COMMISSION MIXTE PARITAIRE

Lundi 12 juin 2023

- Présidence de M. Guillaume Kasbarian, député, président -

La réunion est ouverte à 15 h 00.

Commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi maintenant provisoirement un dispositif de plafonnement de revalorisation de la variation annuelle des indices locatifs

Conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution, et à la demande de la Première ministre, une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte commun sur la proposition de loi maintenant provisoirement un dispositif de plafonnement de revalorisation de la variation annuelle des indices locatifs s'est réunie à l'Assemblée nationale le lundi 12 juin 2023.

Elle procède tout d'abord à la désignation de son bureau constitué de M. Guillaume Kasbarian, député, président, de Mme Sophie Primas, sénatrice, vice-présidente, de M. Thomas Cazenave, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale et de Mme Dominique Estrosi Sassone, sénateur, rapporteur pour le Sénat.

La commission mixte paritaire a ensuite procédé à l'examen des dispositions de la proposition de loi.

M. Guillaume Kasbarian, député, président. - Je rappelle que la proposition de loi maintenant provisoirement un dispositif de plafonnement de revalorisation de la variation annuelle des indices locatifs a été adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale le 31 mai, puis rejetée par le Sénat le 7 juin. Une commission mixte paritaire (CMP) n'étant pas une deuxième lecture, ce sont à la fois le texte adopté par l'Assemblée nationale et le rejet du Sénat qui servent de base à notre discussion. Il ne saurait y avoir d'accord partiel : le moindre désaccord conduit à constater l'échec de la CMP. Enfin, l'élaboration d'un texte par la CMP n'a de sens que s'il est susceptible d'être adopté par les deux assemblées.

La loi du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat avait mis en place un mécanisme de plafonnement des loyers afin de limiter l'impact de l'inflation sur les ménages et les petites et moyennes entreprises. L'objet des articles 12 et 14 de cette loi était ainsi de plafonner à 3,5 % la croissance de l'indice des loyers commerciaux (ILC), pour les PME, et de l'indice de référence des loyers (IRL), pour les ménages. Ce plafonnement avait été conçu pour une durée limitée, soit jusqu'à la fin du premier trimestre 2023.

Le dispositif visait à protéger des ménages et des entreprises fragilisés par la reprise de l'inflation, en permettant aux propriétaires de revaloriser les loyers, s'ils l'estimaient nécessaire, mais dans la limite de 3,5 %. C'est un souci de justice sociale et de partage des efforts qui a guidé les auteurs de ce texte. Inspiré par le pragmatisme et n'ayant certes pas pour ambition de représenter la politique du logement dans son ensemble, ce dispositif a fait la preuve de son efficacité. Nous étions donc nombreux, à l'Assemblée, à croire que sa reconduction jusqu'à la fin du premier trimestre de l'année prochaine bénéficierait d'un très large soutien. Cette analyse n'a pas été partagée par le Sénat, puisqu'une motion tendant à opposer la question préalable a été déposée par la commission des affaires économiques et que le texte a été rejeté mercredi dernier en séance publique.

Je suis certain que nos débats permettront d'échanger de manière conviviale et constructive, comme à l'accoutumée, sur nos approches respectives et nos divergences, dont nous verrons à l'issue de ces échanges si elles paraissent surmontables ou non. Dois-je le rappeler, ce serait la première fois depuis la loi Egalim de 2018 que nos deux commissions ne parviendraient pas à se mettre d'accord !

Mme Sophie Primas, sénatrice, vice-présidente. - C'est vrai, nos discussions se déroulent toujours dans un très bon esprit. Le plus souvent, nous arrivons à un accord, soit en cours de navette soit à l'issue des CMP, même si certaines ont duré de longues heures.

En l'espèce, notre commission a effectivement posé une question préalable et le Sénat a décidé, à une large majorité, de rejeter la proposition de loi, suivant des motivations très différentes selon les groupes politiques. Nous l'avons fait pour des raisons non seulement de forme mais aussi de fond que notre rapporteure rappellera. Je crains donc que cette CMP ne fasse exception et qu'elle ne puisse être conclusive.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur pour le Sénat. - Ce texte a effectivement été rejeté par le Sénat à une large majorité.

