Jeudi 4 février 2021

- Présidence de Mme Annick Billon, présidente -

Audition de Mme Salomé Berlioux, fondatrice et directrice générale de l'association Chemins d'avenirs

Mme Annick Billon, présidente. - Chers collègues, nous accueillons ce matin, dans le cadre de notre rapport « Femmes et ruralité », Salomé Berlioux, fondatrice de l'association Chemins d'avenirs, qui vient en aide aux jeunes issus des territoires éloignés des grandes métropoles, en encourageant le potentiel des collégiens et lycéens, dont les ambitions sont trop souvent bridées par les phénomènes d'autocensure. Je remercie Salomé Berlioux de s'être rendue disponible ce matin à distance.

À l'attention de mes collègues, je précise que Salomé Berlioux est l'auteure ou la co-auteure d'ouvrages très éclairants pour nous, dans le cadre de notre rapport : Les invisibles de la République : comment on sacrifie la jeunesse de la France périphérique, et Nos campagnes suspendues : la France périphérique face à la crise. Notre invitée est également l'auteure d'un rapport remis le 5 mars 2020 au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse sur l'égalité des chances dans la France des zones rurales et des petites villes, intitulé Restaurer la promesse républicaine. C'est notamment sur le fondement de ce rapport que le ministère de l'éducation nationale a lancé, en janvier 2021, le dispositif expérimental des Territoires éducatifs ruraux.

Croyez bien, Salomé Berlioux, que notre assemblée, sur tous les bancs, est particulièrement sensibilisée aux problèmes liés aux fractures territoriales et à leurs conséquences extrêmement préoccupantes pour notre jeunesse. La délégation aux droits des femmes du Sénat a inscrit à son agenda de 2021 un travail destiné à établir un bilan aussi complet que possible de la situation des femmes dans les territoires ruraux à partir de thèmes tels que la santé, la lutte contre les violences, l'orientation scolaire et universitaire, ou encore l'égalité professionnelle. Notre objectif est aussi, à l'occasion de ce rapport, de mettre en valeur des femmes qui, par leur engagement, qu'il soit associatif, politique, économique, ou culturel, contribuent au dynamisme de ces territoires et peuvent constituer des modèles pour les jeunes filles et les autres femmes.

Je précise également que nous avons désigné pour mener à bien notre travail une équipe de huit rapporteurs associant tous les groupes politiques de notre assemblée, et qui représentent par ailleurs des territoires très divers : la Vienne, la Drôme, la Lozère, le Rhône, les Hautes-Alpes, la Haute-Garonne, le Finistère et la Dordogne. Notre réunion de ce matin s'inscrit dans la continuité de celle des représentants de la fédération Des territoires aux grandes écoles (DTGE), que nous avons rencontrés ici même le 14 janvier dernier.

La question de l'orientation scolaire et universitaire des jeunes filles qui grandissent dans les territoires ruraux est pour notre délégation un sujet crucial. Comment se manifestent concrètement les freins qui brident les ambitions des jeunes filles qui grandissent dans les territoires ruraux ? En quoi ces freins sont-ils spécifiques par rapport aux obstacles que rencontrent les garçons des mêmes territoires, par rapport aux difficultés des jeunes issus des quartiers prioritaires de la politique de la ville ? Quelles bonnes pratiques avez-vous observées pour aider efficacement les jeunes filles des territoires ruraux à réaliser leur potentiel ? Quels sont selon vous les leviers les plus efficaces pour orienter les politiques publiques vers une véritable égalité des chances, à l'attention des jeunes filles de ces territoires ? L'expérimentation des territoires éducatifs ruraux intègre-t-elle cette réflexion égalitaire dans sa mise en oeuvre ?

Je vous donne sans plus tarder la parole pour nous présenter votre engagement au sein de Chemins d'avenirs et pour partager avec nous vos réflexions déjà très abouties sur les sujets qui nous préoccupent.

Mme Salomé Berlioux, fondatrice de l'association Chemins d'Avenirs. - Madame la Présidente, merci de cette introduction. Bonjour à toutes et à tous. Merci beaucoup de m'avoir proposé d'être auditionnée dans le cadre de vos travaux, que je sais très engagés sur la question de la ruralité, des petites villes ou des territoires, selon le terme que l'on préfère utiliser.

La question des jeunes filles des zones rurales et de la réalisation de leur potentiel se situe dans le contexte plus large des jeunes des zones rurales et des défis particuliers qu'ils ont à relever. Avant de me centrer plus spécifiquement sur la question des jeunes filles, je rappelle le triple constat qui a été posé par Chemins d'avenirs dès 2016 et qui m'a conduite à m'engager sur la question des territoires.

Premièrement, les jeunes de ces territoires sont très nombreux. Très souvent, nous avons tendance à considérer que « les élèves de la ruralité » sont, pour caricaturer, une poignée de filles et de fils d'agriculteurs. En réalité, ils représentent 23 % des moins de vingt ans. En y ajoutant les jeunes des petites villes, nous arrivons à 65 % des moins de vingt ans. Il ne s'agit donc pas du tout d'un phénomène à la marge.

Deuxièmement, ces jeunes rencontrent un certain nombre d'obstacles ou de défis dans la construction de leur parcours. Ces obstacles sont multiples : ils relèvent du développement économique et social de certains territoires, et recouvrent des difficultés telles que l'autocensure, la fracture numérique, des opportunités moindres ou moins denses en matière académique, professionnelle et culturelle, l'absence de mobilité géographique qui peut aboutir à une forme d'assignation à résidence, etc. Ces obstacles portent atteinte à l'égalité des chances entre les jeunes Français.

