Mercredi 10 mai 2023

- Présidence de M. Christian Cambon, président et de M. Pascal Allizard, vice-président -

La séance est ouverte à 9 h 35.

Projet de loi de programmation militaire - Audition de M. Emmanuel Chiva, délégué général pour l'armement

M. Christian Cambon, président. - Monsieur le délégué général pour l'armement, nous vous entendons aujourd'hui sur le projet de loi de programmation militaire (LPM). Je tiens à saluer, au nom de l'ensemble de la commission, votre travail et celui des équipes de la direction générale pour l'armement (DGA), qui est l'une des incarnations de l'excellence scientifique et technique française. Le succès récent du tir de missile M51 depuis la baie d'Audierne, dans le Finistère, illustre ce rôle, dans le domaine si crucial de la dissuasion nucléaire, qui est au coeur de notre modèle de défense.

Le projet de LPM prévoit des montants financiers importants : 400 milliards d'euros de crédits budgétaires et 13 milliards d'euros évoqués en complément extrabudgétaire. Ce projet de LPM poursuit l'oeuvre de réparation, de consolidation, entamée dans le cadre de la LPM actuelle. Mais s'agit-il réellement d'un projet de LPM « de transformation » ?

En matière capacitaire, notamment, les programmes vont subir, pour la plupart, des étalements, qui suscitent notre étonnement. Pouvez-vous nous préciser quels décalages relèvent d'arbitrages budgétaires et lesquels découlent de la vie des programmes ? À ce sujet, le ministre des armées nous parle de « cohérence » ; est-ce à dire que la LPM en vigueur est insuffisamment cohérente, voire, sur certains points, fantaisiste, comme cela a été avancé pour justifier le passage de 167 hélicoptères interarmées légers (HIL) à 20 ? Nous avons besoin de vos éclairages.

L'impact de l'inflation, évalué à 30 milliards d'euros, est par ailleurs au coeur de nos préoccupations. Pouvez-vous nous préciser comment la DGA analyse l'évolution des coûts des programmes en 2022 et début 2023 ? Comment maîtriser les risques inhérents aux reports de charges, pratique consistant à décaler le paiement des factures à l'année suivante, au risque d'amputer une partie de la croissance des moyens ? La LPM actuelle se fixait justement comme objectif de réduire les reports de charge. Comment justifier le virage à 180 degrés qui est proposé ?

Ce projet de LPM doit aussi s'accompagner d'une démarche de simplification et d'accélération des programmes, dans le cadre de ce que l'on appelle parfois l'« économie de guerre », appellation qui peut surprendre un peu au regard de ce que ce terme désigne en général. La DGA est au coeur de cette démarche, menée de concert avec les industriels. Quels en sont les effets et où en êtes-vous ?

Vous avez personnellement lancé un mouvement de transformation de la DGA, dont vous nous présenterez les principaux contours. Cette transformation contribuera-t-elle à simplifier les procédures, à mieux accompagner l'industrie et à intégrer plus rapidement l'innovation ? C'est une demande permanente des industriels, qui se plaignent de l'excès de bureaucratie.

Enfin, nous souhaitons vous interroger sur deux points qui ont particulièrement retenu notre attention.

Le premier concerne le financement du porte-avions de nouvelle génération. D'après la presse, il est demandé aux industriels de financer les cinq premières annuités de son développement. Quel est exactement ce montage et quelles sont ses conséquences ? L'État devra-t-il verser les intérêts correspondants à l'issue de cette période de cinq ans ? Ce dispositif concerne-t-il d'autres programmes ?

Le second point a trait au programme Tigre. Le standard 3 semble avoir été abandonné, quelques mois seulement après sa validation dans le cadre d'une coopération franco-espagnole. Le standard 2 amélioré, ou 2+, proposé en substitution, ne conduit-il pas à se priver de la possibilité d'interfacer à l'avenir le Tigre avec des drones ? Avez-vous renoncé au développement d'une solution missile française - l'Akeron longue portée (LP) - pour équiper le Tigre, ce qui nous contraindrait à continuer d'acheter des missiles américains Hellfire ?

M. Emmanuel Chiva, délégué général pour l'armement. - Je vous remercie de votre invitation à présenter le projet de LPM, outil indispensable à la programmation de notre système de défense. Ce texte prend le relais de la LPM 2019-2025, déjà très ambitieuse ; il poursuit l'effort et prend en compte l'émergence de menaces et de besoins nouveaux. Ce projet de LPM fait ainsi la synthèse entre les programmes engagés, les nouveaux besoins et les retours d'expérience de la guerre en Ukraine.

Je salue la collaboration étroite de l'ensemble des acteurs qui se sont réunis pour satisfaire les besoins des forces, dans le cadre de la LPM, afin que celles-ci soient en mesure d'assurer leurs missions. C'est un exercice complexe d'expression des besoins et de priorisation.

L'effort financier global de ce projet de LPM est inédit. L'agrégat équipement est porté à 268 milliards d'euros, dont une soixantaine de programmes à effet majeur (PEM) qui représentent 100 milliards d'euros, des études amont, pour la préparation de l'avenir et l'innovation, pour 7,5 milliards d'euros, et les autres opérations d'armement, pour 13 milliards d'euros.

Ce texte prolonge les efforts engagés, avec la poursuite des projets structurants, dont le porte-avions de nouvelle génération. Nous avons discuté avec les industriels, afin de garantir la notification de l'avant-projet détaillé fin avril, ainsi que la synchronisation des prochains jalons à la lumière du prochain arrêt technique majeur du porte-avions Charles-de-Gaulle, et de son calendrier de retrait de service. Nous lancerons la phase de réalisation fin 2025-début 2026, pour ne pas décaler l'admission au service actif du porte-avions à l'horizon 2038, car un décalage aurait des effets capacitaires sur la formation des équipages et l'acquisition des savoir-faire. Nous avons donc responsabilisé les industriels sur ce résultat et nous allons réaliser les paiements à réception des prestations, demandant un effort de trésorerie aux industriels, conforme aux règles des marchés publics.

M. Christian Cambon, président. - Le principe en est-il accepté par les industriels ?

M. Emmanuel Chiva. - Oui, c'est un partenariat entre la DGA, l'état-major de la marine, l'état-major des armées, le CEA (Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives), Naval Group, TechnicAtome et les Chantiers de l'Atlantique.

Autres projets emblématiques : le démonstrateur de l'avion de combat du système de combat aérien du futur(SCAF), ou encore le programme Scorpion, fer de lance de la modernisation de l'armée de terre.

Le contexte de la guerre en Ukraine et le comportement de la Russie nous rappellent la réalité de la dialectique nucléaire ; d'où l'importance pour la France de disposer de sa propre dissuasion. Celle-ci est notre héritage le plus solide : la DGA a été créée pour la dissuasion nucléaire, en 1961. Ma vision stratégique inclut l'importance de cette mission. Vous avez souligné le succès du tir réalisé depuis le Terrible en baie d'Audierne, qui est un exploit technique, car il s'agit en quelque sorte de lancer du fond des mers une fusée Ariane qui va s'approcher de Mach 20. Pour pérenniser la crédibilité de notre dissuasion nucléaire, le projet de LPM poursuit les travaux sur les quatre sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE) de troisième génération, la mise en service du M51.3 doté de la future tête nucléaire océanique et la préparation du M51.4, la modernisation des transmissions nucléaires et le successeur du missile air-sol moyenne portée amélioré (ASMP-A) rénové, l'ASN4G, dont la phase de réalisation commencera au début de cette LPM.

Sur le fondement des besoins exprimés, ce texte comprend des objets nouveaux. C'est pourquoi ce sera une LPM de transformation. Certes, il y a des aménagements de calendrier - j'y reviendrai -, mais il y a une cohérence d'ensemble, car ce projet de LPM prend en compte des besoins nouveaux.

