Mardi 12 mai 2020

- Présidence de M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office -

La visioconférence est ouverte à 17 h 10.

Audition de M. Guillaume Poupard, directeur général de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI)

M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office. - Je souhaite la bienvenue à M. Guillaume Poupard, directeur général de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI). Cédric Villani, qui est physiquement présent dans la même salle que M. Poupard, animera cette réunion à laquelle les autres membres de l'Office participent à distance.

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Chers collègues, cette audition de M. Guillaume Poupard, directeur général de l'ANSSI, portera sur le développement de l'application française de traçage numérique, couramment appelée StopCovid. Nous avons eu l'occasion d'aborder ce sujet à plusieurs reprises au sein de l'Office, et j'ai fait devant vous des points réguliers le concernant. Cependant, il était indispensable, pour éclairer la représentation nationale et les citoyens, d'entendre un expert nous éclairer sur les questions clés de sécurité informatique.

Monsieur Poupard, peut-être pouvez-vous d'abord expliquer en quelques mots les fonctions de l'ANSSI, puis dresser à grands traits la chronologie du projet StopCovid, la façon dont il est né et dont il s'est développé. Nous souhaiterions en particulier aborder les questions suivantes. Qui le développe, comment et selon quel protocole ? Avec quel degré de publicité ? Quels sont les potentiels conflits d'intérêts ? Quels enjeux se posent en relation avec la protection de la vie privée ? Quel est le rôle de l'ANSSI dans le développement du projet ? Quelle est la situation actuelle du développement, aussi bien du point de vue français qu'international ?

Cette audition un peu particulière se tient au tout début de la sortie progressive du confinement, alors que l'Assemblée nationale et le Sénat ne peuvent pas encore accueillir d'auditions physiques par leurs organes en formation plénière compte tenu des contraintes sanitaires qui subsistent. L'audition fait l'objet d'une captation vidéo visualisable sur Internet à toutes fins utiles, en tant que document susceptible d'éclairer le débat.

M. Guillaume Poupard, directeur général de l'ANSSI. - Je suis directeur général de l'ANSSI, autorité nationale chargée de la défense et de la sécurité des systèmes d'information, placée auprès de la secrétaire générale de la défense et de la sécurité nationale. Le rôle de l'ANSSI est de traiter de manière verticale les sujets liés à la cybersécurité, en particulier ceux qui concernent les structures les plus critiques pour la nation, qu'elles soient publiques ou privées. Par conséquent, l'ANSSI doit faire de la prévention dans le domaine cyber, opérer la régulation, détecter les attaques et aider les victimes. À l'inverse, nous n'intervenons pas dans le domaine offensif ni dans celui du renseignement. Nous ne sommes pas un service de police ni un service enquêteur, mais plutôt une structure d'experts assez fournie - dans laquelle travaillent aujourd'hui plus de 600 personnes - capable de porter les sujets cyber pour l'ensemble de la nation.

L'application StopCovid vise à tracer les contacts à risque dans le cadre de la crise sanitaire. L'ANSSI n'a pas d'avis à faire valoir sur un certain nombre de sujets : intérêt sanitaire du traçage, paramétrage et utilité de l'application, niveau d'acceptation pour qu'elle fonctionne, etc. Globalement, le pari consiste à développer une telle application pour constater si, une fois en circulation, elle trouve un cas d'usage ou non. Tout en restant dans mon rôle, il me paraît néanmoins important de noter qu'une telle application de traçage de contacts n'est pas anodine, ainsi que l'ont rappelé tous les défenseurs des libertés. C'est pourquoi il est hors de question d'en faire un outil de renseignement et de contrôle des populations. Il est essentiel de prendre garde à ce point, car tout traçage des contacts pourrait rapidement entraîner des dérives s'il était mal opéré.

En définitive, ma position est assez simple : l'outil n'est pas anodin et si son utilité n'est pas avérée, il ne faudra pas le mettre en circulation. Disant cela, c'est davantage le citoyen qui s'exprime. En revanche, si l'utilité d'une telle application est avérée dans le cadre d'une pandémie, un certain nombre de précautions s'imposeront dans le choix des protocoles. En effet, de nombreux choix sont assez dimensionnants, de nature à conserver l'utilité de l'application tout en limitant les risques en termes de sécurité numérique et sur les libertés individuelles.

S'il est décidé de développer et d'utiliser l'application, la première remarque est que le capteur intéressant pour réaliser le traçage est le smartphone, que nous sommes nombreux à posséder. Nous l'avons très souvent sur nous, notamment lorsque nous prenons les transports en commun. Il peut donc s'agir d'un usage pertinent, rappelé par le Premier ministre il y a quelques jours. Lorsque deux smartphones arriveront à proximité suffisamment étroite - un mètre - pour une durée suffisamment longue - quinze minutes - on pourra considérer qu'il existe un risque sanitaire. Dans ce cas, il faudra prévenir les personnes qui auront été en contact avec un malade, qui lui-même ne se savait pas tel à ce moment-là.

Pour estimer la proximité entre deux personnes sur la base de l'usage de leur téléphone portable, il existe deux techniques possibles. Le positionnement GPS a été écarté dès le départ car beaucoup trop intrusif. En effet, la seule information nécessaire en termes de santé publique est de savoir si une personne à risque était proche à un moment donné, et ce quel que soit l'endroit où il se trouvait. En cela, le GPS fournit beaucoup trop d'informations, dont un certain nombre sont dénuées d'intérêt pour la finalité poursuivie. La deuxième technique possible, retenue par toutes les expérimentations sérieuses, est le Bluetooth, protocole conçu pour raccorder divers équipements sans fil au téléphone ou à une tablette. Il s'agit d'un protocole radio ayant pour caractéristiques de fonctionner uniquement à courte distance. C'est précisément ce qui nous intéresse, mais il faut être conscient que le Bluetooth n'a pas été conçu pour l'utilisation que nous envisageons aujourd'hui. Par conséquent, le travail de l'ingénieur consiste à transformer le capteur de communication en capteur de mesure de proximité avec d'autres smartphones.

Nous avons donc opté pour ce système car il n'y a pas d'autre voie.

Une application de traçage n'aura de sens que si elle est utilisée par nos concitoyens, à charge pour les autorités d'en faire comprendre l'intérêt. Celui-ci est probablement réel, mais il n'est pas facile à expliquer, de sorte qu'une véritable pédagogie sera nécessaire. C'est pourquoi il m'apparaît que ce travail ne devra pas être mené uniquement par des ingénieurs, pour avoir une chance de succès. La confiance sera essentielle, ce qui renforcera la nécessité d'explications. La communication étant un véritable métier, l'équipe projet y travaille d'ores et déjà. Si 10 % seulement des personnes téléchargeaient l'application, le résultat épidémiologique n'aurait pas grand sens. C'est d'ailleurs ce qui s'est produit à Singapour, premier pays qui a lancé une telle expérimentation : le taux d'adhésion volontaire des citoyens n'y a pas dépassé 10 à 15 %. C'était bien trop peu pour obtenir un véritable résultat.

Nous sommes nombreux à considérer que l'utilisation doit reposer sur le volontariat, car la coercition ne serait pas une bonne méthode. En tout état de cause, ce n'est absolument pas la piste ouverte aujourd'hui.

Une fois ceci précisé, comment réaliser une telle application ? Sur quels protocoles s'appuyer ? Quels sont les risques pris ?

L'idée d'une solution parfaitement anonyme qui protégerait l'ensemble des données tout en ne fournissant que l'information signifiante (avoir été en contact avec un cas à risque) n'est pas atteignable. Ce n'est pas une critique contre tel ou tel protocole, mais il faut être conscient qu'aucune solution actuelle ne garantit un anonymat parfait. Pour s'en convaincre, il est possible d'imaginer divers scénarios. Par exemple, une personne confinée chez elle, qui aurait pour tout contact hebdomadaire une aide-ménagère, saurait immédiatement en cas d'alerte de la part du système, que la personne présentant un risque est l'aide-ménagère. Par conséquent, quels que soient le soin apporté au protocole et la qualité de la sécurité numérique, des fuites d'information sont susceptibles de se produire. L'anonymat parfait ne peut être garanti, mais cela signifie-t-il pour autant qu'on ne peut rien faire ? Tel est l'enjeu, qui ne peut relever que du choix politique.

Les seules solutions acceptables sont celles qui conduisent à ne pas publier la liste des malades et à ne pas communiquer d'informations sur le graphe des interactions sociales, afin d'éviter leur utilisation à d'autres fins que celles prévues. Pour pallier toute dérive, l'effort politique reposera sur la maximisation de la protection des libertés, en suivant les recommandations de la Commission nationale informatique et libertés (CNIL), de l'Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (INRIA), du Conseil national du numérique et de l'ANSSI. De même, au niveau européen, une boîte à outils publiée dès le début du processus, pourrait être utile. Si toutes ces recommandations sont suivies, nous pourrons arriver à une solution acceptable. Encore une fois, il ne m'appartient pas d'en décider car il s'agit d'un choix politique.

