Mercredi 12 février 2025

- Présidence de M. Raphaël Daubet, président -

La réunion est ouverte à 13 h 50.

Audition de Mme Claire Balva, entrepreneure, spécialiste des cryptoactifs et M. Alexandre Stachtchenko, entrepreneur, spécialiste des enjeux relatifs aux cryptoactifs

M. Raphaël Daubet, président. - Mes chers collègues, nous continuons nos travaux de commission d'enquête en nous penchant sur les cryptoactifs. Il s'agit pour nous de connaître ces instruments financiers afin de comprendre comment ils peuvent être utilisés pour le blanchiment d'argent et le financement de la criminalité organisée.

Nous avons sollicité Mme Claire Balva et M. Alexandre Stachtchenko, tous deux entrepreneurs, spécialistes des cryptoactifs et coauteurs d'un ouvrage à succès sur la question.

Avant de vous laisser la parole, je rappelle, pour la forme, qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du Code pénal. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.

Mme Balva et M. Stachtchenko prêtent serment.

Mme Claire Balva, entrepreneure, spécialiste des cryptoactifs. - Merci de nous avoir invités. Alexandre et moi avons créé, en 2015, une société de conseil spécialisée dans les blockchains et les cryptoactifs, Blockchain Partner, que nous avons vendue, en 2021, à KPMG. Nous avons participé à la structuration du secteur des cryptoactifs en France en tant que fondateurs de la fédération des acteurs français des cryptoactifs, l'ADAN (Association pour le Développement des Actifs Numériques). Nous occupons aujourd'hui un poste à la direction de la stratégie de deux entreprises distinctes ; Alexandre, chez Paymium, la première plateforme d'échange de bitcoins en France, et moi-même, chez Deblock, qui propose des comptes courants adossés à des portefeuilles de cryptoactifs.

Je vous donnerai d'abord un bref aperçu des cryptoactifs, avant qu'Alexandre aborde des sujets de réglementation. Les cryptomonnaies ne constituent pas un ensemble homogène, loin de là. Il importe de distinguer la principale, le bitcoin, des milliers d'autres, parfois de peu de valeur.

Le bitcoin, qui représente plus de la moitié du marché des cryptomonnaies, est la seule qui ne soit pas adossée à une entité centralisée. Son fondateur conserve aujourd'hui encore l'anonymat. La capitalisation de marché de bitcoin approche les 2 000 milliards de dollars, sachant que celle de l'ensemble des cryptomonnaies atteint les 3 300 milliards de dollars - soit une somme comprise entre la capitalisation de Microsoft et celle d'Apple. Le volume moyen de transactions en bitcoins frôle les 50 milliards de dollars par jour.

Selon un sondage IPSOS de 2024, 12 % des Français détiennent des cryptoactifs ; 70 % d'entre eux sont des hommes et 57 % ont moins de trente-cinq ans. En Allemagne, aux Pays-Bas et en Angleterre, le taux d'adoption des cryptoactifs dépasse les 15 %.

Le prix des cryptoactifs n'est pas fixé par une entreprise ni une entité comparable à une banque centrale, mais uniquement par le jeu de l'offre et de la demande, sachant que les marchés des cryptoactifs demeurent ouverts en permanence. Les cryptomonnaies, dans leur immense majorité, sont fongibles et divisibles. Ceci signifie qu'il est possible d'acheter pour ne serait-ce qu'un euro de bitcoin. Il faut pour cela se connecter à une plateforme d'échange. Ces plateformes sont régulées en France et en Europe, de sorte qu'il est impératif d'y décliner son identité.

La différence entre les cryptomonnaies et les monnaies traditionnelles réside dans la possibilité qu'offre une cryptomonnaie de détenir soi-même son argent numérique en ligne, sans intermédiaire, alors que le détenteur d'un compte bancaire en euros ne peut accéder aux sommes hébergées dessus que par des retraits en liquide. Les cryptomonnaies sont stockées dans un portefeuille numérique auquel seul son possesseur peut accéder. Ce portefeuille pouvait correspondre à l'origine à un mot de passe inscrit sur un morceau de papier. Il arrive maintenant qu'un portefeuille se présente sous l'apparence d'une clé USB. Bien sûr, il existe aussi des portefeuilles en ligne.

Quoi qu'il en soit, l'absence d'intermédiaire susceptible de saisir des avoirs ou de censurer des transactions assure une forme d'émancipation des individus et modifie leur rapport de force vis-à-vis des intermédiaires traditionnels tels que les banques. En France, la moitié des détenteurs des cryptoactifs possèdent un portefeuille personnel.

Par ailleurs, le niveau de traçabilité des cryptomonnaies apparaît bien supérieur à celui des actifs hébergés dans des infrastructures bancaires. Les banques, bien que dotées d'un système de traçabilité interne, s'appuient en effet sur des bases de données organisées en silos à l'intérieur du système bancaire dans son ensemble. Nul n'est donc en mesure de retracer des transactions en euros dans leur entièreté. À l'inverse, n'importe qui peut visualiser l'ensemble des transactions en bitcoins. Celles-ci s'effectuent au sein d'une infrastructure open source. Les comptes sont identifiés par des numéros sans que soit mentionnée l'identité de leurs détenteurs.

M. Alexandre Stachtchenko, entrepreneur, spécialiste des enjeux relatifs aux cryptoactifs. - Lors de l'invasion russe, le système bancaire de l'Ukraine s'est retrouvé défaillant. Des cryptoactifs y ont dès lors été utilisés pour recevoir des dons. Tout un chacun peut consulter les mouvements de bitcoins vers l'Ukraine.

Mme Claire Balva. - Je viens de me connecter à un explorateur de blockchains dans lequel j'ai renseigné l'adresse bitcoin de l'Ukraine mentionnée dans un post sur X (anciennement Twitter) lors d'un appel aux dons. Une liste de transactions - entrantes et sortantes - s'affiche à l'écran. Plus de 20 000 transactions sont associées à cette adresse, à laquelle correspond un volume de 1 305 bitcoins. Une rapide enquête permet de se rendre compte où l'Ukraine envoie ses fonds.

La traçabilité des cryptoactifs assure une excellente visibilité sur la criminalité. Les demandes de rançons en bitcoins s'accompagnent d'une mention de l'adresse à laquelle adresser les fonds, ce qui permet de suivre ensuite les mouvements de ces fonds.

En 2024, les flux illicites en cryptomonnaies oscillaient entre 40 et 60 milliards de dollars, soit entre 0,1 % et 0,4 % de l'ensemble des transactions en cryptomonnaies. Ces chiffres vont à l'encontre du discours répandu selon lequel les cryptomonnaies financeraient le dark net. 40 % des flux illicites en cryptomonnaies partent ou arrivent à des entités sous sanction telles que des entreprises ou des juridictions. Entre 15 % et 20 % des flux illicites correspondent à des vols de fonds ou des arnaques. Entre 4 % et 8 % ont trait au darknet, tandis que 2 % sont liés à du ransomware. À l'inverse de ce qui s'observait, voici cinq ans, le bitcoin apparaît aujourd'hui minoritaire dans les cryptomonnaies utilisées pour le blanchiment, largement supplanté par les stable coins indexés sur des monnaies classiques. Ces stable coins présentent un risque de volatilité moindre et peuvent circuler sur d'autres protocoles que le protocole bitcoin.

En conclusion, j'insisterai sur les risques que comporte toute généralisation à propos des cryptomonnaies.

M. Alexandre Stachtchenko. - Merci de nous avoir accueilli aujourd'hui pour évoquer le sujet des cryptos et de la réglementation financière visant à lutter contre la délinquance financière, le blanchiment, le financement du terrorisme, et le contournement de sanctions internationales.

Je remercie Claire d'avoir introduit notre propos par une partie plus descriptive sur ce que sont les cryptos, à quoi elles servent, la proportion dans la criminalité etc. De mon côté je souhaite évoquer deux sujets.

En premier lieu, comment les particularités des cryptos induisent une nécessité de repenser la régulation financière.

La deuxième partie sera peut-être un peu plus piquante ou taquine. J'essaierai de montrer que la réglementation ce n'est pas que des normes sur un papier, c'est aussi une réalité économique. Et parfois sous le couvert de belles normes ou de belles intentions, on constate des effets contreproductifs dans la vie réelle.

Je vais donc commencer par le changement de paradigme de la réglementation. On a vu les particularités des cryptos, et il y a en une en particulier que Claire a mis en avant : la capacité à posséder soi-même. Dans le monde de la finance traditionnelle, on ne peut pas posséder soi-même. Ce sont toujours des créances chez des intermédiaires financiers, qui veulent bien nous laisser accès à un compte.

Cette particularité de Bitcoin, et des autres cryptos, induit une nécessité de repenser toute la lutte contre la délinquance financière.

Pourquoi ?

Parce que l'entièreté de la réglementation financière élaborée depuis une trentaine d'années se construit sur une hypothèse fondamentale : la nécessité de recourir à un intermédiaire financier pour participer à l'économie.

Dans le monde des cryptos, cette hypothèse est caduque. Claire et moi pouvons nous envoyer des bitcoins l'un à l'autre sans jamais avoir ouvert de compte chez qui que ce soit, ni en demandant l'autorisation à qui que ce soit.

Ce que je dis peut sonner punk, libertarien ou anarchiste. En réalité, il s'agit ni plus ni moins que du fonctionnement actuel du cash. Je peux conserver du cash dans un portefeuille en cuir, le donner à un commerçant, recevoir un service. Et ce faisant, je n'ai jamais ouvert de compte chez une banque, ni donné mon passeport à qui que ce soit avant de faire la transaction.

Ce que les cryptos font, c'est qu'elles permettent à ce mode de fonctionnement, qui est la norme depuis fort longtemps, d'être transposé dans le monde numérique.

Aussi, à chaque fois qu'il vient à l'idée d'un régulateur ou d'un législateur d'encadrer l'usage des cryptos, il est une bonne hygiène que de se demander s'il accepterait le même encadrement pour le cash.

Est ce que lorsque l'on retire du cash au distributeur, on donne son passeport, un justificatif de domicile, et une vidéo selfie ?

Est ce que lorsque je dépose du cash sur mon compte, la banque peut me le refuser sous prétexte que deux semaines et dix transactions auparavant, ce cash a touché la main d'un dealer de drogue ?

Ça a l'air absurde, et c'est normal ça l'est. C'est pourtant ce qu'il se passe sur la réglementation des cryptos, où l'on impose aux utilisateurs des procédures de surveillance largement abusives, intrusives, dangereuses.

Pourquoi dangereuses ? Parce que contrairement au cash, les cryptos sont traçables, comme Claire l'a précisé. Si vous avez suivi l'actualité, vous avez peut-être constaté une recrudescence d'affaires sordides de violence et de kidnappings sur les détenteurs de crypto. La réglementation européenne qui a été votée récemment nous mène tout droit vers la multiplication de ce genre d'affaires.

Car les entreprises privées, contraintes et forcées, sont en train de constituer des registres géants avec le nom, prénom, adresse physique, et adresse crypto, permettant de retracer toute la vie financière de tous les citoyens, de connaître leur richesse précise et leurs interactions. Ces registres sont d'ores et déjà partagés avec des entreprises étrangères, souvent américaines, par obligation réglementaire, encore une fois, de transférer ces informations d'une entreprise à l'autre. Et ces registres seront piratés.

Si la lutte contre la délinquance financière est un combat louable, il ne doit pas se faire en offrant aux criminels une cartographie détaillée de qui possède quoi et habite où, en piétinant la sécurité des citoyens. La protection de la vie privée est le seul mécanisme de défense que nous avons, et plutôt que de la combattre, il faudrait que les pouvoirs publics la défendent et la garantissent.

A présent, j'aimerais mettre en avant les aspects pratiques et contreproductifs de la réglementation et de la surveillance financière, en m'appuyant très simplement sur l'étude du cas de la France ces dix dernières années.

