Mercredi 10 mai 2023

- Présidence de Mme Catherine Deroche, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 05.

Proposition de nomination de M. Jean-François Delfraissy, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de président du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé - Désignation d'un rapporteur

La commission désigne M. Philippe Mouiller rapporteur sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Jean-François Delfraissy aux fonctions de président du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé, en application de l'article 13 de la Constitution.

Audition de M. Jean-François Delfraissy, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de président du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé

Mme Catherine Deroche, présidente. - En application de l'article 13 de la Constitution, nous entendons ce matin M. Jean-François Delfraissy, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de président du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE).

Cette nomination ne peut intervenir qu'après audition devant les commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat. Elle sera suivie d'un vote, qui se déroulera à bulletin secret. Je rappelle que les délégations de vote ne sont pas autorisées et que le dépouillement doit être effectué simultanément à l'Assemblée nationale.

En vertu du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, le Président de la République ne pourrait procéder à cette nomination si l'addition des votes négatifs exprimés dans les deux commissions représentait, au total, au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés.

Je vous rappelle que le CCNE, créé en 1983, a vu ses missions élargies au fil du temps. Il est chargé de donner des avis sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé ou par les conséquences sur la santé des progrès de la connaissance dans tout autre domaine. Il doit exercer sa mission en toute indépendance. De plus, il est chargé d'organiser, sous forme d'états généraux, le débat public qui doit précéder tout projet de réforme sur les problèmes éthiques et les questions de société. Le président et les 45 autres membres du comité sont nommés pour une durée de trois ans, renouvelable une fois.

Monsieur Delfraissy, je vous propose de débuter cette audition par un propos liminaire dans lequel vous nous exposerez votre parcours professionnel, en particulier les actions que vous avez déjà conduites à la tête du CCNE, ainsi que la vision que vous avez de votre prochain mandat à la présidence du comité, le cas échéant. Notre rapporteur, Philippe Mouiller, vous posera ensuite quelques questions, suivi par les membres de la commission.

M. Jean-François Delfraissy, candidat proposé par le Président de la République pour exercer les fonctions de président du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé. - Professeur d'immunologie émérite à la faculté de médecine de l'université Paris-Saclay et au centre hospitalier universitaire (CHU) du Kremlin-Bicêtre, je suis spécialiste de l'interaction entre le système immunitaire et les virus, donc entre l'immunologie et la virologie. J'ai été amené, dans mes fonctions, à diriger l'Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales (ANRS). Je suis ensuite intervenu dans la lutte contre le virus Ebola et, en 2019, comme vous le savez, j'ai pris la direction du conseil scientifique covid-19.

En 2017, j'ai été nommé par le président François Hollande à la présidence du CCNE, puis renouvelé dans mes fonctions par le président Emmanuel Macron.

La création de ce comité sous la présidence de François Mitterrand en 1983, à la suite de la naissance d'Amandine à Clamart, traduisait une volonté de réflexion autour de la recherche en France et de la construction de l'éthique dans ce domaine. Le comité a évolué au cours des dernières années, avec les états généraux de la bioéthique de 2018 et la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique, laquelle a élargi ses missions et modifié sa composition, en permettant l'arrivée de représentants de la société civile. En mars 2023, nous avons fêté les 40 ans du CCNE et, à cette occasion, édité un livre retraçant Quarante ans de bioéthique en France. Cet anniversaire nous a également conduits à interroger les autorités sur l'avenir du comité.

Quelle vision, justement, pour les années à venir ?

Premièrement, les exemples de la génomique, des neurosciences, des organoïdes montrent que de nombreuses sciences sont en mouvement, soulevant des questions éthiques majeures. Or, c'est là l'ADN du CCNE.

Deuxièmement, notre société a profondément changé au cours des dernières années et les questionnements que soulèvent, au sein de la société civile, les progrès des applications de la science, par exemple dans le domaine de la procréation, engendrent eux-mêmes des questionnements éthiques. Les sujets tournant autour de la santé et de la société sont ainsi devenus prégnants au sein du comité.

Troisièmement, deux thèmes montent actuellement en puissance. Sur celui de la santé et de l'environnement, deux mondes qui ne se connaissent absolument pas, nous sommes en train de créer un groupe de travail. Ce sera, à mon avis, un sujet important pour l'avenir. Par ailleurs, au moment où une autre médecine est en train de voir le jour avec l'intelligence artificielle, nous allons mettre en place un comité d'éthique du numérique. Nous nous appuyons sur différents partenaires : les autres comités d'éthique, en particulier ceux des grands organismes de recherche, avec lesquels nous organisons deux grandes réunions annuelles, et nos espaces de réflexion éthique régionaux.

Par ailleurs, ce que je vous propose si vous renouvelez mes fonctions, c'est un CCNE en mouvement. Cela me ressemble, d'une part, et cela répond, d'autre part, à la nécessité de trouver une ligne de crête entre la préservation des grandes valeurs fondamentales du comité et la prise en compte des évolutions de la société.

Outre l'ouverture sur la société, ce projet de CCNE en mouvement passerait aussi par une ouverture aux territoires - d'où une politique très active autour des espaces de réflexion éthique régionaux, qui aident, en faisant remonter des questionnements de terrain, à nous sortir la tête des étoiles - et par une ouverture, difficile certes, mais absolument nécessaire, vers les jeunes. Nous organisons ainsi une journée des lycéens la semaine prochaine à l'Assemblée nationale sur le thème de la santé et de l'environnement. J'ai en outre demandé que l'on ouvre une série de questionnements sur les grandes valeurs véhiculées dans notre système éducatif, un point sur lequel j'ai l'intention de me battre.

