Mercredi 10 mai 2023

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 10 heures.

« Le bilan des banques : quels risques ? » - Audition de Mmes Maya Atig, directrice générale de la Fédération bancaire française (FBF), Evelyne Massé, secrétaire générale adjointe de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), M. François-Louis Michaud, directeur exécutif de l'Autorité bancaire européenne (EBA), et Mme Laurence Scialom, professeure d'économie

M. Claude Raynal, président. - Nous nous retrouvons ce matin pour une table ronde sur les bilans bancaires et les risques qui peuvent leur être associés dans un contexte de hausse des taux d'intérêt.

La hausse des taux enclenchée depuis le début de l'année 2022 par les différentes banques centrales pour lutter contre l'inflation, bien que moins brutale que celle qui a été mise en oeuvre au début des années 1980 par le président de la Réserve fédérale des États-Unis (FED) Paul Volcker, se révèle avoir des conséquences sur le bilan des banques. En effet, le prix des obligations qui peuvent être à leur actif varie en sens inverse de celui des taux d'intérêt.

L'exemple de la faillite de la Silicon Valley Bank (SVB), le 10 mars dernier, est à cet égard éclairant : pilier du financement de start-ups de la « tech », cette banque avait placé son surplus de liquidité né de la pandémie dans des bons du Trésor américain de long terme plus rémunérateurs. À la suite de la déroute des valeurs de la « tech » en 2022, cette banque a dû liquider son portefeuille, en vendant notamment les obligations souveraines qu'elle détenait, mais qui avaient perdu de la valeur en raison de la hausse des taux. Cette opération a été à l'origine d'une perte d'1,8 milliard de dollars, donnant lieu à un retrait massif de fonds, dit bank run, qui a abouti à la faillite de la SVB.

Un débat existe quant à l'impact de la dérégulation bancaire mise en place aux États-Unis en 2018, qui a abouti à relever le seuil à partir duquel les banques sont considérées d'importance systémique dans une faillite. Dans ces conditions, un risque de contagion à des banques européennes, qui n'ont toutefois pas fait l'objet de la même dérégulation, s'est fait jour, cette crainte s'étant traduite par d'importants mouvements de valeurs boursières.

Le rachat dans des conditions contestables de Credit Suisse, une banque impliquée dans de nombreux scandales et souffrant d'un contrôle des risques déficient, par UBS le 20 mars dernier, a ravivé ces craintes encore renforcées par la dégradation de la situation de la Deutsche Bank quelques jours plus tard.

Dans ce contexte mouvementé, la Commission européenne a présenté, le 18 avril dernier, une proposition de réforme du filet de sauvetage des banques, qui entend encourager l'utilisation de « filets de sécurité » financés par le secteur bancaire pour protéger les déposants en cas de défaillance de banques de petite ou moyenne taille. Bruxelles argue en effet que les États membres tendent encore à recourir davantage à l'argent des contribuables qu'aux systèmes nationaux de garantie des dépôts financés par le secteur bancaire lui-même.

À l'aune de ces épisodes et de la nouvelle hausse des taux directeurs de la Banque centrale européenne (BCE) qui intervient à compter d'aujourd'hui, se pose donc la question de la solidité des bilans des banques françaises et européennes, de la viabilité des règles en vigueur et de la pertinence d'une évolution de celles-ci.

Pour nous éclairer sur ces enjeux, nous avons le plaisir d'accueillir M. François-Louis Michaud, directeur exécutif de l'Autorité bancaire européenne (ABE), Mme Évelyne Massé, secrétaire générale adjointe de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), Mme Maya Atig, directrice générale de la Fédération bancaire française (FBF), et Mme Laurence Scialom, professeure d'économie à l'Université Paris-Nanterre et membre du conseil scientifique de l'ACPR.

Monsieur Michaud, pouvez-vous nous livrer votre analyse de la situation actuelle et rappeler le rôle de l'Autorité bancaire européenne dans l'application des réglementations bancaires existantes. Estimez-vous que les bilans des banques européennes sont aujourd'hui fragilisés par la hausse des taux ? Nous nous focaliserons davantage sur la situation des banques françaises avec Mme Évelyne Massé.

M. François-Louis Michaud, directeur exécutif de l'Autorité bancaire européenne. - L'Autorité bancaire européenne définit des règles prudentielles qui s'appliquent aux banques et des règles qui s'appliquent aux autorités qui contrôlent ces banques. Elle crée donc un cadre général pour la gestion des risques par les banques et pour le contrôle de cette gestion des risques par les autorités de contrôle au niveau de l'Union européenne dans son ensemble, c'est-à-dire, pour la zone euro, la Banque centrale européenne depuis 2014 et l'instauration du mécanisme de surveillance unique.

La BCE travaille en liaison très étroite avec les autorités compétentes nationales, comme l'ACPR pour la France. Le contrôle des grandes banques est directement sous la responsabilité du mécanisme de surveillance unique (MSU) dirigé par la BCE, tandis que le contrôle des plus petites banques relève des autorités compétentes nationales, sous l'autorité de la BCE. L'ABE procède également à des analyses transversales de risques de façon à enrichir les travaux des autorités de contrôle. En particulier, elle mène tous les deux ans un exercice de crise, ou stress test, des banques de l'Union européenne dans son ensemble en lien étroit avec les autorités de contrôle. Nous publierons en juillet prochain les résultats du stress test que nous menons depuis le début de l'année 2023, en détaillant ces derniers pour chaque banque du large échantillon que nous avons constitué.

Le cadre réglementaire bancaire américain est très différent du nôtre. La crise que certaines banques américaines viennent de connaître est le résultat d'une triple défaillance : une gestion des risques insuffisante par la Silicon Valley Bank et quelques autres, une supervision défaillante - la Réserve fédérale des États-Unis a publié un rapport très clair sur ce point - et un cadre réglementaire qui avait été très fortement allégé.

Par contraste, depuis la grande crise financière de 2007-2008 et la crise de l'euro en 2011-2012, l'Union européenne s'est dotée d'un cadre réglementaire renforcé et d'un mécanisme de supervision systématique qui est parfois critiqué, car jugé insuffisamment proportionné. De plus, la gestion des risques par les banques est de bien meilleure qualité que celle des banques américaines qui ont récemment fait faillite.

Dans le contexte de remontée des taux que nous connaissons actuellement, les autorités monétaires s'efforcent de mettre fin aux tensions inflationnistes en pesant sur la demande globale, ce qui produira des effets sur l'économie réelle, et partant, sur le bilan des banques. Toute la question est de savoir si les banques seront en capacité d'absorber ces impacts.

De fait, les banques n'ont jamais été aussi fortement capitalisées. Depuis la grande crise financière, leurs niveaux de fonds propres de base de catégorie 1, dits Common Equity Tier 1 ou CET1, dépassent 15 %, les niveaux de ratios de liquidités sont très élevés et les effets de levier n'ont jamais été aussi faibles. Les banques sont donc relativement solides, d'autant que le stock de créances douteuses a été réduit avant la crise du covid grâce à une action très volontariste des autorités réglementaires et des superviseurs.

Nous observons les premiers effets de la remontée des taux. Depuis le dernier trimestre 2022, le nombre de faillites a augmenté en Europe. Les provisions des banques ont augmenté, et depuis l'automne 2022, nous constatons également une douce érosion des ratios bancaires, bien que ces derniers restent à un niveau très élevé. Les coûts de refinancement des banques vont augmenter, non seulement pour la levée de financements sur le marché de gros, mais aussi du fait de la rémunération plus forte qu'elles devront offrir pour conserver les déposants particuliers.

Le dernier enjeu est celui de la gestion actif-passif, qui a été très défaillante dans le cas de la SVB. Les banques ont octroyé des prêts à taux fixe, alors que leurs coûts de refinancement vont augmenter.

Depuis un an, les autorités réglementaires et les autorités de contrôle se préparent à cette évolution en effectuant des analyses en sensibilité et des analyses de risques poussées. Ces autorités ont également étudié l'opportunité de substituer des financements de marché aux facilités octroyées par la BCE.

Les résultats du stress test que nous allons publier fin juillet détailleront l'exposition des banques secteur par secteur.

Pour l'heure, la situation paraît solide, même si le risque d'une volatilité de marché entraînant un phénomène de contagion n'est jamais exclu. Dès lors que la confiance disparaît - nous l'avons vu récemment avec la Deutsche Bank -, la fuite des dépôts peut être rapide. Nous disposons toutefois d'instruments qui nous ont permis d'éviter la contagion, en dépit des actions spéculatives qui ont été menées.

Mme Évelyne Massé, secrétaire générale adjointe de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution. - Avant d'aborder la situation particulière des établissements bancaires français et des normes prudentielles qui s'appliquent aujourd'hui à eux, à la lumière des récentes turbulences bancaires, il me parait essentiel de revenir rapidement sur les causes de ces turbulences, pour bien en cerner les enjeux.

