Mardi 3 mars 2020

- Présidence de Mme Élisabeth Lamure, présidente de la Délégation aux entreprises -

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Dans le cadre de la mission sur le thème : « Comment encourager l'entreprise responsable et engagée ? », table ronde sur : « Les PME et la RSE »

Mme Élisabeth Lamure, Présidente de la Délégation sénatoriale aux entreprises. - Je remercie les nombreux intervenants et mes collègues présents.

La délégation du Sénat a confié en octobre dernier à M. Jacques Le Nay et moi-même un cycle d'auditions en vue d'élaborer un rapport sur le thème « comment encourager l'entreprise responsable et engagée ? ».

La première responsabilité de l'entreprise dans la cité, souvent oubliée, est qu'elle contribue par la fiscalité au fonctionnement de l'État et des services publics ainsi, bien sûr, qu'à la création d'emplois.

Au cours des nombreuses auditions que nous avons organisées, nous nous sommes penchés sur l'impact de l'entreprise dans la société, nous avons étudié les différents aspects de la RSE, en nous focalisant sur l'intégration par les PME et TPE de cette nouvelle dimension de la stratégie des entreprises.

Ces dernières sont désormais explicitement appelées à contribuer aux objectifs de développement durable adoptés en septembre 2015 par l'ONU (Agenda 2030), qu'elles sont incitées à intégrer dans leur stratégie RSE, en collaboration avec leurs parties prenantes. La démarche des Nations-Unies vers les entreprises, qui se fonde sur le volontariat, sera présentée par Mme Fella Imalhayene, déléguée générale du Global Compact France. Les enjeux climatiques ne risquent-ils pas de prendre le dessus et d'occulter les autres enjeux sociaux, comme le bien-être en entreprise ou l'éthique financière ?

Les entreprises engagées peuvent bénéficier de nombreux labels. Leur avantage est d'apporter de la souplesse, mais leur inconvénient est sans doute leur foisonnement, ce qui pourrait permettre aux entreprises de « faire leur marché » avec le risque de désorienter le consommateur et les autres parties prenantes.

Le premier de ces labels, B Corp, importé des Etats-Unis en 2014, sera présenté par M. Augustin Boulot. Le second, le Label Lucie, le sera par Mme Saliha Mariet.

Le référentiel le plus utilisé est la norme ISO 26 000 promue par l'AFNOR. Là encore, l'avantage est que la PME est libre d'adapter ses moyens pour atteindre ce référentiel. Ces normes volontaires n'exigent pas une obligation de moyens. N'est-ce pas cependant prendre le risque d'être exposé à l'accusation de « greenwashing » ou de « socialwashing » ?

Agir dans l'intérêt général, loin d'être incompatible avec la profitabilité d'une entreprise, procure au contraire un supplément de performance, comme de nombreuses études l'attestent.

Comment accompagner les PME et TPE dans cette gestion des risques et opportunités liés au développement durable ?

M. Emmanuel de La Ville, directeur général d'EthiFinance, leader européen dans la notation extra-financière des PME, cotées ou non cotées, exposera sa démarche.

La diffusion de la RSE dans le vaste tissu des PME et TPE est une oeuvre de longue haleine. Le principal vecteur est la relation des grandes entreprises avec leurs sous-traitants et fournisseurs. Un autre mode d'implantation de la RSE est une forme d'entraide professionnelle, de diffusion et de partage de bonnes pratiques.

Des réseaux d'entrepreneurs agissent pour que les entreprises développent leurs impacts positifs : Entreprises pour l'Environnement (EpE) représenté par Mme Claire Tutenuit, déléguée générale ; Orée, représentée par Mme Nathalie Boyer, déléguée générale ; enfin, Les Entreprises pour la Cité, représentées par Mme Alicia Izard, qui met l'accent sur la diversité en entreprise, l'inclusion numérique et le mécénat de compétences.

À chacun des intervenants, je demanderai une courte présentation de leurs actions, et surtout des préconisations pour une meilleure diffusion de la RSE dans les PME et les TPE.

M. Jacques Le Nay, co-rapporteur de la mission d'information, comme mes autres collègues de la Délégation aux entreprises du Sénat, pourront ensuite vous poser des questions pour approfondir le débat.

J'invite Mme Imalhayene à prendre la parole.

Mme Fella Imalhayene, déléguée générale de Global Compact France. - Je vous remercie de me donner l'opportunité de présenter le Global Compact et sa vision sur la manière d'encourager les PME et TPE à s'engager sur des démarches RSE. Le Global Compact est une initiative née dans les années 2000, suite au constat réalisé par le Secrétaire général des Nations-Unies, M. Kofi Annan, sur le fait qu'il existait de grands enjeux mondiaux auxquels les États ne pouvaient plus faire face seuls. S'en est suivie de sa part une invitation du monde économique à répondre à ces enjeux. Cette invitation a pris la forme d'un texte listant 10 principes, axés autour de 4 grandes thématiques : les droits humains, les normes internationales du travail, la protection de l'environnement et la lutte contre la corruption. Ces principes constituent le socle du Global Compact. 70 représentations du Global Compact se sont développées dans le monde, avec 13 000 organisations adhérentes, dont 1 200 entreprises françaises. Cette forte représentation des entreprises françaises (1 une 10) témoigne du train d'avance de la France sur les questions RSE, notamment grâce à une réglementation qui a tiré la RSE vers le haut.

Plus de 50 % de ces 1 200 entreprises sont des PME. En s'engageant dans le Global Compact, les entreprises s'engagent à intégrer ces 10 principes dans leur stratégie et surtout à rendre compte annuellement des actions qu'elles ont déployées, par le biais d'un rapport de « communication sur leur progrès ». À la différence d'un label, Global Compact attend chaque année l'expression d'un progrès visible à travers les actions et les chiffres. Il ne s'agit pas d'une certification ou d'une évaluation mais d'un engagement libre.

Le rôle du Global Compact est de faire connaître ce texte. Depuis septembre 2015 et l'adoption des Objectifs de Développement Durable, Global Compact aide également les entreprises à contribuer à ces objectifs. Ses représentants réalisent un tour de France pour les promouvoir, développent des outils de sensibilisation à l'Agenda 2030, ont mis en place le « réseau des entreprises engagées » des PME et TPE qui font part de leurs actions autour des objectifs de développement durable.

Global Compact engage également des actions en lien avec les pouvoirs publics. Une mission portée par le ministère des Finances est actuellement en cours et a pour objectif d'évaluer les labels RSE avec un angle particulier pour les PME et les TPE. Cette mission est conduite par Mme la députée Coralie Dubost, Jean-Paul Chapron, président du Syntec et moi-même. Les résultats de la mission se nourriront des retours de votre mission d'information sénatoriale.

Mme Élisabeth Lamure. - Je vous remercie et je donne la parole à M. Boulot.

M. Augustin Boulot, délégué général de B-Lab France. - Je vous remercie de votre invitation.

B-Lab France est une ONG internationale branche française du label B-Corp, créée en juillet 2019 sous forme d'association de loi 1901. Le label B-Corp est arrivé en 2014 en France. La première entreprise française à avoir été labellisée est le cabinet Utopies, spécialisé en développement durable et RSE. Entre 2014 et 2019, B-Lab s'est appuyée sur Utopies pour développer le mouvement B-Corp en France, ce qui a été chose faite en 2019, considérant que le label était suffisamment mûr pour avoir sa structure officielle française. B-Lab France opère seulement depuis novembre 2019.

L'ONG B-Lab distribue un outil d'auto-évaluation d'impact (B Impact Assessment), exhaustif, accessible en ligne et gratuit pour accorder le label B-Corp aux entreprises. B-Lab s'appuie sur les 3 000 entreprises labellisées dans le monde (100 en France) comme des ambassadrices pour démontrer qu'il est possible d'avoir des entreprises rentables et saines, avec une contribution sociale, sociétale et environnementale positive par leurs activités. L'outil B Impact Assessment mesure l'impact via cinq angles : la gouvernance, les collaborateurs (pratiques salariales), la contribution environnementale, l'ancrage local (fournisseurs, partenariats) et les clients.

B-Corp mesure la contribution, l'activité d'entreprise et son impact social, sociétal et environnemental à travers les cinq angles présentés, qui sont des standards internationaux et cherchent également à valoriser la raison d'être des entreprises, afin de savoir si elles sont intrinsèquement structurées pour avoir une contribution sociale, sociétale et environnementale positive. Le label pourra créer des ponts avec ce qu'a porté la loi PACTE.

Mme Élisabeth Lamure. - Je vous remercie et j'invite Mme Mariet à intervenir.

Mme Saliha Mariet, directrice des opérations de La Communauté Lucie. - Je vous remercie de me donner l'opportunité de vous présenter l'Agence Lucie. L'Agence Lucie a été créée par l'association QFA (Qualité France Association) en 2007 et est la plus ancienne positionnée sur labellisation. QFA a mis ce label rouge en place afin de valoriser les entreprises et organisations engagées en matière de responsabilité sociétale, avant même la publication de l'ISO 26 000. L'Agence Lucie a aligné son référentiel sur les 17 questions centrales de l'ISO 26 000 lorsque ce dernier a été publié. Notre référentiel s'adresse à tous types d'organisation, quels que soient leur taille et leur secteur d'activité, et se décline de manière opérationnelle en 25 principes d'action qui sont des enjeux couvrant la gouvernance, la protection de l'environnement, les droits de l'homme, l'éthique et les affaires, l'intérêt des consommateurs, le développement local et les autres questions centrales de l'ISO 26 000.

Notre label propose une démarche exigeante et crédible d'amélioration continue pour que les entreprises continuent à en bénéficier. Il implique une formation des entreprises engagées (ce que couvre la RSE et la capacité, pour une entreprise, à mettre en place un plan d'action) et une auto-évaluation, via un outil en ligne qui recense les actions mises en place et celles prévues. Une fois réalisée cette auto-évaluation sur les processus et sur les moyens financiers et humains mobilisés, un audit est systématiquement effectué sur site par un évaluateur externe indépendant (Bureau Veritas ou RSEVAL). La labellisation s'obtient par présentation du rapport devant un comité de labellisation. En amont, l'entreprise doit avoir pris des engagements de progrès. Pour obtenir le label, l'entreprise doit avoir un certain niveau de maturité. Un audit de suivi est réalisé après 18 mois et un audit de renouvellement au bout de 36 mois. L'entreprise bénéficie du label seulement si elle a progressé dans sa démarche.

Le label Lucie anime par ailleurs la communauté des entreprises labellisées ou en cours de labellisation et organise des évènements pour partager les bonnes pratiques. Lucie met en place des outils de communication pour valoriser l'engagement des membres et met à leur disposition un réseau de consultants formés à notre référentiel.

Aujourd'hui, 145 entreprises sont labellisées Lucie 26 000 et 600 sont en cours de labellisation. Certaines entreprises sont labellisées sur d'autres labels thématiques. (Envol, numérique responsable...).

Mme Élisabeth Lamure. - Nous verrons comment les entreprises s'y retrouvent dans tous ces labels. J'invite M. de La Ville à s'exprimer.

M. Emmanuel de La Ville, fondateur et directeur général d'Ethifinance. - Je remercie la délégation sénatoriale d'avoir convié Ethifinance, qui est la seule agence indépendante de notation extrafinancière française, voire européenne. Ethifinance fait partie du groupe Qivalio, qui a réuni voici trois ans Ethifinance et Spread Research, seule entreprise française habilitée à émettre une notation financière.

L'agence a été créée en 2004, sur le même métier que Vigéo de Nicole Notat, mais axée spécifiquement sur les PME et ETI. Elle évalue chaque année des entreprises non cotées également. Son coeur historique est la notation environnementale, sociale et de gouvernance de 1 000 entreprises cotées en France (300 hors CAC 40) et en Europe. Les évaluations sont réalisées à partir de trois sources émanant de l'entreprise : les documents de référence mis à disposition (bilan, rapport sur l'activité développement durable...), les informations déclaratives émanant de l'entreprise (par exemple le taux d'absentéisme) et enfin les informations sur les « controverses » (négatives et publiques) issues des médias et des réseaux, qui représentent le contre-pouvoir.

Le modèle économique de cette agence est fondé à 80 % sur la rémunération d'investisseurs institutionnels (compagnies d'assurance, banques, sociétés de gestion).

Ethifinance s'inscrit dans un cercle vertueux auprès des entreprises cotées, dans la mesure où elles se trouvent sur les radars des investisseurs « responsables » si elles donnent à Ethifinance leurs informations extrafinancières. Pour les investisseurs « responsables », la performance économique et financière compte, mais pas au détriment des personnes et de l'environnement. Cette démarche, qui a été difficile à ses débuts, a depuis fait des émules. Aujourd'hui, l'écosystème et la chaîne de valeur sont sensibilisés à ces enjeux.

Mme Élisabeth Lamure. - Je vous remercie et vous propose d'entendre à présent des représentantes de réseaux d'entreprises. Je donne la parole à Mme Tutenuit.

Mme Claire Tutenuit. - Entreprises pour l'Environnement (EpE) est une association de 40 grandes entreprises (dont la moitié des entreprises du CAC 40) issues de tous les secteurs de l'économie qui travaillent à mieux intégrer l'environnement dans leurs stratégies et leurs opérations, et font de l'environnement un moteur de leur transformation.

L'essentiel du travail consiste à échanger les bonnes pratiques, à dialoguer avec les ONG et avec la communauté scientifique. Ces échanges les aident à améliorer leurs processus et leurs pratiques. EpE en déduit des livrables méthodologiques, en capitalisant sur les expériences. EpE a par exemple élaboré le premier protocole de mesure d'émissions des gaz à effet de serre, a réalisé des travaux sur la mesure de la biodiversité, sur les émissions évitées grâce à l'économie circulaire.

Les quelques PME membres d'EpE sont essentiellement des sociétés de conseil (comme ERM). Les grandes entreprises influencent les PME essentiellement par leurs politiques d'achat et de transmissions de bonnes pratiques métiers. Saint-Gobain fait par exemple beaucoup de pédagogie auprès des artisans, clients de la Plateforme du Bâtiment ou de Point P, et qui bénéficient des modules de formation à un certain nombre de bonnes pratiques. Ces dernières peuvent rejoindre les bonnes pratiques en matière de RSE (efficacité énergétique des bâtiments...).

Au-delà des échanges de bonnes pratiques, EpE participe à des initiatives collectives d'engagement volontaire qui ont commencé dès 2002 avec l'association des entreprises pour la réduction de l'effet de serre. La plus récente est l'initiative « Act for nature » en faveur de la biodiversité. Les méthodologies sont complexes à mettre en place et à standardiser. Il s'agit d'une initiative d'apprentissage collectif et individuel, qui a évolué en un programme de l'Office français de la biodiversité, ayant vocation à diffuser ces pratiques auprès des PME. Ces sujets sont émergents.

Mme Élisabeth Lamure. - Je vous remercie. Mme Boyer, je vous invite à vous exprimer.

Mme Nathalie Boyer, déléguée générale d'Orée. - Je vous remercie. Orée est un ancien réseau crée en 1992 et qui compte 200 entreprises, des PME et TPE, des grandes entreprises du CAC 40, des fédérations, ainsi que des collectivités territoriales, des associations (ONG), des personnalités qualifiées et des scientifiques.

Orée travaille actuellement sur trois sujets innovants environnementaux, et s'attache à les porter et les développer : l'économie circulaire, la biodiversité et la RSE.

