Jeudi 28 janvier 2021

- Présidence de M. Cédric Villani, député, président de l'Office -

La réunion est ouverte à 18 h 05.

Audition du Pr. Jean-François Delfraissy, président du Conseil scientifique Covid-19

M. Cédric Villani, député, président de l'Office. - Merci au professeur Jean-François Delfraissy d'avoir répondu à notre invitation. Je suis très heureux de vous accueillir, professeur, au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), pour cette audition sur les derniers développements de la crise sanitaire.

Je rappelle que l'OPECST, que j'ai l'honneur de présider et dont le sénateur Gérard Longuet est le premier vice-président, est un organe parlementaire bicaméral, composé de 18 députés et 18 sénateurs.

Cette audition est organisée dans le cadre d'une mission sur la Covid-19, consacrée notamment à la stratégie vaccinale, que le président de l'Assemblée nationale avait appelée de ses voeux à l'automne dernier et dont la commission des affaires sociales de cette assemblée nous a saisis. Elle est pilotée par quatre rapporteurs, représentant un large panel de sensibilités politiques : la sénatrice Sonia de La Provôté (Union centriste), la sénatrice Florence Lassarade (Les Républicains), le député Gérard Leseul (groupe socialiste) et le député Jean-François Eliaou (La République en Marche).

L'OPECST a déjà consacré plusieurs auditions à la stratégie vaccinale et a présenté ses premières conclusions le 15 décembre 2020, qui ont été un élément du débat parlementaire consacré à cette stratégie dans les jours qui ont suivi. Cette mission va se poursuivre dans les mois à venir, afin d'évaluer toutes les dimensions de la stratégie et interpeller les différentes institutions qui en sont responsables.

Nous accueillons donc le professeur Jean-François Delfraissy, en sa qualité de président du Conseil scientifique Covid-19, qui est chargé d'éclairer le gouvernement et le Président de la République sur tous les sujets liés à la Covid-19, parmi lesquels la stratégie vaccinale. Le titre du dernier avis du Conseil scientifique, Entre vaccins et variants, une course contre la montre, indique clairement à quel point la question de la Covid-19 est imbriquée avec celle de la vaccination.

Nous allons donc évoquer ce rapport mais aussi, plus largement, la situation sanitaire actuelle. L'actualité est en effet particulièrement mouvementée, marquée notamment par les déboires relatifs à la fabrication des vaccins de la firme AstraZeneca, les hésitations de certaines institutions quant à l'espacement entre les deux injections ou encore les comparaisons internationales. L'audition qui s'ouvre viendra nourrir une réflexion capitale pour la démocratie et le travail parlementaire.

M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Nous avons la chance d'accueillir Jean-François Delfraissy : il importe d'aller à l'essentiel et de lui donner immédiatement la parole.

Pr. Jean-François Delfraissy, président du Conseil scientifique Covid-19. - Merci pour cette invitation à débattre avec l'Office. Je suis médecin, professeur d'immunologie émérite à l'université Paris-Saclay. J'ai longtemps dirigé l'Agence nationale de recherche sur le SIDA et les hépatites. Je me suis ensuite intéressé aux maladies émergentes, notamment au virus Ebola, sur lequel je me suis beaucoup impliqué. J'ai été nommé président du Conseil scientifique Covid-19 au début du mois de mars 2020.

Je suis donc fondamentalement un médecin, un scientifique, qui a dirigé une unité Inserm et non, comme on me présente souvent, un conseiller médical auprès des présidents successifs. Il se trouve que j'ai été amené à intervenir dans le cadre de plusieurs crises, mais mon métier est d'être un médecin auprès des patients - j'ai toujours une consultation à l'hôpital Bicêtre.

Plutôt que de m'appesantir sur le passé, je préfère vous faire partager la vision actuelle du Conseil scientifique.

Lorsque je présentais en décembre cette pandémie dramatique, je décrivais une sorte de tragédie en trois actes : les deux premiers actes correspondaient aux deux vagues épidémiques, tandis que le troisième, débutant en janvier 2021, laissait entrevoir une sortie de crise, avec une arrivée des vaccins plus rapide qu'on ne l'avait imaginée, devant conduire, à l'issue de stratégies vaccinales dont les modalités restaient à définir, à une immunité en population vers l'été 2021 et une fin de crise à l'horizon de l'automne.

Juste avant Noël, la situation a toutefois évolué. Cette évolution s'est malheureusement confirmée au tout début du mois de janvier avec l'arrivée des variants, dont plusieurs sont en circulation actuellement. Pour la simplicité du propos, je vais qualifier ces variants en leur accolant le nom du pays où ils sont apparus ; j'ai bien conscience que ceci n'est pas satisfaisant et potentiellement stigmatisant, mais toutefois plus aisé que de vous infliger leurs appellations scientifiques.

M. Cédric Villani, député, président de l'Office. - Chacun se souvient des débats relatifs à l'appellation « grippe espagnole », qui n'avait rien d'espagnole mais est restée dans les mémoires sous cette dénomination.

Pr. Jean-François Delfraissy. - Effectivement. Le variant dit « anglais » est apparu fin septembre en Grande-Bretagne, puis a progressé très rapidement. Les équipes anglaises, qui disposent de capacités de séquençage importantes, ont mis en évidence la pénétration du variant tout d'abord dans la région de Londres et le sud-est de l'Angleterre, puis son extension à d'autres aires géographiques. Elles ont rapidement montré que son degré de transmission était plus élevé que celui de la souche initiale, avec un indice R0 de 1,4, contre 1 pour le virus « classique ». Ce variant n'est cependant pas plus pathogène que le virus non muté, contrairement à ce qui a pu être annoncé au départ. Son facteur de transmission élevé fait que ce variant est aujourd'hui dominant en Angleterre et qu'il induit un niveau de contamination élevé. La surcharge du système de soins a conduit le gouvernement britannique à décider un confinement drastique à partir de Noël. Notez que l'Angleterre mettait en oeuvre des précautions sanitaires beaucoup moins drastiques que celles en vigueur en France, notamment pour le port du masque ou l'ouverture des lieux d'exposition potentielle au virus. Le modèle était donc différent du nôtre.

Après quasiment quatre semaines de confinement, la courbe des contaminations commence à s'infléchir à Londres. Le même phénomène a été observé en Irlande, avec un décalage de quinze jours ou trois semaines.

Le variant anglais est apparu de façon massive au Portugal durant les fêtes de fin d'année, à la faveur du retour de Portugais travaillant à l'extérieur du pays. Il représentait 6 % des contaminations la première semaine, 14 % la deuxième et 23 % la troisième.

Ce variant est également présent en France, où la capacité de séquençage, moins importante qu'elle ne l'est en Angleterre, est en cours d'augmentation et vient en complément de la surveillance effectuée grâce aux tests PCR. Les dernières enquêtes ont été réalisées les 8 et 9 janvier 2021, puis le 27 janvier. Nous disposons également de données en région parisienne, fournies par les laboratoires de virologie. Globalement, il apparaît que près de 14 % des contaminations détectées actuellement à Paris sont le fait du variant anglais. Ce taux est probablement de l'ordre de 9 à 10 % dans le sud de la France. On observe en effet, comme en Angleterre, une grande hétérogénéité selon les régions : toutes voient la pénétration du variant anglais, mais à des degrés variables.

La grande question est de savoir si ce variant est sensible à la réponse immunitaire induite par les vaccins. Il semblerait que ce soit le cas si l'on en croit les données plutôt rassurantes obtenues pour les vaccins à ARN. De même, la neutralisation du variant par des cocktails d'anticorps monoclonaux ou des sérums de sujets ayant déjà été atteints par la Covid-19 semble de bonne qualité.

Le variant sud-africain, apparu en novembre ou décembre, présente un niveau de transmission légèrement supérieur à celui du variant anglais. Il faut savoir que l'Afrique du Sud dispose d'un réseau de recherche, notamment de vaccinologie, de très haut niveau, construit autour du VIH. C'est d'ailleurs pour cela que quasiment 15 % des patients inclus dans les essais pivots de phase 3 menés par Moderna et Pfizer se trouvaient en Afrique du Sud.

Il semble que ce variant induise des formes cliniques sensiblement différentes et plus précoces que celles observées précédemment. Une série de données suggère aussi, malheureusement, que ni les anticorps monoclonaux, ni les anticorps de patients ayant déjà contracté la Covid-19 ne le neutralisent. Certaines données indiquent une neutralisation par des sérums de sujets vaccinés, tandis que d'autres montrent une perte de sensibilité aux vaccins de l'ordre de 40 %.

