Mardi 16 mai 2023

- Présidence de Mme Maryse Carrère, présidente -

La réunion est ouverte à 9 heures.

Audition de M. Olivier Jacob, directeur du management de l'administration territoriale et de l'encadrement supérieur (DMATES) du ministère de l'intérieur et des outre-mer.

Mme Maryse Carrère, présidente. - Mes chers collègues, cette semaine, notre mission d'information va tenir trois auditions publiques, dont celle de ce matin et une autre en fin d'après-midi, pour entendre M. Stanislas Bourron, directeur général de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT).

Nous tiendrons demain, à 11 heures 15, une audition commune avec la commission des lois, pour entendre M. Yannick Morez, maire de Saint-Brévin, qui a annoncé sa démission jeudi dernier.

Pour le moment, nous entendons M. Olivier Jacob, directeur du management de l'administration territoriale et de l'encadrement supérieur (DMATES) du ministère de l'intérieur et des outre-mer, que je remercie de sa présence.

Monsieur le directeur, se pencher sur l'avenir des communes et des maires impose nécessairement de faire le point sur leurs relations avec l'État déconcentré.

Mission de contrôle, assistance juridique, attribution de fonds et instruction des appels à projet, ingénierie territoriale, les préfectures jouent un rôle essentiel auprès des communes, et nous avons souvent entendu louer, lors nos auditions, la figure du sous-préfet, comme interlocuteur de référence des maires.

Mais dans le même temps, nos interlocuteurs se sont souvent inquiétés de la faiblesse des moyens de l'État territorial, ou d'un déséquilibre entre l'activité d'assistance juridique et celle de censure, et plusieurs ont fait part de leur crainte d'un désengagement progressif de l'État sur les territoires.

Afin d'évoquer avec vous toutes ces thématiques, nous vous avons transmis un questionnaire, et vous pourrez compléter par écrit les réponses que vous nous apporterez aujourd'hui.

Avant de vous donner la parole pour un premier échange, je la laisse à notre rapporteur.

M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - C'est avec plaisir que nous entendons la DMATES, direction qui nous apporte toujours beaucoup de solutions. Ce fut notamment le cas, lors de la discussion de la loi 3DS.

Les élus des territoires souhaitent que l'État territorial soit réarmé - je fais écho à ce que disait la présidente Maryse Carrère -, notamment par le biais des sous-préfets.

Or, il est un paradoxe : on vient de rouvrir quelques préfectures, mais le manque de moyens, notamment humains, est toujours criant alors que le besoin des communes de disposer d'interlocuteurs de référence ne faiblit pas.

À cet égard, on peut s'inquiéter de l'apparition d'une forme de « distance » entre les élus et l'État, du fait de la politique d'agencisation mise en oeuvre : les élus locaux, plus habitués au contact avec les préfets et sous-préfets, ne savent plus vers quelle porte se tourner.

L'agence nationale pour la cohésion des territoires (ANCT) manque d'incarnation ou cette incarnation varie sensiblement d'un territoire à l'autre. Dans les Vosges, le sous-préfet de Neufchâteau, qui est chargé de faire fonctionner l'ANCT, est absent depuis six mois. La situation n'est pas claire non plus en Ille-et-Vilaine.

En outre, les élus ont besoin d'un interlocuteur, agile et réactif, vers qui se tourner lorsque se surviennent des crises comme celle des gilets jaunes ou du Covid.

Enfin, nous souhaiterions que le préfet puisse, ainsi qu'on l'avait souligné pendant l'examen de la loi 3DS, être coordonnateur des services de l'État sur le territoire.

Nous aimerions connaître vos positions sur ces sujets.

M. Olivier Jacob, directeur du management de l'administration territoriale et de l'encadrement supérieur (DMATES). - Vous avez, par vos propos, ouvert une multitude de sujets de préoccupations pour la direction à la tête de laquelle je me trouve.

Je vais donc revenir sur certaines des thématiques que vous avez abordées, en essayant de les placer dans la perspective de la mission qui est la vôtre, celle du rôle du maire, de la commune et du lien entre le représentant de l'État, qu'il soit préfet ou sous-préfet, et le maire.

J'ai eu l'occasion de le dire devant des commissions ou des missions concernant les moyens attribués à l'État territorial : la décennie 2010 à 2020 fut dramatique pour l'évolution des effectifs de l'État au niveau départemental.

Ceci a été documenté récemment encore par un rapport de la Cour des comptes qui date de 2021. La Cour a elle-même qualifié la réduction des effectifs de l'État d'irréaliste au niveau territorial. Le réseau préfectoral a perdu 4 700 emplois ou équivalents temps plein (ETP) durant cette décennie, soit environ 15 % des effectifs des préfectures.

C'est une moyenne : dans les sous-préfectures, la diminution a été encore plus forte, soit par réduction d'effectifs, soit par transferts de missions auparavant assurées dans les sous-préfectures - quand j'ai débuté, une sous-préfecture délivrait des titres, réalisait du contrôle de légalité, délivrait des cartes grises, etc.

Dans les autres services territoriaux et départementaux de l'État, comme les directions départementales interministérielles (DDI), la diminution a été encore plus accentuée.

Elle a été stoppée, depuis 2021, à l'arrivée du ministre de l'Intérieur, M. Gérald Darmanin. Depuis l'adoption la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (LOPMI), on assiste à une recréation d'emplois dans le réseau préfectoral. Cela ne compense pas les 4 700 ETP supprimés mais on compte 350 ETP sur la durée de la LOPMI - 2023-2027. C'est donc une rupture avec une décennie de réduction d'effectifs.

Les organisations syndicales représentatives de personnels de préfecture avec lesquelles je dialogue regrettent qu'on ne crée pas plus de postes, mais c'est une première depuis plus de dix ans. Cela va nous permettre de réarmer l'État territorial, pour reprendre une expression maintenant partagée, et notamment de réinvestir certaines missions qui ont souffert au cours des années 2010-2020.

On peut penser aux missions liées à la sécurité et à la prévention de la délinquance - cela concerne plutôt les cabinets de préfets -, à celles liées à l'immigration. Cela peut également permettre de réarmer certaines sous-préfectures. Vous avez évoqué la réouverture de cinq d'entre elles. En réalité, nous ne rouvrons pas de sous-préfectures, mais nous pourvoyons des postes de sous-préfets dans des sous-préfectures qui n'ont pas disparu. À Saint-Georges-de-l'Oyapock, en Guyane, nous avons créé un arrondissement complet.

Notre préoccupation est néanmoins que ce mouvement soit bien accompagné par les autres ministères : ceux de la transition écologique, de l'agriculture, des affaires sociales pour l'essentiel. Ces derniers ont en effet eu tendance, voyant que les sujets ont été interministérialisés au niveau départemental, par la création en 2010 des directions départementales interministérielles, à stratégiquement privilégier l'échelon régional plutôt que départemental -la Cour des comptes l'a aussi souligné.

S'agissant des conséquences des crises récentes sur le lien entre les représentants de l'État et les maires, il est vrai que notre pays a traversé depuis quelques années des crises profondes. Vous avez cité la crise du Covid. On pourrait citer celle des gilets jaunes, plus récemment la crise de l'accueil des réfugiés ukrainiens, ou les manifestations liées à la réforme des retraites. À chacun de ces événements, le lien entre les représentants de l'État, préfets et sous-préfets, et les maires, échelons de proximité s'il en est, s'est resserré.

On a beaucoup cité, au sortir de la crise du Covid, le lien entre le maire et le préfet. J'en ai fait l'expérience en Haute-Provence. Au moment du Covid, beaucoup d'administrations ont fermé leur rideau. L'administration qui est restée active est celle du coeur régalien de l'État, la préfecture, les services de police et de gendarmerie avec, à leurs côtés, les maires qui sont non seulement élus dans leur circonscription communale, mais aussi des représentants de l'État, qui exercent, pour le compte de l'État, un certain nombre de missions. C'est ce qui explique sans doute ce lien fort entre préfets, sous-préfets et maires.

Vous avez évoqué le déséquilibre entre assistance juridique et censure. J'imagine que vous faites référence au contrôle de légalité ou à l'exercice parfois tatillon de la règle. C'est une réalité à laquelle j'ai été confronté en tant que préfet et, au cours de ma carrière, en tant que secrétaire général de préfecture. Avant d'exercer dans les Alpes-de-Haute-Provence, j'ai exercé comme secrétaire général de la préfecture du Nord, de l'Hérault, du Calvados. Rappelons que le secrétaire général de préfecture est le sous-préfet de l'arrondissement chef-lieu. J'ai toujours été très attentif, à cette époque, à maintenir le lien avec les élus.

Ce qui m'est souvent remonté, c'est l'application tatillonne de la règle, qui bloque les dossiers que souhaite instruire le maire. Notre corpus administratif est ainsi fait que nous avons de nombreuses règles pour la protection environnementale, celle des monuments historiques, la police de l'eau, le défrichement, la destruction d'espèces protégées. Lorsqu'un maire souhaite mener un projet, il est souvent confronté à l'application d'un corpus administratif foisonnant, devant lequel il est parfois perdu.