Troisièmement, ce thème est resté très longtemps un angle mort des politiques publiques et des dispositifs d'égalité des chances, ou, en tout cas, n'a pas été pris à bras le corps.

L'association Chemins d'avenirs a été fondée en 2016 et était initialement présente dans la seule académie de Clermont-Ferrand, dont je suis originaire. J'ai grandi dans un hameau près d'un village très rural de l'Allier. Cent premiers collégiens et lycéens étaient accompagnés en 2016. Cette année, pour la cinquième promotion de jeunes, nous sommes présents dans huit académies et nous accompagnons individuellement 1 500 collégiens, lycéens et étudiants dans la construction de leur parcours.

Dans ce contexte, les jeunes filles rurales peuvent faire face à un triple déterminisme : géographique, social et de genre. Ce déterminisme doit être nuancé car il dépend des foyers, du contexte économique, social et familial, mais aussi de la taille de la commune, voire de la connexion ou non à une ville étudiante, une grande métropole, etc. Mais il existe tout de même, trop souvent. Selon le géographe Christophe Guilluy, près de 80 % des classes populaires vivent aujourd'hui en dehors des grandes métropoles et de leurs banlieues, ce qui signifie que de nombreux foyers modestes sont dans ces territoires et que beaucoup de jeunes filles qui y grandissent affrontent ce triple déterminisme. Par ailleurs, tout n'est pas qu'une question de moyens et de contexte social. La fille d'un avocat et d'une institutrice à Nevers ou Moulins ne s'autorisera pas à aller aussi loin dans la réalisation de son potentiel et dans ses ambitions académiques et professionnelles que la fille d'un avocat et d'une institutrice dans le coeur de Paris ou de Lyon, ce qui nous pose autant problème que le cas d'une jeune fille d'origine modeste en milieu rural qui n'aurait pas accès à des études supérieures. Chez Chemins d'avenirs, nous avons conçu notre dispositif sans critère de résultats scolaires et sans critères sociaux, partant du principe que nous allions bien sûr accompagner beaucoup de jeunes boursières et boursiers, nombreux dans ces territoires, mais que la fille d'un garagiste installé dans la campagne nivernaise, dont les parents gagnent très bien leur vie car leur garage est le seul à des kilomètres à la ronde, n'aura peut-être pas de difficulté à s'acheter ce qu'elle souhaite ou à sortir avec ses amis, mais pourra pour autant faire face à une puissante autocensure et mérite elle aussi d'être accompagnée. La dimension sociale peut ainsi être très lourde, mais elle n'est pas le seul critère. La dimension géographique est presque une question à part entière. Les deux dimensions sont, en outre, très souvent liées.

Quels sont les verrous à l'oeuvre dans le parcours des jeunes filles vivant en milieu rural ?

Le premier verrou est celui de l'absence de « rôles modèles ». Nous savons à quel point l'aspiration mimétique peut changer les choses pour les jeunes en général et pour les jeunes filles en particulier. J'ai souhaité commander, il a dix-huit mois, une enquête d'opinion à l'institut de sondages Ifop, qui a donné lieu à une note intitulée Jeunes des villes, jeunes des champs, que j'ai cosignée avec Jérôme Fourquet, directeur du département « opinion et stratégies d'entreprise » de l'Ifop, et Jérémie Peltier, directeur des études de la fondation Jean Jaurès. Cette enquête d'opinion fait apparaître un écart de quinze points entre les jeunes des zones rurales et des petites villes d'une part, et les jeunes des grandes métropoles d'autre part, dans leurs réponses à la question de l'existence, dans leur entourage, d'un modèle inspirant ou d'un parcours les incitant à se dépasser. Pour les jeunes femmes et les jeunes filles, qui ont très souvent besoin de ces « rôles modèles » pour s'autoriser à s'émanciper, à être ambitieuses et mobiles, se pose donc un sujet important. Chemins d'avenirs le mesure dans les collèges très ruraux. Lorsque nous demandons aux jeunes collégiennes de quatrième ou de troisième à quel métier elles pensent pour l'avenir, sept sur dix parlent de travailler « avec les animaux ou avec les enfants », et jamais pour être vétérinaires ou universitaires. Cela correspond généralement aux métiers qui existent autour de chez elles et auxquelles elles se sentent autorisées à prétendre, parce qu'ils ont été exercés par un grand frère, une grande soeur ou les voisins. Bien que toutes les actions menées dans les quartiers prioritaires de la ville puissent être considérées comme encore insuffisantes et que les défis y demeurent réels, des « rôles modèles » émergent dans ces territoires : femmes et hommes entrepreneurs, artistes, sportifs, chefs cuisiniers, etc., qui viennent dire à ces jeunes femmes et jeunes hommes qu'ils ont grandi dans en banlieue, rencontré des difficultés, qu'ils sont toujours attachés à leur territoire et sont parvenus à réaliser des projets ambitieux. Cette incitation à faire émerger des « rôles modèles » dans la ruralité n'est pas encore apparue de manière suffisamment significative, d'où le dispositif #portraitdesterritoires mis en place par Chemins d'avenirs, qui a vocation à présenter, dans des vidéos de quelques minutes, des portraits de femmes et d'hommes venus de la ruralité et qui s'adressent aux jeunes, avec souvent beaucoup d'affection pour le lieu dans lequel ils ont grandi, en les incitant à s'autoriser à bouger, quitte à mieux revenir dans un second temps.