Dans le cadre de l'article 225 de la loi Grenelle 2, Orée a réalisé pendant trois ans pour le ministère un rapport-bilan sur la manière dont les entreprises rapportaient sur la RSE et les informations extrafinancières. Les entreprises ont été acculturées sur certains indicateurs environnementaux qu'elles appréhendaient mal. Les indicateurs sociaux ne posent pas de difficulté en France, mais quelques problématiques demeurent sur les indicateurs sociétaux, car beaucoup d'entreprises ne savent pas comment créer de la valeur sur leur territoire local. Orée a donc créé un groupe de travail sur l'ancrage territorial des entreprises, qui est le pilier sociétal de la RSE. Le groupe de travail a développé un indicateur d'interdépendance des entreprises à leur territoire afin qu'elles puissent s'autoévaluer sur quatre axes : gouvernance, stratégie innovation de marché, emplois et insertion, coproduction de valeurs communes sur le territoire, comme la préservation des ressources naturelles par exemple.

Aujourd'hui, c'est un groupe de travail sur le rapportage qui est proposé, car la démarche a fortement évolué, avec le passage de la loi NRE (relative aux Nouvelles Régulations Économiques) à l'article 225 et à la DPEF (déclaration de performance extrafinancière). Orée vient de produire un bilan d'un an d'application de la DPEF appliquée aux entreprises d'une certaine taille et d'un certain chiffre d'affaires. Le Commissariat général du développement durable a examiné ce rapport, qui regroupe le bilan de 30 entreprises (10 du CAC 40, 10 du SBS, entreprises cotées et non cotées).

Orée travaille également avec des partenaires dans le cadre de la plateforme nationale RSE, qui examine les questions de performance globale des TPE-PME... Enfin, un groupe de travail est mis en place sur le rapportage intégré, qui examine comment concilier rapportage financier et rapportage extrafinancier dans le bilan des entreprises.

Mme Élisabeth Lamure. - Je vous remercie et je donne la parole à Mme Izard.

Mme Alicia Izard, directrice mécénat et investissements citoyens d'IMS Les entreprises pour la cité. - Merci. Je représente l'association les Entreprises pour la Cité, créée en 1986 par Claude Bebear, le fondateur d'Axa, qui avait la conviction avant l'heure que les entreprises devaient davantage s'engager pour la société civile et partager cette conviction. Il a fédéré autour de lui d'autres dirigeants convaincus par ce sujet et notamment dans le champ social. L'association a développé trois grands champs d'expertise : le mécénat et les investissements citoyens, la diversité et l'emploi, l'éducation et l'inclusion numérique. Elle compte aujourd'hui un réseau de 200 entreprises et fondations engagées dans l'innovation sociale. Notre rôle est d'accompagner les entreprises dans toutes leurs démarches volontaires au profit de l'intérêt général. Entreprises pour la Cité est présente dans 6 régions de France (Alsace, Ile-de-France, Ouest-Atlantique, PACA, Rhône-Alpes et Sud-Ouest) et organisent avec elles des évènements : conférences « inspirantes », ateliers de mise en pratique, groupes de travail sur des sujets prospectifs, missions de conseil, formations inter ou intra-entreprises, publications comme le « panorama des fondations et fonds de dotation » créé par des entreprises mécènes. Cette étude est publiée tous les deux ans. Un des derniers ouvrages parus est le « guide des incivilités numériques ». Une publication est en cours sur les besoins des salariés en difficulté, notamment dans les TPE et les PME. Le réseau accueille tous types d'entreprises, même s'il s'agit principalement de grandes entreprises, et porte la Charte de la Diversité qui regroupe plus de 4 000 signataires en France, dont 80 % sont des TPE et PME.

Mme Élisabeth Lamure. - Je vous remercie de ces présentations et je vous propose de poursuivre nos échanges. Au fur et à mesure des auditions que nous conduisons depuis plusieurs semaines, nous avons constaté que lorsque nous parlons de RSE à nos interlocuteurs représentant des entreprises, ils nous répondent avant tout « développement durable » : les questions de gouvernance, de bien-être au travail, d'éthique, de droits humains ne viennent pas spontanément. Un sondage confirme que le premier réflexe RSE des entreprises concerne le développement durable, qui pour certaines entreprises est « plus facile à cocher ».

M. Jacques Le Nay, co-rapporteur. - Les entreprises n'attendent-elles pas une reconnaissance et une valorisation par l'État via ces labels ? Promouvoir les bonnes pratiques et miser sur l'exemplarité sont-ils suffisants pour faire évoluer l'entreprise en profondeur ? Quelle serait selon vous la voie la plus efficace d'une politique d'accompagnement des pouvoirs publics : un accès privilégié à la commande publique, un label public avec un référentiel adapté aux PME par exemple ? Plus précisément, comment les PME peuvent-elles mieux prendre en compte l'environnement dans leur décision stratégique et leur gestion courante, comment vérifier la fiabilité de la performance environnementale d'une entreprise ?

Mme Élisabeth Lamure. - Nous laisserons ensuite la parole à Michel Canevet, qui était rapporteur pour la loi PACTE.

Mme Nathalie Boyer. - L'exemplarité et le portage des bonnes pratiques ne suffisent pas et la valorisation est nécessaire, ainsi qu'une aide financière octroyée aux PME afin qu'elles puissent se lancer dans ces démarches. Elles ont également besoin d'outillage et de méthodologies simples. Les labels adaptés aux TPE et PME permettant une reconnaissance des finances publiques sont pratico-pratiques. Une expérimentation est en cours avec une vingtaine de fédérations dans le cadre de la plateforme RSE et je vous propose de vous en faire un retour. Le fait que cette démarche soit animée par une fédération permet de s'assurer que les entreprises ne lâchent pas leur démarche RSE et facilite la prise de conscience et l'engagement des entreprises. Cela permet d'être adapté au secteur d'activité et à ses problématiques. Il est important de respecter la progressivité du label sectoriel, sans imposer un rythme soutenu aux PME et TPE. Enfin, il faut que ces labels soient solides, sans être des sous-produits. Les fédérations souhaitent que ces labels soient revus pour être en phase avec les entreprises et qu'ils soient reconnus par les pouvoirs publics. Les acheteurs publics doivent pouvoir identifier les bons fournisseurs RSE. Enfin, les entreprises demandent si la détention de ces labels permettrait de faciliter et simplifier leurs démarches et contrôles administratifs, de mettre en place une fiscalité incitative et d'obtenir des taux préférentiels pour les prêts bancaires ou les assurances. Au-delà de leur engagement sociétal fort, souvent porté par un important leadership dans les PME, les entreprises demandent à ce que le temps consacré à la démarche RSE soit valorisé (performance de gain, de compétitivité, accès à des marchés...).

M. Jacques Le Nay. - Le nombre d'entreprises labellisées reste faible au regard de leur effectif total. N'attendent-elles pas une convergence des labellisations ?

Mme Nathalie Boyer. - Le retour des expérimentations des fédérations montre que c'est davantage l'animation assurée par les fédérations qu'une convergence des labellisations qui pousse les entreprises à s'engager. Les fédérations les stimulent, assurent les animations territoriales qui reposent sur une démarche collective. Il faut leur faciliter la vie, et il est vrai qu'il y a pléthores de labels et de référentiels.

Mme Élisabeth Lamure. - Le rapport de M. de Cambourg préconise un rassemblement des labels pour leur donner une meilleure visibilité extérieure (notamment à l'égard des acheteurs publics...). Il semble intéressant de travailler sur ce sujet et d'éviter cet éparpillement qui nuit à la lisibilité.

M. Augustin Boulot. - Il est effectivement très important d'outiller les entreprises, comme le font B-Corp et l'Agence Lucie au sein de leur communauté d'entreprises. Les entreprises ne viennent pas à nous simplement pour obtenir un label, car elles sont encore trop peu d'entreprises labellisées pour avoir une réelle reconnaissance des consommateurs, mais pour faire partie d'une communauté qui peut les outiller et les aider dans leurs démarches. Plutôt que de se lancer dans un nouveau label public d'État, qui ne servirait pas la lisibilité du panorama, il semble préférable d'aller plutôt vers une reconnaissance ou un agrément par l'État des quelques labels existants, qui sont solides et sérieux. Nos deux labels, ainsi que celui « Engager RSE » de l'AFNOR, sont les principaux labels globaux. Ils regroupent 300 à 400 entreprises sur les 4 millions de PME existant en France. Nous sommes très loin d'avoir investi le « marché » : ni B-Corp ni Lucie ne se voient comme un business de certification ou de labellisation, mais plutôt comme un accompagnement d'entreprises dans cette démarche.

Mme Claire Tutenuit. - La multiplicité des labels répond à un besoin des entreprises : selon le public auquel elles s'adressent, elles auront tendance à élaborer un label auquel ce public sera sensible (consommateurs, investisseurs ou encore pouvoirs publics). Le fait d'obtenir un label « biodiversité » pour les carriers est par exemple de nature à encourager les propriétaires de terrains à les leur confier, car ils estiment qu'ils leur seront rendus en bon état. Certains marchés justifient des labels. Le foisonnement des labels dans le monde du bâtiment n'est pas sans pertinence. Il est difficile de parler d'un label unique pour un très grand nombre de marchés publics différents, car les pouvoirs publics éprouveront des difficultés à sélectionner l'un plutôt que l'autre. Les labels relatifs au bois FSC ou PEFC sont sectoriels, mais reconnus et pourraient s'appliquer à tous les achats de produits en bois, qui ne sont pas sectoriels. On se retrouve dans l'obligation d'accepter une certaine diversité. Les labels destinés à la communauté financière sont peut-être les plus englobants.

Mme Fella Imalhayene. - Dans la thématique RSE, certains labels sont déjà des propriétés de l'État : les labels « diversité », « égalité professionnelle », « fournisseurs, achats responsables ». Cela n'a pas modifié l'appétence des entreprises à leur égard ni la reconnaissance dont ils font l'objet. Les PME/TPE de notre réseau disent que les actions qu'elles mettent en oeuvre et les investissements en temps et en finance ne sont reconnus ni par les pouvoirs publics ni par les grands donneurs d'ordre privés. Il semble donc moins nécessaire de travailler sur la robustesse du label que sur la cohérence des grands donneurs d'ordre. Lorsque l'entreprise se retrouve face à un acheteur, c'est bien le prix qui restera déterminant, même si les attentes sur les engagements RSE sont remplies. Les entreprises engagées qui ont investi tant sur le plan social qu'environnemental et dont les prix s'en trouvent impactés, ne retrouvent pas leur retour sur investissement. Cet élément est très important dans le système actuel. Les labels félicitent les meilleurs, accompagnent ceux qui veulent avancer. Le point de bascule est bien la cohérence entre les grands donneurs d'ordre publics et privés sur les attentes des clients. Les grandes entreprises sont confrontées aux mêmes problématiques. Global Compact a réalisé une enquête sur les objectifs de développement durable (sans résultat global pour la RSE) : interrogées sur les freins qu'elles rencontrent dans la mise en oeuvre de la contribution aux ODD, les entreprises évoquent toujours le besoin des outils, mais également la nécessité que les parties prenantes (grands donneurs d'ordre, collectivités et grandes entreprises privées) s'engagent au même niveau qu'elles.

Mme Élisabeth Lamure. - Comment le mesurer ?

Mme Fella Imalhayene. - Les entreprises elles-mêmes demandent des outils de mesure d'impact sociétal.

Mme Claire Tutenuit. - L'outil EcoVadis, qui permet aux PME de répondre aux cahiers des charges des grands donneurs d'ordre, a par exemple contribué à harmoniser les pratiques d'achat des acheteurs de grands groupes, mais qui laisse encore une grande marge d'interprétation. Le poids donné aux critères est très différent selon les métiers, les secteurs et les entreprises. Cet outil a joué un rôle important sur la question du travail des enfants : les grandes entreprises ont envoyé des auditeurs visiter des sous-traitants de rang 5 ou 6 partout dans le monde. La demande du marché est moins importante sur d'autres enjeux comme la biodiversité.

Mme Saliha Mariet. - Aujourd'hui, la labellisation RSE répond aux besoins des TPE/PME, qui sont plus nombreuses que les grandes entreprises à se faire labelliser. Elles viennent chercher la labellisation pour répondre aux pressions des parties prenantes (clients, donneurs d'ordre, salariés, consommateurs) et également pour répondre à leurs valeurs. Au travers de la démarche RSE, les entreprises veulent se structurer, formaliser leur démarche et la faire reconnaître par un label crédible qui démontre leur engagement sincère dans une recherche d'amélioration continue. Aujourd'hui, les labels pèsent très peu au regard du nombre de TPE/PME existantes. De nombreuses choses restent à faire pour faire connaître la RSE, au-delà du développement durable. Un travail de sensibilisation et de conviction des entreprises est nécessaire, en leur montrant que cette démarche contribuera à leur performance interne (réduction des coûts et des risques, motivation des collaborateurs, opportunités de développement) et leur permettra également d'être plus compétitives, à condition de pouvoir créer un environnement favorable à l'engagement des TPE/PME dans la RSE. L'État et les acteurs externes ont un important rôle à jouer pour faciliter leur engagement.

Mme Élisabeth Lamure. - Le coût de l'obtention du label (environ 5 000 euros par an) peut-il être un frein ?

Mme Saliha Mariet. - Les TPE/PME sont confrontées à des contraintes budgétaires. L'Agence Lucie essaie de rendre l'obtention du label moins coûteuse pour les TPE de moins de 10 salariés, en allégeant la démarche d'audit (14 principes d'action versus 25). Elle essaie également de nouer des partenariats avec les réseaux et les clubs afin de proposer aux entreprises adhérentes de bénéficier de réductions pour accéder à la labellisation. Les TPE et PME disposent de peu de moyens financiers et de temps pour le faire : certaines régions mettent en place des dispositifs d'aide.

M. Augustin Boulot. - B-Corp ne voit pas non plus le coût de la certification comme un premier frein. Sur les 100 entreprises certifiées B-Corp en France, 90 sont des PME/TPE. Les frais de certification vont de 500 euros par an (pour les entreprises réalisant jusqu'à 150 000 euros de chiffre d'affaires annuel) à 10 000 euros par an (pour les entreprises réalisant jusqu'à 50 millions d'euros de chiffre d'affaires annuel), sur trois ans. Le principal frein est le temps et les ressources humaines à consacrer à la démarche. La certification mesure des engagements pris, des transformations de pratiques, des changements de contrats avec les fournisseurs... Il s'agit d'un engagement global de l'entreprise. Notre outil d'auto-évaluation (questionnaire de 250 questions) est disponible en ligne, dynamique, entièrement gratuit et non engageant : en France, plus de 3 000 entreprises l'utilisent aujourd'hui pour évaluer leur impact. Aller voir l'outil et mesurer son impact est une démarche intéressante, le premier pas vers la transformation que nous appelons tous de nos voeux. L'objectif est que les entreprises s'engagent dans la démarche.

Mme Élisabeth Lamure. - La démarche ne doit pas être trop compliquée et ne doit pas prendre trop de temps. Le temps consacré par les PME à ces démarches n'est pas valorisé : c'est peut-être sur cet aspect qu'il est nécessaire de travailler, davantage que sur le coût. Il pourrait s'agir d'avantages fiscaux, incitant les PME à aller dans la pratique.