Pour terminer, qu'entend-on par « institution indépendante » quand le président du CCNE est nommé par le Président de la République, après vote du Parlement ? Au risque de vous surprendre, j'évoquerai une indépendance à deux niveaux : il y a l'indépendance vis-à-vis de la sphère politique, qui vous est familière, mais aussi vis-à-vis de la société. Au cours des dix dernières années, nous nous sommes clairement plus interrogés sur la façon dont les demandes et évolutions de la société viennent interférer avec les questions examinées par le CCNE que sur les avancées de la science en tant que telles.

En matière d'indépendance, je ne connais pas plus indépendants que les médecins ou les chercheurs en France, et le CCNE est pluriel, avec la présence de juristes, de philosophes, de spécialistes des sciences humaines et sociales... Par ailleurs, le comité est en capacité de s'autosaisir. C'est un lieu d'intelligence collective assez rare, l'exercice de construction collective permettant de rattraper tout éventuel dérapage qui surviendrait à la suite d'une demande politique. Notre impact est variable, avec des avis repris assez rapidement - avis sur la fin de vie ou sur les enjeux éthiques de la reconstruction du système de santé - et d'autres suivis d'un effet totalement nul - avis sur les migrants ou sur l'accès aux innovations thérapeutiques.

Avec des réunions organisées plusieurs fois par an, le CCNE s'inscrit aussi parmi les grands acteurs de la démocratie participative en santé, qui est essentielle pour construire le lien entre citoyens, expertise et décision politique. Sur certains grands sujets, de telles démarches ont permis de débrouiller les dossiers avant que le Parlement ne s'en saisisse.

Nous pouvons mieux faire, c'est certain, mais il y a une « éthique à la française », qui se voit à l'international, et cela me tient à coeur. Nous avons organisé un colloque européen à l'occasion de la présidence française de l'Union européenne et participons à diverses réunions à l'international.

M. Philippe Mouiller, rapporteur. - Merci de cette présentation et, surtout, de nous avoir livré votre regard sur les axes de développement du CCNE. Au moment où vous briguez un nouveau mandat, pourrions-nous avoir votre avis sur les grands principes généraux de limitation du nombre de mandats ? Votre mission à la tête du conseil scientifique covid-19 ne risque-t-elle pas d'altérer l'apparence d'indépendance du CCNE ? Par ailleurs, que répondez-vous aux critiques consistant à dire que, loin de rappeler des valeurs morales intangibles, le CCNE finit tôt ou tard par cautionner ce qui est techniquement possible ? Que pensez-vous du rapport issu de la convention citoyenne sur la fin de vie et de l'avis rendu hier par le Conseil économique, social et environnemental (Cese) sur l'aide active à mourir ? En matière de méthode, les groupes de travail ont été extrêmement nombreux sur ce dossier, tout comme les acteurs qui ont donné leur avis. Quelle légitimité pour ces différents organismes ? Quelle place pour le CCNE dans un tel paysage ? La solution face à cette complexité n'est-elle pas, tout simplement, de revaloriser la centralité de l'activité parlementaire ?

M. Jean-François Delfraissy. - Votre question concernant les mandats est très pertinente - je me la suis moi-même posée. J'avais demandé, lors de l'adoption en 2021 de la loi de bioéthique, que le mandat de président du CCNE soit porté à deux fois trois ans. Mais je suis, à la fois, de l'ancien et du nouveau régimes, et le secrétaire général du Gouvernement a donc estimé qu'il était possible de renouveler mon mandat. Je voudrais, pour ma part, non pas refaire deux fois trois ans, mais clore quelques dossiers qui me semblent importants, notamment l'installation du comité national du numérique et de l'intelligence artificielle ou encore certains points concernant la fin de vie.

Par ailleurs, dans le cadre du renouvellement des membres du CCNE tous les trois ans, 12 à 14 de nos membres vont changer au 31 juillet, ce qui risque de nous faire traverser une période un peu complexe.

Vous avez également raison de vous interroger sur l'indépendance - et c'est pourquoi j'avais anticipé la question. Je vous ai donné les éléments, en évoquant l'indépendance vis-à-vis de la politique, mais aussi vis-à-vis de la société, et les capacités d'autosaisine du comité. J'ajoute que nos avis sont facultatifs. Cela n'en fait qu'une goutte d'eau dans un océan, mais n'enlève rien à l'importance de ce travail, assez original en France, de construction de la réflexion, d'écoute et de création d'intelligence collective.

Mes anciennes fonctions de président du conseil scientifique covid-19 me rendent-elles moins indépendant que d'autres ? C'est à nouveau une question que je me pose. Mais, si certains disent que nous étions très proches du Gouvernement au sein de ce conseil scientifique, j'estime, pour ma part, que ce ne fut pas le cas sur certains sujets. Nous avons considéré d'emblée que nous pouvions nous autosaisir et écrire ce que nous pensions. Pendant la période la plus difficile, de mars à décembre 2020, je me suis par ailleurs mis en déport du CCNE.

Je respecte évidemment les commentaires qui peuvent être exprimés sur le comité. Mais, si je suis attaché aux valeurs qu'il défend, je constate aussi que la société, comme les connaissances scientifiques, évolue. À cet égard, nous ne disons pas oui à tout. Des lignes rouges ont été tracées, par exemple sur la gestation pour autrui ou la constitution d'embryon. Nous en traçons encore aujourd'hui, notamment sur les organoïdes, qui entraîneraient une bascule complète, puisque ces cellules souches prises sur la peau peuvent être orientées, entre autres, vers des gamètes mâles ou femelles et, ensuite, constituer un embryon.

