Mercredi 31 janvier 2024

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 9 heures.

Audition de M. Sébastien Cavalier, président de la SAS pass Culture

M. Laurent Lafon, président. - Nous accueillons ce matin Sébastien Cavalier, président de la société pass Culture. Je profite de cette occasion pour vous présenter tous nos voeux en ce début d'année 2024.

Depuis votre dernière audition, il y a environ un an et demi, le pass Culture a connu de nouvelles évolutions, à savoir l'extension de la part individuelle aux 15-17 ans et l'extension de la part collective aux classes de sixième et cinquième. En outre, l'élargissement du dispositif aux jeunes Français résidant à l'étranger a été décidé en février 2023, sa mise en oeuvre n'étant pas encore effective.

Avec de telles extensions, le pass Culture représente désormais une part substantielle du budget du ministère de la culture, comme le relève la Cour des comptes dans le rapport qu'elle a rendu il y a quelques mois sur le sujet.

Cette audition sera l'occasion que vous partagiez avec nous le bilan quantitatif et qualitatif des résultats des parts individuelle et collective du pass Culture.

La Commission des finances du Sénat et la Cour des comptes ont formulé des recommandations à l'été 2023. De même, notre commission a identifié dans le projet de loi de finances 2024 des enjeux qui nécessitent une meilleure prise en compte.

Pour votre part, diriez-vous que le pass Culture atteint désormais ses objectifs en termes de démocratisation culturelle, de diversification des pratiques culturelles et de promotion de la diversité culturelle ? Que nous dit également le pass Culture de notre jeunesse et de sa vision de la culture, puisqu'il est un élément d'observation des pratiques culturelles ? Enfin, quelles sont vos priorités d'action pour l'année à venir ?

M. Sébastien Cavalier, président de la SAS pass Culture. - Merci, Monsieur le président de me donner l'occasion d'échanger avec vous à propos du pass Culture.

Quelles sont les évolutions du pass Culture depuis ma dernière audition devant votre commission ?

Aujourd'hui, 3,8 millions de jeunes se sont inscrits au pass Culture depuis le lancement du dispositif. Les jeunes le plébiscitent largement. En effet, en janvier 2023, 74 % des jeunes âgés de 18 ans l'utilisaient ; aujourd'hui, ils sont 80 %. Par conséquent, nous pouvons avoir cette première satisfaction : les jeunes l'apprécient et l'utilisent, à tel point qu'ils se définissent eux-mêmes comme la génération « pass Culture ».

Au-delà des chiffres, il convient de vérifier la correspondance entre l'ensemble des détenteurs du pass Culture et la composition de la jeunesse française. Aujourd'hui, les 80 % de jeunes concernés dépassent largement les seuls CSP+. La proportion de jeunes issus des quartiers prioritaires de la politique de la ville inscrits au pass Culture est conforme à leur part parmi les jeunes. Il en est de même pour les jeunes en zone rurale. Le nombre de jeunes non-scolarisés inscrits au pass (12 % des inscrits) est significatif mais perfectible.

Quoi qu'il en soit, le nombre de filles inscrites est supérieur à celui des garçons, représentant respectivement 53 % et 47 %, ce qui ne correspond pas totalement à la réalité sociologique du pays.

Nous avons fortement incité les jeunes à s'inscrire au dispositif dès l'âge de 15 ans, pour leur faire prendre très tôt l'habitude de son usage et permettre ainsi un véritable travail de sensibilisation pour mêler leurs pratiques spontanées à des pratiques de découverte, pour en garantir le caractère diversifié. Nous nous sommes interrogés, il y a un an et demi, sur l'opportunité de proposer une inscription de 20 euros pour les jeunes de 15 ans. Or, aujourd'hui, quasiment 50 % des jeunes de 15 ans sont inscrits au pass. Parmi cette tranche d'âge, les jeunes des quartiers prioritaires de la politique de la ville sont surreprésentés - ils représentent 10 % des inscrits de 15 ans.

Les pratiques culturelles des jeunes restent centrées autour du livre, du cinéma et de la musique.

Nous constatons que le livre totalise 45 % des pratiques. Les réservations de livres sont de plus en plus diversifiées ; le poids des mangas se réduit, avec une proportion actuelle de moins de 30 % parmi les achats de livres. En revanche, les autres domaines progressent : le roman, la poésie, le Beau livre, la bande dessinée.

Le cinéma a particulièrement bénéficié de l'extension du pass, étant très présent dans le dispositif. Cet engouement, constaté sur toutes les tranches d'âge, est particulièrement sensible pour les 15-17 ans.

La musique a bénéficié de la reprise des événements. Ainsi, le spectacle vivant a progressé, même si les achats d'instruments de musique et de disques (CD et vinyles) restent très stables.

Quels sont les enjeux actuels de la part individuelle ? Les jeunes ont bien identifié le pass Culture comme un outil qui permet de réserver des offres. Nous souhaitons désormais que le pass devienne pour eux un outil de découverte de contenus culturels. Ainsi, nous travaillons sur la découvrabilité des contenus, c'est-à-dire la capacité de l'application à faire découvrir des oeuvres, qui ne se concrétiserait pas forcément par un achat immédiat, mais qui leur permettrait de s'en imprégner afin de favoriser la diversification de leurs pratiques dans un temps différé. Aujourd'hui, la diversification est mesurée par la concrétisation d'un acte de réservation. Dans le but d'améliorer la découvrabilité, nous avons porté notre effort sur la multiplication des portes d'accès à l'application et des prises de paroles, afin d'accroître et de diversifier le nombre et les sources de propositions qui y sont formulées. Aujourd'hui, les prises de parole peuvent se diviser en quatre grandes natures :

- nos équipes, qui éditorialisent les propositions tant à l'échelle nationale que locale ;

- nos partenaires, tels l'Association française des cinémas d'art et d'essai (AFCAE) ou le groupe Radio France, qui proposent des playlists ou des sélections de contenus ;

- les jeunes eux-mêmes, qui recommandent les livres, les films, les spectacles, notamment au sein de quatre clubs (Book club, Ciné club, Scène club et Music club) ;

- les algorithmes, notamment les algorithmes de préférence et les algorithmes de diversification, qui, pour ces derniers sont développés en collaboration avec l'Institut national de recherche en sciences et technologie du numérique (INRIA), sur la base des échanges d'expériences que nous pouvons avoir avec des partenaires tels que le Bibliothèque nationale de France (BnF) et Radio France qui mènent également des recherches dans le but d'améliorer la découvrabilité de leurs contenus. Notre objectif est de sortir du biais de concentration des algorithmes existants.

