Mardi 8 avril 2025

- Présidence de M. Laurent Burgoa, président -

La réunion est ouverte à 14 h 00.

Refus de déposer de M. Alexis Kohler, secrétaire général de la présidence de la République - Communication (ne sera pas publié)

Ce point de l'ordre du jour ne fera pas l'objet d'un compte rendu.

Communication du rapporteur sur les documents reçus de la présidence de la République

M. Laurent Burgoa, président. - Mes chers collègues, je vais à présent pour la parfaite information de nos concitoyens rappeler la situation dans laquelle nous nous trouvons.

À la lecture des documents transmis par le secrétaire général de la Présidence, Alexis Kohler, il est apparu que :

- la présidence de la République, au travers de la personne du secrétaire général, avait été approchée à plusieurs reprises par le groupe Nestlé ;

- le secrétaire général avait rencontré les dirigeants du groupe ou été en contact téléphonique avec eux sur la question des eaux en bouteille jusqu'à une date très récente, c'est-à-dire même pendant les travaux de notre commission d'enquête ;

- le secrétaire général de l'Élysée avait suivi au moins une partie du dossier et ménagé des facilités de contact à Nestlé au sein de l'administration de l'État.

Nous avons donc souhaité que M. Kohler s'explique sur ces documents devant notre commission. M. Kohler vient de nous indiquer qu'il refusait de déposer.

Nous nous sommes interrogés avec le rapporteur sur la pertinence d'une saisine de la Justice. Notre souci depuis le début de cette affaire et de nos travaux est d'établir une véritable transparence sur un dossier qui n'a cessé de faire l'objet de dissimulations au public, à certaines administrations, voire à la représentation nationale.

Dans ce cadre, il nous a semblé que la meilleure réponse à apporter face à la dérobade du secrétaire général de l'Élysée était de rendre publics les documents sur lesquels il refuse de s'expliquer. Notre commission d'enquête vient de décider à l'unanimité de suivre cette proposition.

Notre rapporteur va donc vous donner communication des documents les plus significatifs. Ces documents seront ensuite insérés en annexe dans le rapport et mis à disposition des internautes sur la page Internet de la commission.

Nous aurons fait oeuvre de vérité et de transparence jusqu'au bout.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je vous remercie, monsieur le président. Notre commission d'enquête a un mandat : faire la vérité sur le scandale des pratiques des industriels des eaux en bouteille, et en particulier analyser la réponse des pouvoirs publics face aux agissements de la société Nestlé Waters.

Nous avons demandé cette commission d'enquête avec mes collègues du Groupe Socialiste, car nous défendons une idée simple : les Français ont le droit de savoir ce qu'ils boivent.

Nous constatons aujourd'hui qu'Alexis Kohler, secrétaire général de la présidence de la République, n'est pas venu à la convocation que nous lui avons fait parvenir. L'Élysée a décidé de jouer la chaise vide. Cette décision est lourde. Elle instille le poison du doute et constitue un affront à la représentation nationale, et surtout un refus d'aller au bout de la vérité devant les Français.

Cette décision est pour nous incompréhensible.

Tout d'abord, M. Kohler nous oppose la séparation des pouvoirs pour ne pas venir répondre à nos questions. Or, s'il y avait une difficulté de cette nature, l'Élysée ne nous aurait pas transmis les documents, les mails, les notes et les échanges de collaborateurs de la présidence de la République sur cette affaire.

De plus, Victor Blonde, conseiller partagé entre Matignon et l'Élysée où il était chargé de ce dossier, est venu répondre à nos questions sans invoquer à aucun moment le principe de la séparation des pouvoirs.

Je le dis donc solennellement : il n'y a pas de dispense pour Alexis Kohler. L'Élysée n'est pas une cité interdite.

Monsieur le président, à situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles, nous allons faire toute la transparence sur ce que nous savons de la présence de l'Élysée dans cette affaire.

Nous avons donc pris une décision inédite. Je vais vous présenter le contenu des documents les plus significatifs qui sont issus de la présidence de la République, mais surtout, tous les documents en notre possession seront publiés dans leur intégralité en ligne et annexés à notre rapport, et nous venons, comme le président l'a dit, d'en délibérer avec les membres de notre commission.

Je précise que nous avons reçu un total de 74 pages de documents, ce qui démontre d'ailleurs la densité des échanges entre Nestlé et l'Élysée. Je vais vous présenter les principaux points qui nous avaient conduits à demander l'audition d'Alexis Kohler.

Le 11 juillet 2022, le secrétaire général de l'Élysée, accompagné de Victor Blonde, conseiller Matignon-Élysée, rencontre Marc Schneider, directeur général de Nestlé dans le cadre du sommet Choose France. Selon Victor Blonde, deux sujets de préoccupation sont abordés : les suites de l'affaire Buitoni et le dossier Nestlé Waters. Je cite : « Remise d'un rapport IGAS cette semaine après enquête DGCCRF mettant en évidence un usage trop important de filtration pour corriger la qualité des eaux Vittel, Contrex et Hépar, avec de potentiels impacts sur les sites concernés et un enjeu de com pour bien gérer la séquence ».

Tout y est ou presque : l'Élysée sait qu'il y a un problème de qualité des eaux et Nestlé a mis les pouvoirs publics sous pression à propos des risques pour les sites.

Le 26 septembre 2022, l'Élysée reçoit des cabinets Industrie et Santé une note conjointe destinée à préparer une rencontre entre Nestlé Waters et la présidence de la République. Cette note propose notamment :

- d'autoriser Nestlé Waters, au-delà de toute réglementation, à utiliser une filtration à 0,2 micron ;

- d'autoriser la production d'Hépar « à titre transitoire » sur « tous les forages », alors que certains de ces forages ont des « vulnérabilités », euphémisme pour parler de contaminations régulières.

En février 2023, l'Élysée reçoit le projet de « bleu » interministériel, autorisant Nestlé Waters, par une interprétation très contestable des textes, à pratiquer la microfiltration à 0,2 micron, puis le « bleu », tel que validé par Matignon.

Le 23 janvier 2024, M. Kohler est sollicité par le lobbyiste de Nestlé Waters, Nicolas Bouvier, pour un échange « dès que possible dans la journée », avec Mark Schneider, directeur général de Nestlé. Manifestement, il y a urgence. Nous apprenons, par un courrier de Victoire Vandeville du 23 janvier 2024, que le directeur général de Nestlé s'inquiète de l'enquête en cours menée par Le Monde et Radio France qui va sortir une semaine plus tard.

Je note le 1er février 2024 un courriel de Victor Blonde, toujours conseiller à l'Élysée et à Matignon, indiquant à la Présidence, au cabinet Industrie et au cabinet Santé : « Même si la pression [de l'enquête de presse] diminue, voilà une version reformatée des éléments de langage sur l'affaire Nestlé Waters. »

Ces éléments de langage visent à dédouaner l'exécutif et accumulent les imprécisions. Par exemple, ils affirment que la justice est saisie, alors que ce n'est le cas qu'à Épinal, mais pas sur les affaires Alma dans l'Allier, ni dans l'affaire Perrier dans le Gard. Autre exemple, d'élément de langage : « Il n'existe pas de risque sanitaire lié à la qualité des eaux embouteillées. De fait, la mise en place de ces traitements renforce plutôt la sécurité sanitaire. » Cette présentation est parfaitement spécieuse, car si des traitements sont interdits, c'est précisément parce qu'il y a des risques sanitaires.

Le 10 octobre 2024, alors que la proposition de commission d'enquête au Sénat existe déjà, le secrétaire général de l'Élysée reçoit le nouveau directeur général de Nestlé, Laurent Freixe, accompagné de Muriel Lienau, présidente de Nestlé Waters. Dans la note qui lui est fournie par ses services à cette occasion, nous lisons : « Pendant de nombreuses années, des eaux vendues comme “de source” ou “minérales” ont subi des techniques de purification interdites pour traiter des contaminations d'origine bactérienne ou chimique. En juillet dernier, la Commission [européenne] a publié un rapport d'audit ciblant l'incapacité des autorités françaises à enrayer les fraudes de l'entreprise. »

Le 14 octobre 2024, Nicolas Bouvier, lobbyiste de Nestlé Waters, relance le secrétariat de M. Kohler, celui-ci ayant indiqué à Laurent Freixe, directeur général de Nestlé, lors de leur entretien du 10 octobre, qu'il fournirait les bons contacts à solliciter au sein des ministères. Le jour même, Alexis Kohler recommande de contacter Matignon et les directeurs de cabinet des ministres de la Santé et de l'Industrie, alors respectivement Geneviève Darrieussecq et Marc Ferracci.

Le 17 décembre 2024, notre commission est lancée depuis presque un mois. Nicolas Bouvier, lobbyiste de Nestlé Waters, sollicite à nouveau Alexis Kohler pour un entretien avec Muriel Lienau, présidente de Nestlé Waters, « le plus rapidement possible ». Une mention manuscrite nous indique que le secrétaire général de l'Élysée l'a rappelé le lendemain, le 18 décembre 2024.

Ce jour-là, le 18 décembre 2024, le secrétaire général de l'Élysée reçoit de Benoît Faraco, conseiller énergie, environnement, transport et agriculture à la présidence de la République, un courriel vraisemblablement destiné à cadrer la situation pour l'entretien qui se prépare. Dans ce courriel figure notamment un chapitre intitulé « Problème de Perrier » : « Les nappes dont dépendent les sources sont de plus en plus régulièrement polluées, notamment de sources bactériologiques et en partie de matières fécales. Cela disqualifie donc régulièrement les eaux qui doivent être traitées pour être rendues propres à la consommation, ce qui constitue une grosse perte de valeur pour les entreprises (...). Le cadre réglementaire a évolué un peu, mais reste complexe et l'administration a été plutôt allante, mais in fine cela créera des problèmes entre les marques. (Ceux qui ont une eau pure n'ont pas intérêt à ce que leurs concurrents puissent utiliser des techniques de purification) ».