Les turbulences qui ont affecté certaines banques américaines et le groupe Credit Suisse découlent en premier lieu des défaillances de leur modèle économique et de leur dispositif de gestion des risques, notamment en matière de risque de concentration, de taux et de liquidités.

Le défaut de la SVB est à ce titre un cas d'école. La banque était en effet excessivement concentrée à trois égards : sur le secteur technologique en termes de clientèle, sur un nombre limité de grands déposants corporates en termes de ressources de financement et sur une classe particulière d'actifs liquides - pour un montant qui était supérieur à la moitié du total des dépôts - à savoir des bons du Trésor américain comptabilisés au coût amorti, ce qui a masqué les pertes latentes associées.

La rapide remontée des taux outre-Atlantique a conduit les clients de la SVB à retirer leurs dépôts soit pour les placer ailleurs, soit pour financer leur activité, alors que, dans le même temps, la valeur de marché des actifs liquides que l'établissement pouvait mobiliser pour rembourser ses dépôts chutait ; d'où la matérialisation des pertes latentes et le défaut de la banque.

Quant au Credit Suisse, si la panique du mois de mars et une communication particulièrement maladroite de son principal actionnaire lui ont porté le coût final en 2023, ce sont bien les défaillances de son modèle d'affaires et sa gestion des risques qui avaient sapé depuis des mois la confiance de sa clientèle et occasionné des sorties massives de fonds - plus de 110 milliards de francs suisses au seul premier trimestre 2023.

À l'inverse, les établissements de crédit français ont considérablement renforcé leur structure financière depuis la crise de 2008. Ils ont d'ailleurs traversé avec succès les deux périodes de stress qu'ont constitué la crise covid et les conséquences du conflit russo-ukrainien, démontrant la résilience de leur modèle d'affaires et leur capacité à faire face à des conditions de marché parfois très instables.

Aucun de nos établissements ne s'est spécialisé sur le secteur technologique, et leurs résultats pour 2022 sont solides, même s'il est vrai que le renchérissement du coût des ressources fera pression sur leur rentabilité en 2023.

En termes de liquidités, nos banques ont des sources de financement diversifiées et globalement stables. Leur réserve d'actifs liquides est constituée à plus de 75 % de dépôts en Banque centrale, donc sans risque, si bien que les exigences réglementaires de liquidités sont couvertes de façon satisfaisante.

Si nous examinons le risque de taux pouvant affecter les titres de créance, il est important de souligner que, pour les établissements français, la grande majorité des obligations détenues est valorisée à la juste valeur, par résultat ou par capitaux propres : ces moins-values latentes sont déjà déduites de la valeur comptable et donc bien intégrées dans les calculs. Si nous comparons la part des obligations qui sont valorisées au coût amorti aux fonds propres les plus durs, elle ne représente que 1,8 %. De plus, ces moins-values latentes sont déduites du calcul du ratio de liquidité à court terme, le fameux Liquidity Coverage Ratio (LCR). Par ailleurs, en termes de risque de taux, les banques françaises passent avec succès le test de résistance consistant à simuler une hausse de deux points de base des taux. À l'inverse, si nous nous référons à une de ses communications de fin 2021, la SVB ne passait pas du tout ce test.

Ces constats rassurants concernant le secteur bancaire français ne nous empêchent pas de commencer à tirer des leçons des événements récents en matière de réglementation, de supervision et de résolution.

Tout d'abord, comme c'est déjà le cas en Europe, il convient d'appliquer pleinement les principes de Bâle partout, y compris aux petites banques. Les établissements américains défaillants n'étaient en effet pas soumis à l'ensemble de ces principes, en particulier à certaines exigences en matière de liquidités et de risque de taux. La proportionnalité ne doit pas conduire à ne rien faire pour les petites banques, mais à sélectionner certains aspects, en incluant une marge de prudence. Toutes nos banques en France, y compris les plus modestes, sont soumises à ces ratios de liquidité et à ces tests de taux.

S'agissant, ensuite, de la supervision, il est nécessaire, comme nous le faisons déjà en France et en Europe, de pratiquer une supervision intrusive. Cette approche s'appuie sur un faisceau d'outils pour analyser les risques auxquels les établissements sont confrontés en utilisant des indicateurs quantitatifs, des analyses qualitatives, des comparaisons et des simulations, en particulier les stress tests européens, ainsi que des inspections sur place. Les exigences réglementaires minimales forment un filet de sécurité, mais le véritable travail de supervision consiste à regarder au-delà pour comprendre en détail le modèle économique et le profil de risque des établissements. À l'ACPR, en étroite collaboration avec nos collègues du mécanisme de supervision unique (MSU), nous avons analysé dès l'été 2022 les conséquences possibles d'une hausse des taux et d'une liquidité moins abondante, pour nous assurer que les établissements l'avaient bien anticipée.

Mon dernier point concerne la résolution. Les turbulences du mois de mars doivent nous inciter à réfléchir. L'épisode du Credit Suisse nous rappelle en particulier que, lors des crises, les problèmes de liquidités sont souvent les premiers et les plus urgents à surmonter ; or nos outils réglementaires actuels permettent plutôt de renflouer les établissements en fonds propres. Le cas des banques régionales américaines souligne l'importance d'assurer une sortie ordonnée et cohérente du marché d'un établissement non viable, même de taille plus modeste. À cet égard, la dernière proposition de la Commission européenne sur le cadre de gestion de crise et de résolution semble aller dans la bonne direction.

En conclusion, le secteur bancaire français ne présente pas du tout le même profil de risque que les banques défaillantes aux États-Unis ou le groupe Credit Suisse et il a démontré sa résilience. Les turbulences récentes ne remettent pas en cause le cadre réglementaire actuel, mais soulignent l'importance de sa mise en oeuvre, qu'il s'agisse de son champ d'application, des modalités de supervision et des outils à la disposition des autorités.

M. Claude Raynal, président. - Madame Maya Atig, quel est votre point de vue sur la situation des banques françaises ? Vous soulignez fréquemment leur solidité, sur quels éléments vous appuyez-vous ? Pourriez-vous également nous présenter votre regard sur les récentes propositions de la Commission européenne ?

Mme Maya Atig, directrice générale de la Fédération bancaire française. - Je souscris à l'idée qu'il est essentiel, dans ce type de situation, de prendre le temps d'analyser ce qui s'est passé et d'en rendre compte devant la représentation nationale. Je vais simplement compléter ce qui a déjà été dit : je n'ai pas d'avis sur la situation des banques, je me réfère simplement aux données que les autorités de contrôle recueillent continuellement. Les indications concernant la solidité ou la capacité du secteur à traverser cette crise sont donc basées sur des faits et ne sont pas des opinions. Je peux, en revanche, proposer une grille d'analyse.

En France, notre modèle est singulier : nous sommes le pays d'Europe qui compte proportionnellement le plus de grandes banques, des banques universelles qui couvrent le plus d'activités et qui présentent une certaine homogénéité dans leur caractère universel et leur solidité. Cette situation s'explique en particulier par les logiques entrepreneuriales à l'oeuvre. La supervision est en effet régie par des centaines de pages de directives et des milliers, voire dizaines de milliers, de normes de l'Autorité bancaire européenne. Cela conduit à procéder à des recrutements importants au sein des établissements : 10 à 15 % d'entre eux sont liés, chaque année, à la gestion des risques. Cette spécialisation confère donc une dimension entrepreneuriale à cette activité. Il est essentiel de respecter les règles, il n'y a pas d'autre choix ; il est ainsi important que la gouvernance décide du niveau de risque acceptable et s'approprie ces règles. Pour autant, ces règles peuvent être contradictoires entre elles ou conduire à des décisions contraires, il convient donc de les mettre en cohérence. Ainsi, si elles incitaient à n'acheter que des titres d'État - j'imagine que les superviseurs de SVB estimaient qu'en faisant cela ils seraient inattaquables - ce serait facile, mais l'on ne ferait pas bien notre travail en ne prenant pas en compte le risque que cela emporterait en cas de hausse des taux. On aurait appliqué les règles linéairement, sans en faire la synthèse.

Pour répondre à votre question sur la solidité de notre secteur, nous avons un ratio de solvabilité « coeur » de 15,34 %, bien au-dessus des minima, compris entre 9 % et 10 %, et notre ratio de liquidités est de 164 %, contre un minimum requis de 100 %. C'est le résultat de la régulation et de la supervision, mais aussi d'une gestion efficace.

J'ajoute à cela l'absence de contagion. Depuis la crise de 2008, la situation a complètement changé : les interdépendances entre banques sont beaucoup moins fortes. La part des dépôts des banques détenus par d'autres établissements est inférieure à 5 %, les mécanismes de contagion interbancaire ne sont plus à l'oeuvre aujourd'hui, ce qui contribue à la résilience du secteur.

Nos banques sont donc universelles et capables de supporter leur grande taille, tout en pratiquant une gestion des risques tenant compte des modèles d'affaires et des métiers ; elles présentent une diversité d'activités et de clientèles ainsi qu'une présence géographique étendue, partout en France et à l'étranger. Ces éléments constituent des facteurs de sécurité, et le rapport de l'ACPR sur le marché bancaire français le confirme.

Concernant le risque de taux, les banques françaises présentent une particularité : elles sont plus impliquées dans le métier de la transformation bancaire. Elles sont ainsi capables de prêter à moyen et long terme à des entreprises et à des ménages à partir de ressources différenciées dont certaines à court et à très court terme. Ce modèle est plus prononcé en France : par exemple, seulement 4 % des crédits immobiliers y sont à taux variable, contre 20 % en moyenne dans les autres pays européens.

Pour taquiner nos collègues superviseurs, je dirais que la situation idéale pour eux serait que les clients subissent les variations de risques ; toutefois, de nombreuses règles sont conçues pour que les banques assument cette gestion interne et couvrent leurs risques progressivement. Ces couvertures de risques sont assurées par le biais d'opérations, mais aussi par le coût du crédit, qui les inclut. Par conséquent, si les taux augmentaient, ce coût aurait déjà été absorbé initialement par la manière dont les risques ont été couverts. Ce métier de transformation ne s'exerce donc pas au hasard ou en fonction des fluctuations du marché, mais bien de manière structurée, au fur et à mesure que les prêts sont accordés, renouvelés, et que les dépôts arrivent.

Concernant la réglementation européenne, comme la réglementation française quand elle était nationale, celle-ci est un atout pour la solidité d'un système. Elle évite le dumping réglementaire, qui est négatif dans de nombreux secteurs d'activité ; on peut ainsi exercer une activité similaire à celle des banques sans être soumis à la même réglementation, voire le faire dans un autre pays, avec des règles différentes et moins exigeantes. Quant à l'Union européenne, les banques françaises ont été très critiques à propos de l'utilisation de la proportionnalité. Nous souhaitons en effet que cette réglementation corresponde à la réalité du fonctionnement des banques européennes ; or, concernant le crédit immobilier à taux fixe, par exemple, les règles internationales sont élaborées avec une référence mondiale selon laquelle le crédit à taux variable est moins risqué du point de vue de la banque. En France, où nous accordons beaucoup plus de crédit à taux fixe que la moyenne internationale, une telle règle internationale ne nous conduirait pas nécessairement à bien gérer nos risques, mais plutôt à changer de modèle. L'essentiel de nos interventions sur les questions de réglementation bancaire consiste donc à nous assurer que lorsque nous appliquons en Europe une règle internationale, celle-ci correspond bien à la pratique bancaire européenne, tant dans son contenu que dans ses paramètres. Il existe aujourd'hui des écarts importants sur ce point entre les États-Unis et l'Europe, et cette norme internationale, qui est largement façonnée par un modèle anglo-saxon, quand elle s'applique, doit vraiment couvrir les spécificités du risque européen.

S'agissant de la résolution et des nouvelles règles proposées par la Commission européenne, celles-ci ont été élaborées depuis longtemps et ont connu divers aléas avant d'être présentées selon un calendrier qui nous semble dénué d'urgence. L'agenda réglementaire européen est déjà bien rempli. Allons au terme de ce qui est prévu et, surtout, demandons à nos homologues internationaux de s'y conformer. À défaut, nous subirions la contagion des rumeurs, alors même que nos règles sont très différentes. Il faut donc aller jusqu'au bout de l'agenda existant et pousser nos homologues américains à faire de même. Ces règles bancaires européennes nous posent donc de nombreux problèmes, notamment le fait qu'en matière de résolution, elles conduiraient les petites et moyennes banques à renforcer leur recours aux instruments de contrôle, sans avoir préalablement mis en place des règles préventives. C'est exactement le contraire de ce qu'il faut faire, à notre sens. Ce texte peut comporter d'autres éléments utiles pour clarifier le fonctionnement du fonds de résolution, mais si son objectif est de permettre à des banques moins contrôlées en Europe de bénéficier de fonds qui ont été constitués à 34 % par des clients français, simplement en raison de leur taille, alors il pose un vrai problème.

M. Claude Raynal, président. - Madame Laurence Scialom, vous portez un regard critique sur les réglementations bancaires en vigueur. Quelle analyse tirez-vous des crises récentes pour le présent et pour l'avenir ?

Mme Laurence Scialom, professeure d'économie à l'université Paris-Nanterre et membre du conseil scientifique de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution. - Avant tout, je tiens à mon tour à vous remercier vivement de cette audition, dont le sujet est fondamental.

Les premières victimes de la crise financière de 2007-2008 ont été allemandes, avec Industriekreditbank (IKB), et britanniques, avec Northern Rock, puis la crise s'est déployée par vagues. En mars 2008, Bear Stearns a été racheté en moins d'une semaine par JPMorgan Chase, la crise de liquidités l'ayant emporté. On se souvient du chaos financier qui a suivi la faillite de Lehman Brothers.

Au début de la crise, les déclarations des autorités publiques, régulateurs et superviseurs étaient très rassurantes, et c'est normal : ils n'ont bien sûr pas à mettre le feu aux poudres. La question de la solidité des bilans bancaires n'en est pas moins légitime : dans quelques années, considérera-t-on les faillites de SVB, Silvergate et First Republic ou le rachat du Credit Suisse comme le début d'une vague de faillites ?

Bien sûr, les difficultés des banques régionales américaines et du Credit suisse ont des racines très différentes. Mais, dans les deux cas, on a assisté à une fuite massive et très rapide des dépôts, bien plus rapide qu'auparavant. Les autorités publiques ont dû intervenir ; les banques centrales ont dû assurer un apport massif de liquidités.

De part et d'autre de l'Atlantique, les gouvernements avaient déclaré : « Plus jamais les contribuables n'auront à payer pour les dérives bancaires. » On avait réformé les systèmes de résolution pour y introduire du bail-in. Mais, malgré cela, les fonds publics ont été engagés, et massivement.

Depuis 2015, l'Europe a connu six faillites bancaires : les règles n'ont été respectées que pour une seule des banques concernées, à savoir Banco Popular en Espagne. Pour les cinq autres, il a fallu engager des fonds publics. Ce fut notamment le cas pour Monte dei Paschi di Siena, banque italienne systémique.

Aujourd'hui, en dépit des déclarations rassurantes habituelles, la rapidité et l'ampleur des réactions des banques centrales, des trésors publics et de la Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC), l'assurance dépôt américaine, témoignent d'une inquiétude, qui prévaut elle aussi des deux côtés de l'Atlantique.

Ces faillites sont très instructives pour éclairer les risques pesant sur les bilans bancaires.

Tout d'abord, elles rappellent combien les banques, du fait de leur structure de bilan et du déséquilibre de maturité entre l'actif et le passif, sont vulnérables au risque de liquidité. Ce que nous apprennent les derniers épisodes, c'est que cette vulnérabilité est décuplée à l'ère du numérique. Dans tous les cas récents, la faillite a résulté d'une crise de liquidité, non d'une dégradation de la qualité de l'actif.

Ainsi, le Credit Suisse dépassait de beaucoup les deux ratios clefs de Bâle III. Son ratio de solvabilité, ou Common Equity Tier 1, était de 14,1 %, alors que la limite européenne est fixée à 10,6 % - BNP Paribas et Société générale ne sont pas à ce niveau. Son ratio de liquidité était, quant à lui, de 144 % - Société générale et BNP Paribas présentent un ratio inférieur. Je ne cherche pas à vous dire que ces deux banques systémiques sont dans la situation du Credit Suisse ; mais, à l'évidence, les ratios de Bâle III donnent un faux sentiment de sécurité.

Les instruments nés de ces accords internationaux sont un élément fondamental de la boîte à outils du régulateur, mais ils ne donnent pas une garantie suffisante au contribuable et à l'économie dans son ensemble. Ils donnent le sentiment que l'aléa moral est maîtrisé, alors que ce n'est pas du tout le cas. À cet égard, le fait de dénombrer en France tant de banques systémiques par rapport au PIB n'est pas nécessairement une bonne chose. Nous pourrons y revenir.

À mon sens, il faudrait se concentrer davantage sur le ratio de levier simple, non pondéré par les risques. Aux États-Unis comme en Europe, nombre d'études empiriques prouvent que c'est un bien meilleur prédicteur de faillites bancaires. Or, si l'on regarde ce ratio, la situation des banques, notamment françaises, paraît un peu moins favorable. Une baisse de la valeur de leurs actifs de l'ordre de 5 % à 6 %, selon les banques, ou un gros accident sur le hors-bilan ou les dérivés, entraînant une perte de ce niveau, engloutirait tout leur capital.

Si utiles soient-ils, les ratios de Bâle III ne nous protègent pas vraiment. La réforme des principes de résolution ne nous protège pas non plus. Qui plus est, la transposition des accords de Bâle III dans le droit européen n'est toujours pas achevée. Les instances européennes défendent des règles prudentielles qui, en réalité, sont en deçà des exigences de Bâle III. Ce faisant, elles ignorent les alertes émises à ce sujet par les principaux superviseurs bancaires, qu'il s'agisse d'Andrea Enria, président du conseil de surveillance de la BCE, de Luis de Guindos, vice-président de la BCE, ou de José Manuel Campa, président de l'ABE. Tous trois ont formulé cette mise en garde : si les accords de Bâle III ne reçoivent pas leur pleine application dans l'Union européenne, cette dernière sera soumise à un risque majeur de non-conformité, portant atteinte à la confiance en nos banques.

Il est donc indispensable d'appliquer pleinement les accords de Bâle III. Cette mise en oeuvre complète n'est prévue que pour 2028 et la Commission européenne prévoit d'accorder encore un délai supplémentaire pour l'application de certaines dispositions. Il s'agit notamment du plancher de fonds propres, pourtant indispensable à la stabilité bancaire et essentiel pour une concurrence éthique et équitable entre petites et grandes banques. Les études académiques le prouvent, seules les grandes banques sont capables, par l'utilisation des approches les plus avancées de leurs modèles internes, sinon de minimiser, du moins de réduire la valeur de leur actif pondéré par les risques, c'est-à-dire du dénominateur du ratio de capital.

Ce moins-disant prudentiel risque de conduire, à juste titre, le comité de Bâle à juger les règles européennes non conformes. L'ABE l'a souligné, nos banques subiraient, de ce fait, une perte de confiance considérable. Or les faillites des banques régionales américaines et du Credit Suisse l'ont rappelé, la confiance est, en somme, le principal actif d'une banque, qui plus est à l'heure où les dépôts peuvent être retirés en un clic.

Dans un contexte macroéconomique marqué par la remontée des taux d'intérêt et par l'instabilité bancaire, ce nouveau report est donc très dommageable pour la stabilité bancaire, la protection des contribuables et la concurrence équitable entre les banques.

Enfin, j'insisterai brièvement sur les principaux risques relatifs aux bilans bancaires.

Le premier risque majeur, c'est le risque de liquidité. Il est certes constitutif du rôle d'une banque, mais, en cas de remontée des taux d'intérêt, il est exacerbé, particulièrement quand on part de taux très bas : techniquement, la sensibilité du cours des obligations est plus forte en pareil cas. Avec les politiques monétaires non conventionnelles, les banques se sont d'une certaine manière habituées à déléguer la gestion de la liquidité à la BCE : c'est précisément pourquoi l'on a beaucoup moins d'engagements interbancaires. Or la gestion de la liquidité aurait pu être mieux assurée et les ratios de liquidités doivent être recalibrés à l'heure des paniques bancaires numériques, expression popularisée par le président de la Bundesbank. Les informations, vraies ou fausses, circulent à un rythme inédit. Les dépôts peuvent fuir à vitesse grand V et le calibrage actuel du LCR ne correspond plus à la réalité.

Le deuxième risque majeur, évoqué par l'ABE, c'est, dans un contexte de durcissement monétaire, la dégradation de la qualité l'actif bancaire, avec une multiplication des faillites d'entreprise et des créances douteuses, à laquelle on peut s'attendre. En mars 2023, le Haut Conseil de stabilité financière (HCSF) a invité les banques à la plus grande vigilance quant à leur exposition sur les entreprises les plus endettées. Or la France se caractérise par un très haut niveau d'endettement privé, des ménages et surtout des sociétés non financières. Ce niveau est très supérieur à celui de la plupart de nos partenaires européens.

Le troisième et dernier risque majeur, qui n'a pas du tout été évoqué lors de cette table ronde, alors qu'il me semble essentiel, est également sous-évalué par les acteurs bancaires comme par le paquet bancaire de l'Union européenne : c'est l'exposition aux risques financiers d'origine climatique, liés en particulier à la transition énergétique. L'actuelle proposition de règlement, qui est sur la table des colégislateurs européens, ne prend pas véritablement en compte les risques financiers adossés aux énergies fossiles.

Dans un rapport d'octobre 2022, l'organisation non gouvernementale (ONG) Finance Watch, dont - je vous l'indique en toute transparence - je suis membre qualifié, dresse le constat suivant : les soixante plus grandes banques du monde, parmi lesquelles les vingt-deux plus grandes banques de l'Union européenne, et donc nos six plus grandes banques françaises, détiennent 1 350 milliards de dollars d'actifs fossiles dans leur bilan, c'est-à-dire davantage que la somme des actifs à risque au début de la crise des subprimes.

Si l'on croit - et je veux le croire - que l'on va mener la transition vers une économie bas-carbone, si la volonté politique exprimée en ce sens se concrétise, nombre de ces actifs vont s'échouer, c'est-à-dire qu'ils vont fortement se dévaloriser. En effet, ils seront tout simplement abandonnés ; ils cesseront d'être exploités avant la fin de leur durée de vie, avant amortissement. Pour protéger les banques contre les pertes massives qui vont en résulter, qui pourront compromettre leur solvabilité et affecter la confiance des déposants, il faut impérativement inclure ces risques au ratio de capital réglementaire.

À ce titre, Finance Watch propose d'appliquer un coefficient de pondération des risques sectoriels de 150 % aux expositions des banques à des actifs fossiles. Suivant une approche assez similaire, dans un article publié dans International Economics, Gaëtan Le Quang et moi-même proposons un ratio de levier sectoriel, s'appliquant aux expositions sur le secteur de la prospection et de l'exploitation des énergies fossiles. Évidemment, il serait supérieur au ratio de levier non sectoriel figurant actuellement dans les accords de Bâle.

M. Claude Raynal, président. - Par nature, la banque est un métier à risque...

Mme Laurence Scialom. - Bien sûr.

M. Claude Raynal, président. - ... et pour cause : elle doit transformer du court terme en long terme, avec des dépôts qui peuvent être retirés d'une minute à l'autre. La question, c'est donc le degré d'acceptabilité du risque, le niveau de sécurisation et - vous avez prononcé le mot clef - de confiance dans le système, au-delà de toutes les techniques que l'on peut mettre en oeuvre.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - J'ai d'ores et déjà perçu quelques réactions suscitées par les interventions successives, notamment celle de Mme Scialom, et tant mieux car cette table ronde a vocation à ouvrir le débat.

Quel impact le nouveau relèvement des taux directeurs de la BCE peut-il avoir sur le bilan des banques ? Selon vous, existe-t-il un seuil limite à partir duquel les taux sont susceptibles de trop peser sur celui-ci pour être absorbable ?

En quoi les récents événements bancaires diffèrent-ils de la crise de 2008 ? Les systèmes de titrisation alors mis au jour, qui permettent de sortir certains risques du bilan, existent toujours : dans quelle mesure ce constat est-il préoccupant ?

Nous sommes tous d'accord pour reconnaître que la faillite du Credit Suisse résulte d'un certain nombre de règles trop lâches. Selon vous, la France est-elle mieux protégée que la Suisse du point de vue de l'honorabilité des dirigeants et du contrôle des risques ?

Lors de la faillite de la SVB, les dépôts étaient garantis à hauteur de 250 000 dollars. En Europe, ils sont garantis à hauteur de 100 000 euros. Est-ce suffisant ? Ce seuil est-il à même de nous éviter un bank run ?

Enfin, pourquoi les dispositifs de régulation prévus pour les banques ne sont-ils pas appliqués aux compagnies d'assurance selon les mêmes modalités ? Les risques de taux obéissent à la même logique. Cette situation peut aussi avoir des conséquences sur la transférabilité des contrats d'assurance : il y va donc à la fois du respect de la concurrence et du financement de l'économie, qui, pour être utile, doit s'inscrire dans le long terme.

M. Michel Canévet. - Je tiens tout d'abord à remercier les intervenants pour leurs éclairages. J'aimerais poser deux questions à Mmes Scialom et Atig.

Premièrement, le fait d'avoir 10 % des principales banques internationales en France pose-t-il un problème pour le dynamisme de notre économie ? Ne devrions-nous pas accorder davantage de place aux banques de taille plus modeste sur notre territoire ?

Deuxièmement, je m'interroge sur l'amplification des ratios prudentiels. N'est-ce pas néfaste pour le développement de l'économie ? En imposant un certain nombre de règles prudentielles qui pourraient circonscrire l'action du secteur bancaire, ne le rend-on pas davantage atone, car les banques sont plus frileuses à intervenir, même si elles affichent des résultats satisfaisants ? Nous avons évoqué les résultats du Crédit Agricole au premier trimestre, qui sont encore meilleurs que ceux de l'année précédente, déjà excellents.

Malgré l'endettement, qualifié d'élevé par Mme Scialom, de la France, nous rencontrons des difficultés d'accès au logement. Je souhaiterais également demander à M. Michaud si cela est dû aux règles prudentielles drastiques mises en place par le HCSF, notamment en ce qui concerne les taux d'endettement. Ces règles sont-elles aussi strictes dans les autres pays européens en ce qui concerne l'accès des ménages à l'immobilier ?

Mme Sylvie Vermeillet. - J'évoquerai le niveau de réglementation. Madame Atig, vous avez mentionné les difficultés d'application des normes de Bâle III et le poids de la réglementation pesant sur les banques françaises face à la concurrence internationale. Néanmoins, cette réglementation est, selon vous, un atout pour la solidité de nos banques. Quelle est alors la marge de manoeuvre ?

Vous avez également évoqué le ratio de liquidité élevé des banques françaises, qui est de 15 % alors que la moyenne est de 9 %. Les banques françaises sont donc particulièrement prudentes. Pourquoi prévoir un tel taux de liquidité si cela limite leur puissance face à la concurrence ?

M. Jérôme Bascher. - Je me réjouis que le système bancaire français se classe parmi les meilleurs au niveau mondial. Il est satisfaisant de constater que la France dispose d'un système bancaire reconnu à l'échelle internationale. Il est tout de même préférable d'avoir un système bancaire résilient plutôt que d'être les derniers partout !

Je suis d'accord avec vous sur le fait que se limiter à seulement deux ratios est insuffisant. L'ACPR aborde d'autres aspects lors de ses examens. Pour avoir dirigé le comité d'audit et des risques d'un grand établissement financier, je sais que la réalité est plus complexe.

J'aimerais aborder deux sujets.

Tout d'abord, la pondération de certains systèmes financiers classiques et historiques pour développer l'économie. Aujourd'hui le crédit Lombard, par exemple, est pénalisant par rapport à des crédits classiques. Il serait intéressant de comprendre pourquoi, afin de permettre à certains établissements de se financer plus facilement.

Ensuite, ma principale préoccupation concerne non pas le système bancaire, mais plutôt le taux d'endettement de la France. Nous observons une hausse constante de l'endettement public, de l'endettement des entreprises et de celui des ménages, et la France est le seul pays dans ce cas. Cela représente un risque majeur, notamment en termes de surabondance de dettes.

La France a la spécificité d'être un pays de bancassureurs. Cela représente à la fois une force et une faiblesse, car la banque et l'assurance sont régulées de manière différente, notamment en ce qui concerne les normes comptables. Je m'inquiète pour les petites banques, mais aussi pour le secteur non régulé, qui titrise à tout-va. Que compte faire le régulateur s'agissant de ce secteur, performant, mais potentiellement risqué ?

M. Éric Bocquet. - Je me félicite de la tenue de cette table ronde pluraliste. Il est essentiel d'entendre différents avis, et pas seulement la « langue officielle » de la supervision et de l'industrie financière.

Madame Massé, vous avez indiqué que les turbulences actuelles ne remettaient pas en question les règles mises en oeuvre - mais l'ont-elles bien été ? Après la crise de 2008, qui a bouleversé l'économie mondiale, des mesures avaient été prises lors du G20 à Londres en 2009 pour éviter une telle crise à l'avenir. Cependant, nous avons depuis connu de nombreuses répliques, comme récemment avec l'effondrement de FTX et la perte de 40 milliards de dollars en une journée pour la SVB. Je doute que toutes les mesures nécessaires aient été prises pour réguler de manière optimale le système financier mondial.

Je me souviens de la loi bancaire votée en France en 2013, qui comprenait notamment la séparation des activités bancaires entre les financements de l'économie réelle et les activités spéculatives à haut risque. Des progrès ont-ils été réellement réalisés dans ce domaine ? Les activités sont-elles clairement distinguées au sein des banques françaises et internationales ?

Un article récent du journal Les Échos évoquait la possibilité de mettre en cause la responsabilité personnelle des banquiers en cas de crise. L'aléa moral persiste lorsque les États interviennent, comme l'a illustré l'injection de 25 milliards de dollars par la Réserve fédérale américaine pour éteindre rapidement l'incendie de la SVB et prévenir les risques systémiques. Est-il envisageable, comme le suggère l'éditorialiste M. Vittori, de tenir les banquiers personnellement responsables pour leurs pratiques douteuses ?

M. Vincent Segouin. - Les régulations bancaires deviennent de plus en plus strictes, ce qui entraîne des fusions et la création de banques de plus en plus grandes. Quel est l'impact de la taille des banques sur leur résistance ?

Parallèlement, nous observons le développement de banques numériques internationales qui gèrent des cryptomonnaies et échappent aux contrôles. Quelles sont les conséquences possibles de la hausse des taux sur ces banques, ainsi que les répercussions sur nos banques françaises qui investissent de plus en plus dans ces actifs ?

M. Emmanuel Capus. - Ma première question concerne la finance verte. On constate que l'inflation découle principalement de la crise énergétique. Le dérèglement climatique entraîne des modifications dans les investissements liés aux différentes sources d'énergie. J'ai entendu les propos de Mme Scialom sur les risques des investissements dans les énergies fossiles. Le danger est-il le même pour les investissements, importants, que nous devons faire dans l'énergie nucléaire ? Les autres intervenants partagent-ils ses inquiétudes ?

Ma deuxième question porte sur les cryptomonnaies. Malgré la dépréciation des actifs et la crise touchant certains acteurs du secteur, n'assistons-nous pas à une tendance de fond en faveur du développement des cryptomonnaies ? Cela ne risque-t-il pas de déstabiliser le secteur bancaire et d'induire des risques sur les bilans des banques, voire sur le modèle économique du secteur bancaire dans son ensemble ?

M. Claude Raynal, président. - J'ai entendu un membre du Gouvernement affirmer qu'il n'y avait aucun risque lié à la Silicon Valley Bank, car aucune de nos banques ne travaillait avec elle... Je suis resté interloqué, car à force de vouloir tenir un discours rassurant, on n'est plus crédible ! La faillite d'une banque significative a des répercussions sur les autres banques de son pays, et donc sur l'ensemble des banques mondiales.

Le secteur bancaire et financier doit être appréhendé à l'échelle mondiale. On peut adopter des réglementations françaises et européennes et essayer de les mettre en oeuvre, et en tirer une certaine satisfaction morale, mais si les banques d'autres pays ne sont pas contrôlées, elles peuvent causer des dégâts ! En tant que citoyen, je ne suis pas convaincu par les discours rassurants qui nous sont tenus. Il faudrait que les pays ayant de grandes banques se mettent d'accord sur des principes solides, afin de limiter le risque.

Si l'ensemble des banques ne sont pas assujetties aux mêmes règles, se pose aussi le problème de la concurrence déloyale. Alors que nous essayons d'être un bon élève, nous prenons la vague comme les autres ! J'y insiste, je ne suis pas rassuré par le discours d'autorité qui prétend que nous sommes meilleurs que les autres. Car ce n'est pas le problème ! La réglementation devrait être la même pour tous. J'aimerais que vous évoquiez dans vos réponses les perspectives internationales.

Mme Laurence Scialom. - Effectivement, prétendre que l'on ne risque rien, car on ne fait pas d'affaires avec la SVB révèle une méconnaissance profonde des risques systémiques, qui sont notamment liés aux expositions communes. Or toutes les banques sont exposées à la hausse des taux d'intérêt et à un risque de crise immobilière, qui est l'une des composantes fortes des crises financières par le passé. Les interdépendances de bilan, qui propageraient une crise comme des dominos, ont leur importance mais ne constituent donc pas le coeur du risque systémique.

La politique de remontée des taux d'intérêt de la BCE va probablement conduire à l'éclatement d'une bulle immobilière ce qui est une source de danger pour les banques, puisque la valeur du collatéral va s'effondrer. Dès lors, la capacité de remboursement des prêts et la valeur de la garantie seront affectées. Quel serait le bon niveau de taux d'intérêt ? Sincèrement, je n'en sais rien, mais il faut se demander si c'est le bon outil pour lutter contre l'inflation, qui est principalement alimentée par une boucle prix-profits et non par une boucle prix-salaires - même la BCE l'a souligné. Interviennent également des composantes plus volatiles de l'inflation - qui ont plutôt baissé - avec la crise énergétique et la perturbation des chaînes de valeur à la suite de la crise sanitaire. Certains banquiers centraux ont évoqué le lien entre l'inflation et le climat - Isabel Schnabel, membre du directoire de la BCE, a d'ailleurs fait un superbe discours sur le sujet en évoquant la climateflation, fossilflation, greenflation. On observe donc une inflation liée à transition énergétique, pour laquelle une hausse indifférenciée des taux d'intérêt n'est pas la solution. On pourrait en revanche proposer des taux très favorables pour financer la transition écologique.

