevé une volonté, avec le Parlement renouvelé, d'insuffler un air nouveau sur le contrôle et la répartition. Or les jours passent et l'adoption du budget de l'Union européenne n'est toujours pas à l'ordre du jour. Est évoquée la possibilité de procéder au coup par coup pour 2021, avec une reconduction de l'existant. Cette éventualité vous inquiète-t-elle ? Lorsqu'une région doit programmer son développement, elle ne peut pas se baser sur un programme non garanti.

M. Victorin Lurel. - Nous avons une clause de revoyure en fin d'année sur le rhum. Nous avions demandé 24 000 hectolitres d'alcool pur supplémentaires. La Guadeloupe est-elle satisfaite de la répartition qui a été réalisée ? À l'époque, la décision avait fait l'objet d'une véritable contestation. Nous estimions que la répartition du contingent était déjà très favorable pour la Martinique, mais nous n'avons pas obtenu satisfaction. En outre, la taxation supplémentaire porte le litre de rhum local à 10 euros aujourd'hui, et bientôt à 12 euros.

Faut-il réévaluer régulièrement ce contingent ? Je pense que ce serait une bonne chose. Une économie contingentée est une économie corsetée. Le marché du rhum se développe et nous ne pouvons pas satisfaire la demande avec un rhum à fiscalité réduite. Sur les trois questions qui se posaient à l'époque, la définition du rhum, le contingent et la fiscalité, deux sont remises en cause, la quantité et la fiscalité. Nous avons obtenu un compromis sur six ans avec une année blanche, mais les effets sont déjà présents. La répercussion est brutale. Or, il ne faut pas négliger le marché local.

Je demande à tous de rester très vigilants sur la nouvelle répartition. En Guadeloupe, nous n'avons pas réussi à donner aux producteurs les moyens de leur expansion. Nous avons suffisamment de canne pour faire plus. Nous exportons la mélasse, ce qui est interdit. Grâce à des circulaires dérogatoires, nous l'envoyons en Martinique, notamment pour le Galion qui ne parvient pas à atteindre son contingent. Je ne remets pas en cause le principe de la coopération entre nous, mais je tiens aussi à défendre nos productions. Si la répartition consiste à reproduire la circulaire en l'état, nous sommes perdants. Notre production est enfermée dans un régime malthusien qui n'est pas bon pour son expansion.

M. Michel Magras, président. - Cette volonté de surtaxer le rhum est-elle d'origine européenne ou française ? La France ne commet-elle pas la même erreur sur le rhum que sur les cigarettes, en partant du principe qu'elle va régler les problèmes liés à l'alcoolisme par la taxe ? Je pars du principe que le rhum est aux outre-mer ce que le vin est aux Français.

M. Denis Céleste. - Il s'agit d'une problématique franco-française.

M. Guy Losbar. - Nous pouvons parler d'une double peine que nous ne pouvons que dénoncer.

L'absence de visibilité sur les fonds européens est effectivement pénalisante, d'autant plus qu'avec la nouvelle règle de N+2 et la diminution du taux d'intervention, les interventions deviendront encore plus complexes. Pour le programme 2014-2020, nous avons déjà été affectés par le retard pris dans la mise en application des différents dispositifs. Les règles doivent être connues bien en amont.

M. Michel Magras, président. - Cela suppose aussi que le programme de simplification se concrétise. Nous ne pourrons pas réaliser le même programme avec un tiers de temps en moins. Quel est votre sentiment sur les dernières orientations, en particulier le Green Deal et le fonds de transition juste ?

M. Ruddy Blonbou. - Nous n'en connaissons pas encore tous les détails. Nous espérons qu'ils garderont en tête le principe de subsidiarité et feront confiance aux territoires pour faire une déclinaison pragmatique de ces grands objectifs. L'une des thématiques qui ont attiré notre attention concerne le désenclavement de nos territoires et nous la partageons avec les RUP ibériques. En Europe, on a tendance à penser qu'il faut taxer le transport aérien. Or, sur nos territoires, une telle décision sera catastrophique. Nous avons échangé avec la Commission sur le sujet et nous lui avons fait part de nos spécificités en la matière. Nous espérons que dans la déclinaison finale, ces spécificités seront prises en compte.

M. Victorin Lurel. - Aujourd'hui, des dérogations sont accordées à la Guadeloupe en matière d'énergie. Or, la PPE est en révision. J'entends également des critiques en Guadeloupe sur l'abandon de l'autonomie énergétique d'ici 2030. Avec le Green deal, sommes-nous bien conscients qu'une Europe plus verte se montrera beaucoup plus rigoureuse sur ses émissions de CO2 ou gaz à effet de serre ? Préparez-vous une parade ? À défaut, nous risquons de perdre des fonds sur cette enveloppe.

M. Ruddy Blonbou. - Le secteur des transports représente les deux tiers de la consommation d'énergie en Guadeloupe aujourd'hui. Dans nos îles, la transition ne peut se faire au même rythme et avec les mêmes critères que sur le continent. Cette discussion n'est pas achevée. Les arbitrages ne sont pas tranchés. Avec nos collègues des RUP, nous entendons faire adopter certains principes qui préservent les dynamiques de croissance dans nos territoires. A défaut, nous risquons de subir une double peine, avec des contraintes qui ne feront qu'augmenter les surcoûts qui pèsent déjà sur nos économies.

M. Michel Magras, président. - Je tiens à vous remercier pour vos interventions. Nous restons à votre disposition. Nous avons pour ambition d'intégrer dans notre rapport la totalité des problématiques qui se poseront dans la relation avec l'Europe pour la nouvelle période. Une question avait été posée sur les éventuelles conséquences d'accords commerciaux signés par le Royaume-Uni qui pourraient entrer en concurrence directe avec certains de nos territoires. Nous pourrons y revenir ultérieurement. N'hésitez pas à nous communiquer vos contributions.