Le 18 décembre 2024, Mathias Ginet, conseiller agriculture à la présidence, indique : « Je pense qu'elle [Muriel Lienau] veut parler du sujet Perrier à la suite de la fuite du rapport de l'ARS avant-hier [Il s'agit du rapport d'inspection du site de Vergèze, inspection intervenue à l'été 2024]. Le sujet est le maintien de l'appellation « eau minérale naturelle » (...). Par dérogation, en 2023, le site avait été autorisé à utiliser des techniques de microfiltration. L'ARS considère que ce n'est pas aligné avec l'appellation et que cela ne règle que partiellement le sujet de la qualité sanitaire de l'eau (forte présence de virus de manière régulière qui ne sont pas éliminés par la filtration). »

Toujours ce 18 décembre 2024, Claire Vernet-Garnier, conseillère industrie, innovation et numérique à l'Élysée, transmet un courriel à Alexis Kohler qui évoque plusieurs sujets : « Pendant plusieurs années, sur de nombreux sites, NW a usé de traitements de désinfection de ses eaux minérales pour éviter toute contamination bactérienne ou virale, tout en continuant à vendre les bouteilles sous l'appellation eau de source ou eau minérale naturelle. Sur les forages de Vergèze dans le Gard (marque Perrier), des contaminations bactériennes et/ou virologiques épisodiques se produisent. Par conséquent, Nestlé doit recourir à des filtrations, ce qui a un rôle de désinfection en contradiction avec la directive UE de 2009, et ces filtres étant inopérants sur les virus, n'a pas de solution évidente aux contaminations virologiques épisodiques. Un rapport de l'Igas de l'été dernier estime que l'entreprise doit donc envisager un arrêt de la production d'eau minérale naturelle sur le site de Vergèze. »

Il me semble, à la lecture de ces documents, que les choses sont assez claires : la présidence de la République était loin d'être une forteresse inexpugnable à l'égard du lobbying de Nestlé. Au contraire, les contacts sont fréquents et l'Élysée ouvre les portes de certains ministères au groupe suisse.

Par ailleurs, la présidence de la République savait, au moins depuis 2022, que Nestlé trichait depuis plusieurs années.

Elle avait également conscience que cela créerait une distorsion de concurrence avec les autres minéraliers.

Enfin, elle avait connaissance des contaminations bactériologiques, voire virologiques, sur certains forages.

Voici à présent les questions que j'aurais souhaité que nous puissions poser à M. Kohler s'il avait saisi l'occasion de faire la lumière sur la part d'ombre de ce dossier.

Pourquoi ne pas avoir donné des instructions simples de respect de la loi au ministère, lesquelles auraient évité les palinodies de la concertation interministérielle de février 2023 ? Celle-ci a tout de même abouti à ce que le gouvernement autorise à un industriel hors des clous, Nestlé, une microfiltration qui, de surcroît, ne règle pas vraiment le problème des contaminations.

Pourquoi personne au sein de l'exécutif, et surtout de la Présidence, ne prend-il ce dossier à bras-le-corps pour en dégager le véritable enjeu : protéger nos ressources en eau minérale naturelle ainsi que les droits du consommateur et aboutir à une réglementation européenne davantage harmonisée ?

Enfin, pourquoi avoir donné tant de place à Nestlé dans les discussions, alors que les autres groupes minéraliers, comme Danone ou Alma, pourtant français, ne font l'objet d'aucune sollicitude particulière, et ne sont même pas consultés lorsqu'il s'agit de modifier la réglementation ? Pourquoi cette position de Nestlé, alors que l'Élysée sait que ce groupe triche depuis des années ?

Tout au long de cette commission d'enquête, la société Nestlé Waters n'a eu de cesse de remettre en cause notre légitimité. Il ne s'est pas passé un mois sans que nous ne recevions un courrier qui questionnait jusqu'à notre existence.

Aujourd'hui, c'est le secrétaire général de l'Élysée qui a refusé de déposer devant nous.

Il faut, je le crois, d'urgence, conforter les pouvoirs des commissions d'enquête parlementaires. L'Assemblée nationale et le président de la commission des finances, Éric Coquerel, ont choisi de porter devant la justice cette question. Je considère cela comme légitime.

Nous voulons, quant à nous, aller plus loin et apporter notre pierre à l'édifice en portant le sujet devant le Parlement. Nous proposerons, dans le cadre de ce rapport de notre commission d'enquête, une modernisation de l'ordonnance du 17 novembre 1958 pour que les pouvoirs du Parlement soient respectés. Le fait de rendre des comptes est au fondement de notre légitimité démocratique depuis au moins la Déclaration des droits de l'homme de 1789. Nous allons remettre le Parlement au milieu du village.

M. Laurent Burgoa, président. - Nous avons choisi de ne pas suivre l'approche de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale. L'expérience montre que le dépôt de plainte peut aboutir à un classement sans suite après six mois. Il est préférable, pour le Sénat et nos concitoyens, de faire la transparence sur les éléments dont nous disposons plutôt que de créer une agitation médiatique éphémère. Notre rôle de contrôle parlementaire est mieux servi par la divulgation des faits que par une action en justice dont l'issue pourrait rester confidentielle.

M. Olivier Jacquin. - J'approuve votre proposition concernant la réaction à adopter face au secrétaire général de l'Élysée. Pourriez-vous rappeler à la commission les risques encourus en cas de non-comparution devant une commission d'enquête ?

M. Laurent Burgoa, président. - Selon le Code pénal, la non-comparution devant une commission d'enquête est passible de deux ans d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende. Bien entendu, l'application de ces sanctions dépend de l'interprétation du juge.

Mme Antoinette Guhl. - Depuis le début de cette commission d'enquête, et même avant, lors de la mission d'information, nous nous sommes concentrés sur deux aspects essentiels.

Premièrement, l'existence ou non d'un risque sanitaire. Or celui-ci existe bel et bien. Un risque virologique a été identifié, notamment durant les périodes où les traitements interdits ont été suspendus et où seule la microfiltration était en place. Cela implique une mise en danger potentielle de la santé humaine, ce qui aggrave considérablement la nature de cette fraude, la faisant passer d'une simple tromperie sur l'étiquetage à une menace sérieuse pour la santé publique.

Deuxièmement, ces éléments corroborent les affirmations antérieures de Marie Dupin concernant l'information des plus hautes instances.

Ces révélations permettent de conclure cette commission d'enquête avec tous les éléments nécessaires. Il est désormais évident que les décisions ont été prises au plus haut niveau de l'État, impliquant ministres et directeurs de cabinet. Cette clarification explique les difficultés rencontrées pour obtenir des réponses. Nous sommes maintenant face à la confirmation de ce que nous soupçonnions.

M. Laurent Burgoa, président. - Je souhaite apporter une nuance concernant le risque sanitaire. Il est important de préciser qu'à ce jour, aucune contamination avérée de nos concitoyens n'a été constatée.

Mme Antoinette Guhl. - Permettez-moi d'apporter une précision à votre remarque. Effectivement, aucune contamination n'a été formellement identifiée comme résultant directement de la consommation des eaux incriminées. Cependant, il est tout à fait possible que la propagation de certaines maladies ait été liée à la présence de ces virus sans que le lien avec l'eau consommée ait été établi. Ainsi, s'il est indéniable qu'un risque a été pris, nous ne pouvons affirmer avec certitude s'il est avéré ou non.

M. Hervé Gillé. - Un aspect particulièrement troublant dans cette affaire réside dans le refus, par une seule et même personne, de participer aux auditions d'une commission d'enquête face aux deux chambres du Parlement. Cette situation est pour le moins inhabituelle. Il serait intéressant d'examiner les précédents historiques.

La situation est d'autant plus préoccupante que la personne en question est secrétaire général de l'Élysée. Sa fonction même aurait dû l'inciter à faire preuve de transparence, ce qu'elle a refusé.

À mon sens, ces deux points constituent des facteurs aggravants.

Mme Florence Lassarade. - Les débats auxquels j'ai pu assister se sont révélés passionnants. Nous avons acquis de nombreuses informations, et je pense que ce n'est que le début en matière de connaissance sur la qualité de l'eau. Nous avons abordé la question des eaux en bouteille, mais il sera également crucial d'examiner la qualité de l'eau du robinet. Il faut savoir que les eaux recyclées peuvent contenir des résidus de médicaments, d'hormones, d'antibiotiques, de traitements anticancéreux et de particules plastiques, parfois liés aux filtres en nylon utilisés.

Ce sujet ouvre donc un champ d'investigation très intéressant et, si l'occasion se présente, je ne manquerai pas de participer activement à ces enquêtes.

M. Jean-Pierre Grand. - Depuis 1958, l'Élysée a toujours fait preuve de retenue dans la mise en avant des secrétaires généraux. Leur rôle n'est pas d'être sous les projecteurs, mais d'assurer une fonction de conseil et d'administration auprès du président de la République.

En convoquant le secrétaire général ici, nous encourons le risque que ce sujet se retrouve à la une de tous les journaux télévisés, déplaçant ainsi le centre de gravité de notre commission d'enquête.