Mme Véronique Guillotin. - Je suis contente de vous entendre évoquer un CCNE en mouvement, notamment vis-à-vis de la jeunesse et des territoires. Après ce que nous avons connu avec la crise du covid-19 et tous les fantasmes qui ont pu s'exprimer, il est important d'amener la réflexion au plus près du territoire. Le CCNE aura des lignes rouges à tracer en matière d'évolutions technologiques, mais, comme le montre l'exemple actuel de ChatGPT, ne risque-t-on pas, à un moment, d'être totalement débordé ? Je terminerai par une remarque : effectivement, le thème de l'environnement et de l'atteinte à l'environnement par notre propre système de santé doit être traité.

Mme Annick Jacquemet. - Vous avez évoqué la nécessité d'une ouverture vers les jeunes, pour les inciter à réfléchir aux différents sujets de société. Que pensez-vous de l'enseignement, ou plutôt du non-enseignement sur la vie affective ou la sexualité dans nos lycées et collèges ? Je rappelle qu'un rapport sur la pornographie de la délégation sénatoriale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes met en avant une consommation régulière de sites pornographiques par des enfants de moins de 15 ans. Est-ce un sujet sur lequel vous pouvez intervenir ?

Mme Brigitte Micouleau. - Le CCNE avait clairement tracé une ligne rouge s'agissant de l'aide active à mourir. Qu'en est-il aujourd'hui ?

Mme Michelle Meunier. - Ayant participé aux travaux du CCNE pendant quelques années, j'ai effectivement beaucoup apprécié la façon dont se construisent les avis, qui, au demeurant, sont toujours très balancés. J'ai lu avec beaucoup d'intérêt autant celui sur la procréation et les techniques de procréation médicalement assistée que, dernièrement, celui concernant la fin de vie. Chaque fois, un point de vue est présenté, puis l'autre. Ne pensez-vous pas que cette façon de faire, présentant beaucoup d'intérêt, contribue aussi à limiter l'exercice ? À la lecture de l'avis sur la fin de vie, on peut se demander en quoi le CCNE a évolué sur la question. Qu'en est-il ?

M. Bernard Jomier. - La question de notre rapporteur concernant les mandats est une question que nous nous posons de façon récurrente et qui, évidemment, est tout à fait dissociée de la personne.

Effectivement, j'ai lu et relu le dernier avis du CCNE sur la fin de vie. Il est rédigé d'une manière extrêmement habile, qui peut prêter à de multiples interprétations, me laissant l'impression que le comité ne fait que délivrer des éléments de réflexion. Des principes éthiques sont affirmés, mais, un peu plus loin, il est indiqué que ces mêmes principes peuvent être interprétés différemment au regard de la réalité. Par exemple, vous semblez poser des conditionnalités très strictes à l'instauration de l'aide active à mourir, notamment en matière d'accès aux soins palliatifs. Or nous savons tous que, dans cinq ans, la situation ne sera pas réellement meilleure dans ce secteur. À la lecture de votre avis, on peut donc penser que les conditions ne sont pas remplies pour cette ouverture de l'aide active à mourir.

Pourriez-vous nous éclairer sur le message que vous souhaitez adresser à la société, mais aussi à nous, législateurs, qui allons devoir légiférer ?

M. Jean-François Delfraissy. - S'agissant de notre présence en région, les espaces de réflexion éthique régionaux, financés par le ministère de la santé, se concentrent sur l'éthique en santé, mais nous pensons ouvrir ce réseau à la problématique du numérique et de l'intelligence artificielle. Après une mise en route un peu lente, celui-ci est fonctionnel, étant précisé que ces structures travaillent indépendamment du CCNE.

Vous devez savoir que le dispositif français, reposant sur le triptyque CCNE, loi de bioéthique et ouverture vers les territoires, est regardé avec beaucoup d'envie par la communauté internationale d'éthique.

Je ne sais pas dire si nous sommes déjà dépassés dans le domaine de l'intelligence artificielle. Mais je signale que le comité d'éthique du numérique est le premier à être créé en Europe et nous n'avons qu'un an de retard par rapport aux États-Unis et au Canada. Je suis moi aussi fasciné et inquiet par les évolutions - j'ai découvert que certains logiciels sont plus efficaces que vingt ans d'expérience de transplanteur - et nous sommes probablement au début d'une révolution qui va toucher des métiers très intellectuels. J'ai été frappé par deux récents articles du Monde, dans lesquels l'un des deux inventeurs de ChatGPT affirmait que l'on ne pouvait pas arrêter la science et l'autre qu'il fallait faire une pause. Oui, on peut arrêter le mouvement - voyez l'interdiction du clonage - : quand on la stimule, la communauté scientifique est parfaitement capable de tenir une ligne !

Je partage le constat dressé s'agissant des jeunes. Il faut d'ailleurs intervenir autant dans le milieu scolaire que dans les facultés de médecine, où, jusqu'à présent, l'apprentissage de l'éthique n'était pas vraiment développé. Heureusement, la jeune génération des doyens est beaucoup plus ouverte sur ces sujets et l'intégration administrative des facultés de médecine au sein des grandes universités leur offre un environnement dans lequel sont présents des enseignements en sciences humaines et sociales. S'agissant de l'enseignement scolaire, il est aussi essentiel d'apprendre à vivre ensemble dès le plus jeune âge. Après avoir rencontré le nouveau ministre de l'éducation nationale, très ouvert sur ces sujets, j'ai demandé à prendre rendez-vous avec les recteurs et inspecteurs généraux de l'éducation nationale pour les en convaincre.

Sur les avis du CCNE, j'insiste sur le fait que nous sommes vraiment dans un exercice d'intelligence collective. Il ne s'agit pas de dégager des consensus mous et, sur des sujets complexes, difficiles, il nous est déjà arrivé de défendre des positions minoritaires.