J'ai toujours essayé - et c'est ce que promeut la DMATES - d'accompagner les élus et singulièrement les maires. Cet accompagnement est d'autant plus nécessaire qu'on se trouve face à des communes de taille modeste ou situées dans des départements ruraux.

Ce qui m'a souvent frappé, c'est le dénuement des maires face à l'application de cette règle. C'est le rôle du représentant de l'État d'accompagner le maire dans cette ingénierie administrative et financière.

Dans votre questionnaire, vous posez notamment la question des subventions d'investissement, comme la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL).

Des solutions existent pour accompagner l'élu et faire en sorte que le préfet et le sous-préfet soient les intermédiaires entre les ingénieurs de l'État, que l'on trouve notamment au sein des directions départementales des territoires, et les élus.

Lorsque je suis arrivé dans les Alpes-de-Haute-Provence, avec les élus, les associations des maires, le conseil départemental, nous avons essayé de mettre en place un guichet unique -le département de la Lozère a été précurseur en la matière- afin que le maire, dès qu'il a un projet, puisse venir s'adresser à la préfecture ou la sous-préfecture pour savoir ce à quoi il doit s'attendre et connaître les obstacles à son projet.

Le sous-préfet et le préfet ne sont pas là pour déroger à la règle, mais pour l'expliquer et parfois accompagner l'élu dans l'interprétation de la règle, parce que tous nos codes ne sont pas aussi précis qu'on pourrait le croire.

Je voudrais revenir sur le sujet de l'agencisation, qui est un mal contre lequel la DMATES essaye de lutter, car nous sommes attachés à l'unité de l'action de l'État. Depuis une quinzaine d'années, elles se sont multipliées. Notre combat a été d'essayer d'obtenir à tout le moins que le préfet soit le délégué territorial des agences ainsi créées.

Nous y avons réussi pour des agences importantes, comme l'agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) ou l'agence nationale de l'habitat (ANAH). Nous l'avons obtenu également pour l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), les agences de l'eau et l'OFB lors de la loi 3DS, non sans mal, et avec le soutien des sénateurs.

Néanmoins, comme je le dis souvent, je pratique une politique qui est celle du petit pas népalais : quand vous souhaitez atteindre le sommet, il faut y aller pas à pas et ne jamais perdre son objectif de vue. Des combats restent à mener, comme la désignation du préfet comme délégué territorial. On pourrait aussi songer à des opérateurs de l'État tel que Pôle emploi ou le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA). Je n'ose évoquer, de crainte de me faire « taper sur les doigts », des agences qui, parfois, ont des compétences en matière de santé publique.

Je signale néanmoins, dans le cadre de la LOPMI, une avancée importante obtenue également grâce au soutien des parlementaires. Si j'ai bonne mémoire, l'article 27 de la LOPMI confie au préfet, en cas de crise, le pouvoir hiérarchique sur l'ensemble des services et opérateurs de l'État pour la résolution de la crise. C'est un pas juridique qui vous a peut-être échappé, mais qui constitue une avancée conceptuelle extrêmement forte.

Le préfet, jusqu'alors, avait un pouvoir de coordination des services et des opérateurs de l'État en cas de crise mais là, une nouvelle étape est franchie, car le préfet - et on s'est inspiré de ce qui s'est passé au moment du Covid - a bien pouvoir hiérarchique sur ces services et opérateurs, y compris sur ceux chargés de l'éducation nationale.

Avec cette nouvelle disposition, le préfet pourra toujours dialoguer avec les intéressés, dans un premier temps, mais il disposera de bien plus de manettes pour résoudre la crise.

Il n'en demeure pas moins que, pour les agences, des progrès sont encore à réaliser, alors que le président de la République porte un discours très clair sur les responsabilités qu'il souhaite confier aux préfets dans les territoires. Toutefois, cette volonté présidentielle a parfois du mal à se traduire dans les discussions interministérielles.

Je voulais attirer votre attention sur les feuilles de route des préfets, voulues par le Premier ministre Castex. Parfois appelées « projet territorial de l'État » ou « plan d'action stratégique de l'État » dans les départements, elles fixent des objectifs aux préfets de région et de département en matière de politique publique de l'État.

Certains préfets ont communiqué sur leur feuille de route. Elles sont constituées de deux parties, dont la première est descendante. C'est ce qu'on appelait les objets de la vie quotidienne (OVQ), et qu'on appelle maintenant politiques prioritaires du Gouvernement (PPG), qui sont déterminées par les ministères. La deuxième partie est plutôt ascendante. Il s'agit des projets du préfet, qu'il considère comme prioritaires pour son département.

Les précédentes feuilles de route étaient valables pour 2021, 2022 et 2023. Le dernier Comité interministériel pour la transformation publique (CITP), qui s'est tenu la semaine dernière, sous la présidence de la Première ministre, a annoncé une nouvelle génération de feuilles de route pour 2024, 2025 et 2026.

Cela offre aux préfets un magistère moral supplémentaire sur des politiques publiques qui parfois leur échappent parce qu'elles relèvent du ministère de la justice, de l'éducation nationale ou des finances publiques.

Mme Maryse Carrère, présidente. -On réalise, en vous écoutant, combien l'État territorial a pu être désarmé au fil du temps.

N'est-on pas allé à rebours de la déconcentration, n'a-t-on pas réduit à l'excès la marge de manoeuvre des préfets et des sous-préfets dans leur action départementale ?

La semaine dernière, j'étais invitée à participer à la commission d'attribution du fonds départemental de la vie associative (FDVA2). Je me suis aperçue que les propositions de la commission remontaient au préfet de région. Je ne suis pas certaine que pour décider d'accorder 800 euros à un petit festival du coin ou à une association, l'échelon régional soit le plus pertinent !

L'exigence d'accompagnement des élus sur le terrain s'affirme progressivement. Ainsi, dans les Hautes-Pyrénées, le préfet Rodrigue Furcy avait, à l'époque, proposé un accélérateur de projets dans le cadre du plan de relance. Il avait proposé un guichet unique qui réunissait tous les services de l'État pour examiner les projets et ne pas perdre de temps.

En revanche, d'un territoire à l'autre, le degré d'accompagnement ou même l'interprétation et l'application de la loi varient sensiblement, ce qui est créateur d'inégalités, qu'il faudrait corriger.

Mme Anne Chain-Larché. - La suppression du corps préfectoral s'accompagne d'une interdiction pour les préfets à rester en place plus de cinq ans dans un même poste, et plus de neuf ans dans le même corps. Cette dé-spécialisation de la fonction préfectorale ne sera-t-elle pas préjudiciable à la qualité du travail avec les élus ?

La formule du guichet unique est intéressante : est-elle applicable aux dotations du plan de relance, à la DETR, à la DSIL ou au Fonds vert ?

M. Jean-Marc Boyer. - La proposition de guichet unique que vous faites est certes intéressante, mais on s'aperçoit aujourd'hui des difficultés que peuvent connaître plusieurs maires, comme la solitude et le dénuement face à l'ensemble des contraintes qui peuvent leur être imposées.

Quels garde-fous, au sens propre et peut-être même au sens figuré, peut-on mettre en place entre les citoyens et le maire, et entre l'administration et le maire ?

Par ailleurs, au fur et à mesure, le maire a perdu tout pouvoir de décision. Ainsi, le FDVA2 a été mis en place lorsque la fameuse réserve parlementaire a été supprimée. Or les subventions du FDVA2 ne sont plus à la main des parlementaires ni des maires.

C'est là une nouvelle perte de pouvoir de décision, et je ne parlerai pas de la DETR qui, pour des montants de moins de 100 000 euros, est encore une fois à la main du représentant de l'État.

Je plaide pour le retour d'une dotation d'action parlementaire et j'ai déposé une proposition de loi en ce sens, car il faut rendre aux maires et aux parlementaires un pouvoir de décision.

Mme Cécile Cukierman. - À titre préalable, je dirais que je n'ai pas de souci particulier avec l'administration préfectorale dans mon département - les sous-préfets sont d'ailleurs plus présents sur le terrain qu'il y a quelques années.

Mais, en parlant avec les maires, je constate qu'avec le plan de relance, la hausse des enveloppes budgétaires a permis à la préfectorale de mieux accompagner les élus et aux élus d'avoir le sentiment d'être mieux accompagnés. Qu'en sera-t-il, dans les deux années qui viennent, lorsque ces dotations baisseront ?

Les élus acceptent les normes et les réglementations. Mais ils déplorent le manque d'accompagnement juridique préalable de l'État. Les élus les plus anciens aiment à rappeler le temps béni de la DDE, qui fournissait aux élus un réel accompagnement de proximité, en amont, sécurisant juridiquement les dossiers et les projets. Ce besoin de sécurisation est d'autant plus fort que, avec la judiciarisation de notre société, les élus peuvent craindre la contestation en justice de leur projet si une erreur est commise.

Par ailleurs, vous avez évoqué la déconcentration. N'y a-t-il pas plutôt eu une dislocation de la représentation de l'État dans les territoires ? Certains ministères font le choix d'une hyperdépartementalisation, d'autres plutôt d'une régionalisation -la loi les y ayant incités parfois.

