Mardi 2 avril 2024

- Présidence de Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente -

La réunion est ouverte à 17 h 30.

Audition de Mme Christine Meyer-Meuret, coresponsable de la mission santé et qualité de vie des retraités à la Fédération nationale des associations de retraités (en visioconférence), MM. Pierre Erbs, président de la Confédération française des retraités, et Jean-Philippe Vinquant, président du Conseil de l'âge au sein du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Nous poursuivons les travaux de notre mission d'information consacrée aux complémentaires santé et au pouvoir d'achat des Français. Cette thématique est un point de départ pour examiner le niveau de prise en charge des dépenses de santé par l'assurance maladie obligatoire (AMO) et par les complémentaires, et pour s'interroger sur les hausses de tarifs des complémentaires et leurs motivations - vieillissement de la population, déplacement de la frontière entre AMO et assurance maladie complémentaire (AMC). Une part croissante des dépenses de santé est actuellement prise en charge soit par les complémentaires, soit par les assurés eux-mêmes, via un reste à charge qui peut être élevé. Le principe de solidarité, qui s'applique à la partie obligatoire de l'assurance maladie, n'est pas appliqué pleinement par les complémentaires.

Pour répondre à nos interrogations, nous avons le plaisir d'accueillir M. Jean-Philippe Vinquant, président du Conseil de l'âge au sein du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge (HCFEA), Mme Christine Meyer-Meuret, coresponsable de la mission santé et qualité de vie des retraités à la fédération nationale des associations de retraités (Fnar), et M. Pierre Erbs, président de la confédération française des retraités (CFR).

Pour rappel, notre mission, créée sur l'initiative du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI), compte 23 membres, et sa composition est représentative de la diversité des groupes politiques du Sénat.

M. Xavier Iacovelli, rapporteur. - À l'origine, le sujet de notre mission d'information portait sur les conséquences de l'augmentation des cotisations de complémentaire santé sur le pouvoir d'achat des retraités ; puis, nous avons élargi le cadre à l'ensemble des Français, tout en gardant une attention particulière pour les retraités.

À M. Jean-Philippe Vinquant, je demande de poser le cadre de cette réunion en rappelant les travaux du Conseil de l'âge sur les sujets relatifs à notre réflexion ; je pense notamment au rapport de janvier 2024 sur les aspects relatifs à la santé et à l'accès aux soins, et à l'analyse publiée en 2020 de l'incidence des réformes du 100 % santé et de la complémentaire santé solidaire (C2S) sur les personnes âgées.

Je souhaiterais notamment que vous nous éclairiez sur les besoins des assurés âgés, sur leurs dépenses de santé par tranche d'âge, ainsi que sur le niveau de leurs restes à charge, sans oublier la situation particulière des personnes en affections de longue durée (ALD).

Nous nous intéressons également à la question - importante chez les retraités - du renoncement aux soins pour des raisons financières, et au profil des retraités non couverts par les complémentaires santé.

Les représentants de la Fnar et du CFR peuvent-ils nous donner des estimations du coût d'un contrat de complémentaire santé pour les assurés ayant entre 65 et 75 ans, et au-delà de 75 ans ? Quelle a été l'ampleur de l'augmentation des cotisations de complémentaire santé pour les seniors entre 2022 et 2023, et entre 2023 et 2024 ?

Une catégorie de complémentaire santé - mutuelles, institutions de prévoyance, entreprises d'assurance - s'est-elle démarquée des autres par de fortes augmentations de cotisations concernant les seniors ? Ces hausses, si elles s'avèrent exactes, sont-elles indépendantes du statut de ces organismes ?

Peut-on identifier, à la suite de ces augmentations successives, des risques de désaffiliation aux complémentaires santé pour des motifs financiers de la part des seniors ? Enfin, comment réagissez-vous aux arguments avancés par les complémentaires santé pour justifier ces hausses de cotisations, concernant notamment les transferts de dépenses de l'AMO et l'accroissement structurel des dépenses de santé ?

M. Jean-Philippe Vinquant, président du Conseil de l'âge au sein du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge. - Le Conseil de l'âge a pour mission d'animer le débat public et d'apporter aux pouvoirs publics une expertise sur toutes les questions relatives à l'avancée en âge et à l'adaptation de la société au vieillissement. Il doit être distingué d'autres entités comme le Conseil d'orientation des retraites (COR), qui s'intéresse au niveau des pensions, ou le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie (HCAAM), davantage spécialisé sur les sujets de santé et d'assurance santé. Il regroupe l'ensemble des parties prenantes, et je retrouve avec plaisir des associations représentées dans le collège des organisations syndicales et des associations de retraités.

Pour le Conseil de l'âge, l'accessibilité des soins et de la couverture des frais de santé constitue un sujet important. Nous y avons consacré plusieurs travaux ; en plus de ceux évoqués par M. le rapporteur, je peux citer une note d'avril 2022 intitulée Revenus, dépenses contraintes et patrimoine des seniors - État des lieux, qui s'intéressait à la part des dépenses contraintes - notamment celles liées aux contrats d'assurance - dans le budget des personnes âgées ; ces dépenses comptent beaucoup, en effet, dans la détermination du niveau de vie et dans la manière dont les seniors gèrent leur budget.

Le sujet de l'accessibilité financière aux soins concerne particulièrement les personnes âgées, car l'âge s'avère un déterminant important de l'état de santé et du besoin des personnes. Au fur et à mesure de l'avancée en âge, le nombre de pathologies déclarées par les personnes augmente. Ainsi, les personnes de plus de 75 ans sont, en moyenne, concernées par trois pathologies.

Le nombre de bénéficiaires du dispositif ALD constitue un bon indicateur des maladies longues et coûteuses pour la sécurité sociale. Sur les 12 millions d'assurés du régime général qui bénéficient actuellement du dispositif de couverture à 100 % des frais de santé liés à une pathologie figurant sur cette liste, 7,8 millions ont plus de 60 ans, et 3,6 millions - soit 30 % - ont plus de 75 ans.

L'âge est également un facteur déterminant de l'état de santé ressenti par les personnes, et de l'importance accordée à une bonne couverture des frais de santé. Seulement 53 % des personnes âgées de plus de 65 ans s'estiment en bonne ou très bonne santé, contre 92 % des 18-24 ans par exemple.

De façon mécanique, on observe une augmentation de la consommation de soins avec l'âge. Cette dépense, qui s'établit autour de 4 000 euros par an pour les 17-59 ans, monte à 6 000 euros par an pour les 75-84 ans, et à plus de 8 000 euros pour les personnes de plus de 85 ans. Dans un système d'assurance sociale, avec le système du ticket modérateur et des participations forfaitaires, le risque d'être exposé à des restes à charges augmente en même temps que le montant des dépenses ; cela pose la question du remboursement des frais de santé par l'AMO et les complémentaires santé.

Concernant la satisfaction des besoins de santé des personnes âgées, on observe une forme d'intrication entre le besoin de santé lié à la pathologie et l'état d'autonomie de la personne. Des besoins de santé non satisfaits peuvent conduire à l'apparition ou à l'aggravation de limitations physiques et fonctionnelles qui vont dégrader l'état d'autonomie de la personne. Les personnes âgées vulnérables, dont l'état d'autonomie est le plus dégradé, s'avèrent moins mobiles, plus isolées que les autres personnes, et se retrouvent en institutions médico-sociales, avec un accès aux soins - non seulement financier, mais aussi physique - qui risque d'être empêché.

Bien que notre pays offre un très haut niveau de solvabilisation des dépenses de santé, avec un reste à charge des ménages après intervention des différentes assurances qui s'avère l'un des plus faibles des pays de l'OCDE, des frais de santé entraînent des taux d'efforts importants pour certains ménages, notamment pour les ménages âgés.