M. Cédric Villani, député, président de l'Office. - Qu'entendez-vous par « perte de sensibilité » ?

Pr. Jean-François Delfraissy. - Lorsque l'on considère des souches reconstituées avec les mutations correspondant à ce variant, et que l'on compare la capacité des sérums de sujets vaccinés à neutraliser la souche ancestrale ou la souche sud-africaine, on s'aperçoit que ces sérums neutralisent la souche sud-africaine, mais avec une diminution d'environ 40 % en termes de titre.

La souche brésilienne est présente essentiellement dans le nord et les forêts du Brésil, autour de Manaus. Comme le variant sud-africain, celui-ci est mal neutralisé par les anticorps neutralisants et les anticorps de sujets ayant déjà été atteints par la Covid-19. Nous disposons de très peu de données sur sa sensibilité aux vaccins.

Je reviendrai ultérieurement sur les questionnements que ceci soulève relativement à la situation française dans les semaines à venir.

Si l'on réfléchit aux déterminants de la relation entre l'hôte et le virus, la question est de savoir pourquoi ces variants apparaissent un an après le début de l'épidémie. Serions-nous passés à côté de variants apparus précédemment ? La réponse est négative : il existe en effet des systèmes de surveillance au niveau mondial, dans des laboratoires de virologie, notamment sous l'égide de l'OMS, qui séquencent très régulièrement le virus et surveillent la survenue d'éventuelles variations. Il faut savoir que ce virus mute en permanence. Plusieurs centaines de mutations légères ont ainsi été observées, mais aucune n'avait entraîné de modifications phénotypiques, c'est-à-dire se traduisant soit par une transmission accrue, soit par une pathogénicité plus importante.

L'autre point d'intérêt tient au fait que le variant brésilien est apparu dans la ville de Manaus, considérée par les épidémiologistes comme ayant atteint une immunité d'environ 70 % en population générale. Cette ville, globalement jeune, avait été très touchée par les vagues épidémiques successives, dans des conditions sanitaires très difficiles. De nombreux décès avaient été constatés parmi les sujets les plus âgés, mais l'immense majorité des cas étaient survenus chez des personnes jeunes, qui avaient ainsi développé des anticorps. Je rappelle que l'objectif des vaccins est de parvenir à une immunité en population de l'ordre de 70 %, taux qui a été obtenu naturellement à Manaus, du fait des contaminations massives. Dans ce contexte, pour quelles raisons un nouveau variant, non reconnu par les anticorps précédents, s'est-il développé là ? Ceci soulève la question de la capacité du virus, qui connaît naturellement des mutations relativement aléatoires, à être dirigé par une pression de sélection immunologique, en population ou au niveau individuel, conduisant à sélectionner un type de mutation qui lui permet d'échapper aux éléments susceptibles de le neutraliser. On parle alors d'« échappement immunitaire ».

S'agissant du variant sud-africain, il faut savoir que l'Afrique du Sud est le pays comptant en valeur absolue le plus grand nombre de patients séropositifs au VIH, traités dans des conditions plus ou moins satisfaisantes. L'une des explications de l'apparition des variants est qu'ils surviendraient plus vite et plus facilement chez les patients immunodéprimés.

L'autre constat est qu'une immunité populationnelle de l'ordre de 45 % avait été atteinte au Cap, où est apparu un virus échappant, comme le variant brésilien, aux anticorps neutralisants.

Ces observations sèment évidemment un certain trouble quant à la relation entre hôte et virus. Je tiens à vous rassurer sur le fait que ce modèle ne se vérifie pas dans le cas du variant anglais, qui se comporte de façon très différente.

Enfin, l'immunité induite par les vaccins est probablement plus forte, plus solide et plus durable que celle induite par l'infection elle-même. Cet élément positif est à prendre en considération dans le tableau un peu sombre que je suis en train de dresser.

Qu'en est-il au niveau français ? Nous connaissons actuellement en France une double infection, avec une circulation du virus ancestral à un niveau relativement important et une présence de plus en plus conséquente du variant anglais, qui se répand dans le pays de façon rapide et dont on voit mal ce qui pourrait arrêter la progression.

Notre pays est aujourd'hui plutôt bon élève au niveau européen, après être passé par des situations comparativement moins flatteuses. Le Royaume-Uni et l'Allemagne, que l'on citait auparavant en exemples, mais aussi la Suisse, la Belgique et le Portugal connaissent actuellement des situations moins favorables.

En France, les mesures de couvre-feu permettent de contenir la diffusion de l'épidémie, la situation étant cependant très limite quant à son impact sur le système sanitaire, le taux d'occupation des lits et le nombre de nouvelles hospitalisations. Certaines régions sont en tension ; je pense en particulier à la Franche-Comté et au sud de la France. À l'inverse, dans d'autres territoires dont la région parisienne, la tension est contenue.

Toutefois, les projections effectuées par les modélisateurs avec lesquels travaille le Conseil scientifique montrent que l'arrivée du variant anglais pourrait conduire à la mi-mars à ce que ce variant soit dominant, avec un facteur de transmission très élevé et des conséquences sanitaires importantes en termes d'hospitalisations et d'admission en réanimation, notamment pour la population la plus fragile. Avec l'arrivée de ces nouveaux variants (essentiellement anglais, mais aussi sud-africain, dans 1 à 2 % des cas) ayant une capacité de transmission beaucoup plus élevée que le virus ancestral, la situation, qui était dans un équilibre précaire, risque fort de se trouver déséquilibrée.

Que faire face à cette perspective ? Quelles décisions prendre ? Le Conseil scientifique a pour mission d'éclairer les autorités gouvernementales sur les enjeux d'une telle situation. Il ne lui revient pas de trancher. Ceci relève de décisions politiques.

J'insiste sur la question, très importante à mes yeux, de l'outre-mer. La Guyane est très proche des forêts de Manaus. La frontière est très poreuse. Ce territoire français avait connu une vague épidémique très importante au cours de l'été et semblait « protégé » par l'inversion de la saison, le virus étant sensible au climat. Or la Guyane va être confrontée à la pénétration du variant brésilien, déjà en cours. Il est illusoire de penser arrêter cette progression. Il en va de même du côté de l'océan Indien, où le virus sud-africain progresse très vite le long de la côte est de l'Afrique, notamment au Mozambique. Les liens avec La Réunion et Mayotte y font craindre un développement de ce variant. Les premières données concernant La Réunion montrent d'ailleurs que le variant sud-africain représente déjà 5 à 6 % des contaminations. De plus, indépendamment de l'épidémie, Mayotte connaît une situation sanitaire de fond déjà très difficile. La population y étant très jeune, les conséquences en termes d'hospitalisations et d'entrées en réanimation y seront certainement assez faibles, mais la situation risque néanmoins d'y être tendue, eu égard à la contagiosité du virus.

À nos yeux, l'arrivée des variants est en train de modifier la donne, pour les raisons que je viens d'exposer. Certains ont évoqué une « épidémie dans l'épidémie », d'autres une « deuxième pandémie ». Je crois pour ma part que ceci relève de l'histoire naturelle d'un virus, qui donne nécessairement lieu à l'apparition de multiples variants. Il est important de disposer des outils de surveillance adaptés et de se donner une très grande souplesse dans la construction des vaccins. La sensibilité un peu diminuée aux vaccins pour certains de ces variants montre bien l'importance de conserver une réponse immunologique parfaitement forte et adaptée, donc de respecter les règles en matière de vaccination.

M. Cédric Villani, député, président de l'Office. - Merci beaucoup pour cette introduction.

Avant de passer la parole aux rapporteurs, je rappelle à celles et ceux qui suivent cette audition sur le portail vidéo qu'il est possible de poser des questions en ligne, sur la plateforme dédiée à cet effet, à partir du lien indiqué sur la page web de l'Office ou dans un récent tweet.

M. Jean-François Eliaou, député, rapporteur. - Professeur, il est vraiment très important et intéressant de pouvoir discuter avec vous.

Comme vous le savez, l'Office a une mission constitutionnelle : il réunit en effet des parlementaires, députés et sénateurs, dont le rôle est d'évaluer et contrôler les politiques publiques et l'action du gouvernement. Dans ce cadre, permettez-moi de vous soumettre deux séries de questions.