En 2018, la France fait partie des premiers pays à implémenter une réglementation crypto à travers la loi PACTE. Le régime PSAN, Prestataires de Services sur Actifs Numériques, voit le jour et oblige les prestataires français à s'enregistrer auprès de l'AMF et à valider un certain nombre de contraintes avant d'avoir l'autorisation d'opérer en France.

La réglementation a trois objectifs affichés : d'abord protéger les épargnants (c'est la mission de l'AMF), ensuite lutter contre le blanchiment et le financement du terrorisme, mais aussi, enfin, résoudre un problème criant et absurde en France, où il existe de façon concomitante un monopole sur les comptes bancaires, et l'obligation d'ouvrir un compte bancaire pour lancer une entreprise.

Cette situation conduit à l'impossibilité de lancer quelque entreprise que ce soit si l'objet social fait concurrence à l'oligopole bancaire français, puisque ce dernier décide de façon discrétionnaire qui a le droit d'entreprendre en France, via son monopole sur le compte bancaire.

Les services de Bercy pensaient qu'en établissant un statut réglementaire, les banques ne pourraient plus se cacher derrière le prétexte du risque de blanchiment pour refuser d'ouvrir des comptes bancaires aux entreprises françaises, car c'est le régulateur, en donnant le statut, qui prendrait le risque à sa charge.

Le bilan est peu reluisant pour les trois objectifs affichés.

Et commençons par le dernier : encore en 2024, la cour des Comptes dénonçait le non-respect du droit au compte bancaire pour les entreprises crypto. Concrètement, mon entreprise en est à sa onzième fermeture de compte bancaire en quatorze ans. Même ma SASU personnelle pour activité de conférencier a été menacée de fermeture. Le fondateur de Ledger, pourtant licorne française et fer de lance de l'industrie, affichait les lettres de refus des banques dans son bureau.

C'est donc la double peine pour les entrepreneurs. Après un à deux ans à attendre un précieux sésame réglementaire, qui aura souvent nécessité des centaines de milliers d'euros de dépenses juridiques, l'obtention de l'enregistrement auprès de l'AMF censé débloquer l'activité se transforme en une chasse à l'homme. Certaines entreprises qui avaient réussi à passer entre les gouttes se sont vues fermer leurs comptes après avoir été validées par le régulateur.

La liste blanche se transforme en liste noire : les banques n'ont plus qu'à piocher dedans pour fermer des comptes. Grâce à l'opacité de la réglementation financière, sous couvert de l'objectif de lutte contre le blanchiment, elles n'ont pas besoin de se justifier.

Le résultat en 2025 est très simple : les français n'ont pas arrêté d'utiliser la crypto. En revanche, ils passent par des entreprises étrangères, souvent domiciliées dans des îles paradisiaques.

Évidemment pour l'AMF et l'ACPR, il est bien plus aisé de contrôler régulièrement des entreprises françaises déjà surchargées de contraintes, que de se déplacer aux Bahamas pour demander des comptes à FTX, plateforme dont la fraude et la faillite a fait grand bruit fin 2022. Même en France, alors qu'une entreprise pourtant sur liste noire de l'AMF installait un stand à un salon au palais de la Bourse à Paris, l'AMF, pourtant juste de l'autre côté de la rue, ne trouvait pas la force de se déplacer.

Fin 2022, c'est d'ailleurs le moment où l'AMF a changé de présidente. Dorénavant c'est l'ancienne directrice générale du lobby bancaire qui occupe le poste, en violation des règles sur les conflits d'intérêts. A cet égard, un membre du conseil d'administration de l'AMF avait démissionné à l'époque, constatant, je cite, que “les conditions ne sont plus aujourd'hui réunies pour que l'Autorité des Marchés Financiers fonctionne effectivement comme une Autorité Administrative Indépendante.”.

Peu de temps après son arrivée, contre l'avis de l'ESMA, contre l'avis du parlement européen et contre l'avis de la commission européenne, la nouvelle présidente de l'AMF est allée souffler à l'oreille d'un de vos collègues pour demander un renforcement de la réglementation crypto en France. Renforcement qu'elle obtiendra, et qui n'a pas plus d'effet protecteur sur les épargnants que le statut précédent, mais a pour mérite de protéger toujours plus l'oligopole bancaire français.

Si l'on revient donc aux deux premiers objectifs de la réglementation, à savoir protéger les épargnants et lutter contre le blanchiment et le financement du terrorisme, la mission est un échec.

En effet, les français ne se servent pas de services français, ces derniers étant incapables de rester compétitifs en dédiant des ressources importantes pour surmonter les barrières à l'entrée dressées par un régulateur capturé, qui n'a plus d'indépendant que le nom, et dont la présidente laisse échapper lors de ses premiers voeux à la Place Financière de Paris en 2023, que son objectif est favoriser la compétitivité de l'écosystème bancaire, et non de protéger les épargnants.

Cerise sur le gâteau, même le gouvernement ne s'embête pas de la réglementation financière. Un an auparavant, il accueillait en grande pompe à Bercy le patron d'une entreprise qui n'avait pourtant pas le droit d'opérer en France. Au premier rang de l'événement, les entrepreneurs français qui venaient de se saigner pour se conformer à la réglementation anti-blanchiment, écoutaient avec un sourire crispé un entrepreneur étranger, dont la présence en France était illégale, et qui a depuis fait de la prison aux Etats-Unis, annoncer fièrement qu'il allait investir 100M€ en France, aux côté d'un ministre dont le président était alors en pleine campagne de réélection.

Ainsi, s'il doit y avoir une réflexion sur la délinquance financière, le blanchiment, le financement du terrorisme, ou le contournement des sanctions, il me semble qu'elle ne peut s'effectuer dans le monde parfait de la théorie, où par un miracle performatif, la norme produirait un réel qui s'adapte à celle-ci. La réflexion devrait avant tout commencer par une idée qui n'est pas particulièrement révolutionnaire mais qui tient en deux temps :

Évaluer l'efficacité des politiques de contrôle et des réglementations déjà en place. Ce devrait être le cas pour n'importe quelle politique publique, mais cette évaluation n'a jamais été faite pour les 6 règlements anti-blanchiment que l'Europe a déjà voté successivement sans jamais se poser de questions sur leur efficience, ou encore leur compatibilité avec le RGPD, ou la CEDH plus généralement.

S'assurer, pour les politiques en question, de leur proportionnalité, et de leur traduction opérationnelle effective pour empêcher les distorsions de concurrence. Car c'est bien joli d'avoir un cadre à appliquer, mais c'est encore mieux d'avoir des entreprises sur lesquelles appliquer ce cadre.

Que retenir de tout cela, avant de passer aux échanges et aux questions ?

Premièrement, qu'il est impossible d'appréhender Bitcoin et les cryptos de la même façon que l'on appréhende les flux financiers traditionnels. Elles reposent sur des infrastructures techniques distinctes, différentes, et en particulier permettent la conservation d'actifs en propre, ce qui est impossible dans la finance traditionnelle.

Deuxièmement, et par voie de conséquence, que chaque individu et chaque entreprise peut redevenir maître de ses finances, de ses transactions, et agir en dehors du système financier réglementé. Si l'on ne veut pas s'orienter vers un monde où la moitié de la population travaille à surveiller l'autre moitié, il y a urgence à sortir du modèle réglementaire actuel, qui est largement inadapté.

Enfin, que lutter contre la délinquance financière présente le dilemme habituel entre l'éthique de conviction et l'éthique de responsabilité. Empiler les normes, les barrières à l'entrée, et fermer les yeux sur les agissements illégaux d'une industrie bancaire cartelisée, pourra peut être permettre de signaler sa vertu, mais n'aura d'autre effet pratique que de tuer l'industrie et la souveraineté française, tout en laissant nos concitoyens à la merci d'entreprises moins-disantes étrangères.

M. Raphaël Daubet, président. - Dans un entretien au journal L'Opinion, paru le 28 janvier 2025, le sous-gouverneur de la banque de France, Denis Beau, a souligné le risque élevé de contournement des règles relatives à la lutte contre le blanchiment que présentent les cryptoactifs. Par quels mécanismes les cryptoactifs favorisent-ils le blanchiment ? Pourriez-vous définir le rôle des mélangeurs et des outils permettant d'anonymiser les transactions ?

Mme Claire Balva. - Toutes les transactions en cryptoactifs sont traçables. Des compétences poussées sont donc indispensables pour blanchir des fonds en cryptomonnaies. La plupart des arnaques consistent à proposer à une victime potentielle d'acheter une cryptomonnaie à une personne supposément de confiance, qui ne lui rend jamais ses fonds, mais il reste possible, dans un tel cas, de repérer l'arnaqueur, voire de saisir les fonds lors de leur conversion en euros sur une plateforme d'échanges.

Les mélangeurs correspondent à un algorithme mélangeant des transactions afin de rendre leur traçabilité sur les blockchains plus difficile - quoique pas impossible pour autant. En effet, il existe des entreprises d'analyse de données capables de démêler les transactions à l'aide de calculs probabilistes.

Quelques cryptomonnaies offrent un complet anonymat à leurs détenteurs, tels que ZCash ou Monero, mais elles sont interdites sur les plateformes d'échange.

M. Alexandre Stachtchenko. - De façon générale, les entités qui représentent les banques centrales tiennent des propos plus politiques que techniques sur les cryptomonnaies, en particulier le bitcoin, en raison des prétentions monétaires du bitcoin. Partir de la prémisse selon laquelle les cryptoactifs facilitent le blanchiment de capitaux ou le financement du terrorisme serait une erreur. Selon une récente audition de votre commission, entre 2 % et 5 % des flux financiers passant par les monnaies traditionnelles seraient illicites. Le monde des cryptoactifs, tel qu'il se présente aujourd'hui, est donc dix fois plus efficient en matière de lutte contre la criminalité. Il a été dit à tort, lors des attaques perpétrées par le Hamas, le 7 octobre 2023, que celui-ci était financé par des cryptoactifs. Or, six mois plus tôt, le Hamas avait publié un communiqué à l'intention de ses financeurs, les priant de ne plus lui envoyer de cryptoactifs, parce qu'il était trop aisé d'en retrouver la provenance.

Mme Claire Balva. - Le mélangeur Tornado Cash a été interdit aux Etats-Unis. De nombreuses entreprises et plateformes d'échange ont dès lors refusé toutes les transactions liées de près ou de loin à ce mélangeur. Cependant, beaucoup de personnes - dont certaines célébrités du milieu des cryptomonnaies - avaient reçu des fonds en quantité infime depuis ce mélangeur, sachant que le détenteur de cryptoactifs qui reçoit des fonds à son adresse numérique n'est pas en mesure de s'y opposer. Les réglementations visant à limiter l'utilisation de mélangeurs s'accompagnent d'effets regrettables et manquent d'efficacité, en raison des comportements observables en ligne.

Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - L'audition de ce jour vise à nous familiariser avec le sujet des cryptomonnaies. Tous ne partagent pas votre position sur le faible risque de blanchiment ou de financement du terrorisme que supposent les cryptoactifs. De fait, le service de renseignement financier s'est doté d'une équipe exclusivement consacrée aux cryptoactifs. Compte tenu de notre propre ignorance du sujet, nous tenions à nous informer avant de nous constituer une opinion.

Le rapporteur de la commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier a soumis au vote du Sénat un amendement visant à interdire les mélangeurs. Si je comprends bien votre dernière remarque cette mesure pourrait être peu opérante.

Il me semblerait judicieux que vous nous exposiez les mécanismes d'ouverture d'un portemonnaie électronique. Je souhaiterais que vous nous expliquiez le fonctionnement des cryptoactifs.

M. Alexandre Stachtchenko. - Il est possible de détenir son propre portefeuille de cryptoactifs ou d'ouvrir un compte chez une place de marché ou un intermédiaire. Dans ce dernier cas, tout se passe comme avec une banque. Les intermédiaires en cryptoactifs, en tant qu'entreprises régulées, exigent de leurs clients qu'ils déclinent leur identité et renseignent sur l'origine de leurs fonds.