Le deuxième verrou est évidemment celui de la mobilité. « L'assignation à résidence » est un phénomène particulièrement avéré pour les jeunes filles. Il s'agit de savoir comment sortir de cette double injonction, quelque peu caricaturale, qui se fait aux dépens des jeunes : l'injonction à rester absolument ou l'injonction à partir à tout prix. Pour l'instant, nous ne sommes pas parvenus, collectivement, à trouver le bon discours. Un jeune Parisien, Bordelais ou Lyonnais ne se voit jamais imposer d'injonction à « rester pour participer à la revitalisation de son territoire ». Il a ainsi un terrain d'expérimentation et de projection vers l'avenir qui peut se situer aussi bien à Lyon, à Bordeaux, à Lyon, qu'à Marseille, à Lille, voire à l'étranger. Nous ne devons pas être dans cette forme de culpabilisation à l'égard des jeunes, culpabilisation qui peut venir des familles, de l'école, voire d'un discours politique local. Mais chercher avant tout à rendre ces jeunes filles libres de leurs mouvements. Le second discours, tout aussi pénalisant, est celui de l'injonction à bouger à tout prix, partant du principe qu'une jeune fille des Vosges ou de la Nièvre doit s'inscrire dans une logique de « citoyenne du monde » et partir à Londres, New York et Singapour pour préparer son avenir. Ce qui est, pour les jeunes de ces territoires, particulièrement compliqué, et fait naître un sentiment de déconnexion et de difficulté à atteindre cet objectif de la mobilité. Par ailleurs, beaucoup de jeunes femmes et de jeunes hommes pourraient souhaiter rester au sein d'un territoire. Mais ils doivent alors le faire en ayant les moyens de se réaliser.

Le troisième verrou est le manque de confiance en soi, qui est très lié au manque de confiance en l'avenir. Il est possible de faire un parallèle avec les jeunes des quartiers sensibles, avec des enjeux de mobilité encore plus importants pour les jeunes des territoires éloignés des grandes métropoles - ce qui ne signifie pas pour autant que les jeunes situés à quarante-cinq minutes de Paris en RER pourront le faire de manière simple et rapide. Un jeune habitant à quarante-cinq minutes de Charleville-Mézières, de Moulins ou d'une petite ville dans le sud de la France, une fois qu'il a surmonté ces quarante-cinq minutes, n'a pas pour autant accès à toutes les formations ou à tous les métiers dans la petite ou moyenne ville proche de chez lui. Cette question de la mobilité est particulièrement lourde de conséquences, notamment dans le cadre de la crise sanitaire. C'est ce que j'ai abordé dans le cadre du livre Nos campagnes suspendues. Les parents, qui avaient déjà des réserves à l'idée d'envoyer leur jeune enfant poursuivre des études supérieures à Clermont-Ferrand, Vichy, Montluçon ou Nancy avant la crise, ont pour beaucoup fait marche arrière, notamment au printemps dernier, avec des orientations revues à la baisse, afin de rechercher la proximité géographique.

Le quatrième verrou est constitué par le manque d'opportunités émancipatrices au sein de ces territoires pour les jeunes filles, par exemple en termes d'offres de stages. Le déploiement de 30 000 offres de stages à destination des jeunes des quartiers sensibles, qui a été mis en place en 2017-2018, devrait être dupliqué pour les jeunes des zones rurales, ce qui supposerait bien sûr une adaptation, notamment pour relever le défi de la mobilité. En effet, il est nécessairement plus difficile, dans ces territoires, de donner accès à des stages très variés. Les opportunités émancipatrices peuvent également correspondre à des engagements associatifs, des rencontres avec des professionnels ou des étudiants qui pourront changer l'orientation de ces jeunes femmes et permettre la découverte de formations qui ne sont pas celles qui existent au sein de leur territoire d'origine. Cela commence dès le plus jeune âge. La question de l'accès à l'internat dès la classe de seconde se pose notamment pour certaines jeunes filles, qui ne s'y sentent pas prêtes, qui n'y auront pas de place ou qui se heurteront à des enjeux financiers, pas toujours réglés par les systèmes de bourses.

Enfin, le dernier verrou est celui de la fracture numérique, en matière à la fois d'usage, de connexion et d'accès aux outils digitaux. Nous notons de manière très précise que les jeunes filles et les jeunes garçons issus des territoires ruraux ont un usage du numérique à des fins académiques et professionnalisantes bien plus limité que des jeunes urbains ultra connectés. Sans même parler de la projection vers les métiers du numérique, quasiment interdite aux jeunes filles de ces territoires.

Après l'énoncé de ces verrous et pour prendre un peu de hauteur : nous notons chez les jeunes filles rurales, globalement, une bonne réussite à l'école primaire, avec des résultats supérieurs à la moyenne nationale, et une évolution plutôt à la baisse dès le collège et le lycée. Ce qui est frappant, c'est ensuite la construction des parcours académiques des jeunes, dans ces territoires. Moins ambitieuse que dans les grandes métropoles, cette construction des parcours semble toutefois plus favorable aux jeunes filles qu'aux jeunes hommes. Le sociologue Benoît Coquard l'a démontré : en termes de résultats scolaires, de motivation et de volonté de se former ailleurs, les jeunes filles sortent du lot. Mais celles qui poursuivent leur formation hors de leur territoire et souhaitent revenir ensuite ne trouvent pas nécessairement d'emploi correspondant à leur diplôme, et peuvent expérimenter un sentiment de déclassement et une situation économique sous-optimale.

