Lundi 29 avril 2024

- Présidence de Mme Annick Jacquemet, présidente -

La réunion est ouverte à 15 h 30.

La santé mentale périnatale - Audition des docteurs Romain Dugravier, pédopsychiatre, chef du Centre de Psychopathologie Périnatale (CPPB) du GHU Paris, Lucie Joly, psychiatre à l'Hôpital Saint-Antoine - AP-HP, responsable de l'unité de psychiatrie périnatale commune aux hôpitaux Pitié-Salpêtrière, Tenon et Armand-Trousseau AP-HP, Mme Elise Marcende, présidente de l'association Maman Blues, docteur Marie Chivé, psychiatre, et Mme Marie Moïa-Tison, sage-femme coordinatrice, de l'Équipe MObile de PSYchiatrie Périnatale (EMOPPSY) du Centre Hospitalier de la Côte Basque

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Mes chers collègues, après quelques jours de suspension parlementaire, nous poursuivons les travaux de notre mission d'information sur la santé périnatale et son organisation territoriale.

Nous entendons aujourd'hui M. Romain Dugravier, pédopsychiatre, chef du centre de psychopathologie périnatale (CPPB) du groupe hospitalier universitaire (GHU) Paris, Mme Lucie Joly, psychiatre à l'hôpital Saint-Antoine (AP-HP), responsable de l'unité de psychiatrie périnatale commune aux hôpitaux de La Pitié-Salpêtrière, Tenon et Armand-Trousseau (AP-HP), Mme Élise Marcende, présidente de l'association Maman Blues et, en visioconférence, Mmes Marie Chivé, psychiatre, et Marie Moïa-Tison, sage-femme coordinatrice de l'équipe mobile de psychiatrie périnatale (Emoppsy) du centre hospitalier de la Côte Basque.

Nos auditions ont permis de mettre en lumière une préoccupation spécifique aussi bien sur la question de la santé mentale de la mère pendant et après la naissance que sur celle du développement psychoaffectif de l'enfant dans les tout premiers jours, mais aussi, phénomène moins connu ou reconnu, sur la question de la santé mentale des pères.

Les résultats de la dernière enquête nationale confidentielle sur les morts maternelles (ENCMM) le confirment : le suicide est désormais la première ou la deuxième cause de mortalité des mères dans l'année qui suit leur grossesse, ce qui interroge sur la prise en charge de la santé mentale des mères dans les périodes prénatale et postnatale. Une femme sur sept présente par ailleurs une dépression post-partum.

De récentes études montrent que le premier facteur de risque serait d'avoir développé une dépression avant ou pendant la grossesse. Cela signifie qu'il est possible d'agir en amont, notamment en prenant mieux en compte l'environnement de la femme enceinte.

La santé mentale est considérée par toutes les personnes que nous avons pu entendre comme un élément essentiel pour l'avenir de l'enfant, mais aussi comme un enjeu de santé publique, que tentent d'intégrer la campagne des « mille jours », l'entretien du quatrième mois ou encore l'entretien postnatal précoce, autant de dispositifs qui ne semblent pas être utilisés pleinement.

Vous nous direz quelle est votre analyse de cette situation et quelles solutions peuvent être apportées dans l'amélioration du suivi de la femme pendant et après sa grossesse. Il semble notamment que si des outils permettent de détecter les signes de dépression en période postnatale - l'inventaire de dépression postnatale d'Édimbourg (EPDS) en est un -, ils restent néanmoins perfectibles.

Vous nous présenterez également, dans ce contexte, le positionnement, les missions et les résultats de vos structures respectives dans l'accompagnement des mères. Il serait, par ailleurs, intéressant d'avoir votre avis sur la formation des professionnels de santé à l'identification des signes de détérioration de la santé mentale et à l'accompagnement des patients, ainsi qu'à l'évolution des facteurs de risques - isolement, précarité, âge des parturientes ou obésité - au sein de la population.

Enfin, une meilleure prise en compte des problématiques de santé mentale dans le suivi de la grossesse nécessite du temps et de la coordination. Comment répondre à ces impératifs dans un contexte de tension sur les effectifs en psychiatrie et en psychologie notamment ?

Je précise que notre réunion est diffusée en direct sur le site internet du Sénat et sera ensuite consultable en vidéo à la demande.

Mme Élise Marcende, présidente de l'association Maman Blues. - Maman Blues est une association francophone à visée non thérapeutique créée en 2006, mais dont le site et le forum datent de 2003. Ses trois objectifs sont d'informer, de témoigner et de soutenir, majoritairement les femmes, parfois les pères. Il s'agit de donner l'information aux personnes concernées et de les orienter en fonction de leurs besoins, de leur demande et de l'urgence de la situation.

Notre association compte environ 70 bénévoles, essentiellement des référentes locales. Quatre modératrices ont pour mission de veiller au bon fonctionnement de notre forum d'échanges, caractérisé par la bienveillance et l'empathie, et d'empêcher que s'y déroule tout échange de médication.

Si nous nous inquiétons évidemment du bien-être psychique des femmes et de possibles intentions suicidaires, nous prêtons également une attention particulière au bébé. Nous organisons des groupes de parole, y compris à distance, et menons des actions en coordination avec les professionnels de santé, les structures et les instances publiques, comme le Collège national des sages-femmes de France ou encore l'agence régionale de santé (ARS) d'Île-de-France.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Comment vous répartissez-vous à l`échelle nationale ?

Mme Élise Marcende. - Cela dépend de la présence de bénévoles installés. L`Île-de-France compte ainsi trois référentes, contre une seule dans la région de Bordeaux. Nous sommes loin de couvrir l'ensemble du territoire national, mais sommes présents en Belgique, en Côte d'Ivoire, en Allemagne ou encore en Nouvelle-Calédonie.

Mme Lucie Joly, psychiatre à l'hôpital Saint-Antoine (AP-HP), responsable de l'unité de psychiatrie périnatale commune aux hôpitaux de La Pitié-Salpêtrière, Tenon et Armand-Trousseau. - Je suis psychiatre à l'hôpital Saint-Antoine à Paris, spécialisée en psychiatrie périnatale, et je fais de la recherche à Sorbonne Université sur les processus impliqués dans les troubles mentaux périnataux.

