Lundi 20 avril 2020

- Présidence de Mme Annick Billon, présidente -

Audition de M. Alain Legrand, président de la Fédération nationale d'accompagnement des auteurs de violences (en visioconférence)

Mme Annick Billon, présidente. - Mes chers collègues, je voudrais tout d'abord remercier M. Legrand de s'être rendu disponible cet après-midi.

Comme c'est le cas depuis le début du confinement, cette réunion a lieu par visioconférence.

La lutte contre les violences au sein des couples est depuis toujours un sujet crucial pour notre délégation. Le contexte du confinement a encore accru notre vigilance, car nous sommes toutes et tous conscients des drames qui se jouent depuis plus d'un mois maintenant dans certains foyers. Les statistiques le confirment, puisque selon le ministère de l'intérieur, entre le 20 et le 27 mars, les violences conjugales relayées par la gendarmerie ont augmenté de 32 %.

Diverses initiatives ont été prises à destination des victimes : je pense notamment à la possibilité de se rendre dans une pharmacie pour appeler à l'aide.

Une autre initiative annoncée il y a quelques jours par Marlène Schiappa a attiré notre attention : il s'agit de la création d'une plateforme d'écoute destinée aux auteurs de violences (« Appelez avant de frapper »), confiée à la FNACAV et qui est opérationnelle depuis le 6 avril.

La question de la prise en charge des auteurs de violences est importante pour la délégation. À l'occasion du 25 novembre 2014, des collègues ont visité le Home des Rosati à Arras : cette visite et les échanges qu'elle a permis avec les professionnels ont été particulièrement intéressants. Elle nous a convaincus de l'intérêt d'agir auprès des auteurs pour prévenir les violences.

Monsieur le président, nous comptons sur vous pour nous expliquer comment a été mis en place ce nouvel outil d'accueil et d'écoute, avec quels moyens, et quel bilan vous êtes en mesure de tirer de ses premiers jours d'existence.

S'agissant de vos statistiques, combien d'appels avez-vous reçus ? Combien d'heures d'écoutes représentent-ils ? Quel est le profil des personnes qui vous appellent ? Quelles solutions leur apportez-vous ? Quel suivi ?

Quant aux écoutants, quelle est leur formation ? Quel est leur statut : professionnel ou bénévole ? Comment ont-ils été recrutés ?

Nous aimerions également savoir si cette plateforme est, comme je l'espère, destinée à perdurer au-delà du confinement et, si c'est le cas, comment vous envisagez son avenir à plus long terme.

Plus généralement, j'aimerais que nous profitions de cet échange pour faire le point sur la question de la prise en charge des auteurs de violences, qui va bien sûr au-delà de l'écoute téléphonique. Quels sont selon vous les outils les plus efficaces pour les accompagner et prévenir les violences ?

Enfin, quel regard portez-vous sur les stages de responsabilisation destinés aux auteurs de violences, qui font partie des réponses judiciaires aux violences intrafamiliales ?

Je vous laisse la parole, Monsieur le président, puis mes collègues vous poseront des questions.

M. Alain Legrand, président de la Fédération nationale d'accompagnement des auteurs de violences (FNACAV). - Je vous remercie pour votre invitation et pour l'intérêt que vous portez aux actions menées en direction des auteurs de violences conjugales ou familiales.

Ces actions vont de la condamnation à la prise en charge thérapeutique, en passant par des programmes à visée éducative ou par des stages de responsabilisation. Elles sont à notre sens essentielles pour lutter contre le fléau que sont les violences conjugales et, plus généralement, les violences intrafamiliales. C'est en effet en regardant du côté de la source de ces violences, les auteurs eux-mêmes, que nous pouvons agir en profondeur pour modifier les chiffres de la violence.

Ces violences sont à comprendre essentiellement dans leurs dimensions sociologique, historique et psychologique : la domination masculine, les représentations sociales sexistes et nombre de représentations sociales en sont de puissants ressorts. C'est également l'histoire des générations, et plus largement l'histoire des civilisations, qui nous permettent de saisir les racines de la violence, sa perpétuation et ses logiques de répétition : la violence engendre la violence.

Ces violences trouvent aussi leur origine dans les fragilités psychologiques, les difficultés du vivre avec l'autre, les facteurs de stress et de tensions, l'usage de drogue ou d'alcool. Également dans les failles psychologiques qui structurent les personnalités, perverses et psychopathiques en particulier, où la question de l'intégration de la loi et des capacités d'empathie se posera pleinement dans la compréhension des passages à l'acte, leur cruauté et les bénéfices qu'en tire l'agresseur.

Si la lutte contre les violences conjugales et familiales est au coeur de la vocation de notre fédération, la lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants en est le leitmotiv premier, ainsi que celui des tout premiers centres de prise en charge des auteurs de violences en France. Ceux-ci ont été créés en 1987, et j'ai eu la chance de pouvoir y travailler. Ce fut d'ailleurs, à l'époque, à l'initiative des administratrices de foyers pour femmes victimes de violences, notamment du foyer Flora Tristan à Châtillon, que ces centres virent le jour. C'est le constat d'une répétition de ces violences qui a conduit à la mise en place de ceux-ci. Aider les victimes était la première des nécessités, mais il fallait également s'occuper de ces hommes, pas seulement en termes de condamnation, mais pour sortir des spirales de la violence.