Le deuxième enjeu est de faire des jeunes des acteurs de la culture, afin de changer leur rapport à la culture. Le pass Culture ne doit pas être uniquement un moyen de réserver, grâce à un crédit, des biens ou services culturels mais il doit également permettre de vivre des expériences très diversifiées et extraordinaires sur l'ensemble du territoire. C'est pourquoi nous avons monté de nombreuses opérations en 2023. Par exemple, nous avons constitué des jurys en partenariat avec des acteurs culturels, tel le festival du cinéma de Biarritz, le prix Canal BD, le prix Joséphine, au sein desquels les jeunes décerneront un prix après un processus de découverte et de sélection, sous la responsabilité d'un professionnel. Nous souhaitons multiplier ces expériences très marquantes pour les jeunes, qui changent leur rapport à la culture.

Nous avons également développé notre programme d'ambassadeurs - que vous connaissez déjà - avec nos 600 ambassadeurs répartis dans une trentaine de villes.

Notre outil de mesure de la diversification des pratiques marque une évolution de 0,9 à 1,2.

Nous avons également constaté que le passage par la page d'accueil a augmenté tout au long de l'année. Or pour nous, le passage par cette page est important puisqu'il montre le degré de confiance des jeunes dans les propositions qui y sont exposées. Dans ces conditions, plus de la moitié du trafic des 15 ans passe par cette page, illustrant la force de proposition de l'outil et la confiance qu'il génère.

S'agissant de la part collective, le sujet important de cette année a été son extension aux classes de sixième et cinquième. Les enseignants se sont très rapidement saisis du dispositif, tant au collège qu'au lycée. Ainsi, en fin d'année scolaire, 85 % des collèges et lycées avaient utilisé au moins une fois le dispositif de part collective, pour 53 % des élèves.

Pour l'année scolaire 2023-2024, nous atteignons en janvier plus de 85 % des établissements qui s'en sont saisis pour plus de 50 % des élèves. Selon toute vraisemblance, l'appropriation a encore progressé.

La part collective présente de nombreux enjeux. Le principal à nos yeux est l'accompagnement des acteurs culturels dans leur proposition d'offres, mais également dans l'évolution de cette proposition pour répondre à la demande des enseignants. Du côté de l'Éducation nationale, nous devons veiller à une complète appropriation du pass par les chefs d'établissement pour qu'ils l'intègrent dans leur projet d'établissement et dans leur politique d'éducation artistique et culturelle (EAC). Nous devons également promouvoir l'augmentation de la proportion d'enseignants qui utilisent le volet collectif comme outil au service de la pédagogie, car elle reste encore trop faible.

Un troisième enjeu résulte du financement du pass Culture désormais par le biais de crédits aussi issus des ministères de l'éducation nationale, de l'agriculture et des armées ainsi que du secrétariat d'État chargé de la mer. En effet, ces nombreux crédits changent la donne des équilibres financiers du pilotage de l'EAC et incitent à la mise en place à l'échelle territoriale de gouvernances partagées fortes où les différents financeurs (DRAC, rectorats et collectivités territoriales) peuvent optimiser l'usage de ces crédits. Il convient notamment que l'allocation des ressources intègre la totalité des problématiques telle celle des transports, très prégnante en matière d'accès à la culture.

En tout état de cause, le dispositif, désormais bien installé, permet à l'ensemble de l'écosystème de se réapproprier toutes les questions, y compris celles momentanément délaissées.

En conclusion, je dirai qu'en termes de démocratisation, notre progression se poursuit et s'améliore. Nous mettrons dans cette entreprise l'accent sur la découvrabilité des contenus.

Par ailleurs, nous jugeons très intéressant que le dispositif devienne un sujet de discussion entre les jeunes, en sa qualité de phénomène générationnel. Nous estimons qu'il contribue, par ce biais, à remettre la pratique culturelle au centre des intérêts des jeunes. Nous constatons que les jeunes estiment que ce dispositif leur offre une réelle liberté, du fait du pouvoir d'achat qu'il représente, en particulier dans les milieux les moins favorisés. Le pass Culture leur donne également le sentiment d'être reconnus comme des adultes et de ne pas être jugés sur leurs pratiques culturelles. Les notions de liberté et de reconnaissance s'avèrent très importantes.

En outre, reconnu par les jeunes comme un dispositif public, le pass Culture les réconcilie avec l'action politique et avec l'action publique. Ce sujet me paraît particulièrement intéressant dans la période que nous traversons.

Mme Karine Daniel. - Merci, Monsieur le président, pour cet exposé.

Nous vous avions déjà auditionné dans le cadre de l'élaboration du rapport budgétaire. Nous avions à cette occasion rappelé que le pass Culture est un outil de politique publique et non une politique publique en soi. Il a en effet vocation à favoriser la démocratisation et l'accès à la culture pour une tranche d'âge particulière. Nous avions eu l'occasion de discuter des résultats positifs et encourageants s'agissant du nombre de jeunes concernés.