Quant aux agences, dont les statuts, les hiérarchies et les échelles géographiques sont très différentes, elles contribuent à affaiblir l'action d'un État déconcentré.

Vous me permettrez enfin de souligner que, du fait de l'évolution du statut des personnels, dans certaines agences, les agents, plus animés par la défense de tel ou tel secteur d'activité, sont peut-être moins attachés que les fonctionnaires d'État au service de l'intérêt général.

M. Jean-Michel Arnaud. - Une précision à propos de la feuille de route des préfets : pourquoi n'est-elle pas publique et transmise en particulier aux parlementaires ?

S'agissant de la question du guichet unique, s'il s'agit seulement de permettre au préfet de contrôler les financements des autres partenaires, il serait nécessaire d'en parler avec les départements et les régions.

En revanche, s'il s'agit, comme dans mon département des Hautes-Alpes, d'avoir une conférence technique entre les chefs de file de chaque collectivité et le secrétaire général ou le sous-préfet d'arrondissement pour coordonner la cohérence des plans de financement et éviter que les saisons s'accumulent pour boucler le plan de financement, je dis banco ! On pourrait imaginer une concertation avec nos associations nationales représentatives des différentes strates, ce qui permettrait de gagner en efficacité pour nos politiques publiques et le financement de nos projets communaux.

Un sujet me tient à coeur, c'est le rôle du préfet. Vous avez, comme souvent dans la communication du Gouvernement, valorisé le tandem maire-préfet. J'ai constaté que la Première ministre, lors d'une communication publique, avait insisté sur le tandem préfet-président d'intercommunalités. Ce n'était pas simplement une erreur d'appréciation, car nous constatons dans beaucoup de nos départements la volonté, par facilité ou conséquence d'un manque d'effectif, de privilégier les présidents d'intercommunalités au détriment de la ruralité profonde et de ce qui a été fort heureusement valorisé par le Gouvernement ces dernières années à travers la labellisation « Petites villes de demain », les réseaux de villes intermédiaire. Ces dernières ne sont pas forcément à la tête de l'exécutif des intercommunalités, mais constituent un sas utile entre métropole, agglomérations et ultraruralité en matière de services, de politique d'installation et de développement d'équipements intermédiaires. Il faudrait envoyer un signe fort aux préfets pour qu'ils privilégient, dans la pratique du quotidien le tandem maire-préfet.

Il ne faut qu'une parole d'État dans les départements. On a souvent le sentiment, en tant qu'élus locaux, qu'il existe plusieurs États dans l'État. J'en veux pour preuve le parcours du combattant pour un maire qui est en train de réviser son PLU dès lors qu'il ne s'agit pas d'un PLUi.

Lorsqu'il pense avoir atteint le dernier obstacle, l'agence d'environnement régionale peut encore venir contrarier tout le travail qui a été fait. Le préfet découvre quasiment en même temps que l'élu l'avis de l'instance régionale, et on se retrouve dans des situations de tension énorme.

Je souhaite que les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) travaillent davantage, et en amont, avec les préfets de département, et que, notamment, leurs délais de saisine soient coordonnés.

Le renforcement des moyens humains dans les préfectures, pour accompagner les élus, est une bonne chose.

Il faut, dès lors qu'on a des moyens financiers (DSIL, DETR), qui sont conséquents depuis quelques années, que les services de l'État disposent de suffisamment de moyens humains pour accompagner les élus dans le montage des dossiers afin d'éviter des refus. C'est une façon de mieux consommer les crédits de la DETR et de faciliter la relance économique dans les territoires à travers les très petites entreprises et les petites et moyennes entreprises qui font vivre nos départements.

Mme Maryse Carrère, présidente. - Vaste programme !

M. Olivier Jacob. - Ce sont autant de sujets auxquels j'ai pu être confronté en territoriale comme en centrale.

Un mot sur la notion de déconcentration. Ma direction y est très attentive : il faut donner davantage de pouvoir aux préfets de région et de département.

La DSIL est attribuée par le préfet de région, sur proposition du préfet de département. C'est parfois un sujet de discussion entre eux, voire de tension au sein de l'appareil de l'État.

La déconcentration consiste notamment à donner plus de pouvoir d'action aux préfets, à la fois en matière de ressources humaines (RH) et en matière financière.

Le ministère de l'intérieur est un ministère très déconcentré. S'agissant des moyens des préfectures et des sous-préfectures, on donne une enveloppe au préfet de région qui la répartit entre les préfets de département, mais nous ne fléchons pas cette enveloppe en fonction des missions ou des catégories.

Ce n'est pas le cas de tous les ministères. Beaucoup décident de la répartition des effectifs depuis l'administration centrale et les flèchent jusqu'au moindre ETP, en administration départementale. Il reste des progrès à faire en matière de déconcentration RH.

Un outil, peut-être passé inaperçu, constitue une véritable nouveauté. Il s'agit de ce qu'on appelle la règle du 3 %. C'est une initiative prise par Jean Castex à l'occasion du Comité interministériel pour la transformation publique de Vesoul. Cette règle donne le pouvoir au préfet de région de répartir comme il le souhaite jusqu'à 3 % de l'effectif des administrations territoriales de l'État.

Cela représente des milliers de personnels que les préfets de région peuvent déplacer d'un ministère à l'autre en fonction de leurs priorités. La première année, en 2022, les préfets se sont modérément emparés de cette faculté. On constate en 2023 que les préfets de région sont désormais plus offensifs sur le sujet.

S'agissant de dotations d'investissement, vous disiez que les élus ne décident pas en matière de DETR, de DSIL, de FDVA2. Je ne reviendrai pas sur la réserve parlementaire. Ce n'est pas mon rôle de m'exprimer à ce sujet.

Pour ce qui est de la DETR, j'ai connu l'époque de la dotation globale d'équipement (DGE), de la dotation de développement rural (DDR). La commission des élus existait, mais, à la fin, c'était toujours le préfet qui décidait. L'obligation, pour le préfet de département, est toutefois de se mettre d'accord avec le président de la commission des élus sur les priorités. Cela peut varier d'un département à l'autre. On peut fixer une priorité sur l'eau potable, l'assainissement, l'accueil des gens du voyage, la voirie, les écoles.

Généralement, quand on a retenu l'eau potable, l'assainissement et la voirie, on a saturé la DETR, et on détermine ensuite d'autres priorités. C'est souvent au secrétaire général d'aller défendre la programmation devant la commission des élus, à laquelle on a récemment ajouté les parlementaires.

Au bout du compte, c'est toujours le préfet qui décide. Ce sont des subventions de l'État, mais elles sont largement discutées avec les élus locaux.

C'est un peu différent pour la DSIL, qui est une dotation plus récente, ainsi que pour le Fonds vert, mis en place depuis cette année.

Pour ce qui est de la réforme du corps préfectoral - ma direction est en quelque sorte le DRH des préfets et des sous-préfets-, je précise qu'il s'agit, pour un sous-préfet, de ne pas rester plus de cinq ans dans le même poste. Généralement, les élus se plaignent davantage du turnover des sous-préfets ou des préfets que d'une présence trop longue dans leur poste.

On constate que la durée de cinq ans concerne plutôt des sous-préfets en fin de carrière, au sommet de la pyramide, et qui restent sur leur poste parce qu'ils espèrent un meilleur avenir, notamment la casquette - mais elle ne vient pas toujours. Ce qui nous a incités à réformer le statut, c'est le fait que le sous-préfet restait souvent cinq, six, sept, huit ans. C'étaient parfois les élus qui venaient nous trouver en nous demandant de le changer, estimant qu'il était « en préretraite », « en roue libre », et « plus suffisamment dynamique ». J'ai des exemples en tête...

Cette échéance de cinq ans oblige à appliquer une règle statutaire que l'on va mettre pour la première fois en oeuvre cette année.

Pour 2023, environ une douzaine de sous-préfets sont rattrapés par cette règle. Nous allons entamer un dialogue avec eux pour leur proposer un autre poste dans la préfectorale, et avoir ainsi plus de rotations pour les postes les plus importants.

Quant aux neuf ans, ils concernent la limite d'exercice en territoriale pour un préfet ou un sous-préfet, quel que soit le nombre de postes. Un préfet ou un sous-préfet ne pourra exercer plus de neuf ans en territoriale. Il devra statutairement la quitter pour exercer d'autres fonctions pendant au moins deux ans, avant de revenir pour neuf ans en territoriale. Petite subtilité : pour les sous-préfets qui arrivaient à se faire nommer préfet au bout de huit ans, les compteurs sont remis à zéro. On peut donc, dans l'absolu, exercer durant dix-huit ans en territoriale si, entre-temps, on est parvenu à se faire promouvoir préfet. La règle des neuf ans s'appliquera à partir de 2032, contrairement à la règle des cinq ans, qui est rétroactive.