Plus tard, j'ai fondé la FNACAV, qui agit pour promouvoir la création ou le développement de structures d'intervention en direction des auteurs de ces violences, que ce soit dans le domaine de la prévention, de la prise en charge individuelle et collective ou du traitement thérapeutique. La FNACAV se veut un lieu ouvert de recherche, de partage et de propositions. En favorisant les échanges et les débats entre structures, la FNACAV fait émerger les pratiques pertinentes et les outils d'évaluation de ces pratiques. Elle contribue à la définition des référentiels de formation dans le domaine de l'intervention en direction des auteurs de violences conjugales et familiales. La FNACAV s'inscrit de surcroît dans une dynamique d'échange et de partenariat au niveau européen.

L'intervention auprès des auteurs de violences est complémentaire des actions de la justice. Elle n'est en aucun cas, à notre sens, une alternative à l'application de la loi. Dans leurs actions, les intervenants sont conscients des limites de leur travail ainsi que de la sécurité, tant des personnes reçues que de leur entourage. La lutte contre les violences conjugales passe par une co-construction des réponses apportées aux victimes comme aux auteurs.

Enfin, j'insisterai sur l'obligation de formation et de supervision des intervenants : nous aurons sûrement l'occasion de revenir sur ce point.

Le manque de moyens a toujours constitué un frein important à notre développement, et nous avions depuis longtemps pensé à l'intérêt d'ouvrir une permanence nationale pour l'écoute des auteurs de violences. Si le Grenelle de lutte contre les violences conjugales nous a permis de trouver un nouveau souffle grâce aux moyens qui nous ont été attribués dans ce contexte, c'est la situation dramatique liée à la pandémie que nous vivons actuellement qui a été le déclencheur de la mise en place cette structure d'écoute.

Nous connaissons les chiffres qui montrent l'aggravation récente de ces violences, ce qui ne nous étonne guère du fait des difficultés particulières que pose le confinement, difficultés d'autant plus importantes lorsque de fortes tensions ou des violences existaient déjà auparavant.

Nos liens avec le secrétariat d'État à l'égalité entre les femmes et les hommes et avec le ministère de la justice nous ont conduits à penser à la nécessité de créer cette ligne d'écoute, avec l'idée qu'une partie des auteurs de violences serait susceptible d'appeler, du moins ceux qui ne souhaitent pas le passage à l'acte ou qui le regrettent après les violences.

Notre expérience de terrain montre que plus de la moitié des démarches en temps normal auprès du centre parisien - il n'en est pas de même partout - sont le fait d'auteurs déterminés à chercher de l'aide afin de ne pas réitérer leurs violences. Je les qualifie de « volontaires », même si en fait la démarche est initiée par la compagne qui les a quittés ou qui s'apprête à le faire. Pour qu'elle revienne, ou pour qu'ils puissent rester, ces hommes sont d'accord pour consulter. Certains s'adressent à nous en disant « je viens pour lui faire plaisir », ce qui laisserait à penser que le travail se présente mal ! Mais l'essentiel est qu'ils viennent et qu'ils poursuivent le travail. En ce sens, l'obligation de soin est un outil très utile pour nous. De plus, les obligations de soin sont délivrées pour une durée de dix-huit mois à deux ans, ce qui nous laisse du temps pour travailler avec ces hommes.

Certains prérequis existent en psychothérapie, notamment celui selon lequel qu'il faut être volontaire pour effectuer un travail thérapeutique. C'est en lien avec cette expérience de terrain et ses auteurs volontaires ou justiciables que nous avons pensé à cette plate-forme d'écoute. Même si les premières séances sont difficiles, au fil du temps, à quelques exceptions près, on avance et on passe de quelque chose qui est de l'ordre de la contrainte à une volonté personnelle de travailler sur soi, ce qui demande des techniques et une certaine spécialisation.

Les justiciables, pour un grand nombre d'entre eux, acceptent de faire ce travail sur eux-mêmes, pour peu que nous leur proposions un accompagnement, c'est-à-dire en partant de leur propre discours, en les confrontant aux implications de celui-ci.

Un exemple classique de tentative de justification de leurs actes par les auteurs de violence : « ma femme est folle, hystérique ». La réponse faite à cet homme doit s'intéresser à la raison pour laquelle il reste avec une personne qu'il ne supporte pas. Peu importe la vérité de son propos, c'est sa vérité psychique que nous écoutons : « Qu'est ce qui fait que vous restez, Monsieur, avec cette personne qui vous apparaît insupportable, et depuis longtemps ? ».

Qu'est-ce qui l'empêche de rompre ? Bien souvent, c'est la question des enfants qui est avancée. Lorsque nous expliquons à cet homme qu'en restant, et au vu de ce qu'il nous dit, ses enfants se construisent dans la violence, les cris et les injonctions paradoxales et qu'il ne leur rend pas service, bien au contraire, nous aboutissons généralement au point névralgique de sa problématique. Derrière ces justifications, on perçoit le sentiment d'abandon, l'angoisse de la séparation chez quasiment tous ces hommes, ainsi que le manque d'estime de soi.

Il y a des hommes qui semblent avoir confiance en eux, qui sont même très directifs, mais en réalité il s'agit d'un comportement de défense contre un manque de confiance en soi.

Les auteurs de violences suivis en contrôle judiciaire, post ou pré-sentenciels, nous sont également envoyés. En ce moment, nous pouvons mettre en place des suivis par audio ou par visioconférence, avec des thérapeutes.

La permanence mise en place par notre fédération regroupe trente écoutants, tous professionnels, intervenant de façon régulière auprès d'auteurs de violence. Il s'agit de participants de structures de la FNACAV, psychologues pour la plupart, éducateurs et thérapeutes. Ils se répartissent la permanence sur les sept jours de la semaine, de 9 heures à 19 heures, par sessions de cinq heures. Les sessions sont rémunérées sur la base de 135 euros bruts par session. Le coût total de la permanence est de 60 000 euros pour huit semaines. Les appels sont gratuits, leur coût est inclus dans notre budget.