Contrairement à une fausse représentation encore tenace dans nos sociétés, la période périnatale est marquée par une incidence dramatique de troubles mentaux, notamment du fait des transformations du cerveau maternel tout au long de la grossesse et des transitions familiales pendant cette période.

Dans l'année qui suit l'accouchement, environ 20 % des femmes ressentent des symptômes de dépression du post-partum empirant avec l'allaitement - douleur psychologique, perte de plaisir, fatigue - et développent des croyances négatives sans fondement. Par ailleurs, le risque de récidive lors des grossesses ultérieures est estimé à 50 % et lorsque la dépression n'est pas correctement prise en charge, l'évolution vers un trouble dépressif chronique ou un trouble de l'humeur de type bipolaire est à craindre.

On sait aujourd'hui, grâce aux évolutions de la recherche en psychiatrie et en neurosciences, que ce trouble est lié à des changements cérébraux et hormonaux et qu'il peut être favorisé par des facteurs de risque psychologiques et sociaux de mieux en mieux identifiés. Toutefois, la dépression périnatale peut également frapper comme un coup de tonnerre dans un ciel serein et toucher des mères sans antécédent psychiatrique, après des grossesses sans complication et en l'absence de facteurs de risque environnementaux.

Ce trouble a des conséquences dramatiques. La mortalité par suicide représente aujourd'hui la première cause de décès maternel pendant la première année du post-partum. Il faut rappeler que le taux de suicide en France reste l'un des plus élevés en population générale dans les pays européens. Selon les conclusions du 7e rapport de l'ENCMM, une femme en post-partum se suicide toutes les trois semaines, souvent avec des modes opératoires très violents : pendaison, précipitation sous un train, un pont ou depuis une fenêtre.

La clinique du suicide maternel est d'une rare complexité, tant elle implique des facteurs entrelacés, difficilement compréhensibles à partir du seul prisme médical, biologique ou psychiatrique. Les motivations à mourir sont multiples et difficilement généralisables.

Au-delà de ces situations tragiques, les chiffres sur le suicide maternel mettent en lumière la souffrance silencieuse des mères, dissimulée depuis des siècles sous des strates de vernis social et de représentations faussées sur la maternité bienheureuse. Ce qui transparaît aujourd'hui dans les études épidémiologiques est le reflet des transitions sociales autour de la parentalité. Concentrée autour du couple plus que sur la famille élargie, la parentalité contemporaine bénéficie probablement de moindres relais familiaux que par le passé. Accompagner les parents dans cette période sans équivalent est une priorité de santé publique.

M. Romain Dugravier, pédopsychiatre, chef du centre de psychopathologie périnatale du groupe hospitalier universitaire Paris. - Je rejoins les propos du docteur Lucie Joly sur la fréquence des symptomatologies anxiodépressives, qui touchent près de 15 % des femmes et 8 à 10 % des hommes. Force est de reconnaître qu'il s'agit d'un problème courant de santé publique.

Il est plus compliqué d'identifier le nombre de personnes ayant réellement besoin d'accéder à des professionnels de santé mentale. Comme le disait Lucie Joly, près de 20 % des femmes qui accouchent auraient besoin d'être accompagnées aux plans émotionnel et affectif. Cela étant, je voudrais mettre l'accent sur les situations les plus complexes et sur les personnes les plus vulnérables. Selon des données peut-être moins fiables, au moins 1 à 2 % des femmes présenteraient des troubles psychiatriques chroniques sévères, qui mobilisent énormément d'énergie de la part des professionnels, sont extrêmement déstructurantes, et pour lesquelles une approche encore plus spécifique semble s'imposer.

En résumé, la gradation des difficultés exige une gradation de l'offre de soins. Partant de ce constat, les obstacles et les limites se situent au niveau de l'accès aux soins : seulement 27 % des femmes déclarant vivre une souffrance psychique accèdent ainsi à un professionnel de santé mentale. Quand cet accès aux soins existe, on relève plusieurs discontinuités : discontinuité entre les périodes anténatale et postnatale d'abord - on change d'équipe, de lieu, de professionnel -, discontinuité dans l'offre de soins entre la ville et l'hôpital et particulièrement en santé mentale ensuite et, enfin, discontinuité du regard des professionnels, liée à des difficultés d'acculturation. Il faut faire en sorte que les professionnels travaillent et pensent ensemble des situations complexes et multifocales.

Plusieurs propositions peuvent être faites. Vous avez évoqué la coordination. Dans son enquête, le Collectif interassociatif autour de la naissance (Ciane) a relevé que les femmes ignoraient comment notre système était organisé et qu'elles ne savaient pas s'y repérer. Il convient donc de mieux les informer, mais aussi d'améliorer la lisibilité et la structuration de nos réseaux. L'objectif est de proposer une offre de soins graduée, avec une offre de proximité et une offre de recours, voire d'expertise, qui soit suffisamment lisible sur le territoire.

Il faut peut-être aussi développer un langage qui soit suffisamment partagé entre les professionnels et les usagers. J'ai l'habitude de travailler avec la théorie de l'attachement, qui permet, grâce à Nicole et Antoine Guédeney, à des personnes d'horizons divers de décrire les situations et de les penser ensemble.

La notion d'équité doit également être prise en compte. Si nous ne voulons laisser aucun usager sur le côté et si nous voulons offrir les mêmes chances à tous, il nous faut proposer une offre équitable et graduée.

Enfin, on a évoqué la santé mentale des mères, la santé mentale des pères et le développement des enfants. Pour avoir travaillé pendant dix ans sur des personnes adultes souffrant de troubles psychiatriques chroniques, j'ai pris conscience de l'importance d'une approche bifocale, concertée, contiguë et conjointe. On a parfois tendance à penser la santé mentale comme une succession d'événements : d'abord on s'occupe de la mère, puis du père et ensuite du bébé. Pour notre part, nous défendons un modèle où la psychiatrie et la pédopsychiatrie travaillent de concert pour prendre soin aussi bien de la santé mentale des adultes que de celle de l'enfant et du lien entre l'enfant et ses parents.