L'AMO joue un rôle important dans le remboursement des frais de santé. Sur des bases de remboursement à taux normaux, les restes à charge sont arasés après l'intervention de l'AMO ; et le remboursement à 100 % permet aux personnes âgées en ALD de plus de 85 ans de contenir leur reste à charge à environ 1 000 euros par an alors même que leurs dépenses annuelles de santé s'élèvent à plus du double (8 000 euros) des frais auxquels sont exposées les personnes de moins de 60 ans. Le système assurantiel solidaire de l'AMO fonctionne bien, et de manière redistributive, mais demeurent toutefois des restes à charge qui rendent indispensable le recours à une assurance complémentaire santé.

Les dispositifs permettant l'accès à une couverture complémentaire santé sont de différentes natures. La C2S, dispositif public, fournit une assurance complémentaire, sur un panier de soins définis, à des personnes dont les revenus se situent en dessous d'un certain seuil. Entre ce premier seuil de revenus et un second seuil, une participation est demandée à la personne, dont le coût s'avère moindre que celui d'une assurance complémentaire santé souscrite sur le marché libre de l'assurance.

Ce dispositif, aux yeux du Conseil de l'âge, représente un progrès par rapport aux deux dispositifs préexistants : la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) et l'aide au paiement d'une complémentaire santé (ACS). Le niveau de participation des personnes et les modalités de souscription de la C2S à participation résiduelle s'avèrent plus clairs et plus simples que dans le cadre de l'ACS.

En outre, les pouvoirs publics et l'assurance maladie ont déployé des efforts en termes d'accès et de simplification, de manière à améliorer le taux de recours ; entre 2019 et 2021, la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) a observé une légère évolution du taux de recours à la CSS gratuite, et une évolution plus sensible de celui à la C2S à participation résiduelle.

Restent les personnes dont les niveaux de revenus se situent au-dessus des seuils de la C2S ; c'est pour celles-ci que se posent, de façon singulière, les problèmes d'accès aux soins et de taux d'efforts élevés. Depuis quarante ans, le niveau de vie des retraités s'est fortement amélioré dans notre pays, et le niveau moyen des pensions se situe actuellement au-delà des seuils d'éligibilité. Sur la base d'études réalisées par la Drees, nous avons estimé que le coût moyen d'un contrat individuel pour une personne âgée s'établissait autour de 115 euros par mois, alors que l'on estimait à environ 1 500 euros bruts mensuels la pension moyenne globale de droit direct - régimes de base et complémentaire. On observe ainsi un taux d'effort représentant plus de 5 % du revenu de la personne retraitée.

Le coût des primes d'assurance maladie complémentaire des contrats individuels augmente avec l'âge. En effet, si le législateur a proscrit les questionnaires médicaux à la souscription d'une complémentaire santé, il ne s'est pas opposé à ce que la tarification prenne en compte un niveau de risques. Or, dans notre pays, le niveau des risques s'établit en fonction de l'endroit où l'on vit, avec des consommations de soins hétérogènes selon les territoires, et de l'âge. En 2017, les primes s'élevaient ainsi à 1 340 euros par an pour les personnes seules âgées de plus de 80 ans.

Ces contrats de complémentaire santé laissent un reste à charge notamment parce que les pouvoirs publics ont souhaité que les contrats responsables, bénéficiant d'un régime fiscal plus avantageux, ne prennent pas en charge les tickets modérateurs lorsque la personne est en dehors du parcours de soins, ainsi que les franchises médicales et les participations forfaitaires. Par ailleurs, certains contrats n'assurent plus la prise en charge à partir d'un certain niveau de dépassement d'honoraires.

Le Conseil de l'âge s'est concentré sur le taux d'effort des personnes âgées en additionnant le coût de la complémentaire santé et celui des restes à charge après intervention de l'AMO et de l'assurance maladie complémentaire ; certains taux d'effort excèdent 10 % du revenu disponible. Pour donner un ordre de grandeur, ce reste à charge lié à la complémentaire santé s'avère plus élevé que celui des bénéficiaires - groupes iso-ressources (GIR) 1 à 4 - de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA). Cette situation pose un problème, d'autant que certaines personnes vont cumuler les deux restes à charge...

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Vous additionnez la cotisation moyenne au-delà de 65 ans et tous les restes à charge. Prenez-vous également en compte la C2S et les ALD ?

M. Jean-Philippe Vinquant. - Les ALD sont prises en compte au niveau de l'AMO ; en revanche, les bénéficiaires de la C2S ne sont pas concernés.

Ces taux d'effort élevés entraînent des renoncements à souscrire une assurance santé complémentaire, et cela explique les 3 % à 4 % de personnes de plus de 60 ans qui, actuellement, ne bénéficient pas d'un contrat complémentaire. Le risque de renoncement à une couverture complémentaire peut conduire à un renoncement aux soins pour des raisons financières. Les chiffres montrent que la France se situe dans la moyenne basse des pays concernant le taux de renoncement aux soins ; néanmoins, il existe une proportion non négligeable de personnes qui renoncent aux soins pour des raisons financières.

Concernant le pouvoir d'achat, on observe un risque lié au coût de la complémentaire santé et à l'augmentation des restes à charge. Une étude de France Stratégie montre ainsi un net décrochage, au cours des années 2000, entre le pouvoir d'achat mesuré et celui ressenti par les personnes. Le poids des dépenses contraintes ayant fortement augmenté dans le budget global des ménages de notre pays, cela peut conduire à une forme de restriction ou de privation d'autres dépenses. Ce ressenti s'avère très prégnant dans les ménages âgés, qui voient leur marge budgétaire se restreindre.

Partant de ces constats, le Conseil de l'âge recommande un meilleur accompagnement des ménages les plus fragiles. Nous sommes satisfaits des évolutions de la C2S et des efforts de simplification pour en faciliter l'accès aux ménages les plus modestes, ainsi que de la réforme du 100 % santé. À mesure que les personnes avancent en âge, leurs besoins d'appareillage, notamment optique ou auditif, augmentent. Or, pour des personnes âgées, le fait d'être bien appareillé s'avère un facteur de prévention de la perte d'autonomie et de lutte contre l'isolement social. Cette réforme du 100 % santé, qui va dans le bon sens, semble connaître un important succès, notamment pour ce qui concerne l'appareillage auditif, avec 773 000 personnes appareillées supplémentaires en 2022.

J'en viens aux progrès à accomplir. Quelles dépenses de santé sont couvertes par les conférences des financeurs de la prévention de la perte d'autonomie des personnes âgées ? Celles-ci étaient plutôt positionnées en faveur d'une action proactive vis-à-vis des personnes âgées fragiles, pour éviter les chutes, faciliter leur maintien à domicile, les encourager à pratiquer une activité sportive adaptée, mettre en place des appareillages intelligents : téléalarme, télésurveillance au domicile... J'ai constaté - et les bras m'en tombent ! - que 10 % des dépenses servent à cofinancer des produits remboursés par l'assurance maladie et figurant sur la liste des produits et prestations remboursables (LPPR). Cela montre qu'il y a encore, peut-être, des restes à charge invisibles pour certains dispositifs médicaux mal couverts par l'assurance maladie obligatoire.

Nous avons entendu les annonces faites lors de la Conférence nationale du handicap, pour que les fauteuils roulants soient pris en charge à 100 %, en cumulant la base et la complémentaire. La ministre déléguée chargée des personnes âgées et des personnes handicapées, Mme Fadila Khattabi, a confirmé que le Gouvernement mettrait en oeuvre progressivement cette réforme en 2024. Mais beaucoup de dispositifs médicaux de la LPPR sont mal remboursés, ou pas remboursés du tout, comme les solutions palliatives absorbantes ou un certain nombre de dispositifs médicaux liés à l'hygiène. Ces produits peuvent être pris en charge par l'APA, mais il y a peut-être un angle mort entre l'assurance maladie et les complémentaires santé d'une part, et l'APA de l'autre. Sur ces sujets, des progrès peuvent encore être faits.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Un travail a été effectué sur ces dispositifs médicaux...