Chemins d'avenirs a pour objectif de prévoir, pour une chaîne de défis, une chaîne de solutions. Il ne suffit pas de lutter exclusivement contre les « biais d'informations » auxquels sont confrontées les collégiennes, lycéennes ou étudiantes de ces territoires. Une fois l'information acquise (existence de Sciences Po, des Compagnons du devoir, des bourses...) s'enchaînent les obstacles précédemment évoqués, notamment le manque de confiance en soi, les difficultés de mobilité et les enjeux économiques et sociaux. L'objectif est donc de travailler simultanément sur ces différents obstacles, pour lever les freins en associant différents acteurs compétents. Grâce, par exemple, à une information incarnée et qui parvient au bon moment dans la scolarité, à des « rôles modèles » en présentiel au sein des établissements et à distance, à un système de mentorat individuel, à des vidéos ou webinaires autour des soft skills... Grâce, aussi, à des formations au sein des établissements, des ateliers d'empowerment, des formations sur le numérique et son utilisation à des fins professionnalisantes.

À titre d'exemples : nous avons ainsi mis en place un programme dénommé « Les jeunes des territoires ont la parole », pour permettre aux élèves ruraux de préparer leurs oraux dans de bonnes conditions. Nous avions été notamment été reçus au Sénat il y a deux ans avec certains de nos filleules et filleuls pour organiser des prises de parole et leur permettre de lutter contre leur manque de confiance en eux-mêmes, d'acquérir certains codes de l'oralité que l'on n'apprend pas à l'école, en tout cas pas en France. Autres exemples : nous donnons à nos filleuls un accès renforcé à des opportunités culturelles, des visites d'entreprises, des échanges avec des professionnels, des rencontres avec des étudiants. Nous proposons également à tous nos bénéficiaires un catalogue de stages à travers toute la France, des bourses, des opportunités en lien avec d'autres structures associatives.

Au fil des années, nous obtenons des résultats quantitatifs et qualitatifs très probants. Par exemple, dans un lycée de l'Allier où, chaque année, les jeunes avaient osé se confronter aux concours des IEP et de Sciences Po Paris mais étaient admissibles sans intégrer ces écoles, et où les professeurs se disaient eux-mêmes démunis pour les préparer aux épreuves orales, Chemins d'avenirs est intervenu une fois pendant seulement deux heures pour préparer les élèves aux concours, puis a fait passer des oraux à distance, en plus des parrainages individuels que nous mettons en place pour nos bénéficiaires. La première année, sur sept jeunes admissibles, cinq ont intégré Sciences Po ou un IEP. S'agissant des indicateurs qualitatifs, l'objectif est de travailler sur la confiance des jeunes en eux-mêmes, leur confiance en l'avenir, leur accès à l'information, leur connaissance et leur compréhension du monde professionnel, leur utilisation du numérique à des fins d'émancipation, leur engagement, notamment au sein de leur territoire. En effet, une jeune fille dans la ruralité ne cochera peut-être pas immédiatement la case du stage valorisant sur un curriculum vitae ou du déplacement à l'étranger, mais peut souhaiter créer une association au sein de son établissement, de sa commune ou de son département, et revendiquer cette expérience lors d'un premier entretien pour une école ou d'un entretien d'embauche. Chemins d'avenirs donne à cette jeune fille des outils concrets pour mettre en place puis valoriser cet engagement personnel.

S'agissant des nouveaux Territoires éducatifs ruraux, expérimentés dans le prolongement de la préconisation 14 du rapport Orientation et égalité des chances dans la France des zones rurales et des petites villes, l'objectif est de créer un écosystème de réussite à destination des jeunes ruraux. 40 000 jeunes sont déjà concernés cette année, dans trois académies. Le dispositif a vocation à s'appuyer sur toutes les énergies existantes, qu'elles émanent de l'Éducation nationale, des collectivités territoriales ou des élus, des associations de terrain et nationales ou des familles, afin de mettre en réseau les solutions autour de jeunes ruraux. La question reste celle des moyens, pour que cette mise en réseau soit suffisamment ambitieuse.

Si vous le souhaitez, je pourrai également revenir en détail sur d'autres préconisations. J'en citerai une, que j'aimerais parvenir à mettre en place dans certains départements, notamment dans le contexte de l'après crise sanitaire : le programme « Découvre mon territoire ! » Son objectif est de favoriser la mobilité des jeunes dès la classe de quatrième. S'il est fondamental de faire en sorte que nos jeunes, en particulier ruraux, se sentent autorisés à partir en Espagne ou en Angleterre et bénéficient d'une première expérience de l'étranger, l'urgence est peut-être de leur permettre déjà de se déplacer en France et de bien la connaître, afin de chercher la formation ou le métier qui leur correspondra le mieux lorsqu'il sera temps de le faire. Les études démontrent qu'un jeune qui a bougé avant la fin de la cinquième a 35 % de chance supplémentaire de trouver un premier emploi. Ce programme expérimental « Découvre mon territoire ! » vise ainsi à créer un système de correspondants en France, comme cela peut exister en Allemagne ou en Angleterre. Par exemple, un jeune Vosgien de quatrième aurait un correspondant à Marseille ou Lyon de la même classe et du même âge et pourrait, outre des échanges réguliers, le recevoir deux semaines dans les Vosges, soit au sein de son internat, soit dans sa famille, de façon à être en position de valoriser son territoire et de le faire découvrir. Il se rendrait ensuite à Marseille et Lyon, découvrirait une autre région, un autre bassin d'emploi et d'autres possibilités. À la fin de la quatrième, le jeune aurait ainsi déjà bougé en France durant deux semaines, avec toutes les vertus que nous pouvons imaginer, dans une dimension budgétaire contrainte.