Si l'on entre dans le détail du fonctionnement, quelles que soient les applications, le schéma de départ est toujours similaire. Il convient tout d'abord d'installer l'application sur le téléphone. Celui-ci commence à émettre des « pseudonymes temporaires ». Ce n'est pas le nom du possesseur du téléphone qui est émis, ni son numéro de téléphone, mais des identifiants non signifiants permettant de faire le lien entre eux et une identité plus fixe. Tous les systèmes fonctionnent ainsi.

Si une personne se déclare malade (étant observé que plusieurs choix de déclaration sont possibles, celle-ci pouvant émaner du porteur lui-même ou d'un médecin), l'idée est de prévenir les personnes avec lesquelles elle a été en contact rapproché suffisamment longtemps, durant les quatorze jours précédents. Pour ce faire, deux approches se dessinent, dénommées avec des termes qui ne plaisent pas mais qui sont aujourd'hui consacrés : l'approche centralisée et l'approche décentralisée.

La première est l'approche française, choisie par les experts de l'INRIA, qui l'ont jugée être la plus efficace. Concrètement, cela signifie que le smartphone de la personne malade transmet à un serveur central de confiance (en principe piloté par l'autorité de santé) des informations permettant d'alerter les personnes contacts. Dans le cadre centralisé, seront transmis les pseudonymes temporaires des personnes croisées durant les quatorze derniers jours. Le cadre décentralisé met en place la procédure inverse : la personne malade envoie ses propres pseudonymes.

Le choix entre approche centralisée et approche décentralisée est très dimensionnant. Dans le cadre implémenté en France, avec le protocole de l'INRIA dénommé « Robert », le serveur central piloté par l'autorité de santé reçoit les pseudonymes des personnes à risque, dont les téléphones rechercheront régulièrement si une alarme est émise. Le principal défaut de ce système tient à la nécessaire confiance devant entourer le serveur central. En effet, un tel modèle développé dans un État totalitaire pourrait être détourné, pour en faire un outil de traçage des populations.

Néanmoins en France, il peut être vérifié que la construction du serveur central est suffisamment précautionneuse, et que ce serveur ne sera pas détourné pour être utilisé à d'autres fins. De plus, l'ANSSI joue pleinement son rôle pour s'assurer que le serveur est sécurisé au sens informatique du terme. Si toutes les conditions de sécurité et de confiance sont réunies, l'outil ainsi élaboré est assez robuste. Il présente en outre l'avantage de permettre de récolter de l'information anonyme très intéressante à des fins épidémiologiques à grande échelle, pour mieux comprendre comment se propage le virus. L'autre avantage d'une telle approche est de réguler les alertes émises.

Lorsque StopCovid sera utilisé dans une rame de métro, le paramétrage fin de l'application sera intéressant à réaliser. En cela, un modèle centralisé, capable d'être corrigé en permanence en fonction de la réalité, est particulièrement adapté. Je reviendrai plus tard sur les coopérations dont nous aurons besoin avec les géants du numérique que sont Apple et Google, pour parvenir à nos fins.

Dans le strict champ de la sécurité numérique, l'application installée sur les téléphones devra être bien conçue, « propre » et de confiance, c'est-à-dire bien développée et auditée.

Les experts de l'ANSSI travaillent actuellement à auditer le code afin de s'assurer qu'il remplit son usage de façon correcte, et uniquement cet usage. Il faudra aussi publier le contenu de l'application, pour que chacun vérifie - les experts indépendants en particulier - que tout est bien fait. À l'heure où je vous parle, les premiers codes sources de l'application sont en voie de publication par l'INRIA : ils sont rendus librement disponibles sur internet afin que chacun puisse en examiner le contenu. Les experts indépendants, qui sont parfois très critiques sur ce type d'applications, pourront ainsi opérer toutes les vérifications qu'ils souhaitent et éventuellement suggérer des améliorations. C'est la logique même de l'open source, qui permet d'associer la communauté des développeurs pour faire progresser les fonctionnalités et le système.

Je souhaiterais également que nous fassions appel à du bug bounty (« chasse aux bugs »), ce qui consiste à mobiliser des hackers - qui savent attaquer les systèmes pour la bonne cause - pour qu'ils trouvent des failles moyennant récompense. Cette démarche permet de ne pas rester dans l'entre soi des experts étatiques et d'associer la communauté afin de créer de la confiance.

Enfin, tant que l'application sera utilisée, la sécurité devra être suivie. Il s'agira, dès que d'inévitables bugs surviendront, de les corriger.

Du côté du serveur central, il conviendra également d'être très transparent et de donner un accès à toutes les personnes souhaitant pratiquer un contrôle.

Dans les systèmes décentralisés, il n'est pas possible de réguler l'émission des alertes ni, en fait, d'être totalement décentralisé. En effet, il est difficile de se passer d'une forme d'autorité qui, à la fin, décidera qui est un cas à risque ou non. Tous les pseudo-identifiants émis seront rendus publics, pour que chacun vérifie s'il a croisé un identifiant à risque. En quelque sorte, nous confions à nos téléphones le choix de faire cette régulation et de prendre la décision médicale et épidémiologique. Or, il ne s'agit pas réellement de nos téléphones, mais de ceux d'Apple et de Google. Je le rappelle sans aucune animosité. Par conséquent, tout choix d'un modèle décentralisé doit être fait en ayant conscience qu'il donne un rôle épidémiologique et médical à Apple et Google, qui s'y préparent. Ainsi, les prochaines versions de leurs systèmes d'exploitation intègreront des capacités de traçage de contacts à risque.

La France a fait le choix de ne pas emprunter cette voie, car l'État doit rester à la manoeuvre, et ne pas mettre ce sujet dans les mains des géants numériques extra-européens. Nous n'avons pas de défiance a priori, mais considérons que ce serait un vrai risque d'abandonner notre souveraineté.

En définitive, savons-nous faire une telle application ? A-t-elle une chance d'aboutir ? Sur les téléphones équipés d'Android, nous sommes assez confiants sur le fait que l'application fonctionnera car l'accès au Bluetooth est aisé. En revanche, tel n'est pas le cas avec l'iPhone. Pour de très bonnes raisons de sécurité, Apple produit des solutions volontairement fermées, qu'il est difficile d'utiliser sans son autorisation. J'insiste sur le fait que si Apple empêche toute utilisation de ses solutions, c'est pour de bonnes raisons. Toutefois, sans la coopération d'Apple ou, pire, face à son opposition, l'application StopCovid ne fonctionnera pas. Plus prosaïquement, si Apple ne souhaite pas référencer l'application dans son Store, il lui sera loisible de nous opposer un refus.

Quoi qu'il en soit, nous sommes convaincus qu'il était important de passer par une approche centralisée, pour ne pas laisser Apple et Google mener le travail à notre place. À l'inverse, dans le modèle décentralisé, Apple et Google seraient en première ligne pour maîtriser l'intégralité du dispositif.

La France a toujours été claire sur ses principes, mais dans d'autres pays européens l'attitude est différente. Certains considèrent depuis le début qu'il faut laisser agir Apple et Google, qui sont déjà présents dans des champs multiples. D'autres ont changé d'avis, à l'instar de l'Allemagne. En revanche, comme nous, les Britanniques sont en passe de retenir une approche centralisée. Tous les choix ne sont pas encore tranchés à l'échelle européenne, mais nous souhaiterions que toutes les applications soient compatibles pour être capables de fonctionner ensemble. Dans un déconfinement plus avancé, où la circulation en Europe serait rétablie, il serait intéressant en effet de repérer les contacts, même entre personnes de nationalités différentes.

Je termine en insistant sur la notion de souveraineté. Je suis inquiet, en tant que citoyen, de voir les géants du numérique avancer sur les sujets de santé. Ils savent ce que nous mangeons, ce que nous lisons, ils connaissent notre sommeil... Si nous leur confions demain des sujets de santé, des conflits d'intérêt vont apparaître. Que se passerait-il si Apple décidait demain d'être présent dans le domaine de l'assurance-santé ? Cet acteur sait tout de nous. Apple pourrait prendre le parti d'assurer uniquement les personnes en bonne santé, et refuser d'assurer les autres. Dans ce modèle, l'ensemble du système mutualiste serait mis à mal. Il faut conserver ce sujet en tête, même s'il nous écarte de StopCovid. Nous sommes nombreux à être inquiets et à nous méfier. L'État doit rester un acteur de confiance, comme c'est le cas en France. Les acteurs du numérique américains, même s'ils ont une bonne image, ne doivent pas remplacer l'État.