M. Jean-Philippe Vinquant. - Oui, par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), mais ils portaient surtout sur le champ des handicaps et sur l'intervention des fonds de compensation départementaux. En effet, ces dépenses n'entrent ni dans le champ de la maladie ni dans celui de la prestation de compensation du handicap (PCH). Mais ces travaux sont assez anciens, et je ne crois pas qu'ils aient été renouvelés. Il y a donc des pistes de progrès.

Évidemment, le HCAAM s'est penché avec attention, en 2021 et 2022, sur le produit combiné de l'intervention de l'assurance maladie obligatoire et de l'assurance maladie complémentaire, définissant quatre scénarios d'évolution, dont un des facteurs communs était de résoudre le désavantage que subissent les personnes retraitées quand elles ne bénéficient pas du maintien d'un contrat collectif en vertu de l'article 4 de la loi relative à la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme, dite loi Évin.

Ces personnes, en effet, ont des coûts de souscription d'une assurance individuelle plus forts, avec des garanties moins bonnes que celles des contrats collectifs et un niveau d'aide moins important que celui que les pouvoirs publics concentrent, essentiellement en dépenses fiscales, au soutien de la souscription d'un contrat de complémentaire santé dans le cadre collectif de l'accord national interprofessionnel (ANI) de 2013 et de la loi relative à la sécurisation de l'emploi votée la même année, dite loi Sapin. Le HCAAM a évoqué des pistes que le HCFEA n'a pas débattues. Nous serons très attentifs à toute évolution sur ce champ.

Mme Christine Meyer-Meuret, coresponsable de la mission santé et qualité de vie des retraités à la Fédération nationale des associations de retraités. - Merci de votre écoute. Je siège au bureau de la Fnar, je suis membre du HCFEA et je représente les personnes âgées à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), dont je suis vice-présidente. Je connais le sujet de la complémentaire santé car j'ai passé les quinze dernières années de ma vie professionnelle à m'occuper de ce sujet à la Mutualité française.

Dans la contribution que je vous ai envoyée, j'ai mis en avant l'origine des difficultés actuelles que les retraités rencontrent, notamment en termes de mutualisation. Les problèmes de coût et d'accès à la complémentaire santé découlent en grande partie du fait que le risque complémentaire pour les retraités est essentiellement mutualisé entre eux, du fait de l'ANI de 2013. À l'époque, le Président de la République avait promis devant le Congrès de la Mutualité la généralisation de la complémentaire santé, présentée comme un grand progrès social dans notre pays. Il était envisagé de répartir différemment les aides fiscales - sans les augmenter - entre les actifs bénéficiant de contrats collectifs obligatoires et les non-bénéficiaires, tels que les jeunes, les étudiants, les personnes hors de l'emploi pour des raisons de santé et, bien sûr, les retraités.

On évaluait alors à 3 millions le nombre de personnes hors de l'ANI. Aujourd'hui, le chiffre connu est beaucoup plus important. Et nous n'avons aucune visibilité sur l'application de l'article 4 de la loi Évin. Les témoignages précis que j'ai cités dans ma contribution, recueillis auprès de présidents d'association, sont éloquents. Nous avons desserré la contrainte des 50 % d'augmentation des cotisations en sortie d'activité, en l'étalant sur trois ans, mais ce qui devait s'appliquer sur la durée totale du contrat pour les retraités semble, depuis 2013, se limiter aux trois premières années, après quoi l'assureur se sent libre.

Une enquête faite au sein de la Mutualité française au début des années 2010 montrait que certaines mutuelles appliquaient les 50 % sur la durée du contrat. Aujourd'hui, il est clair que ces 50 % ne s'appliquent que pour les trois premières années, même s'il y a un lissage. Ensuite, on dissocie complètement le contrat des actifs et celui des retraités. Il faut avoir conscience de cela pour comprendre l'augmentation des cotisations des contrats complémentaires pour les retraités et les personnes âgées.

Beaucoup d'autres facteurs font que l'article 4 de la loi Évin n'a plus grande signification. Si l'employeur change d'assureur, par exemple, le nouvel assureur n'est pas lié par l'ancien contrat et les retraités se retrouvent sans référence. Parfois, l'employeur et l'assureur désignent un assureur porteur du contrat des retraités. Cela se fait beaucoup dans les institutions de prévoyance, dont certaines sont spécialisées dans ce type de contrats, pour lesquels les augmentations sont totalement libres et dépendent de l'âge et non pas de la référence aux contrats des actifs.

En fait, les conséquences de l'ANI pour les personnes âgées retraitées n'ont pas été étudiées. Nous n'avons pas de visibilité sur la façon dont ces personnes bénéficient ou ne bénéficient pas de l'article 4 de la loi Évin, qui existe toujours, même s'il a subi quelques modulations. Or, ce point a de très lourdes conséquences sur les prix et donc sur les difficultés que rencontrent les retraités et les personnes âgées pour souscrire des contrats d'assurance de complémentaire santé.

Vous nous demandiez des chiffres sur les prix des contrats. Il y a cinq ans, nous étions en moyenne à 120 euros par mois pour une personne. Nous sommes passés à 130 ou 150 euros mensuels par personne. Nous avons un contrat de partenariat avec une mutuelle, pour les adhérents des associations de notre fédération. Ce contrat, qui comporte trois niveaux, a comme double caractéristique de ne pas prévoir d'augmentation selon l'âge après 71 ans - la dernière tranche commence à 71 ans - et de ne pas présenter de modulations géographiques. La mutuelle essaie de remettre en cause cette double dimension de solidarité au sein de la population couverte, mais nous tenons beaucoup à ces facteurs de mutualisation. Nous discutons aussi sur la façon dont les augmentations sont réparties entre les trois niveaux de couverture, dans le cadre de notre discussion annuelle avec l'assureur.

Entre 2023 et 2024, l'évolution des prix a été très défavorable aux bénéficiaires. Entre 66 et 70 ans, pour le niveau 1, ils ont augmenté de 9 % ; pour le niveau 2, la hausse a dépassé les 10 % ; et pour le niveau 3, elle a atteint 14 %. Nous avons un problème de vieillissement du portefeuille, qui produit un déséquilibre. Pour les plus de 71 ans, la hausse a donc été de 12 % pour le niveau 1, de 14 % pour le niveau 2 et de 9 % pour le niveau 3. On voit bien que les chiffres annoncés, d'une hausse de 7 % ou 8 %, ne peuvent pas être pris en compte pour les contrats des retraités. D'ailleurs, quand les assureurs donnent un chiffre moyen d'augmentation, ils font une moyenne arithmétique entre les niveaux de contrat et non une moyenne pondérée selon l'importance des niveaux de garantie souscrits. Nous avions réussi à maîtriser les augmentations de cotisations entre 2022 et 2023, où elles se sont limitées à 3 % ou 4 %.

J'ai regardé les chiffres pour un contrat d'entreprise, avec des retraités bénéficiant des dispositions de l'article 4 de la loi Évin et, pour l'ancien salarié, une petite contribution de l'employeur. Entre 2022 et 2024, pour deux personnes, l'augmentation a été de 16 % en deux ans, ce qui est bien au-dessus des pourcentages annoncés. Tout ce dont je vous parle se situe dans l'univers mutualiste. Je ne connais pas les augmentations chez les autres catégories d'assureurs.

J'en viens aux critères utilisés par les complémentaires pour définir les nouveaux paramètres. En général, elles attendent la présentation du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) en septembre et regardent l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam). Ce dernier constitue la première base de l'augmentation, même si le risque complémentaire n'a pas grand-chose à voir avec l'augmentation des dépenses de l'assurance maladie... Il est vrai que les personnes en ALD supportent des restes à charge et ont donc besoin d'avoir une complémentaire santé. Mais appliquer le taux de l'Ondam au risque complémentaire nous paraît contestable. Sur ce point, nous ne sommes pas entendus.

