Mardi 16 mai 2023

- Présidence de Mme Maryse Carrère, présidente -

La réunion est ouverte à 9 heures.

Audition de M. Olivier Jacob, directeur du management de l'administration territoriale et de l'encadrement supérieur (DMATES) du ministère de l'intérieur et des outre-mer

Mme Maryse Carrère, présidente. - Mes chers collègues, cette semaine, notre mission d'information va tenir trois auditions publiques, dont celle de ce matin et une autre en fin d'après-midi, pour entendre M. Stanislas Bourron, directeur général de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT).

Nous tiendrons demain, à 11 heures 15, une audition commune avec la commission des lois, pour entendre M. Yannick Morez, maire de Saint-Brévin, qui a annoncé sa démission jeudi dernier.

Pour le moment, nous entendons M. Olivier Jacob, directeur du management de l'administration territoriale et de l'encadrement supérieur (DMATES) du ministère de l'intérieur et des outre-mer, que je remercie de sa présence.

Monsieur le directeur, se pencher sur l'avenir des communes et des maires impose nécessairement de faire le point sur leurs relations avec l'État déconcentré.

Mission de contrôle, assistance juridique, attribution de fonds et instruction des appels à projet, ingénierie territoriale, les préfectures jouent un rôle essentiel auprès des communes, et nous avons souvent entendu louer, lors nos auditions, la figure du sous-préfet, comme interlocuteur de référence des maires.

Mais dans le même temps, nos interlocuteurs se sont souvent inquiétés de la faiblesse des moyens de l'État territorial, ou d'un déséquilibre entre l'activité d'assistance juridique et celle de censure, et plusieurs ont fait part de leur crainte d'un désengagement progressif de l'État sur les territoires.

Afin d'évoquer avec vous toutes ces thématiques, nous vous avons transmis un questionnaire, et vous pourrez compléter par écrit les réponses que vous nous apporterez aujourd'hui.

Avant de vous donner la parole pour un premier échange, je la laisse à notre rapporteur.

M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - C'est avec plaisir que nous entendons la DMATES, direction qui nous apporte toujours beaucoup de solutions. Ce fut notamment le cas, lors de la discussion de la loi 3DS.

Les élus des territoires souhaitent que l'État territorial soit réarmé - je fais écho à ce que disait la présidente Maryse Carrère -, notamment par le biais des sous-préfets.

Or, il est un paradoxe : on vient de rouvrir quelques préfectures, mais le manque de moyens, notamment humains, est toujours criant alors que le besoin des communes de disposer d'interlocuteurs de référence ne faiblit pas.

À cet égard, on peut s'inquiéter de l'apparition d'une forme de « distance » entre les élus et l'État, du fait de la politique d'agencisation mise en oeuvre : les élus locaux, plus habitués au contact avec les préfets et sous-préfets, ne savent plus vers quelle porte se tourner.

L'agence nationale pour la cohésion des territoires (ANCT) manque d'incarnation ou cette incarnation varie sensiblement d'un territoire à l'autre. Dans les Vosges, le sous-préfet de Neufchâteau, qui est chargé de faire fonctionner l'ANCT, est absent depuis six mois. La situation n'est pas claire non plus en Ille-et-Vilaine.

En outre, les élus ont besoin d'un interlocuteur, agile et réactif, vers qui se tourner lorsque se surviennent des crises comme celle des gilets jaunes ou du Covid.

Enfin, nous souhaiterions que le préfet puisse, ainsi qu'on l'avait souligné pendant l'examen de la loi 3DS, être coordonnateur des services de l'État sur le territoire.

Nous aimerions connaître vos positions sur ces sujets.

M. Olivier Jacob, directeur du management de l'administration territoriale et de l'encadrement supérieur (DMATES). - Vous avez, par vos propos, ouvert une multitude de sujets de préoccupations pour la direction à la tête de laquelle je me trouve.

Je vais donc revenir sur certaines des thématiques que vous avez abordées, en essayant de les placer dans la perspective de la mission qui est la vôtre, celle du rôle du maire, de la commune et du lien entre le représentant de l'État, qu'il soit préfet ou sous-préfet, et le maire.

J'ai eu l'occasion de le dire devant des commissions ou des missions concernant les moyens attribués à l'État territorial : la décennie 2010 à 2020 fut dramatique pour l'évolution des effectifs de l'État au niveau départemental.

Ceci a été documenté récemment encore par un rapport de la Cour des comptes qui date de 2021. La Cour a elle-même qualifié la réduction des effectifs de l'État d'irréaliste au niveau territorial. Le réseau préfectoral a perdu 4 700 emplois ou équivalents temps plein (ETP) durant cette décennie, soit environ 15 % des effectifs des préfectures.

C'est une moyenne : dans les sous-préfectures, la diminution a été encore plus forte, soit par réduction d'effectifs, soit par transferts de missions auparavant assurées dans les sous-préfectures - quand j'ai débuté, une sous-préfecture délivrait des titres, réalisait du contrôle de légalité, délivrait des cartes grises, etc.

Dans les autres services territoriaux et départementaux de l'État, comme les directions départementales interministérielles (DDI), la diminution a été encore plus accentuée.

Elle a été stoppée, depuis 2021, à l'arrivée du ministre de l'Intérieur, M. Gérald Darmanin. Depuis l'adoption la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (LOPMI), on assiste à une recréation d'emplois dans le réseau préfectoral. Cela ne compense pas les 4 700 ETP supprimés mais on compte 350 ETP sur la durée de la LOPMI - 2023-2027. C'est donc une rupture avec une décennie de réduction d'effectifs.

Les organisations syndicales représentatives de personnels de préfecture avec lesquelles je dialogue regrettent qu'on ne crée pas plus de postes, mais c'est une première depuis plus de dix ans. Cela va nous permettre de réarmer l'État territorial, pour reprendre une expression maintenant partagée, et notamment de réinvestir certaines missions qui ont souffert au cours des années 2010-2020.

On peut penser aux missions liées à la sécurité et à la prévention de la délinquance - cela concerne plutôt les cabinets de préfets -, à celles liées à l'immigration. Cela peut également permettre de réarmer certaines sous-préfectures. Vous avez évoqué la réouverture de cinq d'entre elles. En réalité, nous ne rouvrons pas de sous-préfectures, mais nous pourvoyons des postes de sous-préfets dans des sous-préfectures qui n'ont pas disparu. À Saint-Georges-de-l'Oyapock, en Guyane, nous avons créé un arrondissement complet.

Notre préoccupation est néanmoins que ce mouvement soit bien accompagné par les autres ministères : ceux de la transition écologique, de l'agriculture, des affaires sociales pour l'essentiel. Ces derniers ont en effet eu tendance, voyant que les sujets ont été interministérialisés au niveau départemental, par la création en 2010 des directions départementales interministérielles, à stratégiquement privilégier l'échelon régional plutôt que départemental -la Cour des comptes l'a aussi souligné.

S'agissant des conséquences des crises récentes sur le lien entre les représentants de l'État et les maires, il est vrai que notre pays a traversé depuis quelques années des crises profondes. Vous avez cité la crise du Covid. On pourrait citer celle des gilets jaunes, plus récemment la crise de l'accueil des réfugiés ukrainiens, ou les manifestations liées à la réforme des retraites. À chacun de ces événements, le lien entre les représentants de l'État, préfets et sous-préfets, et les maires, échelons de proximité s'il en est, s'est resserré.

On a beaucoup cité, au sortir de la crise du Covid, le lien entre le maire et le préfet. J'en ai fait l'expérience en Haute-Provence. Au moment du Covid, beaucoup d'administrations ont fermé leur rideau. L'administration qui est restée active est celle du coeur régalien de l'État, la préfecture, les services de police et de gendarmerie avec, à leurs côtés, les maires qui sont non seulement élus dans leur circonscription communale, mais aussi des représentants de l'État, qui exercent, pour le compte de l'État, un certain nombre de missions. C'est ce qui explique sans doute ce lien fort entre préfets, sous-préfets et maires.

Vous avez évoqué le déséquilibre entre assistance juridique et censure. J'imagine que vous faites référence au contrôle de légalité ou à l'exercice parfois tatillon de la règle. C'est une réalité à laquelle j'ai été confronté en tant que préfet et, au cours de ma carrière, en tant que secrétaire général de préfecture. Avant d'exercer dans les Alpes-de-Haute-Provence, j'ai exercé comme secrétaire général de la préfecture du Nord, de l'Hérault, du Calvados. Rappelons que le secrétaire général de préfecture est le sous-préfet de l'arrondissement chef-lieu. J'ai toujours été très attentif, à cette époque, à maintenir le lien avec les élus.

Ce qui m'est souvent remonté, c'est l'application tatillonne de la règle, qui bloque les dossiers que souhaite instruire le maire. Notre corpus administratif est ainsi fait que nous avons de nombreuses règles pour la protection environnementale, celle des monuments historiques, la police de l'eau, le défrichement, la destruction d'espèces protégées. Lorsqu'un maire souhaite mener un projet, il est souvent confronté à l'application d'un corpus administratif foisonnant, devant lequel il est parfois perdu.

J'ai toujours essayé - et c'est ce que promeut la DMATES - d'accompagner les élus et singulièrement les maires. Cet accompagnement est d'autant plus nécessaire qu'on se trouve face à des communes de taille modeste ou situées dans des départements ruraux.

Ce qui m'a souvent frappé, c'est le dénuement des maires face à l'application de cette règle. C'est le rôle du représentant de l'État d'accompagner le maire dans cette ingénierie administrative et financière.

Dans votre questionnaire, vous posez notamment la question des subventions d'investissement, comme la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL).

Des solutions existent pour accompagner l'élu et faire en sorte que le préfet et le sous-préfet soient les intermédiaires entre les ingénieurs de l'État, que l'on trouve notamment au sein des directions départementales des territoires, et les élus.

Lorsque je suis arrivé dans les Alpes-de-Haute-Provence, avec les élus, les associations des maires, le conseil départemental, nous avons essayé de mettre en place un guichet unique -le département de la Lozère a été précurseur en la matière- afin que le maire, dès qu'il a un projet, puisse venir s'adresser à la préfecture ou la sous-préfecture pour savoir ce à quoi il doit s'attendre et connaître les obstacles à son projet.

Le sous-préfet et le préfet ne sont pas là pour déroger à la règle, mais pour l'expliquer et parfois accompagner l'élu dans l'interprétation de la règle, parce que tous nos codes ne sont pas aussi précis qu'on pourrait le croire.

Je voudrais revenir sur le sujet de l'agencisation, qui est un mal contre lequel la DMATES essaye de lutter, car nous sommes attachés à l'unité de l'action de l'État. Depuis une quinzaine d'années, elles se sont multipliées. Notre combat a été d'essayer d'obtenir à tout le moins que le préfet soit le délégué territorial des agences ainsi créées.

Nous y avons réussi pour des agences importantes, comme l'agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) ou l'agence nationale de l'habitat (ANAH). Nous l'avons obtenu également pour l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), les agences de l'eau et l'OFB lors de la loi 3DS, non sans mal, et avec le soutien des sénateurs.

Néanmoins, comme je le dis souvent, je pratique une politique qui est celle du petit pas népalais : quand vous souhaitez atteindre le sommet, il faut y aller pas à pas et ne jamais perdre son objectif de vue. Des combats restent à mener, comme la désignation du préfet comme délégué territorial. On pourrait aussi songer à des opérateurs de l'État tel que Pôle emploi ou le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA). Je n'ose évoquer, de crainte de me faire « taper sur les doigts », des agences qui, parfois, ont des compétences en matière de santé publique.

Je signale néanmoins, dans le cadre de la LOPMI, une avancée importante obtenue également grâce au soutien des parlementaires. Si j'ai bonne mémoire, l'article 27 de la LOPMI confie au préfet, en cas de crise, le pouvoir hiérarchique sur l'ensemble des services et opérateurs de l'État pour la résolution de la crise. C'est un pas juridique qui vous a peut-être échappé, mais qui constitue une avancée conceptuelle extrêmement forte.

Le préfet, jusqu'alors, avait un pouvoir de coordination des services et des opérateurs de l'État en cas de crise mais là, une nouvelle étape est franchie, car le préfet - et on s'est inspiré de ce qui s'est passé au moment du Covid - a bien pouvoir hiérarchique sur ces services et opérateurs, y compris sur ceux chargés de l'éducation nationale.

Avec cette nouvelle disposition, le préfet pourra toujours dialoguer avec les intéressés, dans un premier temps, mais il disposera de bien plus de manettes pour résoudre la crise.

Il n'en demeure pas moins que, pour les agences, des progrès sont encore à réaliser, alors que le président de la République porte un discours très clair sur les responsabilités qu'il souhaite confier aux préfets dans les territoires. Toutefois, cette volonté présidentielle a parfois du mal à se traduire dans les discussions interministérielles.

Je voulais attirer votre attention sur les feuilles de route des préfets, voulues par le Premier ministre Castex. Parfois appelées « projet territorial de l'État » ou « plan d'action stratégique de l'État » dans les départements, elles fixent des objectifs aux préfets de région et de département en matière de politique publique de l'État.

Certains préfets ont communiqué sur leur feuille de route. Elles sont constituées de deux parties, dont la première est descendante. C'est ce qu'on appelait les objets de la vie quotidienne (OVQ), et qu'on appelle maintenant politiques prioritaires du Gouvernement (PPG), qui sont déterminées par les ministères. La deuxième partie est plutôt ascendante. Il s'agit des projets du préfet, qu'il considère comme prioritaires pour son département.

Les précédentes feuilles de route étaient valables pour 2021, 2022 et 2023. Le dernier Comité interministériel pour la transformation publique (CITP), qui s'est tenu la semaine dernière, sous la présidence de la Première ministre, a annoncé une nouvelle génération de feuilles de route pour 2024, 2025 et 2026.

Cela offre aux préfets un magistère moral supplémentaire sur des politiques publiques qui parfois leur échappent parce qu'elles relèvent du ministère de la justice, de l'éducation nationale ou des finances publiques.

Mme Maryse Carrère, présidente. -On réalise, en vous écoutant, combien l'État territorial a pu être désarmé au fil du temps.

N'est-on pas allé à rebours de la déconcentration, n'a-t-on pas réduit à l'excès la marge de manoeuvre des préfets et des sous-préfets dans leur action départementale ?

La semaine dernière, j'étais invitée à participer à la commission d'attribution du fonds départemental de la vie associative (FDVA2). Je me suis aperçue que les propositions de la commission remontaient au préfet de région. Je ne suis pas certaine que pour décider d'accorder 800 euros à un petit festival du coin ou à une association, l'échelon régional soit le plus pertinent !

L'exigence d'accompagnement des élus sur le terrain s'affirme progressivement. Ainsi, dans les Hautes-Pyrénées, le préfet Rodrigue Furcy avait, à l'époque, proposé un accélérateur de projets dans le cadre du plan de relance. Il avait proposé un guichet unique qui réunissait tous les services de l'État pour examiner les projets et ne pas perdre de temps.

En revanche, d'un territoire à l'autre, le degré d'accompagnement ou même l'interprétation et l'application de la loi varient sensiblement, ce qui est créateur d'inégalités, qu'il faudrait corriger.

Mme Anne Chain-Larché. - La suppression du corps préfectoral s'accompagne d'une interdiction pour les préfets à rester en place plus de cinq ans dans un même poste, et plus de neuf ans dans le même corps. Cette dé-spécialisation de la fonction préfectorale ne sera-t-elle pas préjudiciable à la qualité du travail avec les élus ?

La formule du guichet unique est intéressante : est-elle applicable aux dotations du plan de relance, à la DETR, à la DSIL ou au Fonds vert ?

M. Jean-Marc Boyer. - La proposition de guichet unique que vous faites est certes intéressante, mais on s'aperçoit aujourd'hui des difficultés que peuvent connaître plusieurs maires, comme la solitude et le dénuement face à l'ensemble des contraintes qui peuvent leur être imposées.

Quels garde-fous, au sens propre et peut-être même au sens figuré, peut-on mettre en place entre les citoyens et le maire, et entre l'administration et le maire ?

Par ailleurs, au fur et à mesure, le maire a perdu tout pouvoir de décision. Ainsi, le FDVA2 a été mis en place lorsque la fameuse réserve parlementaire a été supprimée. Or les subventions du FDVA2 ne sont plus à la main des parlementaires ni des maires.

C'est là une nouvelle perte de pouvoir de décision, et je ne parlerai pas de la DETR qui, pour des montants de moins de 100 000 euros, est encore une fois à la main du représentant de l'État.

Je plaide pour le retour d'une dotation d'action parlementaire et j'ai déposé une proposition de loi en ce sens, car il faut rendre aux maires et aux parlementaires un pouvoir de décision.

Mme Cécile Cukierman. - À titre préalable, je dirais que je n'ai pas de souci particulier avec l'administration préfectorale dans mon département - les sous-préfets sont d'ailleurs plus présents sur le terrain qu'il y a quelques années.