Ces appels se distinguent entre auteurs, victimes et personnes signalant des violences. On compte aussi des professionnels. Depuis l'ouverture de cette ligne, il y a une quinzaine de jours, un tiers environ des appels proviennent d'auteurs de violences.

La première et la deuxième semaine ont donné lieu chacune à une soixantaine d'appels qu'il est très difficile d'évaluer pour l'instant. Nous sommes en train de mettre au point notre organisation. Tous les lundi matin, je fais le point sur le nombre d'appels et le nombre d'auteurs, et chaque jeudi un rapport qualitatif est élaboré sur les appels qui ont été reçus et qui ont donné lieu à discussion et à orientation.

Beaucoup de victimes nous contactent. Ce qui est différent aujourd'hui par rapport aux appels habituels, c'est que, aussi bien du côté des victimes que des auteurs, ces appels surviennent dans l'urgence absolue, exigeant une demande de solution immédiate.

À l'issue de l'entretien, la personne - victime ou auteur - peut être orientée vers une structure adéquate, proche de son domicile si possible. Il peut s'agir de structures compétentes en addictologie ou en psychiatrie, par exemple.

Il est des cas où la personne est d'accord pour partir de son foyer et d'autres où elle y est contrainte par une procédure d'éviction. Afin d'éviter qu'une personne se retrouve à la rue, nous avons mis en place, avec le ministère de la justice, le secrétariat d'État à l'égalité entre les femmes et les hommes et le groupe Solidarité un hébergement d'urgence dans des structures d'hébergement ou avec des nuitées d'hôtel. Nous avons déjà essayé ce partenariat, qui a très bien fonctionné.

En termes de temps d'écoute, c'est en moyenne une heure de temps de parole par situation lorsque le dialogue s'engage. Dans quelques situations, un « rappel à la loi » a semblé la dernière issue possible pour tenter d'empêcher une nouvelle violence, sans grand espoir que ceci ait eu un effet dissuasif.

Nous pensons pouvoir continuer cette écoute après le confinement, sous une forme toutefois allégée. Nous regrettons le peu de messages délivrés par les médias sur cette permanence, notamment par les chaînes publiques. Celles-ci pourraient probablement passer un spot de quelques secondes, à des heures de grande écoute, pour faire connaître notre numéro. Cela permettrait d'attirer l'attention du public sur les violences conjugales, exacerbées par la situation compliquée que nous vivons actuellement.

Je vais aborder maintenant la question plus générale de la prise en charge des auteurs de violences, qui représente l'essentiel du travail proposé par nos structures adhérentes.

Le questionnement autour des auteurs de violence et la création de centres spécialisés dans leur prise en charge découle de la nécessité de prévenir ces violences et leur répétition, aussi bien en termes de récidive, sous quelque forme que ce soit, qu'en termes de répétition transgénérationnelle. La récidive peut être constituée par les violences psychologiques qui se sont substituées aux violences physiques. Ces violences psychologiques sont, elles aussi, punies par la loi, mais beaucoup plus difficiles à prouver. La seule condamnation de ces faits et les mesures d'aide et de protection des victimes ne suffisent pas à prévenir les phénomènes de répétition. Ainsi, lorsqu'un auteur de violences n'est pas accompagné psychologiquement, il peut cesser les violences physiques mais exercer des violences psychologiques. Des techniques existent pour inhiber les comportements violents, mais la peur de la sanction, par exemple, ne suffit pas à modifier la façon d'être au monde d'une personne, ses traits de caractère et sa personnalité, sa façon de vivre, son rapport à elle-même et ses relations aux autres.

Dans certains cas, la condamnation et la sanction sans prise en charge psychologique peuvent même renforcer les sentiments paranoïdes qui habitent certains sujets et accroître leur violence. Je parle du sentiment, pour certains, de subir une triple peine : « c'est de sa faute, c'est elle qui m'a conduit à la violence, les policiers m'ont maltraité et le juge n'a pas voulu m'écouter. Je suis trois fois victime : de ma compagne, de la police et de la justice ». Sans accompagnement, ces personnes restent avec ce sentiment d'être eux-mêmes la victime, cela renforce leur violence.

L'inscription dans la loi de l'interdit spécifique de ces violences signifie clairement aux auteurs qu'ils se situent hors la loi, qu'ils ont franchi, par leur passage à l'acte, une limite et transgressé un interdit. C'est important également pour les enfants, qui intérioriseront cet interdit et se structureront avec lui.

Toutefois, il faut également intervenir au niveau des motivations qui président au passage à l'acte, s'intéresser à la personnalité des auteurs de violences et aux conditions qui déterminent la survenue de leur comportement. L'efficacité des réponses sociales et individuelles que nous pouvons apporter en dépend. La dénonciation de ces conduites et leur « pathologisation » concourent également à inciter les auteurs à reconsidérer leur conduite.

En ce qui concerne les victimes, les possibilités d'hébergement qui leur sont offertes leur permettent de se protéger, de fuir et de ne plus rester sous l'emprise de l'auteur de violences. Celui-ci, alors confronté à la solitude et à la perte de ses repères, vit souvent ce moment comme un choc qui peut le conduire à devenir demandeur d'une aide.

C'est là que se situe aujourd'hui l'action du psychologue qui pourra saisir, derrière la violence et la dureté des actes commis, la souffrance qui les a motivés.