Les actuaires des complémentaires santé ne connaissent pas grand-chose au risque santé, ni au risque complémentaire proprement dit dans le système de santé. Ils regardent les mesures annoncées dans le PLFSS et font leur calcul. Par exemple, si la consultation généraliste augmente, ils regardent l'impact sur la cotisation. Dans l'ensemble de la population couverte, si l'on appliquait 0,4 % pour les soins dentaires, 0,3 % pour les consultations médicales, 0,5 % pour le transport sanitaire, il faut tout recalculer. Des annonces ont été faites sur l'extension du 100 % santé. Immédiatement les actuaires ont calculé l'impact de cette mesure. Je savais qu'aucune réforme n'allait être appliquée sur les dispositifs médicaux au 1er janvier 2024. Pourtant, on nous a appliqué 0,7 % pour l'extension du 100 % santé !

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - De qui parlez-vous exactement ?

Mme Christine Meyer-Meuret. - Je parle du tableau qui a été présenté à la fédération par la mutuelle, dans le cadre de notre contrat de partenariat. La mutuelle nous a présenté toute une série de paramètres d'augmentation de la cotisation, calculés par leurs actuaires, sur lesquels nous aurions dû pouvoir discuter. Comme les actuaires avaient entendu qu'il y aurait peut-être une extension du 100 % santé, ils appliquaient 0,7 % d'augmentation de cotisation pour se couvrir. Avant même de commencer à discuter, la mutuelle avait décidé une hausse de 7 % : une hausse des prix des médicaments était évoquée, l'Ondam devait être pris en compte, tout comme la hausse de la consultation médicale, des frais dentaires, du ticket modérateur dentaire, l'extension du 100 % santé... Elle a ensuite appliqué un facteur âge de 2 % et, pour elle, la hausse minimale de la cotisation était de 9 %. Je souligne que cela est lié non pas à la réalité du portefeuille, mais à l'analyse générale faite par la mutuelle. La manière dont les assureurs décident de l'augmentation de la cotisation se fait indépendamment de la réalité de la population concernée.

Sur les ALD, il y a deux opinions fausses. La première est que, quand on est en ALD, on est couvert à 100 % par la sécurité sociale. Pourtant, depuis 1980, on a déconnecté la prise en charge à 100 % du coût réel des soins, avec le secteur 2 puis, à partir de 1983, avec les forfaits journaliers - et cela n'a pas arrêté ensuite. Depuis 1980, il n'y a plus de réalité du tarif opposable et il y a donc nécessairement des restes à charge pour les personnes, même quand elles sont prétendument couvertes à 100 %.

Seconde idée reçue à corriger : les personnes en ALD ne sont couvertes à 100 % que pour la pathologie exonérante. Elles peuvent avoir des dépenses très lourdes dans des domaines qui ne sont pas explicitement liés avec la cause de l'exonération, pouvant représenter des restes à charge très importants. Les personnes en ALD sont des facteurs très importants de surcoût pour les complémentaires.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Nous en avons déjà parlé. Cela pose la question de l'information des personnes concernées.

M. Pierre Erbs, président de la Confédération française des retraités. - En tant que président de la Confédération française des retraités, qui regroupe un large éventail d'associations de diverses origines socioprofessionnelles - privé, public, indépendants -, je souhaiterais apporter un éclairage sur la manière dont les personnes arrivant à l'âge de la retraite perçoivent la question de la complémentaire santé, et souligner à quel point la situation des retraités est souvent négligée.

Lorsqu'un salarié atteint l'âge de la retraite, il peut bénéficier des dispositions de l'article 4 de la loi Évin, offrant une protection temporaire contre les hausses tarifaires excessives. Cependant, une fois les trois années passées, les augmentations tarifaires peuvent être considérables pour deux raisons.

Tout d'abord, les individus perdent leur pouvoir de négociation. En tant que groupe au sein d'une entreprise ou d'une branche professionnelle, ils bénéficiaient d'un pouvoir de négociation avec les assureurs ; une fois à la retraite, ils se retrouvent seuls face à l'assureur, sans réelle possibilité de discussion. Cette transition peut être brutale, les faisant passer d'une situation de négociation collective à une situation où l'individu doit accepter les conditions imposées par l'assureur. Bien sûr, il est possible de se renseigner sur les différentes options disponibles, de faire des comparaisons, mais cela reste souvent difficile.

Ensuite, les tarifs augmentent avec l'âge, ce qui signifie qu'il n'y a pas vraiment de mutualisation au sein des retraités pour leur complémentaire santé. En réalité, la mutualisation se fait par tranche d'âge, ce qui est extrêmement limité et peut entraîner des augmentations tarifaires significatives pour les personnes âgées.

Ainsi, le nouveau retraité - puis celui qui avance en âge - se retrouve souvent confronté à des augmentations tarifaires qu'il ne maîtrise pas, sauf s'il peut souscrire à un contrat groupe ouvert. Je mène des négociations avec le même assureur que Mme Meyer-Meuret. Dans ce cadre, il est possible de faire valoir les intérêts des retraités et de suivre l'évolution du contrat, en étant informé régulièrement de l'équilibre des comptes de l'assureur. Cependant, beaucoup de retraités ne bénéficient pas de ce pouvoir de négociation et se retrouvent seuls face à leur assureur. Il est important de noter que les retraités sont souvent réticents à changer d'assureur, même si cela pourrait être avantageux pour eux. Et certains assureurs refusent l'adhésion de personnes âgées, ce qui limite encore davantage les options des retraités.

De plus, contrairement aux salariés, les retraités ne bénéficient pas d'une déduction fiscale pour leurs cotisations de complémentaire santé. D'ailleurs, celles-ci ne sont pas prises en charge pour moitié par un employeur... C'est un mauvais traitement qu'on leur fait subir, qui contribue à alourdir leur charge financière. Les augmentations tarifaires, qui peuvent atteindre jusqu'à 10 % pour l'année 2024, seront également appliquées aux retraités, aggravant ainsi leur situation financière, d'autant que ces tarifs sont majorés en fonction de l'âge des individus.

Enfin, lors de la souscription à une complémentaire santé, les assureurs prélèvent des frais de gestion, des frais d'acquisition...

M. Xavier Iacovelli, rapporteur. - En effet, le montant de la cotisation versée ne couvre qu'à hauteur de 70 %. Mais quand il y a un accident, une maladie... Les frais de gestion des complémentaires santé, à hauteur de 20 %, sont un vrai sujet, aussi, qui revient à chaque audition. À votre connaissance, l'article 4 de la loi Évin est-il appliqué en pratique ?

M. Pierre Erbs. - Je ne sais pas comment cela fonctionne concrètement. Je n'ai pas particulièrement suivi ce sujet.

M. Xavier Iacovelli, rapporteur. - On passe, en fait, d'un contrat, souvent collectif, pris en charge à 50 %, à un financement individuel de 100 %, auxquels s'ajoutent encore 25 % au bout d'un an et 50 % supplémentaires l'année suivante. D'après les informations que nous avons pu recueillir, beaucoup renoncent même au bénéfice de la loi Évin pour revenir sur un contrat individuel négocié, offrant souvent des garanties moindres que ce que le contrat collectif comportait.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Ce point est central.

M. Pierre Erbs. - Je souligne le poids de la complémentaire santé sur les retraités. Si un couple, tous les mois, doit payer 250 euros pour la complémentaire, cela fait, par an, l'équivalent d'un mois de pension !

M. Xavier Iacovelli, rapporteur. - Selon vous, les comparateurs en ligne offrent-ils une lisibilité suffisante des contrats qu'ils présentent ? Ils sont souvent financés par les assureurs eux-mêmes... Quelles seraient vos préconisations pour étendre la couverture, et réduire le coût des complémentaires santé ?

M. Pierre Erbs. - Il est très difficile d'apprécier les différences entre les contrats. Je pense que les assureurs y trouvent leur intérêt. Toutes les propositions qui sont faites ne sont pas vraiment comparables. Je ne sais pas vraiment comment fonctionnent les comparateurs. Certains assureurs peuvent probablement refuser d'y être. J'ignore si ces comparateurs constituent un bon outil pour faire un choix en toute connaissance de cause et s'y retrouver dans ce maquis.