La première concerne le volet strictement médical et scientifique. Vos explications sur la relation entre hôte et virus et l'importance de l'immunité antivirale sont extrêmement claires. Ma question est relative au risque d'échappement lié à la pression de sélection exercée sur le virus. Ce phénomène est connu et n'a rien de surprenant. Il semblerait qu'il puisse être la conséquence des mesures sanitaires appliquées actuellement. Ces mesures sont apparues plutôt efficaces pour diminuer l'épidémie de la souche ancestrale. Les vaccins arrivent par ailleurs. Ceci ne fait-il pas le lit de l'émergence de variants, avec des conséquences pas nécessairement pathologiques - même si l'augmentation des contaminations accroît le risque de formes graves -, mais paralysantes pour la société, car elles ne toucheraient pas nécessairement les personnes âgées mais plutôt des populations plus jeunes ? En d'autres termes, la pression de sélection exercée sur le virus n'est-elle pas facilitée par les mesures que nous sommes contraints de prendre, y compris la vaccination ?

Il a été question des capacités de séquençage. Nous savons tous que le séquençage n'est pas une technique de routine pour effectuer du diagnostic, en particulier virologique. Peut-on envisager de disposer de kits permettant non pas d'avoir une suspicion d'apparition d'un nouveau variant, mais de disposer d'un diagnostic, comme ceci a été le cas pour VIH1 ou VIH2 ? De tels kits permettraient de voir les différentes souches présentes, d'être plus précis dans les statistiques et de se situer plus en amont d'une réponse sanitaire ou thérapeutique vis-à-vis des variants. On peut multiplier les plateformes de séquençage, mais jamais on ne parviendra à la souplesse offerte par des kits que l'on peut quasiment utiliser chez soi et qui permettraient d'avoir une vision beaucoup plus précise de la dissémination de ces virus.

De même, est-on assez agile pour préparer l'arrivée de nouveaux vaccins, plus adaptés, sachant que les variants et leurs séquences sont connus et qu'il est facile, à partir d'ARN synthétique, de synthétiser des vaccins ?

Ma deuxième série de questions renvoie à la mission de contrôle et d'évaluation dévolue à l'Office. Elle concerne les relations que le Conseil scientifique et son président entretiennent avec l'exécutif. Cette relation peut être rendue complexe par le fait que les politiques ont d'autres contraintes et enjeux à considérer que les seuls éléments scientifiques. Quelle est votre puissance d'impact en tant que Conseil scientifique et en tant que président de cette instance ?

Mme Sonia de La Provôté, sénatrice, rapporteure. - Les propos liminaires ont déjà apporté de nombreux éléments et je vous en remercie. Ma première question concerne la réticence croissante de la population à la perspective d'un reconfinement. Les mesures annoncées sont mal vécues, voire contestées - des restaurants sont ouverts malgré l'interdiction. La crise que nous traversons depuis une année a un impact sociétal et économique tel qu'il amoindrit la conscience du risque sanitaire. Comment pourrait-on communiquer de façon simple et intelligible pour convaincre nos concitoyens d'accepter à nouveau des mesures de restriction, voire un confinement ? Des doutes ont par exemple été émis quant à l'efficacité du couvre-feu à 18 heures. Certaines mesures semblent réduire l'acceptabilité de la lutte contre l'épidémie. Ne faudrait-il pas avoir sur les variants un discours aussi clair que celui que vous venez de tenir, mais aussi un seul canal de communication ? En effet, les prises de parole de divers intervenants, institutionnels ou non, font s'installer le doute et nuisent à l'acceptation des mesures prises. Or en l'état actuel des choses, le confinement est la seule mesure permettant de ralentir la circulation virale, dès lors que l'immunité en population n'est pas suffisante. J'aimerais recueillir votre point de vue sur les moyens permettant aux futures mesures d'être mieux acceptées. Quels sont les arguments clés sur lesquels il faudrait s'appuyer pour convaincre chacun de la nécessité et de l'importance de ces nouvelles mesures ?

Ma deuxième question concerne le séquençage, actuellement très ciblé sur le variant britannique. Or d'autres variants sont en circulation. Leur taux de pénétration en France est certes moindre, mais nous n'en sommes pas pour autant exempts. Le variant sud-africain pourrait très bien se développer, avec une capacité de diffusion supérieure à celle du variant britannique. L'organisation du séquençage à l'échelle nationale permet-elle de disposer d'un état des lieux précis de l'arrivée de ces variants ?

On observe par ailleurs, y compris en Angleterre, une régionalisation de la politique de lutte contre l'épidémie. Ne pensez-vous pas que certaines des mesures à prendre, dont un éventuel confinement, pourraient être territorialisées, au moins en partie ?

M. Gérard Leseul, député, rapporteur. - Je souhaite soumettre trois brèves questions. Comme vous l'avez souligné, les vaccins constituent l'espoir majeur pour limiter l'impact de la pandémie, voire sortir totalement de cette crise. Nous en sommes tous convaincus. Vous nous avez néanmoins quelque peu inquiétés en indiquant que la sortie de crise, initialement envisagée vers l'automne 2021, serait vraisemblablement repoussée. Dans ce contexte, le fait d'avoir vacciné un million de Français jusqu'ici nous place-t-il globalement dans les temps pour diminuer les pics d'hospitalisations ?

Dans son très intéressant avis du 12 janvier, le Conseil scientifique signale que plus les décisions sont prises rapidement, plus elles sont efficaces et plus elles évitent de devoir recourir ultérieurement à des mesures drastiques. Qu'en est-il aujourd'hui ? N'est-on pas en train de trop temporiser ? Y a-t-il des mesures d'urgence à prendre ?

Ma troisième question ressort beaucoup dans ma circonscription, sur les réseaux sociaux notamment. J'ai également rencontré des collectifs de médecins qui m'en ont fait part. Que pense le Conseil scientifique de la recommandation de l'Académie de médecine concernant le fait de supplémenter préventivement toutes les personnes carencées en vitamine D ?

Mme Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure. - J'ai écouté avec attention votre intervention sur BFMTV mardi matin. Vous étiez extrêmement alarmiste et sembliez vouloir préparer la population à l'idée d'un confinement rapide, qui n'a pour l'instant pas été annoncé officiellement. Le couvre-feu paraît plus ou moins efficace et respecté.

Je suis pédiatre de profession. Les parents sont inquiets de ce qu'il va advenir de leurs enfants. Or vous n'avez pas évoqué la diffusion pédiatrique des variants. Il a été dit que les enfants seraient plus contagieux avec ces variants. Cette idée prévalait déjà en mars 2020 avec la souche alors en circulation, ce qui avait conduit à fermer les écoles. Est-ce toujours un sujet, sachant que depuis que les enfants portent le masque à l'école, il semble qu'ils se contaminent beaucoup plus dans leur famille que dans les établissements scolaires ? La Société française de pédiatrie recommande de ne pas confiner les enfants, car cela risque de créer chez eux des problèmes psychologiques importants. Dans une autre tranche d'âge, nous savons également que les étudiants souffrent terriblement de la situation.

Ceci me conduit à évoquer la santé mentale de la population et l'angoisse que génère cette succession de mesures, prises ou annoncées. Quelle est votre influence sur les décisions du gouvernement à ce sujet ? La possibilité d'un « chèque psy » pour les étudiants a été évoquée. J'ignore si le remède est à la hauteur des dégradations psychologiques constatées.

Le CCAS de ma commune a mené une enquête pour savoir quelles personnes de plus de 75 ans devaient être conduites au centre de vaccination - à supposer que les vaccins arrivent un jour jusque-là. Or nous avons constaté de très nombreux refus de vaccination dans cette tranche de population. Ils pourraient s'expliquer en partie par le fait que cette commune se situe en Nouvelle-Aquitaine, jusqu'alors peu touchée par l'épidémie. Ceci me semble néanmoins très alarmant quand on sait que le pays tout entier est à l'arrêt pour protéger nos aînés. N'aurait-il pas fallu instaurer une obligation vaccinale pour les personnes de plus de 75 ans, comme on l'a fait pour les jeunes enfants voici quelques années ?

Ma dernière question est plus technique. Il semble que les vaccins Pfizer-BioNtech et Moderna restent efficaces contre les variants et puissent s'y adapter. Qu'en est-il des vaccins à base d'adénovirus comme celui d'AstraZeneca ou d'autres vaccins plus traditionnels ? Je ne parle pas ici du projet français, abandonné récemment, qui soulève la question de la capacité de notre pays à produire un vaccin.

M. Cédric Villani, député, président de l'Office. - Merci, chers collègues, pour ces nombreuses questions, auxquelles j'en ajouterai deux, très brèves.