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - On pourrait imaginer qu'une nuance soit introduite par un recours au GPS, sans que l'information de localisation absolue soit conservée. Cela pourrait-il fonctionner ? Est-ce trop sensible par rapport à la question des libertés publiques ?

M. Guillaume Poupard. - Si l'on pousse la logique du traçage à l'extrême, plus les informations recueillies seront nombreuses, plus les épidémiologistes auront de facilité à retracer les cas contacts. L'enjeu de StopCovid est de savoir jusqu'où aller. Nous pourrions aller plus loin avec le GPS, mais les données personnelles ne seraient plus protégées, ce qui pourrait aboutir à de graves conséquences. De ce fait, alors qu'il serait difficile d'expliquer son intérêt aux utilisateurs, l'utilisation du GPS serait trop risquée car elle montrerait un rapport coût-bénéfice peu favorable.

Le cas d'usage sur lequel nous devons réfléchir est celui de la rame de métro. Si une personne se trouve malade, l'enquête épidémiologique conduite au bureau, chez elle ou dans un cercle amical permettra de déterminer l'ensemble de ses contacts mis en risque. En revanche dans le métro, l'identification des contacts est impossible, et le GPS apparaît inutile. C'est la raison pour laquelle le Premier ministre a cité cet exemple.

La solution la plus appropriée réside donc dans un Bluetooth bien calibré.

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Les dénominations « système centralisé » et « système décentralisé » sont malheureuses mais correspondent à l'usage désormais établi. Dans l'état de développement actuel, quel système peut être considéré comme plus sûr que l'autre, et par rapport à quel type d'attaque raisonnable ?

M. Guillaume Poupard. - La solution centralisée nécessite que le serveur centralisateur soit absolument digne de confiance. Pour cela, il ne doit pas être attaqué et il doit être bien protégé. Le grand avantage de cette approche est de réduire le périmètre à sécuriser. Cependant, nous ne prétendons pas qu'il n'y a aucun risque. C'est pourquoi l'ANSSI sera extrêmement vigilante et veillera à ce que le serveur soit très bien protégé, à l'instar d'autres systèmes sensibles. Dans une version dite décentralisée, il y a une couche d'opacité non maîtrisée, c'est-à-dire en substance les fonctionnalités directement implémentées par Apple et Google. De surcroît, tous les risques apparaîtront lorsque les téléphones seront attaqués. En d'autres termes, l'ANSSI prétend être capable de sécuriser un serveur, mais elle n'est nullement en mesure de faire de même avec les téléphones de nos concitoyens - ce n'est pas non plus dans nos missions.

Nous savons que le serveur centralisé sera une cible pour les attaquants de haut niveau qui voudront accéder aux informations stockées, ainsi que pour tous ceux qui entendront créer la confusion. Pour autant, nous sommes en mesure de nous y préparer, car c'est partie intégrante de notre métier.

L'INRIA étudie actuellement une troisième voie qui combinerait les avantages du centralisé et du décentralisé. Il s'agirait d'éviter d'accorder une trop grande confiance au serveur central, tout en bénéficiant des capacités de régulation et d'usage épidémiologique permises par la solution centralisée. Ces travaux ne sont pas encore achevés, mais ils ouvrent une piste intéressante autour d'un protocole dénommé « Désiré », qui pourrait s'avérer fédérateur. Si le protocole « Robert » était implémenté par un pays totalitaire, on pourrait comprendre qu'Apple et Google refusent de coopérer. En France, bien évidemment nous ne sommes pas dans cette situation. Il est cependant concevable qu'Apple et Google ne souhaitent pas jouer les arbitres entre les pays totalitaires et ceux qui ne le sont pas. L'avantage du protocole « Désiré » est qu'il évite le risque de détournement par des pays totalitaires, de sorte qu'il n'aurait pas de raison d'être refusé par Apple et Google, sauf s'ils avaient des arrière-pensées.

Tel est l'état actuel de la réflexion. Cette piste est intéressante mais ne sera pas implémentée dans StopCovid, qui sortira le 2 juin prochain. Elle pourrait fonder une évolution intéressante de ce type d'application si elle permettait d'obtenir davantage de coopération de la part d'Apple et Google.

M. Patrick Hetzel, député. - Merci pour ces informations très claires. Ma première question concerne l'orientation prise par l'Allemagne. Manifestement dans un premier temps, ce pays avait décidé de se diriger vers une formule décentralisée, laissant le champ libre à Google et Apple. Aujourd'hui, il semble revenir en arrière. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

Par ailleurs, vous évoquez cette troisième voie, dite « Désiré ». A-t-on une visibilité sur l'arrivée potentielle de cette solution, d'un point de vue technique ?

M. Guillaume Poupard. - Initialement, les Allemands se sont dirigés vers une approche centralisée, similaire à celle de l'INRIA et coordonnée avec les experts de cet organisme. Par la suite, une campagne médiatique pas toujours honnête a opposé les tenants de la centralisation à ceux de la décentralisation. Sans que l'on sache précisément qui était à l'origine de cette campagne, on imagine bien à qui elle a pu bénéficier, d'autant qu'elle a tiré parti d'une certaine forme de confusion dans la communauté scientifique. Dans ce contexte, l'Allemagne a alors souhaité promouvoir un système décentralisé. Cependant, les Allemands se rendent compte peu à peu des désavantages d'un tel système en termes d'efficacité et de perte de souveraineté vis-à-vis de Google et Apple. Aujourd'hui, nul n'est capable de prévoir quelle sera la solution définitivement adoptée en Allemagne. Un autre avantage de « Désiré» est qu'il permettrait à tout le monde de sortir de ce débat par le haut.

Cela étant, le 2 juin, c'est bien le protocole « Robert » qui sera implémenté, et non « Désiré ». Une pression maximale repose sur les équipes de l'INRIA et les équipes de développement - qui incluent d'ailleurs des équipes de sociétés privées. Les personnes qui travaillent sur cet ensemble sont de haute qualité. La pire des décisions serait de développer trop rapidement une solution inaboutie, qui occasionnerait de vrais problèmes de sécurité, ou pourrait même ne pas fonctionner. « Désiré » est une belle idée, mais il faut s'assurer techniquement de son caractère implémentable et de sa sécurité d'ensemble.

Finalement, il m'apparaît nécessaire de conserver à court terme le protocole « Robert », tout en gardant une vigilance sur « Désiré ». S'il est ensuite possible d'embarquer les autres pays européens tout en bénéficiant d'une meilleure coopération d'Apple et Google, nous aurons atteint notre objectif. J'insiste sur le fait qu'une décision politique consistant à nous mettre la pression pour implémenter « Désiré » le 2 juin serait une erreur.

M. Jean-François Eliaou, député. - Je ne suis pas informaticien mais médecin et député. Je suis préoccupé, actuellement, par la une éventuelle reprise de l'épidémie. Le Parlement a voté ce week-end - cela n'a pas été simple - une loi dérogeant à deux grands principes : le secret médical et le consentement des personnes à communiquer des informations personnelles. La décision du Conseil constitutionnel rendue hier montre bien que nous nous situons sur une ligne de crête entre le droit à la santé, consacré également par la Constitution, et ces droits tout aussi constitutionnels (la liberté d'aller et venir, la liberté d'entreprendre...) mis entre parenthèses pendant l'état d'urgence sanitaire.

Nous avons besoin d'outils efficaces qui vont dans le prolongement de la loi votée par le Parlement. Tel est pour moi, le cahier des charges. Je vois assez mal la différence, en termes de design, entre un système centralisé et un système décentralisé. En revanche, je tiens absolument à ce que la déclaration de lac maladie soit effectuée par un professionnel de santé. C'est fondamental : seul le médecin doit être en mesure de déclencher le dispositif. Dans le métro, l'efficacité de l'outil StopCovid paraît avérée, même si au départ j'y étais opposé car il existe des zones en France qui souffrent de la fracture numérique. Or ce ne seront pas ces zones qui auront la principale utilité de l'application, mais bel et bien les zones très denses et disposant d'un réseau de transports en commun important.

Dans ce cadre, le système devra-t-il être centralisé ou décentralisé, sachant que lorsque la France sortira de l'état d'urgence sanitaire, toutes les informations recueillies devront être effacées car c'est la condition même de la confiance ?

En second lieu, comment peut-on calibrer de façon quantitative une interaction Bluetooth entre deux appareils qui ne sont pas de la même génération ? Quelles capacités aura StopCovid au mois de juin ?