Le CCNE n'a pas changé d'avis sur la fin de vie. En septembre 2018, après les états généraux de la bioéthique, nous avions écrit que la loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, dite Claeys-Léonetti, n'était pas assez connue ni appliquée, et qu'elle n'apportait pas de solution à un certain nombre de situations complexes. Des positions similaires avaient été retenues par mes prédécesseurs - Didier Sicard, par exemple, envisageait aussi la possibilité d'exceptions dans certaines conditions particulières. Si notre position évolue, elle ne change donc pas drastiquement.

C'est un sujet extrêmement complexe et intime, rappelons-le, et le CCNE n'est pas là pour dire ce qu'il faut faire ou ne pas faire. Il fait fonction de boussole pour les concitoyens et, je l'espère, un peu pour vous aussi.

Qu'importe si de nombreux acteurs ont travaillé sur le dossier de la fin de vie ! Je vous rappelle simplement que le CCNE s'est autosaisi du dossier, alors que nous affrontions encore la crise du covid-19, à la suite de deux tentatives de certains de vos collègues de l'Assemblée nationale de provoquer un vote « à la petite semaine » sur ce sujet, en dépit de son importance et de sa très grande fragilité.

Notre avis, dont les deux mots clés sont « autonomie » et « solidarité », est ainsi structuré : une première partie réaffirme que la loi Claeys-Léonetti n'est pas assez connue ni appliquée ; une deuxième partie souligne que l'on peut faire mieux en matière de soins palliatifs, même si - et c'est un vieux médecin ayant connu la période du sida qui vous le dit - nous avons déjà beaucoup progressé ; une troisième partie ouvre la porte au suicide assisté, et non à l'euthanasie, en indiquant que, si tous les moyens étaient bien réunis, il y aurait des situations dans lesquelles, le pronostic vital étant réservé à échéance de quelques semaines ou quelques mois, on pourrait, au nom de la dignité et de l'autonomie, permettre à des personnes qui le souhaitent d'avoir accès à une aide médicale à mourir ; la quatrième partie préconise de prendre le temps d'un grand débat national sur le sujet avant que celui-ci ne revienne devant le Parlement.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - C'est passionnant de vous écouter et d'entendre votre ambition pour le CCNE. En matière de santé et d'environnement, nous sommes tous sidérés par l'actuelle évolution du climat et la hausse des températures. Cette question est-elle abordée au sein du comité ? J'ai également beaucoup d'appréhension à l'égard du numérique : comment faire en sorte que l'humain conserve la main sur l'intelligence artificielle ? J'aurais souhaité plus d'explications sur ces deux points.

Par ailleurs, la pandémie de covid-19 a eu des répercussions en matière de santé mentale, notamment chez les jeunes. L'environnement en perpétuel changement et les très importantes fractures sociales sont source de nombreuses angoisses, conduisant certains individus à la violence, d'autres à l'addiction. Notre société, on le sent, n'a pas forcément la résilience nécessaire pour faire face à cette situation. Comment le CCNE peut-il l'aider, par son expertise, à affronter les crises que nous allons avoir à vivre ?

M. Daniel Chasseing. - Merci pour vos propos, notamment sur la fin de vie. Comme vous l'avez souligné, il s'agit d'un sujet intime et complexe, qui appelle la plus extrême prudence. Les soignants, par exemple, considèrent très majoritairement que l'euthanasie ou le suicide assisté ne constitue pas un soin. Par ailleurs, dans un pays comme les Pays-Bas, quand, en 2002, l'euthanasie bénéficiait à 90 % à des personnes en fin de vie à très brève échéance, ce taux est tombé à 60 %, ce qui démontre une certaine dérive du dispositif.

S'agissant des soins palliatifs, il m'est arrivé d'entendre à la radio qu'il n'y en avait pas dans mon département de la Corrèze... Ayant appelé pour vérifier, j'ai constaté qu'il n'y avait certes pas de service spécifique de soins palliatifs, mais qu'il existait une équipe itinérante fonctionnant très bien et rendant des services formidables. Il faut donc faire attention à ce que l'on entend...

M. Jean-François Delfraissy. - Notre intention, en matière de santé et d'environnement, sera d'essayer de rassembler au travers de groupes de travail les acteurs de ces deux domaines, qui ne se connaissent pas. Je vous suggère à cet égard un chapitre du livre édité pour les quarante ans du CCNE, chapitre traitant de ces sujets.

Nous devons rendre prochainement un avis sur la santé mentale, dans lequel vous trouverez des éléments de réponse.

S'agissant de la fin de vie, j'insiste sur la très grande humilité et la très grande humanité dont nous devons faire preuve dans l'examen de cette question, ô combien intime. Je suis obligé de réagir sur deux points. D'une part, s'il est vrai que médecins et soignants des soins palliatifs sont opposés à toute évolution de la loi, l'avis est plus nuancé dans le reste de la communauté médicale, notamment parmi les oncologues, les urgentistes et les réanimateurs. D'autre part, certaines situations posent une question de fond : notre mort nous appartient-elle ou appartient-elle à la société qui, au cours de son évolution, a confié cette question au corps médical et au corps des soignants ? C'est une question complexe et intime, sur laquelle chacun peut avoir une vision différente - que je respecte.

M. Alain Duffourg. - Vous avez indiqué avoir eu des regrets s'agissant de la gestion de la pandémie de covid-19. Aujourd'hui, certains médecins et particuliers signalent des effets secondaires de la vaccination. Quel est votre sentiment sur le sujet ?