S'agissant de la forme, nous avons dû examiner cette proposition de loi dans une certaine précipitation, avec des délais anormalement courts, alors qu'elle aurait pu être préparée et discutée bien en amont. On connaissait en effet le terme fixé et le Gouvernement avait tout loisir, dès janvier ou février, de présenter un projet de loi.

Par ailleurs, le plafonnement de l'ILC que la proposition de loi tend à prolonger était juridiquement déjà échu, puisqu'il valait jusqu'au premier trimestre 2023. J'ai donc été étonnée d'entendre le ministre délégué chargé de la ville et du logement nous expliquer, mercredi dernier, que nous avions jusqu'au 30 juin. Si tel est le cas, pourquoi n'avoir pas pris le temps d'une concertation et d'une évaluation ?

Ce qui nous a choqués, c'est cette fausse urgence et cette impréparation. Le Sénat, vous le savez, répond toujours présent lorsque c'est nécessaire. Nous l'avons démontré à maintes reprises, tout au long de la crise sanitaire mais aussi l'été dernier, quand nous a été soumis, dans des délais contraints, le projet de loi portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat.

L'an passé donc, dans un contexte de déclenchement de la guerre en Ukraine et d'explosion de l'inflation et des prix de l'énergie, le Gouvernement, pourtant nouvellement nommé, avait trouvé le temps de déposer un projet de loi, de présenter une étude d'impact et de réaliser une concertation pour arriver à un compromis. Le bref délai entre les débats à l'Assemblée nationale et au Sénat nous avait même permis d'organiser une concertation avec l'ensemble des acteurs du commerce, qui a abouti au plafonnement de l'augmentation de l'ILC, à l'initiative de notre collègue Jean-Baptiste Lemoyne.

Nous aurions très certainement été prêts à accompagner ainsi un nouveau projet de loi inspiré par le même état d'esprit collectif face à la hausse persistante de l'inflation. Nous sommes, en effet, particulièrement conscients des difficultés que rencontrent un certain nombre de familles et de petites entreprises. Cependant, nous avons dû constater que la plupart des acteurs du commerce et du logement avaient été mis devant le fait accompli, que la parole donnée n'était pas tenue - puisque le Gouvernement avait précisé qu'il s'agissait d'un dispositif exceptionnel, assorti d'une échéance, fixée au 30 juin 2023 - et qu'il n'avait pas daigné organiser la concertation que nous appelions de nos voeux.

En séance, le ministre délégué ne nous a pas apporté davantage d'éléments d'évaluation, notamment en ce qui concerne l'impact du plafonnement de l'ILC. Il n'a pas plus souhaité donner des garanties, même verbalement, aux locataires sur une hausse des aides personnelles au logement (APL) à due concurrence de l'IRL plafonné, ni s'engager à prendre en compte le besoin d'accompagnement des propriétaires - il n'a parlé que de 1 milliard d'euros d'économies pour les locataires, sans évoquer le fait que ce milliard n'était pas magique, mais constituerait un nouvel effort très important demandé aux propriétaires.

Pour ce qui est du fond, le plafonnement de la hausse des indices locatifs durant quelques trimestres supplémentaires ne constitue pas une politique du logement ou du pouvoir d'achat.

L'an passé, la loi « pouvoir d'achat » comportait une disposition garantissant la hausse des APL. Cela ne peut pas être le cas dans la présente proposition de loi, du fait de l'article 40 de la Constitution, et, je l'ai dit, le ministre délégué n'a pas voulu ou pas pu s'engager à ce sujet. Il est vrai que le débat avait lieu quelques jours après un Conseil national de la refondation (CNR) relatif au logement pour le moins décevant, qui a fait l'unanimité contre lui. L'impact des mesures prévues étant d'environ 2 milliards d'économies au détriment du logement, le ministre a sans doute peu de marges budgétaires... Je crois par ailleurs qu'il y a plus qu'une coïncidence de calendrier entre ces annonces et les négociations avec les agences de notation internationales en vue de maintenir la note de la dette française.

Après des années de sous-indexation, les APL sont pourtant de moins en moins solvabilisatrices pour les ménages modestes, et le forfait pour charges ne représente que 40 % des dépenses réelles. Or, pour bon nombre de familles modestes vivant dans des logements sociaux, les charges pèsent sur les budgets encore plus lourdement que les loyers.