Ce qui nous interroge est le format de cet outil, c'est-à-dire le fait qu'une telle politique publique ait été confiée à une société par actions simplifiée (SAS) plutôt qu'à un établissement public. En effet, nous aurions pu disposer de davantage de lisibilité sur la conduite de la politique publique et mieux évaluer ses résultats et son efficacité s'il s'était agi d'un opérateur.

Nous nous interrogeons également sur les moyens consacrés à la SAS. En effet, certains rapports ont pointé leur niveau significatif.

Enfin, nous souhaiterions connaître vos projections en matière de recrutement et d'enveloppe budgétaire pour les deux prochaines années.

S'agissant du volet collectif du pass Culture, nous sommes interpellés dans nos territoires par des acteurs qui nous font part du déséquilibre entre la demande et l'offre, notamment dans les régions où l'offre culturelle est particulièrement importante, telle la région parisienne ; ce qui entraîne des difficultés de mise en ligne et d'habilitation de l'offre.

S'agissant du volet démocratisation et de l'accès des publics les plus éloignés de la culture, nous ne pouvons pas nier que le pouvoir d'achat procuré par le Pass Culture prend davantage d'importance dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville.

M. Sébastien Cavalier. - La SAS a été créée avec deux actionnaires : d'une part le ministère de la culture et d'autre part la Caisse des dépôts et consignations, par l'intermédiaire de la Banque des territoires. La création de la SAS est née de la volonté politique de créer l'outil pass Culture extrêmement rapidement. La structure juridique de la SAS répondait pleinement à une telle exigence. Par conséquent, il s'agit d'un choix d'opportunité eu égard aux délais très courts de la demande, portée par le président de la République.

M. Laurent Lafon, président. - Est-il possible de faire évoluer l'outil vers d'autres structures ?

M. Sébastien Cavalier. - Cette question ne se pose pas véritablement. Il est préférable de se concentrer sur la pertinence de l'outil et sur l'opportunité éventuelle de le remplacer par un meilleur outil. La convention de gestion entre la SAS et le ministère de la culture arrive à échéance à la fin de l'année 2024. Ce sera l'occasion d'aborder certains sujets dans le cadre d'un bilan d'étape.

S'agissant du budget de la SAS, l'ensemble des dépenses - part collective, part individuelle et contribution des acteurs - avoisine les 300 millions d'euros. 90 % de ces dépenses correspondent aux consommations des jeunes. Comme environ 80 % des jeunes sont inscrits sur l'application et que la dépense moyenne des jeunes de 18 ans s'établit à 250 euros, nos dépenses se révèlent supérieures aux prévisions. Le pass Culture est en quelque sorte victime de son succès, ce qui me paraît très positif, puisqu'il fait ainsi la preuve que les jeunes s'en sont pleinement saisis et l'utilisent convenablement.

Dans une logique de meilleur contrôle des dépenses, nous portons nos efforts sur nos dépenses de fonctionnement et d'investissement. C'est pourquoi nous avons entamé l'internalisation de nos ressources de design et de développement dès 2022, ce qui nous a permis de renforcer l'engagement de nos équipes - qui maîtrisent mieux les solutions technologiques - et de réaliser des économies. De plus, en 2023, la conclusion de nouveaux marchés a permis des gains sur les achats. Par conséquent, l'année 2023 s'est achevée sur un budget de fonctionnement et d'investissement d'environ 27 millions d'euros. Quant aux charges de personnel, elles s'élevaient à la même échéance à 12 millions d'euros, soit 4 % de l'ensemble du budget de la SAS.

Pour 2024, nous prévoyons une stabilisation du budget de fonctionnement et une réduction du budget d'investissement puisque le « rythme de croisière » désormais atteint ne nécessite pas de nouveaux recrutements. Dans ces conditions, la SAS fonctionnera avec les 180 postes décidés l'année dernière.

La question que vous posez concernant la part collective nous est fréquemment posée. Cependant, la SAS n'est pas compétente à ce sujet. En effet, la décision d'autoriser un acteur culturel à s'inscrire sur le pass Culture pour prétendre au bénéfice de la part collective relève de commissions constituées à l'échelle de l'académie, auxquelles participent les DRAC et les recteurs. Une fois cette autorisation obtenue, l'acteur culturel peut créer un compte professionnel pass Culture sur son application. En matière d'autorisations, nous constatons une forte disparité entre régions, avec en effet un phénomène de goulot d'étranglement pour les demandes franciliennes, alors que de telles difficultés ne se rencontrent pas dans les autres académies ou ont été résorbées.

Certains territoires, au contraire, ne disposent que d'un nombre limité d'acteurs culturels. La validation de ces derniers au titre de la part collective constitue donc un enjeu important pour assurer une offre quelque peu étoffée. Cependant, il convient d'être vigilant car toute inscription au titre de la part collective ouvre droit au bénéfice de la part individuelle. Il est donc important pour nous d'accompagner sur une ou plusieurs années les acteurs présentant une offre imparfaite pour améliorer la qualité de leurs propositions. Ainsi, il sera possible de créer une véritable offre de proximité pour les établissements, valoriser les acteurs culturels de proximité et le cas échéant accroître leurs compétences.

Devant le choix extrêmement large de certains territoires, nous pourrions considérer que certaines propositions ne peuvent pas être validées. Mais le ministère de la culture reste vigilant dans l'examen de l'activité des candidats, pour que cette dernière ne se limite pas à l'EAC mais se développe au contraire pleinement dans le reste du champ culturel.

S'agissant de la démocratisation, il est évident que la somme proposée est plus ou moins signifiante en fonction du milieu considéré. Les vingt euros auront bien sûr plus de valeur dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Cependant, ce dispositif étant universel, nous constatons, par les exemples qui nous sont remontés, que le pass Culture, en faisant tomber la barrière de l'argent, permet de rassembler des jeunes issus de milieux socio-économiques différents en rendant possible leur participation aux mêmes manifestations. Ainsi, des groupes de jeunes peuvent par exemple profiter d'un festival, quelle que soit la capacité financière de départ de chacun, puisque la question du coût du festival est résolue par le pass.