Mme Marie Moïa-Tison, sage-femme coordinatrice de l'équipe mobile de psychiatrie périnatale du centre hospitalier de la Côte Basque. - Avec le docteur Chivé, nous représentons Emoppsy, l'équipe mobile de psychiatrie périnatale du pôle Femme mère et enfant au sein du groupement hospitalier de territoire (GHT) Navarre Côte-Basque, située au centre hospitalier de la Côte Basque (CHCB), à Bayonne.

Ce projet original réunit trois spécialités : la pédiatrie, l'obstétrique et la psychiatrie. Depuis un peu plus de trois ans, notre équipe répond à un besoin territorial, dans une démarche d'« aller vers », en périnatal, c'est-à-dire de la période anténatale au premier anniversaire de l'enfant, avec possibilité d'avis antéconceptionnel. Nous intervenons en psychiatrie, pour répondre aux besoins spécifiques des patients présentant des vulnérabilités psychiatriques, mais aussi pour répondre aux besoins du coparent, du bébé à venir et de la triade, une fois l'enfant né.

Pluridisciplinaire, notre équipe compte six membres aux compétences complémentaires : une psychiatre, deux psychologues, une psychomotricienne, une assistante sociale et une sage-femme coordinatrice. Chaque spécialité a sa spécificité, ce qui permet de porter des regards croisés. C'est là toute la richesse du projet. Les soins sont organisés sous forme de consultations, qui s'effectuent seul ou en binôme selon la situation. Ils sont complétés par des ateliers parentaux et par des visites à domicile.

Ce dispositif a pu voir le jour grâce à une dotation annuelle de financement de l'ARS et l'appel à projets des « mille premiers jours », avec le soutien du réseau Périnat Nouvelle-Aquitaine et les dispositifs locaux et territoriaux de santé mentale.

Nos missions consistent dans des actions de prévention et dans la prise en charge précoce, en anténatal et en postnatal, des patientes ayant des antécédents psychiatriques connus. Ces patientes sont repérées lors de l'entretien prénatal précoce, au quatrième mois de grossesse, à l'aide de l'autoquestionnaire de repérage des vulnérabilités émanant du Réseau Périnat Nouvelle-Aquitaine, mais aussi lors de l'entretien postnatal précoce dans le post-partum et, éventuellement, à l'aide de l'EPDS, ou échelle d'Édimbourg.

Ces missions s'organisent également autour des patientes présentant des symptômes, qu'elles aient ou pas des antécédents psychiatriques, et une attention particulière est portée sur les signes de dépression périnatale : anxiété, tristesse, troubles du sommeil ou encore hypervigilance. Nous nous inscrivons dans le soutien à l'établissement du lien parent-bébé et dans la prévention du risque de retentissement de toutes ces vulnérabilités sur la mise en place des interactions précoces. Nos missions s'articulent également autour du repérage des signes précoces d'altération du développement psychomoteur du nourrisson.

Nous élaborons conjointement avec nos partenaires un parcours personnalisé de soins et nous nous intégrons aux dispositifs existants, dans un réseau de soins de proximité ville-hôpital.

Notre objectif est de nous adapter de la façon la plus cohérente possible aux besoins des patients, dans une continuité anténatale et postnatale, en lien avec nos partenaires hospitaliers ou extrahospitaliers, les professionnels du secteur privé ou libéral ou encore les institutions. Les réunions de concertation pluridisciplinaires, les staffs médico-psychosociaux ou encore les staffs régionaux de psychiatrie périnatale sont des temps de coordination mensuels.

Enfin, en ce qui concerne les chiffres, nous notons une augmentation de notre activité clinique : notre file active est passée de 142 patientes en 2021 à 403 en 2023. De même, le nombre d'actes a crû de 640 en 2021 à 2 197 en 2023. Les chiffres relatifs à l'accueil et l'accompagnement des hommes sont également en hausse, passant modestement de 4 en 2022 à 31 en 2023. Si les vulnérabilités des hommes peuvent être plus difficiles à repérer, il est tout aussi important de les accompagner.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Quel bassin de population couvrez-vous ? S'agit-il d'une expérimentation ou d'une activité pérenne ? Quand l'avez-vous démarrée et pouvez-vous tirer un premier bilan de cet « aller vers » ?

Mme Marie Chivé, psychiatre de l'équipe mobile de psychiatrie périnatale du centre hospitalier de la Côte Basque. - Notre équipe a commencé son activité en février 2021, grâce à un premier financement de l'ARS. Au départ, nous n'étions que trois, à temps partiel, puis nous avons répondu en 2022 à un appel à projets pour atteindre actuellement l'équivalent de 3,7 équivalents temps plein (ETP). Notre équipe est la seule équipe mobile de psychiatrie périnatale à intervenir sur le territoire Navarre Côte Basque, qui regroupe environ 300 000 habitants.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Quelle est concrètement votre organisation ?

Mme Marie Chivé. - Notre équipe est estampillée « équipe mobile », mais réalise de fait de plus en plus de soins conjoints. Nous sommes basés à la maternité de Bayonne, où se déroule la majorité des accouchements, mais nous nous déplaçons également dans le Pays basque intérieur, notamment à la maternité de Saint-Palais à une heure de Bayonne, qui enregistre environ 250 accouchements par an. Nous nous déployons aussi dans la maternité privée, où l'on recense près de 1 500 accouchements par an. Nous essayons d'intervenir à domicile, mais notre équipe est largement sous-dimensionnée au regard des missions qui lui sont attribuées.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Cet « aller vers » pourrait cibler des territoires plus ruraux et reculés, ainsi que des populations qui consultent rarement. Avez-vous évalué la dimension de l'équipe mobile qui permettrait véritablement de mener ces actions à domicile ?

Mme Marie Chivé. - Nous effectuons déjà des visites à domicile autour de la maternité de Bayonne, mais nous n'avons pas la capacité de le faire dans l'arrière-pays, par exemple autour de Saint-Palais. Nous le faisons de manière très sporadique, pour les cas les plus complexes.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Quel type d'équipe vous faudrait-il pour réaliser un « aller vers » conforme à vos objectifs ?

Mme Marie Chivé. - Pour assurer la continuité des soins et étendre nos visites à domicile, il faudrait a minima doubler les effectifs. Il faut bien comprendre que nos postes ne sont pas remplacés. Je suis la seule médecin et ma collègue est la seule sage-femme de l'équipe. Les autres membres sont à temps très partiel.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Est-ce un problème de ressources humaines ou de moyens financiers ? Les deux à la fois ?