M. Jean-François Delfraissy. - Je me permets de vous rappeler que mon mandat à la présidence du conseil scientifique est achevé. Considérez donc que je ne vous réponds absolument pas en tant que président du CCNE. J'ai déjà eu l'occasion de vous indiquer, ici même au Sénat, que, d'une part, les vaccins auraient probablement une durée de vie beaucoup plus courte que ce que l'on imaginait - le conseil scientifique n'avait pas tout à fait tort de le penser - et, d'autre part, que les vaccins protégeaient massivement contre les formes graves de la maladie. Certes, il y a des effets secondaires, mais connaissez-vous un grand médicament qui n'en ait pas ? En outre, ils sont limités. À la question, que vous allez sans doute me poser, de savoir s'il y en aura dans dix ou quinze ans, je répondrai que je n'en sais rien - si je vous disais le contraire, il ne faudrait pas me croire... Mais ces vaccins, très clairement, ont sorti nos grandes démocraties de l'impasse dans laquelle elles se trouvaient et nous ont permis de vivre avec le virus. C'est une réussite à mettre à leur actif, face aux décisions prises par les autocraties, et j'en suis fier.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous vous remercions de votre participation.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo, disponible en ligne sur le site du Sénat.

Vote sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Jean-François Delfraissy aux fonctions de président du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé

Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous avons achevé l'audition de M. Jean-François Delfraissy, candidat proposé par le Président de la République pour exercer les fonctions de président du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé. Nous allons maintenant procéder au vote sur cette proposition.

Le vote se déroulera à bulletin secret, comme le prévoit l'article 19 bis de notre Règlement. En application de l'article 1er de l'ordonnance n° 58-1066 du 7 novembre 1958 portant loi organique autorisant exceptionnellement les parlementaires à déléguer leur droit de vote, les délégations de vote ne sont pas autorisées.

Je vous rappelle que le Président de la République ne pourrait procéder à cette nomination si l'addition des votes négatifs des commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés dans les deux commissions.

Il est procédé au vote.

Audition de Mme Sylvie Lemmet, candidate aux fonctions de présidente de Santé publique France

Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous entendons à présent Mme Sylvie Lemmet, candidate proposée par le Gouvernement aux fonctions de présidente du conseil d'administration de l'agence nationale de santé publique, plus connue sous le nom de Santé publique France. En application de l'article L. 1451-1 du code de la santé publique, sa nomination doit être précédée de son audition par les commissions compétentes du Parlement sans que celle-ci soit suivie d'un vote.

Santé publique France est un établissement public de l'État à caractère administratif, placé sous la tutelle du ministre chargé de la santé.

L'agence a pour missions l'observation épidémiologique et la surveillance de l'état de santé des populations ; la veille sur les risques sanitaires menaçant les populations ; la promotion de la santé et la réduction des risques pour la santé ; le développement de la prévention et de l'éducation pour la santé ; la préparation et la réponse aux menaces, alertes et crises sanitaires ; le lancement de l'alerte sanitaire.

Ce rôle a été, chacun s'en souvient, particulièrement mis en lumière à l'occasion de la crise épidémique de covid-19, pendant laquelle l'agence a par ailleurs reçu plus de dotations exceptionnelles, portant son budget jusqu'à 5 milliards d'euros.

Madame Lemmet, je vous propose de débuter cette audition par un propos liminaire, dans lequel vous pourrez présenter votre parcours, ainsi que la vision que vous avez de votre futur mandat à la présidence du conseil d'administration de Santé publique France. Les membres de la commission pourront ensuite vous poser leurs questions.

Mme Sylvie Lemmet, candidate aux fonctions de présidente de Santé publique France. - Ma candidature à la présidence du conseil d'administration de Santé publique France me vaut l'honneur d'être entendue par votre commission, et je m'en réjouis. Celle-ci a commis et commandé de nombreux travaux sur les enjeux sanitaires et, de façon générale, les enjeux de santé publique. Vous avez par ailleurs une bonne connaissance du rôle et des missions de Santé publique France.

Dans l'écosystème des agences sanitaires, Santé publique France est la traduction d'une volonté, née en 2016, de doter notre pays d'une agence de santé publique forte sur le plan scientifique et incarnant un continuum de la connaissance à l'action, de la surveillance à la prévention. C'est une agence scientifique, éclairant les décideurs, apportant son expertise et contribuant à soutenir le système de santé, en particulier à travers la réserve sanitaire et la gestion pour le compte de l'État des stocks stratégiques. Elle collabore étroitement avec d'autres opérateurs dans le domaine sanitaire, environnemental et de la recherche. Elle s'appuie sur le réseau territorial des cellules d'intervention en région (Cire), hébergées par les ARS.

Le mandat de présidente du conseil d'administration n'est pas une fonction exécutive, celle-ci étant assurée par la directrice générale, Caroline Semaille, que vous avez auditionnée à l'occasion de sa nomination.

C'est sur le fondement de mes diverses expériences dans les champs de la santé et de l'environnement, de ma pratique de l'interministériel et de ma connaissance des rouages budgétaires et de l'État que je suis aujourd'hui proposée pour ce poste.

J'ai débuté ma carrière dans le secteur privé et, très vite, mes aspirations m'ont portée vers des missions d'intérêt général. J'ai travaillé en Thaïlande auprès de réfugiés avant de rejoindre Médecins sans frontières, où j'ai été pendant quatre ans directrice financière. En tant que membre du conseil d'administration de cette même ONG pour la logistique, j'ai vécu des crises importantes, comme celles du Kurdistan et du Rwanda. De cette expérience, fondatrice pour moi, je retiens l'importance de la coordination en temps de crise, de la sanctuarisation des équipes de crise, du rôle stratégique de la logistique et de l'importance du retour d'expérience en temps réel.