Les jeunes ont développé des stratégies vis-à-vis du pass Culture et sont dans des logiques d'optimisation de leurs outils et dans des logiques d'utilisation collective. Par exemple, les premières utilisations du pass ont conduit à l'achat par certains jeunes de 300 mangas chacun ; puis certains se sont groupés - à cinq par exemple - pour acheter chacun 5 ou 6 mangas, pouvant ainsi en lire 25 ou 30. Il est très probable que demain des jeunes iront lire des mangas en bibliothèque pour utiliser autrement l'argent du pass. Dans ces conditions, l'autonomisation des jeunes les amène à optimiser l'usage de crédits et d'une manière générale à grandir en développant des stratégies d'optimisation dans l'usage des outils mis à leur disposition.

M. Pierre-Antoine Levi. - Je souhaiterais des précisions sur le rapport de la Cour des comptes, qui a soulevé des préoccupations sur la gouvernance et la transparence du pass Culture, en particulier sur le recours aux consultants extérieurs et sur la gestion financière.

Pouvez-vous détailler les mesures prises pour assurer une gouvernance solide et transparente de la SAS ?

Par ailleurs, comment comptez-vous améliorer le programme pour les tranches d'âge spécifique des élèves de sixième et cinquième qui ont bénéficié récemment de l'extension du dispositif ?

M. Cédric Vial. - S'agissant de l'offre de presse, je constate que les propositions d'abonnements disponibles sur l'application manquent singulièrement de pluralité. Pouvons-nous espérer que l'offre s'étoffe ?

Concernant le critère d'âge fixé à 15 ans - qui correspond à l'entrée en seconde -, nous avons des remontées d'enfants ayant sauté une classe ou dont la date anniversaire est tardive dans l'année qui ne bénéficient pas de ce fait du pass Culture au contraire de leurs camarades de classe. Ne pourrions-nous pas envisager des dérogations pour de tels cas ?

Mme Colombe Brossel. - Le rapport de la Cour des comptes a été relativement sévère sur la mise en oeuvre du pass Culture. À ses constats se sont ajoutées des suggestions et des recommandations.

Dans votre propos introductif très riche, vous nous avez parlé du nombre de bénéficiaires, mais un peu moins de la manière dont vous comptez atteindre l'objectif de démocratisation qui ne saurait se limiter à un constat comptable. Or il s'agit d'un fort enjeu, car la part du pass Culture dans le financement de la politique de l'EAC est devenue extrêmement importante et donne lieu parfois à un renvoi de responsabilité entre le ministère de la culture et celui de l'éducation nationale sur la question budgétaire.

J'aurai pour ma part trois questions.

S'agissant des publics, l'extension aux élèves de sixième et cinquième est intéressante. Néanmoins, l'examen du PLF sur ce sujet révèle un manque d'ambition flagrant puisque seulement deux millions d'euros y sont consacrés. Quel bilan en tirez-vous sur les pratiques des élèves concernés ?

S'agissant de l'accès des professionnels à ADAGE, nous avons des remontées qui sont loin d'être anecdotiques : de nombreux acteurs culturels n'ont pas été labellisés ou ont rencontré de telles lourdeurs administratives dans leur démarche qu'ils ont fini par se décourager. Il ne s'agissait pas de nouveaux acteurs culturels, mais d'acteurs intervenant depuis de nombreuses années et donnant toute satisfaction, et qui se sont retrouvés écartés. Or, ces acteurs faisaient vivre le territoire et l'EAC dans les établissements ;

Par ailleurs, le statut de la SAS rend possible le financement du dispositif par le biais du mécénat. Ce type de financement fait-il partie aujourd'hui de vos orientations ?

M. Pierre Ouzoulias. - Je souhaite aborder une question de fond sur l'organisation des politiques nationales. En effet, nous avons pu constater au sein de cette commission une forte évolution qui a conduit au remplacement des directions de l'administration générale par des établissements publics ; eux-mêmes remplacés ensuite par des sociétés anonymes. Tel est le cas de la culture ; tel est également celui de l'action française à l'étranger dans le domaine du patrimoine. Pour ma part, je ne crois pas que la juxtaposition de projets culturels portés par des sociétés anonymes constitue in fine une politique nationale ministérielle. À cet égard, le ministère de la culture montre un éparpillement des politiques, qui rend le contrôle par le Parlement de plus en plus complexe. En effet, il nous est plus difficile d'accéder aux comptes d'une SAS qu'à ceux d'un établissement public ; nous devons alors opter pour la commission d'enquête ou solliciter nos collègues de la commission des finances. Nous nous sentons dépossédés de notre pouvoir constitutionnel de contrôle du gouvernement.

Vous faites en outre référence au domaine politique en présentant le pass Culture comme un moyen de promotion de la démocratie. Or nous rencontrons de plus en plus dans nos territoires le problème du citoyen consommateur, qui considère qu'il pourrait se passer des instances de médiation politique (les partis politiques, la représentation nationale, etc.). Le même phénomène se retrouve dans le domaine de la culture, la crise de la culture étant une crise de la médiation. Et nous ne pouvons pas considérer que la consommation est un moyen d'émancipation culturelle. En effet, nous avons besoin d'actes d'éducation, pour amener les jeunes vers la culture. La consommation ne saurait les remplacer.

Nous disposons dans mon département d'un pass Culture. Ce dernier est mis en relation avec l'ensemble des institutions culturelles du territoire. La consommation de ce pass requiert nécessairement la sollicitation des structures d'intermédiation. Aujourd'hui, la concurrence entre les deux dispositifs fait que les jeunes vont au plus simple, c'est-à-dire le pass Culture que vous défendez plutôt que celui du département. C'est pour moi une forme de régression culturelle.