M. Xavier Iacovelli, rapporteur. - Mme Meyer-Meuret, souhaitez-vous faire des préconisations sur une meilleure couverture complémentaire, et à moindre coût, pour les seniors ?

Mme Christine Meyer-Meuret. - En effet, les comparateurs en ligne sont effectivement payés par les assureurs. On doit y renseigner ses coordonnées, le plus souvent, et ses besoins de santé. Une solution est imposée : la marge de sélection de l'assuré est faible.

Vous nous interrogez sur les conditions réelles d'application de l'article 4 de la loi Évin. C'est une très bonne question, car nous ne savons pas si les retraités se tournent vers la prolongation du contrat des actifs. Les solutions se trouvent du côté d'une meilleure transparence, d'une solution d'élargissement de la couverture obligatoire et d'une mutualisation plus large de l'AMO. Au fond, quel est le vrai risque complémentaire ? Quel est le vrai risque qui n'est pas couvert ? C'est surtout l'hospitalisation. Tout le reste est, d'une certaine façon, programmable, prévisible : on sait qu'on va avoir besoin de lunettes, on sait qu'on va avoir besoin de soins dentaires.

Autrefois, certains retraités faisaient le choix de ne pas s'assurer, considérant qu'il valait mieux qu'ils épargnent pour leurs lunettes, leur audioprothèse ou leurs dents plutôt que de payer tous les mois 150 euros de cotisation complémentaire. Le 100 % santé a sans doute un peu changé le paysage, mais le vrai risque, au sens de l'assurabilité, c'est l'hospitalisation. Le ticket modérateur des personnes de plus de 70 ans ayant un reste à charge peut être très élevé, de 2 500 euros en moyenne pour les personnes non concernées par l'ALD. Cela génère un besoin d'assurance. Une personne de 70 ans qui tombe dans la rue et qui est emmenée à l'hôpital pour surveillance peut facilement y rester cinq jours. Si le reste à charge quotidien est de 200 euros... Il faudrait donc revoir le contenu du contrat responsable en le centrant en quelque sorte sur le risque hospitalier, tout en intégrant le 100 % santé.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Où en sont les couvertures actuelles pour le dentaire, les dépassements d'honoraires, l'accès aux soins de ville dans certaines circonstances ?

M. Pierre Erbs. - En chirurgie, les dépassements, désormais considérables, sont devenus la norme. Ce n'est pas normal, et cela majore d'autant le coût des mutuelles, parfois amenées à assumer jusqu'à 300 % de dépassement !

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Je vous remercie pour vos interventions.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 50.

Mercredi 3 avril 2024

- Présidence de Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente -

La réunion est ouverte à 16 h 45.

Audition de M. Pierre-Jean Lancry, président (en visioconférence), Mmes Nathalie Fourcade, secrétaire générale, et Marie-Camille Lenormand, secrétaire générale adjointe, du Haut Conseil pour l'avenir de l'Assurance maladie (HCAAM)

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Nous poursuivons cet après-midi en séance plénière, diffusée en direct et en différé sur le site du Sénat, les travaux de la mission d'information sur les complémentaires santé. Nous avons le plaisir d'auditionner aujourd'hui M. Pierre-Jean Lancry, président du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie (HCAAM), Mme Nathalie Fourcade, secrétaire générale, et Mme Marie-Camille Lenormand, secrétaire générale adjointe. Merci à tous les trois pour votre présence.

Comme vous le savez, notre mission d'information a été créée à l'initiative du Groupe Rassemblement des démocrates progressistes et indépendants (RDPI) auquel appartient notre rapporteur Xavier Iacovelli. Nous avons engagé ces travaux au mois de mars dernier. Notre rapport sera rendu public l'été prochain.

Cette audition donnera lieu, puisqu'elle est en format plénière, à un compte rendu écrit qui sera annexé à notre rapport. Son enregistrement vidéo est disponible en ce moment sur le site du Sénat et sera par la suite accessible en différé.

Nous poursuivons avec vous une série d'auditions d'acteurs institutionnels, dans le cadre desquelles nous avons reçu jusqu'à présent, Dominique Libault pour le Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFiPS) et le directeur de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees). Nous entendrons prochainement les responsables de la Direction de la sécurité sociale (DSS) et de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam). Notre programme comporte également des auditions de représentants des organismes complémentaires des professions de santé et de divers acteurs de la société civile concernés par le sujet.

Nos travaux portent sur l'incidence de l'augmentation des tarifs des complémentaires santé sur le pouvoir d'achat des Français. Il s'agit d'un point de départ pour nous intéresser à toutes les causes de cette augmentation - la répartition des dépenses de santé entre l'assurance maladie obligatoire (AMO) et l'assurance maladie complémentaire (AMC), les frais de gestion évidemment, les relations avec les professionnels de santé, notamment. Des évolutions sont en effet intervenues dans la couverture des Français depuis 2013, avec une nouvelle répartition entre contrats collectifs et individuels. Les Français ne sont pas traités d'une façon identique selon leur âge ou leur situation professionnelle. Les évolutions de la part prise en charge par l'AMO et par l'AMC donnent évidemment une place toujours plus grande aux complémentaires, et induisent donc une sélection plus forte en fonction de l'âge, du lieu de résidence, etc.

Le HCAAM a beaucoup travaillé sur ces questions. Nous sommes extrêmement intéressés d'entendre les résultats de vos travaux et de vous entendre présenter les propositions du Haut Conseil. Je donne la parole au rapporteur. Après votre intervention, nous vous poserons des questions.

M. Xavier Iacovelli, rapporteur. - Merci, Madame la présidente. Monsieur le président, Mesdames, je vous remercie de consacrer du temps à cette audition en réunion plénière avec mes collègues ici présents.

Comme l'a rappelé Madame la présidente, le sujet de l'augmentation des cotisations et de ses conséquences sur le pouvoir d'achat des retraités a été à l'initiative de notre volonté de créer cette mission d'information. Mais au-delà du cas des retraités, nous examinerons la situation des Français dans leur ensemble. Nous constatons qu'aujourd'hui les personnes qui subissent le plus grand nombre de difficultés du fait de ces augmentations sont les retraités. Il est question en effet, selon certaines études, d'augmentations pouvant aller jusqu'à 25 %.

M. Pierre-Jean Lancry, président du HCAAM. - Merci de nous avoir conviés à cette audition. Le rapport du HCAAM a été publié en janvier 2022. Nous nous intéressions cependant à ce dossier depuis 2019-2020. En 2021, nous avons publié un document de travail qui faisait état des quatre scénarios proposés par la suite. Il est important de savoir que, lorsque nous avons présenté ce document, les quelque 70 membres du HCAAM - forces vives, syndicats, représentants des professions de santé - tous étaient d'accord sur l'analyse et sur ces quatre scénarios.

Comme l'a indiqué Madame la présidente, l'originalité du système français d'assurance maladie résulte de son histoire. Vous savez que les mutuelles existent depuis plus longtemps que la sécurité sociale ; aujourd'hui, il existe deux canaux de remboursement pour les mêmes dépenses de santé. Le premier d'entre eux est l'AMO, protection universelle depuis 2016. Il existe en outre un second canal avec l'AMC, complété en 2000 par la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) et par la complémentaire santé solidaire (C2S) en novembre 2019.

J'indiquais qu'il s'agit d'un système particulier. Parmi l'ensemble des pays de l'OCDE, la France est le pays dont le taux de couverture de la population est le plus élevé à 96 %. Surtout, la part des dépenses de santé couvertes est la plus importante, à 13 %. Ce système est donc relativement original, avec une conséquence claire : l'AMC est nécessaire à l'accès aux soins.