Mme Nathalie Boyer. - Les TPE et PME évoquent le manque de temps, de moyens humains et financiers, de reconnaissance des labels, d'articulation et de coopération, de sensibilisation et de formation des acteurs. Le sujet du développement durable est intégré, ceux de la RSE, de l'économie circulaire sont plus complexes... la situation est loin d'être simple pour les entreprises comme pour les acheteurs qui ont des obligations d'achats sur l'économie circulaire...

Mme Claire Tutenuit. - Le concept de matérialité est important pour les PME. Une PME peut travailler sur deux ou trois sujets à la fois, qu'elle sélectionne selon ses caractéristiques : émission de gaz à effet de serre, importations de pays à bas salaires... les entreprises sont les plus à même d'identifier les éléments importants sur lesquels elles ont une capacité d'action et auxquels leur marché (investisseurs, clients, environnement réglementaire) est sensible. Les labels sont très globaux et les actions menées par une PME seront in fine concentrées sur un petit nombre de paramètres, avec des efforts particuliers sur quelques-uns d'entre eux. La démarche de labellisation générale n'est pas toujours en capacité de le représenter.

Mme Saliha Mariet. - L'Agence Lucie s'appuie sur un référentiel générique qui a été adapté aux TPE et PME. Elle travaille beaucoup sur les déclinaisons sectorielles, car il est important que la RSE soit adaptée aux enjeux de secteur d'activité. L'une des pratiques fondamentales de l'ISO 26 000 est d'identifier ces enjeux et les prioriser au regard du secteur d'activité. L'Agence Lucie a donc réalisé des déclinaisons sectorielles pour adapter la RSE au secteur d'activité (banque, santé, formation, logement social...). On ne peut pas avoir un label unique pour toutes les entreprises. Il est nécessaire de laisser cette marge d'adaptation aux entreprises.

M. Jacques Le Nay. - On peut donc penser qu'il n'y a pas de concurrence entre vous, mais plutôt une complémentarité, voire une ébauche de mutualisation pour réussir à « séduire » les entreprises.

Mme Nathalie Boyer. - Chacun trouve dans le marché ce qu'il veut y trouver. Qu'il s'agisse de labels généralistes ou fondés par des fédérations, le côté sectoriel est prédominant. Je confirme que pour la démarche RSE dans les PME/TPE, ces dernières commencent par des choses pragmatiques. Elles ont un fort ancrage social, car elles sont basées sur leur territoire et ont une capacité à y créer de la valeur, même si elles ne réussissent pas toujours à l'évaluer (associations caritatives, manifestations sportives...). Lorsqu'elles engagent une démarche proactive, elles commencent par des actions simples liées à l'environnement (économies d'eau, d'énergie, achat de papier recyclé...), qui peuvent leur apporter des gains de compétitivité rapides et peu coûteux. Sur le volet social, elles vont agir sur leurs salariés : GPEC (gestion prévisionnelle des emplois et des compétences), respects des textes relatifs à la diversité, au handicap, à l'égalité hommes/femmes...qu'elles éprouvent parfois des difficultés à appréhender.

M. Michel Canevet, sénateur. - La loi PACTE a apporté plusieurs notions de responsabilité sociale et environnementale. L'article 1833 du code civil prend en compte les enjeux sociaux et environnementaux, et l'article 1835 ouvre la possibilité d'instituer une raison d'être et la faculté pour les entreprises de se définir comme « entreprise à mission ». Tout cela a été fait de manière volontariste et non coercitive, sans sanction à la clef. Les grandes entreprises sont sensibilisées à la question ; les PME et TPE qui sont leurs sous-traitantes peuvent être obligées de passer par la prise en compte de la RSE, mais cela est plus difficile pour les TPE. Existe-t-il une approche globale permettant de jauger la réalité des choses dans les TPE et d'envisager des labels simples et compréhensibles ?

Il faut également tenir compte de leur coût : la loi PACTE a supprimé l'obligation de certification des comptes pour un certain nombre d'entreprises, essentiellement pour des raisons de coût. Ces coûts additionnels peuvent être des freins pour les TPE. Un autre élément important est la lisibilité de cette démarche. Tant que les choses ne seront pas claires pour les consommateurs, cette lisibilité restera difficile. Il sera nécessaire de trouver un label qui ait du sens, comme le label « bio » pour les produits alimentaires ou pour la longévité des produits électroménagers. Ce sont les enjeux auxquels l'ensemble des opérateurs du secteur seront confrontés.

Estimez-vous que les PME et les TPE appréhendent réellement les choses et ont une appétence sur le sujet, ou si la démarche reste marginale en dehors de quelques acteurs volontaires, comme dans le domaine agro-alimentaire confrontés à des impératifs de qualité sanitaire ?

Mme Nathalie Boyer. - Il est difficile de répondre de manière générale, car il existe un effet de taille d'entreprise et de secteur d'activité. Les entreprises de biens intermédiaires ou de biens d'équipement répondent aux exigences des donneurs d'ordre d'adopter des démarches de RSE. Ce sont moins les consommateurs que les donneurs d'ordre qui demandent le label RSE, comme Airbus à Toulouse.

Mme Alicia Izard. - L'information et la pédagogie sont un réel frein et manquent aux entreprises, PME et ETI comme aux grandes entreprises. La loi PACTE a mis au grand jour les notions de « société à mission » et de « raison d'être » dont il est beaucoup question. Peu d'entreprises ont pris conscience que la modification de l'article 1833 oblige toute entreprise, quelle que soit sa taille, à prendre la mesure des enjeux environnementaux et sociaux. Il existe donc un réel enjeu d'information et de sensibilisation des entreprises, au-delà des enjeux concurrentiels. La démarche est plus évidente dans certains secteurs que dans d'autres. Celles qui veulent obtenir un label et intégrer un réseau le feront. C'est dans cette information que la puissance publique a un rôle à jouer. Les réseaux n'ont pas la force de frappe pour toucher toutes les entreprises, au-delà des sollicitations ou des entreprises qui peuvent être identifiées.

Mme Élisabeth Lamure. - Quelle voie préconiseriez-vous pour le faire au plan législatif ? Cela ne doit pas être perçu comme pénalisant et rigide pour les entreprises, alors que l'on cherche à leur simplifier la vie.

Mme Alicia Izard. - Certains dispositifs portés par l'État encouragent les entreprises à appréhender le sujet, s'informer et se former. Des actions peuvent être conduites dans les territoires, pour les amener à se saisir du sujet et confier la coordination à des acteurs de terrain pour réaliser ce travail d'accompagnement.

Mme Élisabeth Lamure. - Vous parlez de besoin d'information, à cause d'une certaine méconnaissance et d'une absence de priorisation du sujet. Une intervention au plan législatif serait contraignante.

Mme Claire Tutenuit. - Un message intéressant serait celui de la transition écologique en cours qui doit toucher tout le monde et apporter un changement de mode de vie. Quatre millions d'entreprises touchent une partie significative de la population. La conversion des entreprises est aussi difficile que celle de la population en général. Les autorités publiques doivent donc mener une pédagogie d'ensemble. Un aspect qu'il serait intéressant de travailler est celui de l'image du monde de l'entreprise par l'entrée dans une démarche de RSE. Le monde économique n'a pas une bonne image en France, contrairement à l'Allemagne par exemple. De nombreuses entreprises, labellisées ou non, engagent des démarches intéressantes et ont le sentiment d'être utiles à la société. Entre « tout le monde doit évoluer en même temps et la RSE est l'affaire de tous » et « les entreprises le font aussi », la puissance publique pourrait contribuer à améliorer l'image des entreprises.

Mme Pascale Gruny, sénateur. - Vue par les entreprises, la RSE semble se limiter au développement durable et donc à l'environnement. Les entreprises PME et TPE dont les intervenants ont parlé s'inscrivent souvent dans la démarche, car elles sont dans l'obligation de répondre à des marchés. Aujourd'hui, les entreprises n'ont que des obligations à remplir : égalité hommes/femmes, diversité, inclusion, handicap... Elles ont des référentiels à tous les niveaux. Où est l'humain dans la RSE ? Les entreprises de petite taille peuvent gérer deux à trois projets au maximum. Elles doivent également gérer le passage au numérique. Il est important de rappeler que la RSE a également un volet humain et qu'il faut parler de qualité de vie au travail et de bien-être, car les gens se sentent mal au travail et cela entraîne une perte dans la productivité et l'économie. Un retard important a été pris en France, contrairement à d'autres pays européens comme le Danemark. Il est nécessaire d'employer des termes plus simples dans lesquels les Français se retrouvent. La transition écologique se fera, car il s'agit d'une obligation, mais il est nécessaire de remettre l'humain au centre des travaux.

M. Martial Bourquin, sénateur. - Les questions financières sont un frein. Vous avez parlé d'information et de formation, mais il est également question de manque de temps, qu'il ne faut pas sous-estimer. Les quelques PME de mon territoire sont toujours au travail, même le dimanche. En cas de panne, c'est le patron qui intervient. S'engager dans une démarche RSE constitue une grande aventure financière. Ils sont souvent des sous-traitants de rangs éloignés. Pour eux, chaque euro compte et il leur faut assurer les payes en fin de mois. Comment peuvent-ils se permettre, en temps et en financement, d'adopter cette démarche ? Les politiques publiques ne doivent-elles pas intégrer cette difficulté et leur donner la possibilité de le faire ?

Vous avez d'une manière générale peu abordé la question des difficultés de recrutement des PME, qui est la plus grande entrave à leur développement. Avec une démarche RSE, existe-t-il une possibilité de sensibiliser une entreprise à prendre des apprentis, afin qu'elle forme elle-même son personnel en situation de travail ? Comment financer les futurs investissements nécessaires pour répondre aux exigences des donneurs d'ordre (nouvelles machines de production...) ? Les entreprises doivent investir fréquemment pour pouvoir rester dans la course. Comment abordez-vous avec elles la question de l'investissement et de l'empreinte carbone, car l'économie circulaire a pris beaucoup de place aujourd'hui ?

M. Emmanuel de La Ville. - Je suis moi-même responsable de PME et j'ai beaucoup d'empathie pour les responsables d'entreprise. J'ai rencontré beaucoup de PME et de TPI en France et ailleurs. La RSE est vue comme un concept « parisien et bobo » : je sens un certain scepticisme vis-à-vis de ces acronymes et de ces concepts, alors que les entreprises ne nous ont pas attendus pour faire des efforts envers leurs équipes et éviter de polluer l'environnement.

Ceci étant, je citerai une grande entreprise SSII de 1 000 salariés qui souffrait d'un turnover très élevé et qui s'est servie de la RSE pour fédérer ses équipes, les impliquer depuis la base et travailler avec elles pour définir la RSE. La RSE est un moyen d'attirer les talents, à qui il faut donner du sens, car leurs attentes sont fortes. Il faut le faire vivre et ne pas rester dans l'incantatoire. Les jeunes recrues ne supportent plus le manque d'harmonie et les incohérences entre le dire et le faire.

Les patrons me demandent ce que leur amène la RSE. Pour leur répondre, je leur présente un graphe de données que j'ai collectées depuis 17 ans. Ethifinance organise un concours chaque année depuis 2003, avec en moyenne 230 participants notés uniquement sur des enjeux de RSE et en identifiant les 70 meilleurs. Ces données, qui constituent l'indice Gaïa, sont auditées par un grand cabinet. Ce dernier démontre que la performance financière de ces 70 PME et ETI françaises est supérieure à celles de leurs pairs. La commande publique doit intervenir et doit faire de la RSE un vrai critère, avec un label à la clef. Une fois lancée, la démarche sera vertueuse.

M. Martial Bourquin. - Entendez-vous par là que le label RSE devrait être une des clauses d'achat dans la commande publique ?

M. Emmanuel de La Ville. - Oui. Toutes les sociétés de gestion financière dans le monde veulent être signataires des PRI (principes pour l'investissement responsable), car elles savent que sans eux, elles n'auront pas le mandat des grands argentiers de la planète pour gérer l'argent. Si la commande publique imposait une exigence de label, cela inciterait fortement les entreprises à engager des démarches RSE. Les entreprises les mieux-disantes en matière de RSE savent aussi être financièrement performantes.

Mme Élisabeth Lamure. - Vous parlez en tant qu'agence de notation financière et extrafinancière...

Mme Alicia Izard. - Concernant les freins financiers, votre question est de savoir comment amener les PME à aller vers ces sujets. Un certain nombre d'acteurs dans le secteur de l'économie sociale et solidaire accompagnent les entreprises. Elles sont de statut associatif et sont obligées de développer des modèles hybrides de financement. Les évolutions de crédits formation, qui étaient exprimés en heures et le sont dorénavant en euros, sont également un frein pour les entreprises. Ils sont également en baisse pour les salariés au profit des personnes en recherche d'emploi. Une piste pourrait consister à accorder des crédits de formation aux entreprises, notamment les plus éloignées de ces sujets, pour qu'elles se mettent à jour en matière de la RSE. Même si les acteurs comme les Entreprises pour la Cité développent des grilles adaptées aux PME et TPE, il n'y a parfois pas de comptabilité entre l'offre proposée qui nécessite un financement et l'absence de moyens des entreprises. Au-delà de crédits sur la formation, d'autres pistes peuvent exister pour l'accompagnement et le conseil...

M. Augustin Boulot. - Je souscris totalement aux propos qui ont été exprimés au sujet de la commande publique. Il faut toutefois être attentif à ne pas nécessairement la conditionner à l'obtention d'un label. Notre démarche n'est pas de pousser toutes les entreprises à obtenir un label, car nos deux labels (Lucie et B-Corp) sont compliqués à obtenir. En revanche, il est pertinent de conditionner une partie de la commande publique à s'engager dans une démarche de progrès et d'évaluation d'impact social, sociétal et environnemental et de démontrer que l'entreprise est en constante progression. Il semble pertinent de conditionner la commande publique à une forme d'engagement à appliquer une démarche d'évaluation d'impact et à suivre les prestataires choisis dans la commande publique sur leur démarche de progression.

Mme Élisabeth Lamure. - Il faudrait donc que les entreprises s'engagent dans une démarche de labellisation sans nécessairement parvenir au label. Comment le mesurer et le justifier auprès des donneurs d'ordres ?

Mme Nathalie Boyer. - Certains labels sont progressifs : le seul engagement me paraît insuffisant et il est nécessaire de lancer des actions et d'être a minima au niveau 1 du label.

M. Augustin Boulot. - B-Lab Suisse a développé le programme Best for Geneva avec le canton de Genève. Ils ont sélectionné 350 à 400 entreprises, développé une version condensée de l'outil d'auto-évaluation (passant de 250 à 60 questions) : le seul engagement qui leur était demandé a été de remplir les 60 questions et de montrer qu'elles progressaient au cours des 18 mois sur ces 60 questions. Mécaniquement, les entreprises sont allées plus loin, car quand on met le doigt dans la contribution sociale, sociétale et environnementale positive, il est difficile de s'arrêter. La deuxième étape du programme concernait les marchés publics.

M. Martial Bourquin. - Des clauses sociales peuvent être appliquées aux marchés. Pourrait-il y avoir une modification des directives européennes pour inciter les PME à adopter un label reconnu par les marchés publics et qui leur donnerait un avantage ?

Mme Nathalie Boyer. - Il est préférable de parler de plusieurs labels reconnus, sectoriels, en fonction des besoins de l'entreprise.