Mais, en parlant avec les maires, je constate qu'avec le plan de relance, la hausse des enveloppes budgétaires a permis à la préfectorale de mieux accompagner les élus et aux élus d'avoir le sentiment d'être mieux accompagnés. Qu'en sera-t-il, dans les deux années qui viennent, lorsque ces dotations baisseront ?

Les élus acceptent les normes et les réglementations. Mais ils déplorent le manque d'accompagnement juridique préalable de l'État. Les élus les plus anciens aiment à rappeler le temps béni de la DDE, qui fournissait aux élus un réel accompagnement de proximité, en amont, sécurisant juridiquement les dossiers et les projets. Ce besoin de sécurisation est d'autant plus fort que, avec la judiciarisation de notre société, les élus peuvent craindre la contestation en justice de leur projet si une erreur est commise.

Par ailleurs, vous avez évoqué la déconcentration. N'y a-t-il pas plutôt eu une dislocation de la représentation de l'État dans les territoires ? Certains ministères font le choix d'une hyperdépartementalisation, d'autres plutôt d'une régionalisation -la loi les y ayant incités parfois.

Quant aux agences, dont les statuts, les hiérarchies et les échelles géographiques sont très différentes, elles contribuent à affaiblir l'action d'un État déconcentré.

Vous me permettrez enfin de souligner que, du fait de l'évolution du statut des personnels, dans certaines agences, les agents, plus animés par la défense de tel ou tel secteur d'activité, sont peut-être moins attachés que les fonctionnaires d'État au service de l'intérêt général.

M. Jean-Michel Arnaud. - Une précision à propos de la feuille de route des préfets : pourquoi n'est-elle pas publique et transmise en particulier aux parlementaires ?

S'agissant de la question du guichet unique, s'il s'agit seulement de permettre au préfet de contrôler les financements des autres partenaires, il serait nécessaire d'en parler avec les départements et les régions.

En revanche, s'il s'agit, comme dans mon département des Hautes-Alpes, d'avoir une conférence technique entre les chefs de file de chaque collectivité et le secrétaire général ou le sous-préfet d'arrondissement pour coordonner la cohérence des plans de financement et éviter que les saisons s'accumulent pour boucler le plan de financement, je dis banco ! On pourrait imaginer une concertation avec nos associations nationales représentatives des différentes strates, ce qui permettrait de gagner en efficacité pour nos politiques publiques et le financement de nos projets communaux.

Un sujet me tient à coeur, c'est le rôle du préfet. Vous avez, comme souvent dans la communication du Gouvernement, valorisé le tandem maire-préfet. J'ai constaté que la Première ministre, lors d'une communication publique, avait insisté sur le tandem préfet-président d'intercommunalités. Ce n'était pas simplement une erreur d'appréciation, car nous constatons dans beaucoup de nos départements la volonté, par facilité ou conséquence d'un manque d'effectif, de privilégier les présidents d'intercommunalités au détriment de la ruralité profonde et de ce qui a été fort heureusement valorisé par le Gouvernement ces dernières années à travers la labellisation « Petites villes de demain », les réseaux de villes intermédiaire. Ces dernières ne sont pas forcément à la tête de l'exécutif des intercommunalités, mais constituent un sas utile entre métropole, agglomérations et ultraruralité en matière de services, de politique d'installation et de développement d'équipements intermédiaires. Il faudrait envoyer un signe fort aux préfets pour qu'ils privilégient, dans la pratique du quotidien le tandem maire-préfet.

Il ne faut qu'une parole d'État dans les départements. On a souvent le sentiment, en tant qu'élus locaux, qu'il existe plusieurs États dans l'État. J'en veux pour preuve le parcours du combattant pour un maire qui est en train de réviser son PLU dès lors qu'il ne s'agit pas d'un PLUi.

Lorsqu'il pense avoir atteint le dernier obstacle, l'agence d'environnement régionale peut encore venir contrarier tout le travail qui a été fait. Le préfet découvre quasiment en même temps que l'élu l'avis de l'instance régionale, et on se retrouve dans des situations de tension énorme.

Je souhaite que les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) travaillent davantage, et en amont, avec les préfets de département, et que, notamment, leurs délais de saisine soient coordonnés.

Le renforcement des moyens humains dans les préfectures, pour accompagner les élus, est une bonne chose.

Il faut, dès lors qu'on a des moyens financiers (DSIL, DETR), qui sont conséquents depuis quelques années, que les services de l'État disposent de suffisamment de moyens humains pour accompagner les élus dans le montage des dossiers afin d'éviter des refus. C'est une façon de mieux consommer les crédits de la DETR et de faciliter la relance économique dans les territoires à travers les très petites entreprises et les petites et moyennes entreprises qui font vivre nos départements.

Mme Maryse Carrère, présidente. - Vaste programme !

M. Olivier Jacob. - Ce sont autant de sujets auxquels j'ai pu être confronté en territoriale comme en centrale.

Un mot sur la notion de déconcentration. Ma direction y est très attentive : il faut donner davantage de pouvoir aux préfets de région et de département.

La DSIL est attribuée par le préfet de région, sur proposition du préfet de département. C'est parfois un sujet de discussion entre eux, voire de tension au sein de l'appareil de l'État.

La déconcentration consiste notamment à donner plus de pouvoir d'action aux préfets, à la fois en matière de ressources humaines (RH) et en matière financière.

Le ministère de l'intérieur est un ministère très déconcentré. S'agissant des moyens des préfectures et des sous-préfectures, on donne une enveloppe au préfet de région qui la répartit entre les préfets de département, mais nous ne fléchons pas cette enveloppe en fonction des missions ou des catégories.

Ce n'est pas le cas de tous les ministères. Beaucoup décident de la répartition des effectifs depuis l'administration centrale et les flèchent jusqu'au moindre ETP, en administration départementale. Il reste des progrès à faire en matière de déconcentration RH.

Un outil, peut-être passé inaperçu, constitue une véritable nouveauté. Il s'agit de ce qu'on appelle la règle du 3 %. C'est une initiative prise par Jean Castex à l'occasion du Comité interministériel pour la transformation publique de Vesoul. Cette règle donne le pouvoir au préfet de région de répartir comme il le souhaite jusqu'à 3 % de l'effectif des administrations territoriales de l'État.

Cela représente des milliers de personnels que les préfets de région peuvent déplacer d'un ministère à l'autre en fonction de leurs priorités. La première année, en 2022, les préfets se sont modérément emparés de cette faculté. On constate en 2023 que les préfets de région sont désormais plus offensifs sur le sujet.

S'agissant de dotations d'investissement, vous disiez que les élus ne décident pas en matière de DETR, de DSIL, de FDVA2. Je ne reviendrai pas sur la réserve parlementaire. Ce n'est pas mon rôle de m'exprimer à ce sujet.

Pour ce qui est de la DETR, j'ai connu l'époque de la dotation globale d'équipement (DGE), de la dotation de développement rural (DDR). La commission des élus existait, mais, à la fin, c'était toujours le préfet qui décidait. L'obligation, pour le préfet de département, est toutefois de se mettre d'accord avec le président de la commission des élus sur les priorités. Cela peut varier d'un département à l'autre. On peut fixer une priorité sur l'eau potable, l'assainissement, l'accueil des gens du voyage, la voirie, les écoles.

Généralement, quand on a retenu l'eau potable, l'assainissement et la voirie, on a saturé la DETR, et on détermine ensuite d'autres priorités. C'est souvent au secrétaire général d'aller défendre la programmation devant la commission des élus, à laquelle on a récemment ajouté les parlementaires.

Au bout du compte, c'est toujours le préfet qui décide. Ce sont des subventions de l'État, mais elles sont largement discutées avec les élus locaux.

C'est un peu différent pour la DSIL, qui est une dotation plus récente, ainsi que pour le Fonds vert, mis en place depuis cette année.

Pour ce qui est de la réforme du corps préfectoral - ma direction est en quelque sorte le DRH des préfets et des sous-préfets-, je précise qu'il s'agit, pour un sous-préfet, de ne pas rester plus de cinq ans dans le même poste. Généralement, les élus se plaignent davantage du turnover des sous-préfets ou des préfets que d'une présence trop longue dans leur poste.

On constate que la durée de cinq ans concerne plutôt des sous-préfets en fin de carrière, au sommet de la pyramide, et qui restent sur leur poste parce qu'ils espèrent un meilleur avenir, notamment la casquette - mais elle ne vient pas toujours. Ce qui nous a incités à réformer le statut, c'est le fait que le sous-préfet restait souvent cinq, six, sept, huit ans. C'étaient parfois les élus qui venaient nous trouver en nous demandant de le changer, estimant qu'il était « en préretraite », « en roue libre », et « plus suffisamment dynamique ». J'ai des exemples en tête...

Cette échéance de cinq ans oblige à appliquer une règle statutaire que l'on va mettre pour la première fois en oeuvre cette année.

Pour 2023, environ une douzaine de sous-préfets sont rattrapés par cette règle. Nous allons entamer un dialogue avec eux pour leur proposer un autre poste dans la préfectorale, et avoir ainsi plus de rotations pour les postes les plus importants.

Quant aux neuf ans, ils concernent la limite d'exercice en territoriale pour un préfet ou un sous-préfet, quel que soit le nombre de postes. Un préfet ou un sous-préfet ne pourra exercer plus de neuf ans en territoriale. Il devra statutairement la quitter pour exercer d'autres fonctions pendant au moins deux ans, avant de revenir pour neuf ans en territoriale. Petite subtilité : pour les sous-préfets qui arrivaient à se faire nommer préfet au bout de huit ans, les compteurs sont remis à zéro. On peut donc, dans l'absolu, exercer durant dix-huit ans en territoriale si, entre-temps, on est parvenu à se faire promouvoir préfet. La règle des neuf ans s'appliquera à partir de 2032, contrairement à la règle des cinq ans, qui est rétroactive.

L'objectif du président de la République, au travers la réforme de la haute fonction publique d'État, est d'avoir davantage de mobilité parmi les hauts fonctionnaires et d'éviter que certains ne se spécialisent dans la territoriale. Le ministère de l'intérieur est très attentif aux allers-retours entre territoriale et centrale. Nous estimons qu'un haut fonctionnaire est meilleur quand il alterne entre territoriale et centrale, même si cela n'est pas évident.

Ont été évoqué la solitude du maire, son dénuement - et nous sommes rattrapés par l'actualité. Au-delà des garde-fous du code pénal, l'affaire médiatique qui nous occupe met en évidence que le maire de Saint-Brévin aurait pu être davantage accompagné par le sous-préfet. C'est peut-être, j'ose le croire, dans des situations aussi extrêmes que celle-là, l'exception qui confirme la règle, car j'ai pu constater lors de la crise des gilets jaunes que les représentants de l'État étaient très attentifs à la protection des élus représentants de la nation, parlementaires, maires, à partir du moment où des menaces étaient explicites.

Il n'en demeure pas moins que la pression est plus forte sur les élus. Est-ce dû à l'individualisation des comportements ? La médiatisation de certaines affaires et les réseaux sociaux sont sans doute plus importants qu'il y a une quinzaine d'années. Cela nécessite donc une plus grande attention des représentants de l'État lorsque des menaces se font jour.

Je signale qu'on a constaté une recrudescence des atteintes à toutes les personnes qui incarnent l'autorité publique - pompiers, policiers, gendarmes, etc. -, le citoyen ne faisant parfois pas la différence entre les responsabilités des uns et des autres.

Je tiens à souligner que le ministère de l'intérieur est l'un des rares à avoir maintenu sa présence à l'échelon infradépartemental. Nombre de ministères ont fait refluer cette présence au niveau départemental -au mieux-, au niveau régional -au pire. Le ministère de l'intérieur a maintenu coûte que coûte sa présence au travers des sous-préfets, des brigades de gendarmerie ou des commissariats de police. Même si c'est symbolique, le fait de recréer des postes de sous-préfets est un message qu'envoient le ministre de l'intérieur et le Gouvernement aux territoires ruraux qui ont pu se sentir abandonnés par l'autorité publique.

Les retours que l'on a de la part des maires lorsqu'on crée un poste de sous-préfet à Château-Gontier, Clamecy, Nantua, Rochechouart ou Montdidier sont extrêmement positifs. Ils retrouvent enfin un interlocuteur pour porter les dossiers qui leur sont chers.

Un mot sur l'ingénierie publique. La DMATES regrette parfois que l'on déploie autant de crédits au profit des collectivités locales, pour financer des postes de chargés de mission d'ingénierie (Action coeur de villes, Petites villes de demain ou Territoires d'industrie, adultes relais, postes FONJEP, conseillers numériques), au détriment des crédits d'ingénierie pour les services préfectoraux eux-mêmes. En région Normandie, l'ancien préfet Pierre-André Durand a calculé que plus de 200 ETP étaient ainsi cofinancés par l'État au profit des collectivités locales. La DMATES estime que le temps est peut-être enfin venu de dégager sur ces enveloppes un peu de crédits d'ingénierie au profit du représentant de l'État.

Vous disiez, madame la sénatrice, regretter le temps de l'ingénierie publique, que j'ai connu, des DDE, etc. : nous n'y reviendrons pas. En revanche, il est sans doute possible de mobiliser des crédits au profit du préfet pour le compte des collectivités ou pour porter tel ou tel projet.

L'idée fait son chemin. La direction générale des collectivités locales (DGCL) et l'ANCT progressent sur l'idée de dégager des enveloppes que le préfet de département pourrait mobiliser à sa main en faveur de tel ou tel projet.

La décision a été prise par le Comité interministériel de la transformation de l'action publique (CITP) de créer des experts de haut niveau. Dans certains départements, on a créé des postes de sous-préfet d'arrondissement. On a recréé, ainsi que vous le disiez, un poste dans les Hautes-Alpes. Ce sont ainsi 30 postes qui ont été rétablis. On a recyclé une partie des postes de sous-préfets à la relance, en plus des 23 postes d'experts de haut niveau déjà créés. Dans les Vosges, ce poste est dédié au développement rural. En Bretagne, il s'agit plutôt d'un poste dédié au développement de la filière pêche. À Toulouse, ce sera plutôt un poste pour le développement de la filière aéronautique.

Le CITP de la semaine dernière a décidé de porter le nombre d'experts de haut niveau de 23 à 100. Il faut maintenant les déployer. L'idée est de réarmer les départements en ingénierie publique, compte tenu de la perte constatée dans les départements.

Je sais par ailleurs qu'on est en discussion interministérielle pour développer des postes supplémentaires en soutien à la ruralité, et notamment des postes de chargés de mission logés dans les préfectures pour déployer les différentes dispositions du plan ruralité, auquel Joël Giraud puis Dominique Faure se sont montrés attentifs.

Pour ce qui est des feuilles de route des préfets, je suis favorable à vous communiquer la totalité de celles-ci, charge à vous de les diffuser aux membres de votre mission et, plus largement, aux sénateurs. Nous incitons les préfets à communiquer leur feuille de route aux parlementaires et aux acteurs du territoire.

Quant au guichet unique, mon idée concernait plutôt l'ingénierie de réglementation. Le préfet n'a pas vocation à pratiquer la politique du coucou et à s'emparer du financement des autres. En revanche, j'ai constaté l'utilité de monter un comité des financeurs et d'harmoniser la politique du conseil départemental. Il est plus difficile de le faire pour le conseil régional.

Il faut que ces trois acteurs - conseil départemental, conseil régional, État - se mettent autour de la table pour cofinancer les choses le plus efficacement. J'ai présidé, en tant que secrétaire général de la préfecture de l'Hérault, des comités des financeurs afin de décider de subventions lors la reconstruction après un phénomène cévenol. Des missions d'expertise et d'inspection viennent dans les départements et décident des subventions apportées par l'État. À l'époque, j'avais mis en place des comités des financeurs associant départements, régions et État. C'est redoutablement efficace et souvent très apprécié par les élus. Ce n'est pas réglementaire. Certains préfets en prennent l'initiative.

M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Quand un élu change de préfet, il perd tous ses repères. Cela devient pénible. On a le sentiment que l'État crée les conditions de son propre dysfonctionnement, singulièrement en matière de relations entre préfets de département et de région.

Pourquoi maintient-on la DSIL, le Fonds vert, la DETR, alors qu'on sait qu'il y aura à un moment ou un autre une porosité entre ces dotations faute de capacité à satisfaire tous les projets ? Par exemple, face au désengagement des agences de l'eau, on va inclure dans la DETR des sujets qui vont permettre de financer l'eau.

Il existe une interpénétration de ces enveloppes, mais l'État ne veut pas admettre que le préfet de département, avec l'autorisation du préfet de région, puisse notifier la DSI ! J'en sais quelque chose pour avoir été rapporteur de la loi « 3DS » ! Ce n'est quand même pas révolutionnaire ! Si on veut que les élus s'y retrouvent, il faut retrouver de l'agilité !