L'objectif du président de la République, au travers la réforme de la haute fonction publique d'État, est d'avoir davantage de mobilité parmi les hauts fonctionnaires et d'éviter que certains ne se spécialisent dans la territoriale. Le ministère de l'intérieur est très attentif aux allers-retours entre territoriale et centrale. Nous estimons qu'un haut fonctionnaire est meilleur quand il alterne entre territoriale et centrale, même si cela n'est pas évident.

Ont été évoqué la solitude du maire, son dénuement - et nous sommes rattrapés par l'actualité. Au-delà des garde-fous du code pénal, l'affaire médiatique qui nous occupe met en évidence que le maire de Saint-Brévin aurait pu être davantage accompagné par le sous-préfet. C'est peut-être, j'ose le croire, dans des situations aussi extrêmes que celle-là, l'exception qui confirme la règle, car j'ai pu constater lors de la crise des gilets jaunes que les représentants de l'État étaient très attentifs à la protection des élus représentants de la nation, parlementaires, maires, à partir du moment où des menaces étaient explicites.

Il n'en demeure pas moins que la pression est plus forte sur les élus. Est-ce dû à l'individualisation des comportements ? La médiatisation de certaines affaires et les réseaux sociaux sont sans doute plus importants qu'il y a une quinzaine d'années. Cela nécessite donc une plus grande attention des représentants de l'État lorsque des menaces se font jour.

Je signale qu'on a constaté une recrudescence des atteintes à toutes les personnes qui incarnent l'autorité publique - pompiers, policiers, gendarmes, etc. -, le citoyen ne faisant parfois pas la différence entre les responsabilités des uns et des autres.

Je tiens à souligner que le ministère de l'intérieur est l'un des rares à avoir maintenu sa présence à l'échelon infradépartemental. Nombre de ministères ont fait refluer cette présence au niveau départemental -au mieux-, au niveau régional -au pire. Le ministère de l'intérieur a maintenu coûte que coûte sa présence au travers des sous-préfets, des brigades de gendarmerie ou des commissariats de police. Même si c'est symbolique, le fait de recréer des postes de sous-préfets est un message qu'envoient le ministre de l'intérieur et le Gouvernement aux territoires ruraux qui ont pu se sentir abandonnés par l'autorité publique.

Les retours que l'on a de la part des maires lorsqu'on crée un poste de sous-préfet à Château-Gontier, Clamecy, Nantua, Rochechouart ou Montdidier sont extrêmement positifs. Ils retrouvent enfin un interlocuteur pour porter les dossiers qui leur sont chers.

Un mot sur l'ingénierie publique. La DMATES regrette parfois que l'on déploie autant de crédits au profit des collectivités locales, pour financer des postes de chargés de mission d'ingénierie (Action coeur de villes, Petites villes de demain ou Territoires d'industrie, adultes relais, postes FONJEP, conseillers numériques), au détriment des crédits d'ingénierie pour les services préfectoraux eux-mêmes. En région Normandie, l'ancien préfet Pierre-André Durand a calculé que plus de 200 ETP étaient ainsi cofinancés par l'État au profit des collectivités locales. La DMATES estime que le temps est peut-être enfin venu de dégager sur ces enveloppes un peu de crédits d'ingénierie au profit du représentant de l'État.

Vous disiez, madame la sénatrice, regretter le temps de l'ingénierie publique, que j'ai connu, des DDE, etc. : nous n'y reviendrons pas. En revanche, il est sans doute possible de mobiliser des crédits au profit du préfet pour le compte des collectivités ou pour porter tel ou tel projet.

L'idée fait son chemin. La direction générale des collectivités locales (DGCL) et l'ANCT progressent sur l'idée de dégager des enveloppes que le préfet de département pourrait mobiliser à sa main en faveur de tel ou tel projet.

La décision a été prise par le Comité interministériel de la transformation de l'action publique (CITP) de créer des experts de haut niveau. Dans certains départements, on a créé des postes de sous-préfet d'arrondissement. On a recréé, ainsi que vous le disiez, un poste dans les Hautes-Alpes. Ce sont ainsi 30 postes qui ont été rétablis. On a recyclé une partie des postes de sous-préfets à la relance, en plus des 23 postes d'experts de haut niveau déjà créés. Dans les Vosges, ce poste est dédié au développement rural. En Bretagne, il s'agit plutôt d'un poste dédié au développement de la filière pêche. À Toulouse, ce sera plutôt un poste pour le développement de la filière aéronautique.

Le CITP de la semaine dernière a décidé de porter le nombre d'experts de haut niveau de 23 à 100. Il faut maintenant les déployer. L'idée est de réarmer les départements en ingénierie publique, compte tenu de la perte constatée dans les départements.

Je sais par ailleurs qu'on est en discussion interministérielle pour développer des postes supplémentaires en soutien à la ruralité, et notamment des postes de chargés de mission logés dans les préfectures pour déployer les différentes dispositions du plan ruralité, auquel Joël Giraud puis Dominique Faure se sont montrés attentifs.

Pour ce qui est des feuilles de route des préfets, je suis favorable à vous communiquer la totalité de celles-ci, charge à vous de les diffuser aux membres de votre mission et, plus largement, aux sénateurs. Nous incitons les préfets à communiquer leur feuille de route aux parlementaires et aux acteurs du territoire.

Quant au guichet unique, mon idée concernait plutôt l'ingénierie de réglementation. Le préfet n'a pas vocation à pratiquer la politique du coucou et à s'emparer du financement des autres. En revanche, j'ai constaté l'utilité de monter un comité des financeurs et d'harmoniser la politique du conseil départemental. Il est plus difficile de le faire pour le conseil régional.

Il faut que ces trois acteurs - conseil départemental, conseil régional, État - se mettent autour de la table pour cofinancer les choses le plus efficacement. J'ai présidé, en tant que secrétaire général de la préfecture de l'Hérault, des comités des financeurs afin de décider de subventions lors la reconstruction après un phénomène cévenol. Des missions d'expertise et d'inspection viennent dans les départements et décident des subventions apportées par l'État. À l'époque, j'avais mis en place des comités des financeurs associant départements, régions et État. C'est redoutablement efficace et souvent très apprécié par les élus. Ce n'est pas réglementaire. Certains préfets en prennent l'initiative.

M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Quand un élu change de préfet, il perd tous ses repères. Cela devient pénible. On a le sentiment que l'État crée les conditions de son propre dysfonctionnement, singulièrement en matière de relations entre préfets de département et de région.

Pourquoi maintient-on la DSIL, le Fonds vert, la DETR, alors qu'on sait qu'il y aura à un moment ou un autre une porosité entre ces dotations faute de capacité à satisfaire tous les projets ? Par exemple, face au désengagement des agences de l'eau, on va inclure dans la DETR des sujets qui vont permettre de financer l'eau.

Il existe une interpénétration de ces enveloppes, mais l'État ne veut pas admettre que le préfet de département, avec l'autorisation du préfet de région, puisse notifier la DSI ! J'en sais quelque chose pour avoir été rapporteur de la loi « 3DS » ! Ce n'est quand même pas révolutionnaire ! Si on veut que les élus s'y retrouvent, il faut retrouver de l'agilité !

Je pourrai dire exactement la même chose pour l'ANCT. Même les préfets de département ne savent pas comment composer avec cette agence en matière d'ingénierie.

Nous avons auditionné le préfet Durand. Il n'est pas favorable à ce que l'État ait son propre outil d'ingénierie. Il considère que c'est le rôle des collectivités, et non celui de l'État.

Cela relève de l'initiative - et tant mieux, car on ne changera pas le fait qu'il s'agit de la volonté de femmes et d'hommes -, mais je pense qu'il faudrait établir, à l'instar de ce que vous dites à propos des feuilles de route des préfets, quelques points de passage obligés.

Il m'avait semblé comprendre que les financements croisés étaient terminés. Aujourd'hui, on nous donne les feuilles de route de la DETR sans se soucier de ce que veut le département ou la région. Or, cela ne peut fonctionner. On se retrouve avec des réaffectations, à l'automne, d'un bout de DETR non consommé parce que le maire n'a pas obtenu sa dotation du département, et des pertes de DETR.

On a le sentiment que tous les ingrédients sont sur la table et que tout pourrait bien fonctionner. Est-ce que l'État central ne fait pas tout pour que l'État territorial reste à sa main ? De facto, on n'apporte pas aux élus l'agilité dont ils ont besoin, pour répondre rapidement aux exigences de leurs concitoyens.

Si on ne crée pas cette agilité, je crains qu'on ne creuse encore plus le fossé entre l'État et la perception qu'en ont les élus, avec cette petite musique de désespérance qu'on a entendue un peu partout.

M. Olivier Jacob. - J'espère vous avoir démontré par mes propos que le ministère de l'intérieur soutient ces notions de déconcentration et d'agilité.

Il y a des débats interministériels et des arbitrages - et c'est très sain. On l'a vu au moment de la loi « 3DS » : certains ministères se méfient il est vrai de la notion de déconcentration. J'essaie de l'expliquer. Peut-être craignent-ils le pouvoir hégémonique des préfets. Je rappelle ce que dit la Constitution : les préfets sont les représentants de l'ensemble des membres du Gouvernement. Il faut donc leur faire confiance, ce qui est parfois un peu difficile. Les préfets rapportent ensuite au ministre, mais sans doute que la technostructure, les administrations centrales, les directions régionales sont frileuses au moment de confier un certain nombre de responsabilités au préfet de département.