À travers les vingt-cinq préconisations du rapport que j'ai remis à Jean-Michel Blanquer, j'ai justement pensé la plupart de ces mesures dans le contexte budgétaire contraint que nous connaissons, afin qu'elles puissent être expérimentées à très court terme dans un département, une région ou quinze premiers établissements ruraux, avant d'être éventuellement généralisées.

Je suis à présent ouverte à toutes vos questions.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci beaucoup d'avoir dressé ce tableau très précis des problématiques rencontrées par les jeunes dans les territoires ruraux. Lorsqu'on habite une petite commune en milieu rural, il est plus difficile de s'imaginer avocat à Paris ou directeur du marketing dans une entreprise du CAC40. Je retiendrai deux choses de votre exposé. Nous avons, en tant qu'élus et représentants des collectivités, deux sujets majeurs de préoccupation : la mobilité et la fracture numérique. Nous évoquons régulièrement ces questions dans nos départements. Cette mobilité et cette fracture numérique restent en effet des handicaps sérieux pour tous ces jeunes.

Je vais à présent donner la parole aux rapporteurs qui l'ont demandée.

Mme Nadège Havet, rapporteure. - Vous avez parlé de huit académies. Quelles sont-elles ? Comment créez-vous le lien entre le mentor, ou la personne référente, et le ou la jeune ? Comment recrutez-vous les personnes qui serviront de modèle, et sur quel territoire, par rapport au territoire d'où viennent les jeunes ?

Mme Salomé Berlioux. - Les huit académies sont Clermont-Ferrand, Lyon, Grenoble, Dijon, Nancy-Metz, Rennes, Rouen et Caen. L'an prochain, l'objectif est d'ouvrir le partenariat à deux académies supplémentaires, qui n'ont pas encore été déterminées, bien qu'elles se situent probablement, au moins en partie, dans le nord de la France. Chemins d'avenirs est une association loi 1901 reconnue d'intérêt général qui a l'agrément du ministère de l'éducation nationale. Nous sommes conventionnés en ce sens. Nos premiers partenaires sont surtout les rectorats d'académie, avec lesquels nous déterminons les établissements dans lesquels nous allons intervenir. Ils sont quarante-quatre cette année, et seront une cinquantaine l'année prochaine. Une convention tripartite est signée entre le rectorat, Chemins d'avenirs et les collèges ou lycées où nous intervenons.

S'agissant des mentors ou parrains, nous avons recours à trois sources. La première est le bouche-à-oreille, puisque sur nos cent premiers parrains, chacun a recommandé le dispositif à trois amis ou connaissances professionnelles. La seconde est constituée par nos partenaires, notamment nos entreprises partenaires. Aujourd'hui, notre budget annuel approche le million d'euros, constitué pour 90 % de soutien privé et 10 % de soutien public. Certaines entreprises comme la SNCF, La Poste, Vinci, Enedis, EDF, Bureau Veritas, qui ont à la fois une dimension nationale et une présence territoriale forte, engagent leurs collaborateurs à nos côtés. Enfin, notre troisième source réside dans la parution d'articles de presse et autres retombées médias. À la suite de la parution de mon livre Les invisibles de la République, qui s'est vendu à près de 10 000 exemplaires, nous avons reçu entre 700 et 900 candidatures spontanées. Nous ne manquons pas de parrains bien que, les promotions grandissant, nous en avons de plus en plus besoin.

Il nous manque, dans certains cas, la représentation de certains métiers, afin de coïncider au plus près avec les envies des jeunes que nous accompagnons. Parmi nos bénéficiaires, certains n'ont aucune idée de ce qu'ils souhaitent faire. Dans ce cas, nous essayons de faire correspondre les parrains et les filleuls sur des critères de centres d'intérêt communs : sport, menuiserie, littérature, musique... En cas de début d'envie professionnelle chez les jeunes, nous essayons d'en faire un point d'entrée. Il peut alors s'agir de chercher des mentors hôtesse de l'air, pilote de chasse, diplomate, journaliste, chef d'entreprise, ostéopathe, etc. Cette envie, au cours des dix-huit mois du parcours Chemins d'avenirs, renouvelables par la suite, peut bien entendu évoluer. Enfin, nous avons choisi, dès 2016, de créer des binômes parrains/filleuls qui ne seraient pas originaires du même territoire, pour deux raisons : premièrement, favoriser la mobilité sociale et géographique, afin de permettre une ouverture totale sur une autre partie de la France, voire l'étranger, et deuxièmement, permettre à nos bénéficiaires de s'emparer de la question du numérique et d'en faire une force dans leur parcours, partant du principe que compte tenu de leur isolement géographique, il importe de maîtriser les différents outils de communication numérique. Ainsi, tout le dispositif de parrainage est imaginé afin de permettre un suivi à distance, bien qu'il ne soit que le fil rouge de l'accompagnement de Chemins d'avenirs et que beaucoup d'autres dispositifs viennent s'y ajouter. Ce suivi est assuré par visioconférence, sur la plateforme Chemins d'avenirs, toutes les six semaines, avec des outils pédagogiques qui rythment ces échanges, des comptes rendus de sessions auprès de l'association et une équipe de vingt permanents chargés de suivre l'évolution de ces binômes, de les encourager et d'adapter les opportunités offertes aux jeunes en fonction de ce parrainage.