M. Guillaume Poupard. - Nous sommes entièrement d'accord sur le fait que nous nous trouvons sur une ligne de crête. Il s'agit de véritables mesures d'exception, que nous ne prendrions jamais dans un contexte normal. C'est pourquoi la démarche n'est pas anodine et le traçage automatique ne doit servir qu'à cela. J'attire constamment l'attention là-dessus. Il ne faudrait pas que cette nouvelle fonctionnalité mesurant qui est en contact avec qui, se généralise et crée de nouveaux usages. Avec un tel capteur, un écosystème entier pourrait se monter, alors même que la détermination des interactions sociales n'est en rien anodine. C'est pourquoi il est indispensable que l'outil soit conçu exclusivement à des fins sanitaires. La confiance dans le système passe par là. La responsabilité de l'État - et la vôtre - est d'y veiller. Nous sommes donc sur cette ligne de crête, ce qui explique l'investissement aussi fort de l'ANSSI dans l'équipe projet.

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Il n'est pas anodin que l'ANSSI participe au développement de StopCovid.

M. Guillaume Poupard. - Il est de notre devoir de participer à ce développement car l'équipe projet, à la fois portée politiquement et confiée à des chercheurs, est sérieuse et ne présente aucun risque de dérive commerciale. L'intérêt des acteurs est de promouvoir le projet le plus sérieux et protecteur.

Sur les aspects techniques, qui posaient au début de réelles difficultés, une partie des équipes a été mobilisée car elles connaissent bien la technologie Bluetooth. Les équipes allemandes y ont également travaillé. Nous avons réfléchi aux possibilités d'utiliser ce signal radio pour en faire un capteur fiable de distance, ce qui n'était pas évident au départ. Les experts ont réussi à établir des abaques qui tiennent compte du type de téléphone et du système. Quand le modèle de téléphone est croisé avec la puissance du signal perçu, les abaques fournissent la distance qui sépare les deux smartphones de manière précise. Je n'entrerai pas davantage dans le détail. Sur cette partie, nous sommes confiants dans le fait que le fonctionnement est acquis, à la condition importante d'avoir accès au capteur Bluetooth. Sur Android, l'accès est relativement ouvert, ce qui n'est pas le cas des téléphones Apple. Il faut donc que cette société nous y autorise. Une telle autorisation n'est en rien compliquée à délivrer, mais cela ne fait pas partie de la politique habituelle d'Apple.

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - J'ai vu que les deux camps (centralisé et décentralisé) s'accusaient mutuellement d'opacité. Une pétition circule même pour demander la publication du code source de la solution centralisée. Ceci va-t-il être fait rapidement ?

M. Guillaume Poupard. - La publication du code source est une démarche normale, qui ne doit pas résulter d'une pétition. Nous l'avons envisagée dès le départ du projet car nous n'avons rien à cacher. De plus, nos experts sont très sérieux mais pourraient ne pas voir toutes les erreurs possibles. Nous devons donc mettre toutes les chances de notre côté en bénéficiant du regard d'autres experts, qui d'une certaine façon participeront ainsi au projet.

Le paradoxe est que la publication de ces éléments ne pose aucune difficulté dans le cadre d'une solution centralisée, car ils ont trait uniquement du fonctionnement du moteur et non à son contenu. Je serais très surpris, en revanche, que les tenants de solutions décentralisées s'appuyant sur l'interface de Google et Apple, puissent publier leur code.

En définitive, la solution centralisée telle que nous la concevons en France sera plus « auditable » que la solution décentralisée.

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Finalement, si avec le meilleur protocole du monde Apple refusait de coopérer, il n'y aurait aucun moyen de proposer une application qui fonctionne.

M. Guillaume Poupard. - Je précise que la publication des codes source a débuté il y a environ une heure.

Si Apple refuse de coopérer, et même refuse que l'application soit publiée dans son Store, nous devrons nous rabattre sur les seuls téléphones Android, pour un fonctionnement moins optimal. Par conséquent l'objectif n'est pas de nous passer d'Apple.

Par ailleurs, il existe plusieurs niveaux de coopération possibles avec Apple. Si cette société ne nous aide pas à utiliser Bluetooth mais que nous sommes autorisés à installer l'application sur le téléphone, nous pourrons malgré tout identifier un grand nombre de cas contacts. L'idéal est néanmoins d'aboutir à une coopération totale, en garantissant à Apple qu'il ne prendra pas de risque. En cela, « Désiré » pourrait représenter une garantie sérieuse puisque ce protocole n'est pas détournable. Cette solution présenterait le mérite de permettre à chacun de sortir par le haut.

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Merci beaucoup pour cette audition. Nous ne manquerons pas de revenir vers vous.

La visioconférence est close à 18 h 10.

Jeudi 14 mai 2020

- Présidence de M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office -

La visioconférence est ouverte à 9 h 45.

Veille sur l'épidémie de Covid-19 : point de situation et examen d'une note sur pollution de l'air et Covid-19

M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office. - Nous poursuivons notre veille sur les conséquences de l'épidémie actuelle en entendant ce matin la présentation par Jean-Luc Fugit d'une note relatiev aux liens entre la pollution de l'air et le Covid-19.

M. Jean-Luc Fugit, député. - Monsieur le président, Monsieur le premier vice-président, mes chers collègues, il y a deux semaines, vous m'avez confié le soin d'évaluer les interactions entre la pollution de l'air, les gaz à effet de serre et la crise sanitaire liée au Covid-19. Je vais vous présenter une photographie de l'état des connaissances sur ces interactions, dans le but de fournir des éléments d'information fiables à la représentation nationale et, au-delà, au grand public. En fin de note est présentée la liste exhaustive des personnes et organismes entendus.

Compte tenu de l'ampleur du sujet, nous avons fait le choix d'une présentation en deux parties, consacrées d'une part à l'impact du confinement sur la pollution de l'air et les gaz à effet de serre, d'autre part à la pollution de l'air en tant que facteur aggravant de l'épidémie de Covid-19.

La pollution de l'air est suivie par l'intermédiaire de plusieurs polluants que sont les oxydes d'azote et les particules fines ainsi que le monoxyde de carbone (CO) et l'ammoniaque (NH3). Nous ne parlerons pas nécessairement d'ozone, car le printemps n'est pas une saison suffisamment chaude pour s'y prêter, en dépit de températures plutôt élevées en avril. L'objectif est également d'observer les gaz à effet de serre tels que le dioxyde de carbone (CO2) et le méthane (CH4), qui ont un impact climatique avéré mais pas d'impact sanitaire. Je pourrai vous apporter des précisions sur ces sujets si vous le souhaitez, puisque je suis aussi président du Conseil national de l'air.

Le confinement a débuté, en France, le 17 mars à 12 heures. Il a créé une situation inédite et a eu des effets quantifiables sur les activités anthropiques les plus polluantes. D'après les premières estimations, le trafic routier a diminué de 60 à 80 %, en fonction du moment de la journée, et le trafic aérien de 90 %, alors que le chauffage a été utilisé à 15-20 % de plus que la moyenne avant le confinement, en raison d'une deuxième quinzaine du mois de mars relativement fraîche, avec des gelées matinales dans certaines régions. Le confinement a donc renforcé l'utilisation du chauffage individuel. Cette situation générale a eu une incidence sur la qualité de l'air, à différentes échelles, dans le monde, en Europe ou en France.

Pour suivre les indicateurs de pollution, des moyens complémentaires sont utilisés : mesures satellitaires, modélisation (par des organismes tels que l'Ineris en France), ou mesures au sol. Ces moyens ont permis de caractériser les effets de la baisse du trafic sur les gaz à effet de serre d'une part, et les polluants d'origine multiple d'autre part. Les particules fines, par exemple, ont des origines diverses : les transports, mais également l'industrie, le secteur résidentiel et les activités agricoles.

En ce qui concerne les gaz à effet de serre, la dynamique observée du fait des deux mois de confinement provient essentiellement de travaux de modélisation. Nous rencontrons des difficultés à évaluer les concentrations car il faut différencier les effets liés à l'activité anthropique du CO2 présent de manière naturelle. De plus, les flux de CO2 peuvent varier au cours de l'année, en fonction notamment de l'activité photosynthétique de la végétation. Les résultats doivent donc être contextualisés, mais il apparaît que la baisse moyenne estimée des émissions de CO2 s'élève à 5 % en Europe et 7 % pour la France. Il faut apprécier cette estimation à l'aune des limitations drastiques d'activité associées au confinement et des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre auxquels la France a souscrit. Nous observons donc une baisse de 5 à 7 % dans une période marquée par une forte réduction de l'activité, alors même que le respect de l'Accord de Paris supposerait, pour atteindre la neutralité carbone d'ici 2050, de réduire les émissions de CO2 en France de 3 % par an d'ici 2025.