Vous parlez de désespérance ou d'abandon. Cela s'est accéléré durant la décennie 2010-2020 avec la création des grandes régions. La région Languedoc-Roussillon avait une cohérence. Avec cinq départements, les élus pouvaient avoir accès au préfet de région. Avec la région Occitanie, qui va des Hautes-Pyrénées au Gard, il n'y a plus cette proximité.

J'ai exercé comme secrétaire général de la préfecture de l'Aube, en Champagne-Ardenne, où les quatre départements s'appuyaient sur une certaine cohérence historique et géographique.

Les maires ont l'impression d'être seuls lorsqu'ils perdent ces échelons de proximité. Ceci se conjugue avec la création des grandes intercommunalités ou des schémas de coopération intercommunale. Je l'ai vécu en arrivant dans les Alpes-de-Haute-Provence : on a créé de grandes intercommunalités qui, parfois, ont surpris les maires, avec des assemblées intercommunales importantes.

Réduction des effectifs, agencification, création des grandes régions et des grandes intercommunalités se sont cumulées en un laps de temps relativement court. La prise de conscience est là. Le mouvement des gilets jaunes et le grand débat national ont joué un rôle révélateur en la matière. Je le sens en administration centrale : la notion de proximité et d'échelon départemental, défendue par les premiers ministres successifs et par le président de la République, est revenue sur le devant de la scène.

Il faut aussi convaincre les autres ministères, qui pensent principalement leur action à l'échelon régional.

Je vous répondrai par écrit au sujet des démissions d'élus, qui font l'objet de bien des commentaires. On en enregistre toujours beaucoup en début de mandat. Généralement, cela a tendance à se tarir à mi-mandat. On n'a actuellement pas plus de démissions que lors de la mandature précédente. En revanche, nous ne savons pas toujours les raisons de ces démissions. Les motifs sont parfois différents par rapport à la mandature précédente.

Jusqu'alors, nous n'étudiions pas les motifs dans le détail. Nous ne le faisons que depuis cette mandature, où onze motifs permettent de suivre dans le détail les motivations qui expliquent la démission d'un maire, car c'est ce qui fait le plus parler.

Nous vous fournirons toutes ces précisions dans nos réponses à votre questionnaire.

Mme Maryse Carrère, présidente. - Merci beaucoup.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion, suspendue à 10 h 20, est reprise à 17 h 35.

Audition de M. Stanislas Bourron, directeur général de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT).

Mme Maryse Carrère, présidente. - Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir cet après-midi Stanislas Bourron, directeur général de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT).

L'ANCT a pour mission de conseiller et de soutenir les collectivités territoriales dans la conception, la définition et la mise en oeuvre de leurs projets. À ce titre, elle doit notamment faciliter l'accès des communes aux différentes formes d'ingénieries juridique, financière et technique et leur apporter un concours humain et financier.

L'ambition est vaste et, pour le sujet qui nous occupe, elle pose plusieurs questions : l'ANCT a-t-elle les moyens de cette ambition ? Est-elle parvenue à constituer un réseau suffisamment efficace à destination des communes ? L'aide qu'elle leur apporte est-elle suffisamment concrète ? Comment ses compétences s'articulent-elles avec celles des autres intervenants en la matière - État, département ou région et autres agences ?

Avant de vous donner la parole pour répondre à ces premières questions, je me tourne vers M. le rapporteur.

M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - On a le sentiment, après avoir fait dans le cadre de cette mission le tour de territoires aussi différents que l'Ille-et-Vilaine, les Vosges, la Somme et la Haute-Garonne, que les communes les moins densément peuplées, qui ont par nature le moins de moyens pour répondre à la politique d'appels à projets de l'État ou pour monter des projets communaux, voire intercommunaux, ont encore du mal à se repérer dans les méandres des procédures.

Mon propos dépasse la seule ANCT, dont le rôle est d'être le catalyseur ou de répondre aux aspirations des élus par le biais de dispositifs comme « Petites villes de demain » et « Action coeur de ville ». Je vise l'ensemble de l'ingénierie d'État, vis-à-vis de laquelle les maires sont parfois démunis.

On constate que tous les préfets ou sous-préfets n'ont pas encore pleinement assimilé la consécration, par la loi « 3DS » du préfet comme délégué départemental de l'ANCT. Comment voyez-vous cet aspect des choses, trois ans après les débuts de l'ANCT ?

Enfin, comment articulez-vous les rôles et actions des préfectures, des sous-préfectures et de l'ANCT ? Le besoin d'ingénierie est tel qu'au-delà des dispositifs existants, il sollicite en première ligne les préfectures et les sous-préfectures pour leur agilité et leur écoute vis-à-vis des élus.

M. Stanislas Bourron, directeur général de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). - L'ANCT est relativement récente à l'horizon de nos systèmes administratifs. Elle remonte à trois ans, avec une gouvernance renouvelée depuis décembre, un nouveau conseil d'administration, un nouveau président, un nouveau directeur général. Ces trois années ont surtout été marquées par une période très compliquée en termes d'action publique du fait de la Covid-19, ce qui a rendu difficile les déplacements de l'équipe en place sur le terrain.

Depuis février, avec le président, nous avons engagé de nombreux déplacements et visité une vingtaine de départements. Cela nous permet de voir, de plus près, ce qui fonctionne et ce qui fonctionne moins bien.

Le législateur nous a confié deux missions : porter des programmes nationaux et intervenir, de façon en subsidiaire pour accompagner les collectivités ayant besoin de solutions d'ingénierie. Nous pourrions également parler des contractualisations, mais ce n'est pas le sujet aujourd'hui.

Les programmes nationaux comme « Action coeur de ville », « Petites villes de demain », « Territoires d'industrie », et France Services sont une réussite, même si les choses fonctionnent mieux dans certaines communes. Je suis même très surpris de l'enthousiasme des élus lorsque nous les rencontrons.

À chaque déplacement, on constate que les élus se sont emparés des labels, des moyens et des projets de façon très différents selon les territoires. La subsidiarité doit être la clé d'entrée, mais elle demeure très dépendante de ce qui existe sur les territoires. Nos programmes ont vraiment trouvé leur public.

Pour le volet relatif à l'ingénierie sur mesure, nous touchons 30 000 communes. Toutes n'ont pas un programme dédié et sont plutôt concernées par des mesures transversales, peut-être moins identifiables mais pour lesquelles elles attendent un accompagnement sur mesure. L'objet de l'Agence est d'intervenir pour permettre de porter ces projets là où le contexte local ne le permet pas.

Nous n'avons pas vocation à intervenir là où des collectivités se sont organisées de façon pertinente pour mettre en place une solution d'ingénierie à travers une agence technique départementale, un conseil d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) très dynamique, une agence d'urbanisme, une intercommunalité qui a pris à bras-le-corps tel ou tel sujet.

J'étais dans les Vosges il y a deux jours, où une intercommunalité a mis en oeuvre tout un soutien à des communes très rurales, et où l'État intervient pour le cofinancement de postes et à travers la dotation d'investissement. Ce n'est pas forcément le cas partout.

L'intérêt pour nous est d'identifier les territoires où ne se crée pas cette dynamique. Un tiers des départements n'ont pas mis en place d'agence technique départementale, quel qu'en soit le format, établissement public ou régie. Là où elles existent, ces agences techniques peuvent être présentes sur des sujets comme la voirie ou les équipements publics, ce qui est indispensable, mais moins sur d'autres qui présentent aussi un intérêt, comme les projets de territoire.

C'est là que notre accompagnement doit continuer à être déployé. 1 200 accompagnements ont été réalisés depuis la création de l'Agence, mais nous devons engager une nouvelle étape.

À la suite du rapport produit par la délégation aux collectivités territoriales, en février, nous avons commencé à mettre en place un plan d'action qui sera concrétisé dans une feuille de route que nous présenterons au conseil d'administration fin juin.

Je ne peux pas tout dévoiler, mais nous vous rejoignons sur l'idée qu'il nous faut davantage animer les territoires. Dans certains endroits, on nous connaît en effet très bien et on sait comment faire appel à nous. Ainsi, aucun des dispositifs de l'agence ne manque dans le Cantal, et on en trouve parfois plusieurs autres sur un même site - Petites villes de demain, tiers-lieux, conseillers numériques, France Services.

Nous devons donc doubler nos moyens d'accompagnement afin que les préfets ou les directions départementales de territoires (DDT) sollicitent nos chargés de mission territoriaux autant que possible. Nous devons aussi avancer sur la déconcentration de notre marché d'ingénierie pour le rendre plus facilement mobilisable par les préfets de département, sans passer par une sollicitation parisienne.

Nous devons enfin travailler à une meilleure animation locale des équipes d'ingénierie et des demandes.

Je constate qu'un certain nombre de projets ne trouvent pas forcément leur réponse. Ils émanent souvent de petites communes ou intercommunalités. Notre objectif est d'essayer, à travers les comités locaux de cohésion des territoires (CLCT) prévus par la loi qui, dans certains départements, fonctionnent très bien, d'être des liens d'animation, de faire connaître les types d'ingénierie, de discuter pour savoir quelles personnes peuvent se mobiliser sur telle ou telle thématique pour mettre en oeuvre des projets. On peut aussi faire appel au Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA) en matière de mobilités ou de foncier et intervenir sur des questions d'activité commerciale ou touristique.

Le CLCT est un bel espace qu'il faut encourager - et les ministres le souhaitent. Il faut aussi renforcer la logique de guichet unique. Un certain nombre de départements ont mis en place une adresse mail unique. Cela fonctionne très bien : l'élu qui souhaite un accompagnement et qui écrit à cette adresse est sûr d'obtenir une réponse d'un référent qui peut être un sous-préfet d'arrondissement ou le directeur de la DDT.

Il faut une réponse à chaque question qui, sans être compliquée, doit montrer le chemin. C'est plus une logique de portail que de guichet. Cette notion de guichet en effraye plus d'un, d'aucun craignant qu'on décide à sa place. Il n'en est rien. Il s'agit d'un point d'entrée. On doit l'améliorer pour les élus les plus éloignés de l'information.

Nous avons aussi pour rôle, à travers le CLCT, de mieux organiser ce qui existe sur le terrain. Beaucoup d'acteurs ne sont pas forcément mobilisés, alors qu'il existe un projet dans lequel ils pourraient intervenir. Nous sommes prêts à répondre aux besoins, mais l'idée n'est pas d'aller chercher l'Agence s'il existe une solution locale. Privilégions la subsidiarité. Nous ne sommes pas dans la concurrence entre différents types d'ingénierie.

Notre objectif, dans les mois à venir, est d'arriver à mieux organiser ce portail d'accès à l'ensemble des outils d'ingénierie, à revoir nos conventions avec les cinq opérateurs, principalement l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et le CEREMA, pour clarifier le type d'ingénierie afin que ce soit plus simple pour les délégués territoriaux et les élus de savoir qui fait quoi. On saura mieux vers qui se tourner une fois qu'on aura éventuellement saisi le préfet ou le sous-préfet.

Nous sommes en train de recruter des moyens humains pour placer une à deux personnes en interface directe avec les préfets de département afin d'aller sur le terrain et apporter un conseil en matière de montage de projet et de type d'ingénierie à solliciter.

Je vous rejoins à propos de la mobilisation des délégués territoriaux sur le fait que celle-ci n'est pas uniforme. Tous les territoires ne sont pas autant mobilisés et tous ne connaissent pas les mêmes difficultés. Je sens néanmoins une grande mobilisation des services dans les départements où j'ai pu me rendre.

Dans le Cantal, deux agents de la DDT sont dédiés exclusivement aux projets et au déploiement des accompagnements de l'ANCT. Des accompagnements, au-delà même des communes qui sont dans nos programmes, ont même pu être développés.

Dans tous les départements où je me suis rendu, on trouve des référents, peut-être parfois insuffisamment équipés et armés, mais qui se sont organisés pour apporter des réponses. Charge à nous d'être plus volontaristes pour leur demander de s'investir toujours davantage et de façon plus uniforme.

Mais, je vous rejoins en effet sur le fait qu'il existe une hétérogénéité selon l'histoire et l'organisation locale.

M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Au fond, peu importe à quoi ressemble cette architecture pour traiter de la question de l'ingénierie. On a cependant le sentiment que le bât blesse. Par exemple, s'agissant de « Petites villes de demain », il semble que le poste d'ingénierie financé par l'État fonctionne globalement plutôt bien. Toutefois, une fois le projet échafaudé et ses contours définis, la question du financement se pose. En réalité, les élus souhaiteraient un package, charge à vous de réaliser cette animation pour obtenir les financements permettant de réaliser le projet.

On sent qu'il y a là une coupure qui est vécue comme une frustration. On sait faire émerger les projets et les monter dans la plupart des cas, mais ensuite ? C'est ce que nous ont dit les élus de façon claire.

Pour ce qui est des plus petites communes, le flou persiste. Ce matin, lors de son audition, le directeur du management de l'administration territoriale et de l'encadrement supérieur (DMATES) nous disait que l'État s'apprête à recruter une centaine d'agents experts pour voir comment tout cela peut s'articuler. On a le sentiment qu'il y a, sur la forme, quelque chose à trouver en matière d'efficience et d'accélération des procédures.

Mme Maryse Carrère, présidente. - Dans le même ordre d'idées, il existe un exemple récent sur la non-continuité de l'action de l'ANCT. Il concerne le programme relatif aux ponts, même si je pense que cela va évoluer.

On a proposé aux communes de solliciter l'ingénierie pour analyser les dégâts sur leurs ouvrages d'art. Ils ont reçu des fiches techniques et des diagnostics, avec des préconisations qu'ils ont la plupart du temps mises en oeuvre. Or il existe une sorte de flottement entre le moment où on doit aller chercher des bureaux d'études pour réaliser les compléments d'information sur ces ouvrages et la question du financement : la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) n'a pas toujours pris pas les ponts et les ouvrages d'art en charge.

Il y a là un vrai enjeu de continuité dans l'action. Dans les Hautes-Pyrénées, plus de 200 communes ont répondu au programme relatif aux ponts. Cela correspond à un vrai besoin mais, sans mauvais jeu de mots, il ne faut pas les laisser au milieu du gué !

Mme Cécile Cukierman. - Vous avez évoqué vos déplacements dans les départements et l'engouement des élus autour du programme « Petites villes de demain ». Les élus sont bien élevés ! Quand ils vous reçoivent, ils sont plutôt bienveillants. Je préfère le dire avec un peu d'ironie...

Beaucoup de bénéficiaires de « Petites villes de demain » sont satisfaits. Dans la Loire, cela leur permet, dans un temps où il faut aller vite, de justifier le fait de devoir prendre du temps pour s'interroger sur ce que sera demain notre territoire et la place qu'il aura dans son environnement.

Intellectuellement, c'est assez stimulant. On a peu de moments comme cela dans nos vies d'élus. Cela permet aux nouveaux élus de se projeter, et à ceux qui ont plus d'expérience de s'interroger à nouveau. Ils m'ont dit que cela leur faisait du bien et qu'ils y prenaient plaisir.

Ce sont toutefois les mêmes qui estiment qu'ils ont passé l'âge qu'on leur vende des rêves. Ce travail peut être très fédérateur à l'échelle d'un territoire communal, mais il peut aussi générer déceptions et frustrations si rien ne débouche, faute de financements.

Cela amène à une deuxième difficulté territoriale : il ne faudrait pas, demain, in fine, concentrer les financements territorialisés sur les projets qui auront bénéficié en priorité de ce type d'ingénierie, qui pourraient être suivis par une collectivité régionale ou départementale, soit sous forme de bonus, soit sous forme de priorité. C'est une vraie crainte.

C'est moins vrai, me semble-t-il, à l'échelle d'« Action coeur de villes », où il existe de vrais financements d'accompagnement, mais comment voyez-vous les choses ? Comment construit-on l'avenir ?

Quant aux plus petites communes, elles ont un droit de tirage mais, objectivement, c'est dur. À mon avis, il est plus facile de gravir l'Everest !

L'ANCT ne pourrait-elle jouer un rôle de facilitateur ? On a besoin de personnes spécialisées, mais comment, de façon plus souple, répondre à la préoccupation de l'élu qui se moque bien de savoir qui interpeller tant qu'on peut lui apporte la réponse ?

M. Stanislas Bourron. - Nous entendons aussi les interrogations sur la pluriannualité des engagements.

S'agissant de « Petites villes de demain », 900 chefs de projet sont aujourd'hui sur le terrain, cofinancés à 75 %, pour les deux tiers par des intercommunalités et pour un tiers soit par des pôles d'équilibre territorial et rural (PETR) ou des communes. Le maillage est aujourd'hui quasiment complet. Quelques chefs de projet ne sont pas encore recrutés outremer, et il reste une difficulté pour un département métropolitain.

Je vous rejoins à propos des deux aspects distincts de l'ingénierie. On a besoin d'aider les élus à préparer le volet administratif, de leur présenter les bons interlocuteurs et de réaliser tout un travail d'accompagnement, notamment dans les communes qui ne sont pas les plus grandes.

Le programme « Petites villes de demain » a besoin de chefs de projet, en accompagnement des services communaux ou intercommunaux lorsqu'ils existent, pour assurer la fonction d'animateur permanent. Cela fonctionne très bien dans beaucoup de territoires.

Les plans d'action commencent à apparaître, et je vous rejoins : cela donne du temps et de la capacité à se projeter en jouant sur différents leviers. Un des sujets qui revient est celui de l'habitat, des problématiques de logements vacants dans les centres-bourgs et les centres-villes. Ce sont des questions complexes. Une simple subvention DETR ne règle pas le problème. Il faut intervenir avec d'autres acteurs, trouver des maîtres d'ouvrage, étudier les sujets juridiques autour de l'expropriation, des biens sans maître.