Mme Marie-Pierre Monier, rapporteure. - Votre exposé était très intéressant.

Dans les profils des jeunes que vous accueillez au sein de votre association, quelle est la part de jeunes filles ? Sont-elles plus présentes que les jeunes garçons ?

Vous avez par ailleurs insisté sur le fait que les jeunes ne s'autorisent pas à aller plus loin et s'autocensurent. Vous réalisez essentiellement des interventions auprès des jeunes de collège ou de lycée. Avez-vous envisagé d'intervenir auprès d'un public plus jeune, dès l'école primaire ? Il est en effet important de casser les stéréotypes de genre dès le plus jeune âge. Vous avez beaucoup parlé de mimétisme et de l'importance de démontrer qu'il était possible de sortir des frontières de sa petite ville ou de son département. Ne peut-on pas aller plus loin ?

Vous avez également abordé la question de la mobilité. Ne pourrait-on pas encourager une démarche d'ouverture sociale et territoriale des grandes écoles et des filières sélectives ?

Nous avons précédemment auditionné la fédération Des territoires aux grandes écoles qui a souligné le frein important que représente l'éloignement géographique. Pour renforcer l'accès aux filières prestigieuses partout sur le territoire, que pourrions-nous faire pour renforcer la décentralisation de l'enseignement supérieur ? Avez-vous travaillé sur cette question ?

Enfin, voyez-vous, au regard des activités de votre association, une plus forte prégnance en ruralité des stéréotypes associés à certaines formations, qui seraient encore perçues comme l'apanage d'un public masculin, à l'instar des filières scientifiques ?

Vous nous avez également parlé du programme d'empowerment. Avez-vous d'autres pistes à faire valoir, comme le programme Alumni ou Elles osent ?

Mme Salomé Berlioux. - S'agissant des profils, sept bénéficiaires sur dix sont des filles, ce qui peut être interprété de trois façons. D'abord, lorsque nous parlons d'autocensure en intervenant dans les collèges et lycées, les filles sont les premières à se reconnaître dans nos propos. Ensuite, ce programme repose sur la motivation. Or elles sont très motivées et le restent dans toute la suite de leur parcours, qu'elles suivent de façon très assidue, comme le montrent nos témoignages d'Alumni. Enfin, je constate une différence de maturité, notamment au collège. Les garçons, en quatrième, s'intéressent moins à leur avenir que les jeunes filles qui se projettent déjà au lycée.

En outre, je suis très attachée à la notion de réalisation du potentiel. Bien que je salue le travail d'une structure comme la fédération Des territoires aux grandes écoles, la question des parcours sélectifs et élitistes est un aspect seulement du sujet. Aux États-Unis, ce n'est pas parce qu'une élite noire américaine a émergé que la question noire a été réglée. La notion de potentiel permet de considérer qu'une jeune fille, si elle souhaite reprendre l'exploitation agricole de ses parents, devenir diplomate, chef d'entreprise ou artisane dans son territoire peut le faire, sous réserve que cela corresponde à ses envies profondes et que ses vraies aspirations aient pu s'exprimer. Parmi nos bénéficiaires, nous avons un tiers d'élèves à haut potentiel scolaire, qui ont envie d'aller plus loin d'un point de vue académique, un tiers de décrocheurs et un tiers correspondant au milieu de classe, sur lequel le système ne parie pas nécessairement mais qui, en étant accompagné, peut aller beaucoup plus loin.

Sur la question de l'âge auquel intervenir, initialement, j'avais conçu le dispositif pour les lycéens. En travaillant avec des acteurs de l'Éducation nationale durant l'année d'expérimentation, nous avons considéré qu'en intervenant dans la ruralité, nous avions aussi besoin d'un dispositif pour les collégiens, parce que la quatrième et la troisième sont un premier cap décisif en termes de changement d'orientation. Je partage votre analyse concernant le besoin d'intervenir dès l'école primaire, mais une association doit réaliser des choix et ne peut accompagner tout le monde. En revanche, ce sujet touche à l'implication des familles dans la sensibilisation à la question du choix de l'orientation, qui est une question cruciale.

S'agissant de la mobilité et de l'ouverture aux établissements, le rapport de Martin Hirsch sur la question de l'ouverture sociale des grandes écoles recouvre désormais la dimension de l'ouverture territoriale, en partie grâce à une audition de Chemins d'avenirs. Cette question de la diversité territoriale se pose dans les grandes écoles, les formations sélectives, mais aussi en entreprise. De nombreux dispositifs, comme à l'ESSEC ou à Sciences Po, sont déjà ouverts à une forme de diversité, mais n'intègrent pas la ruralité. En 2016, lorsque je me suis rapprochée de Sciences Po, la direction m'a indiqué être tributaire de son action auprès des réseaux d'éducation prioritaire, qui se situent en zone urbaine sensible. Il reste donc à penser des dispositifs dans les deux sens, pour que les jeunes se sentent autorisés à bouger et que les formations viennent jusqu'à eux. Il en va de même pour la fonction publique et la haute fonction publique. Je travaille actuellement sur ce point avec le cabinet d'Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques, afin que, dès le plus jeune âge, ces métiers soient présentés au sein des établissements, puis à l'université.