C'est le cas avec l'espace, puisque les crédits affectés aux combats dans, vers et depuis l'espace augmentent de 300 %. En outre, le PEM Ares (Action et résilience dans l'espace), qui vise à disposer d'un démonstrateur de capacité d'action dans l'espace, comporte les projets Graves NG (Grand réseau adapté à la veille spatiale) et Yoda (Yeux en orbite pour un démonstrateur agile), qui doit permettre de protéger nos actifs en orbite géostationnaire grâce à des nanosatellites patrouilleurs ou guetteurs. Enfin, il y a le centre de commandement, de contrôle, de communication et de calcul des opérations spatiales (C4OS), avec une mise en service opérationnelle prévue pour 2027.

L'importance de la défense sol-air est mise en évidence par le conflit en Ukraine. En 2030, il y aura 24 plateformes terrestres Mistral et des moyens terrestres blindés dédiés à la lutte anti-drone (LAD) avec 12 plateformes. En outre, nous travaillons à la sécurisation des jeux Olympiques de 2024, avec le VL-Mica (missile d'interception, de combat et d'autodéfense à tir vertical) pour la courte portée terrestre.

Dans le domaine du cyberespace, nous prévoyons un effort financier de 4 milliards d'euros, soit une augmentation de 300 %. L'objectif est de conserver la souveraineté des équipements de cryptographie pour protéger nos données régaliennes, d'adapter la lutte informatique défensive aux nouvelles menaces et de l'étendre à la protection de nos systèmes d'arme, car un Rafale ou un missile sont des ordinateurs volants. Il faut aussi protéger la résilience de l'écosystème du ministère et de la base industrielle et technologique de défense (BITD). Nous souhaitons également développer notre arsenal de lutte informatique offensive, pour soutenir une confrontation dans la durée, ainsi que la lutte informatique d'influence

Nous avons aussi de nouveaux besoins dans le domaine de la maîtrise des fonds marins. Au travers de ce texte, nous prévoyons l'acquisition des premières capacités du ministère, notamment le développement d'une filière industrielle souveraine, en nous appuyant sur France 2030, pour descendre à 6 000 mètres de profondeur.

Nous doublons le budget consacré aux drones navals (surface ou sous-marin), aériens et terrestre par rapport à la période antérieure, avec un montant de 5 milliards d'euros. Concernant le volet aérien, le but est de développer des capacités de drones sur tout le spectre : les munitions télé-opérées, le système européen moyenne altitude, longue endurance (MALE) ou le Patroller, qui a récemment volé avec succès.

Sur le plan capacitaire, nous cherchons, plus que la masse, la cohérence du système de défense. Certes, il y a des aménagements de calendrier de livraison, mais il faut les relativiser : plus de 2 300 blindés nouveaux seront livrés à l'armée de terre et il ne servirait à rien de livrer trop de certains matériels si la cohérence d'ensemble n'est pas au rendez-vous. Vous l'avez compris ces ajustements préservent la cohérence du système et correspondent au format de nos armées voulue par le Président de la République. Nous sommes donc partis du format et des ambitions pour arriver à une trajectoire budgétaire, et non l'inverse. Nous devons répondre à la diversification des menaces, donc il faut trouver un équilibre entre économie de guerre, urgence de la crise actuelle, préparation de l'avenir, innovation et production.

Le projet de LPM se projette au-delà de 2030, car nos choix aboutiront à des programmes qui seront livrés une ou deux LPM plus tard ; je pense notamment à la dissuasion ou aux capacités navales.

Préparer l'avenir est essentiel et un budget de 10 milliards d'euros dédié à l'innovation représente un effort inédit ; cela consolidera notre supériorité technologique, nous donnera de l'audace et de l'ambition, pour gagner en agilité dans le déploiement des forces. Selon Napoléon, « avec de l'audace, on peut tout entreprendre, on ne peut pas tout faire » ; donc, nous entreprenons et ce projet de LPM nous aidera à faire. Enfin, il faut explorer les technologies de rupture très en amont, pour ne pas être déclassé : j'ai à coeur, en la matière, de poursuivre l'action de l'Agence de l'innovation de défense (AID) ; cela passera par des démonstrateurs d'envergure dans les armes à énergie dirigée - laser, électromagnétique -, l'hypervélocité, le quantique, ou l'intelligence artificielle.

Je signale deux points clefs nécessaires pour maintenir un modèle équilibré. Le premier est la performance de notre industrie à l'export. Sans cela, notre BITD ne sera pas soutenable. Le second est le soutien et la maintenance des équipements ; j'ai pour cela un mandat du ministre des armées. C'est bien l'état-major des armées (EMA) qui est responsable du maintien en condition opérationnelle (MCO) du matériel, mais c'est la DGA qui conduira, aux côtés de l'EMA, des négociations globales avec l'industrie pour améliorer l'efficience du MCO.

Par ailleurs, nous faisons un effort conséquent sur les munitions en raison du retour d'expérience de l'Ukraine : nous augmentons de 45 % le budget alloué à la commande de munitions, soit 16 milliards d'euros. Le passage en économie de guerre, annoncé par le Président de la République, nous permet d'engager des chantiers : relocalisation de certaines filières, munitions télé-opérées, accélération de la production de certains matériels, etc. Le contexte d'économie de guerre nous rappelle que nous ne faisons qu'un avec notre industrie et que nous devons avoir une BITD complète pour répondre à un modèle d'armée complet.

Nous créons des mesures d'exception activables, réellement opérationnelles : ce sont les mesures normatives, qui portent sur l'obligation de constituer des stocks de matières premières ou de composants stratégiques - il faudrait d'ailleurs plutôt parler de fonds de roulement que de stocks stratégiques -, sur les réquisitions et sur la possibilité d'exiger l'exécution prioritaire de commandes défense par rapport à des commandes civiles. Le but est de ne pas subir en cas de crise.

Vous m'avez interrogé sur la transformation de la DGA, avec le projet Impulsion, lancé en septembre dernier. Nous nous sommes organisés pour conduire des tests de résistance, ou stress tests, à l'échelle de la direction générale. Cette transformation vise la simplification des processus, des exigences et des normes. Elle inclut également un travail sur la performance de la BITD, une analyse de la valeur avec l'EMA - d'où un travail important sur la prise de risque -, la création d'une force d'acquisition réactive destinée à acheter rapidement sur étagère ou à faire passer des innovations à l'échelle, et l'accompagnement de l'industrie via la création de la direction de l'industrie de défense.

La DGA fait face à des défis majeurs, ce qui nous place dans une situation de guerre des talents, en concurrence directe avec les industriels et l'écosystème de l'innovation civile. D'où la nécessité d'ouvrir la DGA et de renforcer son attractivité, du point de vue de la rémunération, du parcours de carrière et de la valorisation.

Je rends hommage au travail de l'ensemble de la DGA pour la préparation de ce projet de LPM. Nos choix d'aujourd'hui s'inscrivent dans les vingt ou trente prochaines années, pour la défense et la sécurité de nos enfants en 2050.

M. Christian Cambon, président. - Qu'en est-il du Tigre ?

M. Emmanuel Chiva. - Le Tigre volera jusqu'en 2040-2045. Nous nous sommes interrogés sur la pertinence du standard 3 par rapport au standard 2+. Nous ne sommes pas seuls dans ce projet, puisque nous travaillons avec l'Espagne. Nous aurons un Tigre standard 2+, plus raisonnable technologiquement, mais cela ne nous empêchera pas de préparer un nouveau programme d'hélicoptère de combat. Néanmoins, on ne peut ignorer l'évolution de la technologie et des pratiques consistant à s'entourer d'ailiers dronisés. Nous traiterons ces questions dans le cadre du programme post-Tigre, en dehors du champ de ce projet de LPM.

Sur le HIL, il y a eu une imprécision dans le rapport annexé de la LPM 2019-2025, avec une confusion entre la cible du programme à terminaison et le parc prévu en 2030. Ce sont bien 20 livraisons qui sont prévues en 2030, objectif inchangé. Il ne m'appartient pas de commenter l'adéquation du format aux besoins des forces.

Sur les reports de charges, nous avons respecté la trajectoire de baisse du report de charge de 2019 à 2021 ; en 2022, cette cible n'a pas été atteinte en raison de l'inflation, mais on reste autour de 13 %.

M. Pascal Allizard, rapporteur pour avis sur les crédits du programme 144, « Environnement et prospective de la politique de défense » de la mission « Défense ». - Ce projet de LPM prévoit une enveloppe de 10 milliards d'euros au profit de l'innovation sur la durée de la programmation. L'une des difficultés en la matière réside dans ce que l'on appelle le « passage à l'échelle », c'est-à-dire la prise en compte de l'innovation par les programmes d'équipement, de préparation et d'emploi, ou de soutien des forces, en vue d'un déploiement auprès des utilisateurs finaux. Quelles seront les mesures prises dans les années à venir pour faciliter cette étape sensible de l'innovation de défense ?

Par ailleurs, une nouvelle édition de l'instruction ministérielle relative à l'innovation de défense devait être publiée ; où en est sa publication et quel en est le contenu ?

Pourriez-vous nous parler de l'impact sur le projet de LPM de l'inflation, du point de vue industriel ? L'évolution des coûts de production de l'industrie peut s'écarter du taux d'inflation pour le public. Quelles sont les anticipations de ce projet de LPM ?

M. Yannick Vaugrenard, rapporteur pour avis sur les crédits du programme 144, « Environnement et prospective de la politique de défense » de la mission « Défense ». - Lors de votre précédente audition, vous aviez évoqué la « frilosité bancaire » touchant les entreprises de la défense. Face à cette carence du secteur bancaire, certains acteurs du secteur appellent à mobiliser l'épargne des Français en faveur des entreprises de la BITD, via la création, par exemple, d'un livret réglementé. Qu'en pense la DGA ?

Par ailleurs, si la mise en place du réseau des référents défense au sein des banques est très récente, puisqu'elle date du début de l'année 2023, pourriez-vous nous en rappeler le fonctionnement et nous indiquer si des dossiers leur ont déjà été transmis ?

M. Emmanuel Chiva. - Le passage à l'échelle est en effet primordial. C'est un point majeur de tous les dispositifs accompagnés au sein de l'AID. Nous avions acté le principe d'une ligne de flux identifiés dans les programmes 178 et 146 pour permettre le passage à l'échelle ; au sein du programme 144, un dispositif de 5 millions d'euros permet de faire l'instruction du passage à l'échelle et de faire des études préliminaires. Nos retours d'expérience démontrent que ce dispositif fonctionne : nous avons atteint l'objectif financier et nous examinons l'hypothèse de son augmentation.

Néanmoins, ce n'est pas suffisant, d'autres dispositions sont requises. Il faut d'abord une réflexion sur les dispositions normatives, qui peuvent poser problème, par exemple dans le domaine de la navigabilité des drones, car certaines normes sont un obstacle au passage à l'échelle. Nous travaillons ainsi à une mise à jour du décret sur la navigabilité des drones d'État, qui distingue entre les types de drones - microdrones, minidrones, Patrollers, drones MALE -, pour expérimenter plus vite les petits drones. Nous réfléchissons également à la mise à jour de certaines procédures de marché public, qui entraînent trop de lourdeurs administratives.

Il y a d'autres leviers, dont la force d'acquisition réactive que j'évoquais, destinée à nous permettre d'acheter sur étagère ou de passer à l'échelle des innovations en moins de trois ans, entre l'expression du besoin et la livraison aux opérationnels. Nous avons défini les 10 innovations prioritaires pour accélérer leur passage à l'échelle.

L'instruction ministérielle est toujours en cours de relecture. Elle intègre notamment le comité de gestion du passage à l'échelle, copiloté par la direction des opérations et l'EMA ; ce comité se pré-saisit des dossiers d'innovation pour identifier les éventuels obstacles. Même sans la publication, ce comité est déjà fonctionnel et apporte satisfaction.

Quant à l'inflation, nous l'avons estimée à 30 milliards d'euros sur la durée de la LPM, en nous appuyant sur la loi de programmation des finances publiques. La maîtrise de l'inflation repose sur la maîtrise des conséquences de l'effet du coût des facteurs lors des exercices d'ajustements annuels. Nos projections reposent sur des hypothèses conservatrices. Le projet de LPM est exprimé en euros courants.

Le problème de la frilosité bancaire et de la difficulté d'accès au financement pour les entreprises de défense perdure, je le crains. Il y a en effet eu des propositions en la matière ; tout ce qui peut résoudre ce problème est bienvenu, y compris l'appel à l'épargne des Français, qui est importante. Nous restons d'ailleurs vigilants, car des discussions ont actuellement lieu à Bruxelles et il ne faut pas qu'elles stigmatisent l'industrie de défense. En réalité, il y a des référents défense au sein des banques et le problème ne vient pas du positionnement au niveau central des banques, qui comprennent la nécessité de soutenir la défense - du reste, c'est un marché intéressant et, avec la guerre en Ukraine, tout le monde, y compris les banques, s'en est rendu compte -, mais il vient plutôt du terrain, de l'agence locale qui, par méconnaissance refuse de financer une PME par exemple. C'est pourquoi nous avons demandé aux PME de nous contacter si elles rencontraient des problèmes de financement, afin qu'on puisse les aider.

Nous avons par ailleurs créé deux fonds, Definvest, dont l'enveloppe a été portée de 50 millions à 100 millions d'euros, et le Fonds Innovation de défense, doté de 200 millions d'euros, au sein du programme 144, et qui devrait croître, j'espère, pour atteindre 300 millions ou 400 millions d'euros en faisant appel à du financement privé hors du secteur de la défense.

M. Christian Cambon, président. - Les problèmes liés à la taxonomie européenne devraient, je l'espère, tenir compte de l'évolution de la guerre en Ukraine.

Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure pour avis sur les crédits du programme 146, « Équipement des forces » de la mission « Défense ». - Je vous poserai une série de questions en mon nom et en celui de mon co-rapporteur Cédric Perrin.

Christian Cambon a évoqué la longue liste des programmes subissant des étalements. C'est le cas, notablement, du programme Scorpion, puisque la cible Griffon baisse de 30 % à 2030, de même que les cibles Jaguar et Serval.

Dans un premier temps, ces étalements allègent la facture annuelle en termes de crédits de paiement, mais dans quelle mesure les reports de cibles affectent-ils le coût final total des programmes ? Pouvez-vous nous détailler les coûts supplémentaires induits ? De quel ordre sera cette augmentation ?

Pourriez-vous apporter quelques précisions sur les hypothèses de ce projet de LPM en termes d'exportations d'armement ? Ces exportations sont nécessaires pour assurer la pérennité de la BITD, dont les entreprises sont soumises à une concurrence internationale croissante, mais aussi à un risque de nature politique au niveau européen, pour les programmes menés en coopération. Ces incertitudes font-elles peser un risque important sur la bonne exécution de la LPM ?

En ce qui concerne les drones, le projet de LPM annonce 17 systèmes de drones tactiques, ce qui aurait pu être une excellente nouvelle, si ce n'était pas une erreur... Dès lors, pourriez-vous nous apporter des précisions sur la nature des drones qui seront achetés ou développés dans le cadre de ce projet de LPM, qui programme 5 milliards d'euros de besoins à cet effet ? Comment cette somme sera-t-elle répartie entre les diverses gammes de drones et robots qui sont nombreux et remplissent des missions très différentes ?

Pour ce qui est, en particulier, des munitions télé-opérées, pourriez-vous nous indiquer les financements correspondants et nous apporter des indications sur les suites qui seront données aux appels d'offres Colibri et Larinae ? Ces deux programmes ont été menés de manière exemplaire, en simplifiant les cahiers des charges, mais il semblerait que de nouveaux appels d'offres soient envisagés ; qu'en est-il ?

Monsieur le délégué général, ce projet de LPM repose sur une trajectoire d'effort croissant, avec des marches de 3 milliards d'euros par an pendant les quatre premières années, puis de 4,3 milliards d'euros ensuite. Ce schéma reproduit celui de la LPM actuelle : il nous avait été expliqué, à l'époque de son adoption, que les crédits de paiement monteraient progressivement en puissance, notamment pour des opérations aussi complexes que la modernisation de la dissuasion nucléaire. L'explication est-elle la même aujourd'hui ? Pourriez-vous nous donner quelques éléments d'appréciation d'ordre technique, et non politique bien sûr, sur cette accélération de la trajectoire à compter de 2028 ? Reproduit-elle la montée en puissance de l'effort de modernisation de la dissuasion, ou l'évolution d'autres programmes ?

Le plan France 2030, lancé en 2021, consacre 54 milliards d'euros à l'investissement dans les technologies innovantes, dans le cadre de 10 grands objectifs relatifs à la décarbonation et au progrès des connaissances. Ce plan n'a pas vocation à financer le secteur de la défense, mais il peut financer des domaines duaux, en particulier dans l'exploration des fonds marins et le spatial.

Pourriez-vous nous préciser dans quelle mesure la stratégie « fonds marins » disposera ainsi de financements hors LPM ? Les financements du plan France 2030 ne pourraient-ils pas profiter davantage à notre BITD, dont la plupart des entreprises sont duales ? Quelles sont vos relations avec le secrétariat général pour l'investissement (SGPI) à ce sujet ? Les entreprises de la BITD vont-elles se positionner pour bénéficier du plan French Tech 2030 du ministère de l'économie ?

M. Emmanuel Chiva. - Je vais commencer par les exportations d'armement. Ces exportations garantissent la pérennité de notre BITD. Dans le domaine des PEM, nous tablons sur 4 livraisons à l'export des avions de surveillance maritime entre 2028 et 2030 et sur 11 livraisons à l'étranger d'A400M. Dans le domaine naval, nous sommes attentifs au maintien des capacités du chantier de Naval Group à Lorient ; nous sommes partis d'une hypothèse d'exportation de 2 frégates de défense et d'intervention (FDI) en 2027 et 2030, en plus des deux FDI prévues pour la Grèce en 2025.

Pour ce qui concerne Scorpion, j'ai déjà parlé des étalements et de la cohérence de l'ensemble. J'ajoute un autre facteur : nos discussions avec les industriels. Nous ne souhaitons pas créer des bosses artificielles qui amèneraient les entreprises à recruter rapidement puis à licencier rapidement. Tous ces facteurs - soutenabilité, maintien de la cohérence, masse - nous aideront à développer cette capacité. Le programme Scorpion représente 3 150 véhicules, pour 11,9 milliards d'euros. Nous lancerons en 2026 le programme de réalisation du véhicule blindé d'aide à l'engagement (VBAE), successeur du véhicule blindé léger (VBL). Plus de 2 300 véhicules Scorpion nouveaux seront livrés dans le cadre de ce projet de LPM, qui induit sur les PEM une augmentation de l'ordre de 40 % du chiffre d'affaires d'Arquus et de 90 % de celui de Nexter. Nous donnons donc une excellente visibilité aux industriels, même si donner de la visibilité ne signifie pas passer toutes les commandes tout de suite. Du reste, je rappelle régulièrement aux industriels que le programme Scorpion peut s'exporter et qu'il ne s'agit pas que de véhicules, c'est aussi et surtout un système de combat collaboratif.

J'en viens aux drones et aux robots. Le Président de la République a fixé une ambition : accélérer les drones tous milieux. On parle souvent des drones pour la troisième dimension, avec le MALE européen, qui offrira des capacités inédites de renseignement et d'action à très longue portée. Ce drone aura des capteurs optimisés et des capacités très performantes. Il y a différents systèmes de drone aérien et de munitions télé-opérées pour équiper les forces au sol : forces spéciales, protection des bases aériennes projetées ou forces terrestres. Ces systèmes entreront en service dans les trois armées. Il y a également les deux systèmes de drones aériens pour la marine, le SDAM (Système de Drone Aérien de la Marine) et le SMDM (Système de Mini Drone de la Marine), qui accroîtront l'appréciation de la situation en mer : on comptera 35 systèmes en service d'ici à 2030.

Les drones au fond des mers sont une préoccupation réelle dans le domaine de la lutte anti-mines du futur - le programme SLAMF -, qui renouvellera nos capacités avec 6 systèmes de drones livrés en 2030 et le programme de maîtrise des fonds marins pour connaître, surveiller et agir jusqu'à 6 000 mètres de profondeur, pour 108 millions d'euros, avec des engagements dès 2023. Cette stratégie est accompagnée par France 2030, avec 3 AUV (Autonomous Underwater Vehicles) et un ROV - un drone télé-opéré -, permettant de descendre au-delà de 6 000 mètres, dans le cadre d'une filière industrielle souveraine.

France 2030 touche aux projets duaux, stratégiques et souverains, dont l'espace et le quantique. Le SGPI, pilote de France 2030, envisage de confier le pilotage du développement d'un ordinateur quantique à la DGA. Le ministère des armées intervient aujourd'hui sur la quasi-totalité des problématiques de France 2030.

Sur les munitions télé-opérées, les projets expérimentaux dans le cadre des appels à projets COLIBRI ont été notifiés et ceux de LARINAE sont en passe de l'être. Il s'agit de développer des capacités de neutralisation d'une menace blindée respectivement à 5 et à 50 kilomètres, avec une autonomie de 30 à 60 minutes, à un coût abordable. L'objectif est, soyons clairs, de stimuler le tissu industriel pour rattraper le retard français dans le domaine des munitions télé-opérées.

Nous avons été rapides pour lancer ces différents appels à projets, mais ils ne comprennent pas la phase d'acquisition, donc le passage à l'échelle, des différents matériels.

Sur l'augmentation graduelle du budget, oui, les dépenses les plus importantes arrivent en fin de période, d'où cette accélération. Cela concerne en particulier les SNLE-3G et la production des Rafale. À ce propos, nous discutons également du programme Iris avec les industriels pour être certains de disposer de cette capacité sans rupture temporaire. L'approche suivie pour le porte-avions de nouvelle génération n'est pas généralisable à tout, mais nous y réfléchissons pour les programmes stratégiques et souverains, comme Iris. Les grands programmes de 2028-2030, ce sont principalement la production des Rafale, les programmes spatiaux Iris et Céleste, mais aussi le futur missile antinavire - futur missile de croisière (FMAN-FMC) et le programme MGCS de char de combat.

M. Christian Cambon, président. - Où en sont les programmes pour doter nos armées des matériels de lutte contre les drones ? L'expérience arménienne et ce qui se passe en Ukraine ne laissent pas de nous inquiéter...

M. Emmanuel Chiva. - Nous avons engagé des actions dans la lutte anti-drones. Il y a plusieurs moyens d'action : les armes électromagnétiques, dont le brouillage, et les armes à énergie dirigée, électromagnétique ou laser. Nous avons engagé des démonstrateurs dans tous ces domaines : Helma-P, qui recourt au laser, mais aussi les armes électromagnétiques à courte portée avec Thales.

Il y a un contexte particulier : celui des JOP de 2024 et de la coupe de monde de rugby. En effet, neutraliser un drone porteur d'une charge militaire en le faisant tomber sur une foule n'est pas envisageable, d'où le développement de drones récupérateurs de drones.

Le projet de LPM 2024-2030 prévoit l'équipement de 12 Serval équipés de système de LAD en 2030, 9 systèmes Parade supplémentaires, 17 systèmes dans la marine et le développement de prototypes. Il s'agit non seulement de développer un laser neutralisant un drone, mais aussi de mobiliser et de stocker une grande quantité d'énergie pour la relâcher quand on utilise l'arme. C'est notre principale difficulté.

Parade est le système principal du ministère des armées pour détecter et neutraliser les drones. Le système a été développé en douze mois et il est en phase d'opération et de vérification. Nous avons un retard de trois mois lié à des difficultés d'approvisionnement et de qualification industrielle de sous-systèmes, mais je suis confiant dans la tenue du calendrier.

M. Olivier Cadic, rapporteur pour avis sur les crédits du programme 129 « Coordination du travail gouvernemental » (action 2 : Coordination de la sécurité et de la défense, SGDSN, Cyberdéfense). - Notre principale inquiétude concerne la vulnérabilité de la BITD en matière cyber. Comment aider les entreprises à se défendre ? Le ministère américain de la défense (DOD) a lancé une initiative pour un cloud défense, incluant Microsoft et d'autres grandes entreprises américaines. Une démarche similaire est-elle envisagée ? Connaissez-vous le niveau d'investissement du DOD ?

M. Emmanuel Chiva. - Je ne sais pas combien coûte ce programme et je doute que ce chiffre soit public. Je me renseignerai et vous transmettrai une réponse.

Nous discutons avec l'EMA et le ComCyber sur les outils permettant de nous doter d'un système zero trust, différent de l'approche traditionnelle, qui consiste à protéger les tuyaux de communication, alors qu'il faut également protéger la donnée.

Nous avons fait un diagnostic sur la résilience cyber des entreprises de la BITD. Nous avons commencé avec les entreprises les plus adhérentes à la dissuasion puis nous avons élargi. En gros, les grands groupes ont les moyens de se protéger et ont mis en place des systèmes de protection et des bonnes pratiques. Ensuite, plus on descend dans la chaîne de sous-traitance, plus les entreprises sont vulnérables, soit qu'elles n'aient pas les bons outils, soit qu'elles n'aient pas conscience du risque. Nous les avons identifiées et nous prenons des mesures correctives, car le diagnostic cyber que le ministère a conçu doit faire l'objet d'un accompagnement. Nous sommes donc en train de créer un référentiel minimal, facile à mettre en place et permettant de se prémunir contre les attaques les plus classiques.

- Présidence de M. Pascal Allizard, vice-président -

Mme Michelle Gréaume, rapporteure pour avis sur les crédits du programme 178 « Préparation et emploi des forces »,- Un rapport d'information de l'Assemblée nationale indique que le problème est non pas seulement logiciel mais aussi matériel. La France doit-elle, pour rattraper son retard et reconquérir sa souveraineté technologique, investir dans des infrastructures et des sociétés françaises ? Ne faut-il pas s'appuyer au maximum sur la dualité de la recherche, en développant les besoins civils, en reconstruisant des filières industrielles dans les domaines régaliens - informatique, électronique et microélectronique - pour protéger et sécuriser nos communications, nos données, nos informations ?

M. Emmanuel Chiva. - Vous posez plusieurs questions intéressantes sur la souveraineté et la protection de nos infrastructures et de nos communications. Dans le cadre du projet de LPM est prévu un effort important de 1 milliard d'euros consacré aux équipements de cryptographie, afin de protéger notre souveraineté en matière de communications, téléphonie et radio chiffrée. Un montant de 1 milliard d'euros est également affecté à la lutte informatique défensive et à la sécurisation de nos systèmes d'armes. Enfin, il y a 1,2 milliard d'euros pour les actions dans le cyberspace. En termes de moyens, je pense que le projet de LPM est adapté à la protection de nos capacités régaliennes.

En revanche, il faut se poser la question de la dépendance. Dans les domaines de l'électronique, du processeur, de la cryptographie, plusieurs solutions existent. Il y a trois cercles de dépendance. Il y a un noyau dur dans lequel nous n'acceptons aucune dépendance étrangère : la dissuasion et la cryptographie gouvernementale. Pour le deuxième cercle, on cherche une souveraineté européenne. En la matière, il ne faut pas confondre autonomie et autarcie, car nous n'avons pas forcément les moyens de développer une filière complète, autonome, souveraine, soutenable et pérenne dans les processeurs ou les équipements. D'où le développement de coopérations et d'initiatives européennes ; nous tâchons ainsi de développer un processeur souverain européen, avec Bpifrance.

Quand on le peut, on se demande quelle filière encourager. En matière d'innovation, on ne s'interdit rien, on soutient ou on fait des expérimentations dans tous les domaines. Avec la création de la nouvelle direction de l'industrie de défense, nous nous intéressons aux filières. Nous créons ou soutenons certaines filières industrielles, qui ne doivent pas non plus être sous perfusion d'État. Il faut donc soutenir l'émergence d'une filière si son modèle économique et sa pérennité sont certains. Ce n'est pas le cas dans tous les domaines. On ne sait pas, par exemple, faire un processeur généraliste français souverain.

M. Jacques Le Nay. - Dans le rapport annexé au projet de LPM, il est précisé que l'armée et la DGA assumeront des « paris technologiques ». Comment concilier la souplesse avec ces paris technologiques ? Le président du CIDEF insiste sur le problème que rencontrent les industriels face aux banques. Quelles réponses ont été apportées ?

M. Emmanuel Chiva. - Nous avons identifié 8 technologies différenciantes, car il faut investir les nouveaux espaces de conflictualité. Le conflit en Ukraine, qui rappelle 1914-1918, s'accompagne aussi de lutte au fond des mers, dans l'espace, avec le brouillage des satellites, et dans le champ immatériel, cyber et influence. Ces 8 technologies, ces paris, concernent :

- les armes à énergie dirigée ;

- l'hypervélocité - le fait d'être à la fois hypersonique et manoeuvrant, avec des technologies balistiques ou propulsées, pour assurer la défense dans la profondeur et la pénétration des défenses antiaériennes ennemies ;

- la robotique, avec les systèmes intégrant de l'autonomie - les munitions télé-opérées et l'intelligence artificielle en général ;

- la guerre électronique étendue, avec la guerre de la navigation en environnement complexe (Navwar), le renseignement d'origine électromagnétique, le cyber, qui nous permettra de renforcer nos capacités d'autoprotection, de surveillance, de renseignement, d'attaques électroniques, de communications sur le champ de bataille ;

- les capteurs quantiques, qui sont l'angle prépondérant du ministère des armées dans les ruptures apportées par les technologies quantiques - cela concerne la navigation et la détection - ;

-l'intégration des énergies nouvelles et leur impact opérationnel, avec la propulsion à hydrogène ou l'hybridation électrique ;

- le développement de technologies de discrétion et de furtivité, avec la supériorité opérationnelle dans différents milieux liés à la dissuasion ;

- et l'informatique quantique, pour laquelle nous prenons des parts dans des sociétés permettant de financer le premier ordinateur quantique, le ministère des armées n'ayant pas vocation à construire son ordinateur quantique mais devant être au rendez-vous du point de vue de la cryptographie post-quantique - le fait d'être capable de résister à un ordinateur quantique - et de notre propre cryptographie.

Sur le financement de l'industrie, je crois avoir répondu.

M. Bruno Sido. - Comment la DGA organise-t-elle les recherches de pointe pour faire émerger des technologies de rupture, vraisemblablement duales ?

M. Emmanuel Chiva. -Pour compléter ma réponse précédente, on m'a demandé pourquoi il n'y avait jamais de ruptures dans les LPM, mais il y en a! Elles résident par exemple dans le soutien à l'innovation, à hauteur de 10 milliards d'euros, pour développer des démonstrateurs dans les technologies de rupture, afin d'éviter le déclassement. Nous travaillons pour cela avec nos opérateurs - Institut Saint-Louis, CEA, CNES, Onera - et avec les laboratoires de nos quatre écoles sous tutelles pour étudier ces champs d'innovation, qui sont encore à des niveaux de maturité technologique très faibles. Nous finançons et accompagnons des thèses de doctorat dans ces écoles, comme avec les programmes Astrid et Astrid-maturation, en insistant sur les 8 domaines que je viens de lister.

M. François Bonneau. - Sur la constitution de stocks stratégiques, ou de « fonds de roulement », des négociations ont lieu entre les industriels et le ministère pour abaisser le prix unitaire. Où en sont ces négociations ? Seront-elles concluantes ?

M. Emmanuel Chiva. - J'ai parlé de fonds de roulement, parce que l'expression de stock stratégique laisse penser que l'on a une immobilisation durable, alors que le but est de pouvoir adapter le rythme de production, ce qui nécessite d'anticiper. Les industriels, comme Nexter, l'ont fait et on a constitué des stocks différents selon les problématiques : les produits semi-finis et les matériaux critiques, comme le titane ; le GIFAS a pris des dispositions pour constituer un stock mutualisé de titane, qui était produit en Russie. Pour être transparent, nous n'avons pas encore trouvé d'accord, car nous considérons que, si la quantité augmente, le prix unitaire doit baisser, sachant que la visibilité offerte par le projet de LPM doit encourager les industriels à faire des efforts.

Il y a des domaines où il faut une relocalisation : la poudre, l'acier requis pour les baguettes de soudure pour sous-marins. Mais l'éléphant au milieu de la pièce est : qui va payer quoi ? L'État prend ses responsabilités pour les stocks de munitions et de produits semi-finis, mais les industriels doivent prendre les leurs pour disposer des stocks nécessaires à la continuité de leur activité.

Les articles 23 et 24 du projet de LPM sont le support juridique de la mise en oeuvre de ces stocks stratégiques. On pourra exiger de nos industriels qu'ils prennent en compte la nécessité de constituer des stocks. Une idée est en train d'émerger au sein de la délégation interministérielle aux matériaux stratégiques consistant à créer un fonds d'investissement dédié aux stocks stratégiques.

M. Guillaume Gontard. - La coopération et le soutien aux exportations font partie des missions de la DGA. Certains programmes avec l'Allemagne connaissent des aléas. La stratégie avec nos partenaires européens est peu lisible. Vous envisagez une réflexion sur des modèles alternatifs de coopération et le Président de la République souhaite lui aussi penser autrement nos partenariats et nos alliances. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce droit de revisite objective de nos coopérations ?

M. Emmanuel Chiva. - Parmi les missions redéfinies de la DGA figure en effet la nécessité de développer une approche pragmatique des différentes coopérations et des exportations d'armement. Cela s'applique dans le cadre des deux programmes SCAF (Système de combat aérien du futur) et MGCS (Main ground combat system).

Les progrès sont certains dans le cadre du SCAF, puisque les travaux en matière de coopération industrielle ont débuté le 23 mars dernier. Des jalons intermédiaires et des revisites sont prévus, afin de rester compatible de la feuille de route que nous avons définie pour notre aviation de chasse y compris les échéances fixées pour le développement de notre composante aéroportée de la dissuasion. Le pragmatisme s'impose donc à nous.

Il s'impose aussi dans le cadre du programme MGCS visant à développer un nouveau char de combat qui prendra la forme d'un système complexe s'articulant autour d'un cloud de combat.

La France est leader dans le domaine aérien alors que l'Allemagne l'est dans le domaine terrestre. Les négociations progressent et nous envisageons de notifier rapidement les 8 projets de démonstration des technologique qui seront indispensables aux fonctions de ce char.

Nous nous efforçons également de trouver d'autres partenaires. En Inde, par exemple, nous ne souhaitons pas uniquement vendre des Rafale, mais nous discutons aussi des possibilités d'une coopération dans le domaine spatial. L'Afrique peut aussi faire partie d'une stratégie de partenariat.

M. Olivier Cigolotti, rapporteur pour avis sur les crédits du programme 178 « Préparation et emploi des forces », - Je peux désormais vous interroger en tant que rapporteur du programme 178, puisque vous nous avez indiqué que la DGA s'était vu confier une mission en matière de MCO. Pourriez-vous nous indiquer dans quel champ vous interviendrez à ce titre ? Avez-vous déjà identifié des indicateurs de performance ?

Nous sommes également sensibles à la disponibilité opérationnelle. Des membres de notre commission se sont rendus en Serbie dernièrement et le président serbe leur a redit l'intérêt qu'il portait au programme Rafale. Comment les services de la DGA peuvent-ils s'assurer de la compatibilité entre l'export et le besoin en capacités de nos forces sur des programmes majeurs comme le Rafale ?

M. Emmanuel Chiva. - Nous interviendrons en matière de MCO dans tous les milieux. Nous avons constaté que plus le matériel était neuf, plus le MCO coûtait cher. En effet, sa soutenabilité n'est pas assez prise en compte dans la conception des systèmes. Notre mandat consiste non pas à faire le MCO à la place de l'état-major des armées, mais à participer à la démarche de soutien logistique intégré tout en adoptant une approche globale, depuis la conception des systèmes jusqu'à leur maîtrise d'ouvrage durant les premières années et à la création de leviers auprès de nos partenaires industriels, afin d'éviter que le MCO ne serve à les dédommager de leurs efforts en matière de développement et de production. L'objectif est de contrôler d'éventuelles dérives du coût du MCO.

Enfin, nous sommes plus particulièrement chargés du MCO des systèmes nucléaires, des produits évolutifs et des munitions complexes.

M. Ludovic Haye. - Récemment, dans le cadre des travaux de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), j'ai été amené à établir un rapport portant sur la part de l'innovation dans la loi de programmation militaire (LPM). Nous avons entendu en audition un certain nombre d'acteurs français et nous avons fait des comparaisons avec le Royaume-Uni, pays dont l'organisation est proche de la nôtre sur ce sujet. L'un des défauts qui nous ont été reprochés est le temps de réponse de la France dans le cadre des collaborations. L'AID devrait être un outil performant pour servir d'interface entre les laboratoires de recherche et les entreprises.

L'Agence est récente et son budget est encore d'essai. Au cours de cette LPM, croyez-vous pouvoir lui offrir une certaine agilité afin qu'elle soit encore plus réactive et efficace qu'elle ne l'est aujourd'hui ? Il ne faudrait pas qu'elle fasse les frais d'une compétition malvenue entre les laboratoires de recherche alors que l'expertise française est reconnue de tous.

Pour éviter de donner une image trop dispersée de nos laboratoires de recherche, ne faudrait-il pas prévoir une labellisation globale et systématique par de grandes écoles ou universités, sur le modèle de ce que font Oxford et Cambridge au Royaume-Uni ? On gagnerait ainsi en clarté et l'on renforcerait l'image d'excellence de notre recherche de pointe.

M. Emmanuel Chiva. - Le budget pour l'innovation de l'AID sera augmenté de 40 % dans le cadre de ce projet de LPM. Dans la réorganisation de la DGA, cette agence demeure un service à compétence nationale. Nous sommes à l'écoute des propositions que vous pourriez faire sur ce sujet. Néanmoins, nous voulons conserver l'agilité dont bénéficie l'agence et même l'amplifier. L'impertinence doit être un de ses modes pérennes d'action, car c'est ainsi que l'on peut penser différemment et hors du cadre. La DGA aura pour rôle de passer à l'échelle les pratiques que l'AID aura testées et validées.

Pour ce qui est de la labellisation, la ministre Sylvie Retailleau a engagé une large réflexion sur la cohérence des différentes actions de recherche. Un rapport devrait être remis sur ce sujet d'ici à la fin du mois, qui devrait favoriser la coopération entre les différents ministères et créer une labellisation qui rassurera nos partenaires étrangers. Le ministère des armées participe à cette réflexion. Grâce à la LPM, il connaît parfaitement le budget dont il disposera en matière de recherche, ce qui n'est pas forcément le cas des autres ministères.

M. Cédric Perrin. - La question du renouvellement des lance-roquettes unitaires (LRU) de l'armée de terre est à l'ordre du jour. Deux solutions de remplacement existent, celle des Himars (High mobility artillery rocket system), dont on a beaucoup entendu parler en Ukraine, avec un risque de réduction temporaire de capacité important ; ou bien celle d'une offre souveraine développée par des industriels français, ce qui nécessite que la DGA prenne un certain nombre d'assurances. De quelle manière comptez-vous avancer sur ce point ? Le ministère des armées a annoncé une enveloppe de 600 millions d'euros pour le renouvellement de la capacité LRU, ce qui n'est pas rien. Je regrette que la cible soit aussi basse - une quinzaine - ce qui reste assez faible.

Enfin, je veux souligner l'importance de la réforme de la DGA. Pouvez-vous nous en dire plus sur la nécessité de reconquérir de l'agilité ? Les matériels de petit volume sont rapidement obsolètes. Il faut donc capter l'innovation pour la mettre en oeuvre. Or le marché d'appel d'offres, tel qu'il est conçu, ne permet pas de répondre à la demande, les délais étant trop longs. Comment gérer l'obsolescence liée à la lenteur et à la durée des marchés d'appel d'offres ?

M. Emmanuel Chiva. - Les LRU sont nécessaires à la modernisation de la capacité terrestre de frappe longue portée. Il faut les renouveler : certains sont obsolètes et nous en avons cédé d'autres à l'Ukraine. Nous devons renouveler nos capacités et deux pistes sont en effet explorées : la voie Himars et la voie souveraine. Ces deux solutions sont exclusives l'une de l'autre. Pour être prêts en 2027, nous choisirons entre le basculement vers Himars et la solution souveraine.

Dès lors, faut-il relancer le système ou le prolonger ? Je ne me substitue pas à l'analyse du besoin opérationnel ; les armées ne se sont pas encore prononcées. Plusieurs industriels français se disent capables de proposer une solution souveraine. Nous procédons à l'analyse de la valeur des besoins et des propositions des industriels. Dans quelle mesure l'Etat doit-il porter un effort financier pour que cette capacité soit souveraine ? Un budget de 600 millions d'euros est prévu en LPM pour faire un choix éclairé.

Des programmes relatifs à la frappe longue portée air et naval tels que le futur missile antinavire - futur missile de croisière (FMAN-FMC) pourraient contribuer au renforcement d'une technologie souveraine.

Les transformations en cours au sein de la DGA doivent nous faire gagner en agilité. Certes, nous devons simplifier les normes et les réglementations mais les industriels doivent, quant à eux, faire preuve de maturité et de transparence sur les processus, les qualifications, les essais et les équations économiques. Nous pourrions alors alléger nos exigences.

Nous devons aussi être capables de faire appel aux innovations disponibles sur le marché, notamment le marché hors défense. Les échelles de temps des start-up sont très resserrées, en comparaison des règles de la commande publique. Nous avons engagé un travail relatif au dialogue compétitif et à la participation à l'innovation. La DGA est-elle responsable de la lourdeur des règles administratives, perçues comme une protection contre toute prise de risque et tout litige ? Ou faut-il engager une réforme du code de la commande publique ? En tout état de cause, j'espère que le chantier de transformation engagé nous permettra d'avancer.

M. Pascal Allizard. - Je vous remercie pour votre disponibilité et pour la qualité de vos réponses, qui nous aideront à cheminer dans notre réflexion sur le projet de LPM.

Bilan annuel de l'application des lois - Communication

M. Christian Cambon, président. -Mes chers collègues, comme chaque année, il me revient de tirer le bilan de l'application des lois entrant dans le champ de compétence de notre commission, pour la session 2021-2022.

Au cours de celle-ci, notre commission s'est prononcée sur 18 lois ratifiant des accords internationaux, mais celles-ci n'appellent pas de mesures d'application.

Une importante loi relevant des secteurs de compétence de notre commission a été promulguée au cours de l'exercice précédent : la loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales (n° 2021-1031 du 4 août 2021 parue au JO n° 180 du 5 août 2021).

L'ensemble des décrets prévus par la loi ont été adoptés, certains, dès la fin de la période précédente :

- Le décret n° 2021-1071 du 12 août 2021 portant modification du décret n° 2013-1154 créant un Conseil national du développement et de la solidarité internationale. Il précise la composition, l'organisation et les modalités de fonctionnement du Conseil national du développement et de la solidarité internationale (art 7 de la loi) ;

- Le décret du 30 décembre 2021, portant approbation des statuts de la société Expertise France.

Les décrets suivants ont été adoptés avant la période de référence du 31 mars 2023 :

- Le décret n° 2022-571 du 19 avril 2022, définissant les catégories d'organisations de la société civile au profit desquelles l'État met en oeuvre un dispositif dédié à des projets de développement en vue de l'octroi, le cas échéant, d'une subvention, prévu à l'article 2 de la loi ;

- Le décret n° 2022-787 du 6 mai 2022 relatif aux modalités de fonctionnement de la commission d'évaluation de l'aide publique au développement, prévu à l'article 12 Division III alinéa 8 de la loi.

Toutefois, plus d'un an et demi après la promulgation de cette loi, et malgré la publication de ce décret, cette commission, qui doit être composée d'un collège de parlementaires et d'un collège de personnalités qualifiées, n'a toujours pas été mise en place.

C'est un sujet que la commission suit attentivement. Les co-rapporteurs de la commission ont d'ailleurs écrit à la ministre de l'Europe et des affaires étrangères un courrier en date du 5 avril, lui demandant de leur indiquer quelles sont les perspectives pour cette mise en place et, le cas échéant, quelles sont les circonstances qui la bloquent encore.

La loi prévoit par ailleurs un nombre important de rapports au Parlement :

Six rapports doivent établir un état des lieux dans un délai fixé par la loi. Cinq ont été déposés dans les délais prévus par la loi.

- Le rapport prévu à l'article 2 relatif aux différentes activités pouvant être comptabilisées au titre de l'aide publique au développement de la France, a été déposé le 9 mars 2022 ;

- Le rapport prévu à l'article 10 sur les coopérations opérationnelles entre l'Agence française de développement et la Caisse des dépôts et consignations, a été déposé le 18 mars 2022 ;

- Le rapport prévu à l'article 15-II présentant une évaluation du dispositif relatif à l'offre d'opérations de banque à des personnes physiques résidant en France par des établissements de crédit ayant leur siège dans un État figurant sur la liste des États bénéficiaires de l'aide publique au développement, a été déposé le 1er mars 2022 ;

- Le rapport prévu à l'article 15-III examinant les modalités de réduction des coûts de transaction des envois de fonds effectués par des personnes résidant en France vers leurs familles dans les pays en développement, a été déposé le 27 octobre 2021 ;

- Le rapport prévu à l'article 17 évaluant les possibilités de dispense de criblage des bénéficiaires finaux de l'aide a été déposé le 14 décembre 2021. Il donne des lignes directrices pour concilier le principe de non-discrimination dans l'attribution de l'aide dans des zones caractérisées par une situation de crise persistante et l'existence de groupes armés, d'une part, et le respect des obligations découlant de l'interdiction de mettre à disposition des ressources économiques à des personnes impliquées dans des activités terroristes, d'autre part. Ces lignes directrices ont été élaborées au terme d'échanges avec notamment les organisations de la société civile, il faut maintenant en observer la mise en oeuvre.

En revanche, le rapport prévu à l'article 16 présentant la stratégie de la France en matière de mobilité internationale en entreprise et en administration, n'a pas encore été déposé, alors que le délai prévu par la loi est expiré (6 août 2022).

La loi prévoit également trois rapports au Parlement qui doivent être présentés à échéance régulière :

Le rapport sur la stratégie de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales (article 3) qui doit être présenté chaque année avant le 1er juin a été déposé le 1er août 2022.

En revanche, le rapport annuel de la commission d'évaluation de l'aide publique au développement prévu à l'article 12 de la LPM n'a pas été déposé, mais cela s'explique par le fait que la mise en place effective de la commission n'a toujours pas eu lieu.

Enfin, un rapport sur les experts techniques internationaux français, qui doit être présenté tous les deux ans (article 11), et dont le délai de dépôt n'est pas encore expiré.

L'ordonnance prévue par l'article 13 de la loi définissant la nature, les conditions et les modalités d'octroi par le Gouvernement de privilèges, immunités et facilités à des organisations internationales, des agences décentralisées de l'Union européenne et à certaines associations ou fondations, a bien été prise le 13 avril 2022 et déposée au Sénat le 1er juin 2022.

En dernier lieu, on peut constater que de nombreux conseils locaux de développement auprès des ambassadeurs, prévus par le rapport annexé à la loi, ont été mis en place et que ce système semble donner satisfaction.

Concernant la LPM du 13 juillet 2018 pour les années 2019 à 2025, les mesures d'application ont été intégralement prises au cours de l'exercice précédent. La commission a en outre reçu les rapports attendus.

En conclusion, mes chers collègues, pour notre commission, on peut considérer que l'application des lois que nous suivons est globalement satisfaisante sur le plan purement réglementaire.

Reste que le plus important, c'est le respect de la trajectoire financière et la remontée capacitaire, pour laquelle nous restons très vigilants. Comme je l'ai indiqué au ministre la semaine dernière, nous aurons besoin de réponses précises dans le cadre du projet de LPM qui nous est soumis.

Pour votre complète information, un débat en séance publique sur le sujet de l'application des lois est prévu au cours de la semaine du 30 mai au 3 juin. Je vous remercie.

Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République du Sénégal sur l'octroi de l'autorisation d'exercer une activité professionnelle aux personnes à charge des agents des missions officielles de chaque État dans l'autre, signé à Paris le 7 septembre 2021, et de l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République démocratique socialiste de Sri Lanka relatif à l'autorisation d'exercice d'une activité professionnelle salariée par les membres de la famille des agents des missions officielles de chaque État dans l'autre, signé à Paris le 23 février 2022 - Examen du rapport et du texte de la commission

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Ce type de projet de loi est régulièrement examiné par notre commission qui a autorisé l'approbation de dix-huit accords similaires depuis 2018.

Pour mémoire, le Quai d'Orsay a entrepris une modernisation du cadre d'expatriation de ses agents afin de favoriser leur mobilité géographique. Pour ce faire, le ministère a tenu compte du souhait croissant des familles de ses personnels - en particulier les conjoints et les partenaires d'un pacte civil de solidarité (Pacs) - d'occuper un emploi dans le pays d'affectation. En effet, la possibilité de poursuivre sa carrière professionnelle est un facteur déterminant dans la décision d'expatriation, car, aujourd'hui, un changement de lieu de résidence est souvent vécu comme une contrainte.

Si des facilités existent au sein de l'Espace économique européen (EEE) en vertu du principe de libre circulation des travailleurs, tel n'est pas le cas dans la plupart des pays situés hors des frontières de l'Union européenne. En 2015, le Quai d'Orsay a donc engagé des négociations visant à tripler le nombre d'accords bilatéraux permettant aux conjoints des agents diplomatiques et consulaires d'avoir accès au marché du travail local, sans préjudice de leur statut et de certaines immunités qui leur sont accordées à ce titre. L'activité professionnelle peut être exercée au sein d'une entreprise privée ou d'une structure française sous tutelle du ministère - à savoir une ambassade, un consulat, un établissement relevant de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE), une Alliance française ou un Institut français.

Au total, quelque 3 000 familles d'agents publics pourraient bénéficier de ce dispositif, majoritairement des conjoints d'agents du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, auxquels s'ajoutent les conjoints d'agents issus d'autres administrations telles que le ministère des armées et le ministère chargé de l'économie et des finances.

Les présents accords ont pour objet d'autoriser, sur la base de la réciprocité, les membres des familles des diplomates français, sénégalais et sri lankais à occuper un emploi durant leur affectation sur le territoire de l'autre partie. Cela participera d'une meilleure conciliation de leurs vies professionnelle et personnelle.

Les deux accords s'appliqueront en premier lieu au conjoint de l'agent ayant obtenu un titre de séjour spécial délivré par le protocole du pays d'accueil - je souligne à cet égard que ni le Sénégal ni le Sri Lanka ne reconnaît les Pacs et les mariages entre personnes du même sexe. Ces accords s'appliqueront également aux enfants célibataires âgés de moins de 21 ans et vivant à la charge de leurs parents.

Les bénéficiaires d'une autorisation de travail devront naturellement se conformer à la législation sociale de l'État d'accueil, y compris s'ils exercent une profession réglementée. Il leur sera interdit de poursuivre l'exercice de leur emploi après la fin de la mission officielle de l'agent de leur famille, ou lorsqu'ils cesseront d'avoir la qualité de membre de la famille. En outre, une nouvelle demande devra être établie en cas de changement d'activité professionnelle ou d'employeur.

Enfin, les immunités de juridiction civile, administrative et d'exécution cesseront de s'appliquer pour les personnes concernées dans le cadre de leur nouvelle activité professionnelle, à la différence de l'immunité de juridiction pénale qui, en cas de délit grave commis dans le cadre de l'emploi salarié, pourra néanmoins faire l'objet d'une demande de renonciation écrite par l'État accréditaire. Ces immunités sont importantes, car elles protègent nos diplomates de toute pression qui pourrait être exercée sur eux par l'intermédiaire de leur famille, en particulier dans un pays sensible.

D'après le Quai d'Orsay, l'accord franco-sénégalais pourrait bénéficier à environ 70 conjoints d'agents français et à près de 30 conjoints d'agents sénégalais. Quant à l'accord franco-sri lankais, il pourrait concerner une quinzaine de conjoints français et une dizaine de conjoints sri lankais.

Au Sénégal, le marché de l'emploi demeure très saturé. Les conjoints d'agents peuvent toutefois prétendre à des emplois au sein des organisations internationales représentées à Dakar, du réseau culturel et éducatif français, ou des entreprises françaises présentes sur place. Pour sa part, le Sri Lanka est actuellement en défaut de paiement sur sa dette extérieure ; cette forte récession limite les opportunités d'emploi sur place. La France, en tant que coordinateur du Club de Paris, a facilité le dialogue entre le pays et le Fonds monétaire international (FMI) afin d'aider le Sri Lanka à sortir de cette situation. Malgré tout, le tourisme continue son développement et attire chaque année jusqu'à 100 000 Français ; ce secteur économique pourrait donc constituer un débouché pour les conjoints français qui, pour trois d'entre eux, ont d'ores et déjà manifesté leur intérêt pour le dispositif.

Bien que le nombre de personnes concernées soit relativement modeste, ce type d'accords est important pour nos concitoyens expatriés dans la mesure où leur conjoint - majoritairement des femmes - met leur vie professionnelle entre parenthèses pour les accompagner à l'étranger. Ces instruments, juridiquement contraignants, leur permettent ainsi de poursuivre leur carrière et d'apporter de nouvelles compétences aux pays d'accueil ; il est donc essentiel d'élargir le tissu conventionnel à l'ensemble des États où notre diplomatie est présente.

En conséquence, je préconise l'adoption de ce projet de loi. Son examen en séance publique est prévu le mercredi 24 mai selon la procédure simplifiée, ce à quoi la conférence des présidents, de même que votre rapportrice, a souscrit.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Je remercie Gisèle Jourda pour son travail. Certes, le nombre de personnes concernées est modeste, mais nos instituts et nos écoles à l'étranger font face à des besoins croissants de personnes en mesure d'enseigner notre langue. Dès lors, il nous revient de permettre aux conjoints - principalement des femmes - de travailler durant leur expatriation. Cela participe de notre influence à l'étranger.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - En effet, ces accords revêtent une grande importance, car ils contribuent à notre rayonnement à l'étranger. En outre, ils confortent la place de nos concitoyens sur place, qui représentent l'image de la France.

Par ailleurs, nous devons être extrêmement attentifs au sort réservé aux femmes, tant au Sri Lanka qu'au Sénégal. Au Sénégal, notre ambassadeur m'a fait part d'une reprise de l'excision des jeunes femmes aux frontières avec le Mali et la Guinée-Bissau.

Enfin, le rôle de la France est extrêmement apprécié au Sri Lanka qui traverse une grave crise économique. Notre ambassade y a encore gagné en crédibilité.

Le projet de loi est adopté, à l'unanimité, sans modification.

Projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense - Désignation d'un rapporteur

La commission désigne M. Christian Cambon rapporteur sur le projet de loi n° 1033 (A.N., XVIe lég.) relatif à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense, sous réserve de sa transmission.

Questions diverses

Mme Michelle Gréaume. - Nous n'avons pas examiné le rapport de notre collègue Philippe Folliot sur le projet de loi autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Sénégal et de la convention d'extradition entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Sénégal.

M. Pascal Allizard, président. - En effet, nous examinerons son rapport la semaine prochaine.

La réunion est close à 11 h 40.