Professeur, vous évoquiez dans votre propos des phénomènes relevant des sciences humaines et sociales, de la psychologie notamment. Pourriez-vous nous rappeler les compétences dont le Conseil scientifique dispose dans ces domaines ? Quelles sont les spécialités pour lesquelles vous allez chercher des avis à l'extérieur ? Comment fonctionne le Conseil vis-à-vis de la communauté scientifique ?

Vous avez évoqué trois vagues épidémiques. Or je me souviens de l'audition d'un épidémiologiste qui nous avait expliqué que le contrôle de l'épidémie avait été perdu très tôt, en juillet ou en août, et jamais repris ensuite. Lors du deuxième confinement, jamais les chiffres de la contamination ne sont descendus au-dessous des seuils définis comme marquant un possible retour à la normale. Avec le recul dont nous disposons aujourd'hui, que peut-on dire de la dynamique de l'épidémie depuis mars 2020 ? S'agit-il de trois vagues ? D'un seul événement ? Quels enseignements tirer de tout cela ?

Pr. Jean-François Delfraissy. - Je vais tout d'abord revenir en quelques mots sur le Conseil scientifique, sa composition, son fonctionnement et ses relations avec les autorités sanitaires de ce pays.

Le Conseil a été constitué le 10 mars 2020 à la suite d'une réunion de scientifiques qui s'était tenue à l'Élysée quelques jours auparavant. Les membres ont été désignés à partir de propositions formulées par mes soins et par le ministre de la santé. Nous sommes ainsi tombés d'accord sur un certain nombre de noms. J'ai souhaité un groupe multidisciplinaire, composé de virologues, réanimateurs, infectiologues, modélisateurs, épidémiologistes, mais aussi d'un médecin généraliste membre du collège de la HAS et d'experts en sciences humaines et sociales, dont une anthropologue spécialiste des maladies émergentes et un chercheur du CNRS, professeur de politiques publiques à Sciences Po. La société civile y est également représentée, bien que de façon insuffisante à mes yeux. Le regard de la présidente de l'association ATD-Quart monde nous est ainsi très précieux. Il faut en effet savoir que cette pandémie, comme toutes les grandes pandémies, est profondément injuste et touche plus cruellement les populations les plus fragiles en raison de leur âge, mais aussi de leur précarité.

Nous nous sommes réunis trois fois par semaine pendant les trois premiers mois. Chacun des membres du Conseil est « tête de pont » de sa communauté, au sein de laquelle il va chercher des idées qu'il fait remonter. Nous nous sommes autosaisis d'environ trois quarts des sujets traités. Seul un quart de nos travaux étaient des réponses à des saisines émanant des autorités sanitaires.

J'ai souhaité que les avis émis par le Conseil scientifique soient publics. Je vous rappelle, à titre de comparaison, que l'équivalent britannique de cette instance était anonyme et ne produisait pas d'avis écrits. Il m'a semblé de bonne pratique vis-à-vis de nos concitoyens que nos travaux soient écrits et mis à la disposition de la population, de la presse et des différentes autorités. Il y a toutefois généralement un délai de quelques jours dans la diffusion, puisque nos avis sont dans un premier temps adressés aux autorités sanitaires et gouvernementales, avant d'être communiqués au grand public. Il est ainsi possible que des décisions politiques soient prises sur la base d'avis du Conseil scientifique avant que ces derniers ne soient rendus publics.

L'une de vos questions renvoyait aux relations entre le Conseil et l'exécutif. La situation est claire : le Conseil scientifique a pour mission d'éclairer l'exécutif et non de prendre des décisions, qui relèvent du politique. Le Conseil met l'accent sur les points de situation, les éléments clés, les enjeux qui lui paraissent importants. Nous travaillons aussi en anticipation : nous sommes par exemple déjà en train de réfléchir à la manière de sortir d'une situation aussi difficile que celle-ci, en anticipant les questions que ceci soulève.

Le politique a toute latitude pour suivre ou non nos recommandations. Je constate qu'il les a suivies à de multiples reprises, même si ce ne fut pas toujours le cas. Ainsi, au mois de mai, l'exécutif a souhaité rouvrir les écoles, alors qu'il nous semblait opportun qu'elles restent fermées jusqu'en juillet. Il faut reconnaître a posteriori que le gouvernement a eu raison, car au-delà de la vision purement sanitaire, il est important de prendre en considération la dimension sociétale et économique. De même, le Conseil scientifique réclamait de longue date la création d'un comité de liaison ou de discussion avec la société, afin de faire remonter un certain nombre de sujets. Pour des raisons diverses, les autorités ont tardé à mettre en place une telle instance, qui vient seulement d'être constituée sous l'égide du CESE, autour de la question du vaccin.

Dans des situations difficiles, charnières, critiques, on observe parfois un décalage entre le signal donné par le Conseil scientifique et la prise de décision politique. Ce fut le cas en septembre, où le Conseil scientifique a souligné l'importance de la reprise épidémique et a annoncé l'arrivée d'une « deuxième vague ». J'ai bien conscience que les décisions sont extrêmement difficiles à prendre. Il en va de même actuellement : nous avons donné des signaux d'alerte, mais la décision sera bien évidemment prise in fine par les autorités politiques.

La situation épidémiologique actuelle en France nous place dans un contexte d'urgence. J'assume l'idée selon laquelle plus une décision est prise tôt, plus elle est potentiellement efficace. Ne confondons toutefois pas urgence et extrême urgence. Les décisions à prendre sont complexes car les enjeux sont énormes et multiformes, comme en témoigne la diversité de vos questions. La dimension sanitaire est évidemment importante, mais elle n'est pas la seule à devoir être prise en compte : les enjeux sociétaux, les enjeux d'acceptabilité des mesures, les conséquences pour notre jeunesse sont essentiels et nous y sommes très sensibles. Je suis moi-même grand-père. Les membres du Conseil scientifique sont des citoyens comme les autres et sont parfaitement conscients des enjeux extra-sanitaires de la situation et de la difficulté de toute prise de décision. Il va falloir prendre des décisions, mais nous ne sommes pas à un jour près. Prenons le temps d'essayer de construire avec intelligence la moins mauvaise des réponses.

Certaines de vos questions concernaient le séquençage et le diagnostic. Il faut à la fois développer, comme vous le suggérez, des kits de diagnostics PCR et la démarche de séquençage, car celui-ci ne va pas tout résoudre. Les kits de diagnostics sont construits pour l'instant avec des PCR qui donnent des signaux d'alerte, mais non des informations positives indiquant de quel type de variant il s'agit. Les techniques PCR permettant de discriminer immédiatement les variants dont il est question sont déjà élaborées par les laboratoires de virologie de l'AP-HP et vont être mises à disposition dans les jours ou les semaines à venir.

Le séquençage reste important car il permet une surveillance sans a priori et offre ainsi la possibilité de voir arriver un variant jusqu'alors inconnu. En revanche, la technique PCR permet la surveillance diagnostique d'un variant déjà connu, dont les mutations ont été décrites. Il ne faut donc pas opposer ces deux techniques. La France est probablement le seul pays d'Europe capable de donner actuellement des chiffres assez précis sur l'arrivée des variants. Leur pénétration en Allemagne, par exemple, n'est pas encore suivie avec un modèle de dépistage et de séquençage comparable au nôtre.

Pour ce qui est de l'impact des variants sur la stratégie vaccinale, je rappelle que les deux vaccins à ARN actuellement autorisés permettent d'induire une réponse immunitaire neutralisant le variant anglais. Par ailleurs, les techniques de vaccin à ARN permettent d'anticiper la pénétration d'autres variants. Deux questions sont actuellement sur la table à ce propos. Comme vous le savez, on ignore la durée exacte de la protection, c'est-à-dire de la réponse immunitaire induite par ces vaccins - elle est estimée à quelques mois. Une stratégie est déjà développée par les compagnies pharmaceutiques, en lien avec les scientifiques, en vue de redynamiser la réponse immunitaire avec une nouvelle vaccination orientée soit vers la souche initiale, soit vers un nouveau variant. Ainsi, une population vaccinée pourrait être vaccinée à nouveau au bout de neuf mois par exemple, avec un vaccin dédié à tel ou tel variant. Des tests sont actuellement effectués en ce sens. Mais les groupes pharmaceutiques vont encore plus loin. J'en discutais récemment avec Alain Fischer, Marie-Paule Kieny et le patron de Moderna, qui nous indiquait que sa société était en train de construire des vaccins plurivariants, c'est-à-dire contenant plusieurs ARN dirigés contre différents variants. Ils sont même en train d'essayer d'élaborer des vaccins protégeant à la fois contre la grippe et contre le coronavirus. Y parviendront-ils ? Nous l'ignorons. En tout cas, la technique le permet. Des vaccins contenant plusieurs ARN sont actuellement disponibles contre le cytomégalovirus, et les scientifiques de Moderna s'en sont inspirés lorsqu'il s'est agi d'imaginer un vaccin contre le coronavirus. On sait qu'il est possible d'élaborer un vaccin pluripotentiel, dirigé contre différentes cibles et susceptible d'être adapté au fur et à mesure. Il faut toutefois souhaiter que la pression vaccinale soit suffisante pour qu'il ne soit pas nécessaire de multiplier la construction de vaccins plurivariants.