Un portefeuille correspond à l'association d'un mot de passe à une adresse publique, assimilable à un IBAN. Le mot de passe ou clé est généré automatiquement, une fois pour toutes. Il n'est pas possible de le choisir ni d'en demander un nouveau en cas de perte. Compte tenu de la difficulté de mémoriser une telle clé, une graine (ou seed) correspondant à une suite de mots lui est associée. Le plus simple - quoique le moins sûr - reste de l'intégrer à son navigateur Internet. Une autre option suppose de noter chacun des mots de la clé sur des morceaux de papier soigneusement cachés.

Mme Claire Balva effectue une démonstration de création d'un portefeuille MetaMask.

Mme Claire Balva. - Ce portefeuille - le plus connu dans le monde des cryptoactifs - permet d'interagir avec la blockchain Ethereum, la plus connue après bitcoin, et quelques autres présentant avec elle des points communs techniques. Une fois téléchargée l'application, il est demandé de choisir un mot de passe puis d'indiquer une phrase secrète de récupération - prenant ici la forme d'une suite de douze mots. Des réflexions devront impérativement porter sur les moyens de sécuriser des portefeuilles en ligne. Mieux vaut laisser des fonds conséquents sur des portefeuilles physiques non connectés à Internet comme ceux, prenant l'apparence d'une clé USB, que propose l'entreprise Ledger. MetaMask étant connecté à des plateformes d'échanges, je peux à présent acheter des cryptomonnaies, sous réserve de décliner mon identité, justificatifs à l'appui. Toute tentative d'achat d'une cryptomonnaie implique de localiser l'acheteur.

M. Alexandre Stachtchenko. - L'intérêt de détenir un portefeuille rattaché à un navigateur réside dans ce qu'il peut tenir lieu d'identité numérique en cas d'accès à des sites Web de finance décentralisée, par lesquels transitent aujourd'hui quelques centaines de milliards de dollars. Il devient alors possible d'y interagir avec des services de prêt ou d'hypothèque hors du système bancaire.

Mme Nadine Bellurot, vice-présidente de la commission. - D'où viennent les 95 euros que vous vous apprêtez à convertir en cryptoactifs sur MetaMask ? De votre compte bancaire ?

M. Alexandre Stachtchenko. - Si je vous donne 50 euros en liquide, ils ne viendront pas nécessairement directement d'un compte bancaire. Claire vient d'ouvrir un portefeuille qu'elle peut alimenter par un retrait sur son compte bancaire ou grâce à un autre détenteur de cryptoactifs. MetaMask est un prestataire de technologie permettant simplement de créer puis gérer un portefeuille. Claire aurait pu se connecter à un autre site sur lequel acheter des cryptoactifs avant de les envoyer dans son portefeuille.

Il n'est pas indispensable de convertir des cryptoactifs en monnaies souveraines comme l'euro. Si je reçois mon salaire en bitcoin, autant que je le dépense en bitcoins aussi. La moitié de l'humanité subit aujourd'hui une inflation de plus de 10 %. Elle n'a dès lors aucun intérêt à passer par des monnaies fiduciaires perdant, comme au Nigéria, 20 % de leur valeur chaque mois. Aussi le bitcoin ne fait-il plus figure, pour ces populations, d'alternative, mais de référence.

Mme Claire Balva. - Il existe des distributeurs de bitcoins, équivalents numériques des distributeurs d'argent liquide, quoique peu - voire pas du tout - en France, en raison des contraintes que fait peser la réglementation sur la vérification de l'identité des détenteurs de fonds.

M. Grégory Blanc, vice-président de la commission. - Merci pour la clarté de votre exposé. Votre comparaison du milieu des cryptomonnaies avec le système monétaire me semble éclairante. Celui-ci comporte deux volets : le marché monétaire en tant que tel et la réalité des transactions au quotidien. La question de la souveraineté se pose. Comment réglementer les échanges monétaires ? Comment un État peut-il contrôler le produit des fonds ? L'argent du grand banditisme pourrait passer par les cryptoactifs, mais la remarque vaut aussi pour l'argent des fraudes, à la TVA notamment. Comment s'en prémunir ?

Mme Claire Balva. - Nous avons affaire avec les cryptoactifs à un nouveau type d'infrastructures financières. Le grand banditisme et les fraudeurs utilisent surtout les stable coins. Plus de 95 % de la capitalisation et des volumes de ces stable coins sont aujourd'hui indexés sur le dollar. Ceci pose un sujet de compétitivité de l'euro. Nous alertons sur ce point depuis des années. Il faudrait, selon nous, travailler sur la représentation de l'euro dans ces infrastructures et moderniser le contrôle, par les services de l'État, du fonctionnement de ces stable coins. Les autorités européennes ne semblent pas désireuses de promouvoir des stable coins adossés à l'euro. Il me semblerait pertinent de doter les services de l'État de moyens permettant de les suivre.

M. Alexandre Stachtchenko. - D'un point de vue juridique, nous faisons face à une hypocrisie. Beaucoup de sujets seraient plus simples à traiter si le bitcoin était enfin considéré comme une monnaie à part entière. Selon la définition des actifs numériques par la loi Pacte, ceux-ci ne sauraient servir de monnaie à un pays. Or, trois ans après la promulgation de la loi, le Salvador a fait du bitcoin sa monnaie nationale. Le gouvernement n'a jamais répondu à la question d'un député se demandant si cette décision modifiait le statut du bitcoin, devenu devise étrangère. Le bitcoin a quand même été ajouté à la réglementation européenne sur les transferts de fonds. Comment le justifier, s'il n'est toujours pas considéré comme une monnaie à part entière ?

Une jurisprudence européenne a conclu à l'absence de TVA sur les échanges entre bitcoins et autres monnaies. Autrement dit, un consensus existe sur l'assimilation des cryptoactifs à des monnaies, malgré les résistances des banques nationales, dues à des raisons essentiellement politiques.

Le droit français ne distingue pas les diverses classes d'actifs numériques en dépit de leur extrême diversité. Il les traite au contraire comme une catégorie homogène. Le bitcoin est fiscalisé. Les plus-values des transactions en bitcoins sont taxées. Certaines facilités fiscales ne lui sont cependant pas accordées. Le report d'une moins-value d'une année sur l'autre n'est pas toléré pour les transactions en bitcoins, à la différence des transactions boursières. La réglementation en place a conduit beaucoup de détenteurs de bitcoins à ne pas dépenser leurs avoirs ou à ne pas déclarer leurs dépenses. Les factures que mon entreprise émet en bitcoins sont aussi libellées en euros et, à ce titre, soumises à la TVA.

M. Stéphane Piednoir. - Peut-être assistons-nous à des débats du même ordre que ceux qu'a suscités le passage du troc à la monnaie. Comment expliquez-vous la formation d'une bulle spéculative autour des cryptomonnaies ? Le bitcoin atteint des cours incroyablement élevés.

Est-il possible aux autorités d'interroger les fournisseurs de portefeuilles ou les plateformes d'échanges sur la provenance ou la destination de fonds en cryptoactifs ?

Détenir un compte en banque implique de payer des frais bancaires. Comment une entreprise telle que MetaMask absorbe-t-elle ses coûts et génère-t-elle des bénéfices ?

Mme Claire Balva. - Voici cinq ou dix ans, il arrivait au bitcoin de perdre ou de gagner 20 % de sa valeur en une journée. Maintenant, il suffit d'une variation de son cours de 10 % pour que les médias s'en saisissent. En réalité, la volatilité du bitcoin diminue à mesure que cet actif gagne en maturité.

Des phénomènes spéculatifs s'observent dans le monde des cryptomonnaies, notamment autour des memecoins. Ceux-ci se situent à mi-chemin de l'investissement financier et du pari ludique. Il n'existe pas forcément d'explication rationnelle à ce phénomène. Nul n'est en mesure de mettre un terme aux échanges en cryptoactifs, à la différence de ce qu'il en est pour les transactions boursières.

Enfin, les plateformes d'échanges appliquent des frais, variables selon les services qu'elles proposent.

M. Alexandre Stachtchenko. - Il importe de distinguer le protocole et le système d'échange des places de marché et des intermédiaires. Paymium se présente comme l'équivalent d'Euronext. À ce titre, Paymium applique des frais allant de 0,1 % à 0,6 % sur les échanges et prélève des commissions sur les retraits. Les mineurs qui sécurisent le réseau perçoivent des frais, mais qui ne dépendent pas des montants échangés. Voilà qui explique la compétitivité des frais sur les transactions en cryptoactifs par rapport aux transactions classiques. Il reste en outre possible d'ouvrir gratuitement des portefeuilles de cryptoactifs à l'aide de logiciels Open source.

Mme Claire Balva. - Les entreprises du domaine des cryptoactifs, soumises à une nouvelle obligation de traçabilité, demandent à leurs utilisateurs des informations sur leur identité. Il suffit de convertir des cryptoactifs en euros sur une plateforme pour les envoyer sur un compte bancaire. Seulement, la banque est tenue de se renseigner sur la provenance des fonds dès lors qu'ils atteignent une somme conséquente. Il arrive que des détenteurs de comptes bancaires voient leur compte suspendu par suite d'une arrivée de fonds en provenance d'une plateforme d'échanges de cryptoactifs.

M. Alexandre Stachtchenko. - Recevoir des fonds d'un acteur du marché des cryptoactifs créé aux Seychelles voici trois semaines ne poserait aucun problème ; les banques n'ayant pas encore eu le temps de l'identifier, à la différence des entreprises du secteur enregistrées auprès de l'AMF. Plus une entreprise française respecte les règles du jeu, plus elle se trouve stigmatisée, moins elle est libre interagir avec le monde bancaire ; celui-ci cherchant avant tout à se protéger. La lutte contre le blanchiment constitue pour les banques une excuse bien pratique pour entraver le fonctionnement de certaines entreprises.

Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - Je vous remercie pour cette audition qui a largement facilité notre première appréhension du sujet complexe des cryptoactifs.

M. Alexandre Stachtchenko. - Nous n'avons pas abordé les sanctions. La proposition de valeur de bitcoin rencontre un certain écho, notamment parce que ce système de paiement fonctionne sans interruption, depuis quinze ans, partout dans le monde. Les sanctions sont appliquées aux entités, peu importe qu'elles utilisent des euros ou des bitcoins. D'un autre côté, une fois privée de Swift, Visa ou encore Mastercard, la Russie reste libre de commercer en cryptoactifs avec des pays qui ne lui ont pas imposé de sanctions. En somme, nous avons perdu un moyen de pression sur des pays comme la Russie.

La réunion est close à 15 h 00.

Jeudi 13 février 2025

- Présidence de M. Raphaël Daubet, président -

La réunion est ouverte à 14 h 30.

Audition de MM. Damien Brunet, substitut général, adjoint au chef du département de lutte contre la criminalité organisée, cyber et environnementale du Parquet général de Paris et Nicolas Jacquemet, Professeur d'économie à l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne

M. Raphaël Daubet, président. - Mes chers collègues, nous débutons aujourd'hui les travaux de notre commission d'enquête par une audition visant à croiser les perspectives juridique et économique sur nos sujets d'étude. Nous accueillons M. Damien Brunet, substitut général adjoint au chef du département de lutte contre la criminalité organisée, cyber et environnementale du Parquet de Paris, ainsi que M. Nicolas Jacquemet, professeur d'économie à l'Université Paris I, Panthéon-Sorbonne, École d'économie de Paris.

Monsieur Brunet, vous avez dirigé en 2024 un ouvrage intitulé « Droits et pratiques de la lutte contre la criminalité organisée ». Monsieur Jacquemet, vos travaux en économie comportementale ont analysé les causes de la fraude au prélèvement obligatoire et des comportements délinquants, travaux dont vous nous indiquez qu'ils « murmurent à l'oreille des juristes ».