Mme Marie Chivé. - Les deux à la fois, mais surtout un problème de moyens financiers. Un premier financement de l'ARS nous a permis de constituer l'équipe, mais nous aurions besoin de financements supplémentaires pour étoffer l'équipe et nous déployer plus largement.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Au début de nos travaux, nous avons été effarés par le fait que la première cause de mortalité chez les mères en post-partum était le suicide. Vos propos également m'ont donné quelques frissons. Il est urgent d'agir, sur le plan tant de l'organisation du système que de la prise en charge de la psychiatrie et de la périnatalité. La situation actuelle est très inquiétante.

Comme lors des auditions précédentes, l'idéal que nous souhaiterions atteindre se heurte à la réalité des ressources humaines qui sont à disposition pour mener les missions. Il serait faux de dire que le Gouvernement n'investit pas dans la santé ; la part du PIB que nous y consacrons n'est pas la plus faible parmi les pays européens. Pour autant, nous ne sommes franchement pas les meilleurs.

Vous avez déjà abordé la question, mais n'avons-nous pas un problème de repérage précoce, qui fait que nous passons à côté de certains signaux ? Une solution ne serait-elle pas de former certains professionnels au repérage et de leur confier des actions peu onéreuses permettant d'identifier les personnes les plus fragiles ?

Nous l'avons vu ce matin avec l'audition des responsables du site 1000-premiers-jours.fr : le suivi au moins jusqu'à un an après la naissance permet de maintenir une vigilance sur les parents. Si ces familles n'étaient pas lâchées dans la nature, peut-être éviterait-on une prise en charge psychiatrique ou psychologique renforcée par la suite, en désamorçant certaines situations ou en orientant plus tôt vers les bonnes solutions. Certains professionnels - je ne parle pas des gynécologues-obstétriciens ni des sages-femmes qui nous manquent tant aujourd'hui - pourraient suivre une formation adaptée. Au-delà, ne faudrait-il pas former tous les professionnels de santé et infuser cette culture que nous avons peut-être, jusque-là, insuffisamment prise en compte ?

Avez-vous des propositions ? N'y a-t-il pas, en matière de recherche, des expérimentations à mettre en place ? Je suis très attachée à l'évaluation des dispositifs que l'on met en place. Que pourrions-nous proposer que nous puissions évaluer et, à terme, dupliquer afin d'améliorer les choses ?

M. Romain Dugravier. - À l'instar de ce qu'ont mis en place nos collègues de la Côte Basque, le service dont je m'occupe dispose également d'une équipe mobile proposant une offre graduée : la consultation des équipes mobiles est complétée par une offre de recours appelée « hôpital de jour », qui peut accueillir les bébés avec leurs parents pour la journée.

Cela fait dix ans que le service est structuré exclusivement autour de la psychiatrie périnatale et nous faisons le même constat d'une augmentation de l'activité. Dans un contexte qui est plutôt celui d'une baisse de la natalité, cela nous conforte dans l'idée que nous n'avons pas encore atteint le plateau d'une offre suffisamment accessible pour les usagers.

Sur le décalage entre l'idéal et la réalité, nous avons un axe important à suivre : toutes les familles passent par la maternité. L'enjeu est de faire en sorte que les maternités soient suffisamment sensibilisées et disposent de suffisamment de ressources pour proposer une offre graduée.

Vous avez raison, toutes les personnes éprouvant des moments de détresse psychique ne doivent pas nécessairement consulter un psychiatre ou un pédopsychiatre. La question est celle de la levée des obstacles entre ce qui peut être identifié à la maternité et le recours à la médecine générale, à la pédiatrie, à la protection maternelle et infantile (PMI) et, éventuellement, à l'offre plus spécialisée qui est la nôtre.

Il faut améliorer la connaissance d'une offre déjà existante, qui est par ailleurs très diversement répartie sur le territoire. Le Sud parisien, par exemple, est bien mieux achalandé en offre de soins que d'autres lieux.

Parfois, les femmes ne savent tout simplement pas vers qui se tourner. Or on sait que du côté des professionnels, un obstacle au dépistage peut être la pensée suivante : « Si je recherche sans pouvoir ensuite orienter le patient, mieux vaut ne pas chercher. »

Il faut donc une bonne information des professionnels, une structuration des réseaux et une lisibilité de l'accessibilité.

Mme Lucie Joly. - Je suis spécialisée en psychiatrie périnatale. Il s'agit d'une spécialité holistique, à l'interface entre la psychiatrie, la gynécologie et la pédiatrie, et qui assure la prise en charge des mères et de leurs nourrissons.

La difficulté de cette spécialité est de conjuguer les préoccupations qui concernent les mères et celles qui concernent les enfants, les enjeux étant parfois divergents. En France, la psychiatrie périnatale se transforme. Depuis la publication du décret du 28 septembre 2022, les structures assurant des soins en psychiatrie périnatale doivent être dotées à la fois d'un psychiatre adulte et d'un pédopsychiatre, et le regard doit être porté à la fois sur les spécificités de la mère et sur le développement de l'enfant.

Pour notre part, nous espérons vivement que cette complémentarité viendra enrichir la discipline. Le regard du psychiatre spécialisé dans la prise en charge de l'adulte est indispensable pour la clinique périnatale. La dépression du post-partum, malgré ses spécificités, est avant tout une dépression qu'il faut traiter comme telle, en suivant les recommandations valables pour toute forme de dépression. Malgré cette exigence, trop peu de praticiens sont spécialisés en psychiatrie périnatale sur le territoire français.

Par ailleurs, il est vrai que lorsqu'une dépression est diagnostiquée, les praticiens sont souvent réticents à prescrire des thérapeutiques médicamenteuses pendant la grossesse ou le post-partum, par crainte d'effets indésirables sur le foetus ou sur le nourrisson. Il en résulte que certaines femmes présentant des troubles psychiatriques chroniques comme le trouble bipolaire de type 1 ou des symptômes dépressifs anténataux ne reçoivent pas de traitement adapté.