Il n'en demeure pas moins que notre système présente de grandes inégalités en matière de restes à charge. Certes, la France affiche le reste à charge moyen le plus faible des pays de l'OCDE. Néanmoins, si vous analysez les restes à charge après l'intervention de l'AMO et de l'AMC, les montants peuvent être extrêmement élevés. Souvenez-vous qu'au moment de la pandémie de la covid-19, il était question de restes à charge hospitaliers de plus de 8 000 euros. De son côté, la question des dépassements d'honoraires n'est pas réglée. Par ailleurs, si 96 % de la population dispose d'une couverture complémentaire, 13 % des chômeurs, par exemple, n'en bénéficient pas.

Il existe un indicateur peu utilisé, que nous avons présenté dans notre rapport : le taux d'effort. Il s'agit d'additionner le reste à charge et la prime de l'assurance complémentaire, et de diviser ce montant par le revenu. Vous constatez alors de fortes inégalités, puisque le taux d'effort passe de 2,7 % chez les 30-39 ans à plus de 8 % chez les plus de 80 ans. Il est surtout inégalitaire au sein de la population des personnes âgées, puisque, pour les 20 % des retraités les plus riches, il est de 3,9 %, tandis que pour les 20 % des retraités les plus pauvres, il est de près de 10 %.

M. Xavier Iacovelli, rapporteur. - Pardonnez-moi, Monsieur le président. Vous parlez des 30-39 ans et des plus de 80 ans. Quel est le taux d'effort moyen pour les personnes âgées de 40 à 79 ans ?

M. Pierre-Jean Lancry. - Je n'ai pas cette donnée, mais elle existe. J'ai omis d'indiquer que les travaux quantitatifs dans le cadre de ce rapport ont été réalisés par la Drees. Comme évoqué précédemment par Madame la présidente, il existe des inégalités entre actifs et inactifs. La prime est fonction du risque.

Notre système de prise en charge fait face à trois grands défis : celui de la régulation et de la soutenabilité, celui de l'équité dont j'ai parlé précédemment et celui de la couverture des risques les plus lourds. Ce dernier point, également préoccupant, a été rappelé dans l'exposé liminaire de Madame la présidente.

Fin 2020, nous avons proposé quatre scénarios que nous devions étudier tout au long de l'année suivante. Ces scénarios avaient été acceptés par l'ensemble des membres. Aucun d'entre eux n'a cependant suscité l'engouement du HCAAM. Habituellement, le HCAAM, instance de réflexion, tente de dégager des positions communes. En l'espèce, il a pourtant été impossible d'obtenir un consensus. Nous avions accepté d'étudier les quatre scénarios sans pour autant privilégier l'un plutôt que l'autre. Ensuite, l'actualité nous a rattrapés.

Habituellement, nous tentons justement d'étudier des dossiers quelque peu éloignés de l'actualité pour éviter précisément l'utilisation du HCAAM comme tribune. Dans ce cas, cependant, la situation s'est avérée extrêmement compliquée parce que les politiques s'en sont mêlés. Vous avez pu en constater les résultats.

Je vous propose à présent de vous présenter ces quatre scénarios. Le premier consiste, sans modifier le cadre de l'architecture actuelle du système de remboursement, à améliorer les éléments qui peuvent l'être. Le système d'assurance maladie est extrêmement complexe, avec des inégalités importantes en matière de restes à charge. Ceux-ci sont parfois extrêmement élevés. Le niveau des primes d'assurance pose une difficulté, en particulier pour les retraités modestes ; le rapporteur a évoqué ce point précédemment. Il existe des défauts de couverture sur la partie AMC, notamment pour les salariés précaires et pour les jeunes. Nous voulions proposer, dans le cadre existant, une évolution des règles de remboursement et le renforcement de l'accessibilité financière des soins. L'intention était de modifier le niveau du ticket modérateur pour mieux répartir les restes à charge après intervention de l'AMO, notamment selon l'âge. Il s'agissait en outre de revenir sur une bizarrerie de notre système de remboursement pour le médicament (avec cinq taux de remboursement qui vont de zéro à 100 %). La question de la participation des patients aux dépenses hospitalières était également traitée. En cas d'intervention chirurgicale avec un certain niveau de gravité, la prise en charge atteint 100 % ; cependant, en médecine, la prise en charge n'est pas de 100 %, le patient ayant un ticket modérateur à acquitter. Nous souhaitions étudier une évolution de la prise en charge des dépenses d'hospitalisation sur la base d'une logique de forfaitisation : forfaits par séjour ou forfaits par bénéficiaire, montant unique ou montants distincts en ambulatoire et en hospitalisation complète, modulation du montant en fonction de la durée du séjour avec éventuellement un mécanisme de plafonnement, etc.

Concernant les personnes âgées, vous savez que l'article 4 de la loi Évin prévoit la portabilité de la complémentaire santé. Notre intention était de déterminer la meilleure façon de faire évoluer cette obligation dans le cadre de l'article 4 de la loi Évin et de modifier également le seuil d'éligibilité à la C2S.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Pardonnez-moi de vous interrompre. Au cours de nos auditions, nous commençons malheureusement à nous apercevoir qu'il existe un manque de connaissances sur la façon dont l'article 4 de la loi Évin est appliqué. Avez-vous approfondi le sujet ?

M. Xavier Iacovelli, rapporteur. - Je me permets de compléter les propos de la présidente. Au cours de nos auditions, nous avons même entendu que, malgré l'obligation faite par la loi, un certain nombre de complémentaires contournent cette obligation en ne proposant pas directement la portabilité du contrat ou en proposant un maintien des garanties avec des prix qui sont souvent prohibitifs, accompagné de la proposition d'un contrat individuel, moins onéreux, mais avec des garanties moindres. Il s'agirait effectivement d'un contournement de la loi Évin. L'avez-vous mesuré ?

Mme Nathalie Fourcade, secrétaire générale du HCAAM. - Nous n'avons pas analysé précisément la manière dont est mise en oeuvre la loi Évin. En revanche, nous avons pointé les limites conceptuelles du dispositif, avec un renchérissement important des primes pour les retraités au moment où leurs revenus baissent, et une grande complexité en gestion pour les complémentaires sur ce type de contrat.

M. Pierre-Jean Lancry. - Je reviens aux salariés précaires. Aujourd'hui, les salariés à temps partiel, les CDD de moins de 15 heures par semaine et les CDD de moins de trois mois peuvent être exclus du bénéfice des contrats collectifs. Notre proposition, devant cette inégalité de situation, aurait été d'élargir le bénéfice de la couverture collective à toutes les personnes en CDI, quelle que soit la durée de travail, et à toutes les personnes en CDD, dès lors qu'elles justifiaient de plus d'un mois d'activité. S'agissant des possibilités d'exclusion du contrat collectif ouvertes par la loi, l'intention était de les réserver au seul niveau de la branche, et non plus, comme aujourd'hui, au niveau de l'entreprise. Parmi les propositions visant à améliorer la situation des salariés précaires, par ailleurs, il était question d'imposer une prise en charge de la part salariale par l'employeur chaque fois que celle-ci représente plus de 10 % de la rémunération.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Pardonnez-moi, je n'ai pas compris. De quelle charge s'agit-il ?

Mme Nathalie Fourcade. - Il s'agit du reste à charge de la cotisation. Il est possible en effet d'exclure un salarié du contrat collectif si le contrat implique une prime jugée prohibitive par rapport aux revenus du salarié.

M. Pierre-Jean Lancry. - Pour les salariés exclus de la couverture collective, l'intention était de systématiser le financement patronal des couvertures individuelles. Il s'agissait de proposer un barème adossé aux réalités tarifaires du marché des contrats de couverture individuelle. L'objectif était de faire évoluer les couvertures individuelles, qui nous paraissaient très limitées, en les rapprochant le plus possible des couvertures collectives.

D'autres propositions ont été formulées sur des thématiques connues. Nous savons que les micro-entrepreneurs et les exploitants agricoles ne possèdent souvent pas de couverture complémentaire. L'intention était d'envisager l'instauration d'un mécanisme de déduction du bénéfice imposable des sommes affectées à l'achat d'un contrat de santé responsable et d'ouvrir l'accès aux contrats Madelin.