Mme Fella Imalhayene. - L'idée serait de construire ensemble, avec plusieurs acteurs publics et privés, le cahier des charges de ce que serait le label RSE robuste et de son contenu, qui permettrait à l'État de décider quels labels conviendraient et de le proposer ensuite au niveau européen. La communauté d'agglomération de Nantes s'est fait retoquer par le Conseil d'État, car elle intégrait dans ses appels d'offres le label « Planète RSE », qui est robuste et basé sur l'ISO 26 000, mais non évalué par des organismes tiers indépendants (OTI). Cette démarche d'élaboration commune d'un cahier des charges serait la première étape que pourrait engager l'État.

Avec nos 17 Objectifs de Développement Durable, on nous a dit que nous allions perdre toutes les entreprises car ils étaient trop complexes. Au final, les dirigeants de PME ont utilisé ces objectifs au sein de leur entreprise pour définir leur stratégie et leur raison d'être. Les entreprises n'ont pas le sentiment de faire de la RSE, mais de travailler sur leur stratégie à long terme et de s'interroger sur la manière de faire face aux transitions. Lorsqu'ils le font, les dirigeants d'entreprise se rendent compte que ces sujets tiennent à coeur de leurs salariés. Une dirigeante d'entreprise près de Lyon met aujourd'hui sur ses annonces de recrutement qu'elle contribue aux ODD et explique sa démarche. Elle réalise que cela différencie son entreprise des autres pour les candidats au recrutement.

Les objectifs de développement durable apparaissent au final comme quelque chose de très moteur. Il manque encore des outils sur l'évaluation pure, mais ils peuvent être construits ensemble. Le rôle de l'État pourrait consister à faire connaître ces objectifs auprès des entreprises et des citoyens et de reconstruire du liant, notamment dans la relation entre les grandes entreprises et le public, les citoyens étant moins défiants envers les PME. Cela permettrait de faire de la promotion à plusieurs niveaux en envoyant des messages à tous les acteurs du corps social. Nous appelons de nos voeux une campagne de ce type, qui permettrait aux entreprises de comprendre pourquoi elles sont interpellées sur des sujets de transition et en quoi elles gagneraient en s'y engageant.

Mme Élisabeth Lamure. - Pouvons-nous dire qu'une entreprise qui pratique « vraiment » la RSE bénéficie d'un avantage concurrentiel et d'un avantage d'attractivité pour les collaborateurs ?

Mme Fella Imalhayene. - Oui. Je citerai l'excellente notation financière d'une PME de 46 salariés référencée à la Banque de France, ce qui lui permet de financer ses investissements. Cette notation porte sur un ensemble d'axes et pas uniquement sur les collaborateurs (innovation, capacité à produire les services de demain, à s'ancrer dans le territoire, à être un acteur reconnu). Les apports sont nombreux pour les entreprises.

Mme Nathalie Boyer. - Nous avançons quatre arguments auprès des dirigeants de PME : l'éthique et le souci de transparence, la stratégie (perspective de nouveaux clients et de nouveaux marchés), la création d'une culture d'entreprise, l'économie (gain de compétitivité à moyen terme, qualité des produits, maîtrise des ressources, fidélisation des clients, image de marque de l'entreprise à l'extérieur), et enfin le social (mieux appréhender les attentes des salariés et des parties prenantes, renforcer le sentiment d'appartenance).

Mme Alicia Izard. - J'ajouterai également l'enjeu de communiquer sur les bénéfices pour l'entreprise, la société civile, les clients ou les collaborateurs. Dans la même lignée qu'Orée, nous avons théorisé quatre grands enjeux RSE : image et valorisation, ressources humaines (cohésion interne, fierté d'appartenance, fidélisation, recrutement des talents...), ancrage territorial, innovation et expérimentation. Il s'agit de s'inscrire dans une RSE transformative, permettant à l'entreprise de grandir et d'être plus vertueuse dans ses actes. Les entreprises ne sont pas uniquement confrontées à un enjeu de performance, mais également à un enjeu de bien faire. Il est important de concilier les notions de performance et d'engagement et faire comprendre aux entreprises que ce n'est pas l'un ou l'autre, mais l'un et l'autre. La communication sur les bénéfices fonctionne auprès des managers intermédiaires, pris en étau entre les grands engagements de l'entreprise et la réalité du terrain, et pour les TPE qui n'ont pas forcément les moyens de tout faire correctement.

Mme Claire Tutenuit. - On peut imaginer deux manières d'accéder aux marchés publics : la labellisation (ce qui revient à exclure les entreprises qui n'en ont pas) et la valorisation. Les acheteurs de l'État sont aussi questionnés que les acheteurs des entreprises privées sur le fait que les cahiers des charges sont remplis de clauses RSE, mais qu'au final, ce sont les moins-disant qui sont retenus, bien que le code des marchés publics parle de mieux-disant. Une idée serait d'accepter une certaine différence de prix pour une entreprise disposant d'un label donné. Il est beaucoup question de valoriser les services immatériels rendus : il semblerait pertinent d'ouvrir la réflexion sur une valorisation par une différenciation sur un prix « bonus » à des entreprises disposant de labels. La mise en place d'un barème ne ferait pas reposer la décision sur les responsables de marché.

Mme Élisabeth Lamure. - Déjà dans les appels d'offres publics, on peut classer les critères et placer le critère de prix en dernier : c'est le principe du mieux-disant. Les collectivités réussissent à faire la différenciation des candidats sur des éléments techniques autres que le prix. Cette démarche est complexe, mais existe.

Mme Claire Tutenuit. - Il s'agit d'une bonne pratique sur laquelle construire une démarche plus générale.

M. Emmanuel de La Ville. - En France, la récompense des banques est un nouveau phénomène. Le « crédit impact » récompense celui qui réalise une bonne RSE. Dans un environnement de taux aussi bas, les banques accordent une réduction de taux de quelques points de base supplémentaires aux entreprises qui souhaitent s'améliorer en matière de RSE, alors que les banques ont déjà des comptes d'exploitation compliqués.

Mme Nathalie Boyer. - Cette position pourrait également être adoptée sur les boni, sur les cotisations d'assurance, sur les impôts des sociétés, sur certaines cotisations sociales...

M. Emmanuel de La Ville. - L'assureur Malakoff-Humanis s'engage dans cette démarche.

Mme Saliha Mariet. - La MAIF travaille également sur des parcours d'engagement RSE de ses clients. Nous sommes présents sur le marché depuis 2007, et nous constatons au cours des deux dernières années une réelle appétence des entreprises et notamment les PME et TPE sur le sujet de la RSE et de la labellisation, avec une nette augmentation des appels entrants. Aujourd'hui, le terrain est favorable pour engager la démarche. La RSE restera un concept théorique si on ne fait qu'en parler de manière générale. Dès lors que nous en parlons de manière pratique et opérationnelle, les entreprises se l'approprient très bien. L'aborder via une démarche de labellisation présente un avantage dès que la RSE est abordée sur le plan opérationnel (conditions de travail, qualité de vie au travail, santé-sécurité, l'intégration de la RSE dans la gouvernance...). Nous accompagnons actuellement un réseau d'associations de PME et TPE qui se sont bien approprié la démarche. Ces structures sont souvent prises par le quotidien et la RSE leur permet de prendre du recul sur leurs pratiques et leur activité. La notion de gouvernance est également importante : elle leur permet de réfléchir à leur stratégie, en se projetant plus loin que le quotidien.

Mme Élisabeth Lamure. - Ces pratiques favorisent-elles le dialogue social dans les entreprises ?

Mme Saliha Mariet. - La pratique de la RSE doit impliquer toutes les parties prenantes et en premier lieu les salariés, qui sont un important vecteur pour mettre la démarche en place.

Mme Fella Imalhayene. - Les PME et TPE avec lesquelles nous échangeons sur le sujet estiment qu'une reconnaissance de leur label RSE consisterait à leur simplifier par ailleurs d'autres démarches administratives, au regard par exemple de leurs obligations sociales.

M. Augustin Boulot. - Il existe une déclinaison de questions sur l'outil d'évaluation d'impact qui touche aux pratiques salariales. De nombreuses entreprises, qui souhaitent être plus performantes sur cet aspect, cherchent à intégrer certaines pratiques très concrètes dans leurs discussions sur leurs accords d'entreprise. Je rejoins les propos précédents sur la force des labels RSE qui rendent très opérationnelles des choses qui pouvaient sembler théoriques. B-Corp ne parle pas de RSE, mais de contribution sociale, sociétale et environnementale positive à travers les activités des entreprises. Depuis le début de l'année 2020, 10 nouvelles entreprises par jour s'inscrivent sur notre outil gratuit, maniable et disponible, qui montre les éléments de progression, les éléments sur lesquels elles sont en avance... Les entreprises réalisent qu'elles ont déjà engagé des démarches intéressantes, ce qui est très valorisant pour elles. L'outil que nous proposons leur permet de se comparer à des entreprises de taille similaire.

Mme Élisabeth Lamure. - Irons-nous jusqu'à intégrer ces éléments de valorisation dans le bilan des entreprises ?

Mme Nathalie Boyer. - Orée a dédié un groupe de travail à l'intégration des performances extrafinancières dans les bilans des entreprises.

M. Augustin Boulot. - Nous n'y sommes pas encore, mais nous travaillons sur ces sujets. Nous demandons aux entreprises qui vont jusqu'à la certification de modifier leur objet social dans leurs statuts en indiquant qu'elles ont une contribution sociale, sociétale et environnementale positive à travers leurs activités.

M. Emmanuel de La Ville. - Je suis convaincu que dans 10 ans en Europe, nous aurons une lecture « entrelacée », probablement en passant par une étape douloureuse, comme ceci a été le cas pour l'intégration de la notion d'EBITDA. Le rapport de M. de CAMBOURG va dans le bon sens. La France est leader sur la question et le Sénat y est sensible, mais la France ne doit pas se faire doubler. Dans nos métiers, les acteurs européens se font rares. Il est nécessaire de continuer à pousser fort pour rester à la proue du bateau et avoir un standard européen avec une lecture extrafinancière plus limpide pour les investisseurs et les consommateurs.

Mme Élisabeth Lamure. - Comment faire émerger un leader européen solide et dominant pour les agences de notations extrafinancières ?

M. Emmanuel de La Ville. - Vous en avez une devant vous ! Ethifinance est en forte croissance et son actionnariat français est diversifié. Nous annoncerons d'ici quelques mois une levée de fonds. Il est important de faire connaître notre existence : nous n'avons pas encore la « puissance de feu » de nos confrères américains, mais nous avons une forte ambition et avons besoin du soutien de toutes les instances de la place. Nous bénéficions de la bénévolence de la Banque de France et du Trésor.

Avez-vous auditionné des acteurs non français ?

Mme Élisabeth Lamure. - Nous irons à Bruxelles dans quelques jours pour glaner ce type d'information. Nous avons l'impression que la France est un peu en avance sur le sujet, mais que la méconnaissance du celui-ci est importante dans le monde de l'entreprise, même si on sent monter une appétence chez de nombreux chefs d'entreprise de toute taille. C'est le cas notamment dans la jeune génération de dirigeants, qui ont envie de donner du sens à leur travail et leur engagement professionnel.

Je vous remercie de votre participation.

La séance est levée à 18 heures 40.

- Présidence de Mme Élisabeth Lamure, présidente de la Délégation aux entreprises -

La réunion est ouverte à 12 heures 40.

Présentation du bilan d'étape de la mission d'information sur : « Comment faire face aux difficultés de recrutement des entreprises dans le contexte de forte évolution des métiers ? », par MM. Canevet et Kennel, co-rapporteurs

Mme Élisabeth Lamure, sénateur, présidente de la Délégation aux entreprises. - Mes chers collègues, nous avons un ordre du jour assez conséquent avec un pré rapport concernant les dossiers en cours. Le premier sur les difficultés de recrutement est présenté par Michel Canévet, qui s'exprimera pour les deux corapporteurs sur ce sujet, lui-même et Guy-Dominique Kennel.

M. Michel Canévet, sénateur - Madame la Présidente, chers collègues, depuis le début de nos travaux le 26 septembre dernier, nous avons entendu 55 personnes lors de nos auditions, 14 experts au cours de deux tables rondes organisées par la Délégation et nous avons effectué un déplacement dédié à notre mission dans les Hauts-de-France le 30 janvier dernier. Nos travaux se poursuivront avec la Journée des entreprises du 2 avril et au-delà, mais nous pouvons d'ores et déjà partager avec vous un premier bilan.

Le premier constat concerne ce que nous qualifions de « paradoxe français ».

Comme nous l'avions dit le 16 janvier dernier lors de l'une de nos tables rondes, nous devons nous réjouir de la bonne nouvelle que constitue la reprise de l'activité en général et la hausse conséquente des prévisions de recrutement, soit plus de 350 000 projets de recrutement en 2019 et, si l'économie n'est pas trop affectée par les virus, une nouvelle hausse supplémentaire prévisionnelle de 125 000 embauches en 2020, dont les deux tiers sont directement liés à un développement de l'activité selon la DARES. Mais la mauvaise nouvelle est celle d'une hausse des recrutements jugés difficiles par les entreprises : selon Pôle emploi, ils sont passés de 37,5 % en 2017 à 50,1 % en 2019.

Et ce taux recouvre des réalités très différentes selon les métiers, dont certains connaissent un taux supérieur à 84 %. Ces statistiques reflètent bien le constat que nous dressons à chaque déplacement de la Délégation sur le terrain : le problème numéro un des chefs d'entreprise est devenu la difficulté à recruter, c'est-à-dire l'allongement de la durée de recherche d'un candidat, voire l'abandon du projet d'embauche. Et les conséquences de ces difficultés sont importantes, car elles se dressent comme autant d'obstacles au développement de nos entreprises.

En effet, selon le Medef, entre 300 000 et 400 000 recrutements sont tout simplement abandonnés, soit la totalité des prévisions d'embauches supplémentaires ! Le dernier rapport de la Banque européenne d'investissement a montré que 77 % des entreprises considèrent que « la disponibilité limitée de personnels possédant les compétences appropriées constitue une entrave à l'investissement ». Ce rapport ajoute qu'« investir dans les compétences est primordial pour des raisons structurelles, notamment face aux évolutions démographiques et technologiques. Les pénuries et les inadéquations persistantes en matière de compétences peuvent nuire à la productivité et à l'adoption des technologies dans les entreprises. »

La situation est donc grave et elle va empirer si nous n'agissons pas puisque les emplois vont évoluer très fortement dans les 10 années à venir sous l'influence des nouvelles technologies et de l'évolution de nos besoins, par exemple ceux liés au vieillissement de la population. Notre devoir est donc d'identifier les causes de ce paradoxe français où l'on voudrait embaucher sans y parvenir, alors que l'on doit assumer un taux de chômage qui s'élève, selon Eurostat, à 8,4 % de la population active - et à 8,1% selon l'INSEE, contre 3,1 % en Allemagne, 5,2 % pour la zone OCDE et 6,3 % pour l'Union européenne. Ce paradoxe de la France qui connaît le 4e taux de chômage le plus fort en Europe, a d'ailleurs été souligné par les responsables de la DG Emploi auditionnés ; ils ont, en outre, rappelé que le problème de l'inadéquation entre l'offre et la demande de compétences existait également chez nos voisins. La part des personnes pas ou peu qualifiées est d'ailleurs un handicap spécifique à l'Europe, si l'on compare sa situation avec celle des États-Unis ou du Japon.

La question qui nous préoccupe aujourd'hui est donc la suivante : que doit faire la France pour s'attaquer aux difficultés de recrutement dans un contexte de forte évolution des métiers ?