M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office. - À quelle période cette diminution de 5 à 7 % correspond-elle ?

M. Jean-Luc Fugit. - Elle est appréciée depuis le début de l'année, et donc en tenant compte du confinement, par rapport à 2019.

M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office. - Il s'agit donc du premier trimestre.

M. Jean-Luc Fugit. - Globalement, oui. Le taux de diminution est fonction des pays. Il s'agit par ailleurs de tendances. Je rappelle que dans la note scientifique que j'avais élaborée et que l'Office avait adoptée à l'automne 2019 sur « les satellites et leurs applications », le sujet du CO2 était évoqué. En effet, nous ne disposons pas aujourd'hui de mesures satellitaires fiables permettant de suivre les flux de CO2 de manière performante. Fin 2021, nous devrions disposer, dans le cadre du projet Microcarb, de moyens permettant de réaliser de telles mesures de flux de CO2 et de distinguer ainsi entre les émissions anthropiques et les émissions biogéniques de CO2 ; ceci permettra de vérifier si les engagements pris par un pays sont tenus.

Le projet Merlin, quant à lui, permettra le suivi du méthane, émis par les bovins mais aussi par des activités humaines. La contribution de ce gaz à l'effet de serre n'est pas négligeable, et nous avons donc besoin de satellites permettant d'en mesurer les concentrations. Ce projet devrait être prêt pour un lancement fin 2021.

S'agissant des polluants (dioxyde d'azote, particules fines, monoxyde de carbone), la diminution des activités les plus polluantes telles que le trafic routier et le trafic aérien a eu un impact mesurable sur les concentrations atmosphériques en oxydes d'azote et en monoxyde de carbone. Je rappelle que celui-ci n'a pas d'impact sur la santé dès lors que l'on n'est pas en milieu confiné. L'intoxication au monoxyde de carbone s'explique par le fait que celui-ci prend la place du dioxygène sur l'hémoglobine, qui ne peut donc plus jouer son rôle de transporteur d'oxygène. En revanche, en air extérieur, un risque sanitaire en raison du monoxyde de carbone est quasiment impossible. Le monoxyde de carbone apparaît dans des phénomènes de combustion incomplète et contribue à former du CO2, donc à alimenter l'effet de serre, mais aussi l'ozone de la troposphère, qui est agressif. Les émissions de monoxyde de carbone ont connu une diminution de 50 % en Chine sur la période observée, ce n'est pas surprenant, puisque le charbon y est très utilisé en temps normal. En Italie du Nord ou aux États-Unis, les diminutions sont moindres et n'atteignent que 10 à 20 %. Pour les oxydes d'azote, qui constituent le polluant principal du trafic routier à énergies fossiles, une diminution moyenne de 30 % a été observée en Europe et une diminution de 50 % dans les 100 plus grandes villes françaises. En région parisienne, la diminution a été de 30 à 40 %.

Concernant les particules fines, il ne fallait pas s'attendre à une diminution importante des émissions. Nous avons tendance à penser qu'elles sont associées au trafic routier. En réalité, 20 % seulement sont émises par le trafic routier, et 80 % par d'autres sources, naturelles ou anthropiques : chauffage résidentiel non performant, épandages agricoles, brûlage de déchets verts, etc. La baisse de certaines activités a, en l'occurrence, suffi pour observer une diminution significative de ces particules. En revanche, un pic de pollution a été observé dans la région Hauts-de-France, avec des valeurs assez élevées. Ce pic était lié à des poussières telluriques venues d'Europe de l'Est, au début des épandages agricoles printaniers. Si un tel pic était survenu en juillet ou novembre, sa teneur en particules aurait été moins élevée, mais il y aurait eu davantage d'ozone. En fonction du polluant et de la saison, l'impact n'est pas le même. Tous les polluants, en effet, n'ont pas le même comportement tout au long de l'année.

L'ammoniac est un précurseur des particules fines, fortement lié à la pratique des épandages agricoles. Il réagit avec les oxydes d'azote, qui sont principalement émis par l'activité routière. En conséquence, des particules se sont formées. Il n'a pas été observé de chute importante des émissions de particules fines issues d'ammoniac.

Certains acteurs du suivi de ces pollutions ont fait part d'un autre aspect positif du confinement : la baisse du trafic routier et d'une partie de l'activité économique a permis de mieux caractériser et quantifier les autres sources de pollution aux particules. En particulier, le Latmos a indiqué avoir pu mieux caractériser certaines spécificités régionales, notamment en Île-de-France.

En conclusion de cette première partie, si le confinement a eu des effets quantifiables sur la qualité de l'air, la réponse diffère en fonction du polluant considéré, des phénomènes météorologiques et du moment. Il est donc nécessaire d'expliquer clairement les phénomènes observés et de poursuivre les recherches et le suivi observationnel. Il sera intéressant d'étudier les impacts du déconfinement progressif sur le plus long terme, notamment sur le secteur aérien, dont la reprise sera probablement progressive et très lente.

La seconde partie de la note porte sur l'impact de la pollution de l'air sur la résistance au virus et sur la propagation du virus. Les articles de presse ont montré une certaine confusion.

Le premier sujet consiste à savoir si la pollution de l'air favorise ou non la propagation du virus. La note rappelle que le mode de propagation du virus est plutôt interhumain, de proximité, et qu'il repose sur les gouttelettes émises par les personnes contaminées et inhalées, directement ou non, par les personnes saines, d'où l'importance des gestes barrière et de la désinfection. Il ne semble pas que les polluants de l'air puissent jouer un rôle dans la propagation du virus, mais une étude italienne a mis en évidence une relation possible entre le niveau de pollution aux particules fines et la progression du nombre de cas de Covid-19. L'idée que les particules fines soient un vecteur facilitant le transport du virus n'est cependant pas retenue à ce stade par les experts, faute d'éléments suffisamment probants. L'étude italienne établit un lien entre les deux variables que sont la concentration en particules fines et les nouveaux cas de Covid, mais une corrélation n'est pas une causalité. On peut notamment remarquer que les régions les plus polluées sont aussi les plus peuplées. La densité de population pourrait sans doute expliquer la dynamique de propagation du virus en Italie du Nord. Rien n'est donc démontré à ce jour en matière de transport du virus par les particules. La question de la viabilité du virus sur les particules n'est d'ailleurs pas tranchée. Des doutes persistent et des études sont nécessaires sur ce sujet.

Le deuxième sujet consiste à savoir si la pollution de l'air aggrave l'épidémie en rendant le Covid-19 plus mortel pour les personnes atteintes. Cette question mérite d'être posée, en raison des effets sanitaires d'ores et déjà bien connus de la pollution de l'air. La France doit en effet déplorer 48 000 morts par an dues à la pollution de l'air, il y en a 500 000 en Europe, et l'impact financier peut être évalué à plusieurs dizaines de milliards d'euros, comme en atteste un rapport du Sénat de 2015. Les pics de pollution sont des déclencheurs de problèmes sanitaires : irritation de la sphère ORL, aggravation des maladies respiratoires chroniques, etc. L'exposition prolongée à des polluants atmosphériques est aussi la cause de multiples pathologies, comme l'asthme, les accidents vasculaires ou la capacité de l'organisme à se défendre. Santé publique France suit ces sujets. Une étude chinoise avait établi que, lors de l'épidémie de SARS de 2002-2003, le risque de décès était fortement augmenté dans les régions connaissant un niveau élevé de pollution. Pour le Covid-19, il convient de se poser deux questions : d'une part, l'exposition à une pollution atmosphérique immédiate forte aggrave-t-elle la crise, augmente-t-elle la mortalité et entraîne-t-elle un pic d'épidémie ? D'autre part, l'exposition chronique (la pollution habituelle à laquelle beaucoup d'entre nous sommes soumis) augmente-t-elle l'impact du Covid-19 pour les personnes malades ? Les travaux conduits offrent des débuts de réponse.

L'effet d'une exposition de court terme aux polluants sur la mortalité par le Covid-19 est assez peu documenté. Une étude chinoise en cours de publication laisse à penser qu'il existe un lien positif, mais certains biais devraient être éliminés, notamment l'exposition à long terme. Nous avons donc besoin de travaux complémentaires en la matière, ainsi que d'une grande rigueur scientifique. Je suis d'ailleurs préoccupé par les nombreuses publications scientifiques qui ont été rendues publiques sans être revues par les pairs.