Pour certains, cette souffrance se devine derrière la rigidité, la puissance, dans le manque d'empathie à l'égard des autres ou dans leur dépendance infantile à leur compagne, qui apparaît dans les épisodes dépressifs qu'ils traversent lorsqu'elle les quitte. Nous saisissons plus encore cette souffrance lorsque se révèle leur histoire personnelle et familiale.

Cependant, si la souffrance de l'auteur est centrale pour travailler avec lui, il y a ceux dont le moteur est la jouissance, pervers et psychopathes en particulier, pour lesquels nous n'avons que peu de moyens d'action.

Aujourd'hui, dans la plupart des structures, nous procédons à des prises en charge individuelles ou dans des groupes de parole, avec des visées éducatives ou thérapeutiques. Dans certains cas de figure - et nous sommes très prudents sur cet aspect des choses - nous avons recours aux thérapies de couple. Nous en sommes conscients, dans ce genre de thérapie, une situation peut très vite se retourner contre la victime ; il faut des intervenants vraiment formés dans le domaine des violences conjugales. C'est le cas, par exemple, à Marseille avec le centre La Durance, qui oeuvre depuis plus de trente ans et qui propose, entre autres, parallèlement à des thérapies de couple, une thérapie spécifique pour l'auteur des violences.

J'en arrive à l'autre moyen dont nous disposons pour répondre à ces auteurs de violence : les stages de responsabilisation, qui sont à mon sens une vraie avancée. Dans un premier temps, j'ai d'abord considéré que ces stages présentaient peu d'intérêt, mais j'ai participé à des groupes expérimentaux et j'ai changé d'avis. Tout en les limitant à leur portée sensibilisatrice et informative - on ne change pas une personnalité en seulement trois jours - ces stages permettent d'inciter les auteurs de violences à aller consulter et à faire par la suite un vrai travail sur eux-mêmes.

Toutefois, le système n'est pas parfait, loin de là. Telle structure propose un stage d'une demi-journée - alors que la loi prévoit trois jours - qui coûte néanmoins 300 euros à chaque participant ! Telle autre structure réunit les participants par groupe de vingt : cette pratique est inacceptable. Elle n'apporte rien aux auteurs de violences, voire est improductive en leur donnant des raisons de se sentir encore victimes.

Autre écueil : les stages de responsabilisation qui sont en fait des stages de culpabilisation. Je pense qu'il est inutile de condamner à nouveau les auteurs de violences, au risque de renforcer leur ressentiment, mais bien plus utile de partir de cette condamnation pour formuler de nouveaux objectifs de vie, dont le travail sur soi devrait être une conséquence logique. Pour beaucoup, il est important de reconnaître la nécessité d'une intervention policière et judiciaire pour mettre fin aux violences qu'ils commettaient. L'objectif doit être de leur faire reconnaître que c'est justement l'intervention de la police et de la justice qui a permis d'arrêter cette violence.

Au cours des stages de responsabilisation que nous proposons, nous projetons des films montrant l'effet des violences conjugales sur les enfants qui en sont témoins. La plupart de ces hommes n'avaient aucune conscience de l'effet désastreux de ces violences sur leurs propres enfants et sont le plus souvent étonnés, abasourdis par le constat des conséquences possibles de telles violences. Le renvoi à leur propre enfance est un lien qui peut s'opérer pour repérer les éventuels éléments de répétition transgénérationnelle.

Nous abordons également la question de la prise en considération de la victime, ce que les auteurs de violence ont du mal à faire ou à penser. Beaucoup d'entre eux, lorsqu'ils rencontrent des personnes qui s'occupent de victimes de violence, ont beaucoup de mal à engager le dialogue avec elles. L'intervention de professionnelles en lien direct avec les victimes, centres d'aide ou UMJ par exemple, permet aux auteurs de mieux comprendre au travers des témoignages, paroles et documents apportés, la gravité de leurs actes et le point de vue des femmes, souvent critiqué par eux, tout en portant un regard négatif sur la violence. Cela leur permet aussi se rendre compte de leur responsabilité.

Être responsable, c'est accepter le poids de sa faute quand on franchit un interdit social pour lequel on devrait être sanctionné, mais également peser le dommage infligé à l'autre par l'exercice de sa violence. C'est en assumer l'énonciation, la sanction, voire la réparation. C'est accepter de souffrir en pensant les souffrances de l'autre, reconnaître qu'on en est l'auteur, éprouver, peut-être, les premiers mouvements empathiques à l'égard de cet autre que l'on a blessé et comprendre que ce que l'on a fait n'est pas acceptable.

Nous n'attendons pas d'un homme qu'il nous dise qu'il ne recommencera pas parce qu'il ne veut pas aller en prison. Nous souhaitons qu'il soit capable de compassion, de sollicitude et d'empathie, capable de comprendre que la société a posé un interdit, une limite à la violence et qu'un couple exempt de violence est un progrès vers l'humanisation des relations entre les femmes et les hommes. Rendre responsable ne saurait se résumer à une énonciation de la faute et de la culpabilité.

L'objectif précis de ces stages est de prévenir la récidive, de permettre aux participants d'avancer une réflexion sur les inégalités entre les sexes et sur les stéréotypes, sur les comportements violents et les mécanismes de contrôle et de domination ; les amener à distinguer les différentes formes de violences et les mécanismes qui y conduisent ; les sensibiliser aux risques psycho-sociaux et judiciaires de la violence ; et enfin les sensibiliser aux ressources personnelles, sociales et thérapeutiques qui permettent des évolutions et des changements.