Avant même d'aborder la question des compétences, centrale, nous nous sommes demandés si les employeurs disposaient des bons outils pour trouver leurs candidats. Aussi nous sommes-nous tournés vers Pôle emploi, dont les critiques tant de la part des chefs d'entreprise que de la Cour des Comptes en 2015 laissaient présager une faiblesse du système français. Or, nous avons découvert une institution en mouvement, en train de se réformer profondément, même si les effets ne sont pas encore toujours perçus ou réels sur le terrain. De nombreux employeurs demeurent sur des relations passées avec l'ANPE ou Pôle emploi, ces derniers n'ayant pas répondu à leurs attentes.

Des efforts considérables ont été mis en oeuvre avec la convention tripartite 2015-2018, dont l'une des priorités était d'améliorer le fonctionnement du marché du travail en répondant aux besoins des entreprises. 4 500 « conseillers entreprises » sont déjà assignés à cet objectif, tandis que plusieurs dispositifs innovants et pragmatiques permettent de faciliter l'insertion professionnelle des demandeurs d'emploi, telles que la période de mise en situation en milieu professionnel ou l'action de formation préalable au recrutement. Évidemment il reste encore beaucoup à faire pour que la dynamique produise des effets dans chaque centre de Pôle emploi et que les nouveaux outils en ligne (tels que ceux de géolocalisation) soient pleinement efficaces.

En outre, il existe d'autres canaux alternatifs souvent cités, voire plébiscités. Toutefois, ils ne permettent pas de gérer la même masse de demandes : ainsi Le Bon Coin permet de pourvoir 800 000 postes par an, ce qui doit être encouragé, mais reste très inférieur aux 3,3 millions d'offres d'emplois collectées par Pôle emploi et aux 2,9 millions d'offres pourvues (sans compter le « stock » de 3,3 millions de chômeurs inscrits).

Les régions ont également pris des initiatives complémentaires, telles que Proch'Emploi dans les Hauts-de-France, qui propose des services directement aux employeurs. Le succès de ce programme a permis de mettre en évidence l'intérêt d'une parfaite coordination entre la région et Pôle emploi, mais également avec les autres acteurs de l'emploi, car il en existe une multitude. Au sein de ce mille-feuille figurent ainsi les missions locales. Ces dernières ont de nombreux financeurs, chacun ayant sa propre logique d'intervention, ce qui ne permet pas d'agir de façon optimale. Tous ces constats sous-tendent notre première proposition qui consisterait à désigner une bonne fois pour toutes un responsable décisionnel des acteurs de l'emploi qui serait le président de la région, d'ailleurs désormais en charge de l'orientation.

Il faut mettre fin à la codécision et aux faux-semblants de régionalisation où les préfets gardent le pouvoir de décision, tandis que les régions sont sommées de financer. L'approche doit être résolument territoriale et prendre en compte les besoins et capacités de chaque bassin d'emploi, car les causes et les réponses aux difficultés de recrutement varient en fonction de l'identité et des caractéristiques des territoires. Les enjeux dans les Hauts-de-France, où les formations au numérique sont devenues un cheval de bataille pour les collectivités et les entreprises, et où une application proposera prochainement un accompagnement individuel prenant en compte les aides au transport ou à la garde d'enfants, sont ainsi intimement liés à la reconversion d'une région marquée par la désindustrialisation et un fort taux de chômage et d'illettrisme.

L'objectif d'emploi doit impérativement s'accompagner d'un impératif d'aménagement du territoire visant à soutenir les zones les plus fragiles. D'ailleurs sans rôle de péréquation de la région, on peut s'inquiéter de la fermeture de certains centres de formation d'apprentis (CFA) dans des zones où leur maintien est pourtant essentiel, si la seule logique financière du coût-contrat est prise en compte. Les branches professionnelles, désormais pilotes du marché de l'apprentissage, devront être vigilantes sur cette exigence de solidarité territoriale.

Pour répondre à la question soulevée par notre mission, nous nous sommes ensuite interrogés sur les incitations à travailler, en écho aux préoccupations des chefs d'entreprise, et par ailleurs des contribuables. Je vous rappelle que nous avons entendu plusieurs fois des employeurs nous indiquer ne plus pouvoir embaucher en CDI, certaines personnes préférant être intérimaires pendant 6 mois avec un salaire plus confortable pour ensuite bénéficier de l'assurance chômage, et parfois d'autres aides, le reste de l'année dans des conditions très intéressantes.

Or la réforme de l'assurance chômage qui est en train d'être mise en oeuvre a voulu s'attaquer précisément aux effets d'aubaine décrits par les employeurs et vont désormais offrir des conditions d'indemnisation moins intéressantes pour les actifs essayant d'optimiser une activité intermittente : à compter du 1er avril 2020, les modalités de cumul de l'aide au retour à l'emploi (ARE) avec les revenus issus d'une activité reprise vont devenir dissuasives pour ceux qui optimisent en alternant des contrats courts et des périodes d'inactivité. La question semble donc réglée du côté de l'Unedic mais nous décelons cependant une lacune dans l'approche des pouvoirs publics qui semblent avoir omis de prendre en compte les différentes aides, notamment locales, proposées aux chômeurs. Peut-être faudra-t-il aller encore plus loin pour s'assurer qu'il n'est pas plus avantageux d'être en situation de demande d'emploi qu'en situation d'emploi, y compris par des dispositifs de lissage d'aides publiques.

Enfin, le sujet majeur au centre de notre mission est celui de l'adéquation entre les compétences recherchées et les compétences des demandeurs d'emploi et plus généralement des actifs. Plusieurs phénomènes peuvent contribuer à cette inadéquation : des formations initiales de plus en plus déconnectées des compétences recherchées, des populations fragiles qui s'éloignent de plus en plus des formations et donc des compétences, un savoir-être insuffisant, des métiers dont l'évolution s'accélère avec les nouvelles technologies et notamment l'intelligence artificielle, etc. Je rappelle d'ailleurs que selon la DARES, pour 60 % des cas, la cause des difficultés de recrutement est l'inadéquation du profil du candidat.

Pour aborder la question des compétences, nous pouvons opter pour une approche chronologique qui débute avec la formation initiale. Le constat, malheureusement ancien, est celui d'une déconnexion de l'Éducation nationale avec le monde de l'entreprise et de formations à la fois pas assez réactives à l'évolution des besoins en compétences et insuffisamment incitatives pour les métiers traditionnels. Même si nous avons constaté que le ministère de l'Éducation nationale est désormais conscient des enjeux, nous pensons qu'il est urgent d'accélérer les réformes qui en sont à leurs balbutiements.

Nous reprenons à notre compte la proposition de Guy-Dominique Kennel dans son rapport de 2016 sur l'orientation scolaire, et souhaitons proposer une immersion en entreprise obligatoire pour tous les prescripteurs d'orientation de l'Éducation nationale, à savoir les chefs d'établissements, les professeurs principaux, les futurs enseignants, les enseignants des filières professionnelles, et les « psychologues de l'Éducation nationale » avant appelés « conseillers d'orientation ». L'incitation à se former en entreprise serait alors la règle pour tous les autres personnels, comme ce fut le cas pour les 4 374 stagiaires volontaires en 2019.

Il faudra également favoriser la reconversion d'enseignants de filières en crise vers d'autres plus recherchées, accélérer le processus de certification et favoriser ce que l'on nomme la « contextualisation », qui permet de partir d'un diplôme national pour ajouter, en partenariat avec des branches, des formations spécifiques à un secteur ou à un métier (comme l'aéronautique pour les formations en chaudronnerie).

Enfin il est urgent, comme nous l'avons dit depuis toujours à la Délégation, de valoriser les filières vers les métiers traditionnels et notamment l'apprentissage dont le récent regain d'intérêt est principalement lié au nombre croissant d'apprentis issus de l'enseignement supérieur.

Pour ce qui concerne la formation professionnelle continue et celle des demandeurs d'emploi, force est de constater le big bang opéré par la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Ce texte, dont les différentes mesures sont en train de se mettre en place, réforme en profondeur le système de formation et l'apprentissage. Notre propos n'est pas ici de présenter en détail son contenu, que vous retrouverez sur la fiche que nous vous distribuerons, mais nous souhaitons souligner la logique de cette réforme centrée sur la valorisation des compétences.

Un nouvel opérateur, France compétences, est né en janvier 2019 pour simplifier la gouvernance et collecter les fonds recouvrés par les Urssaf au titre du financement de la formation et de l'alternance. Quant aux 11 opérateurs de compétences (OPCO), regroupant des branches selon une logique de secteurs (par exemple dans les métiers de la santé ou de la construction), ils assureront le financement des contrats d'apprentissage sur le principe du coût-contrat défini par les branches. Ils auront également en charge un service de proximité et une aide au financement du plan de développement des compétences des TPE-PME. Il nous paraît essentiel que les OPCO rendent compte de leur action en faveur d'une gestion prévisionnelle des emplois et compétences (GPEC) en mettant en évidence la dimension territoriale et la prise en compte du cas des entreprises de taille modeste, qui aujourd'hui n'ont pas les moyens d'identifier l'impact de l'évolution des métiers, pourtant indispensable à leur survie à terme. De nombreuses initiatives ont d'ailleurs été menées dans les territoires pour les aider à anticiper les problématiques d'adéquation des compétences aux besoins de demain, par exemple dans les Hauts-de-France, avec un travail d'étude d'impact de l'intelligence artificielle mené par la région, le Medef et la DGEFP.

La logique territoriale est d'ailleurs celle du Plan d'Investissement dans les Compétences (PIC), qui se décline en plans régionaux avec un budget total de 15 milliards d'euros sur 5 ans. Il vise les publics les plus éloignés de l'emploi. Notons qu'en France 70 % des demandeurs d'emploi ont un niveau de qualification infra IV, c'est-à-dire inférieur au baccalauréat et que 40 % des bénéficiaires du RSA seulement sont inscrits comme demandeurs d'emploi.

Il nous apparaît essentiel aujourd'hui de développer les offres de formation courtes, ciblées et adaptées aux besoins réels des entreprises, en encourageant des formats novateurs comme celui de l'école Cuisine mode d'emploi(s) de Thierry Marx. Cette dernière forme en 11 semaines, dont 3 en entreprise, avec un taux d'insertion professionnelle de 91 %. Il faudra pour cela probablement trouver un moyen d'assouplir le code de la commande publique. La même exigence de formations courtes et réactives devra s'imposer aux ministères certificateurs, notamment celui de l'Éducation nationale, dont les délais de certification sont encore beaucoup trop longs et découragent de nombreuses initiatives pourtant bienvenues pour proposer des formations adaptées, comme celle de l'école des métiers de l'Internet dont nous avions entendu le directeur.

Au-delà de cette question de forme et de diligence, nous devons nous interroger sur la juste définition des besoins en formation sur le fond : comment définir au mieux les besoins par bassin d'emploi ? Comment orienter au mieux les jeunes vers les filières et les actifs et chômeurs vers des formations de nature à garantir leur employabilité ?

La réponse passe par la data, dont la production est aujourd'hui dispersée entre de multiples acteurs tels que Pôle emploi, France Stratégie, la DARES, le Cereq, les observatoires des branches professionnelles, etc. La rationalisation de ces données est précisément l'objectif du projet de plateforme AGORA qui est en cours d'élaboration. Mais la question de la data ne pourra pas se limiter à la formation continue et devra inclure les taux d'insertion professionnelle et les salaires de départ à l'issue des différentes filières de l'Éducation nationale et de l'Enseignement supérieur, si l'on veut réellement être cohérent.

Enfin, et ce sera l'un des sujets au coeur de nos échanges de la Journée des Entreprises, se pose la question de l'engagement des entreprises et des branches professionnelles dans cette dynamique globale. Sont-elles prêtes à organiser les immersions professionnelles des personnels de l'Éducation nationale et à accueillir davantage d'apprentis ? Sont-elles prêtes à envoyer des représentants capables de formuler avec justesse et efficacité les besoins des entreprises dans les instances définissant les référentiels des diplômes professionnels ? Sont-elles prêtes à faire des efforts pour solliciter les OPCO afin de définir leurs besoins en compétences ? Sont-elles prêtes à accepter les dispositifs de mise en situation des candidats à un poste au lieu de rester sur les exigences d'un profil « sur-mesure » de candidat « idéal » pour occuper un poste à pouvoir ? Sont-elles prêtes à donner à Pôle emploi une chance de leur prouver l'efficacité de sa mutation en cours ?

Voilà mes chers collègues les premières pistes de réflexion que je vous livre, au nom de Guy-Dominique Kennel et moi-même, en espérant un débat fructueux et aussi dynamique que les prévisions de recrutement, qui seront peut-être influencées localement par les conséquences du Brexit ou de l'épidémie de coronavirus. Mais réfléchissons ensemble à ce que la Délégation pourra proposer.

Je vous remercie.

Mme Élisabeth Lamure- Merci beaucoup Michel de nous avoir exposé des travaux approfondis menés avec Guy Dominique Kennel étant donné que le sujet préoccupe les entreprises de tous les territoires et tous les secteurs d'activité. Vous pourrez vous saisir de ces éléments en disant que le Sénat conduit ce travail qui sera exposé lors de la Journée des Entreprises. Ce sera l'un des deux thèmes de la journée. Les chefs d'entreprise pourront apporter leur témoignage pour rendre ce travail vivant. Souhaitez-vous réagir ?

M. Michel Forissier, sénateur. - Ce rapport reconnaît la réalité du terrain et pose selon moi les bonnes questions. La dernière réforme a fait que la place des régions est insuffisante. Le rôle des OPCO et branches professionnelles est nécessaire. L'idéal consiste à confier la formation professionnelle à l'entreprise, et non à l'Éducation nationale. Le sujet majeur concerne ce qui se passe à l'intérieur de l'entreprise. Nous avons la chance d'avoir un ministre de l'Éducation nationale et de la recherche qui sont pragmatiques. Les corps enseignants font de la résistance alors que la classe politique est prête à ces évolutions.

La branche professionnelle n'a pas été assez encouragée. Trop de jeunes gens se présentent en entretien avec la casquette à l'envers... La tenue dans la société est aussi importante que la compétence dans le travail.

Cet excellent travail doit se poursuivre. J'ai connu dans l'exercice de mes fonctions trois ministres du travail différents : M Rebsamen, Mmes El Khomri et Pénicaud. Les actions de la Délégation des entreprises et de la commission des Affaires sociales ont permis de faire avancer notre point de vue. Nous devons poursuivre notre démarche et mettre les acteurs territoriaux en phase. J'ai constaté avec effarement que des entreprises de l'agglomération lyonnaise voulaient créer leur propre service de recrutement. Nous n'aboutirons à rien si nous multiplions les acteurs dans le domaine du recrutement.

Pôle Emploi est engagée dans une mutation intéressante. L'entreprise et le monde politique doivent jouer le jeu. Il y a des crédits de formation qui ne sont pas utilisés à Pôle Emploi étant donné qu'ils ne sont pas demandés. Cette situation est catastrophique. Il est important de souligner que Pôle Emploi fait l'objet d'une ouverture qu'il faut encourager. Il ne faut pas entretenir la guerre entre les régions et l'État. Il faut au contraire marcher en commun sur des sujets.

Mme Pascale Gruny, sénateur. - Je vous remercie pour ce rapport qui est très intéressant, surtout pour nous qui intervenons sur les sujets des entreprises, qui part d'un constat du terrain. En réunion du groupe Les Républicains, on nous a dit que l'on était en plein emploi en France pour les métiers de techniciens. Mon département de l'Aisne est le premier de France pour l'indicateur de l'illettrisme. Cette situation est liée à un problème de formation. Nous avons un taux de chômage largement supérieur à la moyenne française et à la plupart des départements. C'est le vrai sujet.