Cela mobilise parfois l'Agence nationale de l'habitat (ANAH), avec une opération programmée d'amélioration de l'habitat et de renouvellement urbain boostée, qui permet d'avancer. Ce sont des sujets complexes, et il faut du temps pour arriver à un programme d'action et le déployer. Le chef de projet est donc indispensable pour permettre à l'élu d'être soutenu administrativement.

Il est vrai que, dans toutes les communes, il existe des sujets qui ne justifient pas de recruter quelqu'un à temps plein pendant des mois, mais qui peuvent nécessiter une intervention dédiée - CEREMA, Ademe, ANCT. C'est vraiment un besoin en plus.

Nous intervenons assez systématiquement, en plus du chef de projet, pour réfléchir sur le devenir d'une friche, un aménagement complexe, afin que les élus puissent prendre le temps de réfléchir à un projet cohérent.

S'agissant de l'investissement, l'objectif de Petites villes de demain est de trois milliards d'euros à l'horizon 2026. Nous avons déjà consommé environ un milliard issu de dotations d'investissement de l'État, de l'ANAH et de la banque des territoires.

Tous les projets qui vont émerger trouveront-ils leur solution ? À l'instant où je parle, aucun maire ne m'a dit que son projet s'est vu refuser sa subvention. Je ne dis pas que cela ne pourrait pas arriver, mais le Fonds vert apporte quant à lui deux milliards d'euros de subventions d'État, avec une attention forte des régions en faveur de ces dispositifs. Il existe des moyens d'accompagnement.

Je vous rejoins sur un autre point : il faut éviter qu'un programme préempte les moyens en dotation d'investissement des autres. Cela a un effet désastreux...

Mme Cécile Cukierman. - La tentation est forte !

M. Stanislas Bourron. - Les circulaires signées par les ministres priorisent les projets cohérents accompagnés dans le temps, comme « Petites villes de demain ». Cela ne fait toutefois pas tout. Les montants s'élèvent à 200 à 300 millions d'euros de dotation d'investissement par an en faveur de ces communes sur deux milliards d'euros, hors Fonds vert.

Pour l'instant, on ne capte pas la totalité des moyens, tant s'en faut, mais une montée en puissance interviendra. Si je devais en tirer une conclusion dans mes fonctions, je dirais qu'il ne faut pas que la dotation d'investissement, telle qu'elle existe aujourd'hui, baisse. On ne le comprendrait pas.

Ce n'est pas au moment de la montée en puissance qu'il faut commencer à faire des efforts de compression ou réunir deux outils en un. On connaît la méthode...

Mme Cécile Cukierman. - On l'a connue en effet !

M. Stanislas Bourron. - Il existe des outils qui fonctionnent bien, comme la DETR, la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), le Fonds vert, qui sont mobilisables par les préfets dans chaque département.

Ce sujet de pluriannualité est une question lourde pour l'État et ses opérateurs, notamment en matière d'investissement. Comment avoir des engagements dans le temps, sans créer une sorte de droit de tirage ? Il faut un projet correspondant aux objectifs, monté dans le cadre d'un plan d'action cohérent, où l'on se donne du temps. Cela a fonctionné dans certains endroits, pour reconquérir des logements de très mauvaise qualité en coeur de ville et les transformer, traiter une friche, créer un équipement public.

Je vous rejoins également à propos des communes rurales plus petites : au-delà du guichet d'entrée, qui permet de faciliter les explications et d'animer un partenariat local, l'accompagnement, sans que ce soit l'Everest, n'est pas simple à mobiliser. Il n'y a souvent qu'un secrétaire de mairie à temps partiel, des élus de bonne volonté, mais pas toujours à l'aise avec le système.

Le programme « France ruralité » est tiré de cette expérience. On a besoin de chefs de projet, mais on n'en a pas besoin d'un par commune. Cela ne se justifie pas. On peut mutualiser les besoins, et occuper les personnes.

C'est l'objet du programme, avec l'idée de positionner ces renforts dans les services de l'État et un droit de tirage pour les collectivités afin d'en faciliter l'articulation.

M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - C'est autant le directeur de l'ANCT que l'ancien directeur général des collectivités locales (DGCL) que j'interroge : cette politique d'agencification et d'appel à projets ne segmente-t-elle pas trop la territorialisation de l'action publique et le rôle de l'État sur le territoire ? Ne la complexifie-t-elle pas trop ?

J'ai souvenir d'un long échange sur la notification de la DSIL. J'ai le sentiment que tout cela devient un parcours du combattant pour l'élu, auquel vient s'ajouter la problématique de l'ingénierie.

Ne devrait-on pas mener une réflexion pour avoir une approche territorialisée avec le préfet et l'ANCT, à l'échelle d'un département ? Cela permettrait de prendre en compte le critère de différenciation. Chaque territoire a sa propre réalité. Peut-être l'action de l'État gagnerait-elle en lisibilité et en efficience si elle était définie à l'échelle d'un territoire. Le département me paraît la bonne échelle à retenir pour fondre tout cela et le rendre plus lisible et plus agile.

On a le sentiment - et je souscris à ce qui a été dit sur l'ingénierie, car on voit que les choses avancent - que c'est encore très complexe.

Cet exemple de la DSIL illustre le sentiment qu'il existe, au sein même de l'État, entre échelon régional et échelon départemental, une légère perte en ligne. On évoquait ce matin le fonds des développements de la vie associative (FDVA2) : c'est un autre exemple qui montre qu'on pourrait peut-être faire des gains d'efficience.

La critique ne s'adresse pas qu'à l'État : on peut aussi avoir une réflexion au niveau des collectivités pour qu'il existe une cohérence et plus d'échanges pour mieux appréhender le financement des projets, de l'ingénierie jusqu'à la réalisation.

Mme Cécile Cukierman. - Vous le savez, je suis très attachée - comme d'autres - à une présence de l'État au plus près de chacun dans tous les territoires, parce que c'est la garantie d'une égalité sociale et territoriale.

Nous avons besoin d'une présence de l'État aux côtés de tous ces territoires qui représentent plus de 15 millions de concitoyens, que ce soit dans les territoires ruraux, outremer, ou les quartiers de la politique de la ville. C'est un véritable enjeu.

Je ne reviens pas sur ce qu'a dit le rapporteur, car je partage son avis : on peut s'interroger sur le fait de savoir s'il fallait agenciser l'action et la présence de l'État au plus près de nos territoires ou renforcer la présence départementale préfectorale et sous-préfectorale. Le législateur a tranché.

Je n'ai ni participé ni suivi les débats de 2010 sur la réforme de la loi sur les collectivités territoriales. J'ai cependant suivi la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (MAPTAM), la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), etc. On en a fait quelques-unes.

Vous dites qu'il faut maintenant un appui au plus près des petites communes pour formaliser, accompagner et aider à l'ingénierie financière. Il m'avait semblé que le rôle des intercommunalités et des départements devait être renforcé pour ce faire.

L'action déconcentrée de l'État, direction générale des finances publiques (DGFiP) en tête, devait être au rendez-vous pour aider les plus petites communes et mieux les accompagner dans le développement de leur projet et dans l'ingénierie financière - je reprends ici vos mots.

Nous faisons tous le constat qu'on manque cruellement de tout ceci dans la plupart de nos territoires. Ne pensez-vous pas qu'une partie des intercommunalités sont passées à côté d'un rendez-vous avec l'Histoire, qui aurait pu leur permettre de renforcer leur légitimité par une meilleure reconnaissance de leur action ? Parfois, les choses sont vécues comme une captation du pouvoir communal plutôt que comme une aide à son déploiement.

Mme Catherine Belrhiti. - Cette année a été extrêmement difficile pour les communes. On a fait des promesses qui n'ont pu être tenues. On a demandé à de nombreuses communes de transférer les dossiers de DETR qu'elles avaient réalisés en novembre au titre du Fonds vert. Ces dossiers étaient très difficiles à établir. Nous les avons beaucoup aidées.

Au moment où il faut étudier le Fonds vert, il n'y a plus d'argent, l'enveloppe proposée n'étant pas suffisante ! On dit aujourd'hui à ces mêmes communes qu'on verra cela l'année prochaine, alors qu'on aurait pu traiter ces dossiers dans le cadre de la DETR, surtout s'agissant des deuxièmes tranches.

On a mis tout le monde en difficulté. Si ce Fonds vert avait abondé la DSIL, cela se serait bien mieux passé, d'autant que ceux qui ont été le plus ennuyés ont été ceux qui devaient étudier les dossiers, notamment les sous-préfets. Certains étaient paniqués, voire en dépression.

Tout le monde est exaspéré. Les maires, les secrétaires de mairie, les sous-préfets ne savent plus à quel saint se vouer. Il faut absolument décomplexifier la chose. Cela nous permettra d'avoir moins d'agents et de personnes sur place.

Je pense par ailleurs que la DSIL doit être à la main du préfet de département. De toute façon, les dossiers sont instruits par les sous-préfets. Quand cela arrive à la région, celle-ci a juste à signer. Que l'on fasse une étape de moins et qu'on mette tout dans une seule et même enveloppe !