Pour terminer, il me paraît absolument essentiel de distinguer, parmi les auteurs de violences, les « hommes violents » des « hommes auteurs de violence ». L'homme violent proprement dit qui se définit notamment par la structure de sa personnalité où la domination, l'emprise et le sadisme définissent son rapport à l'autre. L'auteur de violences se définit plutôt par sa difficulté à gérer ses émotions et des fragilités psychologiques. Pour les hommes violents, la jouissance et le contrôle sont les moteurs de sa violence, alors que dans le cas des hommes auteurs de violence, on trouve la souffrance à la source de leur violence. Ceux qui souffrent peuvent plus facilement bénéficier d'un travail thérapeutique ou autre.

Mme Annick Billon, présidente. - Je vous remercie pour cet exposé.

Vous avez évoqué trente écoutants dans votre permanence, qui répondent aux appels de 9 heures à 19 heures. Vous avez aussi évoqué des situations d'urgence nécessitant des réponses rapides. Or nous savons que la nuit est propice aux comportements violents. Envisagez-vous d'élargir ces plages d'écoute ?

Vous nous avez indiqué procéder à un point hebdomadaire de l'activité de cette ligne d'écoute. Pouvez-vous nous éclairer sur la répartition géographique de ces appels, et comment se répartissent les efforts de la FNACAV sur les territoires, en métropole et en outre-mer ?

Mme Dominique Vérien. - Pour m'être rendue dans des prisons où étaient enfermés des auteurs de violences sexuelles, j'ai pu constater que, même s'ils ne sont pas volontaires au départ, le fait d'être amenés à effectuer des stages les pousse à une réflexion, ce qui est positif.

Je voudrais revenir sur les appels que vous recevez et vous poser également la question de la répartition géographique des appels et de la manière dont vous orientez les personnes qui vous contactent. Avez-vous des relais dans chaque département, de façon à ce que ces personnes soient prises en charge le plus rapidement possible ? Je souhaiterais également savoir si, parmi ces appels, certains concernent des violences sur des mineurs ? Si c'est le cas, comment orientez-vous ces appels ?

M. Alain Legrand. - Nous ne sommes pour le moment pas en mesure d'établir des statistiques par origine géographique. Nous avons reçu entre 120 et 150 appels en une quinzaine de jours. Nous ne pourrons établir de statistiques sur la provenance des appels que lorsque les opérateurs téléphoniques nous feront remonter les chiffres.

Sur la question de l'orientation des personnes qui nous appellent, il y a des renvois vers des structures de prise en charge pertinentes, qu'elles concernent les auteurs de violences, ou qu'il s'agisse de structures ad hoc - addictions, psychiatrie, hôpitaux. Toutes les structures adhérentes à la FNACAV ont des relais départementaux et régionaux vers lesquels peuvent être orientées les personnes qui appellent.

S'agissant des mineurs, les femmes qui nous contactent en ce moment sont plutôt des mères qui se trouvent en difficulté avec leurs enfants. Ce sont des femmes victimes d'un homme violent, qui s'occupent de l'enfant de leur conjoint et qui peuvent être victimes de violences de la part de cet enfant. En revanche, je n'ai pas connaissance d'appels qui concernent des violences faites aux enfants directement.

Mme Françoise Laborde. - Je pense que cette ligne d'écoute pour les auteurs de violences est intéressante pour préparer la suite. Vous dites qu'une obligation de soins permet de commencer à travailler avec l'auteur de violences. Mais nous savons que si l'auteur n'a pas envie de se faire soigner, ce travail n'aboutit pas. Le résultat de ce travail ne dépend-il pas du stade de violence à partir duquel se fait la prise en charge ?

Nous conseillons à nos filles de partir dès la première gifle et d'inciter l'auteur à se soigner. Vous parliez du manque d'estime de soi des auteurs de violences, qui les empêcherait de quitter leur victime : c'est également le manque d'estime de soi qui peut expliquer l'impossibilité pour la victime de quitter son conjoint violent.

Sur les stages de responsabilisation, je pense que la culpabilisation est quand même nécessaire puisque vous nous dites que c'est seulement lorsque l'on montre aux auteurs de violences les incidences qu'elles ont sur leurs enfants qu'ils prennent conscience de la gravité de leurs actes.

En raison de la pandémie actuelle, on a assisté à un certain nombre de sorties de prison. Je suppose que des hommes violents font partie des personnes libérées. Savez-vous combien de ces hommes sont sortis de prison ? Je pense qu'il faudrait mettre en place un accompagnement pour eux.

M. Alain Legrand. - Je ne dispose pas de chiffres à vous communiquer sur le nombre d'hommes auteurs de violences parmi les personnes qui sont sorties de prison. Les structures adhérentes à la FNACAV sont en relation avec les centres pénitentiaires ; ces derniers savent que ces personnes peuvent téléphoner et avoir un suivi. Dans certains cas de figure, l'écoutant peut communiquer son téléphone pour opérer un suivi à distance.

Je reviens sur la question du volontariat. Le dogme en psychothérapie est que si les gens ne sont pas volontaires pour ce travail psychologique, cela ne fonctionne pas. Toutefois, lorsque les soins sont dispensés sous obligation, le temps dont nous disposons nous permet de travailler dans la durée et d'évoluer de la contrainte à la demande de soins, comme le montrent les résultats obtenus dans l'accompagnement des auteurs.

Ces hommes ne sortent pas tous de la violence. Certains vont faire un travail de fond ; pour d'autres, le travail va se limiter à une prise de distance, qui leur permettra d'être un peu plus capables d'anticiper un passage à l'acte et de le prévenir, en allant faire un tour dehors, par exemple, lorsqu'il y a trop de tension. Nous pouvons leur fournir des conseils quant à la façon d'éviter de passer à l'acte, mais c'est à eux de les appliquer, pour autant qu'ils le puissent.