En ce qui concerne le plein emploi et la difficulté à trouver des personnes bien formées et correspondant aux métiers, j'ai constaté la même situation au Danemark. Ce pays est également concurrencé par les États-Unis, la Grande-Bretagne, etc.

En ce qui concerne la formation des demandeurs d'emploi, vous soutenez que 40 % des bénéficiaires du RSA sont inscrits à Pôle Emploi. Chaque mois, en ma qualité de présidente d'une unité territoriale d'action sociale, je signe 50 courriers vers l'agglomération saint-quentinoise pour suspendre ou radier des personnes qui n'ont pas suivi le plan prévu avec Pôle Emploi pour bénéficier du RSA. Cette situation les motive, mais certaines personnes sont inemployables. Il est important d'étudier cette réalité. Certaines personnes ne peuvent absolument pas être formées.

J'ai noté un sujet concernant l'apprentissage et les CFA. Michel, tu soutiens que les entreprises doivent former, ce que je peux entendre. Les entreprises paient beaucoup d'impôts et participent à beaucoup de choses. Les formations sont portées par les CFA et de grands groupes. Les petits CFA des territoires disposent de moins en moins de moyens. Nous avons constaté que nous avons besoin de métiers pour lesquels nul n'est formé. C'est encore une raison pour laquelle nous manquerons de productivité étant donné que des productions quitteront le territoire faute de compétences.

En ce qui concerne Proch'emploi, j'ai utilisé ce dispositif au niveau de l'entreprise où je travaille. Ce n'est pas si simple. J'ai besoin de mécaniciens, et il n'y en a pas. Nous manquons de commerciaux comme tout le monde. Proch'emploi crée une plate-forme d'accès, mais celle-ci est surtout utilisée par des chefs d'entreprise. Les personnes qui travaillent dans ces services me disent que la situation est très difficile. Former les gens suppose qu'ils aient envie de faire de la mécanique ou de travailler dans le commercial.

Enfin, j'ai été approchée par le directeur d'une entreprise importante de transport de marchandises sur les clauses de dédit-formation. Cette société forme de nombreux conducteurs routiers qui ne restent pas en poste. Il faudrait étudier comment améliorer la clause de dédit-formation. Les entreprises aimeraient avoir un retour sur investissement de la formation sans non plus attacher les gens.

Mme Catherine Fournier, sénatrice. - Je voudrais remercier Michel et les collaborateurs du Sénat pour la qualité du travail accompli. Nous constatons que seules les actions multiples pourront inverser cette courbe. Il y a un problème de savoir-être des chômeurs. Il y a aussi un problème de savoir-être des entreprises qui doivent évoluer en fonction des mentalités des plus jeunes. Il faudra l'intégrer sans quoi les entreprises ne trouveront pas les bons candidats. L'entreprise doit s'investir beaucoup plus dans la formation. C'est une très bonne école, l'entreprise, la meilleure formation que l'on puisse espérer. Il faudra aider l'entreprise et la protéger dans tout ce qu'elle envisage de faire pour fidéliser un employé ou un apprenti qu'elle a formé.

Le savoir-être est un travail de longue haleine. Le bassin d'emploi du Pas-de-Calais a connu les meilleurs résultats de ces dernières années, mais il enregistre tout de même 13,6 % de chômage. L'éducation doit être reprise. Je prononçais des phrases complètes et mes interlocuteurs ne me comprenaient pas, alors que je ne parlais pas à une population immigrée. Mes interlocuteurs s'exprimaient par onomatopée. C'est la réalité. Le fait de remettre les personnes dans un circuit suppose de reprendre les sujets à la base. Il faudra aussi donner les moyens à la base et aux enseignants d'assumer ce travail.

Mme Martine Berthet, sénatrice. - Ce sujet est fondamental pour les entreprises, en Savoie également. Certaines solutions sont en cours de mise en oeuvre sur les territoires. Avec la mission « industrie » du Sénat, nous avons noté que le secteur industriel mettait en place ses propres écoles de formation. J'ai assisté il y a une quinzaine de jours, et j'ai profité de cette occasion pour présenter le travail accompli par la Délégation aux entreprises, à la mise en place du consortium Forman qui correspond à la plate-forme Agora dont tu as parlé. Ce consortium, soutenu par la DIRECCTE, Pôle Emploi, etc., émane du constat d'un manque d'échanges d'informations entre les formateurs et les employeurs. Ce travail se met en place dans différents secteurs.

En ce qui concerne les bénéficiaires du RSA, d'autres formes de prise en charge sont mises en oeuvre. L'orientation emploi est gérée par Pôle Emploi. Nous perdons souvent ces personnes alors que nous oeuvrons pour que cela ne se produise pas. Une solution peut être trouvée avec l'Assemblée des départements de France, d'autant que cette piste devient une obligation lorsqu'une convention est conclue avec les départements. Un objectif de cette convention consiste à accélérer la remise à l'emploi des bénéficiaires.

Mme Élisabeth Lamure- Nous constatons de nombreuses initiatives dans les territoires.

Mme Anne-Catherine Loisier, sénatrice. - Je souhaite poser une question. Tout d'abord, je voudrais saluer le travail de nos collègues. J'ai échangé il y a quelques semaines à l'occasion du Salon Eurobois. La filière du bois connaît de nombreuses transformations par l'équipement et la digitalisation. Les entreprises évoquent un manque de réactivité dans le cadre de leurs échanges avec la Région. Avons-nous un observatoire des initiatives déployées au niveau local ? L'intérêt et la capacité à s'emparer des enjeux territoriaux sont-ils confirmés ? Y a-t-il de bonnes expériences à diffuser ?

Mme Élisabeth Lamure- Je ne sais si cette question a été abordée.

M. Sébastien Meurant, sénateur. - Je voudrais féliciter le rapporteur et l'équipe qui travaillent sur ce sujet primordial. Nous notons qu'il y a près de 2 millions de personnes au RSA en France. Le budget dédié au RSA a quasiment doublé dans mon département, ce qui pose la question du rapport à l'assistanat et au travail, et du revenu universel « tombé du ciel ». Il faut se poser la question du revenu de l'assistance et de l'intérêt à travailler.

Je veux m'adresser à tous ceux qui sortent du système scolaire sans aucun diplôme ni savoir-être, soit environ 10 % d'une classe d'âge. Cette question est essentielle. La question du recrutement est majeure pour les entreprises françaises. Dans les départements à la frontière de la Suisse, du Luxembourg ou d'autres pays, nous exportons nos compétences bien mieux payées d'ailleurs dans ces pays, ce qui est dramatique pour la France.

Je terminerai sur la vertu intégratrice du travail par rapport aux populations immigrées. Dans le Nord, depuis quatre ans, la Chambre des arts et métiers ne reçoit plus de CV de jeunes Français. Elle forme de jeunes migrants pour répondre aux besoins des entreprises. Il y a peut-être des mesures à prendre étant donné que nous ne pouvons continuer dans cette voie.

M. Olivier Cadic, sénateur. - Ce rapport est de grande qualité. Tout a été dit sur les recommandations qu'il faut mettre en oeuvre. Nous avons un consensus sur ce sujet. Michel, tu as cité le projet Agora pour les datas. Nous avons auditionné le secrétaire d'État en charge de la simplification. Il était prévu de créer un portail sur lequel chacun pourrait voir les aides dont il disposerait. Il serait bon de prévoir un suivi de ces actions décidées il y a plusieurs années. Certains promettent de mutualiser les données. Il faudrait préciser pour quelle raison l'oeuvre de simplification n'a pas fonctionné.

Mme Élisabeth Lamure-Merci pour vos interventions et merci encore à Michel.

M. Michel Canévet. - Je livrerai quelques éléments de réponse. Pascale Gruny a évoqué la question des RSA. Il convient de se demander quelle contrepartie demander aux personnes employables. En ce qui concerne les bonnes expériences, nous tâcherons d'ajouter au rapport des initiatives prises au niveau local, qui peuvent être diffusées pour améliorer la réponse aux besoins des entreprises. La question de l'orientation reste centrale, notamment s'agissant des élèves qui sortent de l'école sans formation, sont sans emploi, etc. Nous devons nous occuper de ces jeunes pour qu'ils ne fassent pas le terreau de certains partis politiques de notre pays.

Mme Élisabeth Lamure- Merci beaucoup. Il ne faut pas oublier les métiers de demain pour lesquels nous avons constaté un vrai retard de la France, ce qui deviendra un vrai sujet.

Nous passons à la deuxième partie de cette réunion sur l'entreprise responsable et engagée. Jacques Le Nay et moi-même sommes intervenus sur ce sujet. C'est un rapport d'étape. Nos rapports seront prêts entre mai et juin 2020.

M. Jacques Le Nay, sénateur. - Le premier constat de nos travaux souligne un contraste. Si 71 % des Français ont une bonne image de l'entreprise, et davantage celle des PME (90 %) que des grandes entreprises, ils sont 56 % à estimer que le sens du travail s'est dégradé.

Les consommateurs deviennent par ailleurs de plus en plus exigeants et attentifs à ce qu'ils consomment. Grâce à l'existence d'applications numériques de notation des biens et services, ils ont pris conscience de leur pouvoir. Ils sont moins passifs et plus actifs. Ils achètent de préférence à des entreprises qui ont une bonne image et qui affirment respecter l'environnement.

Le deuxième constat est celui d'une mutation profonde de l'entreprise. Celle-ci a été d'abord théorique. A longtemps dominé l'idée, popularisée par Milton Friedmann, prix Nobel d'économie, et la théorie de la corporate governance, que l'entreprise devrait faire le maximum de profits, au bénéfice de ses actionnaires. Cette conception est toujours prédominante pour les investisseurs professionnels que sont les gérants d'actifs. Une autre vision avait été toutefois développée par Antoine Riboud alors PDG de Danone en 1972, lorsqu'il disait que « la responsabilité de l'entreprise ne s'arrête pas au seuil des usines ou des bureaux. Son action se fait sentir dans la collectivité tout entière et influe sur la qualité de la vie de chaque citoyen ».

Le courant dominant aujourd'hui découple d'une part la société, avec les actionnaires, qui sont propriétaires à hauteur de leurs actions, et d'autre part l'entreprise, qui a des responsabilités sociétales et environnementales. C'est la « RSE ».

Quel en est le cadre juridique ? Les pouvoirs publics ont, dans un premier temps, et à partir de la loi Nouvelles régulations économiques de 2001, demandé aux entreprises de publier dans leur rapport de gestion des informations relatives à la façon dont elles prenaient en compte les conséquences sociales et environnementales de leur activité. La loi Grenelle 2, en 2010, a ensuite ajouté un pilier sociétal et élargi la catégorie des sociétés y étant soumises.

La mutation du rôle de l'entreprise est ensuite politique.

Dans la lutte contre le réchauffement climatique, les Nations-Unies ont conclu, dès 1999, à la nécessité d'associer les entreprises. Les États ont également rapidement compris qu'ils devaient emmener les grandes entreprises, intégrées dans la mondialisation, dans la voie de la décarbonation de l'économie. L'Europe durable attend un comportement responsable des entreprises, selon le document de réflexion de la Commission européenne consacrée à l'horizon 2030. À côté de cette législation, très précoce en France qui a toujours été à l'avant-garde de cette thématique, la RSE comprend également des normes volontaires que les grandes entreprises s'appliquent pour satisfaire à des investisseurs, à des consommateurs et à des salariés, qualifiés désormais de « parties prenantes », et de plus en plus exigeants.

Puis une évolution de la notion de l'entreprise a été portée par des universitaires de l'École des Mines Paris Tech et du collège des Bernardins, popularisée dans le rapport Notat-Sénard de mars 2018 et en partie traduite dans la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi PACTE.

Cette dernière propose une démarche en trois étapes :

1/ Toutes les entreprises doivent prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux de leur activité. Est ainsi reconnu, pour la première fois dans notre droit, le principe d'une interaction entre l'entreprise, quelle que soit sa taille et son statut juridique, et l'intérêt général ;

2/ Les entreprises peuvent adopter une « raison d'être ».

3/ Les entreprises peuvent modifier leur statut pour devenir des « sociétés à mission ».

Depuis 2001, s'est développé un mélange de normes volontaires et de dispositions législatives pour rendre publiques un nombre croissant d'informations relatives aux entreprises. Ces informations sont demandées par leurs « parties prenantes », notamment les investisseurs, et relatives à leur impact négatif ou positif sur la société et l'environnement. Les critères ESG (environnement, société, gouvernance) sont devenus les trois facteurs principaux de mesure de la soutenabilité et de l'impact éthique d'un investissement dans une société ou dans un domaine économique.

Pour le MEDEF, la RSE est « une des conditions de l'attractivité, de la différenciation et de la compétitivité des entreprises, tout en constituant une réponse aux attentes de la société ». Je cite encore cette déclaration de principe du 3 juillet 2019 : « La RSE challenge les entreprises. Elle contribue à inventer une nouvelle forme de capitalisme, plus performant, plus compétitif, plus attractif et plus ouvert ».

Cette nouvelle approche considère qu'au-delà des actionnaires l'entreprise a des responsabilités :

- sociales, qu'il s'agisse notamment de la qualité de vie au travail ou de l'égalité professionnelle hommes-femmes,

- et environnementales, qui est désormais le thème dominant, sans être exclusif.

Cette évolution est pragmatique. Nous constatons, en effet, qu'une entreprise responsable, qui fait attention à son environnement et aux enjeux sociaux, superforme sur le plan financier en moyenne de 13 % par rapport à une entreprise classique. L'entreprise responsable devient financièrement rentable.

Si la RSE impacte principalement les grandes entreprises, les PME sont également concernées. La RSE est d'abord présente dans de nombreuses PME et TPE de manière intuitive, parce qu'une PME est ancrée dans un territoire et organise une communauté de travail. Bien souvent, ces entreprises n'en ont pas conscience et ne la valorisent d'ailleurs pas. Les PME sont ensuite comprises dans le périmètre des grandes entreprises, soumises aux obligations de conformité ou de rapportage (traduction du terme reporting), en tant que parties prenantes lorsqu'elles sont fournisseurs de ces entreprises. Enfin, si les normes contraignantes ne pèsent pas directement sur elles, elles intègrent de plus en plus une démarche RSE de façon volontaire.

Ainsi, dans une délibération commune du 21 décembre 2017, la CPME incite ses adhérents à s'engager dans une démarche responsable. En effet, d'injonction sociale, la RSE devient une opportunité économique et un avantage comparatif pour une entreprise comme pour une économie nationale. Saviez-vous que la France occupe le 3e rang mondial, après la Suède et la Finlande, des entreprises engagées dans la RSE ?

Les PME et TPE font de la RSE sans le savoir, notamment par leur ancrage territorial. Elles éprouvent cependant souvent du mal à la mettre en valeur. Les grandes entreprises font parfois moins, et de manière plus formelle, mais communiquent beaucoup tandis que les PME font souvent beaucoup mais le disent peu. Pourtant les PME sont plus flexibles et agiles et peuvent mobiliser plus facilement leurs salariés pour mettre en oeuvre une démarche RSE. Les consommateurs expriment une forte demande de label, immédiatement visible, alors qu'une véritable démarche RSE nécessite des années pour être crédible et pérenne.