Vous m'avez interrogée sur les pistes positives. Je trouve que les « campus connectés » sont une solution sur laquelle il est possible de capitaliser. Dans mon rapport remis à Jean-Michel Blanquer, j'essayais de réfléchir à la façon d'approfondir ces dispositifs pour qu'un jeune qui bénéficie d'une possibilité d'étudier une année de plus au sein de sa commune ou de la commune avoisinante ne soit pas pour autant cantonné à l'enseignement « à distance » mais puisse avoir accès à des rencontres avec des professionnels, des échanges avec d'autres étudiants, et puisse choisir de rejoindre d'autres dispositifs en présentiel.

S'agissant des autres programmes, le programme « Culture et écriture » vise à permettre aux jeunes ruraux de faire venir la culture au sein de leur établissement et d'apprendre à écrire des CV et lettres de motivation attractifs. Nous avons également un programme « Vert l'avenir », qui a vocation à permettre aux jeunes de ces territoires de travailler sur les questions écologiques et d'en faire une force dans leur parcours. Le programme « Elles osent », à destination des jeunes filles, part quant à lui de l'idée du triple déterminisme que j'évoquais tout à l'heure, en mettant en place un double système de mentorat, y compris avec des mentors du quotidien et des mentors prestigieuses (Clara Gaymard, Nathalie Rykiel, Delphine O, etc.) qui viennent témoigner de leur parcours, participent à des ateliers avec les jeunes femmes et incarnent des chemins de réussite pluriels. Nous organisons actuellement une série de webinaires à destination de ces jeunes filles, l'un d'entre eux s'inscrivant dans le cadre de la journée des droits des femmes. Enfin, le programme Alumni a vocation à suivre nos bénéficiaires jusqu'à leur insertion professionnelle. Un bénéficiaire de Chemins d'avenirs peut intégrer le programme dès la classe de quatrième, pour dix-huit mois renouvelables, donc potentiellement jusqu'à la fin du BAC+1, soit pendant six ou sept ans au total.

M. Jean-Michel Arnaud, rapporteur. - Merci pour votre intervention précieuse, intéressante et profonde.

Vous avez souligné l'importance de l'accompagnement, et en amont, de la sensibilisation des parents, pour la réussite de Chemins d'avenirs. Je constate, par mon expérience de parent d'élève et de membre du conseil d'administration d'un collège regroupant 550 élèves en zone rurale, les décrochages d'élèves à des moments clés de leur parcours, en raison de leur manque de confiance en eux. Si j'observe des parents très impliqués à l'école primaire, je constate des cassures à partir de la cinquième, la quatrième ou la troisième, et des enfants parfois en perte de repères. Dans votre projet, quelle approche avez-vous, non seulement de l'accompagnement des enfants mais aussi de celui des parents, afin qu'au retour à la maison, l'enfant accompagné se sente épaulé et valorisé au sein de sa famille ? Bien souvent, les enfants se trouvent bloqués psychologiquement au sein de la famille, et ne se projettent pas dans un autre cadre que celui, très, voire trop protecteur, de leur commune ou département. En d'autres termes, quelle relation entretenez-vous avec les parents ?

Mme Salomé Berlioux. - Je partage totalement votre constat. La question des parents qui décrochent dans l'accompagnement des élèves, sont démunis ou ne s'impliquent pas assez sur la question des projets d'orientation n'est toutefois pas spécifiquement rurale. Dans certaines grandes métropoles, les cadres sont, eux, sensibilisés à ce sujet et accompagnent les jeunes dans la réalisation de leur parcours parce qu'eux-mêmes ont suivi des études supérieures. Au-delà de ce phénomène, la question cruciale du rôle des parents se retrouve dans plusieurs types de territoires, notamment dans les quartiers sensibles.

Chez Chemins d'avenirs, les parents interviennent dès l'origine, puisque quand le jeune rejoint le programme, il signe un contrat d'engagement, que signent également son chef d'établissement et sa famille. Il ne peut donc rejoindre le programme Chemins d'avenirs sans que ses parents ne le sachent. Nous n'observons pas de résistance manifeste à ce moment. Ensuite, nous incitons le parrain ou la marraine, dès le début du programme, à prendre contact avec les parents au moment de la visioconférence, pour se présenter, décrire sa démarche, indiquer qu'il ne prétend pas prendre la place de l'établissement scolaire ou du parent, etc. Les parents sont généralement extrêmement reconnaissants de cet accompagnement et souhaitent rencontrer les parrains, participent à des activités, envoient leur enfant réaliser un stage chez le parrain ou la marraine aux vacances scolaires, etc. Nous sommes confrontés à des difficultés lorsque les voeux d'orientation sont formulés et que le parrain a parfois joué un rôle déterminant : les familles lui font alors comprendre que la décision ne lui appartient pas, si elles-mêmes ne souhaitent pas que leur enfant poursuive des études supérieures. Nous menons alors un travail avec le parent, l'établissement, le parrain et le jeune. Chemins d'avenirs, par son positionnement annexe, parvient parfois à dénouer des freins que l'école ne peut dénouer. Il s'agit donc d'une véritable collaboration avec l'Éducation nationale et la famille.