Mme Laure Darcos. - L'application du pass Culture comporte-t-elle des propositions pour les jeunes en situation de handicap, afin d'identifier les lieux accessibles ?

Mme Monique de Marco. - Je viens d'un département assez rural. Avez-vous pris en compte la disparité géographique des offres culturelles entre les territoires ? En effet, de nombreux lycéens et collégiens sont restreints dans leur accès à la culture du fait de problèmes de mobilité. Avez-vous réfléchi à intégrer un forfait transport dans les offres de la part collective ?

M. Yan Chantrel. - Avez-vous des éléments à nous présenter sur l'extension du dispositif pour les jeunes Français établis hors de France ? Nos échanges avec la ministre de la Culture laissaient présager d'un bénéfice pour ce public du pass lors de séjours en France. Mais il existe un réseau culturel hors de France (alliances françaises, instituts français, cinéma français). Le pass Culture pourrait être un bon outil pour assurer la fréquentation de ce réseau - qu'il convient de soutenir - par les jeunes Français hors de France.

Vous avez développé la notion de découvrabilité. Or le Sommet de la francophonie se tiendra au mois d'octobre 2024, dont la France sera le pays hôte. C'est pourquoi il serait intéressant de rendre visible auprès des jeunes l'offre culturelle dans sa diversité au sein de la francophonie, telles les oeuvres d'auteurs africains, québécois ou autres.

Mme Mathilde Ollivier. - L'extension du pass Culture pour les jeunes Français hors de France a été décidée en février 2023. Nous avons été informés des problématiques de sécurité de l'infrastructure et des risques de fraude. Avez-vous avancé sur la résolution de ces difficultés pour favoriser l'accès à la culture de ces jeunes, et pas seulement lors d'un séjour en France ?

Mme Sonia de La Provôté. - Quelle est la part donnée à l'architecture et au patrimoine ? En effet, les résidences d'architecte peuvent désormais être accompagnées par le pass Culture.

Dans le cadre de la part collective, je voudrais attirer votre attention sur le sujet des arts visuels et des artistes en résidence dans les écoles - souvent à titre gratuit. Ces artistes ne sont pas recensés en tant qu'acteurs de l'EAC, alors qu'ils sont très présents, en particulier dans les territoires ruraux.

Par ailleurs, le pass Culture ne pourra pas à lui seul résoudre les inégalités en matière d'accès la culture. Par conséquent, comment le pass Culture - qui n'est qu'un outil - s'articule-t-il avec la politique de l'EAC ? Comment la question de l'EAC est-elle prise en compte comme un véritable sujet politique, avec une feuille de route ou des priorités ? En effet, le choix éclairé dépasse largement la proposition sur une application, si qualitative soit-elle.

Enfin, ma troisième question concerne les relations entre la DRAC et le rectorat, car des difficultés nous sont remontées dans les discussions entre ces deux institutions. D'une région à l'autre, les pratiques sont très différentes et en découlent des priorités parfois divergentes.

Enfin, vous ne souhaitez pas de professionnels dans l'EAC. Or la compétence pédagogique y est essentielle ; mais elle n'est pas présente dans toutes les structures et dans toutes les propositions culturelles.

Mme Catherine Morin-Desailly. - Le pass Culture existait auparavant dans la plupart des régions. Certaines d'entre elles l'auraient abandonné. Quelles relations entretenez-vous avec ces dispositifs régionaux ? Et comment construisez-vous une articulation pertinente ?

S'agissant des territoires d'outre-mer, notre commission s'est rendue en Guyane pour analyser les possibilités de déploiement d'un tel dispositif sur un territoire dont l'offre culturelle est moins dense qu'ailleurs. Comment travaillez-vous un tel sujet ?

Enfin, plusieurs sénateurs ont été interpellés par les structures culturelles de leurs territoires qui se voient pénalisées par des réservations de places par le pass Culture, qui ne sont pas honorées.

Mme Agnès Evren. - J'ai le sentiment qu'avec le pass Culture, nous sommes dans le domaine de l'injonction paradoxale. En effet, j'ai lu que vous souhaitiez identifier les tendances culturelles des 15-20 ans pour leur proposer une application cohérente avec les goûts des utilisateurs. Or l'ensemble des références citées correspond aux plus grands succès du box-office et aux albums les plus vendus en 2023.

Par conséquent, je vous poserai deux questions.

D'une part, le pass Culture a-t-il suivi les recommandations du rapport du Sénat de juillet 2023 sur l'attention portée à la promotion d'artistes moins connus pour atteindre l'objectif de démocratisation des contenus culturels plu difficiles d'accès ?

D'autre part, outre les achats de biens numériques plafonnés à 100 euros pour les jeunes de 18 ans, envisagez-vous d'autres plafonnements ou des mesures incitatives pour diversifier les pratiques culturelles des bénéficiaires ?

M. Sébastien Cavalier. - Merci pour vos questions. Je vais tâcher de regrouper mes réponses par thématique.

Le rapport de la Cour des comptes était divisé en deux parties : d'une part, des remarques étaient formulées sur les conditions de la création de la SAS. Elle ne me concerne que peu, puisque je n'étais pas encore présent au sein de la structure à ce moment-là. D'autre part, la deuxième partie, sur l'action de la SAS depuis sa création, était nettement plus positive. Nous avons mis en place des organes de gouvernance pour garantir la transparence : un comité stratégique, dans lequel siège un représentant de l'État, Noël Corbin ; une commission des marchés ; une commission des rémunérations ; des procédures en ce qui concerne les achats. Nous avons bien progressé sur les sujets de la transparence et du contrôle de la dépense publique. Vous pouvez aisément accéder à nos comptes pour les contrôler. La Cour des comptes lancera très prochainement un nouvel audit dans le cadre de son rapport 2025 dédié à la jeunesse. De même, l'Inspection générale des affaires culturelles mènera une étude d'ici la fin du premier semestre 2025.