Nous avons souhaité vous entendre afin de comprendre ce que sont les phénomènes de fraude du point de vue économique et juridique, et comment y remédier.

Cette audition sera diffusée en direct sur le site Internet du Sénat et fera l'objet d'un compte rendu publié. Je rappelle que tout faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du Code pénal. Je vous invite maintenant à prêter serment.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Damien Brunet et Nicolas Jacquemet prêtent serment.

M. Damien Brunet, substitut général adjoint au chef du département de lutte contre la criminalité organisée, cyber et environnementale du Parquet général de Paris. - Merci Monsieur le Président, Madame la rapporteure, Mesdames les sénatrices, Messieurs les sénateurs.

Je m'exprime aujourd'hui en ma qualité directeur de l'ouvrage sur la lutte contre la criminalité organisée. J'exerce par ailleurs la fonction de magistrat depuis 18 ans, avec une appétence pour la lutte contre la criminalité organisée à tous niveaux : local en zone rurale à Évreux, régional en région parisienne au parquet de Bobigny, et national au parquet de la JIRS de Paris, puis en appel au parquet général JIRS / JUNALCO.

J'ai initié la direction de cet ouvrage, car le sujet n'avait pas été traité de manière exhaustive depuis 2012. L'évolution de la matière et des enjeux nécessitait une mise à jour importante. Cet ouvrage a été réalisé en collaboration avec des magistrats, des enquêteurs (policiers, gendarmes, douaniers), des avocats et des universitaires pour présenter l'état actuel de la menace. Il est crucial de définir la menace avant de discuter des moyens pour y faire face. Historiquement, nous avons souvent pensé les moyens sans avoir préalablement défini clairement la menace. Je précise que je m'exprime à titre personnel et n'engage pas la parole de Madame la procureure générale, dans le respect de mon devoir de réserve.

L'évolution législative en matière de lutte contre ce que je nomme la délinquance financière et la criminalité organisée a connu plusieurs étapes importantes.

En 1975, la loi du 6 août crée les juridictions régionales spécialisées (communément appelées pôles économiques et financiers) pour traiter des affaires économiques et financières d'une grande complexité.

En 2004, la loi Perben II du 9 mars a créé les juridictions interrégionales spécialisées (JIRS), au nombre de huit en France, intégrant une section du parquet, des formations d'instruction et de jugement au sein des tribunaux judiciaires existants spécialisés dans le traitement de la délinquance financière et de la criminalité organisée.

La loi du 6 décembre 2013 a supprimé les pôles économiques et financiers, à l'exception de celui de Bastia, laissant les JIRS traiter de la criminalité organisée en matière économique et financière de grande complexité.

Dès 2004, une distinction est faite par le législateur entre la criminalité organisée financière (article 704 du Code de procédure pénale) et non financière (articles 706-73-1 et 706-74 du Code de procédure pénale), définissant ainsi les compétences des JIRS dans ces deux domaines.

La loi du 6 décembre 2013 a porté création du Parquet national financier.

L'ouvrage législatif a été parachevé avec les travaux parlementaires encore en cours sur lesquels je m'exprimerai peu. La loi de programmation et de réforme pour la justice (LPJ) de 2019 a créé la JUNALCO, chargée de traiter les affaires de très grande complexité, tant en matière économique et financière que de criminalité organisée non financière.

Il est important de noter qu'il n'existe pas de définition précise de la délinquance financière et de la criminalité organisée, ce qui explique pourquoi je n'ai pas commencé par les définir. Les listes fournies comportent une désignation, mais pas de définition précise de la délinquance financière ni de la criminalité organisée. Une définition éloquente, bien que moins rigoureuse, a été présentée par Mme Blondes, autrice d'une contribution sur les données macroéconomiques de la criminalité organisée, lors de son audition devant la Commission. Cette définition chiffrée offre une perspective intéressante sur l'ampleur des activités illicites en France.

Voici quelques chiffres d'affaires annuels estimés pour diverses activités illégales : les infractions à la législation sur les armes représentent 890 000 euros, le vol de marchandises 2 570 000 euros, les escroqueries aux faux virements 287 millions d'euros, les escroqueries à la carte bancaire un peu plus de 400 millions d'euros, le trafic de déchets 1,3 milliard d'euros. À titre de comparaison, les dépenses pour la justice pénale s'élèvent à 1,5 milliard d'euros selon le ministère de l'Économie et des Finances. La contrebande de tabac est estimée à 2 milliards d'euros, la traite des êtres humains à 3,2 milliards d'euros, les infractions à la législation sur les stupéfiants à 3,5 milliards d'euros, la contrefaçon à 5,7 milliards d'euros et la fraude intracommunautaire à 6 milliards d'euros.

Ces chiffres illustrent l'ampleur du phénomène, bien qu'il s'agisse d'estimations.

En instaurant une distinction entre criminalité organisée financière et non financière, le législateur a créé une apparente imperméabilité. Cependant, cette séparation est remise en question par vos travaux, qui montrent que l'une finance l'autre. La criminalité organisée n'a de sens que si elle génère du profit, entraînant des infractions subséquentes comme le blanchiment. Inversement, l'organisation de la délinquance financière soutient et facilite la clandestinité et la prolifération de la criminalité organisée.

Néanmoins, cette assertion n'est que partiellement vraie. Certaines infractions relèvent de la criminalité organisée uniquement parce qu'elles sont accessoires à d'autres activités criminelles. Par exemple, un règlement de compte, considéré comme un homicide en bande organisée, sert à soutenir une activité comme le trafic de stupéfiants, sans nécessairement impliquer des infractions financières. D'autre part, il existe des infractions relevant de la délinquance financière qui ont une visée strictement financière, avec des modes opératoires spécifiques, comme la fraude fiscale ou les fraudes aux taxes intracommunautaires.

Ces observations conduisent à plusieurs conclusions :

1. La distinction juridique entre délinquance financière et criminalité organisée non financière est fondée et justifie l'existence d'outils juridiques et juridictionnels distincts.

2. Pour autant, cette dichotomie ne doit pas être absolue, car il peut y avoir une porosité entre les deux domaines.

3. L'appréhension judiciaire de ces phénomènes doit être à la fois spécialisée et décloisonnée, selon les problématiques rencontrées.

D'un point de vue juridique, la complexité de l'appréhension de ces matières est illustrée par l'existence d'entités spécialisées telles que les JIRS financière et non financière, le Parquet national financier et la JUNALCO. Ces entités traitent de phénomènes spécifiques de manière spécialisée. Il y a une spécialisation des acteurs de la délinquance financière et de la criminalité organisée, et en conséquence, les acteurs judiciaires doivent également se spécialiser pour faire face à ces défis.

L'infraction de blanchiment, définie par l'article 324-1 du Code pénal, illustre bien cette complexité juridique. La jurisprudence a renforcé cette infraction en reconnaissant l'autoblanchiment depuis 2004. Il s'agit du blanchiment de droit commun. Le législateur a ensuite créé une infraction spécifique de blanchiment liée au trafic de stupéfiants (article 222-38 du Code pénal). Il y a donc eu dans l'histoire législative une compréhension distincte du blanchiment selon qu'il était d'infraction financière ou d'infraction relevant de la criminalité organisée. La loi de 2013 a introduit la notion de présomption de blanchiment (article 324-1-1 du Code pénal), qui s'applique aux montages financiers complexes dont l'auteur ne peut expliquer le sens. Ce texte est une variante de l'article 324-1 du Code pénal et la présomption de blanchiment ne s'applique donc qu'à la délinquance financière. Bien qu'une proposition de loi, récemment votée par votre Chambre, vise à introduire un élargissement de ce texte, il n'est pas possible aujourd'hui de rapprocher une présomption de blanchiment d'une infraction liée à de la criminalité organisée, car il y a deux cadres juridiques différents. Ce dispositif est symptomatique de l'appréhension duelle que nous avons actuellement de la délinquance financière et de la criminalité organisée.

Pour améliorer la lutte contre ces phénomènes, il faut reconnaître que tout n'est pas judiciarisable. L'action des douanes, par exemple, a montré son efficacité, notamment dans la lutte contre la fraude communautaire et les cryptoactifs frauduleux. Il peut être pertinent de travailler sur les précurseurs d'infractions dans d'autres cadres, tout en restant encadré légalement. De la même manière, la lutte contre les produits servant à la fabrication de l'héroïne peut s'avérer plus simple à mettre en oeuvre que de lutter contre le trafic d'héroïne. Bien que nous n'ayons pas de grands laboratoires d'héroïne sur notre territoire, le contrôle d'une activité économique licite peut être plus efficace en rendant plus difficile la conversion clandestine de produits licites en produits illicites.

Concernant l'action judiciaire, l'autorité judiciaire a du mal à penser en termes d'organisation et de personnes. Cette approche renvoie à des périodes troubles de notre histoire moderne, d'où les préventions mises en oeuvre. Néanmoins, une doctrine du début du XIXe siècle, reprise par le fondateur de la brigade de recherche et d'intervention de la préfecture de police de Paris, préconisait de partir du criminel pour aller au crime, plutôt que l'inverse. C'était le principe fondateur des Brigades du Tigre et du décret de Clemenceau. Aujourd'hui, les choses évoluent. L'incrimination à la participation à une organisation criminelle, destinée à la commission d'infractions de criminalité organisée, semble aller dans ce sens. Cependant, il faut rappeler que sous l'empire du Code pénal, l'infraction d'association de malfaiteurs a toujours imposé que celle-ci soit commise en vue de la commission d'une infraction. Attendre la commission de l'infraction retarde l'action judiciaire et peut présenter des dangers.

Une approche plus décloisonnée permettrait à l'autorité judiciaire travaillant sur une organisation de ne pas s'interdire de poursuivre, par exemple, une fraude sociale révélant du travail illicite à grande échelle qui pourrait servir au blanchiment d'une activité de produits stupéfiants, ou inversement. C'est dans ces activités « grises », où se mêlent le licite et l'illicite, que réside la porosité entre criminalité organisée financière et non financière. L'infraction clandestine n'a d'intérêt économique qu'à partir du moment où elle est rendue licite. La difficulté réside dans la complexité de certains montages.

Il existe une zone de recouvrement entre délinquance et criminalité organisée qui est peut-être plus simple à appréhender en pensant en termes d'organisation plutôt qu'en termes d'infraction. Les acteurs de ces infractions maîtrisent parfaitement le périmètre et organisent la clandestinité nécessaire.

M. Nicolas Jacquemet, professeur d'économie à l'université Paris I Panthéon-Sorbonne. - Merci Monsieur le Président, Madame la rapporteure, Mesdames et Messieurs les sénateurs.

Ma contribution sera complémentaire de celle de Damien Brunet. Mes travaux de recherche se situent dans le domaine de l'économie comportementale, appliquée notamment aux questions de fraude fiscale et de délinquance. L'objectif de mes travaux n'est pas de mesurer les conséquences économiques de ces phénomènes, mais de mieux comprendre leurs déterminants comportementaux, leurs ressorts individuels et sociaux, afin d'identifier des leviers d'action pour influencer ces comportements.

Concernant la fraude fiscale et sociale, la principale difficulté qu'elle pose à la politique économique tient aux limites qu'elle impose à l'utilisation de la fiscalité comme outil de pilotage de la politique économique. Aussi élevées que soient les sommes qui échappent à l'administration fiscale, si ces fraudes se traduisaient uniquement par une diminution des recettes de l'État, elles resteraient un problème superficiel. Il suffirait d'en tenir compte dans la détermination des taux de taxes pour atteindre le volume de revenus escomptés. Cependant, la fraude fiscale devient un problème majeur lorsqu'elle est pratiquée de manière inégale par différentes catégories de population ou secteurs d'activité, contrariant ainsi les objectifs redistributifs ou de réallocation de la politique économique.