Nous avons aussi été particulièrement étonnés d'entendre le ministre délégué nous assurer, mercredi dernier, que ce texte n'aurait pas d'impact sur les bailleurs sociaux. Ils sont pourtant directement concernés par la revalorisation des loyers au 1er janvier 2024 - quant à 2025, il me paraît bien imprudent de s'engager.

Quoi qu'il en soit, le ministre délégué a surtout mis de côté, par cette affirmation, l'impact considérable et non compensé de la hausse du taux du livret A. Le passage, rapide et brutal, de ce taux de 0,5 % à 3 % coûte 3,75 milliards d'euros aux bailleurs, et le relèvement à 4 % dont on entend parler pour le mois d'août devrait se chiffrer au moins à 1 milliard de plus. Dans ces conditions, comment balayer de la main une révision de la réduction de loyer de solidarité (RLS), que demandait l'Union sociale pour l'habitat dans le cadre du CNR ? Il y aura pourtant en 2024, à l'issue du CNR, 150 millions d'euros en moins pour le fonds national des aides à la pierre, sans la moindre garantie d'une compensation de l'État.

En ce qui concerne les bailleurs privés, je m'étonne que l'on souhaite développer l'investissement dans le logement intermédiaire et lutter contre la dérive des meublés de tourisme, dont les loyers ne sont pas plafonnés, en envoyant aux investisseurs le message que leurs revenus et leurs plans de financement peuvent être remis en cause à tout moment, sans qu'aucune de leurs charges ou de leurs obligations ne soit plafonnée ou allégée concomitamment. Les loyers des uns sont pourtant les revenus des autres. Prenons garde de produire, à force de taxation et de contraintes, l'exact contraire de l'effet désiré, c'est-à-dire moins de logements à la location et donc plus de difficultés pour les locataires.

Enfin, il me semble très exagéré de prétendre que l'on va sauver le petit commerce en plafonnant la hausse des loyers, lesquels représentent en moyenne 16 % des charges - étant également rappelé que la valeur locative des commerces est en baisse, hors Paris - ou que cette mesure aura un impact sur les prix en boutique, comme l'a affirmé le ministre délégué. Les difficultés du petit commerce s'expliquent bien davantage par les mutations du secteur, notamment le développement très rapide de la vente en ligne, et par la réduction drastique du pouvoir d'achat des Français, qui se manifeste par une baisse sans précédent de la consommation alimentaire. La question qui se pose me semble donc être celle de la hausse des salaires plutôt que celle de la hausse des loyers commerciaux.

Nous faisons donc le constat, comme l'a dit Mme la présidente Primas, d'un désaccord persistant au sujet non seulement de la méthode mais aussi de l'ampleur de la réponse à apporter face à une crise du logement et du pouvoir d'achat qui, selon le Sénat, mériterait bien mieux.

M. Thomas Cazenave, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Cette proposition de loi a pour unique objectif de prolonger jusqu'au premier trimestre 2024 le plafonnement provisoire des deux indices utilisés pour revaloriser les loyers : l'indice de référence des loyers, pour le parc privé et social, et l'indice des loyers commerciaux, pour les baux commerciaux des seules PME. Ces mesures sont issues de la loi « pouvoir d'achat » votée à une large majorité l'été dernier à l'Assemblée nationale comme au Sénat.

En première lecture, l'Assemblée nationale a adopté la prolongation du plafonnement à une large majorité. C'est donc avec regret que j'ai constaté le rejet du texte au Sénat. Il me semble que nous ne pouvons aujourd'hui qu'acter le désaccord entre nos deux assemblées et reprendre la navette pour une discussion du texte en nouvelle lecture.

Les principaux arguments invoqués contre cette proposition de loi au Sénat ont porté à la fois sur la méthode d'examen du texte, sur les conséquences de la mesure pour les propriétaires, et plus largement sur la politique du Gouvernement en matière de logement.

Je sais que ce texte est examiné dans des conditions particulières, mais j'en rappelle l'objectif : acter dans les meilleurs délais la prolongation du plafonnement de l'IRL et de l'ILC afin de protéger les ménages, les petits artisans et les commerçants des conséquences de l'inflation. Les prévisions dont nous disposons pour l'évolution de ces deux indices indiquent qu'ils ne repasseront pas sous la barre des 3,5 % avant le deuxième trimestre 2024. Il est donc logique de donner à une même situation, celle que nous avions constatée l'an dernier lors de l'examen de la loi « pouvoir d'achat », la même solution. Nous ne modifions aucun paramètre du mécanisme de plafonnement : le taux reste fixé à 3,5 % et le périmètre d'application est strictement inchangé. Il est vrai que nous sommes allés vite, mais nous avons tout de même auditionné une dizaine d'acteurs, tant du côté des locataires et des commerçants que des propriétaires, et débattu en commission et en séance. Un consensus aurait pu être trouvé rapidement afin de rassurer les locataires et les commerçants qui nous alertent, dans nos circonscriptions, depuis plusieurs semaines. Si rien n'est fait, c'est une augmentation des loyers de plus de 6 % qui les attend.