Le rôle de l'exposition chronique, de longue durée, commence à être mis en évidence. Une étude assez complète, publiée par des chercheurs de Harvard, tend à montrer qu'une variation même assez faible du niveau d'exposition chronique aux particules très fines entraîne une hausse de 8 % de la mortalité par le Covid-19. La méthodologie choisie pour cette étude tend à neutraliser les autres paramètres pour atteindre un résultat fiable. Une étude chinoise conclut elle aussi qu'un niveau plus élevé de particules fines entraîne plus de mortalité par le Covid-19. D'autres études concluent que le dioxyde d'azote serait responsable, dans des proportions encore plus importantes, d'un excès de mortalité par le Covid-19. Notre note cite une étude allemande, une étude chinoise et une étude récente de l'Université de Cambridge. Les premiers résultats de ces études laissent donc à penser que les polluants atmosphériques ont un effet délétère sur les patients atteints de Covid-19.

Toutes ces études doivent cependant être appréhendées avec prudence, en ce qu'elles n'ont pas fait l'objet d'une revue par les pairs. Nous disposons néanmoins d'une masse importante d'informations sanitaires environnementales qui devraient permettre d'affiner ces analyses dans les mois et les années à venir. En fin d'année, l'Office pourrait analyser à nouveau ces éléments. En connaissant mieux l'impact des polluants atmosphériques en période de crise sanitaire, les autorités pourront ajuster l'arsenal des réponses à la crise et élaborer des stratégies de confinement différentes en fonction du niveau et des caractéristiques de la pollution atmosphérique dans différents territoires. Dans cette optique, et conformément à l'orientation prise depuis plusieurs années autour des questions de santé environnementale, il conviendra probablement d'assurer une meilleure interconnexion entre les systèmes d'information sur les questions de qualité d'air et ceux sur les données de santé.

En conclusion, ces premières études ont permis de mettre en évidence des interactions entre la pollution de l'air, les gaz à effet de serre et la crise sanitaire liée à l'épidémie de Covid-19. Ces informations restent cependant partielles, et sont donc probablement incomplètes. Le travail doit dès lors être poursuivi, amplifié et comparé. Les travaux de recherche devraient être revus par les pairs. Le ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation, doit aider les instituts et organismes de recherche à poursuivre leurs travaux. En 2003, plus de six mois après l'épisode caniculaire, il a été démontré qu'une proportion non négligeable des décès enregistrés au cours de l'été n'étaient pas liés à la chaleur mais à l'ozone. Les fortes températures avaient fait augmenter la concentration en ozone à des niveaux extrêmement élevés entre le 3 et le 14 août 2003. Dans certaines villes, 70 à 75 % des décès étaient liés à l'impact direct de l'ozone, substance très agressive pour l'organisme, qui réduit la taille des vaisseaux sanguins et perturbe fortement le système respiratoire.

M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office. - Je vous remercie pour cette contribution importante qui, j'en suis persuadé, stimulera le débat, avec une tonalité à la fois apaisée, profonde et rigoureuse, qui ne ferme aucune piste.

Je souhaiterais avoir quelques précisions sur le système de détection par satellite qui pourrait permettre de distinguer le CO2 anthropique et le CO2 naturel. Par ailleurs, la décroissance absolue que nous avons vécue ces deux derniers mois n'est pas une solution pour atteindre la neutralité carbone. Il faudrait donc plutôt envisager des politiques plus actives d'investissement et d'équipement dans cette perspective. Concernant la propagation du virus, votre exemple sur l'ozone terrestre est très intéressant. Qu'en est-il des fumeurs, dont il a été dit qu'ils étaient plus ou moins protégés ?

M. Jean-Luc Fugit, député. - Je ne me prononcerai pas sur le sujet des fumeurs. Un débat scientifique a été ouvert sur un éventuel effet protecteur de la nicotine à l'égard du virus. Mais il ne faut pas laisser penser que les fumeurs sont moins impactés par l'épidémie que les non-fumeurs.

Concernant la mesure du CO2, les acteurs du secteur spatial affirment que l'avenir de la Terre se joue depuis l'espace. Effectivement, les mesures effectuées depuis l'espace sont nécessaires pour améliorer nos connaissances, notamment dans le milieu agricole. Les agriculteurs savent d'ailleurs très bien s'adapter. Nous devons pouvoir mesurer les flux de CO2 sur une année complète, pour réaliser un solde intégrant toutes les saisons. L'objectif de neutralité carbone en 2050 suppose de pouvoir fixer, par les forêts et l'agriculture, la quantité totale de CO2 émise. Si la totalité du CO2 émis est absorbée par l'agriculture et nos forêts, un équilibre s'établit. Aujourd'hui, le déséquilibre existe. Il faut donc à la fois favoriser une agriculture et un entretien des forêts qui permettent de fixer le CO2 et, certainement, produire moins de ce gaz. Il existe plus qu'une nuance entre la décroissance et la sobriété. La sobriété, par exemple, peut s'exprimer par l'arrêt des éclairages des commerces de ville la nuit, qui entraînerait une substantielle économie d'énergie.

Le secteur spatial peut contribuer à un suivi plus rigoureux des émissions de CO2. Nous n'utilisons que des modèles. S'il est souhaitable de fixer des objectifs d'émission de CO2, encore faut-il être en mesure de vérifier s'ils sont atteints. Pour ceci, il faut être capable de mesurer les flux, c'est-à-dire les déplacements de CO2 émis à un temps donné, dans une zone industrielle dense, une zone de production énergétique ou de transports routiers intenses, etc. Aujourd'hui, nous ne pouvons effectuer que des estimations. Les outils de mesure à venir seront donc extrêmement intéressants. Il en va de même pour le suivi des émissions de CH4, puisque la fonte du permafrost augmentera sensiblement ces émissions. Le CH4 a un pouvoir d'effet de serre qui est bien plus important que celui du CO2.

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Merci beaucoup pour ce travail. Vous avez insisté sur la difficulté d'évaluer l'effet de la pollution sur l'épidémie, car il s'accompagne toujours d'autres facteurs : activité économique, densité de population, etc. Il est très délicat de tirer une causalité d'une corrélation. De plus, il existe de nombreux modes de mesure de la pollution, comme vous l'avez indiqué. Ce travail d'analyse peut demander un temps important, qui va au-delà de la médiatisation actuelle des études scientifiques. Nous participons aussi au fait que des publications qui ne sont pas encore revues par les pairs se trouvent placées sur le devant de la scène. Quelle est selon vous la bonne attitude à adopter face à cette situation ?

M. Jean-Luc Fugit, député. - Nous devrions laisser du temps à la pédagogie. Les phénomènes de pollution sont entremêlés à des problèmes de météorologie, de réactivité chimique entre les composants de la troposphère, etc. Le CO2 n'est pas émis que par nos activités : il fait l'objet d'un cycle de formation-destruction qui se trouve perturbé par l'intervention d'oxydes d'azote, qui sont aux deux-tiers formés par les activités humaines, et par celle d'hydrocarbures dont l'origine est à la fois végétale et anthropique. Il est nécessaire de prendre le temps d'expliquer ces éléments.

À titre d'exemple, j'ai été agréablement surpris d'entendre rappeler sur France Info, mardi soir, que le brûlage de 50 kg de déchets verts émet autant de particules fines qu'un trajet de plusieurs milliers de kilomètres avec un véhicule diesel ou essence. Il est parfois délicat d'aborder ces sujets. Cette thématique a été traitée par la station à la suite de la fermeture de certaines déchetteries et de phénomènes de dépôts sauvages, d'une part, et de brûlage de déchets verts, d'autre part. Ce sujet est sensible. La loi relative à l'économie circulaire l'a traité grâce à l'adoption d'un amendement que j'avais porté.

L'une des difficultés réside dans le fait que, dans le monde actuel, la population souhaiterait une absence totale d'incertitudes. Airparif mesure la pollution sur la région parisienne au quotidien. Sa directrice explique avoir reçu au cours des 15 premiers jours du confinement de très nombreux appels de Franciliens qui s'étonnaient de l'absence de baisse de la pollution par les particules fines. Il a fallu leur expliquer que les particules résultent de plusieurs phénomènes : épandages agricoles, transports, etc. Pour beaucoup de personnes, la pollution aux particules se résume au trafic de voitures, alors que seuls 20 % des émissions sont liés à celui-ci. En l'occurrence, le confinement est intervenu dans une période particulière au regard des épandages agricoles, et le niveau des particules n'a dès lors pas subi d'impact majeur de son fait. Ces sujets sont complexes, et il faudrait prendre le temps de les expliquer, pour faire comprendre les messages. Je regrette que les notions de pollution ne soient pas davantage enseignées en faculté de médecine.

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Cette intervention restera, dans la mémoire collective, une démonstration de la distinction nécessaire entre la pollution aux particules fines et le trafic automobile.