Bien que je comprenne l'importance de son témoignage, il faut aussi considérer la position de l'exécutif, surtout dans le contexte actuel où le secrétaire général de l'Élysée est perçu par toutes les chancelleries du monde comme le numéro deux de la République, même si ce n'est pas constitutionnellement le cas.

Je pense qu'il faut bien mesurer les implications pour notre commission et pour nous-mêmes. Sur le principe, vous avez raison, mais la réalité du moment est différente. Ici, au Sénat, nous savons faire preuve d'élégance tout en maintenant une certaine fermeté, comme l'a démontré le président. Mais à l'Assemblée nationale, la situation a changé. L'institution est devenue, à mon grand regret, un lieu qui ne permet plus des débats sereins ni l'exercice serein de toutes les ambitions possibles.

Je peux comprendre la position de l'exécutif. Si j'étais conseiller du Président de la République et collaborateur du secrétaire général, je lui aurais probablement déconseillé de venir dans le contexte actuel.

Mme Marie-Lise Housseau. - Je trouve satisfaisant que ces documents nous aient été transmis, car ils éclairent la gestion de cette affaire. Cela explique également le manque de communication entre les ministères, les préfets et les ARS. Nous comprenons mieux pourquoi la circulation de l'information n'a pas été aussi fluide qu'elle aurait dû l'être dans un tel cas.

Je me demande cependant depuis combien de temps ces pratiques étaient en vigueur. Les responsables de Nestlé se sont murés dans un silence obstiné. Laurent Freixe n'est arrivé à la direction générale qu'en 2024. Je suis persuadée qu'il affirmera ne pas avoir été au courant lors de son audition. En définitive, nous risquons de ne jamais obtenir de réponse à cette question cruciale : quelle a été l'ampleur réelle de cette fraude et quels risques ont été pris par les consommateurs ?

Mme Audrey Linkenheld. - Je tiens à réagir en tant que sénatrice du Nord, mais aussi ancienne membre de l'Assemblée nationale. Le rapport de force politique au sein d'une institution ne saurait, à mon sens, justifier la présence ou l'absence d'une personne convoquée devant une commission d'enquête.

Nos institutions sont régies par des règles et des règlements auxquels chaque citoyen doit se soumettre, indépendamment de la configuration politique de l'Assemblée nationale ou du Sénat. Si les règles prévoient l'audition d'une personne, il est de son devoir de se présenter.

C'est pourquoi nous avons eu raison de demander au secrétaire général de l'Élysée de s'expliquer sur certains documents. Bien que nous ayons rendu ces documents publics et que notre rapporteur nous en ait fait lecture, rien ne remplace une explication directe de la part du responsable concerné. Il est essentiel d'entendre ceux qui ont exercé des responsabilités spécifiques. Nous avons d'ailleurs constaté que même certains responsables en fonction tentent d'échapper à leur devoir de répondre aux questions.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La suite de cette réunion, couverte par le secret, ne fera pas l'objet d'un compte rendu.

Point d'étape des travaux de la commission d'enquête (ne sera pas publié)

Ce point de l'ordre du jour ne fera pas l'objet d'un compte rendu.

La réunion est close à 15 h 20.

Mercredi 9 avril 2025

- Présidence de M. Laurent Burgoa, président -

La réunion est ouverte à 16 h 35.

Audition de M. Laurent Freixe, directeur général du groupe Nestlé

M. Laurent Burgoa, président. - Nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête avec l'audition de Monsieur Laurent Freixe, directeur général du groupe Nestlé, que je remercie de sa présence malgré un agenda chargé.

Monsieur le directeur général, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui prévoient notamment cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Laurent Freixe prête serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Je rappelle que le Sénat a constitué, le 20 novembre dernier, une commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille, à la suite des révélations par la presse des pratiques illégales de certaines entreprises du secteur, notamment le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et des eaux de source.

Notre commission d'enquête vise à faire toute la lumière sur ces faits, dans le respect des éventuelles procédures judiciaires en cours.

Dans ce cadre, l'objet de cette audition est de clarifier les relations entre le groupe Nestlé et les institutions ainsi que les services de l'État.

Monsieur Freixe, vous êtes directeur général du groupe Nestlé depuis le 1er septembre 2024, date à laquelle vous avez succédé à Mark Schneider. Vous avez accompli l'ensemble de votre carrière au sein de Nestlé et vous êtes membre de son comité exécutif depuis seize ans.

Monsieur Freixe, ne jouons pas au chat et à la souris. Notre commission d'enquête s'efforce, depuis décembre 2024, de faire la lumière sur le scandale qui a touché le secteur des eaux minérales en France. Il s'agit d'informer et de rassurer les consommateurs, en rompant avec l'esprit de dissimulation qui a prévalu jusqu'alors. Il s'agit aussi, en définitive, de conforter un secteur industriel sérieusement mis à mal par les traitements interdits révélés par la presse l'an passé.

À cette fin, nous avons sollicité tous les groupes du secteur, qui ont tous joué le jeu, à l'exception de Nestlé, dont les dirigeants n'ont cessé de se dérober à nos questions, jusqu'à remettre en cause la légitimité de notre commission.

Nous n'ignorons pas l'existence de procédures judiciaires en France, en Belgique et en Suisse.

Notre objectif est non pas d'incriminer Nestlé, mais de faire la lumière sur une affaire qui entache tout le secteur et qui, à terme, ne peut que porter préjudice au groupe Nestlé. À cet égard, la stratégie adoptée par les dirigeants de Nestlé Waters, consistant à refuser de répondre à nos sollicitations, apparaît comme la pire des réponses possibles. Elle n'empêchera nullement les procédures judiciaires d'avancer, mais elle prive Nestlé de la possibilité de purger cette affaire et, surtout, elle donne à voir, tant à la représentation nationale qu'à nos concitoyens, l'image d'un groupe qui aurait beaucoup à cacher.

Nous espérons donc que vous saisirez pleinement l'occasion que représente cette audition pour fournir aux consommateurs, à nos concitoyens, à vos concitoyens, les informations qu'ils sont en droit d'attendre.

Je vais vous laisser la parole pour une intervention liminaire d'une quinzaine de minutes. Monsieur le rapporteur prendra ensuite le relais pour vous poser les questions qu'il souhaite, à la suite de quoi nos collègues, que je remercie de leur présence nombreuse et assidue, interviendront également. Je précise qu'il s'agit de la dernière audition de notre commission d'enquête avant celle de l'ancien ministre Aurélien Rousseau, qui se tiendra dans quelques jours.

J'espère - et je pense que votre fonction vous y engage - que nous obtiendrons enfin les éclaircissements que nos concitoyens attendent de votre groupe.

M. Laurent Freixe, directeur général du groupe Nestlé. - Je vous remercie de me donner l'occasion de m'exprimer devant vous.

Depuis septembre dernier, j'exerce les fonctions de directeur général du groupe Nestlé, groupe suisse aux activités multiples en France. J'y ai exercé différentes responsabilités depuis près de quarante ans, dont la plus récente fut la direction de la zone Amérique latine. Je suis, comme vous l'avez rappelé, membre du comité exécutif du groupe depuis 2008.

Je suis français et j'ai toujours nourri un profond respect pour les institutions de notre pays, la France, qui m'a permis de bénéficier d'un système éducatif performant et de construire une longue carrière professionnelle dans ce grand groupe international. Mes dix-sept premières années professionnelles se sont déroulées en France. Je suis honoré de diriger aujourd'hui ce groupe et je remercie les équipes de Nestlé de leur soutien.

Ce respect que je porte aux institutions françaises s'applique naturellement à votre commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille et les responsabilités des pouvoirs publics dans les défaillances du contrôle de leurs activités, ainsi que dans la gestion des risques économiques, patrimoniaux, fiscaux, écologiques et sanitaires. Ces sujets constituent un enjeu sectoriel qui dépasse le seul cas de Nestlé Waters.

Bien que votre invitation n'ait pas tout à fait respecté les formes prévues par le droit international, j'ai pris la décision de venir m'exprimer devant vous, désireux de clarifier ce qui peut l'être. Je ne suis pas un technicien et je n'ai suivi ce dossier que récemment, mais je suis ici pour assumer toutes les responsabilités qui sont les miennes.

Notre volonté de coopération s'est manifestée concrètement : vous avez été accueillis sur notre site du Gard en février dernier et les dirigeants, collaborateurs et conseils de Nestlé Waters sont venus témoigner devant vous à huit reprises au cours des dernières semaines. Nestlé Waters vous a communiqué un grand nombre d'éléments, allant des données techniques des choix opérés aux modalités des interactions avec les autorités françaises, en passant par les détails des plans de protection de la ressource en eau mis en place autour des sites. Cela témoigne de notre volonté de clarifier les aspects techniques du dossier et de coopérer avec vous.

Cela dit, j'ai bien compris que certaines de nos réponses sur le passé ne vous ont pas pleinement satisfaits. Vous m'accorderez toutefois le crédit de reconnaître que les représentants de Nestlé Waters, ainsi que leurs conseils, ont alerté dès le début de vos travaux sur l'enjeu que représente l'existence d'une information judiciaire ouverte devant le tribunal de Paris.

Ce débat juridique ne m'appartient pas, mais je tiens à souligner que je respecte cette approche, notamment pour tout ce qui pourrait être couvert par l'instruction en cours. Si je respecte profondément le Sénat et la représentation nationale, je respecte tout autant la séparation des pouvoirs et l'importance de l'institution judiciaire.