Vous m'avez interrogée sur les différences entre la crise de 2008 et la crise actuelle. On dit toujours en économie que, « cette fois, c'est différent ». C'est vrai, les origines sont toujours différentes. Néanmoins, les crises bancaires et financières ont des dénominateurs communs : endettement excessif des acteurs privés, gestion des risques laxiste due à des conditions monétaires trop permissives et régulation insuffisante. La crise des années 1930 est née dans ce qu'on appelle aujourd'hui le shadow banking et la titrisation. Aujourd'hui, la plupart de ces dénominateurs communs à toutes les crises sont bien là, ce qui est inquiétant. Certes, les normes de Bâle III ont permis d'apporter des améliorations - les niveaux de fonds propres sont plus élevés -, mais nous partions de presque rien... Quand les banques européennes sont rentrées dans la crise de 2008, certaines d'entre elles avaient un ratio de levier simple - et non leur ratio pondéré par les risques qui donnait une impression de sécurité - de 1 % de capital, de vrai capital ! Tripler ou quadrupler presque rien, cela fait toujours peu ! J'exagère, mais c'est pour vous montrer l'idée. Par ailleurs, le shadow banking pose un vrai problème : il est plus important aujourd'hui qu'il ne l'était avant la crise de 2008.

Sommes-nous davantage protégés qu'en Suisse ? Je relève d'abord que la banque UBS avait été renflouée en 2008. La Suisse peut-elle se permettre d'avoir une banque aussi importante que la fusion d'UBS et du Credit Suisse ? On peut s'interroger sur les risques d'un « too big to save ». Les modalités de résolution de cette crise ont été très problématiques. On avait en effet décidé collectivement, pour limiter l'aléa moral, qu'en cas de problème, on devait commencer, d'abord, par requérir la contribution des actionnaires, avant de passer aux détenteurs subordonnés, puis aux autres. Au contraire, les Suisses ont décidé de protéger certains actionnaires - dont ils assuraient la gestion de fortune pour certains. Se pose donc un problème de la dette bancaire subordonnée.

La méthode actuelle de résolution, le bail-in, ne peut être appliquée à une banque systémique en période de crise, car cela pourrait accélérer la propagation de cette dernière. On a mis en place ce système car on n'a pas voulu imposer plus de vrai capital aux banques ; il s'agit plutôt d'une espèce de pseudo-capital qu'on peut éventuellement activer. Mais on ne l'a même pas activé pour des petites banques, non systémiques au niveau international.

Est-on plus protégé avec des banques « too big to save » ? En un sens, oui, car on les renfloue. Mais ce n'est pas rassurant pour le contribuable car les banques systémiques sont renflouées. Il existe un cercle vicieux entre la dégradation de la notation des États et celle des banques lorsqu'elles sont trop grosses : si la notation de BNP Paribas est dégradée, cela aura un impact direct sur la notation de la France, et inversement : si la notation de la France est dégradée, cela aura un impact sur celle des banques, que l'État est censé renflouer.

Les limites d'assurance des dépôts - 250 000 dollars aux États-Unis et 100 000 euros en Europe - ne sont pas respectées : dans le cas de la SVB, tous les dépôts ont été assurés, y compris ceux de l'ordre du milliard de dollars, ce qui pose un problème d'aléa moral, même si les plus grosses banques commencent à contribuer Les dix plus gros déposants concentraient autour de 13 milliards de dollars. Il ne faut d'ailleurs pas s'inquiéter : il ne faut pas trop le dire, mais en cas de crise bancaire majeure, l'assurance dépôt ne vaut plus et on assure tout le monde. C'est ce qu'on a fait dans toutes les crises.

J'en viens à la question sur la taille des banques. Un système bancaire modulaire serait préférable à un système dominé par quatre grandes banques qui ont des tailles de bilan tellement importantes qu'elles constituent une approximation du marché. Elles sont donc très exposées aux risques systématiques - les expositions communes. Il est préférable d'avoir de petites banques universelles, d'autant que relativement à leur taille de bilan, elles financent davantage l'économie que les grandes, qui font davantage d'activité de marché et nous mettent plus en risque Nous avons raté une occasion avec la loi bancaire de 2013. Il faudrait protéger non pas les activités qui ne doivent pas l'être, comme les activités de marché - elles le sont actuellement -, mais seulement les activités de prêt aux petites et moyennes entreprises (PME) et aux ménages, c'est-à-dire à ceux qui n'ont pas d'alternative pour se financer.

Je termine en évoquant la responsabilité personnelle des banquiers, une idée que j'avais également défendue. Le changement de statut des banques d'investissement américaines, du partnership à la société anonyme, a conduit à une augmentation considérable de la prise de risques. La dépénalisation de la vie des affaires a également eu un impact significatif. Si une banque finance un État génocidaire, organise une fuite fiscale ou manipule des taux, elle sera condamnée à une amende, qui sera payée non par les décideurs, mais par la société anonyme. Pénaliser un comportement revient à dire que celui-ci a troublé la cohésion sociale : dépénaliser la vie des affaires envoie donc un signal selon lequel les activités frauduleuses sont moins graves que d'autres comportements. Il faudrait repénaliser et prévoir, par exemple, des interdictions d'exercer.

Mme Maya Atig, directrice générale de la Fédération française bancaire. - En réaction à l'exposé de Mme Scialom, je pense que tout ce qu'elle a dit serait vrai si les banques étaient des organismes statiques, comme dans les livres ou les études, et hermétiques au monde extérieur.

Je vais partir du dernier point que vous avez cité : la dépénalisation du droit des affaires. Est-ce que vous pensez que c'est agréable quand votre banque est mise en cause dans des affaires pénales ? Cela n'est nullement agréable ou neutre. Le stigmate existe aujourd'hui et ce n'est pas seulement un sujet de règles pénales.

En pratique, les banques font attention à ce qu'elles font et aux risques. Elles ne sont pas hermétiques à l'image qu'elles renvoient à la société, à leur relation avec le juge et les autorités.

Je le dis de cette manière car au fond, tout ce qu'on a cité comme risque, ce sont des choses qui sont connues. Parce que les académiciens en parlent, parce qu'il y a des articles, parce qu'il y a des superviseurs qu'Evelyne Massé a qualifiés d'intrusifs.

Lors des contrôles, il y a parfois des dizaines de personnes qui passent plusieurs semaines et posent de multiples questions. Parfois vous ne comprenez même pas la question. Vous la travaillez et vous vous demandez si la question avait une justification. La première réaction n'est pas de paniquer face à un risque potentiel mais de se demander comment nous expliquons ce risque, est-ce que nous l'avons compris. Le premier réflexe quand nous ne comprenons pas le risque, c'est d'essayer de le comprendre, de trouver les données, d'échanger et de voir comment il peut être géré.

Il y aurait un moyen très simple d'éviter cela, ce serait de ne plus prêter à personne. Les héritiers pourront acheter un logement avec ce que leurs parents leur auront légué et les autres attendront un autre monde.

Ce que montre cet échange, c'est que ce n'est pas la réglementation seule, la supervision seule ni la qualité de gestion interne qui fait que l'on passe les crises. C'est une capacité collective à y faire face.

Pour répondre à M. le président sur la déclaration du ministre, la première étape à chaque fois qu'il y a une crise sur un établissement consiste à examiner l'exposition des autres établissements à celui-là. Ce qui a été fait depuis 2008, c'est de couper les liens et d'éviter qu'il y ait une concentration ou une exposition trop importante.

Quand un établissement californien a une difficulté, on se demande s'il y a une contagion mécanique. Au moment où la réponse a été faite, le sujet s'était déjà étendu à d'autres et donc la réponse est devenue insuffisante.

Néanmoins, j'insiste sur la démarche, et nous l'avons vécu ensemble au moment de la crise sanitaire ou de la crise ukrainienne. La démarche de gestion d'une crise ce n'est pas juste le livre, les études et les centaines de pages de réglementation, c'est la capacité que nous avons à nous passer des coups de fil, à élaborer des dispositifs et faire en sorte qu'ils soient gérés correctement dans le temps et au besoin les ajuster. Nous l'avons fait avec les prêts garantis par l'État sur une échelle macroéconomique. Nous l'avons fait - et je réponds ici à Mme Vermeillet - en essayant de concilier la prudence, la responsabilité - qui conduit à associer un certain coût potentiel à une prise de risques - et la pérennité de la banque. On essaie de combiner développement de l'activité, gestion du risque et génération de profits

Cette boucle fonctionne avec des modèles différents selon les banques et c'est ce qui fait la valeur de leur modèle d'affaire. Cette marge de manoeuvre est définie par chaque banque à son niveau. Certaines en ont plus que d'autres mais en pratique aujourd'hui c'est à ce niveau que se fait la transparence. Je vous invite à regarder le rapport de l'ACPR qui contient un nombre de données considérable, bien au-delà du simple LCR et du CET1.

Ce ne sont pas les seuls éléments que les banques regardent pour savoir si elles sont en haut, en bas ou dans la moyenne. C'est une somme du tout et une gestion quotidienne qui conduit à une transparence.

La gestion de la crise repose sur cette forme de confiance. Il s'agit de s'assurer qu'on a bien échangé entre nous les éléments et fait oeuvre de transparence. Je crois que nous sommes aujourd'hui dans un exercice de transparence autour d'un objectif commun, qui est de faire en sorte que la résilience de notre système bancaire français donne confiance et que, s'il y a des turbulences boursières, on passe au-dessus.

Au niveau international et hors du secteur bancaire, je partage tout à fait les inquiétudes exprimées par MM. Bocquet et Raynal sur les secteurs non régulés. MM. Segouin et Capus, vous avez également parlé des cryptomonnaies. Nous sommes régulièrement l'objet de nombreux tweets ou commentaires disant que les banques sont complètement ringardes alors que les cryptos c'est l'avenir. Nous sommes très fermes dans toutes nos prises de position pour qu'il n'y ait pas de secteur non régulé et que cette régulation soit sérieuse.

Je partage donc vos inquiétudes sur les secteurs non régulés au plan international. L'agenda du G20, ou bien continue à être développé dans les instances internationales mais des pays ne l'appliquent pas, ou bien laisse subsister dans le domaine des cryptomonnaies une différence de règles liée à la volonté de stimuler l'innovation, mais qui pose un problème de concurrence.

Pour en revenir au domaine purement bancaire, les normes de Bâle III complétées ont largement été négociées sur la base de schémas de fonctionnement anglo-saxons. Nous considérons que les déviations en Europe seront liées tout simplement au fait que le modèle européen comporte un certain nombre de différences, ce qui fait que des risques européens vont être sur-calibrés et d'autres vont être sous-calibrés.

L'Europe est le bon élève dans cette affaire. Aux États-Unis, il n'y a même pas un début de transposition, et nous entendons que nous allons passer pour les mauvais élèves internationaux à Bâle. Ce n'est pas acceptable.

Nous demandons que ces règles bâloises soient finalisées et adoptées en veillant à leur impact sur la réalité de l'économie européenne. Si le texte avait pour résultat de mettre fin à la présence de banques européennes dans le secteur des marchés financiers, et devait conduire à ce qu'en Europe nous ne proposions plus que des taux variables au lieu des taux fixes, je ne suis pas sûre que nous aurons gagné vis-à-vis des citoyens européens.

Nous demandons que l'analyse risque-adaptation soit bien faite, toujours avec des risques bien gérés, mais des vrais risques et pas des risques un peu théorisés. On veut que les textes soient appliqués, non pas comme tels mais avec quelques adaptations pour éviter de faire éclater un modèle économique.

Sur la question de la bancassurance, nous avons ce même type d'enjeux car c'est un modèle peu connu et souvent critiqué. Nous sommes d'accord pour que les risques soient gérés mais nous ne voulons pas que la gestion des risques conduise à détruire un modèle économique. Il y a un équilibre à trouver pour que des produits continuent à être offerts et je le redis tout ce qu'il y a d'écrit dans les livres serait vrai s'il n'y avait pas d'adaptation. Or généralement quand une activité est trop coûteuse, l'adaptation est très simple : vous arrêtez de l'exercer.

Je termine sur la taille des banques. En France, il y a dix groupes qui représentent 86 % de l'activité. Nous ne sommes donc pas dans un monde écrasé par les dix premiers parce que chacun des dix n'a pas la totalité et les parts de marché peuvent fortement varier d'un secteur à l'autre. On peut s'enorgueillir d'avoir un secteur avec relativement peu d'acteurs mais qui sont très en concurrence entre eux. Les autres banques prennent 14 %. Cet équilibre grands-petits et le fait que chacun des grands groupes conserve des petites entités en son sein doivent être préservés dans notre modèle.

Enfin, puisque Mme Scialom faisait référence au lien entre notation des banques et notation des Etats, l'exposition au risque souverain français des banques françaises représente 6 % du total de leurs actifs. C'est un niveau raisonnable de boucle souveraine domestique.

M. Claude Raynal, président. - Je donne la parole à M. François-Louis Michaud, qui doit nous quitter dans quelques minutes.

M. François-Louis Michaud. - Merci Monsieur le Président.

Je voudrais commencer par la question « Sommes-nous à l'abri, cette fois-ci est-elle différente ? ». Notre message est clair : s'agissant des banques, le point de départ est solide mais il y aura un ralentissement économique qui les affectera, du fait de leurs actifs mais également, potentiellement, de leur passif. La question de l'absorption de ce ralentissement se pose. La finance non régulée peut également être un facteur de faiblesse, comme on l'a vu avec le petit à-coup fin 2022 sur la dette britannique ou bien récemment aux États-Unis où on a observé un phénomène de contagion pour les banques. Donc je le répète : si le point de départ est solide pour les banques, il faut faire preuve de vigilance.

Sur le sujet de la prise de risque par les banques, c'est bien là leur rôle. La régulation est d'ailleurs agnostique face à la prise de risque : elle ne cherche par exemple pas à ce que les banques s'appuient uniquement sur des taux variables. La raison d'être de la banque est de faire de la transformation, de prendre des risques ; c'est donc également la raison d'être de la réglementation. Ce qui compte, c'est la qualité de la gestion par la banque de son actif et de son passif.

Les règles ont de ce point de vue été durcies après la dernière crise et de nouveau à l'automne dernier dans le contexte de la remontée des taux d'intérêt. L'ABE a ainsi publié à l'automne 2022 des règles renforcées sur la gestion des risques de taux dans le pilotage des bilans bancaires, règles qui ont d'ailleurs fait l'objet de contestations à ce moment-là par les marchés. Ces règles sont là précisément pour protéger les banques et leurs clients. Des stress tests ont également été effectués notamment pour connaître les effets de la remontée des taux d'intérêt sur la marge de taux pour les banques, d'une part, et sur l'ensemble de leur bilan, c'est-à-dire en réalité sur la valeur de l'action de la banque, d'autre part. Les résultats vont être publiés en juillet prochain, accompagnés d'une présentation sectorielle des expositions. Quant à la question de savoir s'il y a un taux limite soutenable de taux d'intérêt pour les banques, la réponse est en fait que ce taux limite diffère d'une banque à l'autre. Car chaque banque gère différemment son actif et son passif. Elles se couvrent différemment et sont plus ou moins exposées, en fonction de leurs activités, à la hausse des taux d'intérêt.

Les règles de Bâle ont été très largement évoquées. L'Union européenne est actuellement très non-conforme aux règles de Bâle et a été jugée comme telle. On ne peut pas dire que l'UE se soit mise dans la logique des banques anglo-saxonnes, sinon nous aurions été jugés conformes. Il faut également dire que les règles de Bâle ne sont pas non plus calquées sur le modèle anglo-saxon, c'est une voie médiane. Quant aux règles édictées par l'ABE, nous produisons certainement des milliers de pages, mais pas des milliers de normes.

Bâle III a plutôt protégé les banques européennes et les déposants jusqu'ici, notamment s'agissant du risque de taux. Une partie du problème aux États-Unis vient du fait que n'avaient pas été mises en place les règles de gestion de taux prévues par Bâle III.

Les mécanismes de contagion ont également été évoqués. Certes, il y a eu une baisse des risques depuis la dernière crise, certes il y a moins d'exposition interbancaire, mais il y a toujours un risque réel de contagion, comme on l'a vu aux États-Unis ainsi qu'avec Credit Suisse. Et ce pour différentes raisons, parmi lesquelles l'exposition des banques aux mêmes actifs, les ventes à découvert ou encore le marché des fameux CDS, pour credit default swap - le marché d'échange de risques de crédits. Pour répondre à cela et afin d'assurer la discipline de marché sans mouvements spéculatifs, il faut de la transparence, pour que le marché soit convaincu que toutes les informations sont disponibles et que la supervision est effective. C'est pour cette raison que l'ABE publie ses données dans le cadre des stress tests et des exercices de transparence qu'elle organise chaque année.

Jusqu'à présent, la digue a tenu en matière bancaire. Mais il est important de publier de l'information pour que le marché puisse se faire son opinion différenciée en fonction des acteurs. C'est aussi pour cette raison que l'ABE a fait un communiqué avec les superviseurs le matin même de la gestion du problème de Credit suisse par les autorités suisses, pour exprimer clairement que le sujet des obligations dites « AT1 » (Additional Tier 1) sur ce dossier aurait été traité différemment dans l'Union européenne. Notre communication limpide et réactive a fortement contribué à rassurer les marchés.

La vitesse de retrait des dépôts est effectivement un sujet. Avec les applications mobiles bancaires, nous sommes dans un nouveau monde dans lequel il est possible de déplacer son argent beaucoup plus rapidement qu'avant.

La question de l'honorabilité des dirigeants est également un point important. C'est d'ailleurs quelque chose qui est examiné par la BCE et les autorités nationales au moment des nominations mais également ultérieurement lorsqu'il se passe quelque chose qui pose problème dans une banque. Ce n'est pas public mais il y a des cas.