Ces remarques soulignent l'importance d'un diagnostic précis sur l'incidence de la fraude selon les caractéristiques individuelles ou sectorielles des différents agents de l'économie, ainsi que la nécessité d'un ciblage des outils de lutte contre la fraude et d'une combinaison d'outils complémentaires.

Sur le plan comportemental, le calcul coût-bénéfice classique suggère que la fraude fiscale devrait être plus répandue qu'elle ne l'est, compte tenu des bénéfices élevés et du faible risque de sanction. C'est donc la disposition à payer l'impôt qu'il convient d'expliquer pour comprendre les déterminants des décisions des contribuables.

Une première génération de travaux d'économie comportementale a introduit l'idée de l'existence d'une « morale fiscale », une disposition intrinsèque à s'acquitter de ses obligations fiscales, qui compenserait l'attractivité de la fraude par un bénéfice psychologique. Pour en évaluer la portée, des travaux récents, auxquels j'ai participé, ont combiné des mesures individuelles des traits de personnalité liés aux comportements moraux et des mesures comportementales de fraude observées grâce à l'économie expérimentale. Les résultats de cette étude démontrent qu'il n'existe pas de profil type du fraudeur fiscal. Les caractéristiques individuelles n'expliquent qu'une infime partie de la variété des comportements de fraude. Ces conclusions, bien que limitant la capacité de l'État à identifier a priori les fraudeurs potentiels, s'alignent avec les travaux de psychologie sociale sur l'adoption des comportements moraux.

La psychologie sociale remet en question la division simpliste de la population entre « monstres » et « saints ». Elle démontre qu'une même personne peut, selon le contexte, prendre des décisions favorables ou défavorables au bien commun. Une expérience célèbre illustre ce phénomène : le simple fait de trouver une pièce de monnaie dans une cabine téléphonique augmente de 20 fois la probabilité qu'une personne aide ensuite un passant en difficulté. Une approche situationniste de l'adoption de comportements moraux suggère que les propriétés de la situation comptent autant que les caractéristiques de la personne qui y est confrontée, et que la moralité intrinsèque liée à la personnalité n'a que peu de rapport avec l'adoption de comportements moraux. Ce phénomène a été nommé « fragile vernis d'humanité » par le psychologue Michel Terestchenko. Cet accent sur l'importance des éléments contextuels élargit considérablement les possibilités d'intervention en matière de lutte contre la fraude.

Un levier important repose sur la prise de décision elle-même, les actes passés influençant les comportements futurs. Une technique simple et efficace consiste à faire précéder la déclaration de revenus par la signature d'un code d'honneur. Nos travaux récents ont montré qu'un serment sur l'honneur de dire la vérité peut augmenter de 50 % le montant d'impôt collecté. Cet effet est principalement observé chez les contribuables ayant des comportements intermédiaires. Les fraudeurs convaincus, tout comme les contribuables scrupuleux, sont insensibles à de tels mécanismes d'engagement. Ces outils non monétaires, fondés sur l'engagement, sont particulièrement efficaces pour influencer les comportements des agents économiques dont les écarts sont hasardeux plutôt que délibérés. Ils sont complémentaires des dispositifs traditionnels de sanctions et de détection, qui restent nécessaires pour les fraudes délibérées.

Cette approche comportementale souligne l'importance d'une compréhension fine des comportements pour élaborer des politiques publiques efficaces. Il est nécessaire d'associer plus étroitement les services de l'État aux travaux de recherche dans ce domaine, un effort qui reste largement à développer en France, notamment sur des sujets impliquant des arbitrages entre considérations morales et financières.

M. Raphaël Daubet, président. - Merci Monsieur Jacquemet. J'aimerais rebondir sur vos propos concernant l'engagement. Quel regard portez-vous sur ce que l'on appelle en anglais la « compliance » pour les acteurs économiques ? Pouvez-vous m'en donner votre définition ?

M. Nicolas Jacquemet. - La définition que j'utilise habituellement est la traduction anglaise de la soumission fiscale, c'est-à-dire le contraire de la fraude fiscale.

Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - Travaillant depuis longtemps sur les questions de fraude et d'évasion fiscale dans cette institution, je trouve que les efforts déployés jusqu'à présent sont insuffisants par rapport aux enjeux. La création de cette commission d'enquête sur la délinquance financière et la criminalité organisée est extrêmement importante. Elle fait suite aux travaux de la commission d'enquête sur les narcotrafics, qui a traité un aspect du sujet et a contribué à éveiller les consciences.

Nous sommes confrontés à de nouvelles formes de criminalité qui nécessitent de nouveaux outils. Il est donc essentiel d'évaluer les dispositifs techniques dont nous disposons actuellement en France et en Europe pour déterminer s'ils sont adaptés à ces nouveaux enjeux de criminalité. C'est l'objectif principal de cette commission d'enquête, notamment en ce qui concerne des enjeux tels que les cryptoactifs, sur lesquels nous devons légiférer avec une connaissance parfois insuffisante, face à des délinquants souvent en avance sur le législateur.

Je souhaiterais aborder les liens entre la fraude fiscale et la criminalité, en particulier les questions de lutte contre le blanchiment d'argent. Quelle est votre évaluation des outils actuels de lutte contre le blanchiment ?

M. Damien Brunet. - La dichotomie entre la lutte contre la violence financière et la lutte contre la criminalité organisée est justifiée, mais elle n'est pas complète pour deux raisons essentielles. Premièrement, il existe des points de contact entre ces deux domaines. Deuxièmement, notre connaissance de la réalité de la criminalité organisée est limitée. Ce n'est que récemment, grâce au déchiffrement de messageries cryptées par des enquêteurs gendarmes, que nous avons découvert un niveau de criminalité organisée jusqu'alors inconnu. Contrairement à l'Italie, qui a bénéficié des révélations de Tommaso Buscetta sur le fonctionnement interne de la mafia, la France n'a pas encore eu d'informateur de ce calibre.

La différence entre les modes opératoires justifie l'existence d'acteurs divers utilisant des techniques d'enquête spécifiques. Cependant, il est important de reconnaître l'existence de points de contact et d'une zone inconnue dans ce domaine. L'expression « criminalité organisée de haut du spectre » n'est apparue qu'après le décryptage des messageries EncroChat et Sky ECC.

Concernant la lutte contre le blanchiment, des progrès significatifs ont été réalisés, notamment grâce à l'influence des conventions internationales. De la création de Tracfin à l'adoption de la loi Sapin 2, les avancées ont été considérables. Ces progrès se sont faits par étapes, visant d'abord le blanchiment simple, puis le blanchiment lié au trafic de stupéfiants, et peut-être bientôt la présomption de blanchiment liée à la criminalité organisée.

Cette approche progressive s'explique par la nécessité de préserver les libertés fondamentales. Par exemple, l'inversion de la charge de la preuve en matière pénale, bien que potentiellement efficace, peut être dangereuse pour les droits individuels. C'est pourquoi les avancées législatives se font prudemment, par petites touches.

Il faut également prendre en compte la créativité des criminels, qui cherchent constamment à contourner les dispositifs légaux mis en place. Parfois, des failles importantes dans le système, comme dans le cas de la fraude à la taxe carbone, peuvent être exploitées.

Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - Il est important de souligner que les avancées majeures dans la lutte contre la délinquance financière ont été principalement motivées par la nécessité de combattre le financement du terrorisme. La lutte contre l'évasion fiscale n'a pas encore connu de révolution comparable. Bien que les dispositifs se chevauchent, des lacunes importantes subsistent, notamment dans les ports francs au coeur de l'Europe, les paradis fiscaux et s'agissant de certains mécanismes d'optimisation fiscale agressive. Ces circuits sont utilisés à la fois par les acteurs de la criminalité organisée et de la délinquance financière, ce qui justifie une attention particulière à ce sujet.

M. Damien Brunet. - Il est crucial de concevoir la criminalité organisée comme une forme de parasitisme des structures légales existantes. Partout où il existe un dispositif potentiellement lucratif, on peut s'attendre à ce qu'il soit exploité à des fins criminelles.

M. Grégory Blanc. - Je vous remercie pour vos explications et j'aimerais approfondir un point particulier. J'ai bien compris la distinction entre le « crime organisé » et les « opérateurs du crime organisé », ainsi que l'existence de zones grises où se situent les intermédiaires qui facilitent le passage de l'illicite au licite. Ma question porte sur ces acteurs à la jonction entre les deux mondes. Dans votre description, vous avez évoqué les points de blocage, mais je n'ai pas bien saisi vos propositions concernant ces intermédiaires. Faut-il dissocier le travail sur le crime organisé de celui sur ces intermédiaires dans l'organisation des enquêtes ? Devrions-nous aller vers une spécialisation plus poussée, étant donné que ces intermédiaires travaillent souvent avec plusieurs acteurs du crime organisé, tant du monde criminel que du monde légal ? Ou au contraire, faut-il intégrer complètement l'agent corrompu dans l'analyse du crime organisé ? Si c'est le cas, quelles en seraient les conséquences juridiques ?

M. Damien Brunet. - Sur les filières spécialisées dans la délinquance financière, nous disposons aujourd'hui de JIRS financières et du Parquet national financier, dotés de services d'enquête spécialisés dédiés. En parallèle, pour la criminalité organisée strictement crapuleuse, nous avons des JIRS criminalité organisée compétentes, ainsi que des services d'enquête, des offices centraux et des services de police judiciaire spécialisés.

La zone grise, à la confluence de ces deux mondes, est particulièrement difficile à appréhender. C'est pourquoi je suggère deux approches. Premièrement, il ne faut pas toujours chercher une infraction d'emblée, bien qu'elle soit nécessaire in fine pour engager des poursuites. L'un des vecteurs peut être de se positionner en amont, dans une logique économique régulatrice. Je pense, par exemple, à la régulation de la profession des agents de change, qui n'ont pas toujours été soumis aux mécanismes de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LCBFT) ni aux déclarations de soupçons. Leur assujettissement à ces obligations a fait émerger de nouvelles affaires. Cette approche régulatrice ne relève pas de l'autorité judiciaire, qui n'a pas compétence pour réguler un marché économique ou une profession.

Deuxièmement, il faut penser les infractions non plus depuis les infractions elles-mêmes, mais depuis les personnes ou les organisations. Poursuivre un agent susceptible de falsifier des comptes d'entreprise pour permettre le blanchiment d'argent ou de tronquer son activité pour échapper aux déclarations de soupçons implique une technicité importante, relevant a priori de la délinquance financière. Pourtant, les services de la personne visée peuvent être rendus à des trafiquants de stupéfiants. L'infraction est alors difficile à cerner, étant au milieu d'une activité licite. Il serait donc plus efficace de penser d'abord par organisation, en se concentrant sur la participation à une organisation criminelle. En France, certaines organisations criminelles sont connues, certaines se revendiquant même dans leur appellation de mafias. L'enquête peut alors porter sur ces associations de malfaiteurs et leurs participants, sans chercher immédiatement une infraction consommée.

Cette approche nécessite un décloisonnement. Une juridiction spécialisée dans la lutte contre la criminalité organisée pourrait ouvrir une enquête sur une organisation de personnes qui, de prime abord, ne se livrent pas nécessairement à des activités illicites évidentes. Cette méthode ne requiert pas de nouveaux acteurs judiciaires, mais plutôt une nouvelle façon de travailler au sein des juridictions existantes. En procédant ainsi, on peut découvrir une variété d'infractions au sein d'une même organisation : trafic de stupéfiants, fraude sociale, fraude fiscale, blanchiment, travail illégal, etc. Cette approche globale permet de saisir l'ensemble des activités criminelles d'une organisation, plutôt que de se cantonner à un seul type d'infraction.

M. Grégory Blanc. - Je vous remercie d'avoir approfondi votre propos. Si j'ai bien compris, vous préconisez une approche basée sur une logique de projet plutôt que sectorielle. Vous appelez à la fois au décloisonnement et à une respécialisation. Cependant, n'étant ni juriste ni du monde judiciaire, je n'ai pas bien saisi les implications concrètes de cette évolution. Pourriez-vous préciser comment cette doctrine que vous appelez de vos voeux pourrait se matérialiser dans la pratique ?