Comme vous le soulignez, la question de l'acceptabilité et de la perception sociétale de la crise est un élément très important. Il est clair que tout le monde en a assez de cette crise, moi y compris. Ma situation n'a toutefois que peu d'importance par rapport à celle d'un étudiant en première année d'université, qui n'a jamais rencontré ni ses camarades, ni ses professeurs, ou d'un jeune qui ne parvient pas à trouver d'emploi ou de petit-e ami-e. Le Conseil scientifique en a pleinement conscience, dans sa dimension humaine et sociale. Il s'agit d'un enjeu essentiel : comment équilibrer une vision « tout sanitaire », qui est la voie privilégiée jusqu'à présent afin de protéger les personnes les plus fragiles et de diminuer la morbi-mortalité, et une vision incluant un volet sanitaire mais permettant à la France de vivre ? Il n'appartient pas au Conseil scientifique de se prononcer sur cette question ; ceci relève de décisions éminemment politiques. Je pense néanmoins que cette situation soulève actuellement des questions sociétales et quasi éthiques de politique générationnelle, dans le fait de continuer à préserver la santé des plus anciens au détriment peut-être de celle des plus jeunes. Il s'agit selon moi d'une grande question, à laquelle nous sommes très sensibles.

La communication est un élément fondamental, mais ne fait pas partie des attributions du Conseil scientifique. Nous communiquons uniquement lorsque sont publiés nos avis, dans un but explicatif. Pour un Français non spécialiste de ces questions, un variant représente un risque théorique. Il est très important d'expliquer les raisons pour lesquelles il est essentiel d'adopter une démarche préventive, afin d'essayer d'éviter que l'épidémie ait un impact trop fort sur le système de soins et génère trop de décès. La communication est la base de la confiance, qui est fondamentale, notamment en période de crise. Or la confiance n'est pas donnée d'emblée, mais se construit et passe par des hauts et des bas. J'ai pleinement conscience que les problèmes de confiance qui existent parfois entre les citoyens et les politiques existent aussi entre les citoyens et les scientifiques. J'y vois une vraie leçon à tirer de la crise Covid.

Les vaccins restent évidemment un espoir majeur pour sortir de cette pandémie, même si le schéma est moins simple qu'en début d'année, où une sortie de crise était envisageable pour octobre. Nous nous interrogeons en effet sur la survenue éventuelle d'un autre variant, sur la durabilité des vaccins, mais aussi sur l'ingénierie nécessaire à la fabrication de nouveaux vaccins, et sur la possibilité d'entrer dans une vaccination chronique, modifiée chaque année. Il faut être très prudent et modeste vis-à-vis de ce virus. Une sortie de crise me paraît néanmoins possible lorsque l'immense majorité des personnes les plus à risque auront été vaccinées. Néanmoins, toutes ne seront pas vaccinées, puisque cela n'est pas obligatoire, et certaines développeront une réponse immunitaire moins bonne qu'espérée. Ainsi, si l'on considère que 80 % des personnes fragiles seront vaccinées, avec 80 % de réponse, il apparaît qu'un tiers de cette population ne serait pas protégée. Il importe donc non seulement d'encourager la vaccination, mais aussi de penser d'autres stratégies, notamment en termes de prise en charge thérapeutique des personnes les plus à risque.

La question des enfants est à la fois très technique et éminemment sociétale. Les données britanniques, qui suggéraient initialement que le variant anglais était plus transmissible au sein des écoles et parmi les enfants, ne nous ont pas convaincus. C'est la raison pour laquelle nous avons recommandé, malgré la présence des variants, de laisser les écoles ouvertes. Pouvoir aller à l'école est absolument indispensable, notamment pour les enfants issus des classes les plus fragiles et socialement défavorisées. Nous restons pour l'instant sur cette position. Lorsque la circulation du virus en population générale est à l'indice 100, elle est à l'indice 60 chez les enfants, qui sont plus souvent infectés par les adultes que l'inverse. Les enfants sont certes un facteur de transmission, mais ils sont plutôt moins impliqués que la moyenne de la population. À l'échelle de l'Europe, la moitié des pays ont choisi de fermer les écoles - tel est le cas de l'Angleterre. L'autre moitié a décidé de maintenir les écoles ouvertes.

S'agissant de l'impact des recommandations du Conseil scientifique sur les décisions gouvernementales, il faut distinguer clairement ce qui relève de l'éclairage scientifique et sanitaire, qui est le coeur de notre mission, et la prise de décisions, qui incombe exclusivement à la sphère politique. L'idée, qui a germé dans la tête de certains journalistes, selon laquelle il existerait en France un troisième pouvoir, médical, est totalement fausse. En période de crise sanitaire, le pouvoir politique peut demander des éclairages aux scientifiques, puis suivre ou non les conseils et recommandations qui lui sont donnés dans ce cadre. Les décisions sont, je le répète, politiques.

La notion de « vagues » successives a été questionnée. Peut-être est-elle en effet quelque peu simpliste. Nous sommes persuadés que les trois vagues dont on fait parfois état sont en fait une seule et même histoire, qui prend des inflexions différentes en fonction des mesures prises, de la saison, du brassage des populations, etc. L'idée n'est pas aujourd'hui d'éradiquer le virus, mais de maîtriser sa circulation et de protéger en priorité contre la morbidité et la mortalité les personnes les plus âgées et les plus fragiles.

M. Cédric Villani, député, président de l'Office. - Merci beaucoup. Nous allons à présent entamer un deuxième et dernier round de questions.

M. Loïc Prud'homme, député. - Depuis l'origine de la pandémie, le discours de lutte contre le coronavirus reprend l'objectif ainsi formulé : « stopper la circulation du virus ». Ce virus se déplace-t-il à pied ? Je me permets ce trait d'humour pour souligner une évidence : les flux de personnes sont bien évidemment le vecteur de transmission, donc de diffusion du virus. Pourriez-vous donc m'expliquer l'absence complète de stratégie, depuis au moins le printemps dernier, en matière de contrôle des flux de population, qui percute la stratégie vaccinale et pourrait l'enrayer, alors que nous faisons face à un afflux de variants ? Il n'existe actuellement aucune obligation d'être testé pour se déplacer au sein de l'espace Schengen, ce qui fait in fine de l'Europe le foyer épidémique de la deuxième vague. De la même façon, depuis le début de la crise, aucune obligation de test n'a été posée pour accéder au territoire français au milieu de ce bouillon de culture européen. Quasiment aucune limite n'a été fixée aux déplacements interrégionaux en France, en dehors des courtes périodes de confinement, créant cet été notamment les conditions d'une large diffusion du virus dans le pays.

Ces derniers jours, la cohérence semblait avoir enfin atteint le sommet de l'État, avec l'annonce d'une exigence de test négatif pour entrer sur le territoire français. Hélas, ceci ne concerne que les entrées via les ports et les aéroports. Si ce virus ne se déplace manifestement pas à pied, il semblerait donc qu'il emprunte exclusivement les bateaux et les avions, ce qui m'étonne.

Comment pouvez-vous expliquer cette absence durable d'exigence de test et de contrôle des flux entrants, qui ont pourtant fait leurs preuves ailleurs sur la planète, alors même que les variants se multiplient à nos frontières ?

Mme Huguette Tiegna, députée. - Ma question s'inscrit dans une perspective de temps long. Depuis l'arrivée du virus, nous apprenons à vivre avec la maladie. Nous voyons également la nécessité de concilier la dimension sanitaire de la lutte contre le virus avec les aspects économiques et sociétaux. Aujourd'hui, avec l'arrivée du vaccin, nous avons devant nous une belle perspective pour éradiquer la maladie. Mais ceci nous a également montré que la recherche française était en retard sur les vaccins. Pouvez-vous nous dire si ce retard est lié au financement de la recherche en médecine ou s'il s'agit d'un problème relatif au seul secteur de la recherche en virologie ? Pensez-vous que nous serons en mesure de rattraper ce retard, pour des questions de souveraineté dans le domaine médical ?

Mme Michelle Meunier, sénatrice. - Je remercie le professeur Delfraissy d'avoir placé au centre de son propos les questions d'éthique et de démocratie sanitaire, deux thèmes qui me sont chers et qui nous ont valu de nous côtoyer au sein du Comité consultatif national d'éthique (CCNE). Je vais être très directe : avez-vous l'impression que le Conseil scientifique est suffisamment entendu sur ces sujets ? Les Français sont lassés et il leur est de plus en plus difficile de s'y retrouver, avec notamment des prises de position de votre part qui ont changé récemment, par exemple sur le timing des mesures. Vous disiez ainsi fin décembre que le temps était compté, que nous étions lancés dans une course contre la montre et que chaque semaine était précieuse. Aujourd'hui, vous venez de nous dire de manière argumentée que l'on n'était pas à une semaine près. Avouez qu'il est difficile de comprendre. Pensez-vous que ceci pourrait être plus clairement exprimé auprès des Françaises et des Français ? Comment éviter toute confusion ? Dans votre exposé, vous avez fait également la différence entre « urgence » et « extrême urgence ». En tant que non-médecin, je trouve ces déclarations particulièrement troublantes.

M. André Guiol, sénateur. - Fort heureusement, de nombreux malades atteints par le virus guérissent. Pour autant, un bruit a circulé au début de la pandémie selon lequel cette maladie laissait des séquelles à long terme, notamment sur les poumons. Je reçois beaucoup de questions de mes administrés sur ce sujet. Qu'en est-il exactement ?

M. Cédric Villani, député, président de l'Office. - On entend en effet parler de « Covid longue durée » ou de « troisième phase du Covid », ce qui sera vraisemblablement un souci majeur à terme.

M. André Guiol, sénateur. - Il s'agit en effet pour la population d'un sujet de préoccupation, dont on entendait régulièrement parler au début de la pandémie, mais que l'on n'évoque plus depuis quelque temps, me semble-t-il.

Mme Sonia de La Provôté, sénatrice, rapporteure. - J'ai évoqué dans mon intervention la question des mesures proposées et de l'évaluation de leur effet. Qu'en est-il ?

Vous aviez préconisé dans votre rapport une possible territorialisation des mesures. On observe une régionalisation de l'épidémie, en Angleterre notamment, mais aussi des résultats positifs de confinements précoces, à Londres par exemple, et de mesures drastiques dans certains secteurs. Cet élément pourrait-il être utile dans l'arsenal dont nous disposons aujourd'hui pour lutter contre la diffusion du virus ?

Quel est par ailleurs votre point de vue sur le « confinement light » mis en oeuvre lors de la deuxième vague et le confinement plus strict de la première vague ? Ont-ils un effet identique ?

Ces mesures sont-elles adossées à des objectifs stratégiques précis en matière d'incidence et de taux d'occupation des lits hospitaliers ? Dispose-t-on, en d'autres termes, d'un arsenal d'outils de restriction de déplacement, de restriction du quotidien, susceptibles d'être utilisés en fonction de l'évolution de la maladie et des données épidémiologiques ?

M. Cédric Villani, député, président de l'Office. - Je vais pour ma part relayer la cinquantaine de questions posées sur la plateforme, en essayant d'en faire la synthèse.

De nombreuses questions concernent les traitements non vaccinaux. À une époque, les controverses se sont multipliées à propos du remdesivir, de l'hydroxychloroquine, des traitements proposés par Didier Raoult et d'autres encore, et de la prescription de ces traitements par les médecins de ville. Que peut-on dire aujourd'hui de l'arsenal non vaccinal de réponse à l'épidémie ?

Une question concerne la transparence. Où peut-on lire les publications du Conseil scientifique ? Quelle démarche doit effectuer un citoyen souhaitant savoir à quelles études vous vous référez ?

Comment pouvez-vous garantir la fiabilité des études et des données fournies par Pfizer, Moderna et les autres laboratoires ? D'aucuns ont parlé de fraude. Peut-on affirmer aujourd'hui que les essais ont été menés avec toute la rigueur nécessaire ? Que dire des autorisations de mise sur le marché ?

La contamination est un autre sujet de questionnement. Des débats se sont noués sur les mesures à prendre, l'ouverture ou la fermeture des transports en commun, celle des commerces, etc. Que sait-on aujourd'hui des endroits et des situations dans lesquels ont lieu les contaminations ?

Je relaie directement la question suivante : « Est-ce qu'il conviendrait de confiner les plus âgés, qui sont les personnes à risque, en attendant qu'elles soient vaccinées, et laisser la population jeune plus libre, pour tenir compte des troubles psychologiques dont on voit qu'ils atteignent certains pans de cette population ? »

Les internautes s'interrogent sur la prescription de vitamine D, qui a fait l'objet d'un communiqué de l'Académie de médecine. Que faire en pratique ? Nos concitoyens doivent-ils prendre leur dose de vitamine D tous les matins ?

Existe-t-il un scénario envisageant un ensemble de mutations, vaccinations, confinements à répétition pendant plusieurs mois, voire des années, avec les conséquences économiques et psychologiques que l'on imagine ?

Des polémiques ont eu lieu à propos du bienfondé du confinement. Certains affirment que l'OMS n'a pas eu d'attitude claire sur ce sujet. Que dire aujourd'hui, par rapport à la pratique internationale, sur l'efficacité de cette mesure ?

Le Conseil scientifique est-il impacté par le complotisme ? Les théories diffusées notamment sur les réseaux sociaux affectent-elles la stratégie de vaccination ? Dans quelle mesure troublent-elles votre message scientifique et entravent-elles votre action ?

On s'interroge également sur la manière dont les conflits d'intérêts ont été abordés au sein du Conseil scientifique. Ont-ils été déclarés, expurgés ? Quelle est votre démarche en la matière ?

Êtes-vous vacciné ? Quelle est la position personnelle des autres membres du Conseil scientifique à cet égard ?

Pourquoi les modèles épidémiologiques sur lesquels vous vous basez ne sont-ils pas rendus publics sur des plateformes, afin que d'autres scientifiques puissent les analyser et comprendre sur quoi tout ceci se fonde ?

Je n'ai pas rendu justice à toute la variété des messages déposés sur notre plateforme et j'en ai adouci ou expurgé certains. Ceux que je viens de vous soumettre donnent toutefois un assez bon aperçu des questions que se posent les concitoyens qui nous écoutent.

Pr. Jean-François Delfraissy. - La question de la circulation du virus et des endroits dans lesquels on se contamine est très importante. Qu'en sait-on après un an de pandémie ? Trois études (une américaine, une anglaise et une française conduite par Arnaud Fontanet de l'Institut Pasteur) ont été publiées sur le sujet début décembre. Les informations dont nous disposons sont donc relativement récentes. Ces travaux ont été menés sur la base des déclarations de personnes contaminées, volontaires pour répondre à un certain nombre de questions par mail. Il en ressort que l'on se contamine essentiellement lorsqu'on enlève son masque pour manger et boire, à l'extérieur ou chez soi. Une partie des contaminations, notamment chez les plus anciens, provient ainsi des familles, des amis, des personnes qui viennent leur rendre visite. Les restaurants d'entreprise sont aussi possiblement un lieu de contamination.

Certains endroits, comme les transports et certains commerces, n'apparaissent pas clairement comme lieux de contamination, ce qui montre que la grande majorité de nos concitoyens font preuve d'une grande vigilance, contrairement à l'image qu'en donnent parfois les médias. Les Français ont jusqu'à présent été très raisonnables et supporté des mesures extrêmement difficiles. Ils portent le masque dans les transports, dans les commerces.

Il apparaît que plus une mesure peut s'appuyer sur une donnée scientifique, permettant de raconter l'histoire à nos concitoyens et d'expliquer les raisons pour lesquelles elle est prise, plus elle est crédible et participe d'un climat de confiance. Malheureusement, les données dont nous disposons pour la Covid-19 sont relativement récentes, y compris sur cette question simple relative aux lieux propices à la contamination. Comme vous le savez, la contamination s'effectue par voie aérienne et tactile, d'où l'expression des mesures de protection. Ces trois études sont concordantes. Celle conduite par Arnaud Fontanet s'est déroulée sur les périodes allant du 1er au 15 octobre, puis du 1er au 15 décembre. Elle se poursuit actuellement, en phase de couvre-feu. Les résultats sont robustes, puisque l'on trouve à chaque fois les mêmes résultats.

Concernant les flux et les transports, il est évident que chaque rassemblement multiplie le risque de transmission. La situation en France est très contrastée : alors que la circulation reste autorisée entre les régions, certaines sont beaucoup plus touchées que d'autres. Ceci est en partie lié au phénomène des grandes métropoles, mais pas seulement. L'ouest de la France est jusqu'à présent relativement protégé, à la fois vis-à-vis des variants et en termes de niveau de contamination, contrairement à la partie centrale et à la partie est du pays, beaucoup plus touchées.

Le problème des frontières est un sujet complexe. Je n'ai pas à me prononcer sur la dimension politique de cette question et me cantonnerai à son volet sanitaire, pour vous dire que le variant anglais est déjà présent en France. On peut imaginer retarder l'arrivée du variant sud-africain dans la métropole pendant un certain temps, mais il est évident qu'il va finir par arriver. Jusqu'à présent, les pays africains étaient très peu concernés par la contamination, si bien qu'il n'y avait aucune raison de couper les liens entre l'Afrique du sud ou le Mozambique et Mayotte et La Réunion par exemple. Le virus est transporté par les humains, qui ont des contacts mutuels : faut-il par conséquent bloquer l'ensemble de la circulation pour limiter sa dissémination ? Il s'agit d'une décision éminemment politique, sur laquelle je ne me prononcerai pas.

Une question, en lien avec la notion de souveraineté, concernait le financement de la recherche en France et le fait que les équipes françaises n'avaient pas mis au point de vaccin. Cette question renvoie à la fois à la situation de la recherche académique, mais aussi à l'écosystème des start-up et aux big pharma. Il y a en France une très grande entreprise big pharma, Sanofi, pourtant spécialiste des vaccins, dont les travaux visant à la mise au point d'un vaccin contre le coronavirus ont, pour des raisons diverses, connu un départ difficile. Notre pays n'est donc pas au rendez-vous, au moins dans l'immédiat. Rien n'indique toutefois que nous ne serons pas au rendez-vous à l'automne prochain. Pour l'instant il est vrai, les vaccins, issus de recherches académiques (on pense au vaccin d'AstraZeneca élaboré avec les équipes d'Oxford) ou de start-up (comme BioNTech avec Pfizer), n'impliquent pas d'équipes françaises. Sans doute savez-vous par ailleurs que les travaux portés par l'Institut Pasteur et le laboratoire Merck sur un vaccin porté par le virus de la rougeole ont été arrêtés, car les premiers résultats n'étaient pas suffisamment solides. Ce sont les aléas de la recherche. Est-ce lié à un problème de financement de la recherche ? Je ne souhaite pas entrer dans ce débat. Sachez seulement que la France est en cinquième position en termes de publications sur la Covid-19 depuis le début de la pandémie. Ce classement, issu d'une étude bibliométrique réalisée par REACTing et l'Inserm, est assez habituel pour notre pays en matière de recherche en biologie.

Madame Meunier, nous nous sommes côtoyés au sein du CCNE et vous savez donc que les thèmes de la démocratie sanitaire et de la communication me sont chers, avec le triangle dessiné par le politique qui décide, le scientifique qui éclaire et le citoyen qui participe à la réflexion. La notion même de démocratie en santé est construite sur ce schéma. Or il faut reconnaître qu'elle n'a pas été véritablement au rendez-vous au cours de cette crise, pour diverses raisons tenant notamment à la sidération et à une gestion souvent top down en situation d'urgence. Je le déplore. Le Conseil scientifique avait souhaité que soit constitué un comité citoyen de liaison. Ceci a finalement été fait autour du vaccin, avec un certain retard. Il m'apparaît important de souligner que cette démarche a été mise en oeuvre en région, ce que je trouve très intéressant : des comités citoyens ont ainsi été formés, en relation avec des scientifiques, à Grenoble, Lyon, Strasbourg, Rennes, bientôt Paris. Dans ce cadre, des discussions se nouent avec les autorités régionales, les maires, les responsables de grandes métropoles. Cette dynamique existe donc, même si elle a tardé à se mettre en place.

Je souhaite revenir sur les questions de communication et mes propos sur l'urgence et l'extrême urgence. Je maintiens ma position. Le Conseil scientifique n'a jamais recommandé d'entrer dans le confinement dès début janvier. Nous avons simplement invité les autorités à une vigilance accrue et à une surveillance active, afin d'observer d'éventuelles conséquences des fêtes de fin d'année. À partir de mi-janvier, nous avons évoqué différents scénarios, en fonction de l'arrivée des variants. Actuellement, les services de réanimation ne sont pas saturés. On perçoit bien la tension existant entre une vision strictement sanitaire consistant à agir vite pour éviter un « drame » mi-mars ou fin mars et l'attention portée à d'autres aspects, dont la santé mentale des plus jeunes ou l'acceptabilité des mesures par la population, qui devient de plus en plus difficile. De telles décisions méritent d'être réfléchies, construites. Le médecin que je suis considère qu'il existe une différence entre le cas d'un jeune de 18 ans qui vient d'avoir un accident sur le périphérique et dont la situation nécessite l'intervention de trois équipes chirurgicales pour l'opérer dans l'heure et un autre cas, certes difficile, requérant le recours à une IRM, à des examens radiologiques, mais pour lequel on dispose de plusieurs jours pour établir un diagnostic. Il faut distinguer urgence et extrême urgence. En l'occurrence, il est urgent d'agir, dans un délai d'une semaine.

Les conséquences du Covid - ou « Covid long » - sont également une question intéressante, un peu moins présente aujourd'hui dans l'actualité. Des recherches sont en cours sur le sujet. Plusieurs cohortes de suivi des patients Covid ont été constituées, sous l'égide de l'ANRS-REACTing, agence de recherche créée le 1er janvier. Sont ainsi étudiées les conséquences pulmonaires, mais aussi cardiovasculaires, neurologiques et psychiques de la Covid-19. Un colloque sur le Covid long devrait être organisé d'ici le mois de mars par l'ANRS-REACTing, si la situation le permet. Des liens sont par ailleurs établis entre les résultats de ces travaux et les données obtenues par nos collègues allemands et anglais. Il est en effet très important, en recherche opérationnelle comme dans le cadre du Conseil scientifique, d'avoir de multiples relations avec les équipes étrangères. J'ai consacré l'essentiel de mon temps au cours des quinze derniers jours à des échanges avec les collègues anglais, sud-africains, brésiliens et californiens, pour obtenir le maximum d'informations.

Dispose-t-on d'une évaluation des politiques publiques ? Est-on en capacité de connaître l'impact d'un couvre-feu à 18 heures, d'un confinement strict ou allégé ? Cette question est d'autant plus difficile dans un contexte de crise que l'évaluation de politiques publiques n'est pas dans les habitudes françaises. Des dispositifs ont toutefois été mis en oeuvre en ce sens. Nous avons par exemple désormais, dans plusieurs territoires, un certain recul sur l'expérience du couvre-feu à 18 heures, qui montre une relative efficacité sur la circulation du virus en général, mais aucune sur la pénétration et la circulation des variants. En d'autres termes, le couvre-feu permet dans une certaine mesure de contrôler la circulation du virus. Ceci ne se vérifie toutefois pas dans l'ensemble des zones, comme en régions PACA ou Franche-Comté où la circulation virale n'est absolument pas contrôlée par le couvre-feu à 18 heures, et a fortiori la pénétration des variants.

Une stratégie de territoire pourrait-elle être mise en oeuvre ? La réponse est affirmative. Une telle politique a toutefois été peu appliquée jusqu'à présent. Le Conseil scientifique a recommandé qu'elle soit l'un des scénarios envisageables : il s'agirait d'associer un couvre-feu strict, y compris pendant le week-end, avec un confinement dans certaines régions particulièrement touchées. Une telle démarche est possible, à condition d'être clairement expliquée. Il est en effet essentiel de communiquer sur les critères, indices et marqueurs utilisés pour déterminer les régions auxquelles s'appliquerait le confinement. Un marqueur très important dans les semaines à venir sera le pourcentage des variants présents dans telle ou telle zone. La décision d'une stratégie plus globale à l'échelle de l'ensemble du territoire est également une option entre les mains du politique.