Je pourrai dire exactement la même chose pour l'ANCT. Même les préfets de département ne savent pas comment composer avec cette agence en matière d'ingénierie.

Nous avons auditionné le préfet Durand. Il n'est pas favorable à ce que l'État ait son propre outil d'ingénierie. Il considère que c'est le rôle des collectivités, et non celui de l'État.

Cela relève de l'initiative - et tant mieux, car on ne changera pas le fait qu'il s'agit de la volonté de femmes et d'hommes -, mais je pense qu'il faudrait établir, à l'instar de ce que vous dites à propos des feuilles de route des préfets, quelques points de passage obligés.

Il m'avait semblé comprendre que les financements croisés étaient terminés. Aujourd'hui, on nous donne les feuilles de route de la DETR sans se soucier de ce que veut le département ou la région. Or, cela ne peut fonctionner. On se retrouve avec des réaffectations, à l'automne, d'un bout de DETR non consommé parce que le maire n'a pas obtenu sa dotation du département, et des pertes de DETR.

On a le sentiment que tous les ingrédients sont sur la table et que tout pourrait bien fonctionner. Est-ce que l'État central ne fait pas tout pour que l'État territorial reste à sa main ? De facto, on n'apporte pas aux élus l'agilité dont ils ont besoin, pour répondre rapidement aux exigences de leurs concitoyens.

Si on ne crée pas cette agilité, je crains qu'on ne creuse encore plus le fossé entre l'État et la perception qu'en ont les élus, avec cette petite musique de désespérance qu'on a entendue un peu partout.

M. Olivier Jacob. - J'espère vous avoir démontré par mes propos que le ministère de l'intérieur soutient ces notions de déconcentration et d'agilité.

Il y a des débats interministériels et des arbitrages - et c'est très sain. On l'a vu au moment de la loi « 3DS » : certains ministères se méfient il est vrai de la notion de déconcentration. J'essaie de l'expliquer. Peut-être craignent-ils le pouvoir hégémonique des préfets. Je rappelle ce que dit la Constitution : les préfets sont les représentants de l'ensemble des membres du Gouvernement. Il faut donc leur faire confiance, ce qui est parfois un peu difficile. Les préfets rapportent ensuite au ministre, mais sans doute que la technostructure, les administrations centrales, les directions régionales sont frileuses au moment de confier un certain nombre de responsabilités au préfet de département.

Vous parlez de désespérance ou d'abandon. Cela s'est accéléré durant la décennie 2010-2020 avec la création des grandes régions. La région Languedoc-Roussillon avait une cohérence. Avec cinq départements, les élus pouvaient avoir accès au préfet de région. Avec la région Occitanie, qui va des Hautes-Pyrénées au Gard, il n'y a plus cette proximité.

J'ai exercé comme secrétaire général de la préfecture de l'Aube, en Champagne-Ardenne, où les quatre départements s'appuyaient sur une certaine cohérence historique et géographique.

Les maires ont l'impression d'être seuls lorsqu'ils perdent ces échelons de proximité. Ceci se conjugue avec la création des grandes intercommunalités ou des schémas de coopération intercommunale. Je l'ai vécu en arrivant dans les Alpes-de-Haute-Provence : on a créé de grandes intercommunalités qui, parfois, ont surpris les maires, avec des assemblées intercommunales importantes.

Réduction des effectifs, agencification, création des grandes régions et des grandes intercommunalités se sont cumulées en un laps de temps relativement court. La prise de conscience est là. Le mouvement des gilets jaunes et le grand débat national ont joué un rôle révélateur en la matière. Je le sens en administration centrale : la notion de proximité et d'échelon départemental, défendue par les premiers ministres successifs et par le président de la République, est revenue sur le devant de la scène.

Il faut aussi convaincre les autres ministères, qui pensent principalement leur action à l'échelon régional.

Je vous répondrai par écrit au sujet des démissions d'élus, qui font l'objet de bien des commentaires. On en enregistre toujours beaucoup en début de mandat. Généralement, cela a tendance à se tarir à mi-mandat. On n'a actuellement pas plus de démissions que lors de la mandature précédente. En revanche, nous ne savons pas toujours les raisons de ces démissions. Les motifs sont parfois différents par rapport à la mandature précédente.

Jusqu'alors, nous n'étudiions pas les motifs dans le détail. Nous ne le faisons que depuis cette mandature, où onze motifs permettent de suivre dans le détail les motivations qui expliquent la démission d'un maire, car c'est ce qui fait le plus parler.

Nous vous fournirons toutes ces précisions dans nos réponses à votre questionnaire.

Mme Maryse Carrère, présidente. - Merci beaucoup.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 10 h 20.

- Présidence de Mme Maryse Carrère, présidente -

La réunion est ouverte à 17 h 35.

Audition de M. Stanislas Bourron, directeur général de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT)

Mme Maryse Carrère, présidente. - Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir cet après-midi M. Stanislas Bourron, directeur général de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT).

L'ANCT a pour mission de conseiller et de soutenir les collectivités territoriales dans la conception, la définition et la mise en oeuvre de leurs projets. À ce titre, elle doit notamment faciliter l'accès des communes aux différentes formes d'ingénieries juridique, financière et technique et leur apporter un concours humain et financier.

L'ambition est vaste et, pour le sujet qui nous occupe, elle pose plusieurs questions : l'ANCT a-t-elle les moyens de cette ambition ? Est-elle parvenue à constituer un réseau suffisamment efficace à destination des communes ? L'aide qu'elle leur apporte est-elle suffisamment concrète ? Comment ses compétences s'articulent-elles avec celles des autres intervenants en la matière - État, département ou région et autres agences ?

Avant de vous donner la parole pour répondre à ces premières questions, je me tourne vers M. le rapporteur.

M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - On a le sentiment, après avoir fait dans le cadre de cette mission le tour de territoires aussi différents que l'Ille-et-Vilaine, les Vosges, la Somme et la Haute-Garonne, que les communes les moins densément peuplées, qui ont par nature le moins de moyens pour répondre à la politique d'appels à projets de l'État ou pour monter des projets communaux, voire intercommunaux, ont encore du mal à se repérer dans les méandres des procédures.

Mon propos dépasse le seul cadre dela seule l'ANCT, dont le rôle est d'être le catalyseur ou de répondre aux aspirations des élus par le biais de dispositifs comme « Petites villes de demain » et « Action coeur de ville ». Il porte plutôt sur Je vise l'ensemble de l'ingénierie d'État, le rôle qui a été dévolu à votre agence étant d'être à la fois le catalyseur et l'organisme ayant à répondre aux aspirations des élus par le biais de dispositifs comme « Petites villes de demain , » et « Action coeur de villes », vis-à-vis de laquelle. les maires sont parfois démunis.

On constate que tous les Au-delà, on voit bien que les maires sont parfois démunis. préfets ou sous-préfets n'ont pas encore pleinement assimilé la consécration, par la loi « 3DS » L'idée consistant à avoir fait du préfet le comme délégué départemental de l'ANCT dans le cadre de la loi « 3DS » n'est pas totalement assimilée par l'ensemble des préfets ou des sous-préfets. Comment voyez-vous cet aspect des choses, trois ans après les débuts de l'ANCT ?

Enfin, comment articulez-vous les choses rôles et actions entre ldes préfectures, dles sous-préfectures et l'Agence de l'ANCT ? Le besoin d'ingénierie est tel qu'On voit bien qu'il y a parfois un sujet aau-delà des dispositifs existants, le besoin d'ingénierie dépassant ce cadre il sollicite en première ligne et mettant les préfectures et les sous-préfectures en première ligne pour leur agilité et leur écoute vis-à-vis des élus.

M. Stanislas Bourron, directeur général de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). - L'ANCT est relativement récente à l'horizon de nos systèmes administratifs. Elle remonte à trois ans, avec une gouvernance renouvelée depuis décembre, un nouveau conseil d'administration, un nouveau président, un nouveau directeur général. Ces trois années ont surtout été marquées par une période très compliquée en termes d'action publique du fait du de la Covid-19, ce qui a rendu difficile les déplacements de l'équipe en place sur le terrain.

Depuis février, avec le président, nous avons engagé de nombreux déplacements et. Nous avons visité une vingtaine de départements. Cela nous permet de voir, de plus près, ce qui fonctionne et ce qui fonctionne moins bien. de plus près.

Le législateur nous a confié deux missions : porter des programmes nationaux et intervenir, de façon en subsidiaireité pour accompagner les collectivités ayant besoin de solutions d'ingénierie. On peutNous pourrions également parler des contractualisations, mais ce n'est pas le sujet aujourd'hui.

Les programmes nationaux comme « Action coeur de ville », « Petites villes de demain », « Territoires d'industrie », et France Sservices sont une réussite, même si les choses fonctionnent mieux que d'autres dans certaines communes. Je suis même très surpris de l'enthousiasme que ldes élus nous renvoient lorsque nous les rencontrons.

À chaque déplacement, on constate que les élus se sont emparés des labels, des moyens et des projets de façon très différents selon les territoires. La subsidiarité doit être la clé d'entrée, mais elle demeure très dépendante de ce qui existe sur les territoires. Nos programmes ont vraiment trouvé leur public.

S'agissant duPour le volet relatif à l'ingénierie sur mesure, on peut considérer qu'onnous touche touchons 30 000 communes. Toutes n'ont pas qui peuvent ne pas avoir un programme dédié et qui sont plutôt concernées par des mesures transversales, peut-être moins identifiables mais qui peuvent être en attente pour lesquelles elles attendent und' accompagnement sur mesure. L'objet de l'Agence est d'intervenir pour permettre de porter ces projets là où le contexte local ne le permet pas.

Nous n'avons pas vocation à intervenir là où des collectivités se sont organisées de façon pertinente pour mettre en place une solution d'ingénierie à travers une agence technique départementale, un conseil d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) très dynamique, une agence d'urbanisme, une intercommunalité qui a pris à bras-le-corps tel ou tel sujet.

J'étais dans les Vosges il y a deux jours, où une intercommunalité a mis en oeuvre tout un soutien à des communes très rurales, et où l'État intervient dans dupour le cofinancement de postes et à travers la dotation d'investissement. Ce n'est pas forcément le cas partout.

L'intérêt pour nous est d'identifier les territoires où ne se crée pas cette dynamique. Un tiers des départements n'ont pas mis en place d'agence technique départementale, quel qu'en soit le format, établissement public ou régie. Là où elles existent, ces agences techniques peuvent être présentes sur des sujets comme la voirie ou les équipements publics, ce qui est indispensable, mais moins sur d'autres qui présentent aussi un intérêt, comme les projets de territoire ou autres.

C'est là que notre accompagnement doit continuer à être déployé. 1 200 accompagnements ont été réalisés depuis la création de l'Agence, mais nous devons engager une nouvelle étape.

À la suite du rapport produit par la délégation aux collectivités territoriales, en février, qui prévoyait un certain nombre de préconisations, nous avons commencé à mettre en place un plan d'action qui sera concrétisé dans une feuille de route que nous présenterons au conseil d'administration fin juin.

Je ne peux pas tout dévoiler, mais nous vous rejoignons à propos desur l'idée qu'il nous faut davantage animer les territoires. Dans certains endroits, on nous connaît en effet très bien et on sait comment faire appel à nous. Ainsi, aucun des dispositifs de l'agence ne manque dans le Cantal, et on en trouve parfois plusieurs autres sur un même site - Petites villes de demain, tiers-lieux, conseillers numériques, France Services. On est sur une très grande hétérogénéité.

Nous devons donc doubler nos moyens d'accompagnement afin que les préfets ou les directions départementales de territoires (DDT) sollicitent nos chargés de mission territoriaux autant que possible. Nous devons aussi avancer sur la déconcentration de notre marché d'ingénierie pour le rendre plus facilement mobilisable par les préfets de département, sans passer par une sollicitation parisienne.

On Nous devonsdoit enfin travailler à une meilleure animation locale des équipes d'ingénierie et des demandes.

Je constate qu'un certain nombre de projets ne trouvent pas forcément leur réponse. Ils émanent souvent de petites communes ou intercommunalités. Notre objectif est d'essayer, à travers les comités locaux de cohésion des territoires (CLCT) prévus par la loi qui, dans certains départements, fonctionnent très bien, d'être des liens d'animation, de faire connaître les types d'ingénierie, de discuter pour savoir quelles personnes peuvent se mobiliser sur telle ou telle thématique pour mettre en oeuvre des projets. On peut aussi faire appel au Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA) en matière de mobilités ou de foncier et intervenir sur des questions d'activité commerciale ou touristique.

Le CLCT est un bel espace qu'il faut encourager - et les ministres le souhaitent. Il faut aussi renforcer la logique de guichet unique. Un certain nombre de départements ont mis en place une adresse mail unique. Cela fonctionne très bien : l'élu qui souhaite un accompagnement et qui écrit à cette adresse est sûr d'obtenir une réponse d'un référent qui peut être un sous-préfet d'arrondissement ou le directeur de la DDT.

Il faut une réponse à chaque question qui, sans être compliquée, doit montrer le chemin. C'est plus une logique de portail que de guichet. Cette notion de guichet en effraye plus d'un, d'aucun craignant qu'on décide à sa place. Il n'en est rien. Il s'agit d'un point d'entrée. On doit l'améliorer pour les élus les plus éloignés de l'information.

Nous avons aussi pour rôle, à travers le CLCT, de mieux organiser ce qui existe sur le terrain. Beaucoup d'acteurs ne sont pas forcément mobilisés, alors qu'il existe un projet dans lequel ils pourraient intervenir. Nous sommes prêts à répondre aux besoins si besoin est en l'absence de solution, mais l'idée n'est pas d'aller chercher l'Agence s'il existe une solution locale. Il faut une logique dePrivilégions la subsidiarité. Nous ne sommes pas dans la concurrence entre différents types d'ingénierie.

Notre objectif, dans les mois à venir, est d'arriver à mieux organiser ce portail d'accès à l'ensemble des outils d'ingénierie, à revoir nos conventions avec les cinq opérateurs, principalement l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et le CEREMA, pour clarifier le type d'ingénierie afin que ce soit plus simple pour les délégués territoriaux et les élus de savoir qui fait quoi. On saura mieux vers qui se tourner une fois qu'on aura éventuellement saisi le préfet ou le sous-préfet.

Nous sommes en train de recruter des moyens humains pour placer une à deux personnes en interface directe avec les préfets de département afin d'aller sur le terrain et apporter un conseil en matière de montage de projet et de type d'ingénierie à solliciter.

Je vous rejoins à propos de la mobilisation des délégués territoriaux sur le fait que celle-ci n'est pas uniforme. Certains territoires sont plus ou moins mobilisés par ces problématiques. Tous les territoires ne sont pas autant mobilisés et tous ne connaissent pas les mêmes difficultés sur ce sujet. Je sens néanmoins une grande mobilisation des services dans les départements où j'ai pu me rendre.

Dans le Cantal, deux agents de la DDT sont dédiés exclusivement aux projets et aux au déploiement des accompagnements de l'ANCT. Des accompagnements, au-delà même des communes qui sont dans nos programmes, ont même pu être développés.

Dans tous les départements où je me suis rendu, on trouve des référents, peut-être parfois insuffisamment équipés et armés, mais qui se sont organisés pour apporter des réponses. C, charge à nous d'être plus volontaristes pour leur demander de s'investir toujours davantage et de façon plus uniforme.

Mais, jJe vous rejoins en effet sur le fait qu'il existe une hétérogénéité selon l'histoire et l'organisation locale.

M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Au fond, peu importe à quoi ressemble cette architecture qui consiste àpour traiter de la question de l'ingénierie. On a cependant le sentiment que le bât blesse. Par exemple, s'agissant de « Petites villes de demain », il semble on a plutôt le sentiment que le poste d'ingénierie financé par l'État fonctionne globalement plutôt bien. Toutefois, une fois le projet échafaudé et ses contours définis, se pose la question du financement se pose. En réalité, les élus souhaiteraient un package, charge à vous de réaliser cette animation pour obtenir les financements permettant de réaliser le projet.

On sent qu'il y a là une coupure qui est vécue comme une frustration. On sait faire émerger les projets et les monter dans la plupart des cas, mais ensuite ? C'est globalement ce que nous ont dit les élus de façon unanimeclaire.

Pour ce qui est des plus petites communes, le flou persiste. Ce matin, lors de son audition, le directeur du management de l'administration territoriale et de l'encadrement supérieur (DMATES) nous disait que l'État s'apprête à recruter une centaine d'agents experts pour voir comment tout cela peut s'articuler. On a le sentiment qu'il y a, sur la forme, quelque chose à trouver en matière d'efficience et d'accélération des processprocédures.