M. Damien Brunet. - Le changement que je préconise est avant tout un changement de pratique. Dans la majorité des juridictions, où les effectifs sont restreints et la spécialisation impossible, les magistrats traitent tous types d'infractions. Ils font face à un flux constant de dossiers variés, ce qui rend difficile la mise en place de cette spécialisation.

Je crois beaucoup à l'inscription dans la loi d'une infraction de participation à une organisation criminelle. Ce texte pourrait aider à ce changement de culture et à orienter les procédures vers une réflexion en termes d'association de malfaiteurs et d'organisation criminelle. Il est important de noter que le terme « organisation criminelle » n'existe pas actuellement dans le Code pénal ou le Code de procédure pénale français, sauf peut-être par référence à certains textes internationaux transposés.

Ce changement culturel est d'autant plus important que nos codes pénaux et de procédure pénale, vieux de deux siècles, n'en parlent pas. Du point de vue législatif, le changement devrait porter sur ce type d'infraction. En matière de terrorisme, par exemple, on a vu apparaître la notion d'entreprise individuelle en lien avec une activité terroriste. Cela illustre les étapes progressives qui ont fait évoluer les pratiques judiciaires dans la lutte contre le terrorisme.

Mme Nadine Bellurot. - Merci beaucoup pour vos interventions. Concernant l'organisation criminelle qui n'a pas de définition juridique précise et les textes internationaux s'y rapportant, j'aimerais en savoir plus. La délinquance financière n'étant pas uniquement franco-française, qu'en est-il des échanges avec d'autres pays et des outils qui sont mis en place ? Comment pouvons-nous nous inspirer des pratiques étrangères pour lutter contre cette délinquance ? Existe-t-il une coopération importante entre les États dans ce domaine ?

M. Damien Brunet. - En matière de coopération, l'outil Eurojust est un modèle exemplaire de ce que nous sommes capables de faire aujourd'hui. Son intervention dans les dossiers produit systématiquement de bons résultats, ce qui est remarquable compte tenu de la tendance des organisations à se superposer de manière peu efficace.

Concernant le droit comparé sur les mécanismes de lutte contre la délinquance financière, je n'ai pas d'exemples spécifiques à citer. Je tiens cependant à mettre en garde contre le mythe du législateur étranger. On a souvent tendance à penser que c'est mieux ailleurs, mais en réalité, le dispositif français est aujourd'hui bien supérieur et plus efficace que de nombreux dispositifs étrangers, notamment dans le monde anglo-saxon. Dans ces pays, il existe une imperméabilité entre les différents services judiciaires, conduisant à des situations absurdes sans partage d'informations ni de fichiers. Les fichiers nationaux d'empreintes qui permettent de reprendre les affaires d'une juridiction à l'autre en France n'existent pas ou ont été mis en place très tardivement aux États-Unis ou au Royaume-Uni. Cependant, je ne peux pas vous donner de réponse détaillée sur les modèles spécifiques de lutte contre la délinquance financière à l'étranger.

M. Nicolas Jacquemet. - En me concentrant sur les aspects que je connais le mieux, je constate une différence frappante entre la France et d'autres pays dans l'approche des bonnes pratiques. Il s'agit de l'ouverture à l'expérimentation comme moyen de préfigurer des politiques publiques et d'évaluer leur efficacité. Cette approche permet d'innover, de se tromper et de développer des solutions adaptées, plutôt que d'appliquer une solution unique à tous les problèmes.

Cette pratique de l'expérimentation est très répandue dans la plupart des pays européens, sous l'égide de divers organismes rattachés aux autorités gouvernementales. La France a toujours été hésitante à cet égard, préférant généralement de grandes lois à de petites expérimentations.

Je voudrais également rebondir sur ce que vous disiez, Madame la rapporteure, concernant la lutte contre la fraude fiscale. Je suis d'accord sur l'importance de lutter contre la fraude fiscale, mais je pense qu'il est aussi nécessaire d'insister sur l'efficacité potentielle d'une politique des petits pas. Il existe de nombreuses réserves d'efficacité dans la lutte contre la délinquance et la fraude qui se logent dans une révision des actions de l'État à la lumière des sciences sociales, notamment l'économie comportementale. Cette approche est, à mon avis, peu utilisée en France.

M. Raphaël Daubet, président. - Merci pour vos exposés extrêmement clairs et précis.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible sur le site du Sénat.

La réunion est close à 17 h 00.

La réunion est ouverte à 14 h 30.

Audition de M. Jean-François Bohnert, procureur de la République financier et Mme Céline Guillet, procureur de la République adjoint

M. Raphaël Daubet, président. - Je suis très heureux d'accueillir aujourd'hui M. Jean-François Bonhert, procureur de la République financier, et Mme Céline Guillet, procureur de la République financier adjoint. Mme Eliane Houlette nous a fait l'honneur de venir témoigner des conditions de création du Parquet national financier en 2013. Elle a notamment insisté sur les mécanismes mis en place pour permettre les enquêtes les plus rapides possibles sur des sujets complexes.

Nos conversations ont également porté sur le travail de coordination des Parquets au moment où il est envisagé de créer un Parquet national anticriminalité organisée. Nous avons souhaité vous entendre tous les deux afin de comprendre l'action du Parquet national financier, votre point de vue sur la situation, notamment concernant le blanchiment et le financement de la criminalité organisée, ainsi que sur les difficultés rencontrées et les solutions à mettre en place.

Je vous informe que cette audition ne sera pas enregistrée, mais fera l'objet d'un compte rendu publié. Je vous rappelle que tout faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vais maintenant vous inviter à prêter serment.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jean-François Bonhert et Mme Céline Guillet prêtent serment.

M. Jean-François Bonhert, procureur de la République financier. - Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les sénateurs, je vous remercie pour cette invitation. C'est un honneur d'être auditionné aujourd'hui, accompagné de Mme Céline Guillet, procureur adjoint financier. Nous avons préparé des éléments écrits en réponse à votre questionnaire, que nous tiendrons à votre disposition.

Je m'inscris dans la continuité de l'action de Mme Houlette, à qui j'ai succédé en 2019 à la tête du Parquet national financier (PNF). Nous avons poursuivi le développement initié il y a dix ans, amenant le PNF à son niveau de croisière actuel, tout en restant évolutif.

Le PNF est déterminé à s'inscrire pleinement dans le paysage national et international. Je reviens d'un déplacement en Suisse où une réflexion est en cours pour créer un équivalent du PNF et une convention judiciaire d'intérêt public. Le procureur général fédéral suisse est convaincu par l'exemple français et cherche le soutien des universités et des avocats suisses et français.

Le PNF est désormais reconnu à l'international. L'année dernière, j'ai été invité d'honneur de l'association du barreau américain, preuve que nous sommes considérés à égalité avec le Department of Justice à Washington et le Serious Fraud Office de Londres. Aux États-Unis, le sigle PNF est reconnu sans nécessité de traduction, ce qui témoigne de notre notoriété.

Je suis fier de cette reconnaissance pour la France, qui a su créer cet instrument. Nous, magistrats, nous efforçons d'accomplir le travail que vous, législateurs, nous demandez. Nous sommes à votre disposition pour envisager l'avenir à travers les questions que vous avez préparées.

Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - Je tiens à souligner l'excellente qualité des relations que vous entretenez avec l'Assemblée nationale et le Sénat. Je suggère d'ailleurs que vous mentionniez dans votre rapport d'activité les nombreuses auditions auxquelles vous participez. C'est un signe important de l'interaction nécessaire entre nos institutions pour une meilleure législation. Cette commission d'enquête, fruit d'une réflexion de plusieurs années, fait suite au travail réalisé l'an dernier sur le narcotrafic. Ce dernier a abouti à un texte voté à l'unanimité, qui ne couvre qu'une partie de la criminalité financière. Je travaille beaucoup sur la fraude et l'évasion fiscale, des sujets de prédilection. En tant que parlementaire depuis 18 ans, j'ai eu l'occasion de voter pour la création du PNF suite à l'affaire Cahuzac, une nécessité absolue à l'époque.

J'ai plusieurs questions à vous poser concernant les demandes que vous adressez, notamment au Luxembourg. Nous avons le nombre de demandes, mais nous n'avons pas le nombre de réponses. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?

M. Jean-François Bonhert. - En réalité, les réponses sont à la hauteur des demandes que nous formulons. Nous adressons de nombreuses demandes à ces deux pays, la Suisse et le Luxembourg, car ils sont extrêmement coopératifs. Pas plus tard qu'hier soir, je me suis entretenu avec le procureur général de Genève pour le remercier de la qualité de nos échanges. Il faut peut-être distinguer la Suisse alémanique et la Suisse francophone, mais nous avons une grande proximité avec la Suisse francophone, particulièrement avec Genève, une place financière importante, qui répond de manière qualitative et rapide.

Concernant la fraude fiscale, sujet sensible entre la France et la Suisse, le parquet de Genève n'hésite pas à nous conseiller sur la formulation de nos demandes d'entraide pour qu'elles soient recevables au regard de sa législation. Nous sommes dans une relation de confiance étroite, tant avec la Suisse qu'avec le Luxembourg. Nous sollicitons fréquemment nos interlocuteurs de ces pays, car ce sont des places financières majeures en Europe et de nombreux flux financiers transitent par ces pays. Ils se sont mis au diapason de l'entraide internationale.

Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - En complément, pensez-vous que les ports francs continuent de poser des difficultés ? Y a-t-il une réglementation qui se met en place au Luxembourg et en Suisse concernant l'utilisation de ces ports francs, ou est-ce un sujet que nous devons encore traiter ?

M. Jean-François Bonhert. - Je vais laisser la parole à Céline Guillet. Avant la reconfiguration interne, elle était la magistrate chargée de l'entraide au sein du PNF. De plus, avant de rejoindre le PNF, elle dirigeait le bureau de l'entraide pénale internationale du ministère de la Justice. Son expertise sur ce sujet est encore plus pointue que la mienne.

Mme Céline Guillet, procureur de la République adjoint. - Concernant notre coopération avec la Suisse et le Luxembourg, elle est particulièrement intense dans les dossiers fiscaux. Avec la Suisse, nous devons adapter nos méthodes pour caractériser l'escroquerie fiscale selon ses critères nationaux. Nous avons bien intégré ces méthodes de travail en interne. Pour le Luxembourg, nous travaillons plutôt sur des questions de seuils, notamment le montant d'impôts éludés exigés par la législation luxembourgeoise pour caractériser un délit pénal. Dans les deux cas, nous nous efforçons de fournir les éléments constitutifs permettant à ces autorités d'agir efficacement.

Notre coopération s'étend également à la lutte contre la corruption, domaine dans lequel les autorités judiciaires suisses sont particulièrement engagées. Nous recevons régulièrement des transmissions spontanées d'informations de leur part. Grâce à la relation de confiance établie, nous bénéficions de leur soutien pour des actes d'investigation, y compris des perquisitions simultanées en France et en Suisse. Récemment, nous avons mené des opérations de perquisition coordonnées en France et au Luxembourg.

Notre approche repose sur le respect et la compréhension des exigences et législations nationales, afin de réussir les exercices d'entraide pénale. C'est parfois plus complexe avec les pays de Common law, qui ont des standards de preuve et des approches différentes des nôtres. Nous nous adaptons aux diverses législations, y compris celles concernant les ports francs, sans que cela ne constitue un obstacle majeur dans nos enquêtes.

Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - Concernant l'entraide pénale internationale avec les Émirats arabes unis, notamment Dubaï, quelle est votre appréciation des efforts réels entrepris ? Il semble y avoir une contradiction entre leur volonté affichée de lutter contre le blanchiment et leur position de hub pour les cryptoactifs et de refuge pour ceux qui violent les sanctions internationales, notamment iraniennes et russes.