S'agissant des conséquences de cette mesure pour les propriétaires, nous avons débattu du niveau de plafonnement à appliquer. Il est nécessaire de trouver un dispositif équilibré : autant nous souhaitons éviter que les loyers subissent de fortes hausses dans les mois qui viennent, autant nous ne devons pas pénaliser excessivement les propriétaires. Ces derniers subissent aussi l'inflation, alors même que les besoins d'investissement dans le parc locatif sont très importants - je pense en particulier à la rénovation énergétique, une nécessité sur laquelle j'ai largement insisté en première lecture à l'Assemblée nationale. Le maintien d'un taux de 3,5 % paraît atteindre cet équilibre - à l'inverse, par exemple, d'un gel total des loyers. Je ne souhaite pas non plus que le plafonnement des loyers commerciaux soit étendu aux entreprises de taille intermédiaire et aux grandes entreprises.

L'absence de revalorisation des aides personnelles au logement ainsi que les conséquences de la mesure pour les bailleurs sociaux ont également été évoquées. Nous avons sollicité l'Union sociale pour l'habitat, qui n'a pas exprimé de désaccord sur ce texte. Et, compte tenu des incidences financières d'une revalorisation des APL, une telle mesure devrait plutôt être débattue dans le cadre de la loi de finances.

Enfin, je suis d'accord avec vous sur un point : cette proposition de loi ne constitue pas une réforme structurelle de la politique du logement ! Il n'en a jamais été question !

Je ne peux que regretter que certains prennent le risque de laisser de nombreux locataires et commerçants sans protection en s'opposant à ce texte sur le fondement de considérations qui lui sont tout à fait étrangères - je pense en particulier aux conclusions du Conseil national de la refondation relatives au logement. Je souhaite que cette proposition de loi soit adoptée par le Parlement, ce qui permettra de sécuriser locataires et commerçants par une prolongation équilibrée du dispositif de plafonnement.

M. William Martinet, député. - L'évolution des indices locatifs emporte des conséquences sociales très lourdes. Pour ne parler que des baux d'habitation, le paiement des loyers constitue le principal poste de dépenses des classes moyennes et modestes ; or si l'on additionne l'augmentation de l'IRL subie l'année dernière, plafonnée à 3,5 %, et celle qui pourrait se produire cette année - qui sera soit de 3,5 %, soit de 5 ou 6 %, en fonction de l'issue du débat législatif - on arrive à l'équivalent d'un mois de loyer supplémentaire à la charge des locataires, dans un contexte d'inflation très élevée. Du point de vue social, le sujet est donc grave.

Du point de vue économique, l'augmentation des indices locatifs entraîne des transferts financiers très importants. Là encore, en additionnant les augmentations d'IRL de l'année dernière et de cette année, on dépasse la barre des 5 milliards d'euros par an transférés des locataires vers les bailleurs. Certes, les loyers payés par les uns constituent les revenus perçus par les autres, mais les profils sociologiques des uns et des autres ne sont pas les mêmes ! Je rappelle la concentration du patrimoine immobilier dans notre pays, où 3,5 % des ménages détiennent la moitié des logements mis en location. Ce transfert de 5 milliards d'euros de la poche des locataires, qui sont le plus souvent des jeunes, avec de faibles revenus et de petits héritages, vers celle des propriétaires bailleurs, qui ont le profil inverse, doit donc être regardé avec des lunettes sociales : on est alors obligé de constater qu'une telle mesure est très inégalitaire.

Le groupe La France insoumise et l'intergroupe NUPES ont mis en avant la nécessité d'un gel des loyers. Ce serait une réponse à la situation d'urgence sociale, et ce serait, pour les propriétaires bailleurs, tout à fait tolérable : nous ne demandons pas qu'ils n'aient plus aucun revenu, ni un revenu en baisse, mais simplement que, dans cette période difficile, leurs revenus n'augmentent pas, selon le principe de ce que l'on a appelé une « année blanche ». Alors que de nombreux salariés de notre pays sont contraints et forcés à voir leurs revenus stagner, les propriétaires bailleurs pourraient être soumis au même effort.

Puisque les choses ont l'air mal engagées pour trouver un accord, il faut au moins que cette CMP serve à clarifier les positions des uns et des autres. Je l'ai dit, la NUPES défend un gel des loyers et a déposé en première lecture des amendements allant dans ce sens, ainsi qu'une proposition de rédaction dans le cadre de cette CMP. Je me tourne maintenant vers vous, chers collègues : quel est votre objectif réel ? Collègues députés de la majorité présidentielle, défendrez-vous le plafonnement à 3,5 % de l'évolution des indices locatifs jusqu'au bout ? En d'autres termes, vous donnerez-vous les moyens d'inscrire ce texte à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale afin qu'il soit définitivement adopté avant la fin du mois ? Collègues sénateurs, j'entends les arguments qui vous ont conduits à repousser cette proposition de loi - je suis même particulièrement sensible à certains d'entre eux, et je regrette comme vous l'absence de revalorisation des APL face à la hausse de l'IRL - mais souhaitez-vous vraiment, en rejetant ce texte, aboutir à une progression de l'IRL au niveau de l'inflation, donc de 5 ou 6 % cette année ?

De fait, c'est la représentation nationale qui, par son action ou son inaction, va décider du montant des loyers pour les années à venir. Chacun doit dire ce qu'il en pense. Nous souhaitons un gel, la majorité des députés une augmentation de 3,5 %. Le Sénat souhaite-t-il une augmentation de 5 ou 6 % ?

M. Guillaume Kasbarian, député, président. - La position de l'Assemblée nationale, qui résulte de notre vote en première lecture, consiste à prolonger le dispositif adopté l'été dernier - le plafonnement à 3,5 % de l'augmentation des indices locatifs - jusqu'en 2024, ni plus, ni moins.

Cette proposition de loi sera-t-elle inscrite prochainement à l'ordre du jour pour une nouvelle lecture ? Je n'en sais rien : personne ne m'a garanti qu'elle irait jusqu'au bout. Lorsque le rapporteur a déposé ce texte, j'étais loin de m'imaginer que ce serait le premier, depuis la CMP sur la loi Egalim en 2018, sur lequel nos deux commissions ne parviendraient pas à s'entendre. Je pensais que la mesure serait consensuelle à l'Assemblée nationale, que les choses se passeraient bien au Sénat et que nous tomberions d'accord. Or, à l'Assemblée nationale, les groupes de la NUPES ont voté contre, et le Sénat a lui aussi rejeté le texte.

Soyons bien conscients que le fait de voter contre un texte peut avoir pour effet que ce dernier ne voie jamais le jour. En l'occurrence, les indices locatifs subiraient au 1er juillet une augmentation normale, potentiellement supérieure à 6 %. Comme toute disposition temporaire, ce plafonnement aura une fin - soit maintenant, soit en 2024.

M. Denis Bouad, sénateur. - Comme certains d'entre vous, je déplore les délais dans lesquels nous avons été invités à nous prononcer sur ce sujet, d'autant que le terme de la disposition votée l'an dernier ainsi que la nécessité de voter sa prolongation sont connus depuis de longs mois.

Un gel des loyers jusqu'au premier trimestre 2024 pourrait aller dans le bon sens. Il ne s'agit cependant pas d'une solution idéale, notamment pour les bailleurs sociaux qui connaissent depuis de nombreuses années d'énormes difficultés, dues notamment à l'application de la réduction de loyer de solidarité, à la baisse des APL et à la hausse des prix de l'énergie. Si nous libérons les prix, nous provoquerons une inflation du niveau des loyers que n'appliqueront pas les organismes HLM, qui ont le souci du social, mais dont ne se priveront pas les bailleurs privés. L'augmentation des loyers sera insupportable pour les plus démunis de notre pays. Bien que cette proposition de loi soit incomplète, imparfaite et qu'elle ne résolve pas toutes les difficultés actuelles, nous sommes donc favorables à la prolongation du plafonnement de la hausse des loyers.

M. Stéphane Peu, député. - Je partage l'essentiel des propos de William Martinet, mais également une grande partie de l'argumentation de Mme Estrosi Sassone : le problème réside dans l'origine de la proposition de loi. Monsieur le président, vous renvoyez chacun à son vote, mais la faute initiale a été commise par le Gouvernement, qui n'a pas vu - ou voulu voir - les délais et a fait preuve d'irresponsabilité. Il a laissé à l'initiative parlementaire le soin d'avancer une proposition, avec toutes les limites entourant cette voie législative : impossibilité d'augmenter les APL à cause de l'article 40 de la Constitution et absence d'étude d'impact.

Sur ce dernier point, je l'ai dit et redit lors de l'examen du texte : il faut évaluer le poids de l'augmentation des charges dans la quittance ! On parle du loyer sans se préoccuper des charges, comme si celles-ci se comptaient en centimes. Or elles sont parfois supérieures au loyer de base !

Si nous ne révisons pas le décret sur les charges locatives et ne revalorisons pas les APL ; si, en outre, le champ de la proposition de loi se limite au seul loyer, nous ne faisons que du bricolage. Le pouvoir d'achat des locataires les plus modestes se dégradera sans que les bailleurs y trouvent leur compte. Le Gouvernement fait preuve d'une grave irresponsabilité sur le sujet, et je crains que nous n'aboutissions à une impasse. Comme mon collègue Martinet, j'insiste pour que l'Assemblée nationale puisse se prononcer à nouveau avant l'échéance, afin d'au moins amoindrir le choc.

M. Luc Lamirault, député. - Je ne peux que regretter que nous en soyons là. Des erreurs ont certes été faites, nous en sommes tous d'accord - notamment un manque d'anticipation. Mais nous ne devons pas prendre le risque de voir les loyers de la plupart de nos concitoyens augmenter au 1er juillet. Nous devons ensemble, en responsabilité, agir pour que le plafonnement soit prolongé.

M. Thomas Cazenave, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - J'entends la critique sur l'action du Gouvernement, mais ce dernier n'est pas là : nous discutons d'un texte d'initiative parlementaire. Si nous ne nous mettons pas d'accord, je ne suis pas certain - je parle sous le contrôle du président - que nous puissions adopter le texte à l'Assemblée nationale avant le mois de juillet. Or nous avions trouvé un équilibre entre la position de la NUPES, qui défendait un gel des loyers, et d'autres députés qui souhaitaient les laisser filer, en proposant de conserver le dispositif en vigueur.

Monsieur Peu, l'étude d'impact est assez simple à faire. Sans le dispositif de plafonnement, l'augmentation aurait été de 7 % l'été dernier ; elle aura été finalement de 3,5 %. La révision des indices est trimestrielle. Ces derniers seront, compte tenu de leur construction, encore très dynamiques, autour de 6 %, jusqu'à la fin du premier trimestre de 2024. Il y a donc un vrai risque de fragilisation du tissu économique. L'Union des entreprises de proximité et les associations de commerçants ont redit qu'elles attendaient la prolongation du plafonnement. Quant aux bailleurs sociaux, ils n'ont pas émis d'objection.

Le maintien d'un dispositif d'urgence est la position la plus équilibrée possible, parce que l'inflation, qui a justifié son déploiement, est encore forte. Elle ne se retournera qu'à la fin du premier trimestre de 2024, si les prévisions sont confirmées.

M. Nicolas Meizonnet, député. - Toutes les oppositions s'accordent pour affirmer que, sur la forme, ce processus législatif est catastrophique. Nous devons légiférer « à la sauvette », comme je l'ai lu dans la presse. C'est du bricolage. Cette façon de procéder traduit aussi un certain mépris du Parlement, mais il n'y a là rien de nouveau.

J'incrimine le Gouvernement, qui a fait preuve de la plus grande inconséquence, et ne peux que saluer l'action de M. le rapporteur, qui a tenté de sauver la situation.

Le dispositif des indices locatifs arrive à échéance : si rien n'est fait, il y a un risque d'explosion des loyers en juillet, c'est-à-dire dans quelques jours. Ce risque est d'autant plus grand que certains propriétaires ont fait l'effort de ne pas revaloriser les loyers pendant quelque temps, compte tenu des circonstances sociales.