Pour les auteurs de violences, le plus généralement, c'est un débordement émotionnel qui fait que ces personnes n'arrivent plus à penser, passent à l'acte et ne parviennent pas à mobiliser les outils que nous leur avons fournis pour empêcher le passage à l'acte. C'est en cela que les programmes éducatifs ont leur limite.

Pour ce qui concerne le stade de violence et la prise en charge, il existe une forte corrélation entre niveaux de violences, psychopathologie, capacités d'élaboration, types d'actes commis et milieux d'appartenance. Plus que le niveau de violence, c'est la structure de la personnalité et l'engagement thérapeutique qui détermineront les chances d'un travail positif.

Mme Laure Darcos. - Votre plateforme nous intéresse particulièrement en cette période sans précédent. Recevez-vous des appels de conjoints qui n'ont jamais eu de comportement violent avant le confinement mais qui, de par la difficulté de vivre en cercle restreint, vont, par exaspération, avoir un geste violent qu'ils ne reproduiront peut-être jamais ?

Pour ceux, en revanche, que l'on peut définir comme des « psychopathes », savez-vous s'il existe des moyens, des séances de psychothérapie par exemple, qui permettraient de continuer à suivre ces personnes dont l'arrêt des soins peut être dommageable ?

Lorsque vous recevez des appels de personnes violentes, avez-vous les moyens de demander aux forces de l'ordre de les faire sortir du domicile conjugal ? Comment s'opère l'articulation avec les autres organisations territoriales qui pourraient prendre ces personnes en charge pendant le confinement ?

M. Alain Legrand. - En ce qui concerne l'éviction du conjoint violent, nous faisons appel au groupe Solidarité qui propose des hébergements sur tout le territoire. C'est l'écoutant qui met en relation l'appelant avec SOS Solidarité, qui lui trouvera une structure d'hébergement. Il peut arriver que l'on fasse appel à la police mais si nous n'avons pas les coordonnées de la personne qui appelle de façon anonyme, nous n'avons aucun moyen d'intervenir de cette manière.

Les pervers ou les psychopathes ne nous appellent pas et ne consultent pas : cela ne les intéresse pas. Pour eux, il n'y a que la sanction ou la condamnation qui puisse éviter un nouveau passage à l'acte. Pour ceux qui appellent avant le passage à l'acte, c'est le plus généralement parce qu'ils n'arrivent plus à se contrôler, se sentent exaspérés, dans l'urgence. Certains ont ainsi pu demander une solution pour pouvoir partir rapidement.

La majorité des appels que nous recevons concerne essentiellement des violences déjà commises, parfois réitérées.

M. Roland Courteau. - Je regrette que les médias ne fassent pas davantage état de votre travail. Nous devrions réfléchir par quel moyen nous pourrions les inciter à communiquer sur cette plateforme d'écoute.

J'ai lu que sans prise en charge des auteurs de violence, on constate un fort pourcentage de récidive, alors qu'un suivi psychologique permet de faire tomber ce taux à un peu moins de 20 %. Je crois savoir que ces chiffres proviennent de votre fédération. Ils nous permettent de mesurer les effets concrets de cette prise en charge. Dispose-t-on d'études publiques sur ce point ?

Les structures comme la vôtre reçoivent-elles des dotations publiques ; celles-ci sont-elles suffisantes ?

Le Docteur Coutanceau a défini différents profils-type chez les auteurs de violences, notamment les immatures et les paranoïaques. Tous sont vulnérables et susceptibles d'être réceptifs à des prises en charge. Qu'en est-il des « pervers narcissiques » : sont-ils réceptifs à des soins ?

Y a-t-il lieu de généraliser le développement des places d'hébergement pour les auteurs de violences, qui aident à mettre la victime à l'abri et facilitent les soins sur l'auteur des violences ?

Plus de 60 % des personnes prises en charge par des associations comme la vôtre continuent leur vie de couple. Ces pourcentages vous paraissent-ils satisfaisants ? Est-il arrivé que surviennent des cas de récidive malgré cette prise en charge ?

M. Alain Legrand. - Oui bien sûr, la prise en charge ne suffit pas à chaque fois à arrêter la violence. Dans la plupart des cas, la prise en charge permet de faire cesser les violences physiques, mais pas forcément les violences psychologiques. Pour certaines personnes, les insultes font partie de la vie « normale » car elles ont été construites comme cela et continuent de la même façon dans leur propre famille.

Le terme de « pervers narcissique » ne me satisfait pas totalement et il est particulièrement difficile de traiter ces cas. Certaines personnes ont des éléments de perversité qui se réfèrent à la jouissance dont j'ai parlé. En revanche, lorsque la totalité de la structure de la personnalité n'est pas soumise à des processus pervers, il y a moyen de travailler, de mettre en oeuvre une prise en charge.

La catégorisation établie par le Docteur Coutanceau renvoie plutôt à des éléments psychopathologiques liés à des traits de personnalité. Les différentes catégorisations ne sont pour autant pas contradictoires les unes avec les autres, voire se complètent mais pour notre propos, nous avons besoin d'enrichir le registre clinique par des éléments plus articulés aux violences. La distinction entre auteur de violences et homme violent permet de distinguer ceux avec qui nous avons le plus de chance de pouvoir travailler. En ce sens, le caractère pervers est une contre-indication à un travail thérapeutique.