M. Jean-François Bonhert. - Effectivement, il y a une volonté affichée de la part des Émirats arabes unis. Lors d'un récent déplacement avec Céline Guillet à Abu Dhabi, nous avons rencontré le ministre de la Justice et le responsable de la cellule de renseignement financier émirienne. Nous avons également reçu une délégation émirienne en France avec le secrétaire général chargé de la lutte contre la criminalité organisée. Notre message a été clair : nous les aiderons à améliorer leur image s'ils nous aident à avancer dans nos dossiers.

Les autorités émiriennes sont soucieuses des critiques. Le ministre citait notamment l'article du journal Le Monde concernant les refuges pour trafiquants à Dubaï. Nous les encourageons à passer de la parole aux actes. La récente visite de Monsieur Darmanin a renforcé cette pression en insistant sur la nécessité de répondre à nos demandes d'entraide et d'extradition. Il est important que les Émirats démontrent leur capacité à répondre à la volonté affichée de lutter contre le crime organisé.

La nomination d'un magistrat de liaison est un pas important. Il a rapidement développé un réseau efficace. Nous mettons beaucoup d'efforts dans cette coopération, et il appartient maintenant aux Émiriens d'être à la hauteur de nos attentes.

Mme Céline Guillet. - Pour compléter, nous avons actuellement une dizaine de demandes d'entraide non exécutées avec les Émirats arabes unis, spécifiquement pour le Parquet national financier. Ce chiffre est limité, car nous avons dû négocier certaines demandes, sachant que la coopération peut être aléatoire. En réalité, nos besoins de coopération avec les Émirats sont bien plus importants.

Notre récent déplacement aux Émirats visait à mieux comprendre les obstacles législatifs et opérationnels locaux. Nous avons constaté que, malgré des ressources humaines limitées, le pays investit dans des outils numériques. Néanmoins, si nous ne fournissons pas de données de passeport précises, il est difficile pour les autorités émiriennes de répondre efficacement à nos demandes concernant des comptes bancaires ou des mouvements transfrontaliers.

Nous nous efforçons d'adapter nos demandes à ces exigences. Cependant même lorsqu'elles sont respectées, les réponses restent souvent insatisfaisantes. Nous avons actuellement deux demandes d'extradition en cours. L'année dernière, nous avons obtenu une extradition dans une affaire d'escroquerie liée à la taxe carbone, ce qui a permis le rejugement de l'individu concerné avec une peine prononcée significative.

Malgré ces avancées, la situation reste globalement insatisfaisante. Nous estimons que le levier politique est essentiel pour améliorer cette coopération.

M. Raphaël Daubet, président. - Je vous propose de revenir sur le lien entre la délinquance financière et la criminalité organisée. Il semble que 90 % des affaires traitées par le PNF en 2024 relevaient des atteintes à la probité ou des atteintes aux finances publiques. Vous avez indiqué lors de l'audience solennelle de rentrée du Tribunal judiciaire de Paris que l'accent sera mis sur « les procédures présentant des liens forts avec la criminalité organisée, les atteintes à la probité liées au trafic de stupéfiants, la fraude fiscale commise par des organisations criminelles, l'action des réseaux d'initiés qui présentent désormais des liens étroits avec le crime organisé ». Quel lien avez-vous pu constater entre les atteintes à la probité et la criminalité financière d'une part et la criminalité organisée d'autre part ? Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ?

M. Jean-François Bonhert. - Notre travail quotidien nous amène à constater que la criminalité financière et la criminalité organisée présentent des caractéristiques, des modes opératoires et des objectifs communs. Nous observons une logistique importante développée par les malfaiteurs et un recours à la complicité de techniciens, avec une sophistication des méthodes de dissimulation. Dans les deux cas, ils maîtrisent parfaitement le droit, sont souvent accompagnés par des experts juridiques, et ont la capacité de gagner des litiges juridiques complexes. L'objectif commun reste la recherche de l'argent.

Nous retrouvons les mêmes mécanismes pour le blanchiment des produits de la criminalité financière et de la criminalité organisée. Cela inclut l'utilisation d'hommes de paille, de sociétés écrans, l'exploitation des failles de la législation nationale, et le profit tiré d'une coopération internationale à géométrie variable, notamment en investissant dans des pays réputés non coopératifs.

Les groupes criminels sont susceptibles d'infiltrer l'économie légale et d'en perturber le bon fonctionnement par diverses infractions relevant de notre compétence : corruption d'agents publics, fraude fiscale, délit d'initiés. Nous avons observé des membres du crime organisé investissant en bourse en profitant d'informations privilégiées, générant ainsi des profits supplémentaires. Ces méthodes ont été observées depuis un certain temps. Nous avons plusieurs exemples concrets. Un dossier concerne la corruption liée au fonctionnement d'Interpol à Lyon, où un responsable a été corrompu pour neutraliser des notices rouges de personnes recherchées liées au crime organisé. Un autre cas concerne une escroquerie à la TVA sur les métaux précieux.

Le PNF s'inscrit délibérément dans la lutte contre le crime organisé, qui est une priorité nationale d'action publique pénale. Bien que notre compétence soit limitée à quatre domaines (probité, fiscalité, atteintes au marché financier et infractions concurrentielles), nous utilisons ces angles d'approche pour contribuer à cet effort. Nous mettons à profit notre spécialisation et nos outils, notamment nos assistants spécialisés très compétents, pour traiter le versant financier de la criminalité organisée. Notre objectif est de participer à l'effort collectif en utilisant nos compétences spécifiques là où d'autres parquets, comme le JIRS ou la JUNALCO, n'ont pas toujours le temps ou la spécialisation requise.

Mme Nadine Bellurot. - Merci pour votre présentation. Vous avez évoqué des failles législatives dans votre intervention. Voyez-vous des améliorations législatives à apporter dans votre activité ? Par ailleurs, vous avez donné des exemples de corruption de personnes. Avez-vous observé une augmentation de la corruption ? En parallèle, j'avais fait une petite mission sur la police judiciaire, et il y avait une inquiétude concernant l'augmentation potentielle du nombre de personnes qui pourraient être corrompues, avec des exemples de pays voisins comme la Belgique qui est très touchée. Observez-vous également l'émergence de ce phénomène chez les agents et les opérateurs ?

M. Jean-François Bonhert. - Concernant la corruption, nous observions jusqu'à présent principalement une corruption de « basse intensité ». Nous commençons à observer des mécanismes de corruption qui sont probablement déjà en place, par exemple au sein de l'administration pénitentiaire. Par exemple, la présence récurrente de téléphones portables en cellule soulève des questions sur d'éventuelles facilités accordées contre rémunération ou sous pression. Nous examinons également notre propre institution. Dans certains cabinets d'instruction, des retards suspects et répétés dans le traitement des dossiers, notamment les demandes de mise en liberté, peuvent entraîner des libérations d'office. Ces situations méritent notre attention.

Ces phénomènes semblent concerner principalement des personnels rémunérés à des niveaux relativement modestes, pour qui quelques centaines d'euros peuvent être tentants. Nous commençons à nous y intéresser de près, car cela fait partie de notre effort global de lutte contre le crime organisé. Nous devons être vigilants à tous les niveaux, y compris dans nos propres rangs.

Nous sommes au début de cette prise de conscience, mais je peux vous assurer que nous sommes particulièrement attentifs à ces questions.

Mme Céline Guillet. - Concernant les failles des législations nationales exploitées par le crime organisé et la criminalité financière, nous constatons que certaines sociétés sont délibérément immatriculées dans des pays dépourvus de registre centralisé des sociétés. De même, les pays avec des législations proches du secret bancaire sont privilégiés par nos cibles d'enquête. Dans les dossiers fiscaux, nous observons l'exploitation de failles dans les traités bilatéraux en matière fiscale ou les législations nationales permettant des investissements fiscalement avantageux, mais frauduleux. Ces situations sont clairement utilisées à la fois par les délinquants en col blanc et par des organisations criminelles ayant mis en place des processus de dissimulation et des actions très sophistiqués.

M. Jean-François Bonhert. - Il est important de souligner que votre Haute Assemblée s'est récemment impliquée dans la fermeture de ces failles. Le vote de la disposition anti CumCum en est un parfait exemple. Cette initiative, sur laquelle nous avons travaillé en étroite collaboration avec le sénateur Husson, illustre l'importance de nos interactions. Alors que ma collègue Céline Guillet évoquait plutôt les failles des législations étrangères, il est crucial que nous échangions sur notre ordre interne pour identifier les ajustements nécessaires et renforcer notre système.

Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - Je porte ce sujet depuis 2018, et il a fallu attendre cette année pour qu'il soit à peu près réglé. Éric Boquet et moi avons mené un combat de cinq ans, face à un gouvernement réticent. Il faut comprendre le combat que nous menons ici. J'ai dû convaincre l'Assemblée avec notre collègue Charlotte Leduc. Cinq exercices et un changement de contexte ont été nécessaires pour obtenir ce résultat, mais cela en valait la peine. C'est une bataille de longue haleine, difficile à mener.

Vous évoquiez la corruption de « basse intensité », je vous parle aussi de blanchiment de basse intensité, tout aussi difficile à combattre. Je m'interroge sur le million et demi d'euros en liquide trouvé au Parlement européen, pour lequel il n'y a actuellement aucune procédure, et un silence absolu. C'est un crime démocratique qui semble bénéficier d'une impunité totale. Nous sommes confrontés à des problèmes d'une grande ampleur, difficiles à résoudre. Malgré l'évolution des textes, notamment sur le narcotrafic, nous peinons à traiter l'ensemble du spectre. Néanmoins, nous soutenons votre action.

M. Grégory Blanc. - Concernant la corruption, j'ai plusieurs questions à vous poser. Vous avez cité des exemples de corruption d'agents publics, notamment dans l'administration pénitentiaire et les juridictions pénales. Je voudrais savoir comment vous envisagez la situation dans d'autres juridictions, comme le tribunal de commerce. J'aborde cette question sous trois angles. Premièrement, la qualité de la prévention au tribunal de commerce est un sujet que vous avez peu abordé, mais qui a défrayé la chronique il y a quelques années. Deuxièmement, s'agissant de la question de la sanction en droit, y a-t-il des améliorations à apporter dans la façon d'envisager la sanction ? Troisièmement, concernant la question de l'enquête, existe-t-il des pistes d'amélioration pour les enquêtes administratives, notamment au niveau de la justice ?

Mon deuxième volet de questions concerne la corruption des agents privés. Vous avez mentionné les banques et évoqué d'autres professions. Quelles sont les pistes d'amélioration dans ce domaine ? Il est clair qu'il existe un environnement propice à ces systèmes. Nous devons réfléchir à cet environnement, qu'il s'agisse de corruption de basse ou de haute intensité, pour mieux qualifier ces situations et faire évoluer le droit afin de cibler plus efficacement les agents privés qui s'adonnent à des activités illicites à un moment ou un autre de leur activité.

M. Jean-François Bonhert. - Concernant la corruption d'agents publics, notamment dans les tribunaux de commerce, nous avons une sensibilité large et ouverte. Dès que nos capteurs nous signalent des informations, nous les traitons, qu'il s'agisse d'un greffier d'instruction ou d'un juge consulaire. Actuellement, nous enquêtons sur une affaire impliquant un tribunal de commerce de la région parisienne, non pas pour corruption, mais pour des questions de probité et de prise illégale d'intérêts. Dès lors que les informations nous parviennent, nous les traitons.

Pour la prévention de la corruption, je pense immédiatement à l'Agence française anticorruption (AFA). Elle se concentre principalement sur la prévention de la corruption au sein des grandes entreprises. Une évolution de son champ d'action pourrait être envisagée par le législateur.