La garantie des dépôts à 100 000 euros est probablement un bon niveau. Notons qu'aux États-Unis, les dépôts qui se sont volatilisés n'étaient pas garantis.

Le niveau d'endettement en France, notamment en lien avec l'accès au logement, est effectivement une fragilité importante, comme dans les autres pays de l'Union européenne. Les règles prudentielles dans les autres pays européens ne sont pas forcément meilleures. Le fait que les ménages y aient contracté des emprunts à taux variables les exposent au contraire d'autant plus. En France, le fait que les emprunts soient très majoritairement contractés à taux fixes est plutôt une bonne sécurité. En renforçant ces règles, fondées sur la capacité des ménages à rembourser leurs dettes, le Haut Conseil de stabilité financière a ajouté un facteur de sécurité. Cela protège les ménages dans un contexte de remontée des taux et cela force les banques à avoir une gestion adaptée de leurs risques de taux.

La taille des banques n'est pas déterminante face au risque de crise. SVB était une petite banque alors que Credit suisse était importante. Or, toutes deux ont été touchées par une crise.

S'agissant des marchés non-réglementés et en particulier des crypto-actifs, l'activité des banques y est réduite en Europe. Les banques sont d'ailleurs assez demandeuses pour investir ces marchés, ne serait-ce que parce qu'il y a une demande de la part de leurs clients. En tout état de cause, le canal de contagion est inversé cette fois-ci puisque ce sont les acteurs des crypto-actifs qui ont été touchés par la situation des banques, dont ils avaient besoin pour certaines de leurs opérations. Un règlement intitulé « MiCA » (Markets in Crypto-Assets) vient d'être adopté au niveau européen ; il va apporter un cadre règlementaire pour les émetteurs de crypto-actifs. Cela va notamment permettre aux investisseurs de faire la différence entre les intervenants.

M. Claude Raynal, président. - Madame Massé, je vous passe la parole pour répondre aux dernières questions et proposer quelques mots de conclusion.

Mme Evelyne Massé. - Je vais m'inscrire en complément des propos de M. Michaud que je partage, en particulier en ce qui concerne la vigilance que nous exerçons dans le contexte actuel.

Schématiquement, la contagion peut s'exercer par plusieurs canaux. Le premier c'est le canal direct. Est-on exposé sur l'établissement en question ? Le deuxième canal concerne les établissements qui seraient dans des situations similaires à l'établissement problématique qui pourrait ainsi être confronté au même problème. Le dernier canal est celui de la crise de confiance, un effet très « psychologique ».

Notre grande vigilance porte plutôt sur ce troisième canal. Nous sommes en alerte sur ce point et l'on capitalise sur l'énorme travail d'analyse que l'on mène quotidiennement pour bien connaître les vulnérabilités des uns et des autres, pour être sûr de pouvoir anticiper et pour qu'ils soient en mesure de gérer efficacement leurs risques.

Sur ce point je souhaiterais répondre à la question de M. le Président. Je suis tout à fait d'accord sur l'importance que les règles de Bâle III soient appliquées partout, y compris aux États-Unis. On oeuvre activement au comité de Bâle aux côtés de nos homologues superviseurs pour rappeler que le problème a démarré outre-Atlantique. Mais c'est un processus compliqué, y compris sur le plan législatif de leur côté. Nous mettons une pression maximale dans le domaine de la supervision en espérant que les turbulences récentes, qui représentent une vraie menace pour l'économie américaine, donnent l'impulsion politique nécessaire.

Je voudrais néanmoins souligner que ce n'est pas seulement une satisfaction morale de mettre en oeuvre le cadre de façon rigoureuse au niveau européen. Certes nous avons aménagé quelques petites adaptations mais dans l'ensemble, les principes clés sont mis en oeuvre. Encore une fois, ce n'est pas qu'une satisfaction morale, ces règles ont vraiment considérablement renforcé la gestion des risques des établissements. Cela a conduit à un vrai changement de culture. Grâce à ces évolutions nos établissements ont été en mesure de mieux gérer la remontée des taux et d'anticiper l'évolution de la politique monétaire. Notamment, en fin d'année dernière nos établissements français ont été amenés à rembourser 133 milliards d'euros au titre de l'opération de la Banque centrale européenne (BCE) dite TLTRO III (Targeted Longer-Term Refinancing Operations). Ils ont pu anticiper. Dès le début de l'année ils avaient déjà pu réaliser plus des trois quarts de leur programme de financement.

Vous nous avez demandé si l'on appliquait la loi de séparation et de régulation des activités bancaires. Nous veillons en effet à son application. Dès la mise en oeuvre de la loi, nous avons réalisé une série de contrôles sur place et formulé des recommandations aux établissements. La mise en oeuvre de la loi est bien suivie.

S'agissant de la gouvernance, nous avons évoqué l'honorabilité et la compétence des dirigeants, et plus généralement du contrôle des risques : cela constitue pour nous une priorité majeure de supervision. Dans notre grille d'analyse des risques, le dispositif de maîtrise des risques est aussi important que l'exposition aux risques. Les banques doivent être proactives dans ce domaine.

En termes d'honorabilité et de compétence, le paquet bancaire européen en cours de négociation inclut encore un renforcement à cet égard. Et dès à présent, en lien avec la BCE, nous portons une attention extrême à la qualité des dirigeants des établissements. C'est un point dur et difficile mais nous allons jusqu'au bout, y compris au niveau de l'actionnariat car le « ton du sommet » est essentiel en matière de culture des risques.

Pour répondre à l'interrogation de M. le Rapporteur général visant à savoir pourquoi la situation est différente dans le domaine de l'assurance, un point important à rappeler est que le modèle d'activité d'un assureur est différent de celui d'une banque. On parle d'une inversion du cycle de production car l'assureur perçoit des primes et, parfois très longtemps après, il peut être amené à régler une prestation. Naturellement il est plutôt pourvoyeur que demandeur de liquidités. L'assurance-vie pourrait cependant ressembler à des problématiques que l'on retrouve sur les dépôts mais encore faut-il que l'on ait des alternatives pour placer son épargne par ailleurs, c'est assez compliqué comme dynamique. Mais en moyenne le risque de liquidité est très différent chez un assureur au regard de celui porté par une banque. Le risque de taux est cependant un risque fondamental pour un assureur. Dans le cadre de la directive Solvabilité II, dans le calcul des exigences de capital, les chocs de taux sont appliqués de façon comparable pour les assurances.

Je voudrais revenir sur les propos de M. Jérôme Bascher sur la problématique de l'endettement. Je rappelle que le Haut comité de stabilité financière gère les normes macro-prudentielles qui ont été adoptées sur ces thématiques, qu'il s'agisse pour les ménages, des normes en matière d'octroi des crédits immobiliers, ou, ce qui relève de l'article 458 du règlement (UE) n° 575/2013 concernant l'application d'une mesure nationale plus stricte en matière d'exigences relatives aux grands risques. Ces problématiques sont bien prises en considération pour parvenir à assurer la stabilité du système.

Les difficultés rencontrées à l'octroi ces derniers mois étaient de notre point de vue peut-être plus liées à une problématique de phase de transition liée au taux d'usure qui depuis a été traitée par les pouvoirs publics. Normalement nous sommes sortis d'affaire s'agissant de ce sujet.

Je voulais par ailleurs appuyer les propos de tous les intervenants sur l'importance de porter une attention forte sur le secteur non régulé. Le règlement MiCA en cours d'adoption est une très bonne nouvelle de notre point de vue.

Je ne veux pas passer sous silence les enjeux climatiques et environnementaux qui sont également une priorité pour nous. C'est un chemin qui requiert un temps d'adaptation. Dès fin 2020, la BCE, dans le cadre du mécanisme de supervision unique (MSU), a publié des attentes de supervision en la matière. Depuis, il y eu deux exercices de revue thématique menés auprès des établissements suivis par le MSU pour savoir comment sont mis en oeuvre ces principes. À l'issue de la deuxième revue, des bonnes pratiques ont été publiées en fin d'année dernière pour illustrer la façon de mettre en oeuvre dans sa gestion des risques la prise en compte des enjeux climatiques et environnementaux. Il nous semble que le paquet bancaire en négociation ouvre également des perspectives sur ces thématiques. De notre côté nous croyons plus au plan de transition qui apparaît comme un bon outil de dialogue et de suivi des établissements bancaires en la matière. C'est un enjeu de transformation profond et culturel. Il faut poser des jalons et suivre de près les progrès à chaque étape. C'est ce que nous avons prévu de faire dans le cadre du MSU. Tous les ans, nous réalisons une évaluation du profil de risque de toutes les banques et dès cette année nous allons commencer à prendre activement en compte ces éléments dans le dispositif de gestion des risques des établissements.

M. Claude Raynal, président. - Nous arrivons donc au terme de cette audition. Merci pour la qualité de vos interventions.

La réunion est close à 12 h 10.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.