Mme Maryse Carrère, présidente. - Dans le même ordre d'idées, il existe un exemple récent sur la non-continuité de l'action de l'ANCT. Il concerne concernant le programme relatif aux ponts, même si je pense que cela va évoluer.

On a proposé aux communes de solliciter l'ingénierie pour analyser les dégâts sur leurs ouvrages d'art. Ils ont reçu des fiches techniques et des diagnostics, avec des préconisations qu'ils ont la plupart du temps mises en oeuvre. Or il existe une sorte de flottement entre le moment où on doit aller chercher des bureaux d'études pour réaliser les compléments d'information sur ces ouvrages et la question du financement.  : À un certain moment, la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) n'a pas toujours pris e prenait pas les ponts et les ouvrages d'art en charge.

Il y a là à la base un vrai enjeu de continuité dans l'action plus qu'intéressant. Dans les Hautes-Pyrénées, plus de 200 communes ont répondu au programme relatif aux ponts. Cela correspond à un vrai besoin mais, sans mauvais jeu de mots, il ne faut pas les laisser au milieu du gué !

Mme Cécile Cukierman. - Vous avez évoqué vos déplacements dans les départements et l'engouement des élus autour du programme « Petites villes de demain ». Les élus sont bien élevés ! Quand ils vous reçoivent, ils sont plutôt bienveillants. Je préfère le dire avec un peu d'ironie...

Beaucoup de bénéficiaires de « Petites villes de demain » sont satisfaits. Dans la Loire, cela leur permet, dans un temps où il faut aller vite, de justifier le fait de devoir prendre du temps pour s'interroger sur ce que sera demain notre territoire et la place qu'il aura dans son environnement.

Intellectuellement, c'est assez « jouissif », pardonnez-moi de le dire aistimulantnsi. On a peu de moments comme cela dans nos vies d'élus. Cela permet aux nouveaux élus de se projeter, et à ceux qui ont plus d'expérience de s'interroger à nouveau. Ils m'ont dit que cela leur faisait du bien et qu'ils y prenaient plaisir.

Ce sont toutefois les mêmes qui estiment qu'ils ont passé l'âge qu'on leur vende des rêves. Ce travail peut être très fédérateur à l'échelle d'un territoire communal, mais cela il peut aussi générer des déceptions et des frustrations si rien ne débouche, faute de financements.

Cela amène à une deuxième difficulté territoriale : il ne faudrait pas, demain, in fine, concentrer les financements territorialisés sur les projets qui auront bénéficié en priorité de ce type d'ingénierie, qui pourraient être suivis par une collectivité régionale ou départementale, soit sous forme de bonus, soit sous forme de priorité. C'est une vraie crainte.

C'est moins vrai, me semble-t-il, à l'échelle d'« Action coeur de villes », où il existe de vrais financements d'accompagnement, mais j'aimerais qu'on ait une discussion à bâtons rompus. Ccomment voyez-vous les choses ? Comment construit-on l'avenir ?

Quant aux plus petites communes, elles ont un droit de tirage mais, objectivement, c'est dur. À mon avis, il est plus facile de gravir l'Everest !

L'ANCT ne pourrait-elle jouer un rôle de facilitateur ? On a besoin de personnes spécialisées, mais comment, de façon plus souple, répondre à la préoccupation de l'élu qui se moque bien de savoir qui interpeller tant qu'on peut lui apporte la réponse ?

M. Stanislas Bourron. - Nous partageons aussi des retours et desentendons aussi les interrogations sur la pluriannualité des engagements.

S'agissant de « Petites villes de demain », 900 chefs de projet sont aujourd'hui sur le terrain, cofinancés à 75 %, pour les deux tiers par des intercommunalités et pour un tiers soit par des pôles d'équilibre territorial et rural (PETR) , etc., ou des communes. Le maillage est aujourd'hui quasiment bouclécomplet. Quelques chefs de projet ne sont pas encore recrutés outremer, et il reste une difficulté pour un département métropolitain.

Je vous rejoins à propos du fait qu'il existedes deux aspects distincts concernant de l'ingénierie. On a besoin d'aider les élus à préparer le volet administratif, de leur présenter les bons interlocuteurs et de réaliser tout un travail d'accompagnement, notamment dans les communes qui ne sont pas les plus grandes.

Le programme « Petites villes de demain » a besoin de chefs de projet qui jouent le rôle de force de frappe permanente, en accompagnement des services communaux ou intercommunaux lorsqu'ils existent, pour assurer la fonction d'animateur permanent. Cela fonctionne très bien dans beaucoup de territoires.

Les plans d'action commencent à apparaître, et je vous rejoins : cela donne du temps et de la capacité à se projeter en faisant jouant surjouer différents leviers. Un des sujets qui revient est celui de l'habitat, des problématiques de logements vacants dans les centres-bourgs et les centres-villes. Ce sont des objets questions complexes. Une simple subvention DETR ne règle pas le problème. Il faut intervenir avec d'autres acteurs, trouver des maîtres d'ouvrage, faire jouerétudier les sujets juridiques autour de l'expropriation, des biens sans maître.

Cela mobilise parfois l'Agence nationale de l'habitat (ANAH), avec une opération programmée d'amélioration de l'habitat et de renouvellement urbain (OPA-Ru) boostée, qui permet d'avancer. Ce sont des sujets complexes, et il faut du temps pour arriver à un programme d'action et le déployer. Le chef de projet est donc indispensable pour permettre à l'élu d'être soutenu administrativement.

Il est vrai que, dans toutes les communes, il existe des sujets qui ne justifient pas de recruter quelqu'un à temps plein pendant des mois, mais qui peuvent nécessiter une intervention dédiée - CEREMA, Ademe, ANCT. C'est vraiment un besoin en plus.

Nous intervenons assez systématiquement, en plus du chef de projet, pour réfléchir sur le devenir d'une friche, un aménagement complexe, afin que les élus puissent prendre le temps de réfléchir à un projet cohérent.

S'agissant de l'investissement, l'objectif de Petites villes de demain est de 3 trois milliards d'euros à l'horizon 2026. Nous avons dOn a déjà consommé environ un milliard issu de dotations d'investissement de l'État, de l'ANAH et de la banque des territoires.

Tous les projets qui vont émerger trouveront-ils leur solution ? À l'instant où je parle, aucun maire ne m'a dit que son projet s'est vu refuser sa subvention. Je ne dis pas que cela ne pourrait pas arriver, mais le Fonds vert apporte quant à lui 2 deux milliards d'euros de subventions d'État, avec une attention forte des régions en faveur de ces dispositifs. Il existe des moyens d'accompagnement.

Je vous rejoins sur un autre point : il faut éviter l'idée qu'un programme préempte les moyens en dotation d'investissement des autres. Cela a un effet désastreux...

Mme Cécile Cukierman. - La tentation est forte !

M. Stanislas Bourron. - Les circulaires signées par les ministres priorisent les projets cohérents accompagnés dans le temps, comme « Petites villes de demain ». Cela ne fait toutefois pas tout. On est Les montants s'élèvent àsur 200 à 300 millions d'euros de dotation d'investissement par an en faveur de ces communes sur 2 deux milliards d'euros, hors Fonds vert.

Pour l'instant, on ne capte pas la totalité des moyens, tant s'en faut, mais une montée en puissance interviendra. Si je devais en tirer une conclusion dans mes fonctions, je dirais qu'il ne faut pas que la dotation d'investissement, telle qu'elle existe aujourd'hui, baisse. On ne le comprendrait pas.

Ce n'est pas au moment de la montée en puissance qu'il faut commencer à faire des efforts de compression ou réunir deux outils en un. On connaît la méthode...

Mme Cécile Cukierman. - On l'a connue en effet !

M. Stanislas Bourron. - Il existe des outils qui fonctionnent bien, comme la DETR, la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), le Fonds vert, qui sont mobilisables par les préfets dans chaque département.

Ce sujet de pluriannualité est une question lourde pour l'État et ses opérateurs, notamment en matière d'investissement. Comment avoir des engagements dans le temps, sans créer une sorte de droit de tirage ? Il faut un projet correspondant aux objectifs, monté dans le cadre d'un plan d'action cohérent, où l'on se donne du temps. Cela a fonctionné dans certains endroits, pour reconquérir des logements de très mauvaise qualité en coeur de ville et les transformer, traiter une friche, créer un équipement public.

Je vous rejoins également à propos deconcernant les communes rurales plus petites : au-delà du guichet d'entrée, qui permet de faciliter les explications et d'animer un partenariat local, l'accompagnement, sans que ce soit l'Everest, n'est pas simple à mobiliser. Il n'y a souvent qu'un secrétaire de mairie à temps partiel, des élus de bonne volonté, mais pas toujours à l'aise avec le système.

Le programme « France ruralité » est tiré de cette expérience. On a besoin de chefs de projet, mais on n'en a pas besoin d'un par commune. Cela ne se justifie pas. On peut mutualiser les besoins, et occuper les personnes.

C'est l'objet du programme, avec l'idée de positionner ces renforts dans les services de l'État et un droit de tirage pour les collectivités afin d'en faciliter l'articulation.

M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - C'est autant le directeur de l'ANCT que l'ancien directeur général des collectivités locales (DGCL) que j'interroge : cette politique d'agencification et d'appel à projets ne segmente-t-elle pas trop la territorialisation de l'action publique et le rôle de l'État sur le territoire ? Ne la complexifie-t-elle pas trop ?

J'ai souvenir d'un long échange sur la notification de la DSIL. J'ai le sentiment que tout cela devient un parcours du combattant pour l'élu, auquel vient s'ajouter la problématique de l'ingénierie.

Ne devrait-on pas mener une réflexion pour avoir une approche territorialisée avec le préfet et l'ANCT, à l'échelle d'un département ? Cela permettrait de prendre en compte le critère de différenciation. Chaque territoire a sa propre réalité. Peut-être l'action de l'État gagnerait-elle en lisibilité et en efficience si elle était définie à l'échelle d'un territoire. Le département me paraît la bonne échelle pour prendre la dimension des problématiques eà retenir pourt fondre tout cela pour et le rendre plus lisible et plus agile.

On a le sentiment - et je souscris à ce qui a été dit sur l'ingénierie, car on voit que les choses avancent - que tout cela restec'est encore très complexe.

Cet exemple de la DSIL illustre le sentiment qu'il existe, au sein même de l'État, entre échelon régional et échelon départemental, une légère perte en ligne. On évoquait ce matin le fonds des développements de la vie associative (FDVA2) : c'est un autre exemple qui montre qu'on pourrait peut-être faire des gains d'efficience.

La critique ne s'adresse pas qu'à l'État : on peut aussi avoir une réflexion au niveau des collectivités pour qu'il existe une cohérence et plus d'échanges pour mieux appréhender le financement des projets, de l'ingénierie jusqu'à la réalisation.

Mme Cécile Cukierman. - Vous le savez, je suis très attachée - comme d'autres, bien évidemment - à une présence de l'État au plus près de chacun dans tous les territoires, parce que c'est la garantie d'une égalité sociale et territoriale.

On aNous avons besoin d'une présence de l'État aux côtés de tous ces territoires qui représentent plus de 15 millions de concitoyens, que ce soit dans les territoires ruraux, outremer, ou les quartiers de la politique de la ville. C'est un véritable enjeu.

Je ne reviens pas sur ce qu'a dit le rapporteur, car je partage son avis : on peut s'interroger sur le fait de savoir s'il fallait agenciser l'action et la présence de l'État au plus près de nos territoires, ou renforcer la présence départementale préfectorale et sous-préfectorale. Le législateur a tranché.

Je n'ai ni participé ni suivi les débats de 2010 sur la réforme de la loi sur les collectivités territoriales. J'ai cependant suivi la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (MAPTAM), la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), etc. On en a fait quelques-unes.

Vous dites qu'il faut maintenant un appui au plus près des petites communes pour formaliser, accompagner et aider à l'ingénierie financière. Il m'avait semblé que le rôle des intercommunalités et des départements devait être renforcé pour ce faire.

L'action déconcentrée de l'État, direction générale des finances publiques (DGFiP) en tête, devait être au rendez-vous pour aider les plus petites communes et « mieux les accompagner dans le développement de leur projet et dans l'ingénierie financière » - je reprends ici vos mots.

Nous faisons tous le constat qu'on manque cruellement de tout ceci dans la plupart de nos territoires, . Nmais ne pensez-vous pas qu'une partie des intercommunalités sont passées à côté d'un rendez-vous avec l'Histoire, qui aurait pu leur permettre de renforcer leur légitimité par une meilleure reconnaissance de leur action ? Parfois, les choses sont vécues comme une captation du pouvoir communal plutôt que comme une aide à son déploiement.

Mme Catherine Belrhiti. - Cette année a été extrêmement difficile pour les communes. On a fait des promesses qui n'ont pu être tenues. On a demandé à de nombreuses communes de transférer les dossiers de DETR qu'elles avaient réalisés en novembre au titre du Fonds vert. Ces dossiers étaient très difficiles à établir. Nous les avons beaucoup aidées.

Au moment où il faut étudier le Fonds vert, il n'y a plus d'argent, l'enveloppe proposée n'étant pas suffisante ! On dit aujourd'hui à ces mêmes communes qu'on verra cela l'année prochaine, alors qu'on aurait pu traiter ces dossiers dans le cadre de la DETR, surtout s'agissant des deuxièmes tranches.

On a mis tout le monde en difficulté. Si ce Fonds vert avait été placé enabondé la DSIL, cela se serait bien mieux passé, d'autant que ceux qui ont été le plus ennuyés ont été ceux qui devaient étudier les dossiers, notamment les sous-préfets. Certains étaient paniqués, voire en dépression.

Tout le monde est exaspéré. Les maires, les secrétaires de mairie, les sous-préfets ne savent plus à quel saint se vouer. Il faut absolument décomplexifier la chose. Cela nous permettra d'avoir moins d'agents et de personnes sur place.

Je pense par ailleurs que la DSIL doit être à la main du préfet de département. De toute façon, les dossiers sont traités instruits pars les sous-préfets. Quand cela arrive à la région, celle-ci a juste à signer. Que l'on fasse une étape de moins et qu'on mette tout dans une seule et même enveloppe !

Il est en outre incompréhensible pour les maires de communes limitrophes de deux départements que les unes aient une subvention pour leur route alors que leurs voisines n'en ont aient pas. C'est très mal perçu, et je pense qu'on devrait avoir une politique commune concernant les distributions de DETR. C'est difficilement compréhensible lorsqu'on a un voisin qui a pu en bénéficier.

Mme Maryse Carrère, présidente. - Les départements se sont organisés et accompagnent les collectivités et les communes. Le problème vient de ce que ce n'est pas égal sur tout le territoire.

Dans certains départements, il n'a pas été créé d'agence départementale d'accompagnement des collectivités. Or ces outils sont extrêmement précieux pour les maires.

Le pôle juridique et administratif de l'Agence départementale d'appui aux collectivités (ADAC) des Hautes-Pyrénées traite plus de 700 questions par an sur le droit du cimetière, l'urbanisme, etc. et 400 dossiers d'assistance à maîtrise d'ouvrage (AMO). C'est le département qui a monté cette agence avec les communes, sur la base d'un budget de 700 000 euros par an.

Il existe une certaine iniquité à travers les territoires, certains maires qui n'ont personne pour les accompagner se retrouvant démunis.

Mme Catherine Belrhiti. - Dans notre communauté de communes, ce sont les maires du bureau de celle-ci qui se chargent d'accompagner les autres maires.

M. Stanislas Bourron. - Depuis que je suis arrivé, nous avons pu ponctuellement mettre en place des appels à manifestations d'intérêt lors de certaines de nos interventions.

Je fais la chasse à tous ces dispositifs, considérant qu'on doit être dans des logiques de déconcentration au niveau départemental, même si le niveau régional prévu par la loi fait également sens.

Il faut donc s'appuyer sur les préfets de département et leur proposer d'identifier le dossier intéressant, en faisant en sorte que les mêmes gros dossiers ne remontent pas systématiquement.

Mme Cécile Cukierman. - C'est celui qui a l'ingénierie qui sait répondre à l'appel.

M. Stanislas Bourron. - Il faut qu'on fonctionne différemment. C'est ce que nous faisons dans nos programmes. Si on ne peut pas tout faire, on demande au préfet d'identifier les deux ou trois dossiers les plus pertinents par rapport à la thématique. Cela se passe du coup beaucoup mieux.

S'agissant de l'agencification, je suis très mal placé pour faire de longs commentaires. Il est certain qu'il faut en réduire la complexité pour les bénéficiaires.

Les agences apportent une forme d'agilité, de souplesse et de capacité d'organisation rapide, dont la pluriannualité du budget, que ne permettent pas les structures classiques d'État. Pour autant, ce n'est pas en soi un objectif. Cela doit être un levier, un outil à destination d'une politique publique. Charge à nous de faire en sorte que les différentes agences travaillent bien ensemble. Elles sont membres du conseil d'administration de l'ANCT. Il existe des conventions-cadres qu'on est en train de reprendre. Il faut qu'on rende les interventions de chacun plus lisibles pour ne pas en avoir plusieurs types types d'interventions par opérateur.

S'agissant de l'enveloppe unique, le ministre Jean-Christophe Béchu a imposé une déconcentration départementale massive. Il est intervenu devant la commission des lois du Sénat en fin d'année dernière, au moment du débat. C'est un excellent choix, et la Première ministre a indiqué qu'il y aurait une prolongation du Ffonds.

Ce sont des dossiers complexes, qui exigent du temps. Les communes entreront dans le système l'année prochaine. Le temps passé à monter le dossier n'est pas perdu. Les enjeux de transition écologique vont nous amener à avoir des investissements massifs sur ces questions, et ceux qui démarrent trouveront leur financement.

Quant à ne faire qu'une seule enveloppe, vous voyez bien que l'État, à travers les dotations d'investissement, cherche à orienter les collectivités.

Le Fonds vert, pour sa part, comporte des thématiques - friches, renaturation -, mais cela répond aussi aux besoins de notre pays.

Il existe des outils comme la DSIL ou la DETR qui, je vous rejoins, ont certes des modalités de gestion un peu différentes, mais qui demeurent assez vastes, parce que cela correspond à une réalité qui va très vite. Les besoins des territoires évoluent, avec les plans piscines, les questions de culture, de voirie, etc.

L'un de ces outils n'a pas de commission locale pour déterminer les objets, l'autre en comporte une pour créer la différenciation. Certains y ont mis la voirie, d'autres non. Je reste persuadé que la différenciation est utile pour gérer ce type d'outil parce que les objets, les contraintes et les demandes ne sont pas les mêmes dans les différents départements.

Je suis d'accord avec vous pour dire que certaines communes peuvent se poser la question de savoir pourquoi elles n'ont pas été soutenues, alors que leurs voisines l'ont été.

M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Il y a toujours le pouvoir discrétionnaire des préfets. On voit bien comment se passe la première réunion de DETR ou comment sont orientés les fonds de la DSIL et du Fonds vert.

Dans mon département, on arrive péniblement à sortir un seul gros dossier de 900 000 euros au profit du syndicat départemental des énergies de l'Ardèche au titre du Fonds  vert. Cela montre bien qu'il faut avoir une taille assez significative pour y parvenir.

D'après les remontées qu'on a eues dans les différents territoires, je trouve que cela crée un peu de confusion et de la complexité au sujet des modalités d'octroi. Il y a trois modalités différentes. La DSIL et la DETR sont à peu près dans la même veine, mais cela suffit. Il faut ensuite présenter les dossiers au niveau de la région et du département. Nos élus réclament un peu d'intelligence collective pour mettre tous les acteurs autour de la table. On aurait peut-être un gain d'efficience d'efficacité significatif.

Je partage ce que vous dites : c'est à l'État de dire où il veut mettre ses fonds, mais tout le monde peut y gagner en efficience.

M. Stanislas Bourron. - S'agissant de l'enveloppe unique, il faut rester prudent, trois fois un ne faisant pas toujours trois si on se réfère aux règles budgétaires complexes de l'État.

M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - On l'avait bien compris avec la DSIL !

M. Stanislas Bourron. - Je m'arrêterai là, ne pouvant guère aller plus loin. C'est le Parlement qui vote le budget.

Concernant les conditions d'octroi aux départements, j'ai vu un certain nombre d'organisations départementales intéressantes. Les commissions d'attribution des subventions sont établies conjointement, dans le respect de chacun.

Cela permet une bonne répartition et d'apporter une réponse aux acteurs en même temps. Départements et État peuvent ainsi avoir une parole unique qui peut être bien perçue et règle ainsi un certain nombre de sujets. C'est une approche positive.

Mme Maryse Carrère, présidente. - C'est surtout pour ne pas avoir de conflits sur le montant des subventions. Dans les Hautes-Pyrénées, cela se pratique de façon empirique grâce à la bonne volonté du sous-préfet, du préfet et des conseillers départementaux, afin de ne pas arriver à un taux de subvention de 90 % et que la commune se voie ensuite retirer la subvention espérée.

C'est quelque chose qu'il faudrait arriver à généraliser. C'est ce qu'on faisait avec les contrats de pays créés par la loi Voynet. On s'est retrouvé avec les trois entités - État, régions, départements - et des contrats de pays où chacun avait sa propre enveloppe, mais où il existait un comité de pilotage, chacun indiquant combien il mettait à tel ou tel endroit.

On a perdu cette culture de la contractualisation avec les autres financeurs que sont la région et le département.

M. Stanislas Bourron. - Le contrat de relance et de transition écologique (CRTE), dans une phase 2, doit pouvoir être un lieu moins formaliste de contractualisation ferme et définitive de projet. C'est une méthode de travail collective avec le département et la région éventuellement, sur la base d'un bassin de vie. Cela correspond souvent aux anciens pays. On a ainsi la possibilité de retrouver la logique que vous évoquez.

Je vous rejoins sur la réflexion sur la ruralité que porte Dominique Faure, avec l'idée qu'on n'a pas besoin d'une personne par département. Il y a des départements où l'on peut trouver d'autres moyens, comme ceux qui sont très urbanisés, à travers l'agglomération et les effectifs de l'État, qui sont parfois plus denses.

En revanche, certaines communautés de communes sont très petites, très faibles et ont du mal à recruter des personnels d'un certain niveau parce qu'elles sont enclavées, peu attractives et parfois en déclin démographique.

Il existe aussi parfois des départements peu fringants parce qu'ils sont confrontés à des problématiques d'équilibre d'opérations et qu'il y a beaucoup de demandes. Tout le monde n'était pas au même niveau au départ. Il est donc normal qu'à certains endroits, on accompagne la commune non contre la communauté de communes, mais parce que la communauté de communes n'est pas suffisamment équipée pour accompagner le projet. C'est avec la communauté de communes que cela doit se faire, dans une logique collective.

Les départements trouveront ainsi à s'organiser ensemble - et certains en parlent dans le cadre de la réflexion sur ce programme.

Là où l'État apporte un appui, le département pourrait, sur un autre arrondissement, un autre secteur, faire de même. Cela coûterait moins cher à chacun. Je sens qu'il existe aujourd'hui sur les territoires un niveau de maturité élevé à propos de ces questions. Je pense qu'on peut y arriver. Cela ne fonctionnera peut-être pas à certains endroits, mais cela permettra à certains territoires qui se sentent parfois encore un peu oubliés d'avancer.

Mme Maryse Carrère, présidente. - Merci pour cette audition.

Vous pourrez nous adresser vos réponses écrites au questionnaire.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 20.

Mercredi 17 mai 2023

- Présidence de Mme Maryse Carrère, présidente de la mission d'information sur l'avenir du maire et de la commune et de M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale -

La réunion est ouverte à 11 h 20.

Audition de M. Yannick Morez, maire démissionnaire de Saint-Brevin-les-Pins

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir Yannick Morez, maire de Saint-Brévin-les-Pins, démissionnaire, même si nous avons compris grâce à la presse que le préfet compétent faisait l'objet des plus hautes pressions pour ne pas accepter votre démission. Ce moment est difficile pour vous eu égard aux événements que vous avez subis, à titre personnel et qui vous ont décidé à remettre à votre mandat.

Vous êtes entouré par Maryse Carrère, présidente, et Mathieu Darnaud, rapporteur de la mission d'information sur l'avenir de la commune et du maire en France, ainsi que de nos collègues sénateurs, qui ont tous, à un moment de leur carrière, détenu un mandat local. C'est dire à quel point nous avons conscience de votre situation, tout comme de celle de nos collègues élus municipaux, de même que les violences et les agressions que vous vivez.

Ayant été maire pendant vingt ans de ma commune du Rhône, Oulins, j'ai connu des moments difficiles, mais jamais à la hauteur de ce que nos collègues maires endurent aujourd'hui. La violence, quel que soit le milieu, prend sa place dans la vie publique comme dans la vie. Elle doit toujours être combattue.

Voilà déjà plusieurs années que les violences contre les élus, et contre les maires en particulier, sont un sujet de préoccupation pour le Sénat, chambre des collectivités locales. Je salue, à ce titre, la présence de Françoise Gatel, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales. Je ne rappellerai pas le lâche crime subi par le maire de Signes, l'agression de la maire de Plougrescant et tant d'autres. Nous vous apportons, à chacun, notre soutien unanime.

Nous souhaitons que vous disiez à la représentation nationale ce que vous avez vécu. Nous voulons comprendre ce qui ne s'est pas passé, alors que vous attendiez un soutien de l'État. En effet, plusieurs textes récents que le Sénat a adoptés, enjoignent aux préfectures et aux magistrats de se rapprocher des élus locaux, des maires en particulier, et de les écouter. En outre, en 2019 et en 2021, nous avions saisi le garde des Sceaux sur la situation des élus. Il avait pris des engagements. Vos propos nous permettront de comprendre ce que vous avez vécu et ce que vous n'avez pu obtenir, afin d'avancer dans notre travail de contrôle et d'améliorer notre législation.

Mme Maryse Carrère, présidente de la mission d'information sur l'avenir de la commune et du maire en France. - Nous vous apportons tout notre soutien pour ces moments douloureux, pour vous et votre famille.

Dès le début de ses travaux, la mission d'information sur l'avenir de la commune et du maire s'est intéressée à la problématique des démissions volontaires de maires, dont on observe qu'elles sont, en ce début de mandat, plus nombreuses que précédemment. Nous y avons vu le symptôme d'un mal-être des maires dont il nous appartenait d'identifier les causes. Déjà, des éléments émergent : un sentiment d'abandon, un déséquilibre entre les charges que l'on doit assumer, les moyens dont on dispose et l'aide que l'on reçoit, et des relations plus tendues avec certains citoyens.

Les causes sont nombreuses, et nous avons lancé, depuis la semaine dernière, une vaste consultation en ligne des élus municipaux, ouverte jusqu'au 8 juin, pour recueillir leur point de vue sur les conditions d'exercice de leur mandat et leur perception de l'avenir de la commune. Elle sera riche d'enseignements et nous permettra de mieux mesurer l'ampleur du phénomène et des difficultés des maires. Mais ces statistiques seraient impuissantes à décrire la réalité du phénomène si nous ne disposions pas, en même temps, du témoignage direct de ceux qui y sont confrontés. C'est pourquoi, monsieur le maire, au nom de mes collègues de la mission d'information, je vous remercie d'avoir accepté de témoigner devant nous, afin de nous éclairer sur le drame que vous avez vécu et sur ce qui, selon vous, a manqué dans l'aide et la protection que vous auriez dû recevoir.

M. Yannick Morez, maire de Saint-Brévin-les-Pins. - Tout d'abord, je tiens à remercier tous les élus de France des messages de soutien que j'ai pu avoir, quel que soit leur rôle. Ils m'ont apporté beaucoup de chaleur, c'est vrai. Je me suis aperçu que, dans tous ces messages d'élus, par rapport à ceux, déjà nombreux, que j'avais reçus après l'incendie, le 22 mars, bien plus nombreux étaient les messages de soutien de maires qui m'ont exprimé ce qui leur était arrivé, notamment parfois des agressions, qu'elles soient verbales ou physiques. Beaucoup n'ont rien fait, n'ont pas déposé plainte, puisque très souvent - c'est ce qu'ils écrivaient dans les courriers que j'ai reçus -, celle-ci ne donnait pas lieu à des poursuites. C'est vrai que l'on constate une augmentation importante des agressions depuis un an, mais je pense que le pourcentage est largement sous-estimé et sous-évalué, puisque dans tous ces courriers, on s'aperçoit que les agressions sont fréquentes.

Je pense que ce n'est pas terminé, en raison de toutes les contraintes que nous avons nous à subir en tant que maires, avec les différentes lois. Je pense notamment à la loi dite « Climat et résilience » qui introduit le « zéro artificialisation nette » (ZAN) : on le sait, lorsqu'il faudra annoncer aux concitoyens qui ont parfois acheté des terrains pour les transmettre à leurs enfants qu'ils ne sont plus constructibles, ceux qui subiront, ce seront encore les maires.

Dans un premier temps, permettez-moi de vous présenter rapidement Saint-Brévin-les-Pins, commune de bientôt 15 000 habitants située au sud de l'estuaire de la Loire. Au nord de l'estuaire, il y a la ville de Saint-Nazaire, célèbre pour la construction navale et Airbus. Saint-Brévin-les-Pins fait partie du pays de Retz, situé entre la Loire et la Vendée. Dans ce pays, les deux villes importantes sont Pornic, que vous connaissez peut-être, et Saint-Brévin, où j'habite depuis 32 ans, et j'exerce la profession de médecin généraliste. J'y ai été élu pour la première fois en 2008, où j'étais adjoint au maire à la voirie et aux réseaux. En 2014, je suis devenu adjoint au maire au bâtiment et à la performance énergétique. En 2017, mon prédécesseur, Yannick Haury, aujourd'hui député, m'a demandé de prendre sa suite quand il a été élu. Depuis, je suis maire de la commune, ayant été réélu en 2020.

En 2016 - Yannick Haury était donc encore maire -, à la suite du démantèlement de la « jungle » de Calais, l'État nous a imposé l'arrivée de migrants et la création d'un centre d'accueil et d'orientation (CAO) de demandeurs d'asile. Il devait être situé dans un ancien centre de vacances qui appartenait au comité d'entreprise d'EDF, et qui n'était plus en fonction, puisqu'il n'était plus aux normes. C'est donc depuis cette date que nous accueillons des demandeurs d'asile, sans la moindre difficulté, avec, toutefois, un petit bémol puisque, juste avant leur arrivée, la situation avait été un petit peu tendue : deux coups de feu avaient été tirés sur le bâtiment. Une réunion publique avait cependant permis de confronter les points de vue, entre ceux qui étaient favorables à l'arrivée de ces migrants et, bien entendu, les partis d'extrême droite qui s'y étaient opposés. Le reste du temps, cela s'est bien passé. S'était également créée une association pour les aider, et les différentes associations brévinoises ont participé à l'inclusion de ces demandeurs d'asile.

En 2018, alors que j'étais devenu maire de Saint-Brévin-les-Pins, il s'est agi de récupérer certains migrants et demandeurs d'asile situés à Nantes, notamment au niveau du square Daviais. Johanna Rolland, la maire de Nantes, m'avait contacté pour me dire qu'ils viendraient dans notre centre d'accueil. Comme précédemment, ils ont été parfaitement accueillis, et nos associations se sont occupées d'eux, notamment pour leur apprendre le français ou encore leur faire faire du sport. À nouveau, tout s'est très bien passé entre la population et ces demandeurs d'asile.

Le 11 mars 2021, j'ai invité le sous-préfet visiter un bunker - nous en avons plusieurs sur notre littoral - qui avait été réhabilité. À la fin de cette visite, il m'apprend que l'État a décidé que le centre d'hébergement d'urgence deviendrait un centre d'accueil de demandeurs d'asile (Cada) de façon pérenne. Il m'en a informé tout de go, de façon verbale ; je n'ai même pas reçu de courrier. De plus, le bâtiment du précédent centre, qui appartenait au comité d'entreprise d'EDF, était en vente, et des promoteurs étaient déjà intéressés. Le préfet m'a indiqué qu'il nous fallait trouver un autre site pour accueillir ce Cada qui allait s'installer dans notre commune.

Nous avions, au sud de la commune, une ancienne colonie en friche. Elle comportait deux bâtiments et une petite maison, situés à côté d'une école maternelle et primaire et de la forêt de la Pierre attelée. Ayant gardé les coordonnées d'un représentant de l'association Aurore, qui gère les Cada au niveau national, je l'ai appelé pour lui parler de ce site, en lui demandant si sa situation, à côté d'une école maternelle et primaire, pouvait poser problème. Il m'a répondu que la présence d'une école ne posait, bien sûr, pas de difficulté.

Deux semaines après, il m'a rappelé pour m'informer qu'il venait visiter, avec toute son équipe, le site de la Pierre attelée. Ils l'ont validé. En effet, ce site présentait l'avantage de disposer de deux bâtiments et d'une maison, contrairement à beaucoup de Cada actuels en France, où il n'y a qu'un seul bâtiment, ce qui rend difficile d'accueillir des femmes et des enfants, mélangés à des hommes seuls. L'existence de ces bâtiments faciliterait donc l'accueil des familles. Ils ont donc validé le site et les travaux, de même que l'État. Les travaux pouvaient donc démarrer très rapidement, en avril 2022.