Celle-ci est souvent un passage obligé lorsque la PME est sous-traitante d'une grande entreprise, notamment avec la loi du 30 mars 2017 sur le devoir de vigilance : la RSE est une condition d'obtention du marché ; elle est alors subie. Les tensions commerciales dans la relation de sous-traitance laissent par ailleurs de nombreuses PME sceptiques sur le discours de « responsabilité » de certaines grandes entreprises. Les PME sont cependant encouragées par leur écosystème, qui organise des remises de trophées et partage les bonnes pratiques, comme par les pouvoirs publics. Ces derniers sont très pro-actifs à cet égard avec une plateforme RSE qui élabore des labels sectoriels : 18 sont expérimentés dans différentes branches.

Lorsqu'elle est voulue, la RSE est pour une PME redoutablement complexe, ce qui la rend trop souvent hors de portée. Alors que la RSE a démarré sur des normes souples et adaptées, elle est de plus en plus rigide et s'apparente à un simple exercice de compliance, ou rapportage, ce qui consiste à fournir des informations de plus en plus volumineuses. Ceci nécessite des équipes dédiées, qui commencent à se structurer dans les grandes entreprises avec les directions du développement durable. Cet exercice a par ailleurs un coût non négligeable pour les PME et encore plus pour les TPE.

La consultation d'entrepreneurs, réalisée du 12 au 20 février dernier, par OpinionWay dans le cadre du partenariat avec CCI France, montre que 84 % des PME employant plus de 10 salariés déclarent se doter d'une politique RSE contre 43 % de celles de moins de 10 salariés. La déclaration de performance extra-financière est jugée « assez » complexe par 46 % des chefs d'entreprise mais seulement 8 % la trouve « très » complexe. Ils sont partagés sur sa simplification souhaitable : 42 % considèrent que cette simplification devrait profiter à toutes les entreprises et la même proportion estime qu'elle devrait d'abord concerner les PME-TPE.

L'autre constat qui ressort de nos auditions est la multiplicité des référentiels de la RSE, dont le plus connu et le plus utilisé est la norme ISO 26 000. C'est une véritable « tour de Babel » des labels, et les grandes entreprises font leur marché pour trouver les normes les plus adaptées. Elles cherchent du sur-mesure tandis que le costume est trop grand pour les PME, si vous me permettez cette image.

La RSE est également un marché, avec de nombreuses agences de notation. Ces dernières qui ont toutes été rachetées par des groupes américains ne risquent-elles pas d'abandonner le référentiel européen, au profit d'un référentiel américain plus « compréhensif » ?

Leur méthodologie est par ailleurs questionnée par de grandes entreprises qui ont voulu, en 2018, évaluer ces évaluateurs.

Quant à l'information non financière, elle repose encore sur des concepts assez vagues. Elle reste en porte à faux avec la comptabilité financière, laquelle ignore le capital naturel, le chiffrage des performances sociales et environnementales restant difficile. Une harmonisation a été proposée dans le rapport de mai 2019 de M. de Cambourg, président de l'Autorité des normes comptables.

En matière d'investissement socialement responsable, la France a été le premier pays au monde à obliger les investisseurs à publier les informations relatives à leur contribution aux objectifs climatiques et aux risques financiers associés à la transition énergétique et écologique, avec une labellisation publique, depuis un décret de 2016. La loi PACTE prescrit que les produits d'épargne offerts aux Français devront progressivement proposer des supports d'épargne responsable. Au niveau européen, la définition d'un investissement durable, « vert » ou « responsable », a donné lieu à une intense bataille de lobbies jusqu'au compromis du 16 décembre 2019, le nucléaire n'étant pas exclus, contrairement aux énergies fossiles.

Dernier constat : certaines entreprises sont engagées et responsables depuis le XIXe siècle. Il s'agit du tiers secteur de l'économie sociale et solidaire (ESS), des entreprises solidaires d'utilité sociale (qui est un agrément public) du secteur coopératif et mutualiste, des associations ayant un rôle entrepreneurial. Les entreprises marchandes n'ont pas, non plus, attendu la loi PACTE pour faire :

- du mécénat d'entreprise, fiscalement raboté par la dernière loi de finances,

- du mécénat de compétence, permettant à des salariés de se mettre au service d'un projet d'intérêt général,

- ou encore, pour créer des fondations d'entreprise, le modèle des fondations d'actionnaires n'étant pas encore pratiqué en France contrairement à l'Europe du Nord.

Nous assistons cependant à un brouillage des frontières entre l'ESS, l'entreprise classique mais qui devient une société à mission comme la loi PACTE l'y autorise, le mécénat, la RSE, le secteur associatif...

Cette « intrusion » de l'entreprise dans le champ social pourrait conduire le secteur de l'ESS, comme le revendique l'Union des employeurs de ce secteur, à demander un accès privilégié à la commande publique.

Je laisse désormais à notre présidente le soin de vous présenter nos premières pistes de propositions.

Mme Élisabeth Lamure- Je prends le relais pour voir quelles propositions nous pourrions soumettre. Incontestablement, les entreprises s'engagent de façon croissante dans les évolutions de la société et endossent des responsabilités croissantes d'intérêt général ou se les voient imposer. Il serait paradoxal que la Délégation aux entreprises propose à son tour de rigidifier la RSE.

Néanmoins, il nous paraît important de concilier le développement de la RSE et la sécurité juridique de l'entreprise.

La RSE fait en effet peser sur l'entreprise certains risques. Le premier est d'assigner à l'entreprise, ou de l'encourager à s'assigner un objectif trop ambitieux et hors de portée, dont elle ne pourrait pas contrôler les conséquences. Les entreprises ne peuvent porter à elles seules le sauvetage de la planète, même si elles doivent en prendre leur part. Le deuxième risque serait de rendre la RSE obligatoire et opposable dans toutes ses dimensions pour toutes les entreprises.

Une autre contradiction, au demeurant bien française, a été de légiférer de façon unilatérale et isolée sur des sujets qui ne peuvent se traiter de façon efficace qu'à l'échelle mondiale. La loi française sur le devoir de vigilance de 2017 doit être prolongée et complétée par un traité international sur les droits humains et les sociétés transnationales, qui serait contraignant, applicable à toutes les entreprises dans leurs rapports avec leurs sous-traitants. Il faut encourager les démarches qui encouragent la constitution de filières de recrutement équitable, afin de réduire le risque du recours au travail forcé, et, pire encore, au travail d'enfants, par les sous-traitants.

Réciproquement, dès lors qu'une PME respecte l'ensemble des obligations légales, elle devrait bénéficier d'une présomption de son caractère responsable vis-à-vis de son donneur d'ordre.

S'agissant de la gouvernance de l'entreprise, dont l'évolution est nécessaire afin d'y intégrer les préceptes de la RSE, il semble de loin préférable de faire remonter la RSE au conseil d'administration et de ne pas la cantonner au sein du « comité des parties prenantes », car la RSE doit devenir centrale et stratégique.

Elle doit être aussi globale et concerner tous les volets de la responsabilité sociétale. La transition environnementale, sujet essentiel, ne doit pas conduire à occulter ou minorer les autres problématiques que sont l'insertion, l'égalité professionnelle, la parité, la prévention des risques psychosociaux, le bien être en entreprise, etc.

Les risques pour le management ont été évoqués. Une faute de gestion pourrait être recherchée si l'entreprise ne prenait pas suffisamment en compte les enjeux sociaux et environnementaux. La jurisprudence devrait toutefois s'auto-limiter. Si ce n'était pas le cas, une nouvelle intervention du législateur serait nécessaire.

Par ailleurs, la RSE devant concerner toute la communauté de l'entreprise, la formation à ses enjeux doit, au-delà des cadres, associer tous les salariés. Enfin, les PME manquant de moyens humains et financiers pour mettre en oeuvre une politique de RSE, pourquoi ne pas mutualiser des équipes opérationnelles dans des entreprises, différentes et non concurrentes, d'un même secteur géographique ? Les équipes seraient bien entendu astreintes à des règles particulières de respect de la confidentialité.

La politique publique incite, avec une vigueur croissante, les entreprises à intégrer la RSE. À cet égard, l'Europe et l'État se doivent d'être cohérents.

L'Europe se doit ainsi d'élargir le marché carbone européen aux importations afin de préserver la compétitivité des acteurs continentaux et instaurer un mécanisme de taxation du carbone sur les produits importés. Ces derniers représentent en effet 57 % de l'empreinte carbone de la France, part qui a quasiment doublé entre 1995 et 2018. La taxe carbone est un objectif du Pacte vert présenté par la nouvelle Commission européenne. Sa mise en oeuvre est la contrepartie des efforts des entreprises européennes en matière de RSE.

Par ailleurs, l'État devrait lui-même être exemplaire et promouvoir la RSE à un triple niveau :

- Les institutions publiques (États et collectivités territoriales) devraient être sensibilisées à cette culture et aux outils d'évaluation interne ou externe des politiques de Responsabilité Sociétale des Organisations (RSO) et l'État devrait présenter une stratégie à moyen terme d'inclusion dans la RSE de l'ensemble de la sphère publique ;

- L'Éducation nationale et les universités devraient sensibiliser à la responsabilité sociétale des entreprises, au collège, au lycée et dans les formations supérieures par des actions concrètes, comme le SULITEST, qui permet de tester des connaissances en matière de développement durable ;

- Les établissements publics industriels et commerciaux devraient être intégrés dans les obligations de rapportage extra-financier, certaines entreprises publiques le faisant volontairement.

Par ailleurs, la France doit clarifier, simplifier et soutenir les démarches d'harmonisation à l'échelle européenne de la RSE dans sa dimension financière et extra-financière, dans trois directions.

Première direction, le champ de la RSE devrait intégrer les sociétés par actions simplifiées (SAS). L'exclusion de ces sociétés conduit à n'appliquer la RSE qu'à une minorité des sociétés non cotées, 586 entreprises entrant dans le champ du rapportage obligatoire et 1 022 en étant exclues.

La deuxième direction est celle de l'harmonisation du référentiel de l'information financière. Le foisonnement des référentiels en matière de RSE est une source de complexité pour les entreprises. Cette situation est due à l'empilement de ces textes sans mise en cohérence d'ensemble. La législation française en matière de rapportage RSE peut encore gagner en clarté et en lisibilité. Il est donc urgent d'opérer un exercice de simplification de manière à donner au marché non pas une information sans cesse plus volumineuse, mais une information lisible et pertinente, adaptée à l'activité de la société et à son environnement.

La fiabilité est une source d'interrogations. Un rapport de l'ADEME de 2017 souligne ainsi que seuls 29 % des transporteurs routiers de fret appliquent réellement le décret de 2011 qui impose de calculer les émissions de CO2, personne ne contrôlant réellement la réalité des calculs. Ce manque de transparence constitue un frein indéniable à toute démarche permettant de calculer précisément les émissions GES (gaz à effet de serre) et autres nuisances du transport, et donc d'engager des mesures sérieuses pour les réduire.

Enfin, la philosophie de la démarche RSE doit privilégier son intégration dans la stratégie de l'entreprise sur la production d'information destinée au reporting.

Les entreprises de l'Afep ont émis en octobre 2019 des propositions de rationalisation qu'il convient de soutenir. Elles sont de quatre ordres :

- harmoniser le champ d'application des obligations de rapportage ;

- éviter les obligations d'information redondantes ou inutiles ;

- se focaliser sur les informations significatives ;

- soutenir l'élaboration de référentiels sectoriels, par branche professionnelle.

La troisième direction porte sur une harmonisation de l'information extra-financière. Nous retrouvons ici aussi un foisonnement qui a fait dire à la responsable RSE d'une PME que « l'entreprise fournit tellement de données qu'elle n'a plus le temps de piloter ces données », de les prendre en compte dans la stratégie de l'entreprise.

Il faut entreprendre un ambitieux programme d'harmonisation :

Les préconisations du rapport de Cambourg doivent être inscrites à l'agenda européen et être soutenues au plus haut niveau.

Il faut veiller à l'harmonisation, la comparabilité et la fiabilité de l'information extra-financière.

Il faut par ailleurs créer une agence de notation extra-financière européenne. C'est un enjeu de souveraineté économique. En effet, l'utilisation de référentiels américains risque de pénaliser les entreprises européennes, lesquelles sont déjà menacées par le transfert massif de leurs données dans des serveurs situés aux États-Unis d'agences de notation par ailleurs désormais contrôlées par des firmes américaines.

Un moratoire sur de nouvelles informations extra-financières demandées aux grandes entreprises semble nécessaire. En deux mois, à l'automne 2018, trois nouveaux objectifs ont ainsi été ajoutés à la déclaration de performance extra-financière !

Il faut adapter la RSE aux spécificités des PME. En effet, quelle PME peut-elle employer un salarié dédié à l'application des 140 pages de la norme ISO 26 000 ? Celle-ci devrait d'ailleurs être actualisée (elle date de 2010) afin de prendre en considération les Objectifs de développement durable des Nations Unies, la biodiversité ou l'économie circulaire. Aux côtés de « référentiels socles », communs à toutes les entreprises, et allégés pour les PME-TPE, il faut développer des référentiels sectoriels. Nous préconisons que la Plateforme RSE les élabore rapidement.

Ces référentiels ne peuvent concerner seulement l'enjeu climatique : ce dernier est majeur, mais risque d'occuper une place excessive dans la démarche RSE au détriment de la problématique sociale et, singulièrement, du bien-être en entreprise. Le dernier accord national interprofessionnel sur la qualité de vie au travail a pris fin en 2016. De nouvelles négociations doivent s'engager, car la qualité de vie au travail est le moyen d'impliquer les salariés des entreprises dans la RSE, qui doit demeurer une démarche globale et inclusive. La RSE donne de réelles opportunités aux entreprises de renforcer le sens du travail pour les salariés et de partager avec eux des valeurs fortes.

Nous pourrions ainsi faire du mécénat de compétence un indicateur extra-financier de performance sociale de l'entreprise, mais également stabiliser et clarifier les règles fiscales.

La labellisation publique doit accorder des contreparties aux entreprises qui s'engagent dans une démarche RSE. Ces contreparties peuvent être les suivantes :

- une intensification du fléchage de l'épargne privée vers l'investissement durable ;

- le fléchage privilégié de l'investissement public, et notamment des engagements de Bpifrance, en excluant les entreprises et fonds qui ne correspondent pas à la taxonomie (ou classification) européenne concernant les investissements durables ;

- une simplification des démarches administratives pour les entreprises labellisées RSE et présentant des garanties vérifiées par un tiers indépendant ;

- un accès privilégié à la commande publique. Il existe un « schéma de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsables », mais il est largement ignoré. Une « Charte relations fournisseurs responsables » a été rédigée, mais elle reste confidentielle, avec seulement 47 entreprises labellisées. Adopter une approche par coût du cycle de vie du produit permettrait de retenir l'offre économiquement la plus avantageuse pour l'intérêt général sur le long terme. Une évolution de la règlementation européenne permettrait aux pouvoirs publics adjudicateurs d'apprécier globalement les engagements RSE de l'entreprise et pas seulement ponctuellement, lors de la réponse à un appel d'offres.

Nous pourrions enfin prévoir, à terme, une incitation fiscale (certains ont évoqué un taux réduit de TVA bénéficiant aux entreprises « responsables ») ou, au minimum, sanctuariser les dispositions relatives au mécénat d'entreprise.