S'agissant de l'EAC, l'extension aux classes de sixième et cinquième apporte de la cohérence dans les outils mis à disposition des chefs d'établissement de collèges. Durant l'année 2023-2024, ce sont justement ces classes qui se sont le plus emparées du dispositif. Les crédits de la part collective sont mobilisés en premier lieu pour les spectacles, puis pour les ateliers de pratique artistique, puis pour le cinéma. L'une de nos priorités vis-à-vis des enseignants et des offreurs est de faciliter les modalités d'accès des enseignants au catalogue d'offres culturelles figurant sur ADAGE. Si la SAS ne gère pas ADAGE, elle est en revanche chargée de la fenêtre qui permet d'effectuer les réservations aux différentes offres inscrites au catalogue. Les enseignants n'ont aucune obligation de réserver une offre telle quelle : l'idée est aussi de leur donner à voir les acteurs culturels de proximité qu'ils peuvent contacter pour élaborer directement avec eux une offre sur mesure. Néanmoins, il est important de proposer des offres clés en main : nous constatons qu'elles rassurent les enseignants qui découvrent le dispositif et qu'elles peuvent constituer une première étape avant qu'ils se dirigent vers des propositions plus construites et complètes reposant sur les trois piliers de l'EAC. Nous souhaitons appliquer à ADAGE une souplesse expérimentée sur l'application, pour faciliter l'accès aux offres culturelles de manière plus ergonomique et plus fluide, afin de susciter l'envie.

Concernant les crédits destinés au financement de la part collective, leur montant s'est avéré suffisant en 2023. En revanche, malgré la revalorisation votée dans la dernière loi de finances, leur montant pourrait se révéler insuffisant en 2024 compte tenu du succès croissant rencontré par le dispositif. Le ministère de l'éducation nationale est conscient de cette difficile équation budgétaire, même s'il pourrait vous répondre plus précisément que moi à ce sujet. Il est clair que le financement de la part collective revêt un enjeu essentiel, puisque cet outil ouvre des perspectives en matière d'EAC en rendant notamment atteignable l'objectif du 100 % EAC que s'est fixé le gouvernement.

S'agissant du référencement, la dynamique est positive et de nombreuses difficultés ont été résorbées. Cependant, il est vrai que certains acteurs culturels qui avaient l'habitude de travailler avec les établissements n'ont pas été référencés sur ADAGE. Cela pose la question de l'appréciation que portent les ministères de l'éducation nationale et de la culture sur la qualité des interventions et la compétence des intervenants. Cette question suscite en effet des débats ; ces derniers ont le mérite de faire monter en qualité le dispositif et peuvent conduire à un accompagnement des personnes non référencées pour leur permettre de rejoindre ADAGE dans de bonnes conditions.

En outre, de plus en plus d'artistes-auteurs sont inscrits sur le pass, grâce à la mise en place de procédures spécifiques. Ces personnes (plasticiens, écrivains, etc.) ne sont pas rejetées à titre individuel. Toutefois, leur nombre requiert un certain temps d'examen par les commissions et des procédures très précises pour s'assurer de la qualité des offres. En effet, la prudence est de mise, puisqu'un accès permis à la part collective ouvre de facto l'accès à la part individuelle. Et c'est pourquoi nous avons privilégié dans un premier temps les structures. Nous progressons désormais sur ce sujet pour répondre à un besoin d'accès à une diversité d'offres sur les territoires.

Quant aux relations entre les DRAC et les rectorats, elles profitent désormais d'un cadre formel qui les oblige à collaborer et à dialoguer. Il convient de leur laisser le temps de construire une culture commune. Néanmoins, les premiers retours sont satisfaisants sur la qualité des relations dans la majorité des territoires.

Les sujets du patrimoine et de l'architecture appartiennent à la sphère de l'EAC. C'est pourquoi des lieux de patrimoine sont inscrits sur la partie collective. S'agissant de la part individuelle, nous organisons un temps fort à l'occasion des Journées du patrimoine.

Les musées et le patrimoine présentent deux enjeux : d'une part, il nous revient de convaincre les jeunes que ces espaces peuvent rencontrer leur intérêt ; d'autre part, nous devons encore sensibiliser certains musées et certains lieux patrimoniaux aux avantages d'être inscrits sur le pass Culture. Aujourd'hui, un peu plus de la moitié des musées de France sont inscrits ; par conséquent, la marge de progression existe. Tel est également le cas des bibliothèques, pour lesquelles nous dénombrons un peu plus de 1 000 bibliothèques inscrites. C'est pourquoi je vous invite à sensibiliser à ce sujet les directeurs de musées et de bibliothèques de vos circonscriptions.

S'agissant de la presse, l'offre disponible sur le pass Culture est circonscrite à la presse en ligne. Chaque directeur de titre est libre de s'inscrire ou non sur l'application. J'ajouter que les offres d'abonnement à la presse en ligne sont traitées comme l'ensemble des offres numériques : elles ne sont pas remboursées aux offreurs. Par conséquent, nous rencontrons trois cas de figure parmi les organes de presse. Certains rappellent volontiers qu'ils éduquent depuis des années leur lectorat pour une presse numérique payante et ne souhaitent pas, en conséquence, offrir un accès gratuit pour les jeunes. D'autres ont pour coeur de cible les jeunes par le biais d'abonnements payants : ils considèrent qu'ils n'ont pas intérêt à s'inscrire sur le pass Culture, qui se traduirait immanquablement pour eux par une perte d'abonnés payants. D'autres, enfin, souhaitent en revanche rajeunir leur lectorat numérique, aujourd'hui situé aux alentours de 35-40 ans : ce sont eux qui le plus volontiers mettent en place des offres découverte dans le but d'attirer et de fidéliser les jeunes. Par conséquent, je vous invite à contacter les directeurs des titres que vous souhaiteriez voir proposer sur le pass Culture pour les interroger sur leur stratégie.