Je travaille en outre sur la façon dont nous pourrions, de façon systématique, envoyer une lettre aux parents, peut-être en début d'année ou lors de l'octroi de certaines aides, pour les revaloriser dans leur rôle en matière d'orientation. Nous avons proposé aux établissements d'organiser des réunions d'information avec les familles, ce à quoi il nous est souvent répondu qu'il est déjà difficile de mobiliser les familles pour des réunions parents-professeurs. Dans le cadre des leviers de transformation que nous actionnons pour démultiplier notre impact, parmi lesquels le travail de terrain avec les équipes de l'Éducation nationale, la question de la labellisation d'autres structures associatives, celle du collectif Mentorat, qui associe huit associations de mentorat et a vocation à permettre d'expérimenter une politique publique du mentorat dans les prochains mois, se pose avec acuité de même que la question numérique et celle de la mise en place d'un certain nombre de formations auxquelles les jeunes pourraient accéder. Le 18 février prochain, un documentaire sera diffusé sur France Télévisions. Intitulé Ici tout est loin, produit par Mélissa Theuriau et réalisé par Jean-Thomas Ceccaldi, il restitue le suivi des jeunes de Chemins d'avenirs et, plus largement, celui des jeunes ruraux. Le rôle des parents y est très bien mis en évidence. Je pense notamment à un jeune collégien qui souhaite devenir écrivain, à qui il est toutefois indiqué qu'il devra également trouver un « vrai » emploi, si possible dans les environs. Ce documentaire pourra vous intéresser, par son regard très incarné et non caricatural sur le rôle des parents, qui restent très bienveillants, mais globalement souvent démunis.

Mme Laure Darcos. - Merci pour ce passionnant échange. Il serait intéressant de réaliser un bilan de votre action, à partir de vos premières expériences auprès de jeunes que vous avez accompagnés vers la réussite. Je suppose que le désintérêt pour les secteurs du scientifique et du numérique est encore plus prégnant dans les milieux ruraux que dans les métropoles. Au-delà de cela, avez-vous réalisé une analyse afin de savoir si certains jeunes ne demeurent pas dans le secteur tertiaire direct, sur place, en raison du peu d'opportunités offertes au-delà de la fonction publique territoriale ? Enfin, vous parliez de visioconférences avec le parrain. Ne pensez-vous pas que ceux qui seront les plus à même de témoigner sont ceux qui ont réussi ? Je pense que leurs témoignages seraient très percutants, notamment vis-à-vis des parents.

Mme Salomé Berlioux. - Effectivement, il existe trois phénomènes différents, que vous avez d'ailleurs évoqués : d'abord, des métiers ou secteurs totalement fermés (métiers scientifiques, liés au numérique, industriels, postes à responsabilité). Je partage avec vous un témoignage que j'ai trouvé intéressant : l'an dernier, dans une classe de collège dans laquelle j'intervenais, une jeune fille, qui indiquait avoir envie de s'engager et d'agir pour la société, souhaitait devenir avocate, parce qu'elle avait vu ce métier dans une série. Nous sommes alors tentés de lui dire qu'il existe d'autres métiers dans le droit, et que l'engagement et l'envie de servir la société peuvent prendre une multitude d'autres formes. Nous partons de loin, en termes d'accès à l'information notamment. Deuxièmement, certains choix sont déterminés, comme vous le disiez, par ce qui existe à proximité et qui peut ainsi se traduire par une orientation vers le lycée agricole ou professionnel de la commune avoisinante. Les chiffres le démontrent. Dans ces territoires, l'orientation vers la filière professionnelle est prédominante. Dans certains cas, elle est plutôt subie que choisie. Troisièmement, certains choix sont déconnectés de ce qui existe en termes de possibilités professionnelles au sein de la commune ou du département ; ils conduisent alors au chômage et génèrent un sentiment d'insatisfaction. Il existe une déconnexion entre les orientations post-brevet et la réalité du monde de l'emploi dans ces territoires.

Concernant les témoignages, je ne mesurais pas à quel point le fait que nous venions, en tant que fondateurs de l'association, des mêmes territoires et que nous puissions indiquer aux jeunes que nous avions été à leur place, réveillerait quelque chose en eux. Les chefs d'établissement nous incitaient à toujours commencer notre intervention par une présentation de notre parcours, ce qui pouvait provoquer une étincelle. L'aspiration mimétique est, en effet, très importante. Sur les réseaux sociaux, notamment le LinkedIn de Chemins d'avenirs, vous pourrez voir les témoignages de dix Alumni au sujet des relations avec leurs parrains, des apports de la démarche, etc. Nous espérons accentuer cette dynamique à mesure que les promotions grandiront et évolueront.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci Madame Berlioux pour toutes ces précisions. J'ai à mes côtés notre collègue Dominique Vérien, qui a été co-rapporteure d'un rapport de la délégation sur la place des femmes dans les médias audiovisuels. Il est vrai que les médias contribuent largement à la visibilité ou à l'invisibilité des femmes dans certains métiers, et pourraient permettre de contrer certains stéréotypes de genre.

Vous avez dressé un tableau extrêmement complet de votre diagnostic et des actions que vous menez. Nous voyons que le chemin à parcourir est nécessairement long. En tant qu'élus, nous avons un rôle important à jouer sur certaines thématiques, sur lesquelles l'Éducation nationale peut aussi être force d'action. Elle ne permettra cependant pas à elle seule de faire circuler une information qui doit parvenir à la fois aux jeunes et à leur famille. Le travail auprès des familles est important, car les freins peuvent aussi venir de leurs réticences. Nous espérons que votre association se développera dans de nombreux territoires pour faciliter l'accès des jeunes filles à des métiers et carrières intéressants, mais aussi à des responsabilités. Nous avons récemment fêté le dixième anniversaire de la loi Copé-Zimmermann. La ministre Élisabeth Moreno s'engage véritablement dans un travail sur l'égalité et la progression des femmes dans les fonctions de responsabilité. Nous ne pouvons que saluer cette initiative.