Nous avons également émis une proposition d'organisation, qui avait son importance. Vous savez qu'aujourd'hui, dans les négociations entre l'AMO et les professions médicales, les syndicats représentatifs des médecins, par exemple, ont la capacité juridique d'engager les professionnels dans le cadre des conventions avec l'Union nationale des caisses d'assurance maladie (Uncam). Nous voulions que l'Union nationale des organismes complémentaires d'assurance maladie (Unocam), qui est censée être le pendant de l'Uncam pour les complémentaires, ait également une capacité à engager les organismes complémentaires.

Enfin, l'objectif était de réduire les dépenses de gouvernance du système de santé (comme dans d'autres scénarios proposés) ainsi que la charge administrative supportée par les professionnels de santé, afin de libérer du temps médical.

Nous avions complété ce scénario, qui consistait à ne pas modifier entièrement l'organisation du système d'assurance maladie, par le dossier, désormais ancien, du bouclier sanitaire. Nous avions constaté que les complémentaires étaient farouchement opposées à la mise en place de boucliers pour deux raisons principales. En premier lieu, dès lors qu'un montant sert de seuil pour la prise en charge par l'AMO, le risque au sens assurantiel devient une réalité. Or, les assureurs complémentaires ont pour métier de gérer des risques. Par ailleurs, si, à partir d'un seuil, une personne est prise en charge à 100 %, l'intérêt de la complémentaire devient inexistant.

Nous avons tout de même examiné l'éventualité d'un bouclier sanitaire. Les simulations de la Drees sont explicites. Le coût d'un bouclier intégral était évalué à 2 milliards d'euros. Un bouclier portant uniquement sur les dépenses d'hospitalisation avec un plafond plus bas induisait un coût d'un milliard d'euros. Le dispositif permettait, en tout état de cause, de réduire la prime annuelle de la complémentaire.

Comme je vous l'indiquais, notre premier scénario n'a rencontré aucun succès.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Sans dévoiler le secret de vos délibérations, ce scénario n'a-t-il réellement reçu aucune approbation ?

M. Pierre-Jean Lancry. - Nous avons été très étonnés qu'aucun des scénarios n'ait plu. Certains scénarios, objectivement, auraient dû être poussés. Un certain nombre de membres auraient dû se les approprier et faire avancer le dossier.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Le premier scénario était-il couplé avec le bouclier sanitaire dans vos discussions ?

Mme Nathalie Fourcade. - Le bouclier sanitaire était situé quelque peu « à la frontière » du premier scénario. Il s'agissait d'un aménagement apporté au cadre actuel, qu'il ne bouleversait pas. Les évolutions proposées étaient moindres par rapport aux trois autres scénarios. Ce dispositif est entré tardivement dans nos discussions. Il apparaît d'ailleurs uniquement en annexe et a fait l'objet de discussions moins longues.

M. Pierre-Jean Lancry. - Je poursuis. Le deuxième scénario consistait à pousser la logique actuelle, qui repose sur l'existence de deux systèmes. Il prévoyait un système d'AMC obligatoire, universelle et mutualisée. La mutualisation devait permettre d'éviter les effets d'éviction. En effet, certaines populations auraient été traitées par certains types d'assureurs complémentaires aux coûts beaucoup moins élevés que d'autres. Ces assureurs se seraient occupés des populations défavorisées et de certaines personnes âgées. Des règles de péréquation auraient été mises en place.

Dans ce cadre, nous poussions à son terme la logique de la couverture complémentaire, dont bénéficient aujourd'hui 96 % des Français, en consacrant le couple AMO-AMC et en offrant un socle commun à tous. L'AMC constituait un deuxième étage, avec des garanties définies, et représentait un socle commun de garanties dans un cadre mutualisé.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Le deuxième étage était-il facultatif ?

M. Pierre-Jean Lancry. - Non. Le dispositif comprenait obligatoirement AMO et AMC. Le troisième étage, en revanche, était facultatif. Il s'agissait de compléter le socle commun par des garanties supplémentaires, pour la prise en charge de dépassements notamment. Je ne vous cache pas que ce scénario, s'il pouvait intéresser certains, maintient les deux difficultés que nous observons dans notre système, à savoir sa complexité et le double circuit de remboursement pour un même soin.

Des discussions ont eu lieu sur la nature de la complémentaire santé. Nous avons proposé de la reconnaître comme un service d'intérêt économique général (Sieg). Les Sieg remplissent des missions qui ne pourraient pas être effectués par le marché en l'absence de l'intervention de l'État. Notre intention était de permettre l'accès aux soins de l'ensemble de la population, qui bénéficierait d'une couverture à deux étages, et de mettre en oeuvre une solidarité dans la couverture assurantielle, en déconnectant le risque individuel et la prime. Le Sieg aurait donc eu obligation de fournir des garanties définies par la puissance publique.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Sur le papier, cette option préserve la liberté d'entreprendre des complémentaires et le libre choix de tous. Elle garantit en outre une mutualisation pour une partie de la population. Elle est également susceptible de contribuer à une baisse des tarifs, puisqu'elle introduit une concurrence supplémentaire. Ce scénario a-t-il par conséquent été défendu ?

Mme Nathalie Fourcade. - Oui. Des réflexions ont été menées à l'époque. Ce scénario reprend le modèle de la C2S.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Il s'agirait d'une C2S ouverte à tous, en quelque sorte.

M. Pierre-Jean Lancry. - Oui. Il est important de garder à l'esprit la nécessité de limiter les risques d'écrémage par les assureurs qui ne s'occuperaient que des groupes à faible coût pour eux. Ils laisseraient évidemment à d'autres les « mauvais risques ». En rendant le système obligatoire, nous imposerions la péréquation entre les acteurs.

Sur les garanties, l'objectif était d'aboutir à un panier minimal pour les deux niveaux, avec une possibilité de modulation, et à une administration de cet ensemble, comme pour le régime local d'Alsace-Moselle, par un conseil d'administration composé de représentants de la population couverte par le régime. Il ressortait des simulations de la Drees que les retraités seraient les grands bénéficiaires d'un tel système, qui aurait reposé sur un tarif unique par classe d'âge. Le dispositif permettait de réduire significativement les restes à charge. Ce scénario n'a pas rencontré davantage de succès que le premier.

Le scénario qui a suscité le plus de discussions est le scénario que la presse a immédiatement baptisé la « Grande Sécu ». Il s'agit du troisième scénario, portant l'augmentation des taux de remboursement de la sécurité sociale et confiant la couverture de l'ensemble des dépenses à un seul acteur, l'Assurance maladie. Ce dispositif aurait permis de renforcer l'équité du système. Nous savons en outre que les charges de gestion des complémentaires sont relativement élevées, puisqu'elles représentent plusieurs milliards d'euros, dont une partie aurait pu être restituée aux assurés sous forme de pouvoir d'achat, rendant le système plus visible et transparent.

La conséquence est que l'AMO aurait eu à intervenir de façon extrêmement efficace sur la régulation des dépenses de santé dans les secteurs qu'elle ne couvrait pas. Les réformes des modes de rémunération des professionnels et des établissements en auraient été facilitées. Le principe est la suppression de tous les tickets modérateurs et des autres formes de participation financière, franchises et autres.

Ce scénario, qui suppose une gestion fine du panier de soins, nécessite d'impliquer davantage les acteurs du système. Nous avions évoqué la nécessité d'une nouvelle gouvernance pour l'AMO. Il s'agissait de démocratiser sa gouvernance, c'est-à-dire de faire intervenir davantage de représentants des assurés. Le HCAAM est très impliqué sur ce point.

Nous sommes convaincus que l'amélioration de la démocratie sanitaire permettrait de faire accepter de nombreuses réformes et évolutions du système, davantage en tout cas que lorsque les personnes se sentent éloignées des décisions prises en la matière.