Concernant les sanctions, notre arsenal législatif semble bien adapté. J'ai mentionné hier en Suisse la sanction infligée aux personnes morales en matière de corruption. Grâce à la Convention judiciaire d'intérêt public (CJIP), nous avons imposé à Airbus une amende de 18 milliards d'euros pour corruption d'agents publics, alors qu'un renvoi classique en correctionnel n'aurait permis qu'une amende maximale de 5 millions d'euros. En matière de sanctions, je considère que nous sommes bien équipés.

La capacité d'enquête des services de police et de gendarmerie, notoirement insuffisante, est un point critique. Nous constatons une dégradation notable, avec une atrophie des services comme l'OCLCIFF ou les services régionaux de police judiciaire. Par exemple, à Marseille, la section de recherche de la gendarmerie est passée de huit à deux enquêteurs ECO-FI. Face à cette situation, le PNF a dû internaliser 10 % des 768 affaires en cours, sans recourir à un service d'enquête de la gendarmerie. La capacité opérationnelle des services d'enquête pose question.

Nous plaidons pour la création d'un fonds de concours qui permettrait de réinvestir un pourcentage des amendes d'intérêt public issues des CJIP (actuellement 5,5 milliards d'euros) dans la formation et la fidélisation des enquêteurs financiers.

Enfin, la corruption dans le domaine privé est un véritable sujet. Nous sommes prêts à nous attaquer à toutes les facettes du problème, y compris dans les professions juridiques comme les avocats, malgré les difficultés que cela peut représenter.

M. Grégory Blanc. - Je souhaite compléter ma question sur les enquêtes. Vous avez évoqué les enquêtes judiciaires, mais je m'interrogeais également sur les enquêtes administratives, notamment dans le monde judiciaire. Comment l'administration contrôle-t-elle ses propres agents, étant donné l'hétérogénéité des juridictions et des statuts des agents ?

M. Jean-François Bonhert. - Concernant l'enquête administrative, nous collaborons étroitement avec tous les services d'inspection : l'inspection des services judiciaires, bien sûr, mais aussi celles du ministère de l'Intérieur, des services de santé, et même de l'armée pour certains dossiers de corruption. Nous savons travailler avec ces corps d'inspection qui mènent des enquêtes administratives. Pour notre propre institution, nous n'hésitons pas à faire remonter nos observations via la Chancellerie. Dans l'affaire du juge consulaire que j'ai mentionné, il y aura un volet disciplinaire parallèle au volet judiciaire. C'est un outil important de notre arsenal, et nous veillons à transmettre les informations pertinentes aux services d'inspection compétents pour les cas qui méritent leur attention.

M. Grégory Blanc. - Selon vous, cela fonctionne-t-il bien ?

M. Jean-François Bonhert. - Oui. Nous ne fonctionnons pas en silo ; il y a une communication transversale qui s'établit et qui doit se maintenir.

M. Dominique Théophile. - Avez-vous déjà établi une cartographie analytique des territoires les plus touchés en France ?

M. Jean-François Bonhert. - Nous n'avons pas directement réalisé ce type de cartographie. Cependant, je peux vous renvoyer à un travail similaire effectué récemment par l'Agence Française Anticorruption. En fin d'année dernière, elle a publié une cartographie superposant le territoire français et ses observations issues des dossiers traités. C'est un bon point de départ. Nous pourrions envisager de développer nos propres outils d'identification à l'avenir. Il est vrai que nos dossiers, notamment ceux concernant les outre-mer, pourraient nous permettre d'établir une cartographie assez précise. Je tiens à préciser que ce travail sur les outre-mer n'est pas stigmatisant, mais répond à un besoin réel. Les juridictions ultramarines ont souvent des capacités limitées, et lorsqu'un gros dossier de favoritisme ou de corruption se présente, il peut être difficile de le traiter sur place avec des effectifs d'enquêteurs réduits. C'est souvent à la demande des juridictions d'outre-mer que nous nous saisissons de ces affaires pour faciliter le travail d'enquête. À partir de là, nous pourrions effectivement établir une cartographie détaillée couvrant l'outre-mer, la métropole et la Corse, en complément du travail de l'AFA.

Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - Nous avons voté à l'unanimité le texte sur le narcotrafic, créant un parquet spécialisé dans la criminalité organisée. Personnellement, j'étais un peu réticente, car je ne suis pas très favorable aux parquets thématiques. Je pense qu'il serait préférable de renforcer le PNF et d'étendre ses missions. Cependant, à ce stade de nos auditions, il semble que la volonté du ministre et du gouvernement soit de créer un parquet anticorruption. Ma question porte sur vos préconisations en termes de priorités. Notre commission d'enquête a déjà identifié plusieurs axes prioritaires : le blanchiment, la traite des êtres humains (notamment des migrants), les cryptoactifs qui présentent des risques importants et la contrefaçon, qui peut sembler anodine, mais qui est en réalité un enjeu majeur.

Avez-vous des recommandations en termes d'organisation ou de procédures ? Quelles améliorations notre commission pourrait-elle proposer ? Quelles seraient vos priorités dans le travail que nous engageons, sachant que nous avons déjà une ligne directrice ?

M. Jean-François Bonhert. - Nous avons mené une réflexion approfondie sur la question d'un potentiel parquet national anticriminalité organisée, que nous appelons entre nous PNACO. Je vais vous présenter notre analyse. Avant cela, je souhaite réagir à la définition du blanchiment comme « infraction sans victime ». Je m'inscris en faux contre cette idée. Pour moi, le blanchiment a une victime : nous tous, la démocratie elle-même.

Concernant l'amélioration du dispositif, dans l'hypothèse de la création d'un PNACO, nous proposons deux options. La première, moins ambitieuse, consisterait à étendre la compétence du PNF à la présomption de blanchiment. Actuellement, notre compétence en matière de blanchiment est limitée aux cas liés à la corruption, au trafic d'influence ou à la fraude fiscale. Cette limitation pose problème lorsque nous enquêtons sur un cas de blanchiment présumé, mais que nous ne pouvons pas le rattacher à ces infractions spécifiques. Dans ces situations, nous sommes contraints soit de classer l'affaire, soit de nous dessaisir au profit d'autres parquets, ce qui n'est satisfaisant pour personne.

Une option plus ambitieuse serait d'élargir notre champ de compétence. Actuellement, nous sommes limités par l'article 705 du Code de procédure pénale. Nous proposons d'étendre notre compétence à toutes les infractions de blanchiment, quelle que soit l'infraction sous-jacente, dès lors qu'elles présentent une grande complexité. Cela nous permettrait de traiter des affaires de blanchiment liées à des infractions comme le trafic de stupéfiants ou la traite des êtres humains, qui sont actuellement hors de notre champ d'action. Cette extension de compétence permettrait une meilleure cohérence dans le traitement des affaires complexes de blanchiment, tout en maintenant une spécialisation nécessaire pour ces dossiers souvent techniques et internationaux.

Je pense que nous devrions au minimum envisager l'option basse, qui consisterait à élargir notre champ d'action à la présomption de blanchiment. Dans l'argumentaire que nous avons préparé, nous proposons une modification de l'article 705 du Code pénal pour étendre notre compétence au délit de blanchiment prévu aux articles 324-1 à 324-9.

Une deuxième option, plus ambitieuse, serait d'étendre la compétence du PNF à la délinquance économique et financière en bande organisée, en lien avec la création du PNACO. Cela nous permettrait de travailler en complémentarité avec le PNACO sur le volet économique et financier, domaine dans lequel nous avons développé une expertise et une réputation, notamment en matière de coopération internationale. Nous n'interviendrions pas en doublon du PNACO, mais en complément, sur un segment qu'il n'aurait peut-être pas les moyens ou l'envie d'approfondir, étant déjà concentré sur le coeur de sa mission, à savoir le crime organisé classique comme les réseaux de trafic de stupéfiants ou la traite des êtres humains.

Je tiens à préciser que nous ne revendiquons pas de compétence en matière de stupéfiants, ce n'est pas notre domaine d'expertise. En revanche, nous pourrions apporter notre savoir-faire ECO-FI en complément du PNACO. Nous avons l'habitude de collaborer efficacement avec d'autres parquets nationaux, comme la JUNALCO, les JIRS ou le Parquet européen. Il n'y a donc pas de risque de chevauchement des compétences.

Mme Céline Guillet. - Cette proposition correspond effectivement à une extension du domaine de compétence du Parquet National Financier à l'article 705, en incluant toutes les infractions prévues à l'article 706-73-1. Concrètement, il s'agirait d'une modification législative assez simple, ajoutant une référence supplémentaire dans l'article 705 qui énumère les hypothèses de compétence concurrente, en y incluant la criminalité financière en bande organisée. Comme l'a expliqué le procureur financier, notre intervention se concentrerait sur les groupes criminels ayant infiltré l'économie légale et sur la grande délinquance financière que le PNACO ne considérerait pas comme étant au coeur de ses priorités.

M. Jean-François Bonhert. - Si le PNACO souhaitait traiter un dossier particulier, nous lui laisserions bien évidemment la main. C'est déjà notre pratique actuelle avec la JUNALCO et le Parquet de Paris quand ils expriment un intérêt pour une affaire en raison d'une antériorité ou d'une spécificité. Nous ne revendiquons pas systématiquement toutes les affaires.

Mme Céline Guillet. - Il est clair qu'en l'état actuel des textes, notre capacité d'intervention dans le domaine de la criminalité financière est très limitée. Mais nous disposons de leviers qui nous permettraient d'être très efficaces en combinant plusieurs approches. Le PNF souhaite évidemment déployer son action de manière efficace dans ce domaine. Cependant, une extension législative est nécessaire.

M. Grégory Blanc. - Le texte créant le PNACO part d'une réflexion sur le narcotrafic, et sa forme définitive reste à préciser. Par ailleurs, nos discussions portent également sur la fraude fiscale dans son ensemble. On peut imaginer des liens entre la fraude fiscale, la délinquance financière et le narcotrafic, sans que le crime organisé soit nécessairement l'élément principal. La question se pose de savoir où commence et où finit l'organisation criminelle, surtout lorsqu'on est face à des structures en réseau plutôt que pyramidales. C'est sur ces aspects que nous devons réfléchir. Je voudrais savoir comment vous envisagez cela par rapport à vos méthodes de travail actuelles. C'est une question ouverte qui nécessite sans doute une réflexion plus approfondie, étant donné que nous sommes en train de construire ces nouvelles structures.

M. Jean-François Bonhert. - Comme vous pouvez le constater à travers nos réponses, nous avons déjà entamé cette réflexion. Nous sommes prêts à relever ce défi. Donnez-nous les moyens, et vous avez en face de vous des professionnels motivés, prêts à agir, disposant déjà d'outils bien affûtés. Certes, il reste encore quelques étagères à remplir dans notre boîte à outils, mais avec les instruments adéquats, je peux vous assurer que nous irons de l'avant. Nous pouvons démultiplier l'activité d'un PNACO en lui apportant notre soutien. Le PNF pourrait venir en appui du PNACO sur notre segment spécifique, à savoir les affaires économiques et financières. Si on nous donne les moyens appropriés, nous serons en mesure de le faire efficacement.

Mme Céline Guillet. - Nous menons également une réflexion sur la rationalisation des ressources. Trouver et former un assistant spécialisé capable d'analyser des données financières et d'élaborer des stratégies pour fiscaliser l'activité d'un trafiquant prend du temps. Nous disposons déjà de ressources internes compétentes. La question est de savoir s'il faut tout recommencer à zéro ou capitaliser sur l'existant pour optimiser les ressources.

M. Raphaël Daubet, président. - Je propose que nous clôturions cette séance qui a été très riche et intéressante. Je vous remercie pour vos éclairages et les propositions que vous nous faites. Elles donnent beaucoup de sens à nos travaux et s'inscrivent parfaitement dans la continuité de la loi sur le narcotrafic et des réflexions que nous menons, notamment sur l'articulation entre les Parquets et leur spécialisation.

La réunion est close à 17 h 00.