Les professionnels de santé sont insuffisamment formés à la gestion des thérapeutiques pendant la grossesse, bien qu'il existe des bases de données pour guider les prescriptions, comme celle du Centre de référence sur les agents tératogènes (Crat), et que les sociétés savantes aient formulé des recommandations.

Je pense également qu'il faut favoriser le dépistage précoce et pour cela mieux former les sages-femmes en psychiatrie périnatale. Elles constituent le premier rempart pour renforcer la santé mentale des femmes pendant cette période. L'accès à la formation en psychiatrie périnatale dans le cursus de maïeutique est inégal sur le territoire et très variable selon les universités. Cette formation mériterait d'être uniformisée.

Peut-être pourrait-on également mettre en oeuvre pour les sages-femmes, sur le modèle des surspécialisations existantes dans les autres disciplines médicales, une surspécialité en psychiatrie périnatale, qui inclurait des stages dans des unités de psychiatrie périnatale ou des unités parents-bébé.

Je pense également qu'il conviendrait de transformer l'entretien post-natal précoce, qui est souvent vécu comme une contrainte en termes d'organisation pour les femmes ayant des difficultés à gérer un nouveau-né et une fratrie au quotidien, en visite à domicile systématique. Encore une fois, la sage-femme semble être une intervenante essentielle pour assurer ce suivi ambulatoire post-partum au domicile.

La recherche en psychiatrie et en neurosciences périnatales n'est pas assez soutenue. Plusieurs équipes internationales ont pourtant montré que les transformations cérébrales et les modifications hormonales pendant la grossesse participaient à fragiliser la santé maternelle. Des traitements de nouvelle génération, dérivés des neurostéroïdes - la brexanolone ou la zuranolone -, sont disponibles aux États-Unis, mais ne bénéficient pas d'autorisation de mise sur le marché en France. Nous devons soutenir les nouvelles modalités de recherche sur la santé mentale maternelle en renforçant le lien entre ces unités cliniques de psychiatrie périnatale et les équipes scientifiques.

Dernière piste de réflexion, je pense que l'utilisation des nouvelles technologies, telles que les applications en ligne, constitue aussi un moyen efficace de maintenir un lien thérapeutique avec les patientes, en particulier dans les contextes de confinement ou d'isolement social. Ces outils permettent d'évaluer et de repérer les patientes à risque et de les orienter vers des services spécialisés en santé mentale périnatale pour qu'elles puissent bénéficier d'un suivi adapté à leurs besoins.

Pour notre part, à l'aide d'un financement de l'agence régionale de santé, nous sommes en train de développer une application numérique de suivi et d'accompagnement, appelée SmartPartum, destinée à la prévention et à la prise en charge de la dépression du post-partum. Cette application propose un dépistage numérique des symptômes de dépression et des interventions thérapeutiques adaptées à l'intensité de la symptomatologie dépressive.

Par ailleurs, avec le docteur Hugo Bottemanne, nous avons proposé en 2023 à la direction générale de l'offre de soins (DGOS) la création d'une équipe spécialisée dévolue à l'accueil téléphonique, l'accompagnement et l'orientation des femmes présentant des symptômes de dépression du post-partum, s'articulant avec le dispositif inclus dans l'application des 1 000 premiers jours et proposant la passation de l'échelle d'Édimbourg. Notre projet, appelé Artémis, créé sur le modèle de la plateforme VigilanS existante en psychiatrie pour la prévention du suicide, permettait de mettre en relation les mères avec des équipes spécialisées dans la santé mentale maternelle sur l'ensemble du territoire. Malheureusement, ce projet n'a pas été retenu par la DGOS et les financements n'ont pas été reconduits pour la période 2023-2025. Tous les documents relatifs à ce projet sont à la disposition de la commission.

Mme Élise Marcende. - Aujourd'hui, durant la période anténatale, on parle beaucoup aux parents de la santé physique, mais peu, voire pas du tout de la santé psychique.

Les femmes qui viennent vers nous nous disent régulièrement : « je ne sais pas ce qu'il m'arrive », « je n'ai pas l'instinct maternel », « je devrais être la plus heureuse des femmes, mais je suis triste. » Les parents ne savent pas vers qui se tourner, faute d'informations sur les possibilités de prise en charge à la sortie de la maternité. Certains parents ne connaissent même pas la PMI.

Certains professionnels de santé parlent de baby blues, mais ne vont pas plus loin, même quand leur patiente présente des signes assez importants de souffrance psychique. Il y a alors une forme de banalisation de la souffrance psychique. Et quand le mal-être s'installe de façon insidieuse - la dépression postnatale survient au cours de la première année de vie de l'enfant -, certains médecins disent aux femmes qu'elles ne peuvent pas faire une dépression postnatale parce qu'elles ne sont pas dans l'après-accouchement. Parfois, on prescrit un traitement médicamenteux sans proposer de suivi psychologique ou psychiatrique, voire une hospitalisation si nécessaire.

Alors que les femmes rencontrent durant la grossesse un grand nombre de professionnels de santé, il arrive que les signes de souffrance psychique de certaines d'entre elles n'aient pas été vus alors même que parfois ils préexistaient en anténatal, et qu'elles arrivent à l'accouchement dans un état psychique assez dégradé. Les professionnels de santé ne sont pas forcément formés ou assez sensibilisés sur ce sujet.

Enfin, l'application des 1 000 premiers jours est assez régulièrement en danger, les crédits qui lui sont alloués n'étant pas renouvelés de façon pérenne. On met en lumière la problématique de la santé mentale mais ce qui existe pour accompagner les parents n'est pas suffisamment porté par les pouvoirs publics.

Mme Marie Chivé. - À la maternité de Bayonne, quand notre équipe a vu le jour, nous avons mis en place une formation obligatoire en psychiatrie périnatale pour toutes les sages-femmes. Ma collègue a donné des cours sur les interactions précoces entre la maman et le bébé. Nous avons désormais pour objectif de créer une formation territoriale.

Les sages-femmes sont très satisfaites d'avoir été formées sur ces questions, à la suite desquelles elles ont mieux su repérer les difficultés de leurs patientes en consultation, notamment en suite de couches. Dès lors, elles étaient mieux à même d'orienter les patientes vers notre équipe ou des professionnels spécialisés. Il est donc important, comme l'a dit le docteur Joly, de former les sages-femmes en psychiatrie périnatale.

Mme Marie Moïa-Tison. - De la même manière, nous revenons en équipe sur des situations cliniques qui ont pu surprendre ou choquer des sages-femmes afin de mieux les sensibiliser aux difficultés rencontrées par leurs patientes.

Si le repérage se fait mieux, l'offre de soins demeure insuffisante. Une femme qui fait une dépression n'a pas nécessairement besoin de consulter un psychiatre ; en revanche, un accompagnement psychologique est extrêmement bénéfique, parfois en très peu de séances. Pourquoi ne pas imaginer que les patientes puissent bénéficier de dix ou quinze séances chez un psychologue, remboursées comme le sont les séances de rééducation périnéale ?

Mme Marie Chivé. - En pratique, nous recevons très peu d'appels de médecins généralistes et de pédiatres, beaucoup plus de sages-femmes ou de gynécologues-obstétriciens. Les pédiatres, qui voient pourtant régulièrement les enfants et leurs parents, ne sont pas suffisamment formés, ne serait-ce que pour interroger les parents sur leur état de santé mentale.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Depuis le début de nos auditions, les problèmes de santé mentale et les difficultés des jeunes couples sont très régulièrement évoqués. Autrefois, on ne parlait que de baby blues. Y a-t-il eu une bascule ? De quand date-t-elle ? À quoi est-elle due ? À l'évolution de la société ? À l'éclatement des familles ? Aux réseaux sociaux ?

Les chiffres concernant l'activité d'Emoppsy montrent une très nette évolution en trois ans. Bénéficiez-vous du bouche à oreille ? Avez-vous parlé de votre équipe à l'ensemble des professionnels de santé ?

Enfin, selon vous, le dépistage doit-il être assuré par un professionnel de santé spécifique ou par l'ensemble des professionnels ?

Mme Lucie Joly. - Les troubles psychiques périnataux ont toujours existé, simplement l'évolution sociétale a permis une libération de la parole. Les femmes s'autorisent davantage à verbaliser leurs difficultés. Avoir un enfant, ce n'est pas l'euphorie que l'on décrivait auparavant. Les réseaux sociaux jouent beaucoup, à l'instar du #MonPostPartum. Peut-être la pandémie de covid a-t-elle également accentué les troubles périnataux, notamment les troubles anxieux et dépressifs.

Selon moi, la sage-femme est la plus à même de coordonner le dépistage, car elle a un rôle pivot. Dans les maternités, nous avons des équipes de parentalité qui réunissent tous les professionnels de la périnatalité - les sages-femmes, les obstétriciens, la PMI, les réseaux ambulatoires - et qui jouent un rôle crucial dans la coordination des soins, mais la continuité n'est pas toujours assurée après l'accouchement. Une sage-femme référente pour chaque grossesse pourrait assurer cette continuité, ancrée dans une structure ambulatoire ou dans une interface ville-hôpital, sur le modèle de ce qui se fait, par exemple, avec la Maison des femmes, dédiée à la lutte contre les violences faites aux femmes au sein des centres hospitaliers. À titre d'exemple, l'hôpital Saint-Antoine, qui ne comprend plus de maternité, assure des soins psychiatriques périnataux en relation avec les réseaux périnataux d'Île-de-France et propose des hospitalisations spécialisées pour les femmes en souffrance.

Mme Élise Marcende. - Il y a vingt ans, on ne parlait pas de la santé mentale périnatale comme on le fait aujourd'hui. Les femmes étaient vues comme des folles lorsqu'elles évoquaient leurs difficultés. Les réseaux sociaux et leurs photos instagrammables d'une maternité idéale peuvent être très anxiogènes, mais il existe aussi de nombreux comptes sur lesquels les femmes évoquent leurs souffrances psychiques ou périnatales, mais aussi tous les aspects de la maternité.

Certaines femmes sont suivies par des professionnels de santé, par des psychiatres quand elles ont des troubles psychiques préexistants. Or il arrive que ces professionnels ne soient jamais en relation avec les professionnels de la maternité, ce qui est un problème. Il faudrait, dès que la femme est enceinte, que ce professionnel de santé, quel qu'il soit, se mette en relation avec les professionnels qui vont la suivre durant sa grossesse. Certaines femmes nous disent que leur psychiatre leur a dit d'arrêter leur traitement, ce qu'il ne faut pas faire. À la fin de leur grossesse, elles sont donc dans un état très dégradé.

M. Romain Dugravier. - La culture de la pratique en psychiatrie est assez différente de la culture de la maternité. On doit apprendre les uns des autres.

On défend tous la place des sages-femmes, qui permet des échanges dans des domaines différents.

Les femmes qui ont un trouble bipolaire ou qui souffrent de schizophrénie se sentent particulièrement menacées par notre système et par les propositions qui leur sont faites. Il faut donc qu'on trouve des interlocuteurs qui puissent faciliter l'accès aux soins psychiques et à la maternité, comme tout un chacun.

Il y a déjà vingt ans, Françoise Molénat, pédopsychiatre, défendait déjà l'entretien prénatal précoce et la sage-femme de coordination. Elle disait bien que les sages-femmes étaient les premières interlocutrices pour accéder aux émotions et à la détresse psychique des femmes, avant les psychologues et les psychiatres.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Apparemment, la formation des sages-femmes est inégale d'un territoire à l'autre.

M. Romain Dugravier. Lorsqu'elles débutent, les sages-femmes veulent faire naître des bébés et que leurs mères soient en bonne santé après la naissance. C'est ensuite qu'elles découvrent que, dans un cas sur cinq, les femmes sont débordées par leurs émotions. C'est quand ces problématiques émergent pour elles qu'elles ont besoin de réponse et de formation. La formation continue est donc essentielle.

Mme Élise Marcende. - Il faudrait que les personnes qui ont traversé ces expériences puissent également intégrer ces formations continues. C'est intéressant pour le professionnel de santé d'avoir face à lui ces témoignages.

M. Romain Dugravier. - Pour en revenir à votre question sur l'augmentation éventuelle des problèmes de santé mentale, nous sommes tous d'accord sur le fait qu'il y a probablement non pas une augmentation, mais une meilleure visibilité des dépressions périnatales. Compte tenu de l'évolution des traitements, il y a aussi plus de femmes ayant des troubles psychiatriques sévères qui peuvent avoir un enfant.

Dans notre pratique, on le voit, la libération de la parole permet aux femmes d'oser dire ce qu'elles traversent. Lorsque j'ai débuté, je voyais des enfants âgés de 6 ou 10 ans, dont les parents disaient qu'ils avaient eu des difficultés à construire un lien avec eux, dès le début. Cela m'a donné envie d'intervenir le plus précocement possible.

Mme Marie Moïa-Tison. - La position de sage-femme permet un accès plus fluide et moins effrayant aux soins psychologiques et psychiatriques. Le premier rendez-vous d'accueil par une sage-femme permet ensuite aux femmes de voir un psychologue.

Mme Marie Chivé. - Lorsqu'une patiente nous est adressée, le premier rendez-vous a systématiquement lieu avec une sage-femme. Un lien de confiance s'instaure, un environnement bienveillant est créé, qui permet aux femmes d'accepter ensuite de rencontrer un psychologue ou un psychiatre. Il faut donc que les sages-femmes aient un bon niveau de formation.

Mme Marie Moïa-Tison. - La dépression périnatale est très culpabilisante. Une terrible honte est systématiquement associée à cet état dépressif, qui n'est pas justifié par la société ou la famille. Une fois que la honte est déposée, la femme peut être accompagnée.

Il existe aussi chez les femmes et leurs conjoints une peur des professionnels. Certaines femmes craignent qu'on ne leur retire leur enfant parce qu'elles sont déprimées. De même, les professionnels ont eux aussi des peurs : ils craignent que leur patiente ne se suicide.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Avez-vous remarqué ces dernières années des angoisses plus importantes liées aux instabilités des équipes médicales, à la fermeture de maternités ? La sortie précoce de la maternité est-elle un facteur de risque ?

Selon vous, y a-t-il un lien entre la santé mentale des mères et la maltraitance des enfants, voire les infanticides ?

Le Gouvernement a prévu le remboursement de consultations de psychologues dans le cadre du dispositif Mon soutien psy. Qu'en pensez-vous ?

Mme Lucie Joly. - En moyenne, les femmes restent trois jours après l'accouchement dans les services de suites de couches. Cette durée correspond davantage à des enjeux de surveillance organique plutôt de prise en compte des besoins psychologiques. Pour certaines mères en difficulté dès les premiers jours de vie du nourrisson ou avec des antécédents ou des facteurs de risque psychiatriques identifiés, cette durée peut être allongée. Toutefois, un grand nombre de symptômes psychiatriques péripartum surviennent bien après ce court temps hospitalier.

Paradoxalement, la surveillance médicale et paramédicale dont bénéficient les femmes et les nourrissons pendant cette période peut également mettre certaines patientes en difficulté du fait de la médicalisation de la relation avec l'enfant. Les problèmes de prise de poids ou d'allaitement ou les habilités parentales dans les premiers soins peuvent être des sources d'angoisse et participer à la souffrance psychologique dans les premiers jours de vie.

Les unités kangourou, les unités mères-enfants intégrées au sein des services des suites de couches offrent un réel soutien aux familles en prenant le temps d'accompagner ces parents dans leur rôle parental. Malheureusement, ces unités sont encore trop peu nombreuses dans les maternités. Des services comme le Prado, le service d'accompagnement du retour à domicile, permettent un soutien à la parentalité dans les situations à bas risque médical et psychique. Pour les troubles psychiatriques plus sévères, les femmes bénéficient moins de ces prises en charge.

Le véritable enjeu reste l'accès aux soins après la sortie de la maternité. L'offre de soins est réellement insuffisante sur le territoire. Les structures les plus importantes pour la prise en charge des femmes souffrant de troubles psychiatriques chroniques ou d'apparition aiguë ou après la grossesse, ce sont les unités parents-bébés, spécialisées en psychiatrie périnatale. Elles peuvent accueillir les femmes enceintes ou en difficulté pendant la grossesse pour des hospitalisations programmées ou des dyades mère-bébé après l'accouchement. Les places dans ces unités sont rares et de nombreuses mères ne peuvent jamais y accéder. En Ile-de-France il ne reste aujourd'hui que trois unités de ce type en mesure de répondre à ces enjeux.

Je vais essayer de répondre à votre question sur l'infanticide et les néonaticides. Dans les formes de suicide à visée antalgique, les mères témoignent d'une douleur psychologique si intense qu'elles ne s'imaginent pas pouvoir continuer à poursuivre le combat de l'existence et préfèrent l'échappatoire antalgique de la mort pour échapper au quotidien.

D'autres fois, le suicide est motivé par la croyance d'un avenir sans espoir, empli de menaces et de souffrances, par une culpabilité irrationnelle, faite de fautes présumées, de croyances d'indignité, ou encore par la conviction de faire peser un poids insurmontable sur ses proches.

Pendant la période périnatale, le suicide maternel se double aussi d'enjeux néonataux. Emprisonnées dans les croyances dépressives qui inhibent toute possibilité d'espoir et de plaisir, certaines mères se persuadent que la mort de leur nourrisson est préférable aux ténèbres d'un avenir douloureux.

Le suicide maternel peut aussi s'accompagner de néonaticides, dits altruistes, motivés par la peur de laisser le nourrisson souffrir dans un monde apocalyptique ou par la crainte de l'abandonner à la solitude douloureuse de l'existence.

M. Romain Dugravier. - Il s'agit cependant de cas très rares. Certes, ces situations dramatiques existent. Mais la santé périnatale, physique comme mentale, ne peut être appréhendée au travers de ce seul prisme. Prenons garde à l'image que nous renvoyons du post-partum.

Mme Lucie Joly. - Nous souhaitions rappeler que les chiffres sont inquiétants et que des mesures doivent être mises en place.

M. Romain Dugravier. - Nous l'avons tous dit. Attention, néanmoins, au message que nous laissons.

Mme Élise Marcende. - Les femmes que nous recevons font preuve d'une très grande préoccupation vis-à-vis de leur enfant et des séquelles qu'elles pourraient leur laisser.

Il est surtout inquiétant que les mères ne parlent pas de leur bébé. Il peut arriver que certaines d'entre elles aient des idées noires, et qu'elles souhaitent emmener, dans leur geste, leur enfant. Mais les femmes accueillies par Maman Blues sont surtout très inquiètes pour leur bébé.

Concernant la psychose puerpérale, il s'agit d'une situation particulière. Ce trouble psychiatrique sévère peut pousser au suicide, mais aussi à l'infanticide, et doit être fortement surveillé.

Les femmes que nous avons renvoyées vers le dispositif Mon soutien psy nous ont fait part de plusieurs difficultés, au premier rang desquelles figure la nécessité de consulter son médecin généraliste pour y avoir accès. De même, il est souvent compliqué de trouver un psychologue susceptible de les prendre en charge - sachant que tous ne sont pas formés aux problématiques spécifiques qui les concernent. Enfin, lorsque la patiente va très mal, huit séances ne sont pas suffisantes pour effectuer un véritable travail thérapeutique.

S'agissant de l'augmentation des formes d'angoisses vécues par les parents ces dernières années, le covid est passé par là. Lors du premier confinement, tout le monde s'est arrêté de vivre. Des femmes comme des hommes ont été privés de suivi, malgré le recours à la téléconsultation - nous chez Maman Blues notamment organisé des visioconférences. Il faut néanmoins distinguer l'isolement réel de l'isolement vécu. Le premier renvoie à l'éloignement physique de la famille, qui est de plus en plus courant : certaines femmes déménagent même au moment de la grossesse. Mais il y a aussi l'isolement vécu, celui que l'on ressent alors que l'on est entouré. Or, après l'accouchement, dès qu'ils rentrent chez eux, les parents sont laissés seuls : il est primordial de réfléchir à leur accompagnement. Le village, qui jouait autrefois ce rôle, n'existe plus : il faut désormais le constituer soi-même, bien avant l'accouchement.

M. Romain Dugravier. - Les mères expriment avant tout une préoccupation pour leur enfant. On ne peut parler de maltraitance, mais de diverses formes de maltraitance, qui découlent parfois de l'isolement qui vient d'être évoqué. Le sentiment d'isolement, en particulier, est un indicateur bien plus puissant que l'isolement réel.

La question de la protection de l'enfant est intimement liée à celle de la naissance et de la période qui la suit. Les différents acteurs doivent donc travailler de concert. Depuis plusieurs années, nous organisons des formations régulières à destination des juges aux affaires familiales et des juges des enfants. Ce travail en commun permet de lever plusieurs limites.

Votre questionnaire mentionnait l'intervention d'équipes mobiles, notamment dans le cadre du programme Panjo - Promotion de la santé et de l'attachement des nouveau-nés et de leurs jeunes parents - porté par Santé publique France. Ce dispositif vise à lutter contre l'isolement, lequel est perçu comme un facteur de vulnérabilité. Les visites à domicile qu'il prévoit permettent de faire émerger des demandes.

Le pédiatre Donald Winnicott disait qu'un bébé seul n'existe pas. Et comme le soulignait Élise Marcende, des parents seuls avec un bébé ne devraient pas exister. Il faut donc les aider à construire un réseau d'aide à partir de leur environnement familial et social, incluant aussi des professionnels de confiance.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Quel rôle l'allaitement maternel joue-t-il dans la santé mentale périnatale ? A-t-il un effet bénéfique ? Au contraire, une mère en état de dépression est-elle susceptible de moins allaiter son enfant ?

Mme Élise Marcende. - L'allaitement n'est pas une pratique innée : là encore, il doit être accompagné. Or, au sein d'une même maternité, les professionnels de santé ont parfois des discours très différents, ce qui peut provoquer une forme de confusion pour les femmes qui viennent d'accoucher. L'allaitement doit être entouré. Il convient donc d'informer les parents de la présence d'une consultante en lactation au sein de la maternité, quand c'est le cas, et de leur indiquer les associations à contacter, si nécessaire, dès leur retour au domicile, vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

En outre, il faut distinguer l'allaitement choisi de l'allaitement subi. Si l'allaitement est source d'une forme d'épanouissement pour une femme, même si elle se trouve en situation de souffrance psychique par ailleurs, cette pratique doit être encouragée, et, surtout, accompagnée. En revanche, si l'allaitement n'a pas été un véritable choix, il peut contribuer à une forme de mal-être, même s'il n'en constitue pas le seul facteur.

Mme Lucie Joly. - L'allaitement doit être un moment agréable qui favorise le lien entre la mère et son bébé. S'il découle d'une forme de pression sociale exercée sur la femme, l'allaitement peut être très mal vécu. La mère doit se lever toutes les trois heures chaque nuit, alors que le manque de sommeil est un facteur de risque de décompensation, notamment dans les troubles bipolaires. L'allaitement présente donc des avantages comme des inconvénients.

Mme Marie Chivé. -Même lorsqu'il n'est pas subi et qu'il représente un moment de plaisir et de partage, l'allaitement pose des contraintes techniques, liées notamment au rythme de sommeil ou encore au statut hormonal. Abandonner l'allaitement se révèle ainsi parfois utile à certaines femmes atteintes de pathologies psychiatriques. Il est donc difficile d'apporter une seule réponse à votre question.

Mme Marie Moïa-Tison. - Il faudrait proposer un allaitement mixte, grâce au tire-lait, et, de ce fait, plus souple - par exemple le matin et le soir seulement. Cela éviterait notamment à la patiente de ressentir une forme de culpabilité, mais également d'être la seule à subvenir aux besoins de son bébé.

Mme Marie Chivé. - Il est en effet fréquent que les professionnels au sein d'une même maternité, en fonction notamment de leur génération, ne tiennent pas les mêmes discours. Or les patientes se sentent souvent perdues, ce qui peut entraîner une forme de culpabilité. Il devrait y avoir davantage de consultants en lactation.

Mme Élise Marcende. - Les informations sur l'allaitement devraient en outre être dispensées aux deux parents, afin d'éviter que la charge ne repose que sur la mère, qui subit déjà la fatigue de l'accouchement notamment.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Je vous remercie pour votre contribution. Nous restons dans l'attente de vos réponses au questionnaire que nous vous avons transmis.

La réunion est close à 17 heures.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.