L'auteur de violences ne peut pas être réduit à sa violence. Il est capable d'amour, de compassion, de sympathie et d'empathie, l'empathie étant un des plus grands freins à la violence : quand vous avez mal pour l'autre, vous ne pouvez pas lui faire de mal (sauf dans un seul cas de figure, qui est le sadisme). Il y a beaucoup de sadisme chez les hommes violents. Les registres de la domination et de l'emprise sont toujours liés au sadisme et à la haine.

L'auteur de violences ne s'inscrit pas dans le registre de la dévalorisation systématique de l'autre, il ne se situe pas dans ce registre de violence sadique, mais dans celui de l'agressivité. Sa violence reste limitée, même si ses actes agressifs peuvent revêtir un caractère dangereux. Sa violence est plutôt contextuelle : elle renvoie souvent à une perte de contrôle liée à des fragilités psychologiques - le manque de confiance en soi et l'angoisse de l'abandon étant les plus communes. Ce qui conduit ces hommes à la violence, c'est leur propre souffrance et leur tendance à « rendre le mal pour le mal », ce qui fait baisser la tension, mais c'est seulement pour quelques instants...

L'auteur de violences base sa relation à l'autre sur le besoin situé dans le registre du vital (« si l'autre n'est pas avec moi, je vais mourir »), et non pas dans celui du désir, où l'autre peut exister indépendamment de soi. Nous allons donc travailler sur cette notion d'attachement et ces angoisses d'abandon, de perte d'amour, qui sont des angoisses archaïques sous-jacentes motivant la violence.

Chez les hommes violents, la violence est permanente. L'homme violent n'a pas besoin d'exprimer sa violence physiquement. Il lui suffit d'un regard pour terroriser sa victime. On retrouve souvent chez ces hommes des personnalités narcissiques, psychopathiques ou perverses. La violence fait partie intégrante de leur façon d'être, elle n'est pas contextuelle mais structurelle. C'est leur sentiment de toute-puissance et de jouissance qui les pousse à mépriser l'autre, à le contraindre et à l'assujettir. Nous n'avons malheureusement aucun moyen d'action sur ces comportements, sinon d'enfermer les auteurs pour éviter qu'ils ne fassent du mal à l'autre.

Notre structure était l'année dernière au bord de la fermeture. Du fait du Grenelle, nous avons été enfin entendus et nous avons reçu des moyens pour exister. Aujourd'hui, la Fédération opère en partenariat avec le ministère de la justice et le secrétariat d'État à l'égalité entre les femmes et les hommes. Certains mouvements contestent notre action et les moyens financiers qui nous sont attribués, car ces structures considèrent comme essentielle l'aide aux victimes. Elle est essentielle mais insuffisante, et j'objecterai que 60 000 euros pour sauver ne serait-ce qu'une femme, ce n'est pas excessif !

Je ne sais pas quels vont être nos moyens par la suite, mais je suis confiant. Nous allons vraisemblablement pouvoir engager des actions à l'échelle nationale. Il y a des disparités importantes sur tout le territoire : certaines structures n'interviennent qu'auprès des justiciables, certaines régions ne disposent d'aucune structure... Il y a du travail en perspective !

La question de l'hébergement des auteurs de violences reste prégnante. Certains se retrouvent à la rue, parfois sans papiers, ce qui peut les entraîner à considérer qu'ayant tout perdu, ils n'ont plus rien à perdre. Pour éviter ces situations désespérées et désespérantes, il faut proposer des hébergements ; cela me semble très important pour prévenir les situations de violence et les féminicides. Car c'est, dans la plupart des cas, la non-acceptation de la séparation qui conduit au féminicide. Notre réponse permettra peut-être d'éviter de tels drames.

Mme Françoise Laborde. - En ce qui concerne l'hébergement des auteurs de violences, je suis d'avis qu'il est parfois préférable que la victime parte, car elle ne peut pas toujours assumer le loyer, ou plus simplement parce qu'elle ne veut pas demeurer avec ses enfants dans un lieu chargé de mauvais souvenirs. Je suis d'accord avec vous sur le fait que si, grâce à un travail effectué sur les auteurs de violences, on peut éviter des féminicides, alors il faut le faire. Il est souhaitable, par conséquent, de travailler avec les victimes et avec les auteurs de violence.

En revanche, le problème de l'emprise m'incite à la plus grande réserve s'agissant de la thérapie de couple dans le contexte de violences, sauf si vous avez de bons arguments pour me convaincre de son efficacité.

M. Alain Legrand. - Lorsque nous avons à faire à des hommes dont la violence est structurelle, la thérapie de couple doit être à tout prix évitée, je suis d'accord avec vous. Ce sont des hommes manipulateurs, qui savent jouer avec les failles de la victime. De mon point de vue, il ne devrait pas y avoir de thérapie de couple pour ce genre de cas sauf si le conjoint violent, parallèlement au travail effectué en thérapie de couple, effectue parallèlement un travail personnel sur sa violence.

Mme Victoire Jasmin. - Nous avons en Guadeloupe deux associations qui ont conclu des conventions avec le procureur de la République pour organiser les stages de responsabilisation que vous avez évoqués. L'une de ces deux associations, Forces, s'occupe, depuis quatre ans déjà, des auteurs de violences, car il y a malheureusement beaucoup de violences intrafamiliales et conjugales en Guadeloupe. La prise en charge se passe en groupe de douze personnes et pour trois jours de stage le prix est de 200 euros. Une organisation similaire existe à la Martinique.

L'une des difficultés identifiées depuis le début du confinement est qu'il n'y a pas de possibilité d'éviction du conjoint violent. Une autre difficulté est l'arrêt, du fait de la crise sanitaire période, des stages de responsabilisation.