M. Jean-Luc Fugit, député. - Quand j'ai été rapporteur du projet de loi sur les mobilités à l'Assemblée nationale, j'ai souhaité que les zones à faibles émissions que voulait mettre en place le gouvernement soient nommées « zones à faibles émissions de mobilité ». En effet, j'ai craint que la première appellation laisse à penser que tous les problèmes de pollution seraient résolus par l'installation d'une zone à faibles émissions basée sur les voitures. En réalité, la résolution de ces problèmes suppose d'en traiter d'autres : par exemple, le chauffage au bois non performant est assez important, y compris en région parisienne. Cette nuance que j'ai souhaité inscrire dans la loi était donc un symbole.

M. Philippe Bolo, député. - Ma question porte sur la deuxième partie de la note. Je m'interroge sur l'absence de référence faite au pollen. S'explique-t-elle par le fait que celui-ci ne s'inscrit pas dans le champ de la pollution de l'air ou par l'absence de travaux en la matière ? Ce sujet reste en lien avec la qualité de l'air, puisque l'on peut suspecter une affinité entre les grains de pollen et le virus, notamment du fait de la taille de ces grains et de la présence de protéines de surface sur leurs parois végétales, qui pourraient interagir avec les protéines du virus.

Puisque nous sommes en pleine période de pollinisation, on peut aussi s'interroger sur les interactions entre le virus et les phénomènes allergiques. Au travers des réactions allergiques, l'inflammation des muqueuses et les symptômes de toux, d'éternuement et de démangeaison des yeux sont de nature à favoriser la contamination par le virus.

J'aurais pu élargir cette question au travail qui est actuellement mené au sein de l'Office sur la pollution par les plastiques, dans le cadre duquel j'ai découvert avec Angèle Préville, co-rapporteure, que la présence de microparticules plastiques dans l'air constitue également un sujet.

M. Jean-Luc Fugit, député. - Nous n'avons pas recensé de travaux de recherche sur le sujet du pollen en lien avec le Covid-19. Les études sur les liens entre l'environnement et l'épidémie n'en sont qu'à leur début, puisque celle-ci est encore relativement récente. L'activité des médecins et des scientifiques consiste à s'intéresser aux pollutions qui sont directement le fruit de l'activité humaine. Le sujet du pollen est néanmoins très intéressant, d'autant plus que la période printanière a commencé. Certains problèmes liés à l'ambroisie sont d'ailleurs apparus dans certaines régions. Le sujet doit probablement être davantage abordé du point de vue de la résistance de l'organisme au virus - puisque le pollen contribue à affaiblir le système respiratoire - que du point de vue de la propagation du virus. Le pollen se trouve à l'extérieur de l'organisme ; il serait donc nécessaire qu'une personne éternue sur les grains de pollen, qui seraient ensuite inhalés par une autre personne. Une telle transmission semble peu probable, mais le sujet pourrait néanmoins être évoqué à l'occasion d'échanges avec l'Institut Pasteur. Je pense en outre que les associations de surveillance de la qualité de l'air sont en relation avec les médecins sur ces sujets. Elles ne l'ont cependant pas évoqué d'elles-mêmes lors de nos échanges, parce qu'elles ne le jugeaient probablement pas prioritaire.

Le plastique dans l'air est un sujet moins étudié, à ce stade, que celui des oxydes d'azote ou des autres particules. Il pourra probablement être intégré dans des études plus larges sur les particules.

Mme Florence Lassarade, sénatrice. - J'ai été très sensible à cette note. En Nouvelle-Aquitaine, le pollen est partout en cette saison. Il s'agit chaque année d'un problème de santé publique, et il ne semble pas qu'il ait favorisé les infections, puisqu'il y a très peu de cas de Covid-19. En revanche, lorsqu'il est envisagé de replanter des arbres en ville, il faut être très attentif au choix des essences. De nombreux platanes d'origine américaine ont été plantés en ville et ont déclenché des problèmes de santé qui n'avaient pas été envisagés. Il est donc nécessaire de choisir des espèces peu allergisantes.

M. Jean-Luc Fugit, député. - Les végétaux, pour se défendre, émettent des particules, des isoprènes, et chez certaines espèces, les émissions sont très fortes - c'est le cas d'eucalyptus globulus. Ces espèces contribuent à former beaucoup d'ozone, notamment dans le bassin méditerranéen. En fonction des essences plantées, il est effectivement possible de favoriser des phénomènes annexes, qui peuvent contribuer un accroissement local de la pollution. Pour les asthmatiques, le sujet est très important. Je suis donc tout à fait d'accord avec le fait que le choix des essences plantées doit être bien pensé.

Mme Catherine Procaccia, sénatrice. - Je me réjouis de la note et de la discussion de ce matin, qui m'ont beaucoup appris et qui méritent d'être relayées car cela permettrait d'éviter la diffusion de quelques contre-vérités. La note évoque le nombre de morts dus à la pollution chaque année. Peut-il être soustrait du nombre de morts actuellement comptabilisés en relation avec le coronavirus ?

M. Jean-Luc Fugit, député. - Une étude finlandaise parue la semaine dernière, à laquelle la note ne fait pas référence et qui doit donc être considérée avec prudence, conclut que les mesures de confinement liées au Covid-19 auraient permis d'éviter 11 000 décès liés à la pollution en Europe, et 1 230 en France. Les décès dits « liés à la pollution » s'inscrivent souvent dans un phénomène d'accélération, c'est-à-dire touchent des personnes qui connaissent déjà des faiblesses. Cette accélération s'observe d'ailleurs aussi sur les végétaux : un surplus estival d'ozone les conduit à vieillir plus rapidement et produit des nécroses sur les haricots verts, ainsi qu'une chute du rendement agricole du maïs de 10 à 30 %, etc.

Par ailleurs, la note n'évoque pas la qualité de l'air intérieur, qui est un sujet majeur, puisque, dans les modes de vie occidentaux, un individu passe en moyenne 80 à 90 % de son temps en intérieur. Le confinement n'est pas nécessairement synonyme d'une qualité d'air parfaite, qui dépend de plusieurs paramètres.

Il est donc possible que l'impact sanitaire de la pollution soit moindre en raison d'une baisse globale de la pollution. D'un point de vue médical, les consultations pour pathologies autres que le Covid-19 ont diminué au cours de la période, ce qui pourrait conduire à des pertes de chance et un phénomène de surmortalité potentielle.

Mme Huguette Tiegna, députée. - Je souhaiterais une précision concernant la pollution en provenance de l'Europe de l'Est. Cette pollution est-elle liée au fait que la France a appliqué le confinement avant l'Europe de l'Est, ou bien aux incendies qui s'y sont déclarés ?

Par ailleurs, la pollution est un phénomène global qui a des sources multiples, et la population confond la pollution liée à la mobilité et celle issue d'autres sources. Dans le Lot, nous rencontrons par exemple des difficultés avec les méthaniseurs. Lors des épandages, des difficultés respiratoires apparaissent, mais le discours ambiant affirme qu'en l'absence de circulation routière dans nos campagnes, l'air y est sain. Cette contradiction fait donc débat chez les citoyens.

M. Jean-Luc Fugit, député. - L'air à « pollution zéro », ultra pur, a été mesuré en Laponie. Des lichens et des mousses, très sensibles à la pollution, ne poussent que dans cette contrée. En Europe de l'Est, plusieurs phénomènes se sont combinés : une période de sécheresse, des vents dominants ayant soulevé de la poussière, et l'utilisation de charbon dans certains pays tels que la Pologne. Des remontées d'air importantes se sont produites depuis l'Europe de l'Est, comme il en vient parfois du Sahara. Pour apprécier une situation de pollution, il est nécessaire de tenir compte de tous les paramètres. À Paris, il peut s'agir des particules provenant de l'Est de l'Europe, des particules qui sont le fruit de l'oxyde d'azote émis par les véhicules de la région et se combinent avec les effluves des épandages agricoles, des vents qui favorisent le déplacement, ou de l'absence de vent qui favorise la stagnation et l'accumulation des polluants, etc. L'homme doit faire le maximum pour réduire les sources anthropiques. Nous sommes tous contributeurs.

Les méthaniseurs sont très intéressants pour l'économie locale, puisqu'ils permettent d'utiliser les déchets produits sur place pour en faire du méthane, donc de l'énergie. En revanche, il faut s'assurer de l'absence de fuite de méthane, car ce gaz contribue à fabriquer de l'ozone. C'est la raison pour laquelle, en milieu rural, des taux d'ozone assez élevés peuvent être atteints l'été.

M. Stéphane Piednoir, sénateur. - Merci pour la clarté de cet exposé. Je crains que les chiffres affichés dans la note n'aboutissent à desservir certains objectifs vertueux. Ils montrent en effet qu'après une quasi suppression de l'activité humaine, les effets sont assez minimes sur les émissions de gaz à effet de serre. Je crains que nous n'envoyions ainsi un message mitigé, notamment pour le déploiement des plans de relance pour les véhicules électriques ou la méthanisation.

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Des constructeurs automobiles pourraient effectivement utiliser cet argument, considérant que la suppression des véhicules à moteur thermique n'améliorerait pas la qualité de l'air.

M. Stéphane Piednoir, sénateur. - Nous sommes le législateur et nous devons nous poser la question de savoir si notre combat pour abaisser les émissions est prioritaire, ou s'il s'agit avant tout de s'attacher à faire appliquer les règles, par exemple concernant les lumières nocturnes dans les commerces ou le brûlage des végétaux. Peut-être les déchetteries pourraient-elles s'ouvrir aux professionnels, alors qu'aujourd'hui, lourdement taxés, ceux-ci tendant parfois à brûler les déchets par eux-mêmes.

Nous pourrions également nous pencher sur les conséquences des changements d'habitudes provoqués par l'épidémie. Le développement du télétravail, par exemple, supposera un renforcement des réseaux numériques, la consolidation de data centers, etc. Ces éléments pourraient peser dans l'évaluation globale de la crise actuelle.

Enfin, la note indique que nous ne disposons pas de mesures satellitaires fiables sur le CO2. Mesurons-nous correctement le rapport « bénéfice environnemental / empreinte carbone » associé au déploiement de ces satellites ? En tant que président de l'agglomération d'Angers, j'ai pu apprécier l'ampleur des ressources - moyens humains et matériels - qu'il fallait mobiliser pour permettre ces mesures satellitaires. Il pourrait être utile de s'attacher avant tout au bon sens et au respect des règles.

Pour ce qui concerne les véhicules à énergie fossile, le CO2 n'est pas le problème principal : il n'a pas d'effet sanitaire mais un effet climatique global ; en revanche, les oxydes d'azote sont un sujet sanitaire important. Je suis d'ailleurs très satisfait que les zones à faibles émissions soient définies sur la base des émissions de ces polluants et non sur des critères relatifs au CO2. Pendant des années, la pollution des véhicules a été considérée uniquement à travers l'émission de CO2. Il est vrai que les véhicules qui émettent le moins de CO2 sont généralement ceux qui émettent le moins d'oxydes d'azote. Par ailleurs, l'analyse de l'impact environnemental des véhicules doit prendre en compte l'ensemble du cycle de vie. Nous avons inscrit un certain nombre de dispositions à ce sujet dans la loi Mobilités.

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Je propose à l'Office de publier la note, après qu'auront été apportées quelques précisions issues de nos échanges.

Il me semble que cette proposition recueille un consensus. Un grand merci collectif à Jean-Luc Fugit, pour cette présentation.

Je propose à présent de présenter un court résumé des auditions conduites ces derniers jours. Nous avons eu une audition, déjà très commentée dans la presse, de Guillaume Poupard, directeur général de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI), sur les questions du traçage algorithmique, confirmant tous les points que nous avions eu l'occasion d'évoquer précédemment et insistant sur la tension entre les grands opérateurs américains (Google et Apple, en tant que fabricants des systèmes d'exploitation des téléphones) et la puissance publique. Guillaume Poupard pointait en particulier le risque de conflit d'intérêts si un opérateur, qui dispose déjà de nombreuses informations sur la santé des individus grâce aux objets connectés (notamment les montres), prend la décision de se lancer dans une activité d'assurance ; cela peut conduire à un risque de distorsion de l'ensemble du système. Guillaume Poupard a également évoqué les tensions entre les promoteurs des différents protocoles : le centralisé (Robert), le décentralisé (DP3T), et un protocole qui voudrait faire une sorte de « synthèse » entre les deux précédents (Désiré), etc. Il a également insisté sur le fait que le code de Robert allait être rendu public, pour une mise en service début juin. Les articles de la presse spécialisée publiés jusqu'à présent mettent en exergue le fait que seules quelques portions limitées de code ont été à ce stade publiées, jugées décevantes.

Plusieurs auditions ont mobilisé des interlocuteurs étrangers, notamment Ali Nouri, président de la Fédération des Scientifiques américains, ainsi qu'un collectif néozélandais réuni autour de Peter Gluckman, fondateur et président du réseau international des conseillers scientifiques de gouvernement (INGSA). D'un continent à l'autre, les approches sont très différentes. Aux États-Unis, le tableau dépeint était assez apocalyptique : un déconfinement sans concertation d'un État à l'autre, des États républicains déconfinant plus rapidement que les États démocrates (ceux-ci insistant sur la santé, les premiers sur l'économie), des thèses complotistes circulant dans les États républicains, des discours de Donald Trump se traduisant par des sommets de confusion, un système général de santé qui n'est pas prêt déploiement des opérations de traçage, des tests qui peinent à s'organiser, une parole publique très contradictoire, etc. Malgré ce tableau calamiteux, la confiance affichée par les Américains envers leur gouvernement est supérieure à la confiance affichée par les citoyens français envers le leur, ce qui nous en dit davantage sur le pessimisme français que sur les politiques et gouvernements respectifs.

Ali Nouri et les scientifiques néozélandais insistaient également sur le fait que la parole scientifique se fait beaucoup entendre, mais dans un contexte tournant rapidement à la polémique lorsqu'elle ne s'appuie pas sur des personnes déjà identifiées et habituées au débat public. Ces polémiques entraînent une certaine confusion eu égard à la parole scientifique. La science est par ailleurs gênée par une exposition publique excessive, qui suscite des études bâclées, des prises de parole trop rapides, des publications qui se retrouvent sur le devant de la scène sans avoir été revues par les pairs, et une certaine confusion.

Les scientifiques néozélandais insistaient en outre sur le fait que les communications politiques efficaces en ce temps de confusion sont celles qui mettent l'accent sur l'explication et l'empathie. Dans tous les pays, on observe une hausse de l'inquiétude, de la tension et des problèmes de santé mentale. L'OMS a ainsi émis une alerte sur une forme de pandémie mondiale de problèmes de santé mentale. Globalement, les tensions internationales sont en nette augmentation et les institutions internationales sont affaiblies. Malgré cela, une grande partie de la population affiche un vrai désir de discuter de l'avenir, dans une époque où se pose la question de la relance. L'épidémie de Covid-19 a renforcé les tendances qui structurent les sociétés ; dans les sociétés où la cohésion est bonne, elle s'est retrouvée renforcée ; inversement dans les sociétés fragiles ou fracturées, les divisions ont été aggravées.

En Nouvelle-Zélande, l'essentiel des mesures prises pour lutter contre l'épidémie sont des restrictions imposées aux personnes venant de l'extérieur, et les conséquences majeures sur l'économie concernent le tourisme. Dans ce pays, le dialogue démocratique a été très bien maintenu, avec un système de Parlement télévisé, des communications très régulières et une opposition qui se fait entendre et qui est régulièrement prise en compte par le gouvernement.

Une audition de Santé publique France, qui portait en particulier sur l'organisation du traçage, a montré que le dispositif français de traçage était extrêmement complexe d'un point de vue organisationnel, avec trois niveaux de traçage dans lesquels les acteurs (Santé publique France, les ARS, la CNAM, la médecine de ville, les maires et les préfets) se coordonnent grâce à des systèmes d'information interconnectés. Il nous a été impossible de comprendre exactement combien de personnes étaient impliquées. Nous avons compris qu'un protocole très clair et des règles très précises avaient été élaborés, mais cela ne rassure pas véritablement sur la capacité opérationnelle des ressources humaines et sur la visibilité du processus. Nous devrons être très vigilants sur la ressource qui sera déployée sur le terrain et la capacité de traçage, mais également sur la vitesse de remontée des informations. D'autres auditions ont montré à quel point les remontées et le croisement d'informations médicales et hospitalières pouvaient être complexes et lentes. Or 30 % au moins des contaminations du Covid-19 résultent de personnes asymptomatiques. Le suivi devra donc être extrêmement réactif, et donner des résultats dans un délai de 24 à 48 heures au maximum. La question s'est posée de savoir si la complexité institutionnelle du montage sera compatible avec l'efficacité souhaitée et si les remontées d'informations seront suffisamment rapides. Nous devrons nous en assurer par d'autres auditions, en particulier de la CNAM et des ARS.

M. Stéphane Piednoir, sénateur. - Je souhaite vous remercier pour la variété des auditions, qui nous offrent un regard assez complet sur cette épidémie et son traitement.

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Pendant toute cette période, l'Office a pu compter sur un groupe important de parlementaires motivés et impliqués sur toutes ces discussions. Nous avons tous été surpris par la variété de sujets que le coronavirus nous a amenés à aborder.

La visioconférence est close à 11 heures 30.