Cela étant, je suis déterminé à répondre à vos questions et je souhaite également vous exposer quelques éléments clés : d'abord sur Nestlé Waters, ensuite sur son projet de transformation, enfin sur les enjeux de gouvernance à l'échelle du groupe Nestlé et les décisions que j'ai prises à cet égard.

Nestlé est la société d'alimentation et de boisson la plus importante et la plus diversifiée au monde. Chaque jour, nos 277 000 collaborateurs s'efforcent, avec responsabilité et professionnalisme, de proposer à nos consommateurs des produits sûrs et de qualité, issus de nos 337 sites de production et commercialisés dans 185 pays. Cette mission constitue une responsabilité immense pour chacun d'entre nous : garantir la sécurité alimentaire de nos produits exige une vigilance constante.

Nous produisons et commercialisons sept grandes catégories de produits, par ordre d'importance : le café ; les aliments pour animaux de compagnie ; la nutrition infantile et clinique ; les plats préparés et ingrédients culinaires ; les produits laitiers et glaces ; le chocolat et la confiserie ; enfin, les eaux embouteillées, qui représentent environ 4 % de notre chiffre d'affaires.

Cette dernière activité est, par nature, très différente de toutes les autres : elle implique un ancrage territorial fort - dans les Vosges et le Gard -, un impératif de préservation de la ressource naturelle, l'absence de transformation et une logistique particulière. Ces spécificités expliquent pourquoi l'activité de minéralier a toujours été opérée de manière autonome au sein du groupe.

Par sa proximité géographique et culturelle avec la Suisse, la France a toujours représenté un marché important pour Nestlé. Son poids relatif s'est malheureusement réduit ces dernières années, mais cette tendance n'est pas irréversible. Nous souhaitons au contraire y renforcer notre présence, qui se caractérise déjà par quatorze usines ainsi que quatre centres de recherche et développement qui rayonnent dans le monde entier. Nous y comptons 10 000 emplois directs, qui sont autant de collaborateurs passionnés et engagés, dont 2 000 dans notre activité eaux.

Nestlé a été récemment très caricaturé en France et je mesure l'émotion que cela a suscitée parmi nos collaborateurs. Nous sommes une entreprise humaine et donc imparfaite par définition. Admettre que la situation n'est pas ce qu'elle doit être est la première condition pour s'améliorer. Nous avons montré notre détermination à affronter les défis qui se posent à nous.

Nous souhaitons contribuer, en tant qu'acteur responsable, à la résolution des grands enjeux de notre époque : la malnutrition, la sécurisation des chaînes d'approvisionnement, le changement climatique, l'agriculture régénératrice et la mobilisation des générations futures.

S'agissant de Nestlé Waters, j'ai été informé de la situation relative aux eaux minérales naturelles en France lors de ma prise de fonctions, en septembre dernier. Auparavant, en tant que membre du comité exécutif chargé de la zone Amérique latine, j'ai appris qu'un plan de transformation était en cours, sous la supervision de mon prédécesseur. Ce sujet ayant fait couler beaucoup d'encre, je souhaite partager avec vous mes réflexions a posteriori.

Premier point : la sécurité alimentaire de nos eaux n'a jamais été remise en cause. Tous les témoignages internes et externes en attestent. De même, la minéralité unique de nos eaux a toujours été préservée. Ces deux éléments sont essentiels pour nos consommateurs.

Oui, des traitements non conformes ont été appliqués. Cela n'était pas admissible et n'aurait jamais dû se produire. La décision, prise en 2021, d'y mettre fin, d'informer les autorités de manière volontaire et transparente et de présenter un plan de sortie constitue un choix juste, conforme aux valeurs de notre groupe.

Le plan de transformation mis en oeuvre sous le contrôle des autorités françaises a été significatif, tant sur le plan industriel qu'environnemental. Ceux qui l'ont piloté l'ont fait avec détermination et courage, dans un contexte parfois hostile, et je les en remercie. Cette transformation était la priorité, et ils y ont consacré toute leur énergie.

Lorsque j'affirme que ce plan a été réalisé sous le contrôle des autorités, je pèse mes mots : depuis 2021, rien n'a été entrepris sans leur consentement ou en dehors de leurs directives. Tous les acteurs auditionnés l'ont confirmé, qu'il s'agisse des ministres, préfets, directeurs de cabinet, conseillers ou représentants des agences régionales de santé (ARS). Nous avons répondu à l'ensemble de leurs questions, transmis une grande quantité de données, sans jamais exercer de pression ou solliciter un traitement de faveur.

Depuis août 2023, plus aucun traitement non conforme aux réglementations existantes ne subsiste dans nos sites des Vosges et du Gard. Tous les dispositifs en place sont sous le contrôle des autorités.

Le cadre final, issu de l'arbitrage interministériel de février 2023 et des arrêtés préfectoraux qui en découlent, reste toutefois en suspens. Nestlé Waters a investi plus de 50 millions d'euros dans ce plan de transformation sur la base des directives reçues. Les experts et autorités effectuent leur travail de manière approfondie et documentée et ils doivent être salués.

Cette activité est fragile, car elle est exposée aux enjeux environnementaux et climatiques, mais elle est essentielle. Nous avons la responsabilité collective de préserver les eaux minérales naturelles pour les générations futures. Le secteur tout entier doit y faire face avec responsabilité et détermination. Nestlé Waters a investi dans la préservation des ressources, notamment au travers du programme Agrivair dans les Vosges ou des dispositifs analogues dans le Gard.

Malheureusement, nous venons de prendre connaissance de l'avis défavorable rendu par les hydrogéologues sur la poursuite de l'exploitation des puits du site de Vergèze pour la production d'eau minérale naturelle. Nestlé Waters est en désaccord avec certaines de leurs conclusions, mais il s'agit d'un débat technique dans lequel je n'entrerai pas. Les équipes concernées se tiennent à la disposition de l'ARS d'Occitanie et du préfet du Gard quant aux suites qu'ils entendent donner à cet avis. Je mesure l'inquiétude des équipes concernées. Nous sommes tous déçus, mais pleinement déterminés à trouver des solutions permettant de préserver à la fois ce patrimoine unique et l'activité économique et sociale qui en dépend.

S'agissant enfin de la gouvernance du groupe Nestlé, je souhaite être très clair : la situation passée n'est absolument pas en adéquation avec nos valeurs. Il fallait en sortir et je salue les décisions prises à cet égard par la direction de Nestlé Waters et mon prédécesseur, de même que les regrets qui ont été publiquement exprimés.

Au nom du groupe Nestlé, je réitère ici nos regrets les plus sincères pour cette situation, qui n'était pas en phase avec les valeurs de notre groupe. Nous sommes résolus à rétablir une relation de confiance avec nos consommateurs, nos clients, les autorités de tutelle, les communautés d'implantation, notamment celles des Vosges et du Gard, et bien sûr, l'ensemble de nos collaborateurs.

Nestlé Waters a pris les mesures qui s'imposaient pour mettre un terme à ces pratiques. La justice s'est en partie prononcée et continuera de le faire. Nous poursuivrons notre coopération avec la justice pour clarifier ce qui doit l'être.

Enfin, je souhaite vous présenter trois décisions prises pour améliorer notre gouvernance.

Premièrement, le groupe a décidé de lancer une revue interne en France sur les pratiques passées. Les équipes de Nestlé Waters y contribueront. À mes yeux, elle fournira des enseignements essentiels, dont je tirerai toutes les conséquences.

Deuxièmement, notre code de conduite professionnelle a été renforcé, assorti d'un engagement fort de tous les dirigeants du groupe. Je me suis personnellement engagé à ce que cette nouvelle version soit rapidement déployée.

Troisièmement, nous avons renforcé notre dispositif d'alerte interne et externe, Speak Up. Toute personne identifiant un problème de conformité, de qualité ou autre peut le faire remonter instantanément et anonymement pour ceux qui le souhaitent.

Notre groupe est un acteur industriel responsable, animé de valeurs fortes. Nous ne sommes pas infaillibles et cet épisode en témoigne, mais nous sommes totalement déterminés à travailler conformément à nos valeurs et à la réglementation. Depuis quatre ans, tous nos efforts ont été dirigés vers cet objectif.

Je crois au futur de notre activité de minéralier et je réaffirme ici notre engagement en France. C'est pourquoi j'ai décidé, il y a quelques mois, de faire de Nestlé Waters une entité autonome, dont le siège international est en France.

Je me tiens désormais à votre disposition pour répondre à vos questions, dans les limites des réserves exprimées.

M. Laurent Burgoa, président. - Au regard des auditions précédentes, je tiens à saluer le courage et la transparence dont vous avez fait preuve en annonçant les conclusions du rapport d'hydrogéologie, que nous avons apprises très récemment. Ce n'était pas facile à faire, et c'est tout à votre honneur.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Oui, le changement d'attitude est manifeste. Il est marqué, d'abord, par l'absence d'avocat à vos côtés aujourd'hui, mais aussi par les différentes annonces que vous venez de formuler, ainsi que par le regard, quelque peu critique, que vous portez sur la manière dont cette affaire a été gérée par le passé. C'est totalement nouveau, disons-le clairement, et je ne peux que le saluer également.

Vous êtes directeur général du groupe Nestlé depuis le 1er septembre 2024. Votre audition n'était pas initialement prévue dans le cadre de cette commission d'enquête, mais nous avons pris la décision de vous entendre, avec la célérité que la situation exigeait, en raison d'un certain nombre de rendez-vous manqués...

M. Laurent Burgoa, président. - Nous voulions donner une dernière chance à Nestlé. Je pense que vous venez de la saisir et j'espère que vous continuerez dans cette voie. Je crois que nous ne nous sommes pas trompés en décidant, avec Monsieur le rapporteur, de vous entendre aujourd'hui.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Monsieur Freixe, vous avez indiqué avoir accompli l'ensemble de votre carrière chez Nestlé, être membre de son comité exécutif depuis seize ans. Vous connaissez donc parfaitement l'organisation et la culture de ce groupe.

Je vous propose que nous abordions à présent les questions qui, à ce stade, demeurent en suspens. J'ai bien entendu ce que vous avez dit sur le cadre judiciaire, mais je vais m'efforcer de trouver une voie de passage afin que nous puissions, malgré tout, mener nos travaux à leur terme de la manière la plus efficace possible.

Je souhaite, dans un premier temps, revenir sur les traitements interdits mis en oeuvre dans les usines de Nestlé Waters. Il me semble important de rappeler que notre objectif est non pas d'incriminer un groupe industriel, mais d'avoir des réponses à plusieurs questions : quelle était l'utilité des traitements interdits ? Comment ont-ils pu perdurer ? Ces fraudes ont-elles été ponctuelles ou, au contraire, structurelles ? Le cas échéant, cela soulève également des interrogations sur les responsabilités de l'État et sur la manière dont la gestion des ressources naturelles a été encadrée et celles-ci protégées.

Par ailleurs, ce que vous avez indiqué à propos du rapport d'hydrogéologie mérite d'être explicité pour que chacun puisse bien comprendre les éléments en jeu. Ce rapport, mandaté par les services de l'État, conclurait, si j'ai bien compris, à l'absence de pureté originelle de la ressource sur le site de Vergèze, dans le Gard.

Or ce critère de pureté originelle est essentiel dans la définition réglementaire de l'eau minérale naturelle. Aussi, nous vous interrogerons sur les conséquences éventuelles de ce rapport.

Pour éviter l'écueil de l'audition de Madame Muriel Lienau, je vous poserai une question simple : depuis quand ces traitements illégaux, à savoir ceux qui utilisent les ultraviolets, le charbon actif et la microfiltration, ont-ils été appliqués par Nestlé Waters en France ?

Je suppose que cette information, de toute manière, sera partagée avec la justice, si elle vous interroge à ce sujet, d'autant plus que vous avez fait la démarche proactive de vous adresser aux autorités administratives et judiciaires.

M. Laurent Freixe. - Vous êtes constant dans votre interrogation, mais je n'ai pas la réponse. C'est d'ailleurs pour cette raison que j'ai décidé de diligenter une revue interne, qui apportera toute la clarté sur les événements passés.

Il faut comprendre que, depuis 2021, toute l'organisation a concentré ses efforts sur le présent et la préparation de l'avenir, et donc moins sur l'analyse du passé. Cela dit, le moment est venu d'y remédier, et cela s'inscrit aussi dans le cadre de l'instruction judiciaire en cours. Il est désormais impératif d'éclairer ce passé.

Aussi, je n'ai pas la réponse à votre question, mais nous menons une enquête interne et nous en partagerons naturellement les conclusions.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous engagez-vous à partager ces conclusions avec notre commission d'enquête ou avec la justice ?

M. Laurent Freixe. - Dans le respect de la séparation des pouvoirs et de l'enquête judiciaire en cours, nous partagerons ces informations avec les autorités judiciaires.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vos collaborateurs du site des Vosges ont indiqué que certains traitements remontaient à 1992, d'autres à 2000. Pouvez-vous confirmer ces dates ou non ?

M. Laurent Freixe. - Je n'ai pas plus d'éléments que ce que vous évoquez.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous disposez donc de ces éléments ?

M. Laurent Freixe. - Non, je n'ai pas consulté ces éléments.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Si vous n'êtes pas en mesure de nous dire depuis quand ces traitements étaient en place, j'entends néanmoins, et je le salue à titre personnel, que vous avez engagé une revue interne sur ce point.

Pouvez-vous à tout le moins nous expliquer pourquoi ces traitements ont été mis en place ? Si on lance un plan de transformation, c'est que l'on a, au préalable, une idée claire des objectifs de tels dispositifs.

M. Laurent Freixe. - Les objectifs de ces traitements sont relativement évidents : il s'agissait d'assurer la sécurité et la qualité sanitaires des produits. Cette exigence a toujours été respectée, ce que d'ailleurs tout le monde, en interne comme en externe, a reconnu.

À partir du moment où la non-conformité de ces traitements a été clairement établie, l'attitude immédiate de Nestlé Waters a été de chercher une solution systémique, en lien avec les autorités. Un plan d'action a été défini pour revenir à une situation conforme. C'est, selon moi, la bonne attitude, celle qui correspond à l'esprit de notre groupe.

Vous devez comprendre que toute notre énergie, et je pèse mes mots, a été consacrée à la mise en conformité. Cela a demandé beaucoup d'investissements. Le temps est venu, désormais, de faire la lumière sur le passé.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - C'est beaucoup d'investissements, en effet, mais cette activité représente une source de revenus importante pour Nestlé.

Si vous nous dites que ces traitements visaient la sécurité sanitaire, cela implique, en creux, que la pureté originelle des eaux n'était pas assurée, alors même que vous contestez les résultats du rapport des hydrogéologues. Si un plan de transformation a été nécessaire, c'est bien parce que la qualité originelle des eaux était en cause. Confirmez-vous cette lecture ?

M. Laurent Freixe. - C'est une question qui appelle une réponse technique, et je ne suis pas technicien. Je crois que les techniciens de Nestlé se sont déjà exprimés de manière détaillée sur ce sujet. Je n'ai aucun éclairage complémentaire à vous apporter à cet égard.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Justement, le site de Mediapart a rendu publique ce matin une note confidentielle intitulée Confidentiel Note One, rédigée par un hydrogéologue de Nestlé et son équipe, qui résume les résultats d'autosurveillance de la qualité de l'eau issue des captages de Nestlé Waters dans les Vosges entre le 13 juin et le 30 juin 2022.

Cette note a été transmise à la hiérarchie, notamment à Mesdames Lienau et Dubois qui figurent parmi les destinataires. Elle confirme ce que nous avons appris par l'ARS Grand Est, et non par Nestlé, ce que nous regrettons, à savoir la contamination de plusieurs forages par des bactéries coliformes d'origine fécale, et ce, bien au-delà des seuils réglementaires.

Cette contamination a touché principalement les forages Essar et HP Nord, commercialisés sous la marque Hépar, ainsi que les forages Thierry Lorraine, Belle Lorraine et Contrex. Le forage Essar, qui représente la moitié de la production d'Hépar, était contaminé à hauteur de 85 %, selon les termes mêmes de la note.

Ces analyses ont été transmises à l'ARS Grand Est en novembre 2022, qui a, en conséquence, décidé de suspendre certains forages Thierry Lorraine et Belle Lorraine les 22 novembre et 28 novembre 2022. L'un des quatre forages Essar a, lui aussi, été suspendu en mai 2023 à la demande du ministère de l'industrie, et non sur l'initiative de Nestlé ou de Matignon.

Ainsi, alors qu'une note interne constatait cette situation dès juin 2022, les autorités sanitaires n'en ont été informées qu'en novembre. Pourquoi avoir attendu cinq mois pour transmettre une information aussi cruciale en matière de qualité et de sécurité sanitaire des eaux ? Disposez-vous d'éléments pour nous en donner l'explication ?

M. Laurent Freixe. - Non, je n'ai pas d'éléments ou d'éclairages à apporter sur ce point.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comment expliquez-vous l'attitude adoptée jusqu'à présent par les représentants de Nestlé ?

Vous opérez aujourd'hui un changement de ton salutaire, mais jusqu'à présent, la ligne défendue devant nous consistait à ne pas reconnaître ces éléments. Madame Dubois, par exemple, nous a affirmé n'avoir été au courant de rien. Or nous découvrons qu'elle figurait parmi les destinataires de cette note dès 2022.

Pourquoi les auditions précédentes ont-elles été l'inverse de l'exercice démocratique auquel vous vous livrez aujourd'hui ?

M. Laurent Freixe. - J'ai une perspective différente. Vous devez comprendre que les équipes de Nestlé Waters, qui gèrent cette activité, sont mobilisées depuis plusieurs années pour résoudre une situation complexe, laquelle a nécessité un plan de transformation d'envergure.

Toute leur énergie s'est concentrée sur la mise en oeuvre de ce plan, en collaboration avec les autorités locales, dans un contexte complexe, puisque de nombreuses administrations ont été impliquées à différents niveaux. Leur priorité a été de résoudre les problèmes, de se mettre en conformité et d'avancer. Voilà pourquoi les équipes ont sans doute préféré parler du présent, se projeter, plutôt que de revenir dans le passé, qui est l'objet de votre préoccupation, à juste titre.

Néanmoins, le moment est venu de faire la lumière sur les faits passés, de comprendre ce qui s'est produit et de veiller à ce que cela ne puisse plus se reproduire, et nous nous sommes engagés dans une telle démarche. Il faudra toutefois patienter quelques mois.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous un calendrier précis de la durée nécessaire à la réalisation de l'audit interne que vous avez lancé ?

M. Laurent Freixe. - Non, mais il s'agira de quelques mois, pas davantage.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ne pas avoir partagé certaines informations et affirmer ne pas les avoir reçues sont deux choses différentes ; or c'est bien ce qu'ont déclaré Madame Dubois et Madame Lienau. Comment l'expliquez-vous ?

M. Laurent Freixe. - Je n'ai pas d'explication précise à ce sujet. Je peux seulement indiquer que ces personnes ont eu à gérer de lourdes responsabilités et un agenda chargé. Toute leur attention, à l'époque, était tournée vers la mise en oeuvre de solutions pour une activité importante, tant pour Nestlé que pour ses collaborateurs. C'est là que leur énergie a été concentrée, peut-être au détriment des aspects liés au passé.

M. Laurent Burgoa, président. - Je l'entends, mais Madame Lienau et Madame Dubois ont déclaré sous serment devant notre commission d'enquête qu'elles n'avaient pas connaissance de ces informations, alors que nous avons la preuve qu'elles ont été destinataires de cette note confidentielle. Dans un tel cadre, il peut s'agir d'une infraction : l'affaire est grave. Madame Dubois nous a affirmé n'avoir rien su, alors qu'elle était directrice générale. Madame Lienau, présidente, s'est montrée mutique.

Mme Audrey Linkenheld. - Ce n'était pas très Speak Up...

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous remercie malgré tout pour le changement de stratégie que vous avez décidé d'opérer. Il donne une image plus positive du groupe Nestlé et je tiens à le saluer. C'est une démarche qui va dans le bon sens.

Pour autant, il est grave que deux personnes aussi haut placées aient dissimulé la vérité devant une commission d'enquête parlementaire ; c'est de l'ordre du parjure !

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - D'ailleurs, l'attitude qu'elles ont adoptée répondait-elle à une consigne du groupe ?

M. Laurent Freixe. - Non. Je n'ai pas été impliqué dans la préparation de leurs interventions, si c'est le sens de votre question.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Est-ce qu'il y avait néanmoins une stratégie de groupe concertée ?

M. Laurent Freixe. - Non. Il faut comprendre l'importance de cette activité pour le groupe et ses implications. Madame Lienau et Madame Dubois étaient concentrées sur la nécessité d'agir rapidement pour préparer l'avenir, tandis que vos questions portaient sur le passé.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Les avocats qui ont accompagné certaines auditions précédentes ont-ils été mandatés par le groupe ?

M. Laurent Freixe. - Oui.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous venez pourtant d'affirmer que le groupe n'avait pas défini de stratégie...

M. Laurent Freixe. - Oui, ils ont été mandatés par le groupe, mais ils n'ont pas été gérés par les équipes de Nestlé Waters.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Se sont-ils concertés ou chacun est venu avec sa propre stratégie ?

M. Laurent Freixe. - Je ne peux pas répondre à cette question.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Peut-être ne le voulez-vous pas...

M. Laurent Freixe. - Non ! Si je le pouvais, j'y répondrais.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dont acte.

Le niveau de la microfiltration à 0,2 micron a été longuement débattu dans le cadre de notre commission d'enquête. Nestlé a défendu l'idée que ce niveau était conforme à la réglementation. Or les documents qui nous ont été transmis révèlent qu'il existait, en interne, une conscience aiguë des limites réglementaires de cette pratique.

Dans le même temps, il nous a été affirmé que la solution adoptée par Nestlé était identique à celle utilisée par d'autres industriels. Pourtant, vous avez opté pour un procédé qui posait un problème de conformité réglementaire.

Pourquoi ce système a-t-il été choisi ? Est-il utilisé dans l'ensemble des usines de Nestlé en Europe ?

M. Laurent Freixe. - Je ne suis pas technicien ; du reste, notre direction technique a déjà répondu à cette question. À ma connaissance, le choix des dispositifs techniques se fait site par site.

Il m'a été rapporté qu'en France dix-sept arrêtés préfectoraux autorisent l'utilisation de filtres à 0,2 micron, dont un dans le Gard. Cela montre que ce choix technique a été fait en concertation avec les autorités, pour assurer la conformité et la sécurité sanitaire des eaux, tout en respectant leur minéralité.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À notre connaissance, les filtres à 0,2 micron, dits technologiques, sont utilisés pour séparer le fer ou le manganèse de l'eau, et non pour des raisons d'hygiénisation, comme cela a pu être le cas chez Nestlé.

Je souhaite vous soumettre maintenant les hypothèses que la commission d'enquête a formulées au fil de ses travaux, afin de mieux comprendre les logiques qui ont présidé au plan de transformation et au choix de la microfiltration à 0,2 micron.

Première hypothèse : il ressort de l'ensemble de nos auditions, ainsi que de certains documents, que les ouvrages de captage constitueraient une source de contamination des eaux. Dans plusieurs cas, leur vétusté aurait justifié le recours à la microfiltration.

Deuxième hypothèse : la microfiltration, comme l'ont expliqué d'anciens directeurs opérationnels de votre groupe, permettrait de réduire les temps de nettoyage des tuyauteries et des cuves, c'est-à-dire d'interrompre moins souvent la production, ce qui permettrait à la fois de produire davantage d'eau et de dégager une marge supérieure.

Troisième hypothèse : la fragilité croissante de certains aquifères, qui n'offrent plus une pureté originelle constante, comme l'ont indiqué les hydrogéologues dans leur rapport. Vous avez de vous-même évoqué cette hypothèse, qui demeurait jusqu'alors taboue. Dès lors, l'appellation « eau minérale naturelle » attribuée à certains de vos produits est menacée.

Parmi ces trois hypothèses, laquelle vous paraît la plus déterminante ? Faut-il plutôt considérer qu'il s'agit d'une combinaison des trois ?

M. Laurent Freixe. - Je ne suis pas en mesure de me prononcer sur ce point. Je crois que les réponses techniques ont été apportées.

Le site de Vergèze est moderne ; il bénéficie des meilleurs équipements, d'importants investissements y ont été réalisés. Aussi, l'argument de la vétusté ne me semble pas sérieux.

Vous avez parlé de déviations ponctuelles : c'est le coeur du débat. L'activité humaine, on le sait, a un impact, bien sûr. Malheureusement, je ne peux pas vous apporter davantage d'éléments sur les choix techniques que ceux qui ont été apportés par notre direction technique.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Lors de notre déplacement in situ, en présence de Monsieur le président et de Madame Guhl, nous avons échangé avec plusieurs salariés. Ils nous ont dit qu'ils avaient le souci de la transparence et qu'ils suivaient avec attention les auditions de notre commission d'enquête. Que pouvez-vous leur dire pour les rassurer ?

Les faits sont là : la protection de la ressource n'a pas été suffisante pour que l'eau puisse encore être commercialisée sous l'appellation « eau minérale naturelle ». Quelle part de responsabilité assumez-vous dans cette dégradation de la qualité de la ressource ?

Quelle est, désormais, la stratégie du groupe Nestlé ? Est-ce que la marque Maison Perrier va être développée ? Est-ce encore trop tôt pour répondre ?

Il est important que vous adressiez un message aux salariés des sites concernés, qui sont sans doute, à juste titre, inquiets après les révélations que vous venez de faire.

M. Laurent Freixe. - Je partage d'autant plus votre préoccupation qu'il s'agit de nos collaborateurs.

Les conclusions du rapport des hydrogéologues doivent encore être intégrées par les autorités régionales et aucune décision définitive n'a encore été prise.

Mon message est clair : nous voulons continuer à opérer sur le site de Vergèze, dans la conformité, quel que soit le scénario.

M. Laurent Burgoa, président. - C'est un message fort, monsieur le directeur général, et la commission d'enquête en prend acte.

Je crois que nous avons eu raison de vous auditionner : vous avez, en quelque sorte, saisi la dernière chance qui était donnée à Nestlé de s'exprimer dans notre cadre.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Selon vous, mais peut-être est-ce trop tôt pour le dire, sera-t-il possible de restaurer la qualité des aquifères, afin de répondre à nouveau au critère de pureté originelle ?

Quelle part de responsabilité le groupe Nestlé estime-t-il avoir dans la dégradation de cette ressource ? Vous êtes les exploitants de cette eau ; aussi, selon vous, qu'est-ce qui a conduit à cette remise en cause de la pureté originelle de l'eau ?

M. Laurent Freixe. - L'activité humaine et les effets du changement climatique, que nous constatons sur l'ensemble de nos activités à travers le monde, nous posent de véritables défis.

Le rapport des hydrogéologues donne des pistes pour améliorer la qualité de la ressource. Nous n'avons pas encore eu le temps d'engager une discussion approfondie sur ces perspectives, mais nous sommes prêts à appliquer toutes les mesures nécessaires, comme nous l'avons déjà fait dans le Gard, mais aussi dans les Vosges, pour renforcer la protection de la ressource naturelle.

La seule question, désormais, est de savoir si nous aurons le temps et les moyens de le faire ; mais notre détermination est totale.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous avons auditionné Madame Yasmine Motarjemi, qui a exercé des responsabilités en matière de sécurité alimentaire au sein du groupe Nestlé.

Nous savons qu'elle a connu un long conflit avec l'entreprise, qui a donné lieu à un procès de treize années, qu'elle a remporté devant la cour d'appel du canton de Vaud, en janvier 2022.

Madame Motarjemi nous a notamment indiqué que, depuis le début des années 2000, Nestlé aurait pris la décision d'indexer les bonus des managers à l'absence de retrait de produits du marché. Pouvez-vous nous confirmer cette information ?

M. Laurent Freixe. - Au sein des directions techniques, les critères pris en compte dans les systèmes de bonus sont des critères non seulement de performance des lignes de production ou de l'activité productive, mais aussi de qualité. Cela dit, le critère de qualité n'est pas mesuré par le nombre de produits rappelés.

Les critères de qualité font partie de l'ADN du groupe ; ils figurent donc dans les systèmes de bonus des équipes de management.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourriez-vous préciser vos critères de qualité ?

M. Laurent Freixe. - Les critères de qualité peuvent revêtir des formes diverses, que je n'ai pas toutes en tête. Par exemple, il peut s'agir des déviations de qualité détectées sur les lignes de production, qui peuvent avoir un impact économique significatif : arrêt d'une ligne, destruction de lots non conformes, etc. C'est heureux que de telles non-conformités soient identifiées avant la commercialisation des produits, même si cela affecte les opérations. L'objectif de ces critères est de tendre le plus possible vers la perfection.

Ces exigences sont intégrées dans les critères de performance et sont également prises en compte dans les dispositifs de motivation des équipes.

En revanche, il n'a jamais été question d'intégrer l'absence de rappels dans les critères de performance. Si un rappel de produit doit être effectué, il l'est, sans aucune hésitation.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Existe-t-il un moyen, selon vous, de valoriser le fait qu'un rappel ait été effectué ?

M. Laurent Freixe. - Oui.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Sans suggérer que les critères que vous évoquez sont un pousse-au-crime, la prise en compte de la sécurité alimentaire est-elle valorisée ?

M. Laurent Freixe. - Absolument. Un rappel bien exécuté constitue une mesure essentielle pour éviter tout risque. Dans la majorité des cas, les rappels sont dus à des déviations ponctuelles, comme des erreurs d'étiquetage - par exemple, un allergène non mentionné - ou d'autres anomalies de ce type.

Mettre en oeuvre un rappel de produit et s'assurer que nos produits sont conformes aux exigences fait pleinement partie de notre dynamique de sécurité et de notre pratique. Nous opérons dans 185 pays : de tels rappels sont parfois nécessaires et bien sûr ils sont valorisés.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Merci pour cette précision. Vous êtes porteur d'un nouvel esprit d'entreprise. Mais la preuve, ce sont les actes. Votre prédécesseur à ce poste, c'est Monsieur Paul Bulcke, il me semble...

M. Laurent Freixe. - Mon prédécesseur, c'est Mark Schneider. Paul Bulcke était son prédécesseur et il est l'actuel président du groupe.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous portez un nouvel élan avec Monsieur Bulcke, qui est toujours à tête de l'entreprise. Avez-vous échangé avec lui ? Partage-t-il cette nouvelle culture ?

M. Laurent Freixe. - Il préside le conseil d'administration, qui est là pour contrôler les activités, définir la stratégie et s'assurer que le comité exécutif travaille en conformité avec nos valeurs, nos principes et opère dans le cadre stratégique défini.

Paul Bulcke est un vétéran de Nestlé. Il a quasiment fait toute sa carrière chez Nestlé. Je crois qu'il a fait deux ans dans une autre entreprise avant de rejoindre Nestlé, travaillant sur différents continents. Il partage absolument les mêmes valeurs et les mêmes principes. Je n'ai pas eu l'occasion d'en discuter souvent avec lui, mais il m'a toujours encouragé dans cette direction : d'abord la qualité, les consommateurs, la conformité. Il est dans cette logique.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous dites cela, alors que nous avons l'impression que vous passez de l'ombre à la lumière. Même s'il est très agréable de vous avoir devant nous, nous ne pouvons pas effacer tout ce que nous avons vécu dans cette commission : les réponses robotiques, l'absence totale d'éléments apportés à la commission.

Je repense au rapport d'information de Madame Guhl : on lui disait, la veille, qu'il n'y avait aucune raison pour que le forage ferme et, le lendemain, le forage était fermé... Nous-mêmes, nous n'en avons jamais rien su et nous apprenons désormais par voie de presse qu'en réalité, on savait beaucoup de choses... Voilà ce qui m'inquiète. Monsieur Bulcke a joué un rôle très important dans l'histoire de Nestlé. Partage-t-il, en tout cas, le changement que vous êtes en train d'opérer dans la culture d'entreprise ?

M. Laurent Freixe. - Oui, il est tout à fait en ligne. C'est lui qui a décidé, avec le conseil d'administration, du changement de direction générale.

Concernant la dynamique des auditions précédentes, je pense que le fait qu'il y ait une procédure judiciaire en cours a influencé le contenu des réponses et retenu les intervenants. Cela fait partie du contexte et n'est pas habituel. Nous essayons d'apporter le maximum de réponses.

Il y a beaucoup de débats techniques sur ce sujet qui n'est pas facile à comprendre pour des non-experts. À ma connaissance, toutes les réponses ont été apportées.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je me permets, sur ce point, d'avoir un point de divergence avec vous. Durant toutes les auditions, Nestlé nous a dit que la pureté originelle des eaux était assurée, garantie. Et aujourd'hui, vous venez nous annoncer que le rapport de plusieurs hydrogéologues mandatés conteste la pureté originelle des eaux.

Pourriez-vous nous détailler un peu ce Speak Up, la manière dont vous voulez détailler cet audit, puisque ceux qui vous ont précédé devant nous nous ont dit : « Non, il n'y a eu aucun audit interne, aucune responsabilité établie. On a continué ainsi. » Les différentes personnes en place aux différents postes, à notre connaissance, ont toutes été promues dans de nouvelles usines. En tout cas, il n'y a eu aucune mesure disciplinaire, tandis qu'Alma a procédé à des formes de mise à la retraite anticipée et que, dans votre situation, elle a répondu aux questions. J'entends qu'il y ait une pression judiciaire, mais chez Alma, cela n'a pas eu la même conséquence...

J'aimerais évoquer le rapport à vos concurrents : Nestlé est sorti de la Maison des eaux minérales naturelles, mais quand il se présente devant nous, il prétend qu'il porte une demande de l'ensemble du secteur, à savoir la clarification réglementaire, et que, sur cette affaire de 0,2 micron, il porte tout le secteur sur ses épaules. Or aucun des principaux industriels ne porte la même demande que Nestlé.

Comment voyez-vous, d'un point de vue concurrentiel, la demande que vous avez faite ? Vous n'avez pas demandé un changement de réglementation. Vous n'avez pas suivi la voie européenne, classique, réglementaire. Vous êtes allé devant les autorités françaises pour obtenir un « bleu », c'est-à-dire une décision individuelle d'accompagnement du plan de transformation de Nestlé.

Comment voyez-vous cela, d'autant qu'il y a eu des précédents ? Je pense à une affaire qui nous est remontée durant les auditions, celle de Nespresso contre l'Ethical Coffee Company. Vous avez fait devant l'Autorité de la concurrence une reconnaissance de culpabilité de vos actions vis-à-vis d'un concurrent. Quelle vision avez-vous de l'égalité des armes et de vos concurrents dans cette affaire ?

M. Laurent Freixe. - Nous croyons à la libre concurrence, principe fondateur d'une économie de marché. Nous la respectons dans de nombreux aspects. On pourrait parler des sujets environnementaux. Nous aimerions parfois qu'il y ait plus de réglementation pour créer un « level playing field ». Les principes de la concurrence sont fondamentaux. J'ai des relations personnelles, très bonnes, avec certains dirigeants d'entreprises concurrentes.

Concernant les solutions techniques, tous les sites sont différents. Les nappes, les ressources naturelles sont toutes différentes, ce qui peut conduire à choisir des solutions techniques variées. Des choix techniques ont été faits et on m'a expliqué qu'ils reposaient aussi sur une solution normée, vérifiable, avec différents fournisseurs. Ils paraissaient être la meilleure solution pour nos sites.

Avoir une concurrence loyale est un principe fondamental. Nous ne demandons pas à être traités différemment des autres, mais nous cherchons à être conformes à la réglementation.

Des contacts ont été pris au niveau gouvernemental, parce qu'il y a beaucoup d'intervenants au niveau ministériel. Il y a différentes autorités de tutelle impliquées et il y avait un besoin de coordination sur le sujet.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans votre affaire, l'Élysée est-il une autorité de tutelle ?

M. Laurent Freixe. - Ce n'est pas l'autorité de tutelle directe, mais évidemment, c'est une autorité de tutelle des pouvoirs publics par définition. Elle détient le pouvoir exécutif avec le cabinet du Premier ministre. Je crois qu'il n'y a rien d'inhabituel de ce point de vue.

Avoir des contacts au plus haut niveau dans tous les pays où nous opérons fait absolument partie de notre pratique. Nous sommes la première entreprise agroalimentaire au monde, la première entreprise de grande consommation. L'activité économique, les investissements, le commerce, l'environnement, l'emploi sont autant de sujets qui justifient des discussions régulières. Ce ne sont pas des discussions permanentes.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je note que le ministre de l'industrie, Monsieur Roland Lescure, n'a jamais eu de contact direct avec Nestlé, tandis que l'Élysée a été approché à plusieurs reprises...

Vous engagez-vous à ce que l'évolution de la structure capitalistique de Nestlé Waters que vous venez de décrire ne soit pas le faux-nez d'une vente, comme on a pu le lire directement ou en filigrane dans la presse ? Êtes-vous en train de vous défaire de votre activité Eaux face aux différentes difficultés et aux scandales dont vous faites l'objet et dont vous êtes en partie la cause ?

M. Laurent Freixe. - Je vous remercie, car cela me permet de clarifier, une fois de plus, une question qui m'a souvent été posée. Nous sommes engagés sur cette activité, nous croyons à son potentiel. Nous cherchons un partenaire, mais il n'est pas question, en aucune façon, d'une vente à 100 % et de sortir de l'activité. Nous cherchons un partenaire avec lequel nous pourrons investir pour développer l'activité. Tel est notre état d'esprit.

Mme Marie-Lise Housseau. - Vous êtes arrivé en septembre et avez découvert la situation, mais vous connaissiez l'existence du plan de transformation.

M. Laurent Freixe. - Oui.

Mme Marie-Lise Housseau. - Pouvez-vous nous dire ce que vos deux directeurs de site et vos deux directrices générales ont refusé d'avouer : pour quelles raisons ces traitements ont-ils été utilisés ? Vous avez répondu au rapporteur que vous ne saviez pas. Combien de temps ces traitements ont-ils duré ?

L'absence de réponse nous fait imaginer un scénario... La réalité n'est-elle pas que, depuis le rachat du site de Vergèze en 1992, il y a plus de vingt ans, il y a un problème récurrent soit dû à la qualité de l'eau, soit à la qualité des installations - vétustes ou défectueuses ? Que vous avez essayé par tous les moyens, y compris des traitements interdits - filtres à UV, microfiltration avec des filtres à charbon - de le résoudre, mais que vous n'y êtes pas arrivés ? Donc que vous avez engagé un plan de transformation et que la seule solution trouvée était une microfiltration à 0,2, raison pour laquelle vous êtes allés jusqu'au plus haut niveau, à l'Élysée, pour obtenir ces 0,2, parce que vous ne pouviez pas, sans cet accord, avoir une qualité d'eau nécessaire pour que ce soit considéré comme de l'eau minérale ?

M. Laurent Freixe. - À partir du moment où, dans le cadre de ma prise de fonctions, j'ai été informé des enjeux et des projets en cours, évidemment les échanges avec les équipes de Nestlé Waters et sa direction ont été extrêmement fréquents : il y a un comité de suivi du plan de transformation, auquel je participe. La focalisation a été permanente et je me suis assuré que les choses avancent telles qu'elles doivent le faire.

Je souligne de nouveau un point : à aucun moment, la qualité minéralière et la qualité sanitaire n'ont été remises en cause. Nous sommes contrôlés. Il n'y a aucune déviation de ce point de vue. Les produits ont toujours été conformes à la promesse et à la qualité sanitaire.

Mme Marie-Lise Housseau. - Certes, mais au prix de traitements interdits...

M. Laurent Freixe. - Au prix de traitements non conformes. Je ne suis pas un spécialiste technique, mais la réglementation européenne définit une fin et non les méthodes pour y arriver. C'est la pratique ou les autorités qui ont accepté, au fur et à mesure, certains processus. Tout le monde, à ma connaissance, utilise la microfiltration. Reste à savoir si cette microfiltration respecte les qualités naturelles et le microbisme de l'eau, éléments devant être respectés dans le produit final.

Des choix techniques ont été faits à différentes étapes. Nous pensons que les choix de la dernière étape sont bons, mais nous ne pouvons décider tout seuls : nous avons besoin des autorités pour les valider, nous avons fourni les éléments techniques pour ce faire et nous attendons les réponses, quelles qu'elles soient. C'est un débat technique sur lequel je ne peux apporter beaucoup plus...

Mme Marie-Lise Housseau. - Vous ne niez pas que le problème dure depuis longtemps, et peut-être depuis le rachat du site de Vergèze ?

M. Laurent Freixe. - Je sais qu'il y a des déviations, mais je pense qu'il y en a partout. Ce n'est pas spécifique à Vergèze. C'est ce qui s'est passé sur le site des Vosges et certains puits dans le Gard : si les déviations ne permettent pas d'assurer une stabilité suffisante, évidemment ces puits sont écartés. Cela fait partie des décisions que les pouvoirs publics prennent et sur lesquelles nous nous engageons. C'est un enjeu. Nous voulons préserver la qualité de la ressource naturelle et, s'il faut faire plus, nous le ferons. Nous devons absolument préserver ce patrimoine et cette ressource précieuse.

M. Laurent Burgoa, président. - Je passe la parole à Madame Guhl. Soyez la plus sénatoriale possible, ma chère collègue !

Mme Antoinette Guhl. - J'ai appris à devenir sénatoriale au cours de cette commission d'enquête et précédemment au cours de ma mission d'information. Je vais devoir cela à Nestlé, qui nous a donné à tous un peu de fil à retordre.

Monsieur le directeur, merci de vos réponses, qui pour beaucoup sont des non-réponses. Nous n'avons toujours pas de réponses aux questions que nous avons posées, mais il est beaucoup plus agréable de vous entendre que vos collaborateurs - c'est beaucoup moins agressif et fuyant.

Ma première question porte sur l'article publié ce matin sur la pollution de vos eaux. Nous savons que les eaux Nestlé Waters - Perrier, Vittel, Hépar ou Contrex - contiennent des bactéries fécales issues d'excréments, des pesticides, des PFAS, des microplastiques.

Nous apprenons aujourd'hui grâce aux journalistes, qui ont fait un travail exceptionnel, que certaines de vos sources étaient contaminées aux matières fécales 85 semaines sur 116. Vous déteniez ces informations, qui émanent de rapports internes à Nestlé Waters. Nous n'avions pas ces éléments. Vous ne pouvez pas nier aujourd'hui que vos eaux ont été contaminées, et très fortement, aux matières fécales.

Vous voulez qu'on parle de l'avenir et de la qualité de vos eaux. Ces matières fécales sont-elles d'origine humaine ou animale ? S'il s'agit de débordements de stations d'épuration, cela peut être pris en compte. Si ce sont des déjections animales, un traitement est peut-être possible... Comment avez-vous fait pour répondre à cette pollution ? Vous avez mis en place un plan de transformation, mais avez-vous seulement changé les tuyaux ? Si c'est le cas, il y a un problème...

M. Laurent Freixe. - Je n'ai pas toutes les réponses techniques. Il y a deux éléments. D'une part, la ressource naturelle est une chose et elle peut avoir des déviations. D'autre part, il y a le produit fini embouteillé, qui a toujours été impeccable et pur dans sa minéralité, bon pour la consommation. Personne ne le conteste. Je veux rassurer les consommateurs. Je ne dispose pas de tous les éléments. Nous pourrons essayer de vous apporter les réponses.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - L'eau minérale naturelle, c'est à la fois la minéralité et la pureté originelle. Les hydrogéologues, dans les conditions d'exploitation actuellement en vigueur pour les captages R4, R4 bis, R7 et R8, ont émis un avis sanitaire défavorable pour une exploitation en tant qu'eau minérale naturelle. C'est un élément tangible.

M. Laurent Freixe. - Oui, mais nous attendons aussi les conclusions de l'ARS et du préfet.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ils ont été mandatés par ces autorités. Vous contestez ce rapport ?

M. Laurent Freixe. - Je ne dispose pas de tous les éléments techniques et n'ai pas eu le temps de discuter en détail avec les responsables techniques. Ce qu'on m'a dit, c'est que certaines déviations sont un cas sur trois ans, ou sur dix-huit mois, qui a justifié cette classification. C'est l'un des points de discussion et d'évaluation. Je ne suis pas un expert technique et je respecte l'avis des hydrogéologues.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous nous avez dit que, quoi qu'il arrive, vous opériez en conformité avec la réglementation ? Si ce n'est plus de l'eau minérale naturelle, ce n'en est plus...

M. Laurent Freixe. - Je peux vous assurer que nous opérons en conformité avec la réglementation. Et je souligne encore que la qualité sanitaire et la minéralité ont toujours été respectées.

Mme Antoinette Guhl. - Vous affirmez depuis longtemps que la qualité sanitaire est respectée. Mais je le dis clairement : puisque vos eaux contiennent à la source des bactéries fécales, nous ne sommes pas à l'abri qu'elles aient pu contenir des virus, quand vous avez retiré des filtres.

L'État, sur la partie des eaux du Gard, n'a pas réalisé de tests virologiques pendant au moins six mois - de novembre 2023 à juillet 2024 - pour s'assurer de la qualité des eaux. Les analyses virologiques ont été mises en place en juillet 2024. Vous allez me dire que nous n'avons qu'à faire confiance à Nestlé. Mais non, nous ne vous faisons pas confiance, car vous avez triché sur des analyses de qualité des eaux pendant si longtemps ! Il y a une fenêtre de six mois durant laquelle nous ne pouvons pas être certains de la qualité sanitaire des eaux.

M. Laurent Burgoa, président. - Je ne suis pas totalement d'accord. À ce jour, il ressort qu'il n'y a pas eu de contamination avérée de nos concitoyens. Soyons plus sénatoriaux...

Mme Antoinette Guhl. - Nous ne sommes pas certains de la qualité sanitaire des eaux.

M. Laurent Burgoa, président. - Oui, mais il n'y a pas eu de contamination avérée.

Mme Antoinette Guhl. - Nous ne savons pas.

M. Laurent Burgoa, président. - Faisons attention. Quelles que soient nos auditions, notamment celles concernant le ministère de la santé, tout le monde a confirmé, en prêtant serment, qu'il n'y avait pas eu de contamination sanitaire avérée.

Mme Antoinette Guhl. - Je dis qu'il y a un risque sanitaire.

M. Laurent Freixe. - Je confirme vos propos, monsieur le président. Par transparence, nous sommes disposés à partager tous nos résultats d'analyses. Aucun cas n'a été avéré. La sécurité sanitaire a été parfaitement respectée à tout instant. C'est une priorité pour nous et les autorités sanitaires sont là pour contrôler que c'est bