Mardi 7 novembre 2023

- Présidence de M. Cédric Perrin, président -

La réunion est ouverte à 9 h 05.

Audition du général Pierre Schill, chef d'état-major de l'armée de terre

M. Cédric Perrin, président. - Nous sommes très heureux d'accueillir ce matin le général Pierre Schill, chef d'état-major de l'armée de terre, pour évoquer le projet de loi de finances pour 2024, et ce d'autant plus que nous devions nous voir hier à Berlin, dans le cadre d'un échange avec le Bundestag, qui a malheureusement été reporté à l'initiative de la partie allemande.

Mon Général, les grandes lignes de ce budget, le premier exercice de la période couverte par la loi de programmation militaire, nous ont été présentées il y a trois semaines par le ministre des armées, et nous avons évoqué sa mise en oeuvre opérationnelle au sein de l'ensemble de nos forces avec le chef d'état-major des armées (CEMA) il y a deux semaines.

J'ajoute que nos commissaires ont tiré le meilleur parti de la très intéressante présentation organisée par l'armée de terre à l'École militaire, il y a quinze jours. Cette présentation a donné un excellent aperçu des capacités de nos forces et un beau témoignage de l'engagement de nos militaires au service de la défense nationale. Nous tenions, mon Général, à vous en remercier -c'était un format intéressant.

En 2024, donc, près de 14 milliards d'euros seront affectés au programme 178, dont près de 2,2 milliards d'euros en crédits de paiement pour l'action « préparation des forces terrestres », soit une hausse de 16 % par rapport à la LFI pour 2023.

Vous nous direz, mon Général, dans quelle mesure ces moyens vous permettront de mener à bien la transformation en « armée de terre de combat » que vous avez entreprise, et de relever les défis dont nous avons déjà parlé, tels le sol-air, les capacités de franchissement, l'artillerie, la lutte anti-drones ou la robotique terrestre.

Nous aimerions également vous entendre sur les aspects relatifs à l'équipement des forces, notamment sur les conséquences qu'auront, sur le coût du MCO, le décalage dans le temps du programme Scorpion et la prolongation de la durée de vie du Leclerc. Peut-être nous direz-vous en outre un mot de certains projets de coopération en cours avec nos amis d'outre-Rhin. Puisque nous n'avons pas pu échanger en franco-allemand hier, je vous propose que nous profitions de ce huis clos pour faire un point lucide sur la situation.

Sans vouloir épuiser les thématiques de nos rapporteurs pour avis, cette audition sera également l'occasion d'évoquer les difficultés de recrutement et de fidélisation des compétences, qui a donné lieu à quelques alertes dans la presse - spécialisée mais aussi généraliste - depuis cet été. Le problème n'est d'ailleurs pas propre à la France, mais y a-t-il encore des leviers à actionner pour tenter d'atteindre les cibles de recrutement, réservistes compris, fixés par le législateur en août dernier ?

Mon Général, je vous cède la parole, après quoi elle sera à nos rapporteurs budgétaires, puis à l'ensemble de nos collègues.

Général Pierre Schill, chef d'état-major de l'armée de terre. - Je suis très honoré de m'exprimer une nouvelle fois devant votre commission.

En mai dernier, lors de mon audition précédant le vote de la loi de programmation militaire 2024-2030, j'avais évoqué ma conviction que nous vivions un changement d'ère stratégique dont la date du 24 février 2022 était le symbole. Depuis cette date, le coup d'État au Niger, l'invasion du Haut-Karabagh par l'Azerbaïdjan et la guerre au Proche-Orient nous rappellent que le monde dans lequel nous vivons est plus dangereux. Les conflits se multiplient et se durcissent, notamment sur le continent européen et à ses frontières. Les risques de contagion, d'entraînement ou d'engrenage sont réels.

Dans ce contexte, l'armée de Terre mesure l'effort consenti par la Nation. Le vote de la loi de programmation militaire le 1er août 2023 donne aux armées les moyens de se renforcer pour appréhender les menaces d'un monde en plein bouleversement. Quatre cent treize milliards d'euros de ressources sont programmées de 2024 à 2030. Cela signifie que la France considère ses armées comme un outil de puissance sur lequel elle entend s'appuyer. Pour l'armée de Terre, la loi de programmation militaire établit un équilibre : les ressources programmées permettront de poursuivre la modernisation, de mettre davantage l'accent sur l'entraînement et d'améliorer la vie quotidienne de nos soldats.

L'armée de Terre a pour mission de protéger la France et ses intérêts ; c'est une armée d'emploi, polyvalente. Elle connaît le prix du sang pour l'avoir payé lors de ses engagements successifs. Elle est adaptée à l'ambition d'une France puissance d'équilibres et d'entraînement. C'est une armée de force médiane : cela ne signifie pas qu'elle renonce à la puissance, mais que la réactivité, la polyvalence et la cohérence sont recherchées en priorité. Il est primordial de tenir cet équilibre entre les combats d'aujourd'hui et ceux de demain, entre capacité conventionnelle et capacité émergente, entre haute intensité, hybridité et influence, entre territoire national, Europe et arc de crise.

Le projet de loi de finance 2024 permet à l'armée de Terre de se mettre en ordre de combat pour produire dès l'an prochain les effets qui sont attendus d'elle tout en se préparant aux défis futurs.

En 2024, l'armée de Terre protègera notre pays et ses habitants en défendant la maison, en contribuant à la défense collective avec ses voisins européens, en prévenant les crises au large. Elle le fait dès à présent. J'ai une pensée pour les plus de vingt mille soldats en action, les près de dix mille soldats en alerte. Je pense notamment à ceux engagés au Sud Liban ou au large de ses côtes sur le PHA Tonnerre, en Afrique, au Niger, au Tchad ou dans le cadre de la mission Corymbe ; je pense à ceux qui forment les Ukrainiens en France comme en Pologne ; à ceux déployés en Roumanie et en Estonie ; à ceux aux Emirats arabes unis et en Irak ; à ceux en mission outre-mer en Guyane et à Mayotte ; je pense enfin aux sept mille soldats engagés dans l'opération Sentinelle.

En 2024, l'armée de Terre protègera notre pays et ses habitants. Chaque soldat y contribuera. Cette mission s'incarne dans trois projets principaux.

Tout d'abord, « Terre de France » : l'armée de Terre est une armée des territoires ; un concentré de France, fait par et pour les Français, sur le territoire national métropolitain comme outre-mer, assumant son rôle premier de protection. Cela se traduit par la poursuite de l'opération Sentinelle avant la refonte envisagée de la défense du territoire national qui conduirait à transformer le fonctionnement de cette opération. Aussi, à Tokyo, 40% des médailles ont été le fait de militaires : treize des trente-trois médailles des Jeux Olympiques et dix-neuf des cinquante-quatre médailles des Jeux paralympiques.

Ensuite, « Terre de jeunesse » : il s'agit de diffuser l'esprit de défense parmi la jeunesse, d'y favoriser l'éclosion des vocations et de contribuer à la cohésion nationale. L'an prochain, 40 % d'une classe d'âge - soit trois cent mille jeunes - sera sensibilisée aux enjeux de défense directement par l'armée de Terre, au travers des journées défense et citoyenneté (JDC). Le Service militaire volontaire et le service militaire adapté verront passer entre nos mains treize mille jeunes. En y ajoutant les engagements effectifs dans l'armée de Terre, les réservistes et les préparations militaires, ce sont près de quarante mille jeunes qui signeront un contrat avec l'armée de Terre.

Enfin, « Terre de réserves » : l'an prochain, nous allons mettre l'accent sur le recrutement au profit de la réserve dont la France a besoin pour faire face aux contingences de demain. Ainsi, le nombre de réservistes passera de vingt-quatre mille à vingt-six mille ; six bataillons de réservistes seront créés, soit un par brigade. Un bataillon de réservistes dans le domaine du renseignement sera également créé.

En 2024, l'armée de Terre exprimera la solidarité stratégique de notre pays avec ses voisins en Europe. Elle le fera sous la responsabilité du général Rondeau commandant la 1ère division de Besançon.

Nos forces poursuivront leurs missions en Europe : mille soldats dans le cadre de la mission Aigle en Roumanie, trois cent soldats dans le cadre de Lynx en Estonie, deux cent en Pologne dans le cadre de la mission Gerfaut. Ainsi, plus de dix bataillons ukrainiens seront formés à l'étranger et en France.

Nous assurerons des alertes et mènerons des entraînements communs avec nos alliés. La certification OTAN du Corps de Lille en tant que war fighting corps rendra notre dispositif national plus lisible auprès de nos alliés. Nous prendrons le commandement des dispositifs d'alerte de l'OTAN, et de l'Union européenne : l'alerte amphibie (NRF 24), l'Eurocorps JTF HQ 24 et nation-cadre du Battle Group de l'Union européenne dans le domaine de l'amphibie (NRF 24). Nous serons nation-cadre du Battle Group de l'Union européenne. Enfin, la création du commandement Terre pour l'Europe, à Lille, qui sera pleinement opérationnel en 2024, mettra à disposition du CEMA un commandement cohérent qui garantira l'efficacité des forces françaises déployées sur le continent dans un contexte européen très réglementé et par nature multinational.

Ces signalements stratégiques en Europe contribuent à l'épaulement de la dissuasion nucléaire.

En 2024, l'armée de Terre agira pour la prévention et l'influence au plus loin : en Afrique, au Moyen-Orient, dans l'océan Indien et jusque dans le Pacifique. Elle le fera sous la responsabilité du général Cadapeaud commandant la 3ème division de Marseille.

L'armée de Terre continuera à nourrir les partenariats en Afrique. La ré-articulation du dispositif africain suite au désengagement du Niger a débuté. Nous poursuivrons nos missions au Proche et Moyen-Orient : la FINUL au Liban, CHAMAL et Desert Bataillon en Irak, partenariat dans le Golfe Arabo Persique avec le 5e régiment de cuirassier aux Emirats Arabes Unis.

Nous contribuerons à des partenariats stratégiques avec l'Inde (exercice SHAKTI 24), avec la Jordanie (Jabal) et avec les Émirats arabes unis (El Himeimat 24, Dhiab al Jabal).

Enfin, l'armée de Terre fournira une capacité d'intervention robuste avec sa contribution, avec le dispositif Guépard, à l'échelon national d'urgence, et les unités des forces pré-positionnées. Elle assurera la protection de nos ressortissants à l'étranger et la défense de nos intérêts prioritaires.

Tout en agissant, l'armée de Terre continuera à s'adapter aux défis futurs. Face aux bouleversements, l'armée de Terre s'adapte. Dans la lignée du discours du Président de la République du 13 juillet et celui du ministre devant les responsables du ministère le 6 septembre, nous nous intégrons dans un mouvement de responsabilité et de décentralisation amorcé au sein du ministère comme au niveau interarmées.

Comme tous les chefs militaires, comme tous les responsables, je suis confronté à des injonctions contradictoires. Mon rôle consiste à placer le curseur entre les impératifs de ce soir et les besoins de demain, entre masse et technologie, entre souveraineté et interopérabilité indispensable à la nation-cadre d'une coalition, entre transformation et consolidation. L'époque où l'on pouvait changer le cours de l'histoire en déployant deux compagnies est révolue. Pour simplifier à l'extrême, l'unité de mesure n'est plus la compagnie ou le régiment, mais bien la division et la brigade.

C'est pourquoi j'ai choisi de mener une vaste transformation de l'armée de Terre ; elle est lancée. La conduite de cette transformation ne constitue pas un objectif en soi. Cette ré-organisation interne n'a de sens que si elle se traduit par une aptitude accrue à remplir nos missions.

Le principe est d'adapter, dès le temps de paix, des procédés et des méthodes en phase avec un commandement en opération, avec celui d'une « armée de Terre de combat » pour reprendre la formule que nous avons adoptée. La transformation vise trois objectifs : poursuivre la modernisation des équipements pour gagner en puissance de combat, adapter notre organisation pour accroître la réactivité, et améliorer notre fonctionnement par l'ajustement en profondeur de l'exercice du commandement.

En 2024, nous poursuivrons la modernisation. Commencé au cours de la LPM précédente, le taux de « scorpionisation » s'accélère passant de 25 % cette année à 36 % à la fin de l'année 2024. Toutes les composantes de l'armée de Terre recevront de nouveaux engins, facteurs de supériorité opérationnelle. Dans le segment léger, cent-trois Serval de différentes configurations - infanterie, artillerie, génie - seront livrés dans six régiments, c'est-à-dire de quoi armer six compagnies. Dans le segment médian, avec trente-trois Jaguar livrés, la transformation de la cavalerie, déjà entamée en 2023, débute au 1er régiment de spahis et au 1er régiment d'infanterie de marine. La livraison de cent trente-huit Griffon, soit le volume théorique de deux régiments complets, permettra également d'équiper quatre régiments d'artillerie et un régiment du génie. Enfin, dans le segment de décision, vingt et un chars Leclerc rénovés, c'est-à-dire le volume de deux escadrons, seront répartis dans les régiments de cavalerie, y compris aux Émirats arabes unis. Concernant les appuis, la livraison de trente Caesar Mark I d'ici fin 2024 permettra de compenser intégralement les cessions à l'Ukraine. L'arrivée des huit premiers mortiers embarqués pour l'appui au contact (MEPAC), soit une batterie de tir complète au 11ème régiment d'artillerie de marine, marque le début d'une modernisation profonde. Les fragilités du génie seront compensées par l'arrivée de quarante-cinq engins de travaux publics dans les huit régiments du génie. Six ARLAD seront livrés pour renforcer notre capacité de neutralisation des drones. La modernisation de la flotte d'aérocombat se poursuit avec le passage au standard HAD - hélicoptère d'attaque et de destruction - de six Tigre. Enfin, deux Caïmans seront livrés, portant le parc à soixante-quatre appareils NH90 fin 2024.

Ensuite, en 2024, nous finaliserons la refonte de l'organisation afin de gagner en réactivité. Il s'agit de donner une orientation davantage portée par les finalités et plus à même de nous interfacer avec le monde des opérations interarmées. Un ordre à l'armée de Terre diffusé en juillet 2023 en détaille la mise en oeuvre.

Plusieurs commandements seront réorganisés afin d'être plus réactifs. Sera créé un commandement du combat futur (CCF) qui aura la charge d'éclairer l'armée de Terre sur l'évolution de la conflictualité et de dynamiser la transformation capacitaire des unités.  Le commandement des forces terrestres (CFT) sera transformé en un commandement des forces opérationnelles terrestres (CFOT), réorganisé pour être en mesure de répondre à tout type de sollicitation opérationnelle jusqu'à un engagement majeur. Il aura autorité sur un poste de commandement de corps de réaction rapide, le CRR-FR, deux divisions et huit brigades interarmes plus cohérentes et autonomes.

Seront également créés par réorganisation des commandements existants: un commandement des actions dans la profondeur et du renseignement (CAPR), spécialisé dans le renseignement, intégrant la brigade d'aérocombat et une brigade d'artillerie qui réalisera du ciblage tactique et de la coordination 3D ; un commandement des actions spéciales Terre (CAST), qui permettra de lutter contre les menaces hybrides en intégrant les capacités d'influence et le partenariat ; un commandement de l'appui et de la logistique de théâtre (CALT) comprenant une brigade de maintenance, une brigade logistique et une brigade de génie qui visera à disposer d'une logistique plus résiliente tout en constituant des stocks de guerre pour tenir dans la durée ; un commandement d'appui Terre du numérique et du cyber (CATNC), par la transformation du COMSIC pour monter en gamme dans ce secteur clé du combat moderne.

La transformation se traduira par le passage d'un fonctionnement matriciel à douze piliers, à celui d'un fonctionnement opérationnel à neuf commandements divisionnaires. Elle conduira à un rééquilibrage des fonctions de mêlée et de soutien au profit de ces dernières. Elle débutera en 2024 par le changement de métier concernant dix mille postes dans l'armée de Terre et par un repyramidage pour augmenter la part d'officiers et de sous-officiers.

Enfin, en 2024, nous viserons une amélioration concrète du fonctionnement, pour promouvoir une culture de la responsabilité et de l'initiative. Ce troisième aspect est primordial car il donne du sens aux deux autres : les meilleurs équipements et la meilleure organisation ne pourront jamais pallier le manque de sens de responsabilité et d'initiative des chefs au quartier, à l'entraînement et au combat. J'ai la conviction que les méthodes appliquées au combat doivent s'appliquer en temps de paix ; il s'agit d'ailleurs du principe de subsidiarité, d'autonomie et d'initiative sur lequel se fonde la doctrine Scorpion. La culture de la responsabilité que j'appelle de mes voeux s'incarne dans une mesure structurante : rendre aux brigades leur autonomie. Nous allons utiliser les leviers qui sont dans la main de l'armée de Terre pour redonner aux commandants de brigades des marges de manoeuvre. S'agissant des leviers qui relèvent du domaine interarmées, mon objectif est d'associer à notre démarche les soutiens du ministère ainsi que les directions et services interarmées

Cette dynamique s'accompagne de travaux de fond pour faciliter l'activité opérationnelle des unités. Le déploiement du plan d'infrastructure APOGEE visant à la densification des infrastructures de préparation opérationnelle est une mesure concrète qui vise à renforcer l'activité opérationnelle. Trente-cinq stands de tir seront ainsi construits pendant la loi de programmation militaire ; trois d'entre eux sont déjà opérationnels. Une enveloppe dite de « subsidiarité » d'un montant de cent cinquante mille euros sera attribuée en 2024 aux régiments afin qu'ils puissent, à leur initiative et sans contrôle préalable, gagner en réactivité, acheter en urgence des petits matériels, réaliser des travaux d'infrastructure légers ou améliorer le cadre de vie. En termes d'infrastructure, les régiments verront plusieurs améliorations prendre corps ; le budget infrastructure de l'armée de Terre augmentera de 40%. Le plan hébergement sera maintenu au-delà de 2025, date de fin initialement prévue. Un montant de cinq cent millions d'euros est prévu pour réhabiliter des hébergements pour nos soldats.

Le contexte stratégique et politique de la loi de programmation militaire et sa déclinaison pour l'année 2024 donnent l'opportunité à l'armée de Terre de s'adapter en profondeur aux défis de la nouvelle ère stratégique et de traverser les périls de la décennie à venir. Les ressources prévues donnent à l'armée de Terre les moyens de bâtir l'outil adapté à la défense de la France et de ses habitants pour la décennie 2030-2040. L'armée de Terre est totalement engagée. Elle produit des effets concrets au quotidien et s'adapte pour répondre aux exigences des conflits futurs. Des jalons opérationnels nous permettront de mesurer les progrès de notre montée en puissance : nous allons expérimenter dans quelques jours une brigade interarmes Scorpion ; en 2025, notre capacité sera portée à deux brigades Scorpion, et nous participerons à l'exercice Warfighter avec l'armée de Terre américaine ; en 2026, l'exercice Orion, donnera l'occasion d'exploiter les retours d'expérience de l'édition que nous venons d'achever ; en 2027, il y aura l'opérationnalisation d'une division Scorpion à deux brigades déployables en un mois ; en 2030, l'effectif sera porté à une division relevable.

M. Cédric Perrin, président. - Il nous serait utile de disposer d'un document récapitulant cette transformation, avec une comparaison « avant/après » qui nous fasse visualiser les choses.

Mme Gisèle Jourda, co-rapporteur des crédits du programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense ». - Avec mon collègue Pascal Allizard, qui s'excuse de ne pouvoir être parmi nous, nous avons ces quelques questions sur le programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense ».

Les crédits d'études amont consacrés à l'opération budgétaire terrestre, NRBC et santé » progresseront de 3 % en 2024 pour atteindre 77 millions d'euros.

Quelles seront les principales études financées et les démonstrateurs qui concerneront directement ou indirectement l'armée de terre ? Ceux-ci s'intègrent-ils dans le programme Titan, successeur du programme Scorpion ?

Vous avez lancé un important plan de transformation de l'armée de Terre en juillet dernier, qui sera piloté par le commandement du combat futur. En matière d'innovation, tant dans le champ des équipements que des organisations, quels sont les axes que vous entendez poursuivre ?

Enfin, où en est-on du plan « Familles », qui mobilise des crédits très importants ?

Général Pierre Schill. - Le programme 144 représente près de deux milliards d'euros, dont les trois-quarts vont aux études amont. La segmentation des crédits par armée est trompeuse car certains démonstrateurs sont transverses, par exemple pour la coopération entre les drones et hélicoptères. Nous allons par ailleurs bénéficier de retombées d'autres études amont que celles relevant, stricto sensu, de l'armée de Terre. Un des enjeux du nouveau Commandement du combat futur (CCF) consiste à saisir l'innovation à travers les études amont, qu'elle provienne de l'usage, de l'expérience interne, ou du monde civil. Ce nouveau commandement a pour objectif de « faire atterrir » les innovations dans les forces. Parmi les domaines où il est impératif d'avancer, je citerai la défense sol-air et la lutte contre les drones. A Gaza, nous avons vu des images de drones sommaires qui sont parvenus à détruire un char Merkava. Tous les pays recherchent des moyens de détection aérienne et de commandement contre ce type d'agression. Le fait est que 70 % des drones sont neutralisés par des moyens électroniques dans le conflit ukrainien ; cela explique que les drones turcs, qui passaient il y a deux ans pour les plus redoutables sont désormais peu utilisés parce qu'ils sont plus facilement brouillables et détectables. Il est donc impératif de monter en gamme contre les drones, en utilisant tous les moyens à notre disposition. C'est un objectif du Commandement du combat futur.

Le plan famille va être prolongé. Il représente sept cent cinquante  millions d'euros pour l'ensemble de la loi de programmation militaire. L'armée de Terre en bénéficie comme les autres armées. Je souhaite que ces moyens soient prioritairement orientés vers l'accompagnement des familles dans la mobilité : appui à la mutation, aide à la parentalité, garde d'enfants. M. Cédric Perrin, président. - Nous sommes tous convaincus ici de l'importance des drones - nous le disons depuis 2017 au moins...

Mme Hélène Conway-Mouret, co-rapporteur du programme 146 « Équipement des forces ». - Vous avez rappelé les conflits en cours et le risque de guerre de haute intensité. Or l'une des leçons que l'on peut tirer de la guerre en Ukraine, c'est l'insuffisance des matériels et munitions. Que pensez-vous de la cession envisagée de chars Leclerc et des livraisons effectuées AMX-10 RC à l'Ukraine, ainsi que du nouveau paquet d'aide ?

La loi de programmation militaire, ensuite, prévoit-elle suffisamment de moyens pour que l'armée de Terre remplisse ses missions ?

Quels sont, enfin, les contours et le calendrier du programme Titan ?

M. Hugues Saury, co-rapporteur du programme 146 « Équipement des forces ». - Le récent rapport de l'IFRI sur la Bundeswehr a mis en évidence comment l'armée allemande visait à restaurer ses capacités en intégrant de manière native des unités d'autres pays - Pays-Bas, pays d'Europe centrale - partageant des équipements développés en commun. Les auteurs du rapport estiment que cette évolution est de nature à transformer l'armée allemande en véritable et seule armée européenne.

Où en sont les coopérations avec la Belgique dans le cadre du programme « CaMo » (capacité motorisée) qui vise à « cloner les deux armées de terre » ?

Des coopérations similaires visant à uniformiser les modèles et les matériels pourraient-elles être envisagées avec d'autres pays européens comme l'Italie ou la Roumanie ?

L'hélicoptère de combat Tigre, ensuite, a encore deux décennies de service et l'on s'emploie à lui trouver un successeur, 30 millions d'euros sont prévus à cet effet, c'est une brique indispensable à Titan : quelles sont les ambitions de l'armée de Terre en la matière ?

Général Pierre Schill. -La mise à disposition de chars Leclerc imposerait à l'armée ukrainienne une spécialisation supplémentaire et l'organisation d'une chaîne logistique propre - en pièces de rechange et en munitions - puisque nos chars sont très différents de ceux qu'utilise l'armée ukrainienne alors que quelques escadrons de Leclerc ne suffiraient pas à faire basculer le rapport de force en faveur de Kiev.

Le choix de céder dix AMX-10 RC, qui sont des engins de reconnaissance équipés d'un canon de 105 mm, a eu un effet de levier : il a été un premier pas qui a libéré la cession de chars Léopard. L'AMX-10 RC est en service dans l'armée de Terre ; il est l'engin de combat de nos forces médianes. C'est un blindé léger de reconnaissance efficace dans son domaine d'emploi, notamment pour exploiter dans la profondeur. Les Ukrainiens formés sur l'AMX ont confirmé qu'il était un engin utile pour surveiller une ligne de défense et des intervalles ou pour briser des attaques.

Avons-nous assez d'équipement en termes de volume, pour remplir nos missions ? Nous en avons suffisamment pour remplir notre contrat opérationnel, tel qu'il résulte de notre posture stratégique : celle d'un État doté, capable de contribuer à la défense collective en Europe et de peser comme puissance d'équilibres et d'entraînement selon l'expression du Président de la République. Je suis persuadé que les Américains considèrent la France comme un allié des plus crédibles en Europe, en raison de ses équipements, de sa cohérence et de sa masse. Si une dégradation majeure se produisait, nous pourrions armer un poste de commandement de corps d'armée, aux côté des Américains en intégrant des forces alliées. Nous disposerions d'une division de combat équipée, entraînée et combative. Cette crédibilité est décisive ; il faut l'entretenir et la développer. La cohérence revêt trois dimensions. Elle est tout d'abord verticale : il s'agit de s'assurer que les équipements soient complets et soutenus, et que l'on puisse s'en servir. La cohérence est ensuite horizontale : il s'agit de l'équilibre entre les différentes armes et fonctions opérationnelles. Enfin, la cohérence s'apprécie dans la profondeur. Il s'agit d'une dimension temporelle : il faut pouvoir combattre ce soir et demain. La LPM a-t-elle établi cette cohérence ? Je le crois. Est-elle suffisante pour assurer une capacité de combattre dans la durée, avec toutes les moyens nécessaires ? En cas d'engagement à un tel niveau, l'enjeu est de disposer des ressources suffisantes en stock le temps que la production industrielle passe en économie de guerre et se fasse plus massive.

Titan, est le prolongement du programme Scorpion. Pour Scorpion, nous avons examiné le champ de bataille tel qu'il serait en 2030, puis nous avons bâti nos capacités, autour du système de commandement. Nous avons défini ensuite les équipements qu'il fallait moderniser à cette aune. A l'horizon 2045, nous faisons la même chose pour Titan, autour d'un « cloud de combat ». Nous étudions les équipements qu'il faudra adapter, et ceux qu'il faudra construire en « Titan-natif ». Dans ce cadre, nous bâtirons un nouveau système de chars car le segment lourd demeurera primordial dans les combats futurs.

S'agissant du futur des hélicoptères, les Américains étant orientés sur le Pacifique, ils s'attachent à développer des aéronefs capables de franchir de longue distance rapidement. Nous recherchons davantage des engins volant près du sol, de nuit, pour pénétrer les lignes adverses. Cela se traduit par des choix industriels différents d'un côté à l'autre de l'Atlantique. Quelle sera la part de robotisation dans le domaine aéronautique ? Les études amont portent sur le fait de savoir si les vols seront habités ou non. Nous avons un choix à faire entre la modernisation des aéronefs existants ou le passage à des équipements de génération suivante, avec des hélicoptères robotisés, une combinaison entre hélicoptères et drones comme dans le système de combat aérien du futur (Scaf), ou encore le « char du futur », le MGCS (Main Ground Combat System).

L'armée de Terre tient une position d'équilibre, entre souveraineté et interopérabilité, qui est propre à la France. La question de la souveraineté est décisive. Lorsqu'un pays s'en remet à d'autres pays pour sa sécurité, il peut renoncer à fabriquer lui-même des pans entiers de son armement ; c'est le cas par exemple des Pays-Bas qui ne possèdent plus de char lourd. Ce n'est pas notre idée stratégique. Le choix français de la souveraineté exige que nous entretenions une base industrielle de défense capable de produire nos matériels.

L'Allemagne n'envisage pas sa défense autrement que collective. Notre défense est également collective, mais nous voulons pouvoir agir également de manière autonome, ce qui impose une organisation souple et adaptable. Nous allons proposer à l'OTAN une division française complète. Les Belges disposent d'une brigade totalement interopérable avec les unités françaises. Il est possible d'imaginer, dans un partenariat de long terme, de proposer une réponse commune aux besoins de défense collective de l'Europe.

Mme Marie-Arlette Carlotti, co-rapporteur du programme 212 « soutien de la politique de défense ». - Devant notre commission en mai dernier, vous avez évoqué un certain nombre de chantiers à entreprendre pour relever le défi de la fidélisation du personnel de l'armée de Terre.

Outre les aspects de rémunération, l'un des chantiers les plus importants concerne l'équilibre à trouver entre les sujétions propres au statut militaire et la préservation de conditions de vie personnelles et familiales épanouissantes. Vous avez déjà bien répondu à Gisèle Jourda sur le plan Famille, je vous interrogerai donc sur l'hébergement. Le plan « Hébergement » a pris beaucoup de retard, où en est-il ?

Vous dites avec justesse que de l'armée de Terre repose sur l'esprit de corps, la fraternité d'armes, le sens donné à l'engagement. Où en sont les projets que vous aviez évoqués devant nous, le « projet forces morales » d'une part, et le projet de renforcement de la « communauté Terre » d'autre part, destiné à accompagner ses membres, leurs familles, les camarades blessés et les associations d'entraide ? Un officier général « communauté Terre » devait être nommé cet été pour porter cette politique : l'a-t-il été, quelles sont ses attributions, et quels sont ses projets ? Plus généralement, qu'attendez-vous du législateur en matière de reconnaissance, par la Nation, de la singularité militaire ?

Mon collègue Joël Guerriau, qui vous prie de l'excuser, voulait vous interroger sur le recrutement dans l'armée de Terre. Voilà deux ans que les conditions du marché du travail rendent le recrutement dans les armées plus difficile, et que la cible prévue par le schéma d'emplois du PLF est sous-exécutée - nous nous en inquiétons. Pouvez-vous illustrer les difficultés de recrutement de manière chiffrée et nous en détailler les causes ?

Enfin, cet été, dans un courrier interne « aux commandeurs et brigadiers » dont la presse spécialisée s'est fait l'écho, vous demandiez un effort sur le recrutement des réservistes et précisiez qu'« il est impératif que la réserve opérationnelle de l'armée de Terre se sente intégrée et utile ». Où en est-on de ces efforts de recrutement, comment les accroître, et quelle pourrait être la doctrine d'emploi de ces nouveaux réservistes ? Pouvez-vous détailler les contours du projet « Terre de réserves » ?

Général Pierre Schill. - La question de l'hébergement est très importante. Nous hébergeons dans nos quartiers un tiers des cent quinze mille membres de l'armée de Terre : il s'agit pour l'essentiel, de jeunes militaires du rang et des sous-officiers célibataires. Nous avons bénéficié du premier plan « Famille ». L'effort a porté sur les militaires que nous sommes tenus d'héberger. Nous prenons désormais mieux en compte ceux que nous appelons les « célibataires géographiques ». Cependant, il reste encore beaucoup à faire : trop de soldats sont logés dans des conditions qui ne sont pas correctes. Le volet hébergement du plan famille de la loi de programmation militaire à venir y contribuera.

Nous voulons continuer à affermir l'esprit de corps, comme nous souhaitons renforcer la « communauté Terre » et l'esprit guerrier au sens large. Cet état d'esprit est une réalité dans l'armée de Terre, comme l'attestent les enquêtes sur le moral des troupes menées chaque année. Ainsi, 80 % des membres de l'armée de Terre, toutes catégories confondues, indiquent avoir un « très bon », « bon » ou « assez bon » moral. Les répondants mettent souvent en avant deux critères : premièrement, le sens de leur mission qu'ils jugent utile ; deuxièmement, les rapports humains et donc l'esprit de corps.

Cette dimension primordiale doit être cultivée concrètement. C'est le sens d'un travail de réflexion que je confierai, à partir de l'été prochain, à un officier général de la « communauté Terre ». Cet officier général, déjà en charge des blessés depuis septembre 2023, verra son rôle évoluer l'an prochain. Il sera ainsi appelé à promouvoir, de manière transversale, les dimensions constitutives de l'esprit de corps.

De manière concrète, la mise en oeuvre du plan « Blessés » se poursuivra, avec la régionalisation et le renforcement des effectifs de la cellule dédiée à l'aide aux blessés de l'armée de Terre. Le plan Athos au profit de la réhabilitation des blessés psychiques, initié par l'armée de Terre, a été repris au niveau ministériel : trois maisons sont déjà ouvertes et deux établissements ouvriront leurs portes en 2024, avant un futur élargissement vers les outre-mer.

J'ai également pour projet de créer une fondation qui serait notamment chargée des enjeux de la cohésion générale et du moral de l'armée de Terre. Si les contours d'une telle structure restent à préciser, le principe de sa création est arrêté. Ladite fondation pourrait également s'emparer de la problématique du rayonnement vers la jeunesse, sujet proche de celui du moral et de la cohésion.

Pour ce qui concerne les difficultés de recrutement, l'armée de Terre française était l'une des seules en Europe, jusqu'au 31 décembre 2022, à disposer d'effectifs complets. La jeunesse de nos soldats est un enjeu essentiel. Elle requiert une ressource humaine en flux qui repose sur un recrutement annuel très élevé de plus de quinze mille jeunes hommes et femmes. L'équilibre de ce flux est régulé par deux robinets : un d'entrée et l'autre de sortie. C'est au niveau des incorporations que nous constatons une baisse en 2023, puisque deux mille à deux mille cinq cent jeunes manquent à l'appel.

Pourquoi ne sommes-nous pas parvenus à les attirer ? Des facteurs structurels, d'une part, peuvent l'expliquer, dont le resserrement des classes d'âge et une évolution générale de la société, avec un mode de vie qui ne fournit pas aux individus les prérequis pour endosser une carrière militaire. Nous distinguons des facteurs conjoncturels. Nous avons sans doute sous-estimé l'impact de la crise du Covid sur les jeunes aujourd'hui âgés de 21  à 22 ans. Pour autant, je ne désespère pas de notre capacité à redresser la situation du recrutement et je souligne, pour ce qui est du flux des sorties, que la fidélisation se situe à un niveau correct et stable. Elle n'a pas diminué par rapport à 2021 ou à 2022. Les efforts en matière de recrutement se poursuivent en ce moment au travers d'une campagne de communication qui insiste sur l'aventure et le sens de la mission, deux aspects qui séduisent les jeunes qui rejoignent l'armée de Terre.

Par ailleurs, nous allons augmenter le nombre de recruteurs en demandant notamment aux régiments de recruter eux-mêmes dans leurs bassins.

Outre ces actions indispensables au niveau du robinet des entrées, nous devons agir en direction des effectifs présents dans les unités afin de les fidéliser encore davantage. À ce titre, nous comptons sur les premiers effets satisfaisants de la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM), dont le troisième bloc vient d'être appliqué à la solde d'octobre. Il s'agit de l'un des éléments de la politique de fidélisation, en conjonction avec une plus grande qualité de l'activité, ce qui rejoint vos observations sur les crédits du programme 178.

S'agissant des réservistes, j'avais adressé une lettre aux chefs de corps énumérant quatre points devant faire l'objet d'un effort spécifique. Le premier d'entre eux avait trait à la fidélisation et au recrutement ; le deuxième visait à entamer l'accroissement du nombre de réservistes dans l'armée de Terre.

Un affaissement du nombre de réservistes avait été constaté, lié aux fluctuations passées des crédits consacrés à la réserve, notamment durant la crise sanitaire. Alors que certains avaient pu manifester leur intérêt pour devenir réservistes pendant cette période, les considérations sanitaires avaient alors conduit à ne pas les convoquer. Un second facteur tient peut-être à un excès de vertu de l'armée de Terre qui l'a conduit, pendant un temps, à ne pas garder les jeunes ayant effectué moins de dix journées de service pendant deux années consécutives.

J'ai donc assigné aux chefs de corps la mission de relancer le recrutement de réservistes et d'employer les crédits dédiés à la réserve. Au-delà de cet élément conjoncturel pour l'année 2023, notre objectif consiste à doubler les effectifs de réservistes en les portant de vingt-quatre mille en 2023 à quarante-huit mille en 2030. Au-delà de cet objectif chiffré, c'est bien une révolution que nous devons mener : garantir la crédibilité de l'engagement des réserves permettra de continuer à attirer les volontaires dont nous avons besoin.

Nous allons démarrer par une augmentation des effectifs à hauteur de deux mille réservistes, soit un objectif de vingt-six mille fin 2024. Une hausse similaire est prévue en 2025, avant de s'orienter vers des augmentations plus marquées pour les années suivantes. Les changements seront à l'oeuvre dès 2024, en mettant l'accent sur la réserve de complément.

Dans cette perspective, le général Bertrand Toujouse, commandant des forces opérationnelles terrestres, a donné l'ordre à tous les états-majors de la force opérationnelle de recruter un réserviste pour un membre d'active en l'espace de deux ans. Un poste de commandement tel que celui de la première division à Besançon compte de l'ordre de deux cent cinquante officiers, sous-officiers et militaires du rang en temps de paix ; cet effectif doit quasiment doubler lorsqu'il est déployé en opération ou en exercice. Afin de pourvoir à ces besoins, il n'est pas raisonnable de compter sur le renfort des seuls membres extérieurs à la division en provenance de l'état-major de l'armée de Terre ou d'aspirants de l'école militaire de Coëtquidan. Il est donc impératif de disposer de réservistes prêts à tenir des postes opérationnels dans nos postes de commandement.

Cette attention portée à la réserve se traduira aussi au niveau de la brigade de renseignement qui créera un bataillon de réserve. Ce dernier pourra non seulement mettre sur pied des unités de renseignement, mais surtout servir de réservoir pour les états-majors ou les régiments.

Par ailleurs, nous placerons le 24e régiment d'infanterie de Vincennes, unique régiment de l'armée de Terre composé intégralement de réservistes, sous les ordres du gouverneur militaire de Paris, afin de l'entraîner et de lui confier une mission proprement territoriale. De surcroît, nous procéderons à la réorganisation des réserves de nos six brigades inter-armes afin de mettre sur pied six bataillons de réserve. Cet effort de territorialisation axé sur des unités accomplissant des missions locales précédera un effort ultérieur de renforcement par la réserve du potentiel de combat de notre force opérationnelle terrestre, par des unités spécialisées de génie ou de reconnaissance par exemple.

J'en viens à notre présence militaire en Afrique : environ cinq mille militaires y sont présents, pour moitié en opérations extérieures, et pour moitié au sein des forces prépositionnées. Dans la perspective de notre départ du Niger, notre dispositif fera l'objet d'une réorganisation. L'Afrique demeure un sujet d'attention. La population du Niger passera de vingt-cinq à soixante-dix millions d'habitants en 2050. La question de la coopération et du partenariat avec le continent restera primordiale dans les décennies à venir. Compte tenu de son histoire, la France, à la fois membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies et membre fondateur l'Union européenne comme de l'Otan, y joue un rôle majeur. L'armée de Terre doit en tout cas lui en donner les moyens.

Cet appui doit-il se matérialiser par des forces prépositionnées présentes en permanence ou par un dispositif plus mobile, intégrant des partenariats de proximité ? Nous avons commencé à développer cette deuxième option. Ainsi, notre école de sous-officiers, qui ne comptait aucun Africain l'année dernière, en accueille désormais vingt-cinq, et ce sera environ une centaine en 2024. De la même manière, l'école des aspirants de Coëtquidan, qui n'accueillait aucun Africain l'année dernière, en compte une dizaine en 2023 et prévoit d'en accueillir encore davantage en 2024.

En outre, j'enverrai des officiers à la fois en Afrique afin qu'ils y suivent les cours des écoles de guerre locales et à l'Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco) en apprentissage de langues vernaculaires. Il s'agit plus globalement de reconstruire une connaissance mutuelle approfondie, pays par pays.

M. Olivier Cadic. - Dans le cadre du travail dédié à la coordination des moyens du gouvernement pour la cyberdéfense et la protection contre les ingérences numériques, j'ai pu visiter hier à Lyon le Centre interarmées des actions sur l'environnement (CIAE). Il s'agit d'un outil extrêmement intéressant d'influence et de contre-influence à l'heure où tous les conflits revêtent un caractère hybride, comme l'illustrent ceux en cours en Ukraine et dans la bande de Gaza.

Je tiens à saluer son chef de corps qui m'a présenté avec son équipe des exemples d'actions offensives et défensives. La situation s'avère plus contrastée au Sahel face à la désinformation d'origine russe, même si notre action s'est révélée très efficace, comme l'ont démontré l'affaire du charnier de Gossi.

Si nos troupes se retirent du Sahel, il me semble important de maintenir des activités visant à défendre l'influence française sur place, même à distance. Quelle est notre stratégie dans ce domaine pour l'après-Barkhane ? Envisagez-vous une action spécifique, en termes de ressources humaines, afin de renforcer l'attractivité de cette activité d'influence ?

M. Philippe Folliot. - J'ai eu l'occasion de me rendre sur la ligne de front en Ukraine, j'ai constaté une utilisation relative des AMX-10 RC. En revanche, le canon Caesar est plébiscité par les Ukrainiens. Vous avez annoncé la livraison de 18 canons de ce type, afin que notre armée dispose à nouveau d'un stock supérieur à 70 unités. Serait-il envisageable de reporter d'un an ces livraisons afin de permettre aux Ukrainiens, qui en ont un besoin urgent, d'en acquérir ?

Mme Vivette Lopez. - Vous avez longuement évoqué les difficultés de recrutement. Alors que le rétablissement du service militaire est de plus en plus évoqué dans le débat politique, pensez-vous qu'il pourrait contribuer à y remédier ?

Général Pierre Schill. - L'influence a été érigée en nouvelle fonction stratégique par la Revue stratégique et par la LPM. Nous devons encore monter en gamme dans ce domaine.

De ce point de vue, le CIAE est une unité extrêmement intéressante, utile avant tout sur le plan stratégique. Néanmoins, elle doit également pouvoir remplir un rôle d'appui et d'influence au profit des forces terrestres. Dans ce cadre, nous doublerons ses capacités au cours des prochaines années afin d'étoffer les actions d'influence tant en direction du Sahel que de l'Europe.

L'entreprise Nexter fabriquait précédemment quatre Caesar par mois. Son volume de production mensuel s'élève désormais à six unités et devrait augmenter ensuite à huit canons. Actuellement, l'armée de Terre dispose de quarante Caesar, ce qui n'est suffisant ni pour l'entraînement, ni pour faire face à d'autres éventualités. Afin de retrouver un stock de soixante-seize unités, nous recevrons, avant la fin de 2023, le premier des Caesar de remplacement pour compenser les équipements cédés à l'Ukraine. J'ai demandé à ce que le dernier canon de remplacement soit livré avant la fin 2024.

Si la société Nexter fabrique huit canons par mois à plein régime, elle pourra aussi bien fournir les Ukrainiens que reconstituer les stocks de l'armée de Terre. Les premiers canons produits ne seront pas systématiquement destinés à la France : en cas de commande ukrainienne, l'entreprise pourra prélever les équipements requis sur les chaînes de production.

J'estime que la solution, d'un point de vue de l'efficacité militaire, reste aujourd'hui celle de l'armée professionnelle renforcée de réservistes compte tenu de l'environnement, des risques et de la cohérence globale de l'armée de Terre française. Un jeune soldat ne sera pas envoyé en opération avant un an de préparation et nous avons besoin de militaires du rang comptant en moyenne sept ans de service afin de disposer de la masse et de l'expérience requises pour des engagements exigeants et des équipements modernes.

Une question plus politique concerne l'utilité du service militaire comme instrument permettant de constituer une Nation. Selon moi, les règles militaires prennent sens dans la perspective du combat : cette finalité justifie la discipline et l'exigence, jusqu'à demander aux soldats de risquer leur vie si nécessaire. Sans cette finalité, la discipline militaire, l'obéissance, la fraternité d'arme peuvent devenir factices ou du moins perdre leur sens.

Cela n'enlève rien à l'intérêt d'une forme de service militaire, sous forme de réserve ou de césure, afin de faire monter en gamme le service autour de nos armées.

M. Cédric Perrin, président. - Merci, mon général, pour cette audition. Il nous faudra sans doute nous retrouver pour approfondir le passionnant sujet de la réserve.

La réunion est close à 10 h 35.

La réunion est ouverte à 17 heures.

Projet de loi de finances pour 2024 - Audition du général Stéphane Mille, chef d'état-major de l'armée de l'air et de l'espace

M. Cédric Perrin, président. - Mon Général, Mes chers collègues, nous poursuivons notre cycle d'auditions budgétaires des chefs d'état-major des trois armées et recevons cet après-midi le général d'armée aérienne Stéphane Mille, chef d'état-major de l'armée de l'air et de l'espace.

Mon Général, soyez le bienvenu devant notre commission pour cette audition qui va nous permettre d'évoquer les crédits de la Mission « Défense » du projet de loi de finances (PLF) pour 2024 alloués à l'armée de l'air et de l'espace.

Au préalable, mes collègues présents à Évreux le 12 octobre dernier et moi-même souhaitons vous remercier à nouveau pour la présentation et la démonstration très réussie des capacités de votre armée lors de cette journée mémorable particulièrement intéressante.

L'armée de l'air et de l'espace a été au coeur de l'actualité en 2023 avec notamment la remarquable opération Sagittaire, qui a permis en avril dernier l'évacuation du Soudan de nos ressortissants et de ceux de plusieurs autres nationalités ; je mentionne également l'opération Pégase, nouvelle démonstration impressionnante de nos capacités de projection dans la zone indo-pacifique, mais aussi la poursuite des opérations de police du ciel sur le flanc Est dans le cadre du conflit ukrainien. Sans oublier, bien entendu, la posture permanente de sûreté aérienne et la composante aéroportée de la dissuasion nucléaire.

Afin de renforcer encore les capacités et l'entraînement de nos armées, nous avons souhaité que la première marche de la nouvelle programmation militaire soit plus haute que ne le prévoyait le texte initialement déposé par le Gouvernement. Vous pourrez-ainsi nous expliquer, mon général, comment les 3,3 milliards d'euros supplémentaires pour 2024 par rapport à 2023 se traduiront concrètement pour l'armée de l'air et de l'espace, aussi bien du point de vue des matériels, de leur disponibilité, de la préparation opérationnelle, que du point de vue des missions et du quotidien des hommes et des femmes dont l'engagement est indispensable pour maintenir un haut niveau de performance.

Si nous nous félicitons des moyens supplémentaires prévus cette année, nous savons qu'ils ne permettront pas de résoudre toutes les difficultés. C'est pourquoi nous aimerions aussi connaître les points qui vous préoccupent, ou qui, du moins, suscitent votre vigilance.

Lors d'une précédente audition, vous aviez notamment attiré notre attention sur un « trou d'air » dans la disponibilité de la flotte des avions de combat en raison des cessions de Rafale et du retrait de Mirage 2000 C et D. Qu'en sera-t-il en 2024 et à quelle échéance les choses rentreront-elles dans l'ordre, compte tenu des nouvelles livraisons attendues ?

En ce qui concerne l'aviation de combat, l'état d'avancement du programme SCAF (système de combat aérien du futur) et de la coopération franco-allemande est évidemment pour nous un sujet de préoccupation. Où en est, de votre point de vue, ce projet essentiel ? Nous avons tous remarqué l'article du Times à ce sujet. Il faut certainement prendre avec prudence cet article, et l'on ne peut exclure une tentative de déstabilisation du projet par nos amis britanniques. Mais nous sommes preneurs de votre appréciation sur ce point, d'autant que nos collègues du Bundestag avec qui nous devions en parler à Berlin hier ont malheureusement été contraints de reporter notre réunion.

La défense sol-air, et en particulier la lutte anti-drones a été un autre point de vigilance l'année passée : êtes-vous à cet égard satisfait des livraisons qui doivent intervenir en 2024 ? Quelles sont les prochaines étapes de la remontée en puissance dans ce domaine ?

Enfin, le PLF 2024 prévoit près de 600 millions d'euros pour renforcer notre présence dans l'espace. La commission se rendra en nombre - avec près d'une quinzaine d'inscrits à ce jour - auprès du commandement de l'espace dans deux semaines. Cette audition est l'occasion pour nous d'être éclairés au préalable sur les principaux enjeux de ce domaine pour l'année à venir.

Je rappelle que cette audition se tient à huis-clos. Mon Général, conformément à une décision du Bureau de la commission et comme pour les autres chefs d'état-major, nous avons souhaité qu'elle se déroule sans téléphones ni tablettes, de façon à en accroître la confidentialité et à vous laisser la plus grande liberté dans vos propos.

J'insiste à nouveau auprès de mes collègues sur la nécessité absolue de préserver cette confidentialité et de ne rien commenter ou relayer de ce que nous nous serons dit aujourd'hui. Sans vouloir trop me répéter sur ce point, il est clair que le contexte actuel doit nous porter tous à la plus grande attention sur ces questions de sécurité de l'information.

Mon Général, je vous cède la parole, après quoi elle sera à nos rapporteurs budgétaires, puis à l'ensemble de nos collègues.

Général Stéphane Mille, chef d'état-major de l'armée de l'air et de l'espace. - Monsieur le Président, permettez-moi tout d'abord de vous féliciter pour votre élection à la présidence de cette commission. Je voudrais aussi avoir une pensée pour votre prédécesseur qui pendant six ans a suivi attentivement l'évolution des matériels, des équipements ainsi que l'activité des armées françaises et en particulier de l'armée de l'air et de l'espace.

Je remercie également les membres de la commission pour leur visite à Évreux et je me réjouis de vous accueillir dans quelques semaines au commandement de l'espace. Vos déplacements sont la preuve de l'intérêt que vous portez à l'armée de l'air et de l'espace et soyez persuadé que les aviateurs y sont particulièrement sensibles.

Une fois n'est pas coutume, je voudrais commencer mon intervention en vous projetant un petit film. Vous avez mentionné la densité de notre activité au cours de l'année 2023 et cette vidéo se concentre sur l'actualité des trois ou quatre derniers mois pour l'armée de l'air et de l'espace en reprenant des séquences que l'on a pu voir notamment dans les journaux télévisés.

Présentation d'un film comportant plusieurs séquences portant sur :

- la mission Pégase 23 de projection de puissance en Indopacifique (10 rafale, 5 A330 MRTT Phénix, 4 A400M Atlas avec 320 aviateurs engagés) ;

- l'évacuation des ressortissants français le 26 juillet 2023 lors du coup d'État au Niger ;

- les secours d'urgence envoyés en Libye en septembre 2023 ;

-  et les dispositifs particuliers de sûreté aérienne mis en place pour la Coupe du Monde de Rugby ainsi que lors de la visite du Pape François.

Comme en témoignent ces images, l'armée de l'air et de l'espace a connu un été particulièrement dense ; il a également été douloureux et je voudrais ici avoir une pensée pour notre camarade du CPA 10 (Commando parachutiste de l'air), le sergent-chef Nicolas Mazier, qui est mort pour la France le 29 août dernier ainsi que pour les quatre blessés du même CPA 10 qui l'accompagnaient et sont tombés dans une embuscade en Irak. Je précise que les quatre blessés vont mieux : je suis allé voir le dernier il y a quelques jours à l'Institut National des Invalides et il est en bonne voie de rééducation. La convalescence des quatre blessés progresse donc et je rappelle que deux d'entre eux ont tenu à rester sur le théâtre d'opération pour continuer le combat: ils y sont encore à l'heure actuelle.

J'en reviens aux missions opérationnelles en commençant par l'Ukraine. Sur le flanc Est de l'Europe, nous observons la poursuite des affrontements dans ce pays, en particulier à travers des attaques de missiles et de drones tactiques. Le chef d'État-Major des armées (CEMA) a déjà eu l'occasion de commenter devant vous la stratégie mise en oeuvre par les deux belligérants et je tiens à souligner que l'armée aérienne a pris une place centrale dans les débats.

Concernant l'engagement des aviateurs, qui est ininterrompu depuis février 2022 dans cette zone, je tiens à rappeler la poursuite des missions de défense et de réassurance qui prennent aujourd'hui essentiellement la forme de déploiements agiles de courte durée sur des bases à l'Est de l'Europe. Tel a été le cas dans les pays baltes et nous étions il y a 15 jours en Roumanie pour organiser un détachement d'une semaine destiné à répondre aux besoins de l'OTAN d'assurer une présence régulière à sa frontière Est. Le déploiement d'un système de défense sol-air SAMP/T (système sol-air moyenne portée/terrestre) en Roumanie se poursuit également dans le cadre de l'OTAN.

De plus, l'essentiel des cessions que l'armée de l'air et de l'espace a consenti au titre du soutien à l'Ukraine porte sur les systèmes sol-air et les missiles de croisière. Elles sont complétées par des formations diverses. Nous poursuivons également les efforts de formation des pilotes ukrainiens et ce volet fait aujourd'hui l'objet d'études dans le cadre d'une initiative européenne.

En Afrique, la situation au Niger continue à faire l'objet de toute mon attention, comme vous l'avez vu sur notre film de présentation. Je tiens d'abord à rappeler que l'évacuation de ressortissants et la mise en alerte de nos moyens dans le cadre de cette crise, notamment à N'Djamena, ont largement mobilisé nos aviateurs durant tout l'été. Jusqu'à huit avions A400M ont été utilisés en projection ou tenus en alerte en métropole ou en Afrique, avec un A400M à Abidjan, plusieurs à N'Djamena. D'autres ont étés positionnés à Solenzara au titre de l'Échelon National d'Urgence (ENU). S'y sont ajoutés trois Mirage 2000 D supplémentaires projetés à N'Djamena et jusqu'à cinq Rafale placés en astreinte à Mont-de-Marsan dont trois ont été projetés à Dakar. Nous avons également mis en alerte des avions A330 MRTT (Multi Role Tanker Transport) et un E-3F Awacs (Airborne Warning and Control System) sur le territoire national, qui se sont ajoutés aux moyens qui étaient déjà prépositionnés sur le théâtre d'opérations avec 2 MRTT. Au final, le protocole de retrait des forces françaises du Niger est entré en vigueur. Depuis un peu plus d'un mois, nous procédons ainsi au retrait des moyens français de la Base aérienne projetée (BAP) de Niamey. S'agissant des drones Reaper : deux sont maintenus sur la BAP de Niamey et les autres vont être rapatriés sur la base aérienne de Cognac pour être remis en état, puis l'un d'entre eux sera projeté en Jordanie. Par la suite, je rappelle que nous allons procéder au rétrofit des Reaper : ces drones vont donc partir aux États-Unis pour être transformés en version Block 5.

Voilà donc ce que je voulais vous dire sur la situation en Afrique. Aujourd'hui, la totalité des moyens aériens, à l'exception des deux Reaper que je viens d'évoquer et d'un hélicoptère de l'armée de terre sont sortis de Niamey ou le seront dans les jours à venir

J'en viens à l'édition 2023 de Pégase qui, comme vous l'avez vu sur les images vidéo, a été couronnée de succès. Tous nos objectifs ont été atteints, à savoir, la réassurance de nos outre-mer, le renforcement ainsi que le développement de nouveaux partenariats, l'interopérabilité, la préparation à la haute intensité - notamment avec l'exercice mené à Guam avec les Américains, l'amélioration de notre connaissance de la région, les signalements stratégiques et la résonance informationnelle. 320 aviateurs ainsi que 19 avions ont été mobilisés et 11 escales ont été réalisées. Ce déploiement a été une excellente vitrine de nos capacités aériennes en mettant en valeur une armée de l'air et de l'espace rapide, agile et manoeuvrante. Je voudrais simplement mentionner quelques points particuliers de ce déploiement et, en particulier, l'opération de sauvetage réel qui a été réalisée au profit des Américains : cette opération les a beaucoup marqués puisque ceux-ci m'en ont spontanément parlé lors de mon passage à Washington. Je rappelle qu'il s'est agi d'un concours de circonstances avec un bateau américain en détresse qui perdait sa batterie à la tombée de la nuit : un de nos avions A400M passant par-là s'est dérouté dans la zone ; il disposait heureusement de jumelles de vision nocturne à bord ce qui a permis de trouver ce bateau qui risquait de disparaitre. Face à l'imprévu nous nous sommes adaptés en changeant la mission pour porter secours à un navire et ce sauvetage a eu beaucoup de résonnance à Washington.

Cette édition 2023 de Pégase a aussi été également l'incarnation d'une véritable diplomatie aérienne, en particulier avec la Corée du Sud et le Japon qui sont des escales que nous n'avons pas l'habitude de réaliser. En Corée du Sud, c'était l'occasion de fêter les 75 ans de ce pays créé en 1948 et, pour le Japon, l'occasion était propice à rappeler que l'aviation militaire japonaise a été créée avec l'aide de la France. Cette séquence historique est peu connue : notre passage au Japon a permis de la remémorer avec beaucoup de succès à Tokyo. Depuis, je communique quasiment chaque semaine avec mon homologue japonais.

Nous avons également été très observés par nos compétiteurs et partenaires, et de nombreuses marques d'intérêt ont ponctué les déplacements de Pégase.

M. Cédric Perrin, président. - L'an dernier, nous avons eu la chance avec mon collègue Hugues Saury de participer pendant une journée à Pégase qui a été également une grande réussite : en 2023 est-ce bien le double de matériels qui a été mobilisé ?

Général Stéphane Mille. - Exactement : nous sommes passés de six à dix avions Rafale et nous sommes en train d'accroitre notre capacité de projection dans toutes les zones du monde. L'année dernière, l'idée était plutôt de d'évaluer notre rapidité de déploiement. Chaque opération Pégase a ses objectifs : en 2020, nous avons testé le concept et notre capacité à le mettre en oeuvre ; par la suite, nous avons réalisé un déploiement très rapide en ajoutant une mission opérationnelle au terme du parcours de façon à évaluer les contraintes de liaison satellite en communiquant, une fois arrivés en Polynésie française par exemple, avec Paris pour recevoir l'ordre d'engagement. Puis nous avons augmenté le volume de matériels et, cette année, nous avons encore amplifié le déploiement avec l'objectif d'ouvrir de nouvelles escales et de se livrer à un entraînement de haute intensité. En 2024, la nouvelle ambition pour Pégase sera de donner une dimension européenne au déploiement. Le CEMAA allemand est assez volontariste et nous avons tous deux ainsi que mon homologue espagnol signé une lettre d'intention pour que nos trois nations du SCAF (système de combat aérien du futur) se déploient ensemble pour un exercice de haute intensité en Australie. Je signale que face au succès de Pégase beaucoup d'autres pays proposent leur participation et au-delà des Allemands et des Espagnols, qui faisaient partie avec nous du coeur de l'opération, les Italiens et les Britanniques sont en train de la rejoindre : on est donc en train de dépasser un peu l'ambition initiale qui, très axée au départ sur le SCAF va avoir une dimension plus européenne.

Voilà pour l'actualité de Pégase 2024 et je note que lors de la semaine des ambassadeurs, plusieurs d'entre eux m'ont indiqué que le passage de Pégase avait eu un incroyable retentissement. On constate ainsi une forte demande non seulement pour que ce déploiement puisse faire étape sur certains territoires mais aussi pour élargir la coopération aérienne avec d'autres pays étrangers. Cette montée en puissance de Pégase se manifeste notamment dans l'Asie-Pacifique.

Par ailleurs, l'actualité récente a aussi concerné la protection de la Coupe du monde de rugby qui vient de s'achever : il s'agissait en particulier de la lutte anti-drone, avec des moyens déployés sur 9 stades et pour couvrir 40 rencontres sportives. C'était le neuvième dispositif particulier de sûreté aérienne (DPSA) d'une année très dense pour l'armée de l'air et de l'espace. Nous avons déployé environ 110 aviateurs sur le territoire national pour cette mission spécifique. Les moyens mis en oeuvre ont été de différents ordres avec des systèmes assez lourds comme le BASSALT militaire ou le RADIANT (recherche active de drones intrusifs, acquisition, neutralisation) qui relève des forces de sécurité intérieure. S'y ajoutent des équipes BADA munies de fusils brouilleurs hyperfréquence de drones et le système SAP de fusion de données : ce dernier, au sein d'un dispositif particulier de sûreté aérienne, permet de récupérer la totalité des données des différents acteurs et de leur rediffuser une image partagée. Le bilan chiffré s'établit comme suit : 55 vols non autorisés de drones ont été détectés, 24 drones ont été brouillés et 9 interceptés. De plus, les forces de sécurité intérieure ont interpelé 9 télépilotes ayant fait voler des drones dans les zones interdites : au final, on a constaté que leurs agissements relevaient plus de l'imprudence et de la méconnaissance que de la défiance ou de la malveillance. Je ne saurai pas vous dire si certains survols interdits ont pu ne pas être détectés mais les résultats que je vous ai cités sont satisfaisants dans le cadre de cette Coupe du monde.

Notre objectif est maintenant de changer d'échelle : nous disposons d'environ huit mois pour passer de 400 heures de lutte anti-drone pendant la Coupe du monde de rugby à 4 000 heures pour être au rendez-vous des JO.

Enfin, l'actualité de l'armée de l'air et de l'espace se situe bien évidemment aujourd'hui au Proche-Orient. Nous avons ainsi contribué au rapatriement de ressortissants français lors des premiers jours du conflit, prenant ainsi le relais de la compagnie nationale alors que la menace se renforçait sur les aéroports israéliens : cinq rotations d'avions A330 MRTT ont été réalisées. Par ailleurs, nous avons à ce jour projeté environ 50 tonnes de fret humanitaire en Égypte par trois rotations les 28 octobre, 3 et 5 novembre 2023 : le fret a été déposé sur la base d'El-Arish, dans le Nord-Sinaï, au plus près de la bande de Gaza.

J'en viens aux trois points saillants que je relève dans le PLF 2024 : ce budget permet, tout d'abord, de soutenir l'activité à hauteur des enjeux opérationnels ; ensuite, ce PLF 2024 poursuit la réparation opérationnelle de l'armée de l'air et de l'espace et prépare les capacités du futur ; enfin, ce PLF place l'aviateur et sa famille au centre des préoccupations en prenant notamment en compte l'amélioration de son environnement et en adaptant les étapes de sa carrière.

S'agissant du soutien de l'activité des aviateurs, je note l'effort significatif en matière de crédits consacrés à la préparation des forces aériennes : l'augmentation prévue de 22% des crédits de paiement de l'action 4 du programme 178 permet de garantir une activité en hausse à nos équipages dans un contexte inflationniste marqué. Cela permettra une activité avoisinant 160 heures par pilote de chasse, 210 heures pour les pilotes de transport et 190 heures pour les pilotes d'hélicoptères. La hausse de cette action 4 « Préparation des forces aériennes » s'élève à 620 millions d'euros pour un montant total qui est porté à 3,5 milliards d'euros. Je souhaite mettre en avant le fait que 200 millions d'euros impacteront notre activité directe au sens comptable du terme : je précise qu'il ne s'agit pas seulement de diviser cette somme globale par le coût de l'heure de vol - 20 000 euros de Rafale par exemple  - mais aussi de prendre en compte la méthode de réalisation de l'activité aérienne. En particulier nous pratiquons désormais, par exemple dans l'Est de l'Europe, des déploiements agiles avec un peu de matériel de-ci de-là : c'est une activité que l'on génère d'une manière différente et qui nécessite des petits lots de projection. Les 200 millions d'euros supplémentaires permettront de financer cette « activité en dentelle » et à apporter des réponses adaptées aux besoins opérationnels. Telles sont les deux composantes intégrées dans cette hausse.

Les munitions bénéficient également d'une hausse de 43% des crédits de paiement. Par ailleurs, je note que la hausse des crédits du programme 178 incorpore quatre modifications de périmètre avec notamment des transferts en provenance du programme 146 « Équipements des forces ». Ces contrats de MCO (Maintien en Condition Opérationnelle) fixent des objectifs de performance ambitieux à l'industrie en termes de disponibilité : par exemple, le MCO des moteurs de l'avion MRTT entre dans le programme 178 alors qu'il était jusqu'à présent financé sur le programme 146.

Je voudrais ici saisir l'occasion de vous parler des moyens qui ne coûtent pas très cher mais qui sont essentiels pour améliorer le MCO.  Il s'agit des initiatives en matière de niveau de soutien opérationnel avec en particulier l'utilisation de l'Intelligence Artificielle (IA) dans le MCO, là aussi pour gagner en disponibilité. Les travaux ou expérimentations menés par l'armée de l'air et de l'espace en lien avec l'Agence de l'innovation de défense (AID) et les industriels nous ont montré que nous pouvions gagner en disponibilité moyennant des sommes modestes. Nous appliquons ces procédés en particulier sur des vieilles flottes comme celles du CASA dont le groupe motopropulseur a été mis sous contrôle, ce qui nous permet en surveillant plusieurs paramètres de prédire un certain nombre de pannes et donc de réaliser des gains en activité.

Je souligne également que les crédits pour 2024 nous permettent de traduire dans les faits un effort significatif en matière de simulation. Ce sujet avait été évoqué dans le cadre de la loi de programmation militaire et il se matérialise en 2024 par la livraison de 44 cabines de simulation massives en réseau (SMR) qui seront mises à disposition des unités opérationnelles et seront capables de se connecter les unes avec les autres. On aura des cabines pour les hélicoptères, les avions de transport et les escadrons de chasse qui permettront de modéliser des missions complexes avec ces simulateurs interconnectés. Nous mettons en place ce dispositif important qui vient s'ajouter aux quatre cabines de simulation Rafale dont nous passons commande en 2024 pour les bases aériennes d'Orange et de Mont-de-Marsan.

J'en viens à mon deuxième grand axe : ce PLF 2024 poursuit la réparation opérationnelle de l'armée de l'air et de l'espace et prépare les capacités du futur conformément aux décisions de la loi de programmation militaire. Je mentionne ici, pour l'aviation de chasse, les livraisons de treize Rafale F4, quatorze Mirage 2000 RMV et le développement du Rafale F5 ainsi que son drone d'accompagnement avec notamment 150 millions d'euros d'autorisations d'engagement (AE) et 12 millions de crédits de paiement (CP) pour le lancement du nouveau Rafale. Ces commandes sont indispensables pour garantir notre capacité à pénétrer les défenses adverses à l'horizon 2035.

Concernant le projet SCAF, les discussions se poursuivent entre l'armée de l'air et de l'espace et ses homologues allemand et espagnol : j'ai signé au dernier salon du Bourget un document de « collaborative air warfare » ou vision opérationnelle commune du combat collaboratif. Les travaux se poursuivent sur les différentes architectures du NGF (Next Generation Fighter) qui est l'avion piloté du SCAF. D'ici un an, seules deux ou trois architectures seront retenues et nous veillerons bien entendu à ce que les exigences et les besoins français soient pleinement pris en compte, à savoir par exemple, la navalisation de l'appareil, l'emport du futur armement nucléaire, l'exportabilité du NGF etc...

Pour l'aviation de transport stratégique et tactique, nous aurons en 2024 la livraison d'un A400M, le lancement de la conversion du premier A330 en MRTT et la livraison, au titre du plan de soutien aéronautique (PSA), d'un hélicoptère Caracal qui lance la modernisation de la flotte HM de l'armée de l'air et de l'espace avec un objectif urgent qui sont les outre-mer. Dès que deux Caracal nous auront été livrés, nous procéderons au remplacement des hélicoptères, la priorité des priorités étant de les amener en Guyane, ce qui devrait se produire en 2025.

S'agissant de la défense sol-air, la première capacité VL MICA (Missile d'Interception, de Combat et d'Auto-défense) nous sera livrée en 2024 et nous avons l'ambition de le mettre en oeuvre à l'occasion des JO. Nous aurons également pour la surveillance de l'espace aérien plusieurs radars qui nous seront fournis : je pense en particulier aux GM (Ground Master) 403 qui seront livrés pour les bases de Rochefort, Orléans et Évreux ; ce sont évidemment des outils importants pour garantir la surveillance de l'espace aérien au-dessus du territoire national.

La remontée des stocks de munitions que nous attendions va intervenir en 2024 avec la livraison de munitions simples, de bombes de 250, 500 à 1000 kilogrammes et de Kits AASM (Armement Air-Sol Modulaire) pour améliorer notre capacité à durer. S'y ajoute la commande de 110 missiles METEOR qui sera réalisée en 2024 pour augmenter sensiblement notre parc.

Par ailleurs, les projets d'INFRA-OPS se poursuivront en cohérence avec la montée en puissance des flottes modernes : je signale en particulier la livraison à Orange de l'escadron Rafale F5 et une inauguration qui est attendue avant l'été 2024. Le centre de formation et le terminal passagers adapté à l'avion A330 MRTT à Istres seront également livrés en 2024.

Enfin, je souligne que le domaine spatial poursuivra sa montée en puissance avec 600 millions d'euros de crédits de paiement pour 2024. Je note que le programme 178 prévoit environ 80 millions d'euros pour le financement des infrastructures du Commandement de l'Espace (CDE) et du Centre d'excellence de l'OTAN à Toulouse. Nous assurons la poursuite des recrutements de personnels et disposons de crédits identifiés pour la location de services spatiaux, ce qui permet de compléter notre socle patrimonial autour de missions de surveillance de l'espace et d'observation : notre objectif est de réduire le « taux de revisite » d'images, c'est-à-dire leur fréquence d'actualisation, afin de faire de l'observation spatiale un outil également tactique en 2024. Le programme 144 prévoit de consacrer 68 millions d'euros aux études spatiales. Le développement du programme Astreos permettra à ce système d'information centralisé de conduire ou planifier des opérations spatiales dans une dynamique multi-milieux et multi-champs. Je mentionne enfin le développement du programme IRIS, successeur du satellite CSO, qui permettra d'atteindre les performances de l'extrême-haute résolution.

Nous réceptionnerons également 57 stations Syracuse IV de modernisation et d'augmentation des capacités militaires de communication par satellite, la livraison de 90 récepteurs résistants au brouillage du programme Oméga qui permettront d'améliorer la précision de Galileo, et le lancement évidemment des études du programme Syracuse V. La montée en puissance du spatial militaire se fait selon une approche innovante, plus agile, l'objectif étant de réaliser des avancées importantes dans des technologies différenciantes susceptibles d'assurer une supériorité opérationnelle, en s'appuyant sur le dynamisme porté par le New Space.

Le troisième et dernier volet de mon exposé budgétaire porte sur les ressources humaines (RH) avec un PLF pour 2024 qui place les aviateurs et leurs familles au centre des préoccupations. Je rappelle que depuis plusieurs années les RH sont un sujet non pas de crise mais de préoccupation de l'armée de l'air et de l'espace. La problématique de la fidélisation me tient particulièrement à coeur : nous faisons face à trop de départs de cadres expérimentés de l'armée de l'air et de l'espace. J'ai ainsi dû renouveler 30% des effectifs de l'armée de l'air et de l'espace en quatre ans : ce n'est pas soutenable dans la durée. Il nous faut donc ralentir cette tendance et garder nos personnels plus longtemps qu'aujourd'hui et je souligne que la situation actuelle nous oblige à sur-recruter, ce qui implique de trouver des recruteurs et de dimensionner un outil de formation en conséquence. Pour illustrer la progression des flux, je donne souvent l'exemple de Rochefort qui abrite notre école de formation des sous-officiers : il y a huit ans, 700 personnes par an y étaient accueillies ; ce chiffre a été porté à 1 400 il y a trois ans et, cette année, la capacité de formation devra intégrer 1800 personnes. Je précise que le niveau de 700 recrutements annuels résultait très clairement de l'application de la RGPP (révision générale des politiques publiques) qui s'est traduite par une phase de déflation d'effectifs. Par la suite, il a fallu stabiliser les effectifs puis inverser la tendance en raison de l'augmentation des départs, ce qui explique les 1800 recrutements actuels par an à Rochefort. Notez que je qualifie la situation de sur-recrutement - lié à des problématiques de fidélisation - car nous devrions normalement recruter 1400 personnes par an pour pouvoir stabiliser notre modèle démographique. En tout état de cause, l'enjeu de la fidélisation n'est pas nouveau pour l'armée de l'air et de l'espace et nous avons engagé depuis plusieurs années des efforts de simplification, de modernisation et d'augmentation des crédits consacrés au recrutement, à la formation et aux processus RH. Je souligne que les quelques 30 écoles de formation de l'armée de l'air et de l'espace - en comptabilisant dans ce chiffre toutes les entités qui dispensent des stages - seront toutes numérisées en 2024. Nous nous sommes lancés dans ce processus depuis déjà trois ans, ce qui nous a d'ailleurs permis de gérer efficacement une bonne partie de la période Covid grâce aux formations à distance. Les jeunes apprécient cette évolution : ils sont beaucoup plus attentifs et plus présents quand on utilise ces outils modernes de formation. Cela représente un investissement qui me semble raisonnable : 600 euros par élève et par an. Au quotidien, j'ajoute que nous avons mis en place une batterie de processus d'automatisation de la gestion des processus RH. Dans un même souci de fidélisation, nous avons modernisé les parcours des aviateurs et 2024 sera l'année de la confirmation des effets positifs d'un parcours de sous-officiers profondément remanié. Cette évolution porte d'abord sur le cadencement des contrats : jusqu'à présent, le premier contrat d'un sous-officier était normalement d'une durée de cinq à six ans ; nous l'avons porté à neuf ans, avec une possibilité de partir au bout de six ans, mais le fait de signer pour neuf ans produit un effet psychologique favorable à la fidélisation.

Nous avons également progressé sur la formation initiale en alternance, les règles de mobilité qui ont été ajustées et l'avancement qui a été dynamisé. J'insiste particulièrement sur l'utilité de l'article 32 de la loi de programmation militaire qui permet un maintien en service allant jusqu'à trois ans pour le personnel atteints par la limite d'âge et à la limite des services sur demande agréée de l'intéressé, et qui permet de recruter les anciens militaires ayant quitté le service actif depuis moins de cinq ans en leur permettant de conserver l'ancienneté de grade qu'ils détenaient au moment de leur départ. Ainsi, sur les quelque 450 aviateurs qui atteindront la limite d'âge en 2024, on estime que 100 à 150 d'entre-eux pourraient être prolongés au titre de cet article 32 une fois les décrets d'applications publiés.

Nous sommes également très attentifs aux questions de logement et d'hébergement qui contribuent directement à la fidélisation de nos aviateurs. En 2024, le plan hébergement prévoit en particulier le lancement de chantiers de construction de logements sur les emprises de Rochefort et de Lyon Mont Verdun ; s'y ajoutent des travaux de rénovation majeurs à Tours et Mont-de-Marsan. S'y ajoutent des travaux importants sur les bases d'Istres, de Mérignac et de Taverny, en matière de rénovation du réseau de chauffage, des réseaux d'éclairage etc... Le plan famille participe aussi directement à la fidélisation : je ne vais pas le détailler car il s'agit d'un plan ministériel global mais je précise qu'il est très attendu par nos aviateurs.

Avant de conclure, je voudrais revenir brièvement sur le plan Altaïr : 2024 marquera l'aboutissement de ce plan de réadaptation de l'armée de l'air et de l'espace lancée en 2021. J'en rappelle les objectifs : simplifier les processus, replacer les missions opérationnelles au centre de l'organisation - avec en particulier le rapprochement des pilotes et des mécaniciens, rapprocher les délégations au plus près du terrain et mieux prendre en compte les sujets territoriaux, c'est-à-dire l'appui aux bases aériennes. La méthode que nous avions retenue était l'analyse de tous les processus de l'armée de l'air et de l'espace et la suppression des étapes bureaucratiques non pas inutiles mais ne générant pas de plus-value indispensable. Les principales décisions, visibles de l'extérieur, ont été le déploiement en 2022 de la brigade de l'aviation de chasse à Nancy puis, en 2023, le déploiement à Orléans de la Brigade aérienne d'assaut et de projection et à Orange de la brigade aérienne des forces spéciales air ; s'y ajoute la création du Commandement territorial de l'armée de l'Air et de l'Espace (CTAAE) qui succède au Commandement des forces aériennes (CFA).

Le dernier facteur important de fidélisation de nos effectifs est de nature pécuniaire. L'effort est poursuivi sur l'indemnitaire auquel sera consacré de nouveaux travaux et 2024 permettra à la Nouvelle Politique de Rémunération des Militaires (NPRM) de produire ses effets en année pleine.

J'attache également beaucoup d'importance à la montée en puissance des réserves. L'armée de l'air et de l'espace a un objectif de 600 réservistes supplémentaires sur l'année 2024 : c'est ambitieux mais cela nous permettra d'augmenter notre capacité et notre réserve de compétences sur des métiers très particuliers comme l'espace, le cyber et le C2 (Commandement et contrôle). Des réserves territoriales à la main des commandants de base aérienne seront constituées, l'objectif étant, à l'horizon 2030, de créer une base aérienne de réservistes utilisable pour des déploiements de circonstance : il s'agit d'un beau projet pour essayer d'attirer des réservistes intéressés pour rejoindre l'armée de l'air et de l'espace.

En conclusion, vous l'aurez compris, le PLF 2024 apporte à mon avis des éléments concrets sur les points d'attention que je viens d'évoquer. Je vais cependant rester très attentif à l'activité et aux RH ; j'y ajoute les infrastructures aéronautiques en rappelant que dans le cadre des travaux de la LPM plusieurs opérations ont été décalées. Toutefois les opérations les plus importantes ont été préservées en programmation afin de ne pas impacter le déploiement des nouvelles capacités et équipements. La maintenance lourde des infrastructures reste un point de vigilance: j'y reste pour ma part attentif parce que nos pistes et aires aéronautiques font partie de l'outil de combat de l'armée de l'air et de l'espace que nous utilisons quotidiennement pour faire décoller la posture permanente de sûreté aérienne (PPS-A) et conduire les missions qui me sont demandées.

M. Cédric Perrin, président. - Je vais laisser la parole à nos rapporteurs de la mission Défense en commençant par le programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense » : je laisse la parole à Gisèle Jourda.

Mme Gisèle Jourda, rapporteure pour avis. - Je vous remercie, Général, pour votre exposé détaillé et je souhaite attirer votre attention sur les points suivants.

Tout d'abord, la nouvelle LPM prévoit un effort significatif en matière d'innovation afin notamment d'explorer de nouvelles technologies de rupture, telles que l'hypervélocité, les systèmes autonomes ou encore les technologies de discrétion et de furtivité. Dans le domaine aéronautique, pourriez-vous nous indiquer quelles études seront menées à compter de l'année 2024, première année de mise en oeuvre de la LPM, destinées à anticiper ces nouvelles technologies ?

Par ailleurs, l'incident des « ballons chinois » en début d'année a mis en exergue l'enjeu que représente la très haute altitude. L'armée de l'air et de l'espace entend-elle se doter des technologies lui permettant d'y répondre ? J'associe à ces questions mon collègue Pascal Allizard avec lequel je forme un binôme de rapporteurs sur ce programme budgétaire.

Général Stéphane Mille. - Dès 2021, j'ai expliqué que l'hypervélocité était pour moi essentielle et qu'il nous fallait examiner très précisément notre potentiel d'action dans ce domaine. Je précise qu'aujourd'hui en Ukraine des missiles hypervéloces sont utilisés mais leur impact n'est pas - pour différentes raisons - celui qu'on attendait. Pour notre part, nous attendons des missiles hypervéloces un impact stratégique beaucoup plus puissant et nous y travaillons.

En réponse à la question technique du président Cédric Perrin, j'indique que nous avons ce matin encore examiné les options possibles dans le cadre du Commandement de l'Espace (CDE). Plus généralement, toutes les technologies de rupture ont besoin d'être expertisées : vous avez par exemple évoqué la furtivité avancée et il y a de nombreux sujets que nous examinons sans pour autant nous lancer tête baissée pour les acquérir. En effet, avant même que certaines technologies deviennent matures, on a parfois les contre-arguments permettant de relativiser leur intérêt pour le futur.

Par ailleurs, vous connaissez mon engagement pour progresser dans la Très haute altitude (THA) : je souligne que nous sommes d'ores et déjà capables de réaliser des missions et, en particulier, la France a les moyens d'intervenir tout comme les Américains l'ont fait à l'égard du ballon chinois. Nous n'avons donc pas besoin d'aller très au-delà de nos capacités actuelles. En revanche, il nous faut réfléchir beaucoup plus sur la façon de mieux exploiter cette très haute altitude que nous n'utilisons encore que très peu. On doit y réfléchir et c'est l'ambition de la stratégie que je vais déposer sur le bureau du CEMA avant la fin de l'année.

M. Hugues Saury, rapporteur pour avis. - Le débat sur l'avenir de nos forces aériennes se concentre d'une part sur le successeur du Rafale et d'autre part sur l'usage des drones à l'aune de leur rôle dans la guerre en Ukraine. Pour autant, une troisième catégorie de matériels, les « effecteurs déportés » (« remote-carriers ») qui tiennent à la fois du drone et du missile, est appelée à jouer un rôle majeur dans le cadre du combat collaboratif. Pouvez-vous nous indiquer vos attentes dans ce domaine, notamment dans le cadre du développement du Standard F5 du Rafale ? Compte tenu du coût d'une telle technologie, ne faut-il pas craindre une nouvelle fois que nous nous dotions seulement d'un échantillon de ce type d'arme ?

Par ailleurs, s'agissant des drones MALE (Moyenne Altitude Longue Portée), quelle vision avez-vous du drone développé par Turgis et Gaillard ? Voyez-vous une complémentarité possible entre ce système et le projet EURODRONE dans l'avenir ?

Je souhaite enfin vous interroger sur l'avion de transport qui s'intitule Futur Cargo Médian ou Future Mid-Size Tactical Cargo (FMTC). À l'heure où une présence renforcée d'A400M en outre-mer est envisagée, quels besoins identifiez-vous pour le remplacement des flottes C-130 Hercules et Casa CN-235 en complément de l'A400M ?

Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure pour avis. - Merci, Général, pour votre exposé incroyablement fourni et concret qui a anticipé beaucoup de questions.

D'une part, pouvez nous apporter quelques éclairages sur le recomplètement des stocks de missiles de croisière SCALP (Système de croisière conventionnel autonome à longue portée) ?

D'autre part, s'agissant de l'Espace, je souhaite vous interroger sur le programme satellitaire IRIS 2 (Infrastructure for Resilience, Interconnectivity and Security by Satellite). Ce matin, le CEMA nous a beaucoup parlé de l'importance du futur cloud de combat soumis à un calendrier incroyablement court, la cible étant fixée à 2030. À cette date, seuls deux satellites resteront opérationnels en attendant l'arrivée de ceux prévus par le programme IRIS 2. Selon les indications en notre possession, il manquerait 400 millions d'euros pour assurer la conduite de ce programme et des débats auraient lieu sur l'opportunité de réduire les performances de ces satellites afin de rentrer dans l'équation budgétaire. Pouvez-vous, dans ces conditions, nous faire un point de situation sur le calendrier, le nombre et les performances attendues de ces nouveaux satellites de la constellation IRIS 2 ? Est-ce que ces derniers auront bien le meilleur standard de qualité possible ? Vous avez parlé tout à l'heure d'une course de vitesse dans un autre cadre, mais dans le domaine que nous évoquons, on constate également un sous-financement par rapport aux autres pays concurrents comme les États-Unis et la Chine.

Général Stéphane Mille. - S'agissant de vos interrogations sur les drones, les effecteurs déportés, le SCAF ou le Rafale F5, je précise de façon générale que nous sommes confrontés à une évolution très rapide de la menace : il faut distinguer celle d'aujourd'hui, celle de 2035 et celle de 2050. J'estime qu'en 2035 interviendra la généralisation des appareils de cinquième génération de type F-35 américain, J-20 chinois ou Soukhoï Su-57 russe ; je signale que les deux derniers appareils cités restent pour l'instant très nationaux mais on ne tardera pas à les trouver ailleurs que dans leurs pays d'origine. La généralisation des nouveaux armements va également concerner les systèmes sol-air. Compte tenu de cette situation, travailler avec un Rafale F5 et un drone d'accompagnement nous permet de garantir notre capacité à pénétrer un espace opérationnel, quel qu'il soit, à l'horizon 2035.

À l'horizon 2050, la dynamique sera similaire avec des technologies encore plus efficaces en termes de furtivité par exemple : s'y ajoute le fait que l'ensemble des moyens sol-air, marine et autres seront alors tous interconnectés et la tâche sera donc encore plus compliquée pour passer à travers. Or notre mission, surtout en matière de dissuasion, consiste à passer quoi qu'il arrive en cas de besoin et donc nous aurons besoin d'une nouvelle génération de matériels à l'horizon 2040, 2045 ou 2050. Quand on fait des projections dans le futur, on n'est pas à cinq ans près mais assurément l'évolution de la menace implique celle de la réponse qu'on y apporte. Aujourd'hui, le Rafale F5 et son drone d'accompagnement évoqués dans la loi de programmation militaire constituent l'essentiel de la réponse française aux appareils de cinquième génération comme le F-35.

Par ailleurs, comme je l'ai indiqué au Salon du Bourget, le drone Turgis et Gaillard est séduisant. Je trouve la démarche assez novatrice avec un développement sur fonds propres de cette technologie assortie de possibilités de réutilisation : je suis donc prêt à payer pour voir ce qui en sortira parce qu'il s'agit encore à ce stade d'un projet théorique - j'attends de voir le moment où le projet va se matérialiser moyennant des coûts annoncés comme nettement inférieurs aux offres concurrentes.

En ce qui concerne le Futur Cargo Médian FMTC, comme vous l'avez indiqué, le sujet qui est devant nous est celui de la fin de l'avion Casa qui est aujourd'hui l'appareil de référence dans nos Outre-mer. Les C-130 utilisés pour les opérations spéciales vont également arriver en fin de vie. Pour remplacer cette catégorie d'appareils, une des hypothèses est de renforcer la présence des A400M dans les outre-mer mais cet avion ne me parait pas être l'alpha et l'omega pour ces territoires. Du point de vue opérationnel, je reste persuadé qu'un appareil de type FMTC qui récupérerait les capacités d'atterrissage en terrain sommaire qui ont été perdues avec la disparition des anciens avions de transport militaire C-160 Transall, nous rouvrirait l'accès à un nombre important de sites, en particulier ultramarins. En nous limitant à l'utilisation d'avions A400M, on perdrait une partie de notre capacité d'atterrissage non seulement par la distance limitée des pistes mais aussi par l'insuffisance de la résistance du sol pour absorber l'atterrissage d'appareils aussi lourds que l'A400M. Nous allons étudier très précisément la question. J'ajoute qu'un certain nombre de pays européens seraient intéressés par notre capacité à développer un appareil de type FMTC.

S'agissant de l'espace, des constellations et des satellites de communication, je confirme que nous ne disposerons plus que de deux satellites à l'horizon 2030. Sur l'espace, je rappelle que la LPM a décidé du choix entre Syracuse et constellation IRIS 2 : il faut voir très concrètement ce qui va sortir de ce dernier programme et dans quelle mesure il pourra répondre efficacement aux besoins de connectivité des uns et des autres. Nous parlons ici d'un projet : IRIS 2 sera une constellation de communication et on se doute de ce que seront ses capacités mais là aussi, j'attends de voir qui va répondre à l'appel d'offre européen, avec combien de satellites et sur quelle gamme de fréquences. Une fois que ces éléments seront fournis, on pourra vérifier qu'ils répondent bien aux besoins des uns et des autres. J'observe que les programmes vont aujourd'hui à une vitesse grand V.

Mme Michelle Gréaume, rapporteure pour avis. - Le Gouvernement a décidé de ne plus diffuser les données en matière de disponibilité technique des matériels ainsi qu'en matière d'activité des forces, ce qui rend plus difficile l'exercice du contrôle parlementaire puisqu'il s'agit d'indicateurs essentiels des performances des armées. Toutefois, puisque ces données sont transmises aux rapporteurs des deux assemblées, on peut affirmer, sans en révéler le contenu exact, qu'après des résultats en forte baisse attendus en 2023, on assisterait à une timide remontée globale à partir de 2024. Général, pourriez-vous revenir, sinon sur les chiffres précis, au moins sur les principaux déterminants de l'évolution en 2024 de la disponibilité d'une part, de l'activité réalisée d'autre part, et ceci par type de matériel ? Notamment, est-ce que les crédits en entretien programmé des matériels (EPM) dont va bénéficier l'armée de l'air et de l'espace vont permettre de pallier les montants insuffisants des années précédentes ? Plus globalement, peut-on dire que les délais de montée en puissance vers l'hypothèse d'engagement majeur (HEM) seront tenus ? Qu'en est-il de la régénération organique permettant de maintenir les savoir-faire nécessaires dans le haut du spectre nécessaires à cet HEM ?

Par ailleurs, depuis quelques années ont été passés des marchés de maintenance dits « verticalisés », visant à lutter contre la tendance au renchérissement du maintien en condition opérationnelle des matériels et à la diminution des performances dans ce domaine. Pourriez-vous faire le point sur les grands marchés verticalisés qui concernent la flotte d'aéronefs de l'armée de l'air et de l'espace : les marchés passés au cours des années précédentes ont-ils donné pleine satisfaction, notamment en termes de coût global ? Quels enseignements avez-vous pu en tirer pour la mise en oeuvre des prochains marchés qui seront passés en 2024 ? Pourriez-vous par ailleurs nous dire si les travaux du groupe de travail de crise lancé en 2020 sur les difficultés liées à la disponibilité de l'hélicoptère NH90 ont commencé à porter leurs fruits ?

Général Stéphane Mille. - Vaste sujet... Je précise tout d'abord que la disponibilité des flottes devra s'accroitre pour accompagner l'augmentation en 2024 de l'activité par pilote. Il faut ici prendre en compte l'ensemble des paramètres et j'avais, il y a deux ans devant cette même commission, indiqué que la cession de nos avions Rafale aux Grecs et aux Croates nous obligerait à solliciter davantage nos appareils afin de générer l'activité dont nous avons besoin pour entretenir les qualifications de nos pilotes et réaliser nos missions. Les marchés verticalisés sur lesquels vous m'interrogez ont parfaitement permis de gérer cette situation. En effet, le plan initial prévoyait 250 heures de vol par avion et par an sur Rafale : c'est à peu près sur ces chiffres qu'est construit le modèle de soutien industriel de nos appareils. Or en 2024, en moyenne, 290 heures de vol sont prévues sur une centaine de Rafales : nous dégageons ainsi des heures de vol supplémentaires qui ne compensent pas tout à fait la cession de 24 de nos appareils mais permettent d'absorber le choc. Cela apporte une réponse aux enjeux de disponibilité ainsi qu'aux marchés verticalisés auxquels il faut accorder un peu de temps pour en retirer une pleine efficacité : il me parait d'ailleurs souhaitable de perdre moins de temps dans les transferts de marchés car quand un industriel souscrit à un marché verticalisé, il prend la responsabilité du matériel, ce qui implique des procédures beaucoup trop chronophages. Toutes nos flottes d'avions font à présent l'objet de marchés verticalisés et, globalement, la période de transfert peut durer trois ou quatre ans pendant lesquels ces marchés d'une durée de huit ou dix ans ne peuvent pas fonctionner à plein régime.

M. Cédric Perrin, président. - Je me souviens bien de l'audition à laquelle vous faites référence mais nous avions aussi, à l'époque, indiqué qu'il fallait travailler sur le RED AIR en mettant des avions à disposition chaque année afin de préserver les appareils : a-t-on avancé sur cette question ?

Général Stéphane Mille. - Des crédits sont prévus au PLF 2024 en faveur du RED AIR et un appel d'offres va être lancé en fin d'année 2023 pour une notification en 2024 sur la partie basique des missions de Red Air comme le bi-routage (qui consiste à tracter une cible de tir) ou les missions de contrôle avancé.

Je précise que tous les objectifs de disponibilité des flottes sont en augmentation depuis la mise en place des marchés verticalisés plus ou moins accentuée avec des taux de disponibilité technique qui affichent une augmentation globale de +8 % sur l'A400 M, +4% sur le Rafale et +3% sur le Caracal. Cette montée en puissance progressive des taux de disponibilité est cohérente avec ce que nous avions annoncé dans le cadre de la loi de programmation militaire : la courbe de progression des objectifs d'entraînement des pilotes s'étalera sur les sept ans de la loi de programmation militaire et elle est nécessaire pour maintenir leur savoir-faire.

S'agissant du fonctionnement des marchés verticalisés et de certains incidents en matière de réception des pièces sur lesquels vous m'interrogez, je fais observer qu'à partir du moment où deux personnes signent un contrat, un problème ne manque pas de surgir à tel ou tel moment et en permanence nous sommes là pour y remédier. Cependant, je souligne à nouveau que sans recours à des marchés verticalisés on aurait eu du mal à absorber l'augmentation d'activité de la flotte Rafale.

M. Joël Guerriau, rapporteur. - Mon général, je reviens sur les questions RH et en particulier sur l'évaporation des effectifs - à hauteur de 30% par tranche de quatre années - que vous avez désignée comme sujet majeur de préoccupation. Pouvez-vous nous apporter plus de détails sur ce phénomène et sur ses raisons? Concerne-t-il plus particulièrement certains grades ou certaines fonctions ? Pouvez-vous nous donner des exemples concrets, y compris peut-être avec le débauchage généré par le secteur privé ? Quels sont les attraits mis en avant par le secteur privé pour attirer vos personnels ?

Le projet de base aérienne de réservistes que vous avez évoqué peut-il en contrepartie devenir une forme de réappropriation de ces départs en encadrant et en conservant une partie de nos compétences et de nos talents. Dans quelle mesure pouvez-vous allonger les contrats pour garder plus longtemps les personnels les plus difficiles à fidéliser ? Quelle forme de dialogue envisagez-vous avec le secteur civil pour arrêter une telle hémorragie ? Peut-on assouplir le recrutement ponctuel d'officiers commissionnés qui viendraient du civil afin de répondre à certains besoins ?

Vous avez également évoqué les questions de formation : avez-vous conclu des accords avec des organismes dispensant des formations spécialisées dans le secteur privé pour faciliter les recrutements, en particulier dans le domaine du numérique ou du cyber ?

Général Stéphane Mille. - De très nombreuses initiatives sont en cours pour essayer de limiter les départs : en particulier, nous signons des conventions avec de nombreux industriels de la défense. Quand notre secteur aéronautique enregistre de très bonnes performances à l'exportation, cela crée mécaniquement un appel d'air pour nos personnels de l'armée de l'air et de l'espace qui sont très bien formés. Par exemple, si pour exportez des Rafale, une entreprise comme Dassault a besoin de moniteurs de simulateur, elle ne peut trouver ces personnels instructeurs que dans l'armée de l'air et de l'espace et pas ailleurs. Il en résulte effectivement une sorte de phénomène de prédation qu'il nous faut maîtriser et tel est l'objet des conventions que nous concluons avec les industriels. Plus généralement, je ne veux pas que les entreprises viennent faire leur marché chez nous en débauchant individuellement les personnes qui les intéressent. Historiquement nous avons pratiqué ce conventionnement avec Air France pendant 20 ans pour éviter le débauchage des pilotes : cela a plutôt bien fonctionné et nous essayons de transposer ce mécanisme à d'autres industriels dans le secteur de la défense.

J'ai également demandé au DRH d'examiner dans quelle mesure on pourrait accompagner des tendances très difficile à contrecarrer : par exemple, on pourrait aussi négocier avec les industriels la possibilité de récupérer comme réserviste 30 ou 40 jours par an une personne qui part de chez nous avec des compétences spécifiques.

Parallèlement, nous essayons bien entendu de garder nos effectifs le plus longtemps possible. Vous nous demandez si nous faisons appel au secteur privé pour former des spécialités particulières : c'est une hypothèse envisageable mais, dans les faits, nos efforts sont plutôt réalisés en interne. Nous ouvrons des classes spécifiques, par exemple, à Saintes dans notre école qui forme des élèves de première et de terminale : on constate que les personnels aviateurs issus de cet établissement restent dans l'armée de l'air et de l'espace en moyenne huit ans de plus que ceux qui ont été formés à l'extérieur. Nous poursuivons donc nos efforts dans cette voie : après avoir ouvert une classe l'année dernière on en ouvre une nouvelle en 2024 pour élargir le vivier de candidats et je précise que 80% des bacheliers de Saintes rejoignent l'école des sous-officiers à Rochefort.

M. Cédric Perrin, président. - Merci pour ces précisions apportées aux rapporteurs. Nous en venons aux questions des orateurs.

M. Ludovic Haye. - Mon Général, permettez-moi de vous remercier pour votre présentation aussi claire que détaillée et de vous interroger sur le volet spatial de notre défense, sujet sur lequel le ministre des Armées a déjà pu nous apporter des éléments de réponse ici même il y a quelques jours. J'ai cependant encore quelques interrogations. Tout d'abord, identifiez-vous un intérêt opérationnel face à l'émergence des lanceurs réutilisables mais aussi des lanceurs dits réactifs qui permettent d'envoyer des charges dans l'espace avec un faible préavis ? Je mentionne que l'US Space Force a récemment fait preuve d'une remarquable capacité à mettre en orbite un satellite en quelques jours en s'appuyant sur la société Firefly Aerospace. Ensuite, comment la stratégie spatiale de défense française s'articule-t-elle avec la Stratégie spatiale européenne pour la sécurité ? Enfin, d'après-vous, la crise des lanceurs impacte-t-elle la montée en puissance de notre capacité spatiale de défense?

M. André Guiol. - Mon Général, le nombre de théâtres d'opérations militaires augmente et concerne tous les milieux et en particulier la très haute altitude que vous avez évoquée. Quels sont les enjeux spécifiques à ce milieu et comment s'articule-t-il avec les autres théâtres d'opération en termes stratégiques? S'agissant de l'espace, comment s'organise la stratégie nationale et internationale de protection contre les débris spatiaux qui deviennent, semble-t-il, une véritable menace ?

M. Philippe Folliot. - Nous voyons à travers ce qui se passe au Sahel toutes les difficultés que nous pouvons avoir avec les forces prépositionnées. Vous nous avez présenté un film particulièrement intéressant sur l'opération Pégase. Force est de constater que la totalité des bases de l'armée de l'air et de l'espace sont dans l'Hexagone : même si certaines bénéficient de l'appellation "base aérienne" en outre-mer, ce sont plus des escales que de véritables bases aériennes. Comment faire en sorte que nous puissions installer deux bases aériennes prépositionnées dans l'Indopacifique, l'une dans l'océan Indien et l'autre dans le Pacifique : cela nous permettrait d'y avoir une posture de présence permanente plutôt qu'intermittente comme Pégase dont l'efficacité est cependant remarquable. Au-delà des discours, une telle permanence donnerait une assise concrète à notre stratégie dans cette zone indopacifique.

Mme Vivette Lopez. - Général, vous avez évoqué les nouvelles technologies et vous allez devoir également tenir compte de la transition écologique. Comment peuvent s'appliquer ces exigences environnementales dans le domaine aérien et spatial qui est le vôtre - je pense notamment à l'utilisation des biocarburants. Ma deuxième question tangente les questions de recrutement et de fidélisation de vos effectifs que vous avez longuement évoquées. On entend beaucoup parler de réinstituer le service militaire : qu'en pensez-vous ? Cela pourrait-il éveiller des vocations et favoriser le recrutement de militaires ?

Général Stéphane Mille. - S'agissant du spatial et plus particulièrement des lanceurs réactifs, c'est-à-dire facilement disponibles : je m'intéresse bien entendu à ces derniers mais la première priorité est de choisir les matériels faisant l'objet d'un lancement : c'est un processus complet et complexe. Je rappelle que jusqu'à présent, seuls de gros satellites étaient disponibles et on ne prenait pas le risque d'en construire un de secours pour des lancements réactifs en cas de besoin : c'était un non-sujet. Demain, quand on disposera de petits satellites destinés à des orbites basses, on pourra peut-être se permettre d'avoir des petits lanceurs réactifs mobilisables en fonction de la situation, du théâtre d'opération et des observations dont on dispose.

Cette problématique m'amène à aborder votre deuxième question : la maitrise de la très haute altitude (THA) apporte certains avantages de l'espace et certains avantages de l'espace aérien traditionnel. En réalité, il faut maintenant construire une continuité qui va du sol jusqu'à l'orbite géostationnaire. Jusqu'à présent, on se contentait de contrôler, surveiller et gérer l'espace aérien jusqu'à 50,000 pieds ou même 20 kilomètres d'altitude : au-dessus, il était tellement compliqué de faire voler un appareil qu'on avait décidé de ne pas y intervenir. En revanche on commence aujourd'hui à savoir utiliser cette tranche d'altitude et il faut maintenant s'y intéresser de très près: on a parlé des ballons mais d'autres objets sont également concernés. Les lanceurs réactifs peuvent être utiles pour atteindre les orbites basses mais peuvent aussi permettre d'envoyer des objets dans la THA. L'intérêt de cette dernière est pour moi évident : la THA est un espace qui nous permet une certaine discrétion car il est moins surveillé que l'atmosphère située en dessous des 20 kilomètres d'altitude.

Par ailleurs, il faut rester très attentifs à nos activités dans l'espace car la situation peut rapidement dégénérer si les déchets spatiaux viennent à s'entrechoquer les uns les autres. C'est surtout le comportement des acteurs dans l'espace qui va permettre d'éviter de neutraliser l'ensemble des orbites par nos déchets spatiaux. Les débris des orbites les plus basses se désagrègent en rentrant dans l'atmosphère et pour les altitudes supérieures il y a maintenant une orbite cimetière sur laquelle on amène tous les satellites usagés pour protéger les orbites utiles. Les déchets spatiaux peuvent également être une arme redoutable mais la plupart de ceux qui pourraient l'utiliser ont également besoin de sécuriser leur présence dans l'espace et donc n'ont pas nécessairement intérêt à augmenter leurs propres risques de collision.

S'agissant de l'idée d'aménager des bases permanentes dans des zones comme le Pacifique, je fais d'abord observer que les outre-mer disposent d'installations qui vont au-delà de la notion d'escale. On a des appareils et en particulier des CASA qui sont basés à la Réunion et d'autres à Nouméa, ainsi que des hélicoptères en Guyane etc.Quand je désigne le commandant de la base aérienne à Cayenne, il exerce ses fonctions à part entière. Je comprends cependant le sens de votre question qui porte sur l'augmentation des moyens prépositionnés dans nos Outre-mer au-delà de l'impact ponctuel de Pégase. La réponse est oui mais cela suppose que vous nous accordiez plus d'avions de chasse. Je fais également observer qu'entretenir un appareil de l'autre côté de la planète est un défi logistique et économique important : on s'en rend compte tous les jours et si demain, vous positionnez un Rafale dans le Pacifique ou à la Réunion je ne suis pas certain qu'il soit simple d'organiser la maintenance ; tel est mon avis et il en va de même aux Émirats arabes unis, à ceci près qu'on ramène plus facilement les appareils depuis les Émirats. J'ajoute que stationner des avions de chasse exige de gros travaux d'infrastructures car il faut par exemple les protéger des aléas climatiques importants que connaissent certains territoires. Les 185 avions de combat dont je dispose me permettent d'assurer mes missions sur le territoire national surtout hexagonal et en opérations ; si on m'assigne la nouvelle mission de positionner une aviation de chasse outre-mer cela viendra en plus. En tout état de cause, avec Pégase on est désormais lancés dans des projections régulières. Pour l'édition 2025 on pourrait aussi imaginer une double projection l'une vers l'ouest, ou vers les Antilles / Guyane, et l'autre vers l'Est ; on pourrait également choisir de procéder à plusieurs petits déploiements plutôt qu'un seul de grande ampleur, ce qui nous permettrait d'être plus souvent présents dans les Outre-mer. Au final toute la question est de savoir s'il faut être présent en permanence où démontrer la capacité à être présent quand on le souhaite : je n'ai pas de réponse définitive sur ce sujet mais je peux vous garantir qu'en 48 heures, on est à Nouméa.

Sur la transition écologique, l'armée de l'air et de l'espace mène actuellement toute une série de recherches et se montre volontariste pour anticiper les technologies permettant d'être en avance sur son temps dans ce domaine. Le premier exemple concerne le drone Rapace présenté lors de la venue du Président de la République lors de ses voeux aux armées. Ce drone est équipé d'une pile à combustible et fonctionne à l'hydrogène : il a été développé par le Centre de Recherche de l'École de l'Air (CREA) en collaboration avec le CEA. Initialement en maquette réduite à Évreux ce drone a effectué un vol à Salon-de-Provence le mois dernier et il sera pris en charge par le Centre d'Initiation et de Formation des Équipages Drones (CIFED) d'ici la fin de l'année : l'armée de l'air et de l'espace s'efforce dont de valoriser cette avancée.

Le second exemple est celui du planeur électrique que l'armée de l'air et de l'espace prévoit d'acquérir à la fin de l'année 2023. L'idée est de développer l'électrification des appareils de début de formation : ces planeurs, équipés de petits moteurs électriques, pourront décoller normalement tractés par un remorqueur et regagner par la suite de l'énergie et de l'altitude durant le vol, éliminant ainsi le besoin de se reposer systématiquement. Cette initiative sera particulièrement utile pour la formation de base des pilotes de planeur.

Parallèlement et plus généralement, l'armée de l'air et de l'espace travaille sur toutes les initiatives permettant de faire fonctionner ses bases aériennes conformément à une attitude responsable en matière d'écologie : cela va du transport électrique autonome à l'utilisation de panneaux solaires et d'autres projets encore en cours de développement.

Enfin, au-delà du service national universel, je n'ai pas entendu d'informations tendant à réinstaurer le service militaire.

M. Cédric Perrin, président. - Moi non plus et peut-être faut-il se méfier des rumeurs ou des déclarations de futurs candidats à l'élection présidentielle.

Général Stéphane Mille. - En revanche, on a évoqué l'idée d'une collaboration entre l'Armée et la Justice pour le traitement des jeunes délinquants et nous sommes très volontaristes pour participer à toutes les initiatives tendant à aider les jeunes qui en ont besoin à mieux se structurer. Si cela peut permettre de les orienter vers une carrière militaire, nous y sommes très favorables. Nous devons également adapter nos méthodes et, par exemple, notre DRH m'a indiqué que les premiers contacts avec des jeunes intéressés par une carrière militaire se déroulent parfois entre minuit et 4 heures du matin avec des joueurs en ligne ou des passionnés d'informatique. Nous devons donc être attentifs à la sociologie et à l'évolution des habitudes des jeunes.

M. Cédric Perrin, président. - Mon Général, merci beaucoup d'avoir abordé autant de sujets de façon aussi riche et intéressante. Nous aurons l'occasion de revenir sur ces différentes thématiques. Merci de nous avoir montré comment l'armée de l'air et de l'espace s'adapte avec succès aux nouvelles menaces. Nous espérons que les moyens qui vous sont alloués permettront d'atteindre les objectifs prévus.

La réunion est close à 19 h.

Mercredi 8 novembre 2023

- Présidence de M. Cédric Perrin, président -

La réunion est ouverte à 9 heures 30.

Projet de loi de finances pour 2024 - Audition du général Christian Rodriguez, directeur général de la gendarmerie nationale

M. Cédric Perrin, président. - Mon général, C'est toujours avec un grand plaisir que nous vous accueillons au Sénat, vous qui couvrez 96 % de nos 35 000 communes. La gendarmerie a en effet une relation ancienne et privilégiée avec les élus locaux et en particulier ceux des communes rurales, même si elle doit aussi prendre en compte l'extension du périurbain et, avec lui, les nouvelles formes de délinquance. Comme les élus, la gendarmerie est en première ligne face aux montées des tensions sociales, des violences de tous ordres, des violences crapuleuses, non crapuleuses, des violences sexuelles, des violences intrafamiliales, mais aussi des violences urbaines. J'entends souvent mes gendarmes me dire qu'ils ont parfois un rôle d'assistantes sociales, mais c'est aussi l'un des rôles que malheureusement, nous devons parfois tous assumer...

Je veux donc rendre hommage au professionnalisme des gendarmes dans ce contexte particulièrement difficile. Comme les élus, la gendarmerie doit répondre à une demande croissante de proximité de nos concitoyens qui, en particulier dans nos territoires les plus enclavés, ont le sentiment d'un reflux des services publics.

Face à cela, le président de la République a assigné des objectifs ambitieux à notre gendarmerie : doublement de la présence sur la voie publique d'ici à 2030, montée en puissance de la réserve opérationnelle jusqu'à 50 000 réservistes en 2027, modernisation du parcours victime, lutte renforcée contre la menace cyber, passage d'une logique de guichet à une logique d'aller vers avec, notamment, les brigades itinérantes. Tout cela, mon général est-il crédible ?

Le budget de la gendarmerie pour 2024 permet-il de répondre à ces objectifs très ambitieux ? Vous nous présenterez en particulier la création annoncée voici quelques semaines des 239 nouvelles brigades, dont près de deux tiers de brigades mobiles. Quelle logique a présidé à la création et à la répartition de ces brigades et, surtout, quel effort en matière de moyens financiers, humains, immobiliers y répond ? La cartographie des nouvelles brigades s'est-elle construite avec les élus locaux, premiers partenaires de la gendarmerie ? Autre enjeu d'importance pour 2024 : les Jeux olympiques et paralympiques de Paris. Dans quelle mesure et selon quelles modalités, la gendarmerie et tout particulièrement la réserve opérationnelle seront-elles sollicitées sans obérer les moyens dévolus à leurs missions ordinaires ?

Général Christian Rodriguez, directeur général de la gendarmerie nationale. - Vous l'avez dit, monsieur le président : entre le 26 juillet, le 8 septembre, la France accueillera les Jeux olympiques à Paris, et deviendra l'épicentre médiatique du monde. Dès lors, le moindre événement sera relayé et marquera durablement l'image de la France.

Dans la continuité des ambitions du Gouvernement, la gendarmerie verra son budget global porté à 6,411 milliards d'euros au PLF 2024 contre 6,187 milliards d'euros en LFI 2023. Ce budget doit nous permettre de répondre aux demandes de sécurité des Français, tout en assumant les mesures générales et catégorielles valorisant le traitement de nos militaires.

Merci à cet égard pour vos propos. Je me joins à vous pour saluer l'engagement quotidien de nos personnels dans les territoires, dans des conditions qui ne sont pas simples et qui ne sont pas appelées à se simplifier.

Au-delà des Jeux, le pays est confronté à une émergence de différents enjeux qui peuvent être générateurs, s'ils ne sont pas anticipés, de crises qui peuvent être protéiformes, mais également concomitantes. Face à l'empilement des situations de crise, nous nous efforçons de nous organiser en développant une stratégie autour de trois axes ayant vocation à couvrir le spectre le plus large de menaces.

La prise en compte de la demande de sécurité de nos concitoyens demeure naturellement une priorité pour 2024 au travers d'une présence accrue sur le territoire. Dans le même temps, nous resterons pleinement mobilisés dans la préservation des intérêts nationaux face aux atteintes à l'ordre public, aux flux migratoires irréguliers, aux actes terroristes. Enfin, nous continuerons à investir dans les nouvelles frontières de la délinquance - je songe notamment à la lutte contre les cybermenaces et à la criminalité environnementale.

La première mission de la gendarmerie n'est pas d'arrêter les voleurs, mais de faire en sorte qu'il n'y en ait pas. Pour cela, occuper le terrain est une condition nécessaire, mais non suffisante. C'est pourquoi le Président de la République a demandé le doublement de la présence des forces de l'ordre sur la voie publique. Après avoir dissous des brigades pendant plusieurs décennies, nous en recréerons 239 d'ici à 2027, dont les premières d'ici à la fin de l'année. Pour cela, nous disposons d'un schéma d'emploi positif de 1 045 ETP. L'augmentation de la présence de voie publique passe aussi par une augmentation de la réserve opérationnelle, avec une cible à 50 000 à l'horizon 2027 et une augmentation de l'enveloppe de 28,89 millions euros en 2024. Depuis le début de l'année, nous constatons une augmentation de l'ordre de 9 % de la présence sur la voie publique.

Par ailleurs, nous changeons de modèle pour aller dans une logique de l'« aller vers » et nous inscrire dans une logique de prise de rendez-vous et de déplacement du gendarme vers l'usager. Cette logique a commencé à être appliquée pendant la crise sanitaire, par exemple sur les violences faites aux femmes ou aux élus, qui sont de plus en plus victimes d'agressions. L'idée, c'est de mettre en place, à terme, une notification rappelant au gendarme qu'il a un rendez-vous. Les technologies existent et seront opérationnelles dans peu de temps. Entre deux rendez-vous, le gendarme pourra assurer de la présence de voie publique. Pour être honnête, nous n'allons pas, à titre d'exemple, déployer ce dispositif dans le Var au mois d'août - les plaintes sont trop nombreuses. C'est plus facile à l'organiser dans les zones où le gendarme attend souvent les usagers - soit les deux tiers ou les trois quarts des départements. L'idée c'est aussi de générer de la présence de voie publique et d'apporter un contact plus confortable entre l'usager et le gendarme.

Pour ce faire, 110 000 téléphones Néo ont été achetés, ainsi que 47 000 ordinateurs portables « Ubiquity ». Ces outils permettent de réaliser tous les actes d'une brigade territoriale en mobilité. Cela nous permettra aussi d'avoir des brigades mobiles pouvant se déplacer vers les usagers dans des communes dépourvues de brigade. Pour cela, nous allons créer l'Agence du numérique des forces de sécurité intérieure (ANFSI), qui est une amplification du ST(SI)², qui passera, en 2023 et 2024, de 378 à 528 ETP.

Dans le même temps, et toujours dans l'idée de mieux répondre aux attentes de nos usagers, le parcours victime sera rénové pour proposer un accueil personnalisé et un accompagnement global. L'idée est de proposer un « front office » unique permettant de guider l'usager en fonction de ses besoins.

Cela renforcera non seulement le confort des usagers, mais également la performance collective des enquêteurs. Nous développons par ailleurs une formation à distance pour permettre aux agents de se former sans se déplacer. La Lopmi prévoit également la création de centres régionaux de formation qui délivreront des formations au plus proche, sans qu'il soit nécessaire de se rendre à Fontainebleau. En outre, nous tâcherons - mais cela n'aura pas lieu en 2024 -- de découper tous les cursus en cycles de cinq jours pour les faire tenir sur une semaine, et passer ainsi d'une logique de masse à une formation individualisée. De la sorte, il sera possible d'inscrire ou de faire inscrire les agents qui s'estiment trop « légers » dans un domaine donné. En passant d'une formation de masse à une formation adaptée, les gendarmes et leurs chefs seront responsabilisés et le rapprochement de la formation permettra de gagner du temps et de la performance.

Le parcours usager, c'est aussi la plainte en ligne. Des expérimentations sont en cours en Gironde et dans les Yvelines, avec l'objectif d'un déploiement national en 2024 et d'une connexion avec la procédure pénale numérique. C'est un outil complexe, mais il permettra, une fois abouti, le « zéro papier » du dépôt de plainte au jugement. Tous les documents seront intégrés, occasionnant des gains de temps et budgétaires, ainsi qu'un confort accru pour l'usager.

S'agissant de la protection des élus, une structure a été créée fin 2023 au sein de mon cabinet. Cette cellule composée d'une sous-préfète et d'un officier de gendarmerie est là pour avoir une vision très précise et appuyer l'action des préfets afin de mieux prévenir et mieux traiter les incidents. Nous travaillons beaucoup avec l'Association des maires de France (AMF) sur ce sujet, et nous avons développé une application dédiée, Gend'élus. Nous avons aussi mis en place un référent « élus » par brigade et formé 23 à 24 000 élus à la gestion des incivilités et des situations de crise du quotidien. Ce centre d'analyse et de lutte contre les atteintes faites aux élus (Calaé) doit nous permettre d'apporter une réponse plus adaptée.

Un mot sur la question des violences intrafamiliales et des violences sexuelles et sexistes, qui sont en augmentation un peu partout. La mise en place des 99 maisons de protection des familles est désormais achevée, et les intervenants sociaux en gendarmerie, souvent financés par les conseils départementaux, sont présents sur le terrain. Notre intention est d'augmenter le volume en place pour la police et la gendarmerie. Côté gendarmerie, nous en avons 260, et nous en voulons 200 de plus à l'horizon 2027. Nous allons aussi poursuivre l'augmentation du nombre d'enquêteurs spécialement formés, avec l'objectif d'en afficher 2 000 dès l'année prochaine.

Si notre première mission est d'empêcher qu'il y ait des voleurs, la deuxième consiste à les arrêter lorsqu'il y en a. La gendarmerie constate approximativement un tiers des faits délictueux signalés à l'échelle nationale, avec un taux d'élucidation à 78 % pour les atteintes aux personnes, ce qui est plutôt satisfaisant. En ce qui concerne les atteintes aux biens, nos performances varient entre 10 et 12 % pour certaines catégories et 40 à 50 % pour d'autres.

Nous travaillons activement sur le développement d'algorithmes pour renforcer notre présence. La maîtrise des stocks de procédures constitue également un véritable enjeu. À ce jour, nous n'éprouvons aucune difficulté particulière. Espérons que cette situation, qui a été facilitée par l'intensification de la formation en police judiciaire, perdure. Dans les écoles, nous avons étendu la formation de 9 à 12 mois, ajoutant un module de 120 heures de renforcement des cours de police judiciaire. Cela permettra à nos gendarmes sortis d'école de tenter le diplôme d'officier de police judiciaire, sans attendre les trois années d'ancienneté requises jusqu'à présent. Nous aurons ainsi un contingent accru d'officiers de police judiciaire (OPJ). Dans le même temps, nos réservistes auront la possibilité d'assumer à nouveau le rôle d'OPJ qui ne leur était pas accessible jusqu'à présent.

Mon deuxième point concerne notre action en faveur de la préservation de l'ordre républicain et de la protection des intérêts nationaux. Nous observons une augmentation très marquée des violences à l'encontre des symboles, avec des contestations de plus en plus hétérogènes. Nous avons par exemple arrêté des moines après l'attaque d'un relais 5G ! Nous observons aussi que la logique algorithmique des réseaux sociaux ne fait que renforcer les croyances des uns et des autres. Il existe ainsi des communautés entières convaincues que la fin du monde est pour demain et nous avons eu plusieurs cas de personnes tuées par leurs voisins, lesquels ont ensuite voulu se faire tuer par des gendarmes. De fait, la crise sanitaire a accentué certaines fragilités, avec un certain nombre de personnes qui ont arrêté de se soigner. En moyenne, des gendarmes se font tirer dessus toutes les deux nuits et un véhicule fonce sur des gendarmes toutes les 30 minutes. Nous assistons à une forme de désinhibition. J'ai ainsi entendu à plusieurs reprises dans les médias qu'il n'y aurait pas eu de violences si la gendarmerie n'avait pas été présente à Sainte-Soline. Un tel discours est imparable et considéré comme légitime par beaucoup. Au total, 146 militaires ont été blessés au cours de la séquence Sainte-Soline et retraites, alors nous en déplorions 139 sur toute l'année 2019, qui était celle des gilets jaunes.

La réponse à cette augmentation de la violence passe par l'accompagnement des personnels, mais également par le durcissement de la formation. Concrètement, nos escadrons sont aidés par l'arrivée des hélicoptères H160 et des blindés Centaure, qui vont nous permettre de redécouvrir la mobilité et la projection de capacités face à des situations qui peuvent être très tendues. Notre rôle consiste à ne pas être surpris. Nous avons aussi relancé la formation au combat et aux manoeuvres sous le feu. En outre, nous sommes dans la dernière annuité de transformation des postes de gendarmes adjoints volontaires (GAV) en sous-officiers de gendarmerie ; au total nous avons réussi trois fois mille transformations de postes. Nous sommes également en train de former des spécialistes en intervention professionnelle pour maîtriser quelqu'un en limitant les risques que l'on fait courir à la personne. Nous avons également créé deux escadrons Guépard à même d'utiliser l'ensemble du spectre de moyens dans des situations de crise extrême.

Par ailleurs, nous avons nos capacités de lutte anti-drones au travers du programme Storm, qui est déjà expérimenté dans plusieurs départements et qui sera mis en oeuvre pendant les Jeux olympiques, avant d'être généralisé. La préfecture de police l'expérimente déjà et le réseau présente l'avantage d'être complètement interopérable entre la police et la gendarmerie. Le système fonctionne tellement bien qu'il est fortement réclamé. Fin 2023, nous aurons 35 000 postes Storm.

L'engagement sur la lutte contre l'immigration irrégulière constitue aussi une manoeuvre de tous les instants aux frontières de la métropole, mais également en outre-mer. La gendarmerie est engagée sur 94 % du frontalier national. Cette action se traduit notamment par l'expérimentation Border Force partagée entre la police et la gendarmerie, ou encore dans les outre-mer avec l'opération Wuambushu. Nous menons aussi des opérations « tempête » contre les gangs et ceux qui vivent de la location d'habitats indignes, contribuant à une immigration importante. Le centre de rétention administrative de Lyon est également placé temporairement sous la responsabilité de la gendarmerie. Chaque jour, environ 1 000 gendarmes sont engagés sur cette mission de lutte contre l'immigration irrégulière.

Par ailleurs, les accords de Sandhurst conduisent le Royaume-Uni à financer une partie importante de notre action en direction du Nord. Chaque jour, 241 réservistes sont mobilisés sur cette mission, avec un plan de financement conjoint 2023-2026 qui s'élève à 540,3 millions d'euros, dont près de 300 millions d'euros pour la gendarmerie.

J'aborderai enfin les nouvelles frontières de la délinquance, et notamment les risques « cyber ». Le ministère a créé un service à compétence nationale dont la mission consistera à avoir un regard sur les menaces en lien avec l'ensemble des services, sachant que nous constatons une grande fluidité dans le partage de l'information depuis le début de la guerre en Ukraine. C'est aussi là que nous trouverons les compétences du haut du spectre nous permettant d'aller traquer des délinquants de plus en plus imaginatifs et qui progressent très rapidement. Par exemple, les IA génératives comme ChatGPT sont aujourd'hui capables de coder des rançongiciels très rapidement, ce qui nécessitera le développement de compétences dans ces champs. L'action contre le blanchiment d'argent ou le démantèlement des groupes criminels implique de savoir tracer les mouvements d'argent, ce qui suppose de s'intéresser à la blockchain et donc de développer des compétences particulières. À ce titre, j'ai rencontré hier le patron de l'agence britannique chargée des sujets cyber et de la criminalité organisée, qui relevait des connexions entre les vendeurs de drogue, qui veulent blanchir l'argent, et les groupes qui ont besoin de transformer de la cryptomonnaie en liquidités. Il peut donc y avoir une forme de mélange et de mise en relation, ce qui suppose un regard assez pointu. Nous avons ouvert un centre de formation sur ces sujets à Lille en fin d'année dernière et entendons continuer à monter en compétence.

Dans le même temps, nous devons continuer à travailler auprès des jeunes. En effet, nos concitoyens n'attendent pas de nous que nous arrêtions les hackers, mais de ne pas être piratés. Ceci veut dire qu'il faut sensibiliser dès le début de la chaîne. Nous le faisons notamment auprès des collectivités par le biais de l'AMF, en développant des outils d'autodiagnostic et de sensibilisation. Nous travaillons aussi sur le « permis Internet » depuis 10 ans avec AXA. Cette action nous fait intervenir dans des classes de CM2 pour sensibiliser les enfants aux risques d'internet.

Comme le disent mes deux fils ingénieurs en sécurité informatique, il faut bien comprendre que la principale source de vulnérabilité se trouve entre le clavier et le dossier du fauteuil ! Il faut donc expliquer les bons réflexes aux utilisateurs. De très nombreuses tentatives arrivent par mail ou par SMS et il importe d'être sur ses gardes en permanence. Tout le monde peut en être victime.

Depuis 2013, nous avons sensibilisé près d'un million d'élèves et nous continuons à développer en interne des compétences, avec l'arrivée de 10 000 cybergendarmes avec des niveaux de compétence variables et environ 1 650 spécialistes de haut niveau. Le contentieux « cyber » s'étend aujourd'hui à une vitesse phénoménale et le Comcyber du ministère de l'intérieur, avec des services enquêteurs de chacune des maisons du ministère, nous permet d'être mieux armés pour lutter contre ces sujets.

Enfin, un mot sur les sujets environnementaux et de santé publique. Nous avons, en 2023, créé notre commandement de l'environnement et de la santé, le Cesan, qui est une élévation du niveau de l'ancien Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et la santé publique (Oclaesp), afin de gagner en performance sur un sujet complexe qui suscite une attente forte. En effet, les atteintes à l'environnement sont régies par seize ou dix-sept codes différents, ce qui permettait aux délinquants d'amasser beaucoup d'argent sans prendre de grands risques. Nous sommes tous montés en compétence, y compris les magistrats, ce qui permet d'avoir un regard mieux partagé. Je citerai l'exemple de l'orpaillage en Guyane, qui implique de savoir suivre l'argent et donc de monter en compétences sur les sujets de cryptomonnaie et de blockchain.

Nous agissons aussi contre les incendies, notamment pour les enquêtes. Nous avons ainsi développé des équipes cynophiles capables de détecter des produits accélérants à l'origine des feux. Les étés 2022 et 2023 ont été difficiles, mais nous n'avons jamais arrêté autant d'incendiaires. Outre le développement des témoignages oculaires, nous avons développé des compétences nous permettant d'aller tout de suite à l'essentiel et de faire des prélèvements sur le terrain. Ce travail entre les pompiers, les gendarmes et les policiers nous a permis de beaucoup interpeller.

Je conclurai en réaffirmant l'engagement des gendarmes, avec un bon budget en dehors du fait que nous devrons prendre les mesures générales et le point d'indice à notre compte.

Je soulignerai néanmoins un point d'attention important concernant l'immobilier. C'est un vrai sujet parce que le gendarme est un militaire qui habite sur place. Or il n'est pas possible d'imposer un logement aux gendarmes si nous ne sommes pas capables de les loger correctement. Nous n'avons pas trop de difficultés sur le locatif, sachant que la majorité des brigades sont en locatif. La construction est assumée par les collectivités et nous sommes locataires. Or, si nous étions effectivement de mauvais locataires il y a 15 ans, un certain nombre de points ont été assouplis. Ainsi, Bercy a relevé de 15 % le plafond du loyer que l'on peut verser, si bien que la construction d'une brigade ne représente plus un risque. De plus, les brigades ne sont plus fermées. Nous avons aussi avancé sur la simplification des référentiels. Par exemple, il n'est plus nécessaire de construire systématiquement deux cellules de garde à vue dans chacune des brigades. Certains endroits n'en comportent pas. Cela simplifie l'équilibre budgétaire de la construction de brigade.

En revanche, le domanial, qui représente environ la moitié des surfaces, est un vrai sujet car nous l'avons laissé filer pendant des dizaines d'années. Nous avons évoqué pour la première fois la possibilité d'aller vers des contrats de partenariat. J'y vois un motif d'espoir, même si la situation prendra du temps à résoudre. L'idée serait de lancer dès 2024 des projets de construction ou reconstruction de grandes casernes et des crédits ont été votés en ce sens.

Je suis bien évidemment à votre disposition pour toute question que vous souhaiteriez me poser.

M. Cédric Perrin, Président. - Merci beaucoup mon général. La parole est à Philippe Paul, puis à Jérôme Darras, co-rapporteurs pour avis de notre commission sur le programme 152.

M. Philippe Paul. - Il y a eu beaucoup de communication, notamment au sujet des brigades nouvelles. Nous nous attendions par conséquent à un budget de la gendarmerie solide, avec tous les voyants au vert. Cependant, en lisant le budget, j'ai eu comme une douche froide. Je m'attendais à une augmentation conséquente des crédits, environ 4,8 %, soit un peu moins de 500 millions d'euros en plus sur le budget 2024 par rapport à 2023, mais vous avez mentionné des éléments non contrôlés perturbant cette augmentation.

J'ai ainsi pris connaissance des mesures Guérini concernant le sol, soit 120 millions d'euros, et des mesures interministérielles gouvernementales, pour environ 170 millions d'euros. Cela fait déjà 290 millions d'euros en moins. Ajoutez l'inflation, estimée à plus de 100 millions d'euros, et nous nous retrouvons avec un manque de près de 400 millions d'euros. C'est loin d'être satisfaisant.

Vous avez évoqué la question de l'immobilier, mais depuis que je suis rapporteur du budget de la gendarmerie, nous estimons qu'il est nécessaire de prévoir chaque année 300 millions d'euros pour les constructions, 200 millions pour les travaux d'entretien, et 100 millions pour le neuf. Or je constate un véritable effondrement, avec seulement 108 millions d'euros cette année en investissement.

Un autre sujet que vous n'avez pas abordé concerne les véhicules. Nous avions estimé un besoin de 3 500 véhicules légers chaque année. Or, si j'ai bien lu les chiffres, on tombe à 500 véhicules. Deux vecteurs extrêmement importants pour la gendarmerie sont ainsi en baisse. Cela a de quoi préoccuper.

Quant à l'immobilier, je souhaite revenir sur deux cas concrets. Tout d'abord, mon département prévoit depuis des années la construction d'une brigade, mais se trouve désormais confronté à la hausse des coûts de 30 %. J'ai écrit au ministre pour demander si la gendarmerie pouvait bénéficier de plus de fonds, mais je n'ai toujours pas de réponse.

Le deuxième cas que j'aimerais évoquer concerne un projet de construction de 80 logements dans le centre du Finistère. Le bailleur social qui doit construire la caserne a demandé la garantie de la mairie où le bâtiment sera implanté. Cependant, le code des collectivités territoriales interdit à ces dernières de garantir des emprunts représentant plus de 50 % de leur budget de fonctionnement. Les recettes de fonctionnement de la commune étant de 7 millions d'euros et le prêt s'élevant à 14 millions d'euros, il n'est donc pas possible de le garantir. Comment faire ? Certains suggèrent que la communauté de communes ou le conseil départemental garantissent l'emprunt, mais je ne pense pas que l'un ou l'autre soit favorable à cela.

M. Jérôme Darras. - Merci, mon général, pour votre présentation à la fois détaillée et claire. Je fais miennes les interrogations de mon collègue co-rapporteur sur le budget dans son ensemble. Certes, il respecte les engagements de la loi de programmation, mais dans un contexte économique caractérisé par une forte inflation et avec une masse salariale beaucoup plus importante que prévu, même si nous nous réjouissons des effectifs supplémentaires et de la juste évolution du salaire de nos gendarmes. Toutefois, cela emporte aussi des contraintes fortes sur l'investissement général et sur l'immobilier en particulier, ainsi que sur le parc de véhicules légers.

Je voudrais ajouter trois questions, une sur le matériel, une sur le recrutement, et une sur la réserve. Sur le matériel, l'acquisition par la gendarmerie de l'hélicoptère H160 de dernière technologie permet de renforcer non seulement l'offre de sécurité quotidienne des populations et des territoires, mais aussi la réponse aérienne dans le cadre de la mission de contre-terrorisme. Il semble néanmoins que l'industriel connaisse des difficultés à fournir des machines complètes à échéance. Pourriez-vous nous préciser les dates de livraison prévues pour ces matériels ? Les premières seront-elles bien assurées dès 2024 ? S'agissant également du renouvellement des blindés, pourriez-vous nous préciser comment le programme Centaure sera déployé au sein des unités de gendarmerie, que ce soit dans les escadrons de gendarmerie mobile, les antennes du GIGN, ou au Centre national d'entraînement des forces de gendarmerie ?

En ce qui concerne le recrutement et les départs anticipés, des informations préoccupantes remontent sur les difficultés de recrutement et de fidélisation des gendarmes. La presse a cité le chiffre de 3 000 départs non prévus en 2023, évoquant une possible baisse du nombre de candidatures au concours, notamment pour les sous-officiers, avec pour conséquence une possible baisse du niveau. Vous avez été rassurant lors de votre audition à l'Assemblée nationale, mais un jeune entrant dans la gendarmerie envisage-t-il réellement d'y faire toute sa carrière, avec les fortes contraintes que représentent le casernement et des mutations ? Les 1 045 nouveaux postes annoncés pour 2024 seront-ils pourvus durablement sans difficulté ?

Enfin, la montée en puissance de la réserve opérationnelle est une nécessité, compte tenu de l'objectif de 50 000 réservistes en 2027. Dans mon département du Pas-de-Calais, les réservistes sont très sollicités afin, dans le cadre du traité de Sandhurst avec le Royaume-Uni, d'assurer la surveillance de la côte. Vous avez mentionné le chiffre de 241 réservistes engagés tous les jours pour un total de 2 000 réservistes employés quotidiennement. A-t-on une doctrine d'emploi arrêtée sur la réserve ? Les réservistes sont-ils destinés à suppléer les gendarmes, à les accompagner et à les assister, ou peuvent-ils, dans certaines circonstances et sous certaines conditions, se substituer totalement à eux ? Quel bilan quantitatif et qualitatif faites-vous de leur mobilisation en 2023, et quelles sont les perspectives pour 2024, notamment en vue des Jeux olympiques ? Je vous remercie.

Général Christian Rodriguez. - En ce qui concerne le matériel, nous espérions initialement recevoir les premiers H160 d'Airbus avant les Jeux. Toutefois, des problèmes d'approvisionnement pour certaines capacités spécifiques ont entraîné des retards. Airbus propose de livrer les machines sans ces capacités avant les Jeux, mais j'ai préféré attendre pour recevoir des machines complètes afin d'éviter des allers-retours inutiles. De plus, nous avons nos H145 qui continuent à voler. Nous espérons les premières machines pour la fin 2024.

Concernant les blindés Centaure, nous en avons actuellement une trentaine à Satory, et nous formons les pilotes pour ces engins nouvelle génération. Nous sommes aujourd'hui en mesure d'engager l'équivalent de 4 Centaures avec des pilotes. Lorsque nous aurons les 90 véhicules, l'idée serait d'en avoir à Satory, la région parisienne étant plus consommatrice de maintien de l'ordre dur et Paris permettant de projeter partout. Nous en aurons aussi dans les régions et travaillons actuellement au positionnement des structures de soutien opérationnel des véhicules. Nous réfléchissons aussi à l'opportunité de faire appel à des pilotes issus des escadrons de proximité. Notre questionnement ne porte pas tant sur la compétence que sur l'attractivité du poste de gendarme mobile. Nous enverrons également des Centaure outre-mer, mais cela nécessitera la construction de hangars.

S'agissant du recrutement, les 3 000 départs annoncés dans la presse incluaient en fait les gendarmes adjoints volontaires devenus sous-officiers de gendarmerie. Le chiffre est donc erroné. Le recrutement de nos sous-officiers parmi nos gendarmes adjoints volontaires est une voie importante. Nous avons même créé une voie simplifiée pour les jeunes. En réalité, les départs sont effectivement un peu plus importants qu'avant, mais de quelques centaines seulement. En outre, malgré une légère baisse du niveau de recrutement, le niveau moyen reste très bon. Le taux de sélection est satisfaisant, mais les jeunes d'aujourd'hui sont différents de leurs aînés. Ils écrivent certes moins bien et courent moins vite, mais ils comprennent beaucoup plus vite les questions numériques. Il faut prendre en considération leur niveau quand ils sortent et non quand ils rentrent. Nous n'avons pas d'autre choix que de nous adapter. Je peux néanmoins vous affirmer que les jeunes qui réussissent le concours veulent rejoindre la gendarmerie. L'envie est réelle, même si ces jeunes changent d'une génération à l'autre. Quoi qu'il en soit, nous ne licencions pas plus qu'avant. Nous arriverons au recrutement des ETP prévus, comme pour les 50 000 réservistes.

Cela étant dit, les réserves augmentent partout, créant une forme de concurrence qui nous impose d'être bons. Nous avons les budgets et nous devons repenser notre manière de recruter, sachant que deux tiers de nos réservistes n'ont eu aucune relation avec la gendarmerie auparavant. Nous irons chercher quelques retraités pour aller plus vite, mais nous continuerons d'aller chercher des jeunes.

En ce qui concerne l'immobilier et les brigades nouvelles, la création de 239 nouvelles brigades sur un total de 31 000 ne représente pas un pourcentage phénoménal et n'allait pas générer un milliard supplémentaire dans le budget. Cela étant, les soclages budgétaires sur les loyers sont intégrés dans les constructions budgétaires annuelles. Nous travaillons sur des solutions pour réduire les coûts, en ajustant les référentiels, afin de tenir compte de l'inflation. Nous avons demandé et obtenu du ministère de l'économie et des finances une augmentation du loyer afin que le montage budgétaire se tienne. Nous jouons avec tous les curseurs à notre main.

S'agissant des véhicules, nous commanderons effectivement moins de véhicules en 2024 qu'en 2023. Lorsque la Lopmi a été construite, l'inflation n'était pas un sujet de préoccupation et nous devons désormais l'assumer. J'espère que les choix faits en 2024 seront pris en compte dans le budget 2025, mais nous ne sommes pas les seuls dans cette situation et le pays doit faire des économies. Je pense néanmoins qu'il faudra être vigilant sur la construction du budget 2025.

M. Olivier Cadic. - Je souhaite aborder le programme 129, en particulier ce qui concerne la cybercriminalité. Avant d'approfondir ce sujet, je tiens à revenir sur les événements récents au Maroc, notamment devant l'une de nos emprises diplomatiques hier. J'aimerais obtenir des informations sur le niveau de présence des gendarmes dans nos emprises diplomatiques pour l'année prochaine.

La gendarmerie nationale est souvent citée en exemple pour son avance dans la prévention et le traitement des menaces cyber. Vous avez évoqué les moyens techniques et humains, ainsi que la discussion avec le Comcyber et l'Anssi, mais vous n'avez pas mentionné les collectivités locales. Avec l'arrivée du Centre gouvernemental de veille, d'alerte et de réponse aux attaques informatiques (Cert), j'aimerais connaître votre opinion sur cette nouvelle organisation et sur le développement de la coordination entre les acteurs. Y a-t-il un risque de confusion et de dispersion des moyens avec un nombre trop élevé d'acteurs ?

La question se pose également concernant les coordinateurs au sein des ministères impliqués, tels que le service du Premier ministre, le ministère de l'intérieur et celui du numérique. Ne pensez-vous pas que l'état actuel de la menace cyber justifierait une clarification de notre dispositif avec un coordinateur unique et une nouvelle stratégie en cybersécurité ? Je vous remercie pour vos éclaircissements sur ces points.

M. Mickaël Vallet. - En janvier 2022, lors de son discours sur la sécurité, le président de la République avait annoncé un plan d'investissement et de lutte contre la criminalité numérique dont l'une des mesures phares était la création d'un équivalent numérique du 17. Le lancement de ce numéro était prévu pour mars 2024 autour d'un partenariat avec le groupement d'intérêt public cybermalveillance.gouv et le ministère de l'Intérieur, qui financerait à parité pour la police nationale et la gendarmerie.

Cependant, des informations récentes laissent entendre que ce numéro d'appel pourrait finalement être une plateforme numérique. Pourriez-vous nous apporter des éclaircissements sur cette évolution et nous informer de l'état d'avancement de ce projet ?

M. Philippe Folliot. - Le 9 juin 2022, le président de la République a annoncé la création de nouvelles brigades mobiles dans le département du Tarn. Une carte a été présentée, illustrant des zones de faible densité de présence de gendarmerie. Cependant, des choix ont été faits, et il serait intéressant de comprendre qui a pris ces décisions. Est-ce vous, Monsieur le Général, ou le ministère de l'intérieur ? Il semble que ces choix ne correspondent pas nécessairement aux zones préétablies, avec des propositions de collectivités suggérant des expérimentations de brigades mobiles à moindre coût, avec des coûts de location presque moitié moins élevés que ceux d'une brigade classique. La question est donc de savoir si la gendarmerie dispose des ressources nécessaires pour choisir l'option la plus coûteuse plutôt que la plus économique.

M. Olivier Cigolotti. - Mon général, pouvez-vous nous faire un point rapide sur ce qui a pris l'appellation de DGE (dispositif de gestion des événements) qui était à mon sens une fausse bonne idée qui n'a donné satisfaction ni aux gendarmes, ni aux élus ?

Général Christian Rodriguez. - En ce qui concerne les emprises diplomatiques, nous comptons actuellement 91 emprises, 304 gardes de sécurité diplomatique et 37 gendarmes. Nous n'anticipons pas d'augmentation systématique, mais nous ajustons nos effectifs en fonction des besoins. Par exemple, nous sommes en train de planifier le déploiement de l'équivalent d'un peloton d'intervention mobile au Niger. À Khartoum, nous avons renforcé nos effectifs avant d'évacuer. Fréquemment, des demandes de renforts surviennent lorsqu'une tension particulière se manifeste sur une emprise, et cela se fait rapidement. Nous disposons d'une réserve de personnel que nous pouvons mobiliser facilement en fonction des besoins, par exemple pour protéger les intérêts français au Niger. Si l'équivalent d'un peloton est requis, cela ne pose pas de difficulté, et nous sommes capables d'agir rapidement. J'étais en contact cette semaine avec le directeur général du Quai d'Orsay, qui suit ces sujets de près. À cette heure, aucun sujet préoccupant n'a été identifié. Si la situation se tend dans certains pays, nous serons prêts à intervenir.

S'agissant de la cybercriminalité, je partage entièrement votre analyse : il est essentiel que chacun s'implique, car la tendance très administrative à centraliser les ressources au même endroit n'est pas appropriée. En effet, les vulnérabilités sont partagées et il est crucial que tous, y compris les scientifiques, s'intéressent à l'utilisation du numérique pour améliorer la performance globale. À cet égard, nous avons pris des mesures ces dernières années en recrutant davantage de scientifiques. Plus de la moitié de nos officiers récemment recrutés sont des ingénieurs ou ont un niveau bac +5 en sciences dures. Nous avons renforcé nos critères de recrutement en matière de compétences scientifiques, mais il reste essentiel de mettre en place des parcours de carrière attractifs pour les retenir. Je partage l'idée que l'Anssi joue un rôle naturel de coordination, mais il est crucial de coordonner efficacement les efforts, car la complexité du domaine numérique rend délicat le tracé des contours d'une telle coordination. Je crois en la capacité de l'ANSSI à jouer un rôle central dans son domaine, mais il est nécessaire de coordonner l'ensemble des initiatives pour relever les défis considérables auxquels nous faisons face.

En ce qui concerne le 17 cyber, une réunion récente a eu lieu avec le cabinet du ministre. Nous travaillons avec la société Assima sur un guichet basé sur une logique de déclenchement via un site plutôt que sur un simple appel téléphonique. Nous avançons sur la définition des contours de ce dispositif et sur les aspects techniques pour assurer une mise en oeuvre efficace. En effet, la complexité des questions numériques nécessite une approche réfléchie, car avoir une bonne idée ne suffit pas si sa mise en oeuvre n'est pas adaptée à la réalité opérationnelle. Nous sommes en train de définir les modalités de communication pour fournir davantage d'informations et je pense que nous serons au rendez-vous.

En ce qui concerne le choix des brigades, je tiens à souligner qu'une concertation a eu lieu entre les préfets, les élus locaux et les commandants de groupements. Les options ont ensuite été présentées au ministère, et bien que j'aie eu l'occasion de discuter des détails opérationnels dans certains cas, le choix final ne m'a pas appartenu. Il a fallu trancher dans certains départements ayant jusqu'à 5 ou 6 propositions de brigades. Le processus de sélection entre brigades fixes et mobiles a été principalement guidé par des considérations opérationnelles. La différence de coût n'est pas si importante. En effet, nous serons sur du locatif ; la seule différence portera sur la taille de l'infrastructure en locaux de service. Le choix d'avoir deux tiers de brigades mobiles participe quant à lui du fait qu'une brigade fixe doit s'intégrer dans son écosystème et gérer les interventions de manière efficace. Par opposition, les brigades mobiles sont surtout appelées à se déplacer et présentent moins de contraintes opérationnelles, mais il est crucial de les placer à des endroits évitant toute perturbation des brigades voisines. Le choix entre brigades fixes et mobiles a été le fruit d'une réflexion approfondie et s'appuie sur une diversité de modèles qui s'adapteront aux besoins locaux. L'alchimie est complexe, mais nous restons ouverts à des ajustements au fil du temps.

Le DGE est un système visant à optimiser, via un algorithme, la présence des patrouilles en fonction des évènements : il s'agit de placer les patrouilles là où il est prévu qu'un évènement se produira. Cependant, ce système a pu être dévoyé, avec des patrouilles effectuant des rondes constantes alors que celles du DGE ne sont pas censées bouger. Nous sommes en train de renforcer nos effectifs dans les centres opérationnels pour permettre une meilleure gestion et une mobilisation plus efficiente. L'objectif est d'ajuster le dispositif pour réduire le nombre de patrouilles tout en maximisant leur présence là où elles sont réellement nécessaires, en particulier la nuit. Nous travaillons activement à atteindre un équilibre optimal dans la gestion de ce système, et nous sommes engagés à le faire évoluer pour une efficacité opérationnelle accrue.

M. Joël Guerriau. - Dans une société en proie au vieillissement, nous constatons une tendance à encourager les personnes âgées à demeurer le plus longtemps possible à domicile, générant une population particulièrement vulnérable. Des organisations spécialisées ciblent délibérément cette population. Comment prévenir ces situations qui, une fois le préjudice commis, entraînent des répercussions tragiques sur des individus dont l'espérance de vie est souvent limitée ? Je suggère à titre personnel le recours à la réserve citoyenne pour mener des actions de sensibilisation. Cela permettrait de libérer les gendarmes pour d'autres missions.

Mme Gisèle Jourda. - Je voudrais aborder la question des risques terroristes, en particulier dans le contexte du département de l'Aude et de la ville de Trèbes, qui a malheureusement été touchée par des actes terroristes, soulignant que la menace peut également s'étendre aux zones rurales. Je voudrais savoir si la capacité de renseignement des gendarmeries locales a été renforcée.

Mme Michèle Gréaume. - Je voudrais intervenir au sujet de la fidélisation des gendarmes. J'ai appris que le ministre de l'Intérieur avait été sollicité concernant de gros problèmes de gestion RH dans les secrétariats généraux pour l'administration du ministère de l'intérieur (Sgami), notamment en île de France. Des erreurs ou des retards auraient été constatés dans les déroulements de carrière et donc dans les salaires. Je voudrais donc connaître la source du problème et ce qui a été mis en place pour le régler.

Mme Sylvie Goy-Chavent. - Je voudrais tout d'abord insister sur l'obsolescence des véhicules utilisés par nos gendarmes, qui sont de plus en plus sollicités avec des zones d'action qui peuvent atteindre presque le quart d'un département.

Ma question porte sur la protection de nos gendarmes : aujourd'hui, les délinquants utilisent de plus en plus souvent des armes de guerre et il est à craindre que le conflit en Ukraine conduise à en importer de nouvelles. Comment la gendarmerie s'adapte-t-elle à cette nouvelle configuration ?

Général Christian Rodriguez. - En ce qui concerne le vieillissement de la population, nous tâchons de segmenter le travail sur les réponses que l'on peut apporter. Nous l'avons fait pour les femmes victimes de violences, en particulier au sein du couple, et pour les enfants. Concernant les personnes âgées, nous recherchons une solution qui permettrait de s'inscrire dans la logique de « l'aller vers », par exemple dans les Ehpad, pour faire de la prévention. Nous avons besoin d'une doctrine, et il est vrai que la réserve citoyenne pourrait apporter une contribution. Nous allons étudier cette piste, mais je ne peux guère être plus précis. Nous avons le sujet en tête, mais nous n'avons pas encore trouvé de réponse satisfaisante.

Il y a bien une doctrine d'emploi des réserves. Mon idée serait de faire appel aux réservistes pour « montrer du bleu » tout de suite, sachant qu'un récent décret les autorise désormais à garder leur arme à domicile. Nous ne le ferons pas avec tous les réservistes, mais nous pourrons faire appel à des personnes que nous connaissons et qui pourront conserver leur arme dans un coffre pour intervenir et commencer à prendre les identités lorsque des évènements le nécessiteront. Avoir rapidement sur place une personne identifiée comme un gendarme produira un effet de sécurisation. Nous avons quelques idées en matière de doctrine, mais il nous manquait le décret pour le maintien de l'arme. Nous y travaillons et devrions assez rapidement dégager des possibilités, en nous entourant de toutes les précautions nécessaires

En ce qui concerne le terrorisme, le renseignement territorial fonctionne bien et tous les responsables que j'ai rencontrés ont bien compris l'intérêt d'utiliser les modes de fonctionnement différents des policiers pour bonifier ce qui remonte. Nos agents de renseignements sont nos gendarmes et nos réservistes et je dois faire en sorte que tout remonte à ceux qui analysent. Nous sommes également en train de travailler sur un petit logiciel sur Neo qui permettra de faire remonter des signaux faibles pour analyse.

Les Sgami ne gèrent pas la gendarmerie, mais uniquement nos civils. Nous sommes en train de reprendre la main sur nos personnels civils, et je vois très régulièrement nos organisations syndicales pour travailler sur ces sujets. Toutefois, il est vrai que la question du Sgami Paris est complexe.

L'obsolescence des véhicules est moins vraie qu'elle ne l'était ces dernières années. Même s'il est vrai que nous réduisons le nombre de véhicules cette année, nous avons vu arriver de nombreux véhicules neufs dans les années passées. J'espère que nous remonterons assez rapidement pour conserver un flux.

En ce qui concerne les moyens de protection, nous avons engagé un processus d'élévation du niveau d'équipement après les évènements d'Ambert : un gilet « 3 en 1 » modulable permettra d'intégrer des plaques de kevlar à la hauteur de la menace. Globalement, les gendarmes portent leur gilet en tout temps, même quand il fait très chaud. Les gilets simples sont plus confortables, mais il nous faut des gilets plus lourds dans les cas graves. Les casques ne sont pas encore déployés partout. Nous dotons les PSIG et, progressivement, les brigades. Mais vous avez raison d'insister sur ce point ; c'est mon principal sujet de préoccupation.

M. Cédric Perrin, Président. - Mon général, je vous remercie. C'était une audition importante, compte tenu de la montée des violences dans notre pays, et nous retenons votre constat d'une contestation de plus en plus importante et systématique de l'ordre républicain. Les gendarmes sont parfois au premier rang des victimes de ce genre de violences.

Nos rapporteurs vous ont fait part des préoccupations de notre commission sur les moyens, et je pense que chacun d'entre nous se reconnaîtra dans l'hommage rendu aux hommes et aux femmes de la gendarmerie, qui sont parfois le dernier service public auquel on a affaire.

Je vous souhaite évidemment de réussir à mettre en oeuvre ce que le président de la République vous a demandé, et je pense qu'un peu plus de « bleu » ne pourrait qu'être positif. J'ai malheureusement l'impression que ce combat n'est pas gagné, comme en attestent les témoignages des DGGN qui se sont succédé à votre place. Nous espérons que ces demandes seront mises en application et que les moyens assez satisfaisants qui vous sont dévolus vous permettront de mettre cette politique en oeuvre.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est ouverte à 11 heures.

Projet de loi de finances pour 2024 - Audition de M. Emmanuel Chiva, délégué général pour l'armement

M. Cédric Perrin, président. - Nous accueillons à présent M. Emmanuel Chiva, délégué général pour l'armement, que je remercie d'être parmi nous ce matin.

Monsieur le délégué général, le projet de loi de finances pour 2024, première année de mise en oeuvre de la nouvelle loi de programmation militaire, prévoit une hausse des crédits consacrés à nos armées de 3,3 milliards d'euros, en conformité avec la trajectoire votée par le Parlement en juillet dernier.

Le programme 146 « Équipement des forces », dont vous avez la coresponsabilité avec le chef d'état-major des armées, bénéficiera à lui seul d'une hausse de 1,2 milliard d'euros en crédits de paiement.

L'année 2024 devrait ainsi voir la livraison de 13 Rafale, un SNA, 12 canons CAESAR budgétés et 18 de restitution par l'industriel, 33 Jaguar, 138 Griffon ou encore 57 stations de communication satellitaire Syracuse IV. D'importantes commandes devraient également être passées, qu'il s'agisse des chars Leclerc rénovés, des Griffon, du Falcon Archange, ou encore des fusils brouilleurs de drones.

Vous nous direz dans quelle mesure ces crédits permettront, dans le domaine capacitaire - et malgré les étalements de programmes que nous avons regrettés ici - de répondre aux enjeux soulevés dans la LPM, en particulier la nécessaire anticipation de la haute intensité ou encore l'intégration des nouveaux champs de conflictualité. Quelles mesures sont envisagées par la direction générale de l'armement (DGA) pour faire face aux conséquences de l'inflation, estimée par le Gouvernement à 2,6 % en 2024, niveau jugé « plausible » par le Haut Conseil des finances publiques même s'il existe un « risque de dépassement lié notamment à l'évolution récente du prix du pétrole ».

Vous pourrez également nous indiquer où en est le passage à ce qu'on appelle abusivement l'« économie de guerre », la DGA jouant par définition un rôle moteur en la matière.

En ce qui concerne certains programmes structurants, nous souhaiterions que vous nous éclairiez sur l'état de la coopération franco-allemande sur le programme de système de combat aérien du futur (SCAF). Un article paru mercredi dernier dans le quotidien britannique The Times fait état de la possibilité que l'Allemagne se retire de ce programme pour rejoindre le projet Tempest. Nous regardons cet article avec une grande prudence, mais quelle est votre analyse ?

Quels retours avez-vous de vos homologues allemands sur cette question ?

Le programme Main Ground Combat System (MGCS) connaît également des difficultés récurrentes. Afin de le relancer, les autorités françaises et allemandes ont choisi de s'inspirer de la méthode des piliers utilisée pour le SCAF. Combien de piliers ont été définis et quels sont ceux qui pourraient être attribués à des acteurs français ? Quelle est, selon vous, la probabilité que ce programme arrive à son terme ? Rheinmetall y-a-t-il le moindre intérêt ?

Par ailleurs, devant nos collègues députés, vous avez indiqué qu'un partenariat d'innovation serait lancé prochainement pour le remplacement des lance-roquettes unitaires (LRU), sujet que nous avons longuement évoqué lors de l'examen de la LPM. Est-ce que vous nous confirmez que le contrat sera bien attribué en mars 2024 et qu'un démonstrateur devra être réalisé courant 2025 ? Quelles seront les différences entre ce nouveau LRU et les matériels actuels comme le Himars américain ?

Enfin, vous pourrez nous faire un point sur la mise en oeuvre du plan de transformation « Impulsion DGA » que vous avez engagé.

Je rappelle que cette audition se tient à huis-clos. Conformément à une décision du Bureau de la commission, nous avons souhaité qu'elle se déroule sans téléphones et tablettes, de façon à en accroître la confidentialité et à vous laisser la plus grande liberté dans vos propos.

J'insiste comme d'habitude auprès de mes collègues sur la nécessité absolue de préserver cette confidentialité et de ne rien commenter ou relayer de ce que nous nous serons dit aujourd'hui.

Après votre propos liminaire, je donnerai la parole à nos rapporteurs pour avis, puis à l'ensemble de nos collègues.

M. Emmanuel Chiva, délégué général pour l'armement. - Avant de commencer, je voudrais féliciter les nouveaux sénateurs élus qui rejoignent la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, qui est appelée à jouer un rôle plus important que jamais dans l'animation d'un débat public constructif qui est, je pense, nécessaire sur les enjeux de notre défense. Je félicite également Cédric Perrin pour son élection à la tête de cette commission. Je connais son engagement de longue date sur les sujets de défense nationale, non seulement très techniques, ce qui est rare, mais également sur l'ensemble des sujets de la défense. Je remercie enfin Christian Cambon qui a été mon premier président de commission lorsque j'ai été nommé directeur de l'Agence de l'innovation défense en 2018.

Je débuterai par quelques rappels sur cet objet administratif parfois mystérieux qu'est la DGA, parfois aussi, et je le déplore, méconnue au sein de l'État, croyez que j'oeuvre pour changer cela. Le DGA est l'un des trois grands subordonnés du ministre des armées. La mission de la DGA est d'équiper les forces armées et de préparer l'avenir, résumée par une nouvelle devise : « forger les armes de la France ». Elle emploie 10 500 personnes, civiles et militaires, 80 % de civils et 20 % de militaires. La DGA n'est pas une agence d'acquisition. Son objectif est de traduire les besoins des forces en spécifications techniques pour conduire des programmes d'armement et anticiper le futur. Il s'agit des grands programmes complexes qui doivent être conduits au profit de nos forces, en particulier la dissuasion nucléaire, qui est le fondement même de l'existence de la DGA. Je rappelle qu'un sous-marin nucléaire lanceur d'engins constitue aujourd'hui l'un des objets les plus complexes au monde. Il s'agit tout à la fois d'une base de lancement de fusées, d'une usine de production nucléaire, d'un système d'arme et d'un bateau sous l'eau. Ce n'est donc pas un sport de masse. De la même manière, la DGA conduit des programmes très complexes dans le domaine terrestre, je pense notamment au programme infovalorisé Scorpion, ou encore dans le champ de l'aviation de combat de pointe.

Si la DGA est capable de conduire des projets de cette ampleur, c'est grâce à son expertise technique. 60 % de ses effectifs sont consacrés à la fonction technique.

Nous conduisons ces projets avec un agenda de souveraineté, gage de solidité de notre autonomie stratégique, qui garantit la liberté d'action de nos forces armées. Cela induit une mission de soutien à la base industrielle et technologique de défense (BITD), qui ne se résume pas à la dizaine de grands maîtres d'oeuvre industriels, mais qui inclut 4 000 PME. Cela nécessite de renforcer notre outil productif dans un contexte stratégique marqué par les tensions : guerre en Ukraine, guerre au Moyen-Orient, terrorisme armé qui persiste et qui nécessite de se doter de nouvelles capacités, ou encore pour mener à bien les opérations conduites en coopération. La DGA doit aussi jouer un rôle de facilitateur entre les grands groupes et les PME, et de soutien face à de nouvelles menaces. Quand on regarde du côté de l'Ukraine, on peut parfois oublier de regarder vers certains compétiteurs comme la Chine, ce qui soulève des problématiques en matière de résilience, notamment cyber, alors que les attaques se multiplient, lesquelles sont plus particulièrement ciblées sur les petites sociétés moins aptes à se défendre.

Nous devons également protéger nos « pépites » face aux tentatives de prédation étrangère.

La DGA a en outre un rôle de soutien aux exportations pour contribuer à tisser des partenariats au service de notre défense nationale et pour soutenir notre modèle de BITD souveraine. Je rappelle que ce modèle ne tient que parce que nous exportons, le marché intérieur français n'étant pas suffisant. Pour se mettre à la disposition des forces armées et nous permettre de réaliser ces missions, nous disposons de 18 sites sur le territoire métropolitain. Au cours de ma première année de nomination, je me suis déplacé dans 16 sites - il ne m'en reste que deux à visiter : le centre DGA Intelligence technique et économique à Angoulême et le centre DGA Techniques aéronautiques à Toulouse - ce qui m'a permis de mesurer la singularité et le caractère précieux de cet outil dont nous disposons en France.

Ma dernière audition devant votre commission remonte à l'examen du projet de loi de programmation militaire (LPM) porté par le Ministre des Armées. Ce texte va permettre de poursuivre la construction d'un outil de défense ambitieux avec des efforts conséquents dans tous les champs capacitaires. 413 milliards d'euros, cela peut sembler un montant élevé, mais il faut bien l'analyser à l'aulne des nouveaux besoins qui sont apparus et auquel nous répondons dans ce texte: 6 milliards d'euros dans le domaine spatial, 4 milliards d'euros dans le cyber, 5 milliards d'euros dans le domaine des drones ou dans le domaine de la défense surface-air et 10 milliards d'euros dans le domaine de l'innovation. 

Fin 2023, nous nous sommes donc mis en ordre de bataille pour attaquer 2024, première année de la LPM, qui est mise en oeuvre avec un projet de loi de finances strictement fidèle à la programmation.

17,1 milliards d'euros de crédits de paiement sont ainsi inscrits au programme 146 « Équipement des forces », dont 9,6 milliards d'euros pour les programmes à effet majeur, soit 36% de la mission défense. L'année 2024 sera marquée par un niveau de commandes et de livraisons très élevé, comme l'a rappelé le Président Perrin. Un milliard d'euros en crédits de paiement seront consacrés au programme Scorpion, soit 395 blindés commandés et 282 blindés livrés. Un sous-marin nucléaire d'attaque sera livré en 2025, de même que trois bâtiments pour la marine nationale, 13 Rafale, 18 autres avions etc. Il s'agit de quelques exemples parmi la centaine de programmes à effet majeur dont nous poursuivons la conduite cette année.

S'agissant de la dissuasion, nous sommes engagés dans le développement du SNLE de troisième génération, dans l'évolution des missiles mer-sol balistiques stratégiques (MSBS) M51, dans la rénovation de la composante aéronautique avec le missile air-sol moyenne portée amélioré (ASMPA) et la préparation de son successeur, l'ASN 4G, qui sera un missile hypervéloce, mais aussi dans l'adaptation de nos moyens de transmission, qu'on oublie parfois, mais qui font partie intégrante de cette composante de la dissuasion. Nous suivons également les activités militaires du Commissariat à l'énergie atomique (CEA) relatives notamment aux têtes nucléaires et au programme de simulation sous contrôle de la DGA.

1,2 milliard d'euros de crédits de paiement sont par ailleurs inscrits sur le programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense » au titre de l'innovation, qu'il s'agisse des études amont hors dissuasion ou encore des subventions versées aux opérateurs sous tutelle : les deux écoles nationales supérieures de techniques avancées (Ensta), l'Ecole polytechnique, l'Institut supérieur de l'aéronautique et de l'espace (Isae-Supaero), l'ONERA et l'Institut franco-allemand de recherches de Saint-Louis. Tout ceci permet d'investir dans des technologies de rupture, de lancer des démonstrateurs innovants et de faire face aux enjeux de préparation des futurs systèmes d'armes face aux menaces émergentes.

En matière d'économie de guerre, un an et demi après le discours fondateur du président de la République lors du salon Eurosatory, je peux annoncer que des avancées concrètes ont eu lieu. En 2024, nous allons poursuivre nos efforts dans ce domaine, sous l'impulsion du ministre des armées, qu'il s'agisse de l'augmentation des cadences comme de la diminution des délais de production. À titre d'exemple, la production de radars chez Thales est passée de 12 à 24 par an. De même, la cadence de production des canons Caesar chez Nexter va doubler, passant de 4 à 8 par mois en 2024. Les délais de production seront également réduits passant de 30 à 15 mois entre la commande et la livraison. Nous étions avec le ministre des armées chez Nexter à Roanne et nous avons décoré pour la première fois de la médaille de la défense nationale des civils, ingénieurs et ouvriers qui se sont investis dans cet effort en faveur de l''économie de guerre. Je pourrai citer aussi le doublement de la cadence de production des missiles Mistral chez MBDA, qui passera de 20 à 40 par mois en 2025. Nous travaillons également sur des anticipations d'approvisionnement, en amont des commandes, pour améliorer la réactivité des industriels, avec toutes les difficultés que cela pose en termes de discussion avec les industriels sur le sujet du financement.

Nous avons travaillé sur les relocalisations et, ainsi, la réduction de nos dépendances. Pas moins de 35 dossiers ont été reçus par la DGA. Par exemple un dossier visant la relocalisation en France de la production de poudres noires. Quinze ont été sélectionnés, et une dizaine doit faire l'objet d'une instruction complémentaire. Les dossiers sélectionnés représentent un budget d'un peu moins de 200 millions d'euros, dont plus de la moitié sera financée par les industriels eux-mêmes. Nous en attendons la création d'environ 220 emplois, dans des filières variées : le naval, l'aéronautique, le spatial, les munitions, l'électronique, la propulsion, les batteries, les matériaux... Un exemple : nous travaillons à relocaliser un outil de production de baguettes de soudure des sous-marins nucléaires.

Nous avons mené une importante réflexion sur l'analyse de la valeur et des fonctionnalités coûteuses, dont nous mettons en oeuvre les résultats pour tous les nouveaux programmes, afin d'éviter la sur-spécification. Entre les coûts, les performances et les délais, nous avons eu tendance jusqu'à ce jour à privilégier les performances. Nous considérons désormais que les deux autres critères sont parfois plus importants.

Nous avons créé une force d'acquisition réactive, ce qui était une demande des opérationnels. Son but est de leur mettre rapidement à disposition des outils existant sur étagère, ou bien en accélérant des programmes d'innovation, sans passer par des procédures longues. Nous avons procédé ainsi pour la livraison de drones à l'Ukraine, avec la société Delair. Les Ukrainiens ont exprimé un besoin en juin 2023, le contrat entre la DGA et l'industriel a été signé en juillet, la livraison a eu lieu entre août et septembre, et nous en sommes au retour d'expérience. Autre exemple : la réalisation d'une opération d'acquisition de véhicules sanitaires qui n'a pris qu'un an, au lieu de deux, et son prix a été divisé par deux, grâce à la simplification de l'expression des besoins. Cette procédure a vocation à être améliorée par les retours d'expérience et généralisée au sein de la DGA.

Le ministre des armées m'a donné un mandat ambitieux : la mise en oeuvre de la LPM, l'économie de guerre, la continuité de notre soutien à l'Ukraine. J'ai d'ailleurs eu l'occasion de m'y rendre il y a quelques semaines, avec le ministre et une délégation d'industriels. Le mécanisme des cessions était jusqu'ici privilégié, désormais il est préféré de « brancher » directement l'industrie française sur les besoins des forces ukrainiennes, en répondant à leurs besoins à travers des ventes et des coopérations industrielles le cas échéant, y compris sur le territoire ukrainien, lequel est bien pourvu en compétences, notamment dans le domaine cyber. De nombreux contrats ont été signés avec des PME françaises pour délocaliser des capacités. Nous avons également installé en Ukraine un attaché de défense adjoint armement, qui se trouve en permanence à Kiev pour pérenniser cette relation. Nous n'avons pas vocation à tout faire mais à agir en partenaire fiable.

Je me suis également rendu en Afrique. Un journaliste a titré que le dernier délégué général à se rendre sur place remontait à 1960. La DGA ayant été créée en 1961, j'en conclus que je suis en fait le premier ! Mon déplacement m'a conduit au Sénégal, en Côte d'Ivoire et au Nigéria, pour proposer des coopérations gagnant-gagnant. J'ai également installé un attaché de défense adjoint à Dakar, qui sera également l'attaché non résident pour la Côte d'Ivoire et le Nigéria.

En termes d'innovation, 2024 sera l'occasion de structurer une stratégie globale sur l'intelligence artificielle. Nos priorités sont toujours aussi le quantique, les armes à énergie dirigée, l'hypervélocité. Sur tous ces aspects, je serai heureux de répondre à vos questions.

Nous continuerons ainsi à préparer l'avenir. Nos décisions portent des effets au-delà de 2050. Un sous-marin nucléaire mis à la mer en 2035 naviguera jusqu'en 2090 ! La DGA est ainsi l'un des rares organes de l'État à voir aussi loin. Il y a par nature deux catégories de professionnels qui se projettent forcément dans le temps long : les scientifiques et les militaires et, en notre sein, nous avons des deux !

L'adaptation aux menaces sur le long terme impose donc une transformation de la DGA : c'est le plan Impulsion DGA précité. Nous expérimentons depuis plusieurs mois une nouvelle organisation. Une direction de l'industrie de défense a été créée. Conduite coordonnée de tous ces chantiers, socle technologique, bouclier de souveraineté au profit de la défense nationale, la DGA assumera sa position pour relever tous les défis et être au rendez-vous pour nos forces.

M. Olivier Cigolotti, rapporteur pour avis du programme 178. - La DGA et la direction de la maintenance aéronautique (DMAé) ont notifié le mois dernier deux marchés verticalisés de longue durée pour assurer le maintien en condition opérationnelle (MCO) de la flotte Multi Role Tanker Transport (MRTT). Il s'agit d'un marché pour le MCO de la flotte hors moteurs auprès d'Airbus Defence & Space, et d'un autre pour le MCO des moteurs, passé à Rolls-Royce PLC.

Pourriez-vous revenir sur les améliorations attendues de ces nouveaux marchés de MCO en comparaison, non seulement des précédents contrats de soutien initial, mais aussi des marchés verticalisés déjà passés au cours des dernières années ? En particulier, ces contrats permettent-ils de s'assurer que les forces puissent bénéficier des futures innovations technologiques qui ne manqueront pas de se manifester sur la durée, puisque ces contrats sont prévus pour 10 ans ? Par ailleurs, quelles modalités contractuelles permettent de s'assurer que la mise en oeuvre des marchés par les industriels sera rapide ?

Mme Michelle Gréaume, rapporteure pour avis du programme 178. - Le projet de loi de finances pour 2024 prévoit une augmentation de plus de 300 millions d'euros pour les munitions. En ce qui concerne les munitions financées par le programme 178, dans la perspective de l'économie de guerre et de la préparation à la haute intensité, quelles nouvelles modalités de la commande publique ont-elles été mises en place afin de rendre le processus d'acquisition plus agile qu'il ne l'était auparavant ?

Par ailleurs, est-ce que les industriels, comme dans d'autres domaines de la production d'armement, vous paraissent avoir compris ce qu'il est attendu d'eux dans le cadre de cette économie de guerre et commencé à adapter leurs modalités de production de ces munitions ?

M. Emmanuel Chiva, délégué général pour l'armement. La DGA, qui a négocié les éléments relatifs au standard 2 du MRTT, ne passe pas les contrats de maintenance, ce qui est le rôle de la DMAé. Nous travaillons cependant étroitement avec eux pour négocier ces contrats conjointement et obtenir ainsi les meilleures conditions commerciales. La maintenance est par ailleurs un domaine très riche en innovations, avec des systèmes électro-mécaniques permettant d'anticiper les besoins de maintenance avant qu'ils soient constatés par l'homme.

Nous avons notifié à Nexter à la fin 2023 un accord-cadre d'acquisition de munitions de 155 mm, sur lesquels une difficulté avait été identifiée en lien avec la filière de poudre noire. Il faudra réapprendre à accélérer, à faire des charges modulaires. C'est possible dans certains cas. Nous l'avons fait à Bergerac avec Eurenco où nous accompagnons la relocalisation de la production de poudres noires. Nous avons également travaillé avec Nexter pour identifier les goulets d'étranglement. Nous ne pourrons toutefois pas le faire pour toutes les munitions. Le missile Aster par exemple, utilisé dans la défense surface-air, notamment par le système Mamba, est un bijou de technologie mais sa production a été répartie entre la France et l'Italie, et elle impose des allers et retours de chaque côté de la frontière. Nous réfléchissons à la manière d'adapter la cadence pour accélérer la production et être à la hauteur des exigences d'une économie de guerre.

M. Cédric Perrin, président. - Nous sommes conscients de ce que l'économie de guerre nécessite une accélération des cadences, et que vous y travaillez, même si beaucoup d'aspects techniques, notamment pour ce qui concerne les poudres et les acides, sont difficiles à maîtriser ; mais une économie de guerre implique de produire davantage d'obus de 155, et plus rapidement. Avez-vous des éléments chiffrés à cet égard ? Nous partons de très loin : la consommation d'obus de 155 en Ukraine est comprise entre 6 000 et 8 000 par jour - bien davantage du côté russe. Quelle capacité de production avons-nous atteinte ?

M. Emmanuel Chiva. - Nous serons en mesure de produire 20 000 obus coup complet en 2024. C'est certes en deçà de ce dont nous avons besoin, mais nous ne pouvons faire davantage, sauf à développer de nouvelles capacités. Au total, 25 000 munitions coup complet ont été commandées depuis août 2022, et leur livraison s'étalera entre 2023 et 2025. Il faut soit produire davantage, soit adapter et recycler d'anciens systèmes, ce qui pose le problème du recyclage des poudres anciennes.

Pour produire davantage, il faut à la fois de la matière première supplémentaire et un abaissement de nos exigences normatives. Je songe par exemple à la « muratisation » des munitions, MURAT étant un acronyme signifiant « munitions à risques atténués » avec une ligne rouge : je n'autoriserai pas la livraison de munitions qui pourraient être un danger pour leur servant.

M. Cédric Perrin, président. - Je cède la parole à Hugues Saury, rapporteur pour avis du programme 146.

M. Hugues Saury. - Le MGCS fait l'objet d'un report jusqu'en 2040. Cela pose la question de la soudure avec le char Leclerc, issu d'un programme lancé en 1978 et dont les premiers exemplaires ont été livrés en 1992. Il aura donc un demi-siècle d'existence en 2040. C'est pourquoi l'hypothèse d'un char franco-allemand issu du démonstrateur EMBT (Enhanced Main Battle Tank) est de plus en plus évoquée. Dans sa réponse à une question écrite du 17 octobre dernier, le Gouvernement estime que « cette option se doit d'être considérée ». Comment cette option sera-t-elle étudiée, dans quels délais, avec quels moyens budgétaires, et à quels échanges avec le Parlement cela donnera-t-il lieu ?

Tsahal a testé un canon laser, l'Iron Beam, permettant de détruire des drones, des roquettes et des mortiers pour un coût modique. Quelles sont les réflexions de la DGA sur ce sujet ? Nous avons en France des industriels comme Cilas qui savent produire ce type d'arme.

Quelle est votre appréciation sur les premiers contrats de la réserve industrielle de défense, signés lors du Forum entreprises défense à Satory, et comment vont-ils évoluer ?

Mme Hélène Conway-Mouret. - Nombre d'industriels nous indiquent que s'ils ont des capacités d'accélération de la cadence, les commandes manquent. Ils ne sont pas en mesure de constituer des importants sans savoir quand ils seront utilisés.

Concernant les programmes européens, quelle est votre perception de la mobilisation de la BITD française ? Je songe à l'Asap (act in Support of Ammunition Production ou loi en soutien à la production de munitions) et à l'Edirpa (European defence industry reinforcement through common procurement act, en français « règlement visant à renforcer l'industrie européenne de la défense au moyen d'acquisitions conjointes »), doté de 300 millions d'euros, qui permettra à au moins trois États membres de s'associer pour réaliser des achats groupés. L'Edip (European Defense Investment Program) succèdera à l'Edirpa.

Donald Trump a récemment annoncé que, s'il revenait au pouvoir, ce que certains observateurs prédisent, il ferait sortir les États-Unis de l'Otan. Cela pourrait donner un coup d'accélérateur à l'idée de défense européenne, comme au cours de son premier mandat, lorsque les États d'Europe de l'Est s'étaient rapprochés de la défense européenne. Avez-vous engagé des réflexions dans la construction de cette défense européenne ? Les trois programmes que j'ai cités sont alimentés par le Fonds européen de défense (FED), dont le montant pourrait augmenter si nous parvenons à convaincre nos partenaires européens.

M. Emmanuel Chiva. - Avant d'aborder le projet MGCS, je tiens à souligner que l'article du Times relatif au SCAF relevait de la désinformation. Les Allemands ont d'ailleurs immédiatement réagi, ce qu'ils n'auraient pas fait si l'article avait été fondé.

MGCS a subi des retards conséquents. Nous étions au point mort il y a un an, en raison des difficultés rencontré sur les MTD (Main Technology Demonstrators), c'est-à-dire les briques technologiques qui, quoi qu'il arrive, bénéficieront à la feuille de route du combat terrestre : le travail engagé ne sera pas perdu, mais surtout, il n'a pas encore commencé...

Pour sortir de l'impasse, le ministre a proposé aux Allemands l'approche par piliers, approche déjà retenue pour le SCAF. La principale difficulté réside dans l'allocation aux différents pays des piliers et sous-piliers technologiques. Le système ayant fonctionné pour le SCAF, nous avons proposé de le reproduire pour le MGCS. Les Allemands ont mis deux mois à l'accepter, ce qui s'est concrétisé lors de la bilatérale à Évreux entre les deux ministres des armées.

Concernant le calendrier, le HLCord (High Level Common Operational Requirements Document) signé à Éveux par les deux chefs d'état-major de l'armée de terre spécifie que la première capacité opérationnelle est prévue pour 2040.

M. Cédric Perrin, président. - Sur le MGCS, si je comprends bien, on a acté le principe que s'ils font la conception, nous faisons la production avec le risque de perte de savoir-faire ?

M. Emmanuel Chiva. - Non, on a acté le principe que sur un pilier ou sur un sous-pilier, quand un leadership est confié à l'industriel d'un pays, on peut compenser en attribuant la production à l'autre pays, sans risque de perte de savoir-faire. Je prends pour exemple la fonction « feu » qui est la plus emblématique. Sur le laser et les armes à énergie dirigée, je confirme que nous menons des développements avec Cilas dans le cadre d'une expérimentation dans la lutte anti-drones. Nous avons donc un champion national mais il n'est pas exclu que nous menions également des coopérations dans ce domaine. Une partie des 10 milliard d'euros de la LPM sera utilisé pour concevoir des démonstrateurs innovants. Il faut avoir à l'esprit que si la perspective est séduisante, aucun système actuel ne permet actuellement d'abattre des munitions de type missile en dépit de ce que la presse rapporte. Car fournir une impulsion laser d'une puissance aussi extraordinaire nécessiterait une production d'énergie qui dépasse les limites physiques actuelles. Cette question demeure particulièrement importante pour nous car nous ne pouvons pas rater ce tournant technologique.

M. Cédric Perrin, président. - On a entendu parler d'un laser israélien dont la consommation d'énergie d'un seul tir correspondrait à la consommation d'une ville de 10 000 habitants.

M. Emmanuel Chiva. - C'est exactement le sujet. Mais nous examinons également les développements possibles dans le spectre électromagnétique qui, dans la lutte anti-drone, est le plus efficace aujourd'hui contre un essaim de drones. Mais la puissance du faisceau diminue très vite avec la distance, ce qui laisse peu de temps pour réagir à une distance de 100 à 300 mètres. Thales a réalisé plusieurs prototypes et il n'est pas le seul, je pense notamment à une expérimentation réussie que nous avons menée avec Cilas depuis une plateforme navale, avec la limite d'énergie que j'ai évoquée.

Sur les contrats de réservistes de l'industrie de défense, l'ambition pour la DGA est d'atteindre 2 000 réservistes sous statut militaire. Nous avons identifié un vivier d'entreprises prêtes à jouer le jeu, avec d'ores et déjà près de 1 500 réservistes pressentis. Je rappelle que ce dispositif viendra s'ajouter aux réservistes de la DGA ainsi qu'aux réservistes citoyens.

Sur les munitions et les contrats. D'abord je voudrais évoquer un débat philosophique que nous avons avec certains industriels sur ce qui distingue la visibilité et le contrat. Certains ont pris l'habitude de ne pas bouger tant qu'un contrat ne leur est pas attribué. Dans ce cas, nous reviendrions à un modèle de DGA qui serait un retour à un concept d'arsenal, avec 100 000 ouvriers et des entreprises subventionnées par l'État. Or ce n'est ni dans la stratégie que l'on vise pour nos grands groupes, ni dans nos moyens. Les entreprises prennent des risques. Et lorsque Nexter ou MBDA me disent qu'ils ne sont pas certains de vendre leurs missiles, je leur réponds que malheureusement la réalité est qu'il y a des opportunités. Il est possible de lancer des investissements longs qui certes engendrent des immobilisations, mais c'est le modèle des entreprises privées. Sinon, on en revient au modèle d'arsenal dont j'ai parlé.

L'argument selon lequel les commandes ne suivent pas est erroné. Nous avons entamé, au niveau ministériel, un dialogue avec chaque industriel de défense et je pense très honnêtement que ce discours commence à changer.

En termes de commandes déjà faites, voici quelques chiffres : 20 000 obus de 155 mm, 1 300 missiles moyenne portée (MMP), 229 missiles Mistral, 7 patrouilleurs hauturiers, 42 Rafale, 8 hélicoptères NH90 TTH pour les forces spéciales et 420 Serval. Tout ce que je viens de citer est en cours de négociation et devrait être commandé avant la fin de cette année. Il me semble donc que la visibilité est là. Et avec 16 milliards de munitions annoncées en LPM, je pense que les industriels peuvent faire des stocks.

L'ASAP (Act in Support of Ammunition Production), l'EDIRPA (European Defence Industry Reinforcement Through common Procurement Act) et le fonds européen de défense (FED) sont des sujets complexes. Ce sont des opportunités de développement de briques technologiques à la disposition de tous les Etats membres. Mais quand on voit apparaître un projet alternatif au MGCS comme le FMBT (Futur Main Battle Tank) soutenu par quelques pays européen, il n'a pas vocation à être financé par ces instruments car ce n'est pas avec 60 millions d'euros qu'on développe un char de combat.

Le FED présente le problème d'être très consommateur de ressources humaines, mais nous faisons cet effort pour soutenir cette initiative européenne.

Sur l'ASAP et l'EDIRPA, nous soutenons l'établissement d'une base industrielle et technologique de défense européenne avec une forte liberté d'usage mais aussi d'exportation des produits de défense acquis en coopération. C'est pourquoi nous avons promu une adoption rapide de ces textes en faveur de l'augmentation des capacités européennes de production d'armement.

Il convient de compléter ces instruments par un volet dédié aux acquisitions avec une ligne forte, celle que l'argent européen doit être utilisé pour acquérir des produits européens. C'est tout le débat que nous avons eu autour de l'initiative European Sky shield de bouclier anti-aérien allemand où il était proposé d'acheter des produits américains et israéliens.

Il nous semble par ailleurs absolument nécessaire que l'EDIRPA soit un outil d'optimisation des achats conjoints et pas simplement un outil de répartition des crédits.

Mme Gisèle Jourda, rapporteur pour avis du programme 144. - Les crédits consacrés aux études amont seront quasi stables en 2024 (1 017 M€ contre 1 016 M€ en 2023). Hors dissuasion, ces moyens connaitront une légère baisse de l'ordre de 15 millions d'euros. Comment justifiez-vous cette diminution au regard des besoins identifiés dans la LPM 2024-2030 ?

Par ailleurs, la nouvelle édition de l'instruction ministérielle relative à l'innovation de défense n'a, à notre connaissance, toujours pas été publiée. Pourriez-vous nous indiquer où en sont les travaux et les principales modifications qui y seront apportées ?

Enfin, en juin dernier, la DGA a mis en place une « médiatrice des banques » dont la mission consistait à assurer le lien entre les entreprises qui se sont vu opposer un refus de financement et les établissements bancaires. Disposeriez-vous déjà d'éléments relatifs à son activité et permettant de mesurer le phénomène de « frilosité bancaire » dont parlait votre prédécesseur ?

Je voudrais également vous poser une question sur les enjeux à venir des nouvelles technologies pour maintenir à niveau les capacités techniques de nos services de renseignement ? Il s'agit d'un sujet de souveraineté aussi important que celui de la dissuasion pour garantir notre indépendance de décision. Quid de l'intelligence artificielle, de la cryptographie ou d'un cloud de confiance ? Quels sont les axes stratégiques de la DGA dans ce domaine ?

M. Emmanuel Chiva. - En 2024, en matière d'études amont, un maintien des crédits est prévu, avec 1,017 milliard d'euros, à comparer à 1,016 milliard en 2023. En revanche, la répartition entre les lignes évolue, et c'est normal. Les études amont ne sont pas une subvention pour charge de service public au bénéfice des industriels. Elles sont pesées en fonction de la nécessité des programmes, du maintien des compétences et des bureaux d'étude et en fonction des phases des programmes. Sur la durée de la LPM, on va passer de 7 milliards d'euros à 10 milliards d'euros : c'est une volonté forte. L'instruction ministérielle sur l'innovation de défense a été revue mais avec des modifications de texte qui sont à la marge, d'où la question de savoir s'il faut réellement publier une nouvelle instruction. S'agissant des banques, c'est un sujet qui évolue et n'est pas complètement traité. Les industriels reprochent une certaine opacité, notamment dans la règlementation des investissements dans les entreprises de défense. Le sujet du crédit commence à être traité, avec les référents défense bancaires mais aussi, à la DGA, depuis 2023, une référente défense bancaire; en charge d'un bureau dans la nouvelle direction de l'industrie de défense. Cela améliorera la proximité des banques avec les PME dans ce domaine. Les vrais problèmes sont la taxonomie établie sur la base des critères de risques environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), la surinterprétation de certaines consignes, ainsi qu'une banque européenne qui refuse de prendre part à ce débat en considérant qu'elle n'est pas là pour financer la défense. Il y a un comité sur les ESG à l'Agence européenne de défense qui y réfléchit. Il devrait y avoir une proposition de position commune à la fin de ce mois. Il y a de plus en plus de fonds patriotes qui se créent : nous sommes optimistes sur la possibilité de co-investir avec des partenaires via le fonds d'innovation de défense et Definvest qui vont nous permettre, avec la BPI, d'attirer des partenaires pour le financement de la défense.

Nous travaillons avec les services de renseignement sur l'excellence cyber. La guerre en Ukraine nous incite à accélérer. Il y a la volonté d'avancer en IA au cours de cette nouvelle LPM. Il y a plusieurs problématiques : l'accès aux données, les bons outils, mais surtout les problématiques RH : nous avons des scientifiques de très haut niveau en France mais il faut fidéliser, être attractifs. Je souhaite faire évoluer nos partenariats avec les centres d'excellence, comme l'INRIA et le CNRS. Le cas d'usage Renseignement, cas d'usage prioritaire sur le projet Artémis IA qui avance bien, nous permet d'être optimistes. On peut espérer des avancées dans le domaine des capteurs, notamment dans le domaine du quantique, où la France est plutôt bien placée, comme dans l'ordinateur quantique, car les sociétés que nous soutenons dans ce domaine et qui vont pouvoir bénéficier de France 2030 dans le cadre d'un partenariat d'innovation avec la DGA sont prometteuses (de même que nous avons un partenariat d'innovation sur le sujet de la frappe de longue portée pour le remplacement des LRU, pour laquelle nous avons plusieurs propositions). Dans ces domaines de mathématique et de physique, si on regarde certaines petites sociétés françaises, leurs équipes en charge du quantique représente une centaine de personnes, contre 150 chez Google sur le même projet. Sur le renseignement, la cryptographie, les capacités quantiques et les capteurs, nous sommes donc dans la course. S'agissant d'ATOS, nous y sommes attentifs, l'État joue son rôle et est vigilant pour ne pas laisser partir ATOS n'importe où et avec n'importe qui.

M. Cédric Perrin, président. - Merci pour la liberté de vos paroles. Je suis parfois critique envers la DGA, mais dans un esprit constructif : c'est un outil essentiel pour la France à condition de lui apporter des réformes que vous vous employez justement à mettre en oeuvre, avec difficulté : accélération des programmes, diminution des surspécifications, simplification de l'expression des besoins, des normes : tout cela a des conséquences dramatiques. Je pense aux poudres noires pour lesquelles nous nous sommes mis dans la main des Chinois et des Russes pendant ces 20 ou 30 dernières années, de sorte que nous pensons aujourd'hui à fabriquer plus de 20 000 obus, alors qu'on en consomme 8 000 par jour en Ukraine, et que si nous n'en fournissons pas à l'Ukraine, elle perdra. Je vous remercie.

La réunion est close à 12 h 30.