Il est en outre incompréhensible pour les maires de communes limitrophes de deux départements que les unes aient une subvention pour leur route alors que leurs voisines n'en aient pas. C'est très mal perçu, et je pense qu'on devrait avoir une politique commune concernant les distributions de DETR.

Mme Maryse Carrère, présidente. - Les départements se sont organisés et accompagnent les collectivités et les communes. Le problème vient de ce que ce n'est pas égal sur tout le territoire.

Dans certains départements, il n'a pas été créé d'agence départementale d'accompagnement des collectivités. Or ces outils sont extrêmement précieux pour les maires.

Le pôle juridique et administratif de l'Agence départementale d'appui aux collectivités (ADAC) des Hautes-Pyrénées traite plus de 700 questions par an sur le droit du cimetière, l'urbanisme, etc. et 400 dossiers d'assistance à maîtrise d'ouvrage (AMO). C'est le département qui a monté cette agence avec les communes, sur la base d'un budget de 700 000 euros par an.

Il existe une certaine iniquité à travers les territoires, certains maires qui n'ont personne pour les accompagner se retrouvant démunis.

Mme Catherine Belrhiti. - Dans notre communauté de communes, ce sont les maires du bureau de celle-ci qui se chargent d'accompagner les autres maires.

M. Stanislas Bourron. - Depuis que je suis arrivé, nous avons pu ponctuellement mettre en place des appels à manifestations d'intérêt lors de certaines de nos interventions.

Je fais la chasse à tous ces dispositifs, considérant qu'on doit être dans des logiques de déconcentration au niveau départemental, même si le niveau régional prévu par la loi fait également sens.

Il faut donc s'appuyer sur les préfets de département et leur proposer d'identifier le dossier intéressant, en faisant en sorte que les mêmes gros dossiers ne remontent pas systématiquement.

Mme Cécile Cukierman. - C'est celui qui a l'ingénierie qui sait répondre à l'appel.

M. Stanislas Bourron. - Il faut qu'on fonctionne différemment. C'est ce que nous faisons dans nos programmes. Si on ne peut pas tout faire, on demande au préfet d'identifier les deux ou trois dossiers les plus pertinents par rapport à la thématique. Cela se passe du coup beaucoup mieux.

S'agissant de l'agencification, je suis très mal placé pour faire de longs commentaires. Il est certain qu'il faut en réduire la complexité pour les bénéficiaires.

Les agences apportent une forme d'agilité, de souplesse et de capacité d'organisation rapide, dont la pluriannualité du budget, que ne permettent pas les structures classiques d'État. Pour autant, ce n'est pas en soi un objectif. Cela doit être un levier, un outil à destination d'une politique publique. Charge à nous de faire en sorte que les différentes agences travaillent bien ensemble. Elles sont membres du conseil d'administration de l'ANCT. Il existe des conventions-cadres qu'on est en train de reprendre. Il faut qu'on rende les interventions de chacun plus lisibles pour ne pas en avoir plusieurs types par opérateur.

S'agissant de l'enveloppe unique, le ministre Christophe Béchu a imposé une déconcentration départementale massive. Il est intervenu devant la commission des lois du Sénat en fin d'année dernière, au moment du débat. C'est un excellent choix, et la Première ministre a indiqué qu'il y aurait une prolongation du Fonds.

Ce sont des dossiers complexes, qui exigent du temps. Les communes entreront dans le système l'année prochaine. Le temps passé à monter le dossier n'est pas perdu. Les enjeux de transition écologique vont nous amener à avoir des investissements massifs sur ces questions, et ceux qui démarrent trouveront leur financement.

Quant à ne faire qu'une seule enveloppe, vous voyez bien que l'État, à travers les dotations d'investissement, cherche à orienter les collectivités.

Le Fonds vert, pour sa part, comporte des thématiques - friches, renaturation -, mais cela répond aussi aux besoins de notre pays.

Il existe des outils comme la DSIL ou la DETR qui, je vous rejoins, ont certes des modalités de gestion un peu différentes, mais qui demeurent assez vastes, parce que cela correspond à une réalité qui va très vite. Les besoins des territoires évoluent, avec les plans piscines, les questions de culture, de voirie, etc.

L'un de ces outils n'a pas de commission locale pour déterminer les objets, l'autre en comporte une pour créer la différenciation. Certains y ont mis la voirie, d'autres non. Je reste persuadé que la différenciation est utile pour gérer ce type d'outil parce que les objets, les contraintes et les demandes ne sont pas les mêmes dans les différents départements.

Je suis d'accord avec vous pour dire que certaines communes peuvent se poser la question de savoir pourquoi elles n'ont pas été soutenues, alors que leurs voisines l'ont été.

M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Il y a toujours le pouvoir discrétionnaire des préfets. On voit bien comment se passe la première réunion de DETR ou comment sont orientés les fonds de la DSIL et du Fonds vert.

Dans mon département, on arrive péniblement à sortir un seul gros dossier de 900 000 euros au profit du syndicat départemental des énergies de l'Ardèche au titre du Fonds  vert. Cela montre bien qu'il faut avoir une taille assez significative pour y parvenir.

D'après les remontées qu'on a eues dans les différents territoires, je trouve que cela crée un peu de confusion et de la complexité au sujet des modalités d'octroi. Il y a trois modalités différentes. Il faut ensuite présenter les dossiers au niveau de la région et du département. Nos élus réclament un peu d'intelligence collective pour mettre tous les acteurs autour de la table. On aurait peut-être un gain d'efficacité significatif.

Je partage ce que vous dites : c'est à l'État de dire où il veut mettre ses fonds, mais tout le monde peut y gagner en efficience.

M. Stanislas Bourron. - S'agissant de l'enveloppe unique, il faut rester prudent, trois fois un ne faisant pas toujours trois si on se réfère aux règles budgétaires complexes de l'État.

M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - On l'avait bien compris avec la DSIL !

M. Stanislas Bourron. -Concernant les conditions d'octroi aux départements, j'ai vu un certain nombre d'organisations départementales intéressantes. Les commissions d'attribution des subventions sont établies conjointement, dans le respect de chacun.

Cela permet une bonne répartition et d'apporter une réponse aux acteurs en même temps. Départements et État peuvent ainsi avoir une parole unique qui peut être bien perçue et règle ainsi un certain nombre de sujets. C'est une approche positive.

Mme Maryse Carrère, présidente. - C'est surtout pour ne pas avoir de conflits sur le montant des subventions. Dans les Hautes-Pyrénées, cela se pratique de façon empirique grâce à la bonne volonté du sous-préfet, du préfet et des conseillers départementaux, afin de ne pas arriver à un taux de subvention de 90 % et que la commune se voie ensuite retirer la subvention espérée.

C'est quelque chose qu'il faudrait arriver à généraliser. C'est ce qu'on faisait avec les contrats de pays créés par la loi Voynet. On s'est retrouvé avec les trois entités - État, régions, départements - et des contrats de pays où chacun avait sa propre enveloppe, mais où il existait un comité de pilotage, chacun indiquant combien il mettait à tel ou tel endroit.

On a perdu cette culture de la contractualisation avec les autres financeurs que sont la région et le département.

M. Stanislas Bourron. - Le contrat de relance et de transition écologique (CRTE), dans une phase 2, doit pouvoir être un lieu moins formaliste de contractualisation ferme et définitive de projet. C'est une méthode de travail collective avec le département et la région éventuellement, sur la base d'un bassin de vie. Cela correspond souvent aux anciens pays. On a ainsi la possibilité de retrouver la logique que vous évoquez.

Je vous rejoins sur la réflexion sur la ruralité que porte Dominique Faure, avec l'idée qu'on n'a pas besoin d'une personne par département. Il y a des départements où l'on peut trouver d'autres moyens, comme ceux qui sont très urbanisés, à travers l'agglomération et les effectifs de l'État, qui sont parfois plus denses.

En revanche, certaines communautés de communes sont très petites, très faibles et ont du mal à recruter des personnels d'un certain niveau parce qu'elles sont enclavées, peu attractives et parfois en déclin démographique.

Il existe aussi parfois des départements peu fringants parce qu'ils sont confrontés à des problématiques d'équilibre d'opérations et qu'il y a beaucoup de demandes. Tout le monde n'était pas au même niveau au départ. Il est donc normal qu'à certains endroits, on accompagne la commune non contre la communauté de communes, mais parce que la communauté de communes n'est pas suffisamment équipée pour accompagner le projet. C'est avec la communauté de communes que cela doit se faire, dans une logique collective.

Les départements trouveront ainsi à s'organiser ensemble - et certains en parlent dans le cadre de la réflexion sur ce programme.

Là où l'État apporte un appui, le département pourrait, sur un autre arrondissement, un autre secteur, faire de même. Cela coûterait moins cher à chacun. Je sens qu'il existe aujourd'hui sur les territoires un niveau de maturité élevé à propos de ces questions. Je pense qu'on peut y arriver. Cela ne fonctionnera peut-être pas à certains endroits, mais cela permettra à certains territoires qui se sentent parfois encore un peu oubliés d'avancer.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 20.