Dans le contexte inflationniste, il importe de trouver un point d'équilibre. Le taux envisagé me semble raisonnable car il protège à la fois les propriétaires et les locataires. Il n'y a pas lieu de faire de la politique politicienne. Nous sommes tous d'accord : il n'y a pas de réforme structurelle du logement, le Gouvernement a une part de responsabilité dans la situation inflationniste, la loi « pouvoir d'achat » est mal calibrée... mais il faut quand même choisir la moins pire des options. C'est cette voie que le groupe Rassemblement national a décidé d'emprunter. Nous sommes donc plutôt favorables au texte.

M. William Martinet, député. - L'impréparation du Gouvernement le rend responsable de la situation urgente, complexe et peu lisible politiquement dans laquelle nous nous trouvons.

Monsieur le président Kasbarian, vous avez évoqué notre vote en séance publique. Sans vouloir refaire le débat, je dis simplement que l'adoption de la proposition de loi n'a plus rien à voir avec ce qu'a été notre vote, et ne dépend plus désormais que d'un seul facteur : l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Ceux qui ont la maîtrise de cet ordre du jour, le Gouvernement et la majorité relative, se donneront-ils les moyens de faire aboutir un texte sur le plafonnement de l'IRL ? Là est le sujet ! Évitons d'éluder nos responsabilités. C'est le moment pour chacun de prendre une position politique très claire sur les rapports locatifs et la répartition des richesses entre les propriétaires bailleurs et les locataires.

M. Guillaume Kasbarian, député, président. - Dès lors qu'on vote, on a une responsabilité, surtout dans un contexte de majorité relative, puisque la majorité ne peut pas à elle seule faire passer un texte. Ceux qui votent contre ce texte font un choix qui n'est pas neutre dans cette configuration politique. Si la majorité était absolue, la responsabilité des oppositions serait bien moins grande. Mais en l'occurrence, si toutes les oppositions décidaient de voter contre le texte - ce qui, pour l'instant, n'est pas le cas - il y aurait une conséquence évidente. Et je ne peux pas présager de ce que serait l'issue du scrutin à l'Assemblée nationale dans quelques jours ou quelques semaines.

Je crois comprendre que le Gouvernement a décidé de mettre ce texte à l'ordre du jour de l'Assemblée, mais j'ignore ce que sera le résultat du vote, car il y a toujours une part d'aléa dans un contexte de majorité relative.

Mme Sophie Primas, sénatrice, vice-présidente. - Une grande majorité des sénateurs ont rejeté ce texte pour marquer leur opposition sur la forme mais également sur le fond, comme l'a rappelé Dominique Estrosi Sassone. De Marie-Noëlle Lienemann à Valérie Létard en passant par Viviane Artigalas, spécialiste du logement du groupe Socialiste, écologiste et républicain, le Sénat juge que la proposition de loi n'est pas accompagnée et met en péril l'existence même d'une politique du logement, notamment social. Nous connaissons tous les difficultés que rencontrent les bailleurs sociaux : elles sont liées à la RLS, à la construction, aux exigences des politiques publiques...

Bien sûr, la mesure proposée paraît humaniste et bienvenue, et il ne s'agit évidemment pas, Monsieur Meizonnet, d'opposer les uns aux autres, mais il faut tenir un raisonnement global sur l'univers du social. Nous pensons que la politique sociale du logement est affaiblie par cette disposition unique, même si vous n'avez pas l'air d'accord, Monsieur Cazenave. Les bailleurs sociaux affirment qu'ils n'appliqueront pas l'indexation. Que votre loi existe ou non n'y changera rien : ils se montrent responsables vis-à-vis de leurs locataires et ne feront de toute façon pas jouer l'indexation. Nous pensons que, sans nouvelle garantie, la proposition de loi affaiblit la politique du logement social.

Certes, nous avons profité de l'occasion pour dire qu'au Sénat, nous sommes en désaccord avec la politique générale du logement en France. Mais nous ne doutons pas que des partis politiques très attachés à la vie sociale de notre pays s'assureront que l'Assemblée nationale adopte le texte - n'est-ce pas, Monsieur Meizonnet ?

M. Guillaume Kasbarian, député, président. - Nous constatons le désaccord entre les deux chambres du Parlement. Il y aura probablement une nouvelle lecture du texte.

La commission mixte paritaire constate qu'elle ne peut parvenir à l'adoption d'un texte commun sur la proposition de loi.

La réunion est close à 15 h 45.