L'association Forces ne peut plus faire fonctionner son accueil de jour mais le relais téléphonique a été réorienté vers une psychologue et une assistante sociale, de manière à ce qu'il y ait une possibilité de prise en charge à distance. D'après la gendarmerie, il y a eu, depuis le début de la crise sanitaire, beaucoup de situations compliquées. Un auteur de violences a été emprisonné et d'autres ont fait l'objet de comparutions immédiates. Nous manquons toutefois de données précises.

L'initiative de l'ouverture de la ligne d'écoute que vous gérez n'a pas fait l'objet de publicité, ni en Guadeloupe, ni en Martinique. L'aide s'y fait au niveau local ; le décalage horaire avec la métropole n'aide pas !

M. Alain Legrand. - Le décalage horaire est effectivement problématique, de même que le manque de moyens et de structures concernant les auteurs.

L'arrêt des stages de responsabilisation est également une difficulté au regard de nos objectifs et des moyens dont nous disposons. Mais il me semble plus important qu'au-delà des stages, un suivi soit proposé.

L'idée forte de ces stages de responsabilisation est « d'ouvrir des portes » chez ces auteurs de violences. Que font-ils ensuite ? Vont-ils consulter un psychologue ? Que font-ils dans les territoires dépourvus de structures pour leur proposer un suivi ?

Avant la mise en place d'une prise en charge dans des structures spécialisées, les auteurs de violences avaient trois possibilités de consultation :

- celle d'un psychiatre, qui donnait lieu à une prescription quasi systématique de Prozac, ce qui ne servait pas à grand-chose et pouvait même induire, chez certains patients, des comportements agressifs ;

- celle d'un psychanalyste, avec qui le dialogue était difficile car ces personnes ont « besoin » au départ d'être soutenu dans l'exercice de la parole, ce qui ne correspond pas au protocole psychanalytique ;

- et le suivi par un psychologue, notamment ceux qui pratiquent des méthodes basées sur le positivisme ou le comportementalisme, qui se sont avérées peu efficaces.

La FNACAV a, pour sa part, mis en place une formation pour des intervenants de terrain spécialisés dans le suivi des auteurs de violences conjugales.

Mme Annick Billon, présidente. - Le confinement génère des problématiques nouvelles, auxquelles la lutte contre les violences doit s'adapter. Mais par ailleurs, il semble avoir permis que des moyens supplémentaires vous soient attribués. Pouvez-vous nous en indiquer le montant ? Vous avez parlé de trente écoutants : imaginez-vous ces moyens perdurer après la sortie du confinement ? Avez-vous chiffré tous vos besoins pour venir en aide aux auteurs de violences et aux hommes violents ?

M. Alain Legrand. - Nous poursuivrons sans doute cette permanence après le déconfinement, mais avec un nombre d'écoutants probablement réduit. Nous sommes en train de réfléchir à des horaires d'écoute plus étendus ; nous savons que la nuit est propice à des violences graves.

Mme Annick Billon, présidente. - Votre association, et d'autres, sont en contact avec des personnes qui sont susceptibles passer à l'acte. Dans ces circonstances, vous arrive-t-il d'effectuer des signalements d'appelants ?

M. Alain Legrand. - Nous le faisons dans la mesure du possible, notamment en cas de maltraitances à enfants ou de viol.

Mme Annick Billon, présidente. - Les écoutants qui envisagent que la personne au téléphone pourrait passer à l'acte ont-ils une obligation de signalement ?

M. Alain Legrand. - Si on ne le fait pas, il s'agit de non-assistance à personne en danger. Mais si nous n'avons ni le nom ni le numéro de téléphone de la personne qui appelle, cette démarche est difficile. Certaines personnes ne nous appellent qu'à la seule condition que l'on garantisse leur anonymat. Nous sommes dès lors face à un cas de conscience mais nous pensons qu'il vaut mieux que cette personne appelle, même si nous ne pouvons pas faire de signalement.

Mme Annick Billon, présidente. - Sans signalement, il me semble que nous n'arriverons pas à lutter contre les terribles statistiques de féminicides...

Vous avez évoqué la prise en charge d'un certain nombre de nuitées d'hôtel pour évincer de leur foyer des auteurs de violences. Comment ces dépenses sont-elles imputées sur votre budget ?

M. Alain Legrand. - Dans le cadre du confinement, l'hébergement des auteurs de violences passe par le groupe Solidarité. Notre budget est destiné à la seule organisation de la permanence téléphonique.

Mme Dominique Vérien. - Dans l'Yonne dont je suis élue, nous relogeons les hommes auteurs de violences et il leur revient d'acquitter le prix de la chambre ou du foyer. Notre idée est de les responsabiliser : cela passe par le paiement de leur loyer.

M. Alain Legrand. - Le plan que nous avons élaboré avec le secrétariat d'État à l'égalité entre les femmes et les hommes prévoit que les auteurs de violence payent, même a minima, leur prise en charge, y compris thérapeutique.

Mme Annick Billon, présidente. - Je vous remercie, Monsieur le président, pour votre disponibilité et pour cet échange. L'expérimentation de cette ligne d'écoute pendant cette période de confinement est évidemment intéressante, elle fait partie des outils à mettre en place dans la lutte contre les violences conjugales ou intrafamiliales, sans pour autant que cela conduise à négliger les moyens indispensables aux victimes. Nous serons intéressés par les statistiques que vous aurez pu établir en termes de répartition géographique et sur la réussite de cette écoute.

Merci à tous.