M. Laurent Lafon, président. - N'avez-vous pas refusé un titre de presse qui aurait sollicité son inscription au pass Culture ?

M. Sébastien Cavalier. - Non. Il en est de même pour un ouvrage. Si celui-ci est autorisé par la loi, nous n'avons pas de raison de le refuser.

Vous avez par ailleurs évoqué la possibilité de dérogations pour les jeunes de 14 ans entrant en seconde. La limite de 15 ans a été fixée car il s'agit de l'âge à partir duquel un jeune peut utiliser un crédit sans l'autorisation de ses parents. Il ne sera pas possible par conséquent d'instaurer une quelconque dérogation même pour éviter un décalage entre jeunes dans une même classe. Cette question juridique est incontournable. Quoi qu'il en soit, ce problème reste limité à quelques cas.

Par ailleurs, nous étudions la possibilité de recourir au mécénat. La structuration en SAS nous oblige à créer un fonds de dotation pour développer une telle activité. En tout état de cause, le mécénat ne saurait se substituer à la dépense publique. Il conviendrait plutôt de définir les missions affectées au fonds de dotation et les modalités d'application. Ce sujet actuellement en réflexion ne sera pas réglé cette année.

S'agissant de l'accessibilité, nous lançons en avril 2024 un site Web institutionnel intégralement accessible. De plus, le pass Culture sera interfacé avec une base de données pilotée par l'État dénommée « acceslibre » nous permettant de récupérer l'information sur l'accessibilité des lieux culturels. Par conséquent, un filtre permettra de sélectionner les lieux culturels en fonction du handicap éventuel du jeune. Néanmoins, seulement 20 % des lieux référencés dans le pass Culture sont inscrits dans cette base de données. Par conséquent, cette dernière doit impérativement s'enrichir ; il convient pour se faire de sensibiliser les acteurs pour qu'ils fournissent les informations requises s'agissant de l'accessibilité des lieux. Enfin, des tests « utilisateur » ont été menés en 2023 en vue de développements de l'application adaptés aux personnes en situation de handicap.

Quant à la question de la mobilité, elle est récurrente dans les échanges au sujet de la part collective. Une expérimentation est en cours en Haute-Marne grâce à l'action conjointe de la DRAC, du rectorat, du département et de la région. Elle est motivée par le constat que les crédits de la part collective sont inutilisés du fait de sérieux problèmes de mobilité. Dans le cadre d'une convention, le département et la région se sont engagés à financer pour chaque établissement - collège ou lycée - un transport. Voilà un exemple d'une action collective entre les acteurs de l'EAC pour optimiser l'allocation des ressources. Cela présuppose de partager un objectif commun : favoriser l'accès à l'EAC pour tous les collégiens et lycéens. Après, tout dépend des compétences, des moyens, des capacités et du volontarisme des différents acteurs. La DRAC Grand-Est nous a informés que d'autres départements étaient intéressés par ce type d'initiative. C'est pourquoi nous mettons en avant l'expérimentation, qui démontre qu'il est possible d'articuler les compétences des différents acteurs pour le plus grand bénéfice des jeunes.

En ce qui concerne la question de l'extension du dispositif aux jeunes Français de l'étranger, des réflexions sont en cours actuellement au ministère de l'Europe et des affaires étrangères. En effet, un peu plus de 20 000 jeunes Français basés à l'étranger passent le baccalauréat chaque année. Ils sont répartis dans 190 pays, dont 5 accueillent plus de 10 000 d'entre eux. Notre enjeu est de favoriser l'accès aux instituts français et aux alliances françaises, pour que ces jeunes gardent un lien avec la culture française. Nous avons expliqué au ministère de l'Europe et des affaires étrangères comment fonctionnait le pass Culture et quelles étaient les conditions de son succès. Or le volume de l'offre culturelle n'est pas proportionné au nombre de jeunes concernés. C'est pourquoi il convient de renforcer les liens entre cette population et les instituts français - qui dispensent une offre culturelle, souvent gratuite. Cependant, le pass Culture n'apparaît pas comme l'outil le plus efficace pour atteindre de tels objectifs ; il reste possible toutefois de s'en inspirer pour répondre à cette demande.

Sur la question de la découvrabilité et du choix - et plus particulièrement dans le domaine de la francophonie -, nous réalisons très fréquemment des éditorialisations thématiques. Nous pourrons sans difficulté mettre en valeur les auteurs francophones, à l'occasion du Sommet de la francophonie.

En revanche, nous devons résoudre la problématique de l'équilibre entre les pratiques spontanées et les pratiques de découverte. En effet, nous devons instaurer un lien de confiance avec les jeunes en leur proposant des actions culturelles qui correspondent à leurs appétences. Il convient ensuite de trouver le moyen de passer de ces pratiques spontanées à des pratiques de découverte. C'est pourquoi nous organisons des temps forts pour mettre un coup de projecteur sur certains sujets de découverte : ce peut être à l'occasion des journées européennes du patrimoine, ou alors le temps fort « Vis ma vie » organisé sur l'ensemble du territoire en novembre 2023 autour des métiers de la culture, ou encore le temps fort sur le spectacle vivant, également organisé en novembre 2023. Nous avons ainsi identifié avec le concours des lieux de spectacle des programmations pour favoriser la découverte par les jeunes d'autres types de spectacle.

Des études ont également été menées avec plusieurs théâtres pour identifier les freins à la fréquentation des jeunes et oeuvrer pour progressivement les lever. En effet, un jeune bien accueilli dans un lieu de spectacle en ressort très satisfait, car la magie de la scène ne peut qu'opérer dès lors que le jeune est présent. C'est pourquoi il convient de lui donner envie de se déplacer. Or la communication traditionnelle n'atteint pas la jeunesse ; il convient de lui préférer celle des réseaux sociaux. De même, un effort particulier doit porter sur la teneur de la communication car les textes et les illustrations traditionnellement mobilisés lui restent obscurs. Enfin, il subsiste un frein majeur ; celui de l'accessibilité de l'offre, puisqu'un spectacle n'est pas accessible à la même fréquence qu'un ouvrage en bibliothèque ni même qu'un film en salle. Pour autant, nous restons convaincus qu'il faut concentrer les efforts sur le spectacle vivant, puisque les sujets et les acteurs de ce domaine entretiennent un lien fort avec la jeunesse et ses préoccupations. Le pass Culture a mis en évidence cette difficulté qui préexistait à sa création ; il convient désormais de lever progressivement les points de blocage.

Ce type de réflexion est également conduit dans d'autres domaines qui n'occupent pas une place centrale dans les pratiques culturelles des jeunes, comme en témoigne, par exemple leur faible fréquentation des lieux d'exposition. C'est pourquoi nous essayons de promouvoir la venue des jeunes sur les lieux, tenus par des personnes passionnées. Nous sensibilisons les responsables de ces lieux à l'importance de la qualité de l'accueil de ce public. Ce travail reste très collectif, même si le pass Culture peut contribuer à cette entreprise comme catalyseur. Ces réflexions en matière d'ouverture à de nouveaux publics sont très intéressantes pour les établissements, dans la mesure où ils peuvent ensuite les élargir à d'autres classes d'âge.

Au sujet des relations avec les régions, nous considérons que les différents dispositifs mis à la disposition des jeunes ne sont pas en concurrence mais permettent au contraire d'optimiser les chances d'accès à la culture. C'est pourquoi nous promouvons autant que faire se peut tous les dispositifs - je pense, par exemple à la promotion du dispositif de transport YEP'S que nous conduisons avec la région Centre-Val de Loire.

S'agissant des départements et territoires d'Outre-mer, le pass Culture compte deux personnes basées respectivement en Guyane et en Martinique. Elles gèrent la zone des Antilles. En dépit des difficultés rencontrées, le développement du pass Culture dans de tels territoires est relativement satisfaisant. En outre, la personne basée à la Réunion gère l'activité sur cette île et à Mayotte. Nous avons décidé d'organiser une manifestation spécifique dans les lycées de Mayotte pour favoriser l'inscription des jeunes, et ainsi contribuer activement à la lutte contre les inégalités dans le domaine de l'accès à la culture. Par ailleurs, nous constituons régulièrement des playlists pour faire découvrir la culture ultramarine aux jeunes.

La question du « no show » est un phénomène malheureusement répandu bien au-delà de la seule catégorie du jeune public. En tout état de cause, nous devons mener spécifiquement auprès des jeunes une action pédagogique pour qu'ils honorent les réservations qu'ils ont payées. Dans ces conditions, une réservation est suivie d'une série de rappels par SMS. De plus, nous appelons les acteurs culturels à la prudence pour qu'ils ne mettent pas à disposition toutes leurs places de spectacle sur le pass Culture, afin de limiter l'effet éventuel d'un « no show » de ce public.

De même, nous incitons les responsables de festivals à diversifier leurs offres en proposant des billets valables pour une date particulière du festival et pas seulement pour son intégralité, car souvent, le jeune ne souhaite en fait assister qu'à un jour de festivité.

Quant au plafonnement, il ne s'inscrit pas dans la philosophie du pass Culture ; il présupposerait un jugement sur les pratiques culturelles, en en limitant certaines. Nous souhaitons plutôt privilégier le respect de l'autonomie des jeunes, qui restent libres de leurs choix. En revanche, le pass Culture, en partenariat avec les acteurs culturels, a le désir de leur faire découvrir une autre offre culturelle. Dans cet objectif, la relation de confiance est primordiale pour que les jeunes se déplacent. La promotion de l'usage de l'application contribue à ce que le dialogue soit non seulement enclenché avec les jeunes mais également entretenu, non seulement avec le pass Culture mais surtout avec les 30 000 acteurs culturels concernés. Dans cette période de leur vie, les jeunes sont entourés d'injonctions - de la part de leurs parents, de l'école, etc. - et sont sensibles à un dialogue plus égalitaire qui ne peut que faciliter les échanges.

Enfin, je voudrais conclure en abordant une question qui dépasse quelque peu mon champ de compétence. Considérer que le pass Culture ne tient compte des jeunes que comme des consommateurs est une vision très restrictive. Certes, les 300 euros constituent une incitation forte à la consommation culturelle, mais, au-delà de cette mesure, nous développons des opérations spéciales pour rendre les jeunes parties prenantes du dispositif et acteurs de leur propre vie culturelle ; d'autant que de nombreuses initiatives des jeunes eux-mêmes nous échappent. Le pass Culture ne se limite pas à une carte de crédit, au contraire du dispositif développé en Espagne. En effet, nous mobilisons beaucoup de moyens et d'énergie sur la découverte des contenus, la diversification, l'association des jeunes et le développement d'une offre collective. Nous ne pouvons pas mener de telles actions seuls. C'est le sens des opérations spéciales en partenariat avec des acteurs culturels. L'un des enjeux de l'année prochaine et des années suivantes sera de parvenir à ce que les acteurs culturels s'autonomisent peu à peu dans leur politique vis-à-vis des jeunes en les aidant à enrichir la relation qu'ils entretiennent aujourd'hui avec les jeunes.

Je constate que la mission confiée au pass Culture est un succès. Au ministère de la culture de jouer pleinement son rôle de pilote stratégique pour que « les musiciens de l'orchestre jouent la même partition ».

M. Laurent Lafon, président. - Merci, Monsieur le président, d'avoir répondu à nos questions.

La réunion est close à 11 heures.