Ce scénario impliquait donc un renforcement de la régulation des dépenses de santé, puisque l'AMO aurait été l'intervenant unique dans toutes les relations avec le secteur de la santé. Je n'ai peut-être pas évoqué ce point, mais je saisis cette opportunité pour dire quelques mots à propos de l'évolution de la politique conventionnelle sur la question des dépassements. Tous les scénarios pêchent sur un point : nous ne réglons pas la question des dépassements d'honoraires. Aucun des scénarios ne traite de cette question : dans ce scénario dit de « Grande Sécu », par exemple, il est question de prise en charge jusqu'à 100 % de la dépense opposable. En d'autres termes, les dépassements des professionnels de santé ne seraient pas pris en charge dans le cadre de la fameuse « Grande Sécu ».

Il en va de même pour le scénario précédent sur l'AMC obligatoire. C'est pourquoi il existait un troisième étage après l'étage AMO et l'AMC. Le troisième étage devait couvrir les dépassements d'honoraires, qui nous paraît fondamentale. C'est d'ailleurs le seul point d'accord que nous avons eu avec certains des membres du HCAAM, qui nous ont demandé d'examiner de façon distincte ce sujet préoccupant. Nous y réfléchissons cette année. Nous présenterons prochainement aux membres du HCAAM nos premières réflexions. Nous publierons certainement, fin 2024 ou début 2025, un rapport sur cette question qui se pose, quel que soit le scénario ! La « Grande Sécu » aurait pris en charge à 100 % les dépenses opposables, ce qui excluait les dépassements.

Pour faire de la sémantique, dans le cadre de la « Grande Sécu », les assureurs complémentaires ne seraient plus complémentaires, mais supplémentaires. Le complément qu'ils apportent dans le remboursement d'un médicament, par exemple, n'aurait plus lieu d'être, puisque tout serait pris en charge par l'AMO. Ils apporteraient en revanche en supplément pour des biens qui seraient hors panier couvert et pour les dépassements.

Évidemment, par ailleurs, la mise en place d'un tel système entraînerait des questions très importantes en matière de ressources humaines, car il faudrait s'atteler à la situation des salariés des organismes complémentaires. Nous avons donc cherché à obtenir des informations précises sur le nombre de ces salariés. La fourchette que nous vous proposons est très étendue : entre 30 000 et 100 000 personnes. Nous ne connaissons pas le nombre exact de personnes actuellement employées par l'AMC, car il semble difficile à ces organismes de déterminer les effectifs affectés au secteur santé. Le passage à la « Grande Sécu » nécessiterait de reclasser le personnel des organismes complémentaires, ce qui demanderait du temps. Une partie des 7,6 milliards de frais de gestion économisés devrait en outre être consacrée au financement de ce transfert.

Si nous examinons les résultats des simulations de la réforme dite de la « Grande Sécu », nous constatons une progression d'environ 19 milliards d'euros des remboursements de l'AMO. Il se produit un transfert de financement par les finances publiques de 22,5 milliards d'euros, dont 3,6 milliards de perte de rendement de la taxe de solidarité additionnelle. La contraction du marché de la complémentaire santé est estimée à 70 % du marché, soit 27 milliards d'euros, dont les trois quarts sont liés à l'augmentation de remboursement et un quart répondrait à la désaffiliation des 50 % des assurés. Quel est en effet l'intérêt de s'assurer à une complémentaire quand l'AMO prendra tout en charge ?

Les principaux résultats de la simulation aboutissent à une baisse des primes croissante avec l'âge, jusqu'à 1 100 euros pour les 80 ans et plus. Nous observons des gains pour toutes les catégories d'assurés (salariés, indépendants, inactifs, retraités). La réforme bénéficierait à toutes les classes d'âge, mais davantage aux personnes âgées, ainsi qu'à tous les niveaux de revenus.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Il est indispensable de financer l'augmentation des prises en charge par l'AMO. Quelles sont vos propositions de sources de financement, et quels en seraient les effets sur la redistributivité globale du système ?

Mme Nathalie Fourcade. - L'augmentation des dépenses publiques est théoriquement entièrement finançable. En revanche, le choix du mode de financement n'est pas de notre ressort. Elle doit encore être instruite.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Vous avez financé le système sur le papier, mais sans examiner les conséquences de cette réforme du financement. Nous imaginons sans peine que nous aurions, en conséquence, un système beaucoup plus redistributif par rapport aux revenus qu'il ne l'est aujourd'hui, par définition, puisque les cotisations des complémentaires ne dépendent pas du revenu des personnes à titre principal.

Mme Nathalie Fourcade. - Nous avons réalisé l'exercice. Nous ne l'avons cependant pas publié car nous ne sommes pas l'instance légitime pour ce faire.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Les 3 ou 4 % de personnes non couvertes aujourd'hui seraient-elles incluses ?

Mme Nathalie Fourcade. - Oui. L'alternative est ensuite soit de redistribuer à chaque classe d'âge les frais de gestion qu'elle économise, soit d'établir un scénario davantage redistributif en faveur des retraités. En tout cas, les résultats de nos travaux figurent dans le rapport. Vous y disposez de données détaillées sur les effets en fonction du revenu. Nous avons constaté que le dispositif serait extrêmement redistributif.

M. Pierre-Jean Lancry. - Je vous ai communiqué un chiffre de 19 milliards d'euros concernant l'augmentation des taux de prise en charge par l'assurance maladie obligatoire. Un tableau explique la manière dont se décomposent ces 19 milliards. La moitié environ correspond au reste à charge en soins de ville. De son côté, le reste à charge hospitalier, s'il était pris en charge, serait de l'ordre de 3 milliards d'euros. Cette situation vient du fait que le taux de remboursement moyen des actes à l'hôpital est beaucoup plus élevé que le taux de remboursement moyen aujourd'hui en médecine de ville.

Comme l'a indiqué Nathalie Fourcade, dans ce scénario, les personnes âgées seraient les principales bénéficiaires de la réforme.

Ce troisième scénario n'a rencontré aucun succès, y compris auprès des membres qui auraient dû le soutenir.

Le quatrième scénario correspond à ce que nous appelons le décroisement. Aujourd'hui, l'AMO rembourse mal dans des secteurs comme les audioprothèses, le secteur dentaire et le secteur optique. Il s'agit de pousser la logique à l'extrême en confiant la gestion de ces secteurs à l'AMC. De son côté, l'AMO se concentrerait sur les dépenses qu'elle finance largement aujourd'hui. Il s'agit d'organiser une séparation plus claire des rôles entre l'AMO et l'AMC. L'objectif est de faciliter les évolutions organisationnelles et tarifaires et de simplifier la régulation. Il est vrai qu'aujourd'hui, les complémentaires n'interviennent pas suffisamment dans ce dernier champ.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Les personnes, en gardant leur complémentaire, bénéficieraient-elles du remboursement des soins dentaires et optiques ?

M. Pierre-Jean Lancry. - Oui. Le surcoût serait de 2,7 milliards d'euros pour l'AMO. Dans le détail, la prise en charge du ticket modérateur en ville coûterait environ 9 milliards d'euros. En contrepartie, le médicament à 65 % passant entièrement à la charge des complémentaires, une économie de 5,3 milliards d'euros serait réalisée par l'AMO. Un graphique montre que cette réforme bénéficierait aux plus de 70 ans et surtout aux plus de 80 ans. Ce scénario, qui était de nature à intéresser les assureurs privés, n'a pas donné lieu à une appropriation quelconque par ceux-ci.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Vous vous êtes bien sûr quittés bons amis avec l'ensemble des forces vives, partenaires sociaux et personnalités qualifiées, du Conseil. De quoi étiez-vous convenus alors ? Avez-vous prévu de poursuivre le travail, de trouver d'autres scénarios, ou d'abandonner ces réflexions ?

M. Pierre-Jean Lancry. - Je dois vous avouer que les échanges étaient extrêmement tendus, à un point difficilement imaginable. De leur côté, les acteurs n'ont pas souhaité aller au-delà de ces quatre scénarios.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Je vous remercie pour ces échanges.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 10.