J'ai ensuite travaillé dans le secteur du développement durable, occupant le poste de directrice de projets dans le domaine de l'environnement en Amérique latine pour la Banque mondiale. Rentrée en France en 2001, j'ai rejoint la septième chambre de la Cour des comptes, en charge de l'environnement, et siégé parallèlement au conseil d'administration de Médecins sans frontières.

En 2007, de nouveau appelée sur des fonctions internationales par le Programme des Nations unies pour l'environnement, je suis devenue directrice générale de la division technologie, industrie et économie, avec un portefeuille assez large, incluant énergie et climat, produits chimiques et déchets, économie verte et circulaire. De cette expérience, je retiens l'intérêt d'un continuum d'action allant de la science jusqu'à la mise en oeuvre sur le terrain.

En 2013, j'ai été nommée directrice des affaires européennes et internationales au sein du ministère chargé de l'environnement, essentiellement afin de préparer la COP2021, présidée par la France. J'étais notamment en charge de l'engagement des entreprises et de la société civile. J'en retiens l'importance d'associer les parties prenantes dès l'origine, avant même la conclusion des accords.

En 2020, j'ai pris la responsabilité du pilotage et de la mise en oeuvre du plan de relance post-covid sur son volet environnement, en tant que secrétaire générale adjointe du plan de relance au sein du ministère de l'économie et des finances.

Enfin, sous la responsabilité directe des deux ministères en charge de l'environnement et des affaires étrangères, je suis aujourd'hui ambassadrice pour l'environnement, pilotant une équipe interministérielle portant les positions françaises aux niveaux européen et international sur des sujets comme la biodiversité, l'eau, la forêt ou les plastiques.

Je mentionnerai pour conclure une expérience très riche acquise en tant que commissaire de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) en 2019 et 2020, ainsi que différentes expériences acquises au sein de conseils d'administration de structures publiques, parapubliques ou philanthropiques.

Le fil rouge de ce parcours tient en deux traits, qui, d'une certaine manière, me caractérisent : l'aspiration à s'emparer de sujets scientifiques pour les traduire en politique publique ou politique d'intérêt général et susciter l'action ; la construction d'opinions et de positions partagées, aussi bien dans un cadre franco-français qu'à l'international.

Le conseil d'administration de Santé publique France, central parmi les instances de gouvernance de l'agence, statue sur les grandes orientations stratégiques, le programme de travail, le budget, les règles de déontologie. Sa composition est très large, reflétant l'étendue du périmètre et son ancrage sociétal. Le conseil comprend les représentants de huit ministères, quatre parlementaires - dont la sénatrice Véronique Guillotin et le sénateur Jean Sol -, des représentants d'élus locaux, de partenaires institutionnels et de la société civile.

Sa présidente doit être la garante de discussions éclairées et une partenaire de la directrice générale, de l'agence et de la tutelle.

J'ai pris connaissance du rapport de la Cour des comptes sur la gestion de l'établissement, recommandant un positionnement plus fort du conseil d'administration sur le pilotage stratégique de l'agence. Je souhaite prendre ma part dans cette évolution, sachant que - bonne nouvelle - un prochain contrat d'objectifs et de performance doit être préparé.

Je serai par ailleurs attentive à l'adéquation entre moyens et missions, ainsi qu'au personnel de l'agence et aux risques psychosociaux, l'agence ayant été extrêmement bousculée durant la pandémie de covid-19.

Je souhaite également que le conseil d'administration soutienne l'agence dans ses efforts de transparence, dans les données d'expertise produites, mais aussi au plan budgétaire.

Enfin, j'espère que mon regard, légèrement extérieur à l'écosystème de santé, apportera des perspectives nouvelles à Santé publique France, contribuant à identifier les enjeux de demain, qu'il s'agisse des liens entre santé et environnement, des enjeux dans les outre-mer, de la santé mentale, de l'obésité ou des conséquences des inégalités en matière de santé.

Lors des auditions ayant précédé sa nomination, Caroline Semaille a formulé trois objectifs : une expertise indépendante et collégiale au service des politiques publiques, une agence ouverte et transparente, une agence capable d'anticiper et d'innover. Si vous m'accordez votre confiance, je placerai cette ambition au coeur de nos travaux, afin d'apporter, avec l'ensemble des membres du conseil d'administration, le soutien d'une instance attentive et constructive, pour le bien de l'agence, de ses personnels et de l'ensemble des Français.

Mme Corinne Imbert. - Vous avez évoqué votre expérience professionnelle, et le regard légèrement extérieur au domaine de la santé publique qu'elle vous permet de poser. La coloration environnementale de votre curriculum vitæ annonce-t-elle une attention plus marquée au concept « une seule santé », « One Health », ce qui serait l'occasion d'en préciser enfin les implications ?

Le rapport de la Cour des comptes insiste sur la faible impulsion du conseil d'administration dans le pilotage stratégique de l'agence, qui a donné lieu à peu de débats sur la prévention ou la promotion de la santé, et guère davantage sur la réserve sanitaire. Comment pensez-vous y remédier ?

La création de Santé publique France s'inspirait de modèles de gestion publique anglo-saxons, mais sans pousser cette logique à son terme, ce qui aurait requis davantage de moyens et davantage d'autonomie. Comment percevez-vous le positionnement de l'agence dans le paysage des agences sanitaires ? Quel degré d'autonomie lui serait nécessaire pour mener à bien ses missions ?

Quel regard portez-vous sur la distribution des missions entre les différentes agences, et notamment sur la dualité entre Santé publique France et l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), ainsi que sur la nécessité invoquée depuis une quinzaine d'années de les coordonner ?