La première difficulté pour ce Cada, qui correspondait, tout simplement, à une délocalisation dans un autre quartier, c'est que l'État et ses représentants ne souhaitaient ni communiquer ni informer les habitants. Ils ont laissé la municipalité s'en charger, alors que c'était pourtant un projet de l'État. Nous avons donc organisé une réunion avec les parents d'élèves, la directrice de l'école et les différentes associations dont une qui, au sein de l'école, gère les accueils de loisirs sans hébergement. Nous les avons réunis de façon à les informer de ce projet le 5 octobre 2021, en mairie. Dès le lendemain, parce que nous savions bien que la nouvelle allait se diffuser à toute vitesse, nous avons distribué un flyer dans tout le quartier. Nous avons également publié des messages sur les réseaux et sur le site de la commune, ainsi que dans le bulletin hebdomadaire d'information Brév'Infos, sans oublier le magazine municipal de novembre-décembre 2021 et répondu pour l'écriture de nombreux articles de presse. Tout se passait alors bien, mais c'était la municipalité qui annoncait la nouvelle et qui a été chargée de l'expliquer à la population.

Au début de l'année 2022, nous avons constitué des groupes de travail, notamment avec l'association Aurore et le constructeur CISN, qui était chargé des travaux pour réhabiliter ce site et construire le Cada. C'est là que nous avons commencé à apercevoir quelques parents d'élèves et riverains qui contestaient un peu ce site, vu qu'il était à proximité de l'école. Ils ont créé le « Collectif pour la préservation de la Pierre attelée » et ont lancé une pétition, qui n'a fait que peu de bruit et dont le nombre de signatures n'a presque pas monté. Le permis de construire a été délivré à CISN le 10 janvier 2022. Le 7 février 2022, notre conseil municipal a validé à l'unanimité la vente du terrain à l'association Aurore. Le Collectif pour la préservation de la pierre attelée a déposé un recours gracieux contre le permis le 9 mars 2022, que nous avons rejeté le 22 mars. Il n'est pas allé plus loin et n'a pas déposé de recours auprès du tribunal administratif.

Bien sûr, les panneaux de chantier ont été régulièrement dégradés. En septembre 2022, les travaux ont débuté. Le 15 octobre 2022, une première manifestation, organisée par ce collectif, a réuni à peu près une quarantaine de personnes, dont la majorité provenait déjà de l'extérieur de la commune : à Saint-Brévin, il y a quand même relativement peu de personnes qui sont à l'extrême, et notamment l'extrême droite.

Très rapidement, ce collectif s'est aperçu que, avec quelques personnes, il n'allait pas faire bouger la mairie, d'autant que, je vous l'ai dit, le conseil municipal avait voté à l'unanimité. Le collectif a donc fait appel directement à l'extrême droite et à tous ses groupuscules. Le 11 décembre 2022, une nouvelle manifestation a réuni une centaine de personnes, avec toujours très peu de Brévinois, devant la mairie. Il y avait également une contre-manifestation, pilotée par l'association brévinoise qui s'était créée en 2016, justement pour aider les demandeurs d'asile. Cela a été assez bien géré par les forces de l'ordre, qui ont tout fait pour éviter que les deux groupes ne se rencontrent.

Lors de mes voeux à la population, j'ai rappelé que, même s'il ne s'agissait pas à l'origine d'un projet de la municipalité, mais que la vente du terrain avait été votée à l'unanimité, toute la municipalité soutenait le projet de Cada. C'est à partir de là que les problèmes ont commencé, avec différents articles sur les réseaux sociaux, des menaces et des intimidations. De nombreux articles ont été publiés sur un site intitulé « Riposte laïque », où nous étions mis en pâture en permanence, que ce soit moi, la directrice de l'école - elle était, en plus, une nouvelle directrice, ayant débuté à la rentrée de septembre - ou la présidente de l'association des parents d'élèves. Le tout avec des photos, bien entendu. Je ne vous dirai pas, ce matin, le détail de toutes les menaces et des différentes insultes.

Cela a continué. Nous avons alerté la gendarmerie, en leur demandant ce qui ce qu'ils pouvaient faire. La réponse, je vous la répéterai souvent, c'était toujours « la liberté d'expression » : donc, « on ne peut rien faire ». Quant aux manifestations, l'idée était que, puisqu'il y avait un projet un peu similaire à Callac contre lequel ils avaient gagné, à Saint-Brévin, ils allaient continuer à faire monter la pression.

J'ai reçu, à deux semaines d'intervalle, des tracts dans ma boîte aux lettres personnelle - pour bien montrer qu'ils savaient où j'habitais. Des tracts que je qualifierais d' « ignobles ». Je ne sais pas si vous vous souvenez, en 2004, un petit garçon, qui était dans une colonie à Saint-Brévin, avait été enlevé et retrouvé tué dans une mare à Guérande. Cela n'avait strictement rien à voir avec les migrants. Dans ce tract, j'avais la photo de ce petit garçon, avec un rappel de l'histoire. En dessous il était marqué : « Voilà ce qui risque de se passer à Saint Brévin avec 110 migrants » La semaine suivante, la même chose, avec la photo d'une petite fille. C'était encore plus horrible, parce qu'ils mettaient la photo « avant » et « après », toujours avec ce même discours, alors que cela renvoyait à une histoire qui ne s'était même pas passée en France. Voilà le type de tracts que j'ai reçus. Bien entendu, on a transmis cela à la gendarmerie. Toujours la même réponse : « liberté d'expression ».

Le 23 janvier, j'ai envoyé un courrier au préfet pour lui dire tout ce qui se passait, particulièrement toutes ces menaces. J'avais notamment reçu celle-ci : « ce ne sera pas une tarte à la crème, mais une tarte au plomb » Mon courrier au préfet avait pour objet de demander un soutien de l'État parce qu'on se sentait, au niveau de la commune de Saint-Brévin, démunis, seuls. Le courrier est revenu sans réponse.

En février 2023, nous avons organisé, comme à chaque fois en début d'année, l'accueil des nouveaux Brévinois. Bien entendu, on a retrouvé quelques membres du collectif, qui harcelaient les personnes qui ressortaient, avec également la distribution d'un tract haineux. Les personnes qui ne souhaitaient pas prendre leur tract étaient insultées. Ils ont aussi distribué, à plusieurs reprises, des tracts sur le marché de Saint-Brévin. Et le pire : ils ont distribué, un jour, des tracts à l'entrée de l'école. Saint-Brévin est une commune très plate, où tout est fait pour faire du vélo. Nous avons donc beaucoup d'enfants qui se rendent à l'école, notamment en primaire, à vélo, sans toujours être accompagnés par leurs parents. Et ce collectif a distribué ses tracts, bien entendu aux parents qui accompagnaient les enfants, mais également aux enfants qui venaient seuls. En fait, les tracts étaient mis directement dans leur cartable. Nous l'avons signalé à la gendarmerie, qui était présente sur les lieux, mais qui ne les a pas empêchés de distribuer ce tract. Elle les a laissé faire.

Beaucoup de parents d'élèves se sont aussi sentis menacés puisque, par l'association de parents d'élèves, ils avaient récupéré les adresses mail des parents et ont harcelé, dans leur boîte mail, tous ceux qui ne les suivaient pas. Nous avons donc organisé, le 27 janvier, une réunion avec les parents d'élèves pour essayer de rassurer un peu tout le monde. Nous avons convoqué, à cette réunion, un lieutenant de gendarmerie, pour que les personnes se sentent rassurées et puissent lui poser toutes leurs questions. Mais la réponse était toujours la même : de toute façon cela ne sert à rien de déposer plainte, nous ne ferons rien, c'est la liberté d'expression. Le tract : liberté d'expression, on ne peut rien faire contre.

Le 7 février 2023, le conseil municipal a été envahi par les membres de ce collectif : encore une fois, très peu de Brévinois, surtout des personnes extérieures. Nous avions prévu de faire voter une motion pour condamner les menaces sur les différentes personnes, que ce soit les élus, les membres de l'association des parents d'élèves et la directrice de l'école. Cette motion a été, bien entendu, votée à l'unanimité. Pendant ce temps, toutes ces personnes assistaient à ce conseil municipal. Nous avions quand même prévenu la gendarmerie, en cas de coup de chaud, de façon à pouvoir les évacuer, mais je pense qu'ils n'attendaient qu'une chose : que je demande le huis clos. Comme ils n'ont fait aucun bruit, ils sont restés et ont assisté à toute la réunion du conseil municipal, je n'ai pas pu les évacuer.

Une autre réunion a été organisée trois jours après, le 10 février, avec le commandant de gendarmerie qui commande tout pays de Retz, notamment les gendarmeries importantes de Saint-Brévin et de Pornic. Nous avions également convié le sous-préfet à cette réunion, à laquelle j'étais avec ma première adjointe qui, elle aussi, avait pris pas mal de coups par Riposte laïque, et mon adjointe aux affaires scolaires, qui puisqu'elle s'occupait des écoles, avait aussi été confrontée à ce collectif. Lors de cette réunion, nous avons rappelé au sous-préfet tout ce qui s'était passé. Et je peux vous assurer qu'on a été très surpris : le sous-préfet nous a tout simplement dit : « Les menaces, vous savez, j'en ai tous les jours » Le commandant de gendarmerie nous a dit que ce n'était pas grand-chose, simplement des menaces, de l'intimidation, et que cela ne servait à rien de déposer plainte. De toute façon, il ne pourrait rien faire : c'était la liberté d'expression.

On a toujours entendu ce leitmotiv de liberté d'expression, aussi bien par la gendarmerie que par le sous-préfet. Quand ils sont repartis de cette réunion, avec mes deux adjointes, nous étions un peu dépités, un peu choqués, en fin de compte, par ce que nous avions entendu. C'est alors là que nous nous sommes aperçus que nous nous retrouvions totalement démunis, seuls, abandonnés par les services de l'État, et que nous allions devoir continuer à affronter la montée en puissance de ce collectif. En fin de compte, il ne représentait même plus Saint-Brévin, mais toute l'extrême droite et ses groupuscules.

À la suite de cette réunion, le 15 février, j'ai envoyé un courrier à la procureure de la République pour dénoncer tous ces faits. Nous avons repris toute la liste, toutes les menaces, toutes les insultes, tout ce qui s'était passé. Nous avons aussi rappelé le manque de soutien de l'État. Nous n'avons reçu aucun courrier de retour de la procureure.

C'est important, toute cette chronologie, c'est peut-être un peu long, mais cela vous permet de voir comment cela s'est passé.

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - C'est utile.

M. Yannick Morez. - Le 25 janvier 2023, dans l'après-midi, a été organisée, par le même collectif, une manifestation. Voici la manipulation : parmi ceux qui déclaraient la manifestation, très souvent, il y avait un Brévinois et deux autres personnes qui étaient en dehors de Saint-Brévin. 250 personnes sont venues et ont bloqué la ville, les commerces et ont causé des dégâts, puisque, bien entendu, qui dit manifestation d'extrême droite dit, en face, une ultragauche qui appelle à venir, tout simplement pour se taper dessus. On n'avait jamais vu ça à Saint-Brévin. Le matin, avait été organisée, par les associations qui soutiennent le projet, une contre-manifestation, qui avait réuni pratiquement 1 300 personnes. Elle avait eu lieu le matin pour éviter la confrontation avec les agressions de l'extrême droite et de l'ultragauche.

Le 18 mars avait lieu la cérémonie publique de commémoration de la catastrophe du Boivre. Saint-Brévin fait partie de la poche sud de Saint-Nazaire. Dans cette catastrophe, en 1945, une vingtaine de personnes sont décédées dans une explosion. Il y a donc un monument autour duquel on fait chaque année cette commémoration. Je suis à chaque fois présent à toutes ces cérémonies patriotiques, et les gendarmes sont prévenus. Ce 18 mars, après la cérémonie, il y avait un verre de l'amitié, justement, puisque ce n'est pas très loin, dans une salle de l'école de la Pierre attelée. Et je les ai vus arriver. Je me suis trouvé entouré par six ou sept membres de ce collectif, je ne pouvais même pas partir. Il y a eu des échanges. Durant l'entretien, ils m'ont demandé d'essayer de les aider à obtenir un rendez-vous avec le préfet. Je me suis donc engagé à le faire. À plusieurs reprises, certains m'ont demandé si je dormais bien et ils m'ont même raccompagné jusqu'à mon véhicule. C'était le 18 mars.

Le 22 mars, dans la nuit, entre 4 heures et demie et 5 heures du matin, j'ai été victime d'un attentat criminel. Un engin explosif a probablement été lancé ou mis entre mes deux véhicules, qui ont pris feu. L'incendie s'est propagé à mon domicile. Nous étions dans la maison. Heureusement, nous avons été réveillés par les bruits et par trois personnes qui revenaient de leur travail chez Airbus à Saint-Nazaire. Voyant les flammes, elles ont appelé les pompiers, qui nous ont aidés à sortir de la maison, puisque tout était en train de brûler. Le jour de l'incendie, ce mercredi 22 mars, j'ai eu, bien entendu, plusieurs coups de fil. J'ai eu un coup de fil de la procureure, qui m'a appelé pour m'apporter son soutien. Elle n'avait toujours pas répondu au courrier précédent. J'ai eu un coup de téléphone de le sous-préfet, qui m'a aussi apporté son soutien. Et puis un appel téléphonique également dupréfet des Pays de la Loire, Fabrice Rigoulet-Roze, qui était préfet depuis assez peu de temps, et qui m'a également apporté son soutien.

Deux jours plus tard, le vendredi, lors d'une interview avec la presse, j'ai essayé de dire ce manque de soutien de l'État. Seulement, j'ai été coupé par la presse, ce passage n'a pas été diffusé. De colère, j'ai donc envoyé un courrier à Olivier Véran. Il m'avait appelé le jour même, c'est le seul ministre à l'avoir fait. J'ai donc décidé de lui écrire, en envoyant une copie de mon courrier à Gerald Darmanin, au préfet, au sous-préfet et, également, au Président de la République. Deux jours après l'incendie, le sous-préfet est allé couper un ruban à Pornic. Pour ceux qui ne connaissent pas, pour aller à Pornic, quand on vient de Saint-Nazaire, on franchit la Loire par le pont, donc on traverse obligatoirement ma commune de Saint-Brévin. Cela aurait été moindre des choses, un peu d'humanité, qu'il s'arrête dans la commune pour me demander des nouvelles. Eh bien non, il ne s'est même pas arrêté, il est allé couper son ruban à Pornic.

J'ai alors reçu un courrier d'Olivier Véran qui ne répondait pas aux questions que je lui transmettais dans le mien. J'ai également reçu un courrier du Président de la République, Emmanuel Macron, qui m'assurait de son soutien. Mais, bien entendu, il ne répondait pas non plus aux questions de mon courrier, justement sur le fait qu'il n'y avait eu aucun soutien de l'État.

Le 4 avril 2023, j'ai également été auditionné par la commission des finances de l'Assemblée nationale sur la loi sur l'immigration. Cette audition avait été prévue avant l'incendie. Je me suis retrouvé en visioconférence avec le maire de Bélâbre, à qui on a aussi imposé un Cada, mais il a, lui, la chance d'avoir un soutien du sous-préfet et du préfet. On a pu discuter ensemble : il était surpris du fait que je n'avais vraiment aucune relation avec le préfet et le sous-préfet, alors que lui les avait pratiquement tous les jours au téléphone.

Début avril, on a reçu une lettre du maire de Fameck, un courrier officiel. C'était une lettre d'insultes : vous l'imaginez bien, j'ai trouvé cela un peu curieux, venant d'un collègue maire. Nous l'avons donc appelé : en fait, c'était tout simplement une usurpation d'identité. Quelqu'un de sa commune avait pris du papier à en-tête, avait recopié sa signature avec le cachet et une enveloppe de la commune, et cela m'avait été adressé. Bien entendu, il a déposé plainte aussitôt.

Le 7 avril, j'ai écrit au sous-préfet pour lui demander une protection renforcée, puisque sur les réseaux sociaux commençait à circuler l'organisation d'une nouvelle manifestation prévue pour le 29 avril. Vu ce qui s'était passé, je n'avais pas envie de subir de nouveau des violences. Le sous-préfet m'a répondu le 13 avril qu'il allait faire une évaluation des risques sur ma personne. Voilà la réponse que j'ai eue ! Et puis, pas de nouvelle. Il a donc fallu que je le relance par mail le 25 avril. Le sous-préfet, le 28 avril, donc la veille de cette manifestation, m'a répondu que l'évaluation des risques était toujours en cours. Elle l'est encore actuellement...

Le 7 avril, j'ai été invité au Pouliguen par notre ami Joël Guerriau, qui organisait une réunion sur les violences envers les élus, justement pour expliquer la situation et pour évoquer une nouvelle fois auprès du sous-préfet, qui était présent à cette réunion, le manque de soutien. Deux collègues maires étaient également présents, dont ma collègue maire de Vue, une commune à proximité de Saint Brévin, dont le jugement de son prédécesseur, qui la harcelait en permanence, a eu lieu en début de semaine - il a été condamné.