Parmi les questions que vous avez relayées figure celle, très intéressante, des traitements, à un moment où l'attention est portée sur les vaccins. Je crois beaucoup à l'arrivée des traitements. Les vaccins vont permettre de protéger les plus anciens contre les formes graves, mais tous ne seront pas protégés. Que faire pour ceux qui n'auront pas bien répondu au vaccin ou qui n'auront pas été vaccinés ? L'une des solutions ne consisterait-elle pas à traiter immédiatement les plus anciens, de façon à réduire la morbi-mortalité ? Dispose-t-on des outils pour cela ? Pendant longtemps, aucun traitement n'était disponible. Le Conseil scientifique avait abordé le sujet dans un avis de juillet, après avoir examiné les résultats des grands essais internationaux : il n'existait alors pas de médicament spécifique ayant fait la preuve d'une efficacité directement dirigée contre la Covid-19. Ceci est vrai pour l'hydroxychloroquine, le remdesivir ou les anciens traitements du VIH comme le kaletra.

Quelles sont les nouvelles dans ce domaine ? Nous disposons désormais de cocktails d'anticorps monoclonaux, dirigés contre certaines protéines du virus, dont la protéine Spike, qui viennent de faire la preuve de leur efficacité dans le cadre de trois essais, à condition d'être prescrits très tôt. L'un des vrais enjeux des traitements réside non seulement dans les molécules que l'on utilise, mais aussi dans le moment où on les administre. Cette maladie compte une phase virale, puis inflammatoire et prend parfois une forme grave. Or administrer les anticorps monoclonaux de façon précoce permet de bloquer la multiplication du virus.

Un deuxième traitement envisagé pourrait reposer sur l'interféron alpha ou bêta, sur lequel une série d'essais démarre actuellement suite à des études physiopathogéniques menées par le Français Jean-Laurent Casanova. Celui-ci a pu mettre en évidence un mécanisme de défaut de production de l'interféron, en particulier dans les formes graves.

Nous connaissons également une ou deux nouvelles molécules de deuxième ou troisième génération, directement ciblées contre le virus lui-même, qui sont en phases de test 1 et 2. Je ne peux rien en dire de plus, si ce n'est que des recherches sont en cours dans ce domaine.

Des stratégies pourraient enfin s'appuyer sur les sérums issus de convalescents ou de patients vaccinés ayant développé une réponse immunitaire extrêmement forte.

Les données sur l'utilisation de vitamine D ne sont pas nombreuses. Il s'avère néanmoins que les sujets âgés sont généralement en carence de vitamine D durant la période hivernale. Il peut donc être utile, à condition de ne pas dépasser certaines doses, de prendre raisonnablement une ampoule de cholécalciférol une fois par mois : ceci peut contribuer à la lutte globale contre le virus. Il convient toutefois d'être prudent et de ne pas prendre de vitamine D tous les jours, afin de ne pas risquer une intoxication.

Les avis du Conseil scientifique sont parfaitement accessibles au grand public sur le site du ministère de la santé et les bibliographies des études épidémiologiques sur lesquelles nous nous appuyons sont généralement jointes à ces avis. Le site de l'Institut Pasteur, où travaille l'un des modélisateurs membre du Conseil scientifique, met par ailleurs à disposition du public, depuis le début du mois de décembre, les calculs d'incidence et d'hospitalisations.

Confiner les plus âgés est un débat difficile. Je présenterais les choses différemment : dans le contexte actuel, il pourrait être proposé aux personnes les plus âgées et les plus fragiles d'effectuer une sorte d'autoprotection individuelle, à charge pour elles de prendre la décision de suivre ou non cette recommandation. Cette proposition devrait s'accompagner d'une information sur le fait que la contamination ne survient pas uniquement à l'extérieur, mais est possible chez soi, lorsque l'on accueille des personnes sans prendre de précaution. Il n'est bien sûr pas question de couper les anciens de leur tissu social, mais il faut leur rappeler l'importance des règles de protection, y compris chez eux et notamment au moment des repas.

Une telle stratégie serait-elle suffisante ? La réponse est non, car il existe en France, fort heureusement serais-je tenté de dire, une porosité entre les générations les plus jeunes, les parents et les grands-parents. Ceci est humain. Or, à partir du moment où la circulation du virus dans la population jeune est importante, cette porosité conduit à une transmission progressive à la population la plus âgée. Nous disposons de données mettant en évidence ce phénomène au mois de septembre dans un certain nombre de grandes métropoles : au départ, la circulation du virus et la transmission ne s'effectuaient qu'au sein de la population jeune, avant de toucher progressivement les plus âgés. Je rappelle que la Suède, qui avait adopté l'attitude consistant à « laisser vivre » les jeunes en auto-isolant plus ou moins les personnes âgées, a effectué voici deux mois un virage radical de sa stratégie.

Plusieurs questions portaient sur le complotisme et les éventuels conflits d'intérêts au sein du Conseil scientifique. Ne confondons pas conflit et déclaration d'intérêts. J'ai demandé à l'ensemble des membres du Conseil scientifique d'effectuer des déclarations d'intérêts ; ceci figure dans le règlement intérieur de l'instance, publié sur le site. Ceci n'était pas un enjeu majeur, notamment dans la mesure où nous ne nous sommes qu'assez peu intéressés aux traitements, comme je vous l'indiquais précédemment. J'ai néanmoins demandé à deux ou trois membres du Conseil, quand il était question de traitements dans nos débats, de se retirer de la discussion, de se mettre en déport. Je déclare que je n'ai moi-même pas de conflit d'intérêts.

Je vous informe enfin que je me suis fait vacciner. J'ai 72 ans et je ne fais donc pas partie des personnes prioritaires en raison de leur âge ; mais ayant une consultation à l'hôpital Bicêtre, c'est au titre de soignant que j'ai pu recevoir une première injection du vaccin Pfizer.

Je pense avoir répondu à la quasi-totalité de vos questions.

M. Cédric Villani, député, président de l'Office. - Absolument. Peut-être pourriez-vous simplement apporter quelques informations complémentaires sur la solidité des dossiers constitués par Pfizer et Moderna.

Pr. Jean-François Delfraissy. - Alain Fischer ou Marie-Paule Kieny seraient plus à même que moi de répondre à cette question, dans la mesure où ils ont étudié dans le détail non seulement les publications, auxquelles j'ai également eu accès, mais aussi les dossiers d'enregistrement, qui comptent chacun plusieurs centaines de pages. Pour avoir discuté avec eux des deux dossiers de vaccins ARN, il semble que ces travaux soient extrêmement solides.

Le contexte est propice aux pressions pour une accélération des procédures, notamment en matière d'autorisation de mise sur le marché. Je suis toutefois rassuré par le temps que prend l'agence européenne des médicaments pour donner, par exemple, un feu vert au vaccin d'AstraZeneca. D'aucuns en tirent argument pour pointer du doigt la supposée lenteur des Européens. On peut aussi considérer que ce temps pris tient peut-être au fait que le dossier pose un certain nombre de questions quant à la solidité et à l'efficacité du vaccin au regard des performances des vaccins ARN.

Il existe donc bien un processus rigoureux d'évaluation. Celui-ci est toutefois sous pression et il faut être vigilant, à la fois au niveau de l'Europe et de la Food and Drug Administration (FDA) américaine. Il me semble important de souligner, en lien avec la question de démocratie sanitaire précédemment évoquée, que pour la première fois la FDA a rendu publique sur son site Internet sa délibération relative à l'acceptation des vaccins Pfizer et Moderna. Les débats ont duré près de dix heures. Ceci est une première pour la FDA, qui considère généralement que ce type de discussion est d'ordre scientifique et privé, donc confidentiel par certains aspects. Ceci est l'une des forces de la démocratie américaine, dont nous pourrions tirer quelques leçons. Je regrette pour ma part que des séances du Conseil scientifique n'aient pas été rendues publiques.

M. Cédric Villani, député, président de l'Office. - Merci beaucoup, professeur. Vos tout derniers propos ont beaucoup de sens pour les parlementaires que nous sommes, accoutumés à ce que nos débats soient publics sauf rares exceptions. Il arrive que la confidentialité soit parfois de mise. Trouver le bon dosage est important. Il est vrai que notre époque a besoin de transparence.

Mes chers collègues, nous arrivons au terme de cette audition. Merci beaucoup au professeur Delfraissy d'avoir pris nettement plus que le temps initialement fixé pour répondre à toutes nos questions. Merci aux rapporteurs pour le travail continu sur ce sujet complexe, aux multiples paramètres. Merci aux parlementaires de l'Office pour leur rôle toujours actif. Merci enfin aux citoyens qui se sont connectés et ont posé des questions que j'espère avoir fidèlement transcrites.

Les travaux de l'Office vont continuer, car sur ce sujet complexe, son rôle est bien d'éclairer le Parlement sur les enjeux des choix possibles.

La réunion est close à 19 h 55.