Enfin, Santé publique France est censée contribuer à l'information, à la formation et à la diffusion d'une documentation scientifique et technique, ainsi qu'au débat public. Pensez-vous que ces missions doivent aller jusqu'à la régulation de l'éthique scientifique ? Santé publique France a par exemple reconnu, devant les rapporteurs de la mission d'information sur l'obésité, que les industriels avaient orienté les recherches pour instiller le doute sur la dangerosité de leurs produits. Comment lutter contre les conflits d'intérêts dans ce domaine ?

Mme Laurence Cohen. - Santé publique France a publié le 18 avril dernier une enquête sur la surveillance des maladies professionnelles en France entre 2012 et 2018. Marie-Pierre Richer, Annick Jacquemet, Laurence Rossignol et moi-même organisons, en tant que corapporteures, des auditions, au nom de la délégation aux droits des femmes, sur la santé des femmes au travail, lors desquelles nous constatons que de nombreuses affections sont sous-déclarées, notamment en ce qui concerne les troubles musculo-squelettiques. Environ 35 % des salariés ne connaissent pas le processus de réparation, autant subissent un diagnostic insuffisant, et 22 % des cas sont dus au refus de consulter des salariés, qui ont peur de perdre leur emploi. Le nombre est en augmentation chez les femmes. Quelles préconisations feriez-vous au Gouvernement pour améliorer la santé au travail et lutter contre les troubles musculo-squelettiques lors de la future loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 ?

Un récent rapport de la Cour des comptes estime qu'il serait pertinent d'élargir l'autonomie de Santé publique France en matière de gestion des crises sanitaires, afin de rendre l'agence plus réactive et autonome. Une telle évolution pourrait-elle contribuer à mieux traiter les pénuries de médicaments, à l'aide d'outils spécifiques ? Je vous pose cette question, car actuellement se tient au Sénat une commission d'enquête sur la pénurie de médicaments et les choix de l'industrie pharmaceutique française, dont je suis rapporteure, et à laquelle participent plusieurs membres de cette commission.

M. Xavier Iacovelli. - Un de vos objectifs est de travailler sur l'obésité. Différentes études montrent que l'obésité coûte entre 11 et 54 milliards d'euros par an à l'assurance maladie, si l'on prend en compte la baisse de productivité induite par l'obésité. Il faut travailler davantage sur la prévention, ou sur des sujets qui ne touchent pas uniquement la santé, comme l'alimentation, l'industrie alimentaire, ou les taux de fructose tolérés dans les produits ultratransformés. Avez-vous l'ambition de conduire un grand plan de lutte contre l'obésité ? Rappelons que l'obésité fait 5 millions de morts par an dans le monde, et favorise différentes maladies chroniques, ou encore le cancer colorectal comme, semble-t-il, celui du pancréas.

Mme Sylvie Lemmet. - La présidente d'un conseil d'administration n'est pas la directrice de Santé publique France ; sa vocation est d'animer l'assemblée, de faire vivre la collégialité. J'ai des aspirations particulières, notamment sur le sujet des liens entre la santé et l'environnement : il y a une interdépendance entre la santé humaine, celle des écosystèmes et celle des animaux. Mais au-delà de ce constat d'une seule santé, concrètement, qu'est-ce que ce concept veut dire ? À quels types de zoonoses s'attendre, par exemple ? Quelles seront les implications en matière de prévention ? Ce fil doit être tiré, compte tenu de la mission de Santé publique France, mais certainement pas à nous seuls. Mon oeil sera donc un peu particulier, mais ma fonction et mon parcours feront que mon rôle sera essentiellement d'animer la collégialité de l'assemblée.

Dans le prochain contrat d'objectif, nous verrons comment renforcer le rôle stratégique du conseil d'administration. Je n'ai pas encore pris contact avec l'agence, mais il faudra commencer très tôt dans l'établissement du consensus, en se mettant d'accord sur des constats partagés. Il faudra écouter les remontées de la directrice générale de Santé publique France et de son comité de direction, ainsi que le conseil scientifique et les autres comités de gouvernance, pour établir les points prioritaires.

La grande difficulté pour Santé publique France, agence qui reste petite par rapport à l'ampleur des sujets traités, sera de trier entre les priorités. J'espère pouvoir y contribuer, ayant vécu lors de mes différentes expériences professionnelles l'extraordinaire difficulté de devoir faire plus que ce que les moyens permettent.

Le sujet de l'autonomie spécifique de Santé publique France devra également être abordé dans le contrat d'objectifs et la discussion avec les tutelles. Le rapport de la Cour des comptes préconise une plus grande autonomie sur la gestion des stocks stratégiques. La grande difficulté, pour savoir si Santé publique France pourrait faire des recommandations au Gouvernement ou se saisir elle-même de la reconstitution de ces stocks, tient dans les moyens alloués. Il me semble souhaitable que Santé publique France puisse donner l'alerte, comme elle l'avait fait au sujet des masques avant la crise du covid-19, et qu'un véritable dialogue existe. Il faut des doctrines claires d'emploi des masques et de constitution des stocks, et Santé publique France doit disposer d'un volant de trésorerie pour reconstituer ces stocks ou les écouler au fur et à mesure. Il serait très souhaitable d'aborder la question.

Est actuellement envisagée la création d'une direction générale des crises au sein du ministère de la santé, pouvant se voir attribuer seulement la réserve sanitaire ou également la gestion des stocks stratégiques. Attendons les décisions. À mon sens, il est important que lors des crises, il n'y ait qu'une tête : la coordination doit être claire. Sur le terrain, le préfet doit prendre la tête en cas de crise ; sur le plan national, il faut décider qui assure la coordination.

Santé publique France est très attachée à la coordination avec l'Anses. Les plus grandes enquêtes en cours vont être menées en coopération avec l'Anses. Je ne suis pas au courant des mécanismes de coordination dans le détail, mais il faut s'assurer d'une coordination claire, y compris au plus haut niveau.

L'obésité est une question que je soulèverai personnellement, en tant que présidente. Le Gouvernement est en train de préparer une feuille de route, crois-je comprendre. En France, l'obésité touche moins de personnes que dans d'autres pays - le taux d'obésité est d'environ 15 % -, mais cette maladie est en progression très forte, et le sujet est important. Santé publique France n'a pas rien fait : la publication du Nutri-Score représente un vrai succès. On peut certes critiquer ce dernier, mais il marche. L'enjeu, c'est de le faire adopter au niveau européen, pour qu'il devienne une norme concernant l'ensemble des produits. Par ailleurs, faut-il le laisser relever du volontariat, ou le rendre obligatoire ? Le volontariat des entreprises marche, car c'est une manière d'associer dès le départ, mais il faut souvent passer par l'obligation pour contraindre les plus réticents. Il faudra voir au cas par cas.

Les conflits d'intérêts en la matière sont importants, mais ils ne concernent pas que l'obésité : les conflits d'intérêts sont partout en matière de santé, et surveiller ces conflits fait partie des missions du conseil d'administration de Santé publique France.

Concernant la santé des femmes au travail, vous avez raison : ces sujets sont sous-évalués. Il faut prendre en compte non seulement les troubles musculo-squelettiques, mais également le fait que, par peur des résultats, certaines femmes hésitent à consulter et ne font pas réaliser leurs examens gynécologiques. Il y a des progrès à faire sur l'importance du dépistage et de la prévention. Des campagnes ciblées existent déjà, comme celle menée par Santé publique France sur les examens de milieu de vie, afin de prévenir la dépendance : pour assurer une fin de vie en bonne santé, il est important de s'y prendre non à 70 ans, mais à 45 ans. Ce sujet n'est pas assez mis sur la table, il me semble. De manière générale, les examens de milieu de vie, dans le cadre de la santé au travail comme en dehors du travail, doivent être encore davantage mis en exergue pour la bonne santé d'une population, surtout si elle est vieillissante.

L'autonomie de l'agence permettrait-elle de faire face aux pénuries de médicaments ? Les sujets me semblent différents : la pénurie de médicaments ne fait pas partie des missions de Santé publique France, qui s'occupe essentiellement des stocks stratégiques.

Mme Brigitte Devésa. - L'agence Santé publique France, qui poursuit une stratégie de dialogue avec la société civile, place la démocratie au coeur de son action : elle souhaite renforcer l'ouverture de ses travaux aux acteurs locaux et à la société civile. Pensez-vous poursuivre cette stratégie, qui va de la surveillance à la promotion de la santé ?

Mme Catherine Deroche, présidente. - Lors de la commission d'enquête sur la crise sanitaire, nous avons noté l'absence de connaissance des cellules régionales de Santé publique France. Comment y remédier ? Cela relève-t-il de la présidence ou de la direction de l'agence ?

Mme Sylvie Lemmet. - Cela relève bien des compétences de la direction, mais c'est aussi une question à aborder dans nos réflexions stratégiques. L'agence elle-même n'était pas très connue au début de la crise, en partie parce qu'elle était jeune. Aujourd'hui, il en va autrement, mais les agences régionales restent peu connues. Cela est dû au fait qu'elles font de la remontée d'information, jouent moins un rôle d'action que l'agence régionale de santé (ARS) et dépendent de l'agence nationale ; elles ont peu d'autonomie et sont de petite taille. J'examinerai le sujet, car l'on ne peut dire vouloir être près des territoires et comprendre les populations sans disposer des moyens adéquats.

Il me semble essentiel de promouvoir l'information. La société civile consulte beaucoup le site de Santé publique France. Les informations et les niveaux de détail sont foisonnants, mais le site est assez largement perfectible. Le but de l'information est bien de déclencher l'action : je serai attentive à ce point. Comme utilisatrice, je reste parfois un peu sur ma faim.

Mme Laurence Cohen. - Je souhaite préciser ma question sur la pénurie de médicaments. Un premier contrat d'objectifs et de performance (COP) de Santé publique France couvrait la période 2018-2022, chargée d'un point de vue sanitaire. Faut-il élargir les facultés d'autosaisine de Santé publique France en matière de gestion des crises sanitaires, ce qui aurait des conséquences sur les pénuries de médicaments ?

Mme Sylvie Lemmet. - La question, très intéressante, est plus complexe qu'elle n'en a l'air. Les stocks stratégiques sont assez bien définis, tandis que les médicaments courants passent par le circuit normal des pharmacies. Le mandat de Santé publique France est déjà très large ; résoudre les pénuries de médicaments ne relève pas des missions de l'agence. Je ne suis pas sûre qu'élargir le mandat de Santé publique France et prévoir d'autres médicaments dans les stocks stratégiques soit la meilleure solution. Il faudra évaluer la question plus avant pour régler le problème des pénuries ; je souhaiterais recueillir l'avis de la direction générale et du ministère de la santé sur le sujet.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Je vous remercie pour vos réponses.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo, disponible en ligne sur le site du Sénat.

Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à lutter contre le dumping social sur le transmanche - Désignation d'un rapporteur

La commission désigne Mme Catherine Procaccia rapporteur sur la proposition de loi visant à lutter contre le dumping social sur le transmanche (n° 469, 2022-2023).

La réunion est close à 11 h 00.