Pour cette manifestation du 29 avril, nous étions aperçus, sur les réseaux sociaux, qu'était appelée à manifester, comme ce que nous avons vu à Paris ces derniers jours, toute une formation néonazie de Rennes. Plus de 100 personnes devaient venir à Saint-Brévin. On annonçait également, bien entendu, la présence de toute l'ultragauche du pays de Retz et de la région nantaise, qui appelait aussi à manifester, tout simplement pour venir se taper dessus. Le 17 avril, j'ai fait un courrier au préfet en lui précisant toutes ces informations pour lui dire que la manifestation allait entraîner des troubles à l'ordre public et lui en demander l'interdiction. Pas de réponse.

Le 25 avril, nous avons fait une relance. La veille de la manifestation, le sous-préfet m'a envoyé un mail disant qu'il ne pouvait pas l'interdire pour des raisons juridiques. Je l'ai reçu le matin. L'après-midi, on découvrait que le préfet de Paris interdisait la manifestation autour du Stade de France. Deux poids, deux mesures. Même s'il y a eu un recours s'agissant de la manifestation francilienne, nôtre préfet ne pouvait pas l'interdire juridiquement. Quelques jours après la manifestation, j'ai bien sûr renvoyé un courrier au préfet lui disant ce qui s'était passé. Nous l'avions averti. C'était le week-end de trois jours du 1er mai.

La ville de Saint-Brévin et ses commerces ont subi des dégradations. On est une station balnéaire, beaucoup de monde s'y promène, et un grand nombre de nos commerces de centre-ville ont été obligés de fermer pratiquement toute la journée. Les dégradations, cela a également fait peur à beaucoup de Brévinois : dans une petite commune normalement tranquille, quand vous voyez arriver 100 jeunes cagoulés et tout de noir vêtus dans le centre-ville, vous rebroussez chemin. Une voiture et des poubelles ont brûlé, il y a eu pas mal de dégâts. Dans ce courrier, j'indiquais donc également au préfet qu'on allait répertorier toutes ces dégradations, et qu'on allait lui envoyer la facture. Nous savions très bien qu'il n'y participerait pas, mais c'était purement symbolique. On allait également faire chiffrer le manque à gagner par nos commerçants qui ont été obligés de fermer. Bien entendu, je n'ai reçu à ce jour aucune réponse à ce courrier. Il n'y a même pas eu d'arrestation, que ce soit d'un côté ou de l'autre, de l'ultradroite ou de l'ultragauche, rien. Ces manifestants sont repartis tranquillement chez eux après avoir cassé.

J'ai eu le rapport de la gendarmerie : 98 grenades lacrymogènes ont quand même été lancées. Dans une petite ville comme la mienne, cela paraît phénoménal. J'ai écrit, le 30 avril, au préfet pour lui dire son absence de soutien et lui demander le remboursement de tous ces dégâts.

Voyant cela, j'ai eu une longue discussion avec ma famille. Vous imaginez que c'est très difficile de continuer à vivre ça. Il y a deux semaines, lors du week-end du 8 mai, mon fils, qui habite Paris, est venu passer trois jours à Saint-Brévin. Nous étions à la terrasse d'un café le dimanche midi, donc en public. Une personne de ce collectif, qui avait bien entendu des idées d'extrême droite, s'est dirigée vers moi. Je l'avais vu arriver, mais j'avais tourné la tête pour ne pas le fixer du regard. Il est venu directement vers nous en m'insultant, en me disant : « t'as pas fini de foutre le bazar à Saint-Brévin avec tes migrants ? ». Tout en continuant à m'insulter, il a essayé de faire croire à tout le monde que c'était moi-même qui avais mis l'incendie à mes deux véhicules et à ma maison. Il a fini par partir.

J'ai donc relaté cet épisode à la presse pour expliquer pourquoi on ne voulait plus vivre ça. Ma femme ne veut pas non plus rencontrer ce genre de personne. C'est donc la raison pour laquelle j'ai décidé de démissionner de ma fonction d'élu et de quitter cette ville, qui m'avait accueilli il y a trente-deux ans.

J'ai envoyé ma démission au préfet le mardi qui a suivi. Il m'a appelé le lendemain. Nous avons discuté. Je lui ai dit que je n'avais pas senti le soutien de l'État, sa réponse a été que si, il m'avait soutenu. Lorsqu'il y a eu des manifestations, il avait tout fait, avec trois compagnies républicaines de sécurité (CRS) pour éviter les dégâts. Il avait envoyé également un sous-préfet d'astreinte, et la procureure était présente sur site. « J'ai agi » : voilà sa réponse.

Le préfet a écrit dans la presse qu'il m'avait eu régulièrement au téléphone... Il faut savoir que ce jour-là, après que j'ai remis ma démission, c'était la deuxième fois que je l'avais au téléphone. La première était le jour de l'incendie. Quant au le sous-préfet, je l'ai eu au téléphone, comme je vous l'ai dit, le jour de l'incendie. Depuis, plus jamais.

Voilà la chronologie de tout ce qui est arrivé. C'est pour cette raison que le manque de soutien de l'État que j'ai évoqué est flagrant. Surtout, quand je vois tous les messages de soutien que j'ai reçus.

Il y a quand même des Cada qui s'implantent un peu partout. Je m'aperçois que mes collègues maires ont des relations importantes avec les préfets et les sous-préfets, qui viennent faire des réunions publiques pour expliquer ce que c'est qu'un Cada à la population. Alors que nous, nous n'avons pas eu ce genre de choses.

Un autre fait également désolant : vous avez dû voir la communication du préfet après ma démission. Je ne m'attendais pas à ce que cela fasse de tels remous. Quand il dit qu'il a organisé des réunions publiques... De la part d'un préfet, mentir effrontément en public, c'est quand même important. Il représente l'État. Il sait très bien qu'il n'a pas organisé de réunions publiques, on a toutes les preuves. Il suffit de lui demander la date, il ne pourra pas en fournir. Il n'en a pas fait.

Donc voilà, résumée chronologiquement, toute mon histoire à Saint-Brévin. Ce qui est amusant, parce que je pense qu'il y a dû y avoir des retombées, c'est que certains ont dû se faire taper sur les doigts. Je vous ai raconté l'histoire avec ma famille, il y a deux semaines, et je l'ai raconté à la presse pour expliquer pourquoi je souhaitais quitter la commune. La gendarmerie m'a appelé en disant que je n'avais pas déposé de plainte... J'ai donc porté plainte. Ces jours-ci, ils ont même entendu ma femme, qui était présente hier également, et qui a porté plainte. Et je me suis aperçu, en allant signer ma plainte hier à la gendarmerie, qu'ils étaient en train de travailler sur les tracts haineux. D'un seul coup, maintenant, on peut faire quelque chose...

C'est aussi le cas pour le directeur de publication du site « Riposte laïque ». Quand on le leur avait dit, on nous avait répondu que c'était un site, qu'on ne pouvait rien faire. On a appris qu'ils étaient en train de monter tout un dossier pour le transmettre au procureur. Sur d'autres choses également, notamment sur les tracts que j'ai reçus, c'est pareil, ils sont en train de monter tout un dossier. C'est curieux... Des mois après, il a fallu qu'il arrive quelque chose pour que, d'un seul coup, on prenne conscience que rien n'avait été fait et que la liberté d'expression avait ses limites. Maintenant, cela bouge, mais un peu trop tard, je pense. (Mmes et MM. les sénateurs applaudissent)

M. Mathieu Darnaud, rapporteur de la mission d'information sur l'avenir de la commune et du maire en France. - Je vous apporte à mon tour mon soutien et vous remercie de votre propos, poignant et désarçonnant. Ce sujet, la confrontation des élus à la violence, est au coeur des travaux de notre mission d'information. Nous imaginons ce que vous avez dû revivre en nous relatant ces faits.

Vous avez fait état de l'ensemble de vos saisines des autorités de l'État, préfet et sous-préfet. Ce n'est que récemment que la gendarmerie vous a invité à porter plainte. Aviez-vous déposé une main courante ? Était-ce le cas d'autres élus municipaux ?

Vous avez aussi mentionné une confrontation directe entre les habitants de votre commune et des membres du collectif, qui vous ont interpellés. Y a-t-il eu un contact avec le préfet à la suite de cet épisode ? L'État a-t-il cherché à entrer en contact avec ces personnes, notamment pour expliquer les raisons de la décision relative au Cada ?

Enfin, au-delà des témoignages de sympathie et de soutien, avez-vous fait une demande de soutien psychologique ? En avez-vous ressenti le besoin, notamment face au sentiment de solitude ?

M. Jean-François Rapin. - Bravo pour votre expression des choses, dans le calme, alors qu'on ressent en vous une émotion très forte, celle de quelqu'un qui a été bafoué. Vous exercez une noble profession, qui se raréfie parfois. En tant que confrère médecin, quel a été le ressenti de votre patientèle ?

Ensuite, je me souviens d'une question de Laurence Garnier, en séance publique, sur votre problème particulier : en avez-vous eu un retour ? Votre député, élu de la majorité, est-il intervenu sur ce sujet ? On peut s'étonner qu'il n'y ait pas eu un soutien plus fort.

Je constate, en tout cas, que nous sommes face au tonneau des Danaïdes à tous les niveaux : sécurité, probité, justice. Vous n'avez eu aucune réponse, et le château de cartes s'est écroulé avec votre démission.

M. Philippe Bas. - Je suis profondément indigné par les défaillances qui émaillent votre chronologie méthodique, d'autant plus que voilà maintenant cinq ans, après la mort brutale du maire de Signes, Jean-Mathieu Michel, notre consultation auprès des maires de France a révélé l'ampleur du phénomène, à la suite de laquelle nous avons formulé des recommandations dont certaines ont été reprises dans la loi.

La démocratie repose sur le fait que tout citoyen puisse devenir maire. Cependant, il n'y a pas d'école des maires. Nous demandions donc que, à chaque menace, insulte ou agression, soit immédiatement créée une cellule de crise pilotée par le préfet, demandant elle-même les poursuites pénales, afin que le maire ne soit pas seul. Les préfets et les procureurs de la République avaient reçu, à l'époque, des instructions ministérielles. Or nous constatons que nous restons à la situation antérieure. Ce n'aurait pas dû être à vous de prendre des initiatives, d'autant que l'État était concerné au premier chef, avec la création d'un Cada. C'est scandaleux de bout en bout.

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - J'ai entre les mains les deux courriers de réponse du garde des Sceaux et du ministre de l'Intérieur, datés du 7 avril et du 6 mai 2021. Ces engagements sont manifestement non tenus.

M. Loïc Hervé. - Nous sommes stupéfaits. Il y a une dizaine d'années, là aussi pour la mise en place d'un Cada, je m'étais retrouvé dans une sitution similaire, et j'avais bénéficié d'un soutien bien plus important du préfet et de la gendarmerie face à une situation qui mettait ma famille en danger.

Au-delà du manque de soutien, la non-association d'une ville comme la vôtre aux décisions touchant à l'accueil des demandeurs d'asile ne vous place-t-elle pas dans le mauvais rôle ? Cela vaut pour cette politique comme pour d'autres. Les lois reposent sur des êtres humains chargés de les appliquer : il faut un bouleversement de l'administration déconcentrée de l'État.

Enfin, j'ai une dernière question : votre décision est-elle irréversible ?

M. Patrick Kanner. - Vous êtes devenu un symbole défendu, à juste titre, par tous les maires de France. La foudre est tombée sur vous, la même que beaucoup de maires cherchent aujourd'hui à éviter. Représentant de vos concitoyens, vous êtes aussi, en tant que maire, un agent de l'État.

J'ai été choqué de lire, ce matin, que le préfet devait s'opposer à votre décision dans l'attente de votre rendez-vous de ce soir avec Mme la Première ministre. Je ne sais pas quels arguments de sa part pourraient vous convaincre de revenir sur votre décision, mais cela illustre la rupture de confiance entre le Gouvernement et les élus locaux. Avec le recul, quel message, en tant que représentants de la nation, pouvons-nous faire passer à l'exécutif ?

Je poserai une question à Mme la Première ministre sur votre situation cet après-midi, pour lui demander si elle a conscience de la situation. Dans mon département du Nord, le nombre d'élus locaux faisant part de leurs ras-le-bol est terrifiant et dangereux pour notre démocratie.

M. Hussein Bourgi. - Je souhaite exprimer trois sentiments. Tout d'abord, je vous remercie de votre présence et de votre témoignage, malgré l'épreuve que vous traversez avec votre famille, qui nous révulse. Ensuite, je me fais le porte-parole des maires de l'Hérault, qui vous apportent leur soutien et ne me parlent que de vous depuis quelques semaines. Enfin, nous sommes indignés par l'inaction de l'État : vous avez été victime d'une somme de lâcheté.

La Première ministre va vous recevoir : elle vous demandera sans doute de revenir sur votre démission. Je lui suggérerais d'abord deux annonces : vous présenter des excuses et limoger les hauts fonctionnaires censés représenter l'État dans votre département. La somme de leurs défaillances frise l'incompétence. On ne peut laisser des élus et des habitants livrés à de tels représentants.

Enfin, quelle est la nature du soutien de la part d'élus, nationaux ou locaux, dont vous avez bénéficié depuis l'annonce de la création du Cada à celle de votre démission ?

Mme Françoise Gatel. - Je veux vous dire mon admiration pour la manière dont vous vous adressez à nous, avec une sincérité et un sens des responsabilités qui nous impressionnent. Vous nous décrivez la tragédie de dérapages incontrôlés vous amenant à quitter la ville que vous servez. Nous vivons la conséquence de la faillite d'une chaîne de responsabilité, de l'abandon de l'État qui ordonne, mais laisse le maire exécuter seul.

Nous vous devrons sans doute la prise de conscience que, partout, l'État doit être à vos côtés, car vous incarnez les valeurs de la République. La preuve, vous êtes transformé en bouc émissaire de la violence et de l'abandon de l'État.

Mme Cécile Cukierman. - À mon tour, je vous apporte notre soutien, mais vous dis aussi ma stupéfaction à l'écoute de votre témoignage. Sans que cela ne change rien à ce que vous avez subi, cela ne se passe pas heureusement toujours ainsi dans d'autres départements, sans quoi bien plus de 1 000 maires auraient déjà démissionné depuis le début du mandat. Nous prenons conscience, avec votre témoignage, d'une défaillance en cascade qui nous interpelle fortement. In fine, votre vie, celle de votre famille, ne connaît pas une fin dramatique, mais tout est imaginable.

Sans polémiquer, n'y a-t-il pas eu une sous-estimation des menaces à votre égard ? Ce n'était pas le fait de quelques individus. Dans votre cas, il y avait bien une organisation et une mobilisation de l'extrême droite à votre encontre. Chaque situation est unique, mais les cas se multiplient. Quand il n'y aura plus de maire, la démocratie sera à terre.

M. Jean-Michel Arnaud. - Je crains que votre situation ne soit pas isolée. Nous recevons régulièrement des témoignages, liés à des projets spécifiques ou à une ambiance générale, dans ce pays, d'attenter aux figures d'autorité et à leurs familles. J'ai une pensée pour celle du Président de la République : ce qui est arrivé aujourd'hui est dans un contexte différent, mais de même nature.

Comment la République fait-elle face à votre situation ? Il y a dix ans, avec l'association départementale des maires des Hautes-Alpes, nous avons créé une assistance juridique, et nous sommes l'une des premières à avoir conventionné avec un psychologue pour accompagner les maires, sur ce plan. Quand le maire lâche, c'est souvent pour protéger sa famille, qui elle n'a pas choisi l'engagement de l'élu.

S'agit-il, selon vous, d'une chaîne de défaillance individuelle, ou un déficit de la réponse institutionnelle ?

Enfin, vous avez subi du harcèlement sur les réseaux sociaux de la part de groupes organisés. Qu'en pensez-vous ? Bien souvent, nous sommes à portée de connexion de tout ce qui fait que la petite République qu'est la commune est bafouée. Il faut une réponse forte au harcèlement.

M. Joël Guerriau. - Le 7 avril, lorsque j'avais organisé cette réunion autour de la violence faite aux élus, presque une cinquantaine, pour la plupart des maires, étaient présents. Cher Yannick Morez, votre présentation du tract que vous avez décrit tout à l'heure m'avait marquée : elle était le témoignage d'une violence extrême touchant nos proches. Or, c'est lorsque ceux-ci sont touchés que nous sommes amenés à une décision telle que la vôtre. Elle est difficilement réversible, car on ne peut, par son engagement, mettre sa famille en danger.

Je ne comprends pas l'absence de réaction des forces de l'ordre face à des menaces odieuses et inacceptables. Comment vos proches l'ont-ils vécue ?

Mme Catherine Belrhiti. - Je vous remercie et vous félicite pour votre courage : vous dénoncez le sentiment, devenu général chez les maires, de l'abandon de l'État. Dans mon département de la Moselle, face à une dizaine de cas similaires, la réponse de la justice est très légère. Vous souhaitez une prise réelle de conscience de l'État : j'espère que cela servira.