Telles sont, chers collègues, les principales pistes que nous soumettons à votre sagacité à ce stade. Nous proposons de les approfondir, en les versant au débat avec les chefs d'entreprise que nous réunissons le 2 avril prochain à l'occasion de notre 5e Journée des entreprises.

Les 20 pistes de recommandation sont présentées aux sénateurs :

Mettre la RSE à la portée des PME

1. Charger la Plateforme RSE d'élaborer, en collaboration avec les branches professionnelles, un référentiel sectoriel et allégé pour les PME.

2. Instituer une présomption de respect par une PME de sa responsabilité vis-à-vis de son donneur d'ordre dès lors qu'elle respecte une démarche RSE, bénéficie d'un label reconnu et contrôlé et présente des garanties vérifiées par un tiers indépendant. Ces entreprises bénéficieraient d'une simplification des démarches administratives.

Privilégier une approche globale de la RSE

3. Rééquilibrer les dimensions environnementales et sociales dans les démarches RSE en :

renforçant la prévention des risques psychosociaux

engageant de nouvelles négociations sur la qualité de vie au travail, afin d'impliquer tous les salariés des entreprises dans la RSE, qui doit demeurer une démarche globale et inclusive ;

faisant du mécénat de compétence un indicateur extra-financier de la performance sociale de l'entreprise ;

maintenant un régime juridique et fiscal du mécénat attractif, afin d'internaliser les préoccupations sociétales dans les entreprises et de renforcer ainsi l'ancrage territorial des PME et TPE ;

encourageant la constitution de filières de recrutement équitable, afin de réduire le risque du recours au travail forcé, et, pire encore, le travail d'enfants, par les sous-traitants.

4. Faire remonter la RSE au conseil d'administration, afin d'en garantir sa dimension stratégique et ne pas la cantonner au sein du « comité des parties prenantes ».

5. Former à la RSE tous les salariés.

6. Mutualiser des équipes opérationnelles du développement durable dans les PME-TPE d'un même secteur, astreintes à des règles particulières de confidentialité, ou détachées par les branches professionnelles.

Pour un État exemplaire, moteur et facilitateur en matière de responsabilité sociétale

7. Élaborer une stratégie publique d'inclusion à moyen terme de l'ensemble de la sphère publique dans la RSO.

8. Sensibiliser à la responsabilité sociétale des entreprises, au collège, au lycée et dans les formations supérieures.

9. Intégrer les établissements publics industriels et commerciaux dans les obligations de rapportage extra-financier, certaines entreprises publiques le faisant volontairement.

10. Intégrer les sociétés par actions simplifiées (SAS) dans le champ de la RSE, leur exclusion conduisant à ne l'appliquer qu'à une minorité de sociétés non cotées.

11. Simplifier la législation française en matière de rapportage financier RSE et plus particulièrement :

Harmoniser le champ d'application des obligations de rapportage ;

Éviter les obligations d'information redondantes ou inutiles ;

Se focaliser sur les informations significatives ;

Soutenir l'élaboration de référentiels sectoriels, par branche professionnelle.

12. Exclure de l'investissement public, notamment de Bpifrance, les entreprises et fonds qui ne correspondent pas à la taxonomie européenne concernant les investissements durables.

13. Inclure, par défaut et sauf opposition contraire de l'épargnant, un support d'épargne responsable au sein des contrats d'assurance-vie.

14. Modifier les règles de la commande publique afin de :

permettre aux pouvoirs publics adjudicateurs d'apprécier globalement les engagements RSE d'une l'entreprise soumissionnaire, et pas seulement ponctuellement, lors de la réponse à un appel d'offres ;

refonder une approche plus transversale et globale des marchés publics, en reconnectant la construction d'infrastructures publiques de son exploitation.

15. À terme, élaborer des mécanismes d'incitation fiscale aux entreprises « responsables », ce qui suppose au préalable que cette qualité soit reconnue par des critères incontestables et non discriminants. prévoir, à terme, une incitation fiscale ou, au minimum, sanctuariser les dispositions relatives au mécénat d'entreprise.

Pour une Europe donnant aux entreprises les moyens de se doter d'une politique RSE globale et inclusive

16. Instaurer une taxation carbone sur les produits importés afin d'élargir le marché carbone européen aux importations et de préserver la compétitivité des acteurs continentaux.

17. Soutenir une démarche européenne ambitieuse en matière extra-financière :

harmoniser le référentiel extra-financier, comme outil de pilotage de la transition écologique, énergétique et solidaire des entreprises, pour rendre l'information extra-financière comparable et fiable, combinant proportionnalité, optionalité et exemplarité ;

créant une agence de notation européenne, dotée d'une métrique nouvelle prenant mieux en considération les critères ESG ;

engageant une initiative européenne visant à actualiser la norme ISO 26 000, afin de prendre en considération les objectifs de développement durable (ODD) de 2015.

18. Adopter entre-temps, un moratoire national sur de nouvelles informations extra-financières.

19. Assouplir la directive « marchés publics » 2014/24/UE du 26 février 2014, afin :

d'autoriser les pouvoirs adjudicateurs d'exiger des soumissionnaires une politique particulière de responsabilité sociale et/ou environnementale de l'entreprise ;

d'actualiser la notion de services sociaux d'intérêt général, afin de permettre aux collectivités territoriales de faire appel aux entreprises de l'ESS.

Pour des relations commerciales internationales équilibrées

20. Favoriser l'adoption d'un traité international sur les droits humains et les sociétés transnationales, contraignant, applicable à toutes les entreprises dans leurs rapports avec leurs sous-traitants.

Nous proposerons d'approfondir ces pistes à l'occasion de la Journée des entreprises. Nous espérons être en mesure de présenter un rapport complet en mai ou juin 2020. Ce travail passionnant a été mené avec Jacques. Je remercie toute l'équipe de la Délégation aux entreprises. Nous avons une petite équipe très efficace, qui nous accompagne beaucoup. Je vous invite à intervenir si vous le souhaitez.

M. Michel Canévet. - La loi PACTE a modifié l'article 1 833 du Code civil en tenant compte des enjeux environnementaux et sociaux de l'activité des entreprises. De la même manière, la loi sur le littoral de 1986 ne soulevait pas de difficulté, mais la jurisprudence pourrait considérer que les risques sont de plus en plus importants, ce qui générerait des difficultés pour les entreprises.

Pour la RSE, nous avons introduit la disposition de l'article 1 833 du Code civil pour les entreprises à mission. Selon moi, le cadre juridique est beaucoup trop rigide. Il aurait fallu laisser les entreprises s'organiser par elles-mêmes sans imposer qu'un salarié suive ces sujets.

Enfin, le dernier point concerne les labels. Ce sujet est important pour identifier les entreprises engagées dans la responsabilité sociétale et environnementale. La prolifération des labels risque d'amener celui qui souhaite le faire à ne pouvoir le faire par méconnaissance. Des systèmes simples doivent être facilement identifiables entre les entreprises qui sont ou non dans la RSE et opérer les choix selon les convictions de chacun.

Mme Élisabeth Lamure- Je suis d'accord pour que nous simplifiions et que nous laissions de la liberté aux entreprises. Des entreprises ont pris des initiatives personnelles en matière de RSE. Il faut inciter et laisser un peu de liberté et de souplesse.

M. Olivier Cadic. - Ce débat est très intéressant. Au début des années 90, un conférencier soutenait qu'il fallait transformer les 35 heures en semaine de quatre jours. Une entreprise chinoise développait simultanément le lit partagé entre les ouvriers travaillant aux 3x8. Nous avons vu le résultat. Je voyage beaucoup. J'ai l'impression que nous vivons dans une bulle. On se plaint partout de ne pas voir les PME françaises à l'international. Elles discutent de certains sujets comme celui de la RSE. Au lieu de travailler à notre développement, elles s'occupent du développement de l'industrie de la complexité. Cela me rappelle les 35 heures.

L'entreprise responsable du concept Novethic est super, mais il faut le traduire en chinois. En Afrique, nous vivons la perte de parts de marché des entreprises françaises. Ce ne sont pas des valises de billets qui arrivent en Afrique, mais des containers pour acheter des marchés. Certains ne se privent pas de corrompre. Des prisonniers chinois ont construit l'aéroport d'Alger pour garantir la construction dans un temps record. Les Chinois descendent de l'avion pour se rendre sur le chantier avec leur casque et se rendent directement au chantier.

Je note « fabrique des produits et services verts ». Les contrefaçons des produits Legrand et Schneider génèrent des incendies en Afrique, en Algérie et en Éthiopie, mais aussi au Pérou. Deux containers de contrefaçons de produits Schneider ont été trouvés au port de Mombassa en novembre et décembre 2019.

Il faut traduire ces recommandations de RSE en chinois. Si nous ne pouvons pas imposer ces règles de RSE à l'international, celles-ci auront des effets négatifs pour notre économie à long terme. Le gouvernement chinois affirme que les droits de l'homme ne sont pas compatibles avec le développement humain. Le nombre de démocraties recule chaque année dans le monde. Comment se fait-il que ces entreprises puissent le faire et que nous soyons silencieux sur l'ouverture de nos marchés à ces entreprises s'exonérant de ces devoirs humains basiques ?

Mme Élisabeth Lamure- Merci Olivier, ton expérience internationale est constructive. La loi doit s'appliquer à l'international, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Il est extrêmement difficile de faire respecter ces dispositions à tous les sous-traitants des sociétés françaises. Ce sont encore les entreprises françaises qui trinqueront si ces principes ne sont pas respectés. Le sujet fait partie des recommandations. Il faut conserver ce standard français de RSE, non pour donner des leçons, mais pour donner de l'impulsion. Les entreprises s'intéressent de plus en plus à la RSE. Ce mouvement ne s'arrêtera pas en quelques mois.

M. Jean-Marc Gabouty. - Je ne suis pas toujours d'accord avec Olivier dont la présentation est caricaturale. La méthode d'Olivier est l'électrochoc, la diplomatie vient après. Je suis néanmoins en grande partie d'accord avec lui, finalement. Je suis partisan de la RSE sincère, volontaire, et non d'en faire le moteur de l'entreprise. Je n'étais pas favorable à la raison d'être, qui est facultative dans les statuts. Il faut faire attention à ne pas aboutir à une « masturbation intellectuelle ». Il ne faut pas pousser le système trop loin mais encourager les bonnes pratiques des entreprises. Ma crainte est que certains l'utilisent comme un outil marketing, comme un lobbying pour l'introduire dans les marchés publics. Il faut raison garder. Il faut pondérer son importance et son impact sur le bien-être des salariés. Je pense que cette dimension est importante mais il ne faut pas demander chaque matin aux salariés si leur entreprise respecte la RSE. Certains soutiendront que tout va mal si certains leur posent chaque jour la même question.

Je défends d'autres sujets comme l'intéressement obligatoire, qui fait partie du bien-être. Il faut naviguer entre les deux. Nous ne pouvons pas refuser cette approche de RSE qui est intéressante. Il y a beaucoup de mécénat territorial. Il ne faut pas considérer le mécénat de manière trop prude. Le mécénat partenarial peut être intéressant. La contrepartie peut aider à obtenir un marché ou une prestation de service. Il faut faire attention à ce genre de raisonnement qui n'est pas très bon d'un point de vue économique.

M. Olivier Cadic. - Je suis d'accord sur tout, même sur la remarque de Jean-Marc sur le côté « diplomatique ».

Mme Élisabeth Lamure- La RSE est un travail de longue haleine, principalement orienté sur le développement durable. Nous avons constaté que les entreprises engagées en RSE y trouvent un outil de performance économique. Étant donné que les recrutements sont de plus en plus difficiles, il y a des exigences des futurs techniciens et cadres vis-à-vis des entreprises qui veulent les employer. Il ne faut pas que la France soit isolée. Nous ne ferons jamais comme la Chine en Afrique.

M. Jean-Marc Gabouty. - Il y a deux ans, nous avons comparé le droit social italien au droit social français étant donné que Matteo Renzi a pris l'initiative de lois suivies d'ordonnances. La CGT italienne ne veut pas de SMIC considérant que cette disposition draine les salaires vers le bas. Nous avons visité les locaux de la BNI, ou BNP Paribas en Italie, très moderne, très belle entreprise. Nous avons visité une grande plate-forme en open space, réunissant 300 personnes. Les salariés avaient des cases pour ranger leurs affaires. Ceux qui voulaient s'isoler pour téléphoner avaient une cabine téléphonique. Le restaurant servait simultanément 200 personnes. Cette organisation ressemblait aux centraux téléphoniques des années 1950 et 1960 avec tout le personnel réuni dans une pièce et des sergents-chefs qui surveillaient le personnel. Les salariés étaient bien organisés. Ils nous ont expliqué que par rapport aux autres banques italiennes, BNI enregistre un indicateur plus négatif, à savoir un taux d'absentéisme deux fois plus élevé que ses concurrents. Nous connaissons la raison de cette situation.

Mme Élisabeth Lamure- Ce sujet rejoint nos réflexions. Je vous remercie pour vos remarques.

Je souhaite vous rappeler le programme de notre Journée des entreprises le 2 avril qui se déroulera comme l'an dernier salle Clémenceau. Nous commencerons plus tôt afin de commencer dès 9 heures en présence du président Larcher. Le premier thème porte sur les difficultés de recrutement, le second sur l'entreprise engagée. Nous espérons une participation active des chefs d'entreprise. Il serait intéressant que vous y participiez.

Nous commençons à 9 heures 40 par la première table ronde avec CCI France, Pôle Emploi et l'OPCO Construction, un responsable de l'agence Grand Nord, le groupe Hervé très dynamique dans le domaine, qui vient de Touraine. Ensuite, nous échangerons avec la salle.

Le second thème sur les entreprises engagées réunit le Président de la commission environnement Développement durable de la CPME, la vice-présidente du collège des directeurs développement durable, un Directeur général d'entreprise et la Présidente de MUL Aromatiques, que nous avons récemment rencontrée. Nous échangerons avec la salle et aussi avec la presse. Nous déjeunerons à partir de 13 heures avec les jeunes de l'équipe de France Euroskills 2020.

M. Michel Canévet. - Il faut les faire parler du métier.

Mme Élisabeth Lamure- Nous accueillons Madame Valérie Pouille. Il s'agit de la déléguée générale adjointe, et il y aura aussi Armel Le Compagnon.

M. Olivier Cadic. - Armel Le Compagnon est l'un des piliers de ces réflexions. Ils peuvent potentiellement se présenter deux fois, avec un Workskill et un Euroskill. Les meilleurs pourraient être présents à Shanghaï.

Mme Élisabeth Lamure- Les champions de France iront plus loin.

M. Olivier Cadic. - Armel Le Compagnon est un entrepreneur du domaine du bâtiment. Il serait bon que nous valorisions son travail.

Mme Élisabeth Lamure- Nous avons condensé plutôt qu'organiser un atelier le matin puis un autre l'après-midi. Nous aurons terminé à 15 heures. Concernant les déplacements, nous devrions aller le 14 mai en Seine-Saint-Denis à l'invitation de Fabien Gay, puis dans la Haute Vienne. Pouvons-nous prévoir un déplacement durant la première semaine de juillet ? Nous pouvons organiser trois déplacements entre mai et juin, pour une dernière réunion en juillet.

Le président Larcher nous a demandé de rencontrer des représentants du secteur de la plasturgie, proche de Saint-Étienne, qui souffre beaucoup des nouvelles mesures, alors qu'il emploie de nombreuses personnes en France. Nous devons y parvenir.

La séance est levée à 14 heures 25.