Le 13 avril dernier, quand je l'ai interpellée, la ministre Dominique Faure m'annonçait des mesures, mais je crois que rien n'a été fait. Cela renvoie à l'incapacité chronique de réaffirmer l'autorité dans notre pays.

La justice a-t-elle des réponses à la hauteur contre ces agresseurs ?

M. Éric Kerrouche. - Vous êtes devenu un symbole, presque à votre insu. Votre situation est difficile.

Il y a plusieurs problèmes dans votre cas, avec la recrudescence des actions de l'extrême droite et de l'ultradroite en France, à Callac, à Lille, avec le bar La Citadelle, ou encore à Lyon. Peut-on avoir trop de complaisance politique ? Ne faut-il pas réagir à ces exactions qui remettent en cause la démocratie locale, comme chez vous ?

Ensuite, cette protestation extrémiste s'est incarnée contre vous et votre équipe. Nous en arrivons à la protection et au statut des élus, pour qu'ils ne soient pas seuls face à ces situations. C'est précisément l'histoire de la solitude que vous avez décrite par rapport à un État qui n'a pas répondu comme il aurait dû le faire.

Selon vous, quelle réponse a manqué ? De quoi auriez-vous eu besoin pour affronter cette situation avant qu'elle ne déborde sur votre vie privée et votre famille ?

M. Jean-Pierre Sueur. - Ce que vous avez décrit est bien plus éloquent que de grandes déclarations, parce que nous avons vu votre vécu. Mais notre soutien n'a de sens que si les choses changent. À la mort du maire de Signes, nous disions : « Plus jamais ça ! » Que s'est-il passé ?

On ne traite pas les dossiers à cause d'une routine, entre la crise des « gilets jaunes », les manifestations contre les retraites, etc... Or face à la question du droit d'asile, honneur de la République, un racisme banal se développe très rapidement, honte pour la France. Il faut un changement de cap pour que le moindre fait soit traité, plutôt qu'un empilement des dossiers. Il aurait fallu un coup d'arrêt.

À cet égard, j'ai été frappé quand, à l'Assemblée nationale, presque tout le monde s'est levé pour vous applaudir : certains sont restés assis face à la violence faite à un maire qui applique la loi de la République, qui est d'accueillir ceux qui sont persécutés.

Cela n'aura de sens que si cette République connaît un sursaut pour agir dès le premier tract, le premier papier. Comment l'incendie n'a-t-il pas suscité de réaction plus forte ? Notre soutien est le devoir de demander le changement.

Mme Valérie Boyer. - Je vous dis à mon tour tout mon soutien. À peine élue sénatrice, j'ai entendu un ministre proposer le hashtag #BalanceTonMaire, ce qui a créé un climat particulièrement délétère.

Nous avons tous été confrontés à la violence dans nos fonctions : nous assistons à la contestation de tout ce qui ressemble à une figure d'autorité ou de réussite, pour faire plier la République. Il y a quelques semaines, sur l'initiative du président de l'association des maires et de la présidente du département des Bouches-du-Rhône, nous avons réuni tous les maires et les parlementaires du département, mais aussi les représentants de l'État. De nombreux maires y ont évoqué la question des violences : ils ont été incités à porter plainte. Or vous êtes devenu le symbole des défaillances de la République, mais aussi du courage des élus.

Pensez-vous que l'inaction est liée à l'affaissement de la réponse publique et des services publics ? Que faudrait-il pour assurer une réponse effective et efficace ?

M. Yannick Morez. - Oui, certaines personnes ont réussi à porter plainte, notamment la directrice de l'école et la présidente de l'association des parents d'élèves. En fait, on leur a demandé à tout prix de le faire parce qu'elles ne se sont pas des élues, et qu'elles devaient assumer leur rôle de directrice d'école et à l'association des parents d'élèves. Je dirais donc qu'on les a aidées, et leur plainte a été enregistrée.

Tout à l'heure j'ai dit que le collectif m'avait demandé à tout prix de les aider pour obtenir un rendez-vous avec le préfet. Il a fallu que je le relance plusieurs fois, parce qu'il n'y avait pas de suite. La veille de la dernière manifestation, j'ai reçu un mail m'informant qu'ils avaient été reçus quelques jours auparavant par le secrétaire général de la préfecture.

Vous m'avez posé plusieurs questions sur l'aspect psychologique. J'ai beaucoup de chance, car je n'ai pas du tout un tempérament anxieux. Je subis les attaques, les menaces ou les insultes sans problème. Mais là, quand même, j'ai pris un coup sur la tête, le jour où c'est arrivé. Le matin même, je me demandais si ce n'était pas un cauchemar. Quand je me suis retrouvé, à 5 heures, du matin avec mon épouse, en train de voir mes voitures et ma maison brûler... On se sent complètement démuni. En plus, à cette heure-là, les pompiers ne mettent pas de sirène pour éviter les nuisances. Je peux vous assurer qu'on trouve le temps vraiment très long.

Le soutien psychologique, je pense qu'il peut être utile. J'ai vu, au sein même de mon équipe, que cela n'a pas été facile pour tous les élus. J'ai la chance d'avoir une équipe très soudée, mais il y en a un certain nombre à qui cela faisait peur, qui ne le vivaient pas très bien. Donc j'étais là pour essayer de leur remonter le moral et de maintenir toute l'équipe. Je pense que cela aurait été plus difficile pour certaines personnes. Probablement, des maires auraient démissionné avant. Un soutien psychologique peut être proposé pour essayer de pallier ces difficultés.

Ma patientèle a été un soutien total. Bien entendu, je ne pouvais pas tout raconter : vu le manque de médecins, même dans les communes comme la mienne, on n'a pas le temps de discuter trop longtemps avec les patients. Mais il y avait quand même un soutien important, notamment au niveau de ce projet de Cada, puisque tous les Brevinois, mes patients aussi donc, ont vécu ces manifestations. En fin de compte, ceux qui y étaient opposés étaient vraiment une toute petite minorité, quelques personnes, puisque tous ceux qui manifestaient venaient hors de la commune. Lorsque la contre-manifestation a été organisée, beaucoup de Brévinois, dont certains de mes patients, y ont participé. De ce côté-là, il n'y avait pas de difficulté.

Vous m'avez posé une question importante sur le soutien ou non du député, mon prédécesseur. En 2017, c'est lui qui m'avait demandé de prendre la suite. On a eu quelques petits différends sur la commune, et en 2020, quand j'ai décidé de me représenter, il s'est inscrit sur une liste opposée. C'était son droit, bien entendu.

Le jour de l'incendie, il ne m'a pas appelé. J'ai eu droit au communiqué officiel qu'il a mis sur les réseaux. Mon prédécesseur était pharmacien à Saint-Brévin. Pendant trente-deux ans, en exerçant, j'ai eu des relations régulières avec lui jusqu'à ce qu'il arrête sa profession de pharmacien. J'achetais mes fournitures médicales dans sa pharmacie. Là, le côté humain, je ne l'ai pas vu. Il y a deux ou trois semaines, nous avons inauguré un nouvel établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) dans ma commune. Le directeur du département a pris de mes nouvelles, le vice-président du département aussi. M. le député, qui était présent et que je n'avais pas vu depuis longtemps, ne m'a même pas demandé de nouvelles. Depuis, pas un mot. Je sais qu'il est intervenu hier lors des questions d'actualité à l'Assemblée, mais bon... Je n'en dirai pas plus.

Ma décision est-elle irréversible ? Vous savez, depuis le 22 mars dernier, j'ai pris le temps de réfléchir, avec mon épouse et mes enfants, même si ces derniers ne vivent plus à la maison, de façon à ne pas prendre une décision trop rapide. Maintenant, mes enfants me disent de tout arrêter, ma femme ne veut plus rester à Saint-Brévin puisque, pour l'instant, l'auteur des faits n'est toujours pas arrêté. Elle me dit que, quand elle fait les courses, elle le croise peut-être. Ajoutez à cela ce qui s'est passé le week-end dernier, ma décision est prise et je ne reviendrai pas en arrière. J'avais un autre projet, que nous avions construit avec mon épouse, mais que nous avions prévu de réaliser en 2026, puisque j'avais déjà décidé de ne pas me représenter à l'issue de mon troisième mandat. Ce projet, nous allons l'avancer et nous allons pouvoir en profiter.

Concernant les messages à faire passer à l'exécutif, quand j'ai eu le préfet au téléphone le jour de ma démission, je lui ai parlé du manque de soutien et de l'isolement que nous avons ressentis. C'est la raison pour laquelle j'avais évoqué dans mon communiqué le manque de soutien de l'État. Ce que je lui ai dit c'est qu'il y a sûrement des choses à faire. Quand il a été nommé préfet, il aurait peut-être pu organiser, à l'échelle de la Loire-Atlantique, une réunion pour se présenter et rencontrer les différents maires. Je sais bien qu'il ne peut pas se rendre dans toutes les communes, mais vu ce qu'on subissait, il aurait pu faire en sorte qu'on ait plus de relations, ne serait-ce que par des coups de téléphone et des courriers. Il y avait probablement un gros problème de communication entre le sous-préfet, le préfet et les collectivités territoriales, alors que dans d'autres départements, ce n'est pas du tout le cas. Dans d'autres départements, il y a une vraie relation entre les maires et le préfet, surtout qu'on a souvent entendu dire que le couple important, c'était le couple préfet-maire. Le couple préfet-maire, là, on ne peut pas vraiment dire que je l'ai connu.

Si j'ai décidé d'aller jusqu'au bout et de venir devant vous ce matin, c'est parce que je n'ai pas envie que cela se reproduise. Je n'ai pas envie non plus que les autres maires qui m'ont adressé des messages et qui subissent eux aussi des violences verbales ou physiques vivent la même chose. Je crois qu'il faut que cela change. On s'aperçoit que malgré les différentes propositions de loi en lien avec ce sujet, rien n'a bougé.

Mon souhait, puisque certains ont dit que j'étais devenu un symbole, ce serait de terminer cette carrière politique en essayant d'avoir fait quelque chose et d'avoir fait bouger les lignes pour l'avenir et notamment pour les élus car on s'aperçoit quand même que les contraintes qui pèsent sur eux sont de plus en plus importantes. Qui est en contact avec les concitoyens ? C'est le maire qui est en première ligne et c'est lui qui doit défendre à tout prix les décisions de l'État. On sait très bien que ce n'est pas simple. Au tout début de mon intervention, j'ai cité le ZAN, je pense que cela va être difficile d'annoncer à certains citoyens que leur terrain n'est plus constructible et qu'on ne peut plus rien y faire.

Dans différents projets de l'État, est ce qu'il y a de la communication ? Pas forcément. Avec mon collègue Jean-Michel Brard, le maire de Pornic, nous avions organisé une conférence de presse parce que nos riverains nous disaient : « Arrêtez de bétonner, arrêtez de bétonner dans les centres villes ! », pour essayer d'expliquer justement à nos concitoyens que nous appliquons la loi. Au niveau de mon bulletin municipal, il y a aussi un dossier pour essayer d'expliquer les décisions, pour éviter d'être harcelé ou critiqué en permanence. Mais c'est vrai, il y a peut-être un manque de communication de la part de l'exécutif pour faire comprendre à nos concitoyens que ce n'est pas le maire qui est responsable, que lui malheureusement est obligé de subir, de faire appliquer la loi et d'essayer de faire comprendre ces différents messages auprès des concitoyens.

S'agissant du soutien des élus, puisque je suis également président de l'intercommunalité, nous sommes relativement soudés et tous mes collègues maires étaient avec nous. Vous avez dû entendre parler de la zone à défendre (ZAD) du Carnet. Cela concerne encore une fois un projet de l'État ; douze sites qui étaient prêts pour accueillir des projets industriels, dont un dans notre intercommunalité. Cette ZAD s'est installée, ce qui a entraîné des nuisances pour nos concitoyens qui habitaient à proximité. Nous n'arrivions pas à obtenir de rendez-vous avec Didier Martin, le prédécesseur de l'actuel préfet, pour connaître la date d'évacuation de cette ZAD. Nous avons donc décidé un jour - les six maires, la sénatrice Laurence Garnier et la conseillère départementale -, de nous rendre à la préfecture à Nantes avec nos écharpes, pour obtenir un rendez-vous avec le préfet. Nous n'avons pas obtenu gain de cause et on nous a envoyé la police, pour manifestation non-déclarée. Nous sommes rentrés dans nos territoires et avons appris l'après-midi par la presse que nous serions reçus par le préfet. Nous avons eu ce rendez-vous deux semaines après.

Encore une fois, même si cela n'avait rien à voir avec le CADA, cela montre bien qu'il y avait quand même un décalage entre les élus locaux et l'État. Pour six maires, une sénatrice et une conseillère départementale, envoyer la police pour manifestation non déclarée !

Concernant la sous-estimation des menaces, le sous-préfet et le commandant de gendarmerie nous ont dit, lorsque nous les avons reçus, mes deux adjointes et moi : « les menaces, c'est rien, nous aussi nous recevons des menaces ». Nous leur avons pourtant rappelé que l'affaire Samuel Paty avait commencé par des menaces sur les réseaux sociaux ; nous avons bien vu à quoi cela a abouti. Le sous-préfet nous a indiqué que cela n'avait rien à voir. Nous avons vraiment eu l'impression de ne jamais avoir été entendus, de ne jamais avoir été pris au sérieux.

Les réseaux sociaux, c'est une véritable catastrophe, il va falloir agir. On assiste à un déchaînement de haine : certaines personnes utilisent de faux profils et attisent la haine en permanence. On se trouve totalement démunis. Bien sûr, quand ces commentaires apparaissent sur le site de la commune, on peut les enlever, mais lorsqu'il s'agit de groupes sur les réseaux sociaux, on ne peut rien faire. Cette haine et cette violence sur les réseaux sociaux sont incroyables. Une réflexion doit être menée pour bloquer ce phénomène. J'ai l'impression que ce déchaînement de haine se diffuse au niveau de la population. Certaines personnes peuvent être amenées à passer à l'acte.

Nous n'avons pas obtenu de réponse à nos multiples tentatives formulées auprès du procureur de la République, même si celle-ci m'a appelé le jour de l'incendie. La semaine suivante, elle a préféré appeler mon directeur de cabinet pour lui annoncer qu'elle ouvrirait une information judiciaire sur les menaces proférées à mon encontre, alors qu'elle n'avait pas répondu au premier courrier dans lequel nous avions listé toutes ces menaces. Donc là aussi, il y a un décalage important entre les élus et la justice.

Ceux qui sont condamnés s'en sortent bien ; cela ne les empêche donc pas de recommencer, sans compter toutes les plaintes qui sont classées sans suite. Il faut sûrement agir pour bien montrer qu'on ne peut pas faire n'importe quoi, qu'on ne peut pas insulter ou agresser verbalement ou physiquement les élus qui sont là pour faire appliquer les lois.

L'inaction publique, je crois que je l'ai démontrée. Je n'y reviens pas.

Si j'ai décidé d'aller jusqu'au bout, c'est que j'espère que les choses bougeront. Je rencontre d'ailleurs ce soir la Première ministre, Élisabeth Borne, accompagnée de Dominique Faure, ministre déléguée chargée des relations avec les collectivités territoriales et de la ruralité. Au niveau des collectivités, des actions importantes doivent être menées pour les communes et pour les élus en général. Nous ne pouvons pas continuer comme cela.

Le taux d'abstention a fortement augmenté lors des dernières élections municipales de 2020. Beaucoup de petites communes n'ont pu présenter qu'une liste. Dans la commune de Corsept en Loire-Atlantique, près de Saint-Brévin, la liste a été déposée au dernier moment. Que va-t-il se passer en 2026 ? Avoir le choix entre plusieurs listes, c'est la garantie d'avoir un débat démocratique et des échanges. J'ai bien peur qu'en 2026, dans certaines petites communes, nous n'ayons pas de liste. Il va falloir prendre en compte cette non-participation et ce non-engagement des citoyens qui craignent parfois les conséquences d'un engagement politique. Nous devons les rassurer et ne pas leur montrer que le côté négatif des fonctions.

J'ai essayé de répondre à toutes les questions. Je vous remercie de m'avoir écouté, c'était très important pour moi d'être présent ce matin pour essayer de faire passer un message.

M. François-Noël Buffet, président.- Dans ce climat général de violences et d'intimidations, il y a une urgence à agir pour les élus locaux. Je tenais également à vous informer que dans le cadre du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2017, nous entendrons bientôt le garde des Sceaux. Cette audition sera l'occasion de revenir sur les relations entre la justice et les élus locaux. Nous souhaitons poursuivre notre travail pour comprendre ce qui s'est passé et mènerons pour cela de nouvelles auditions dans les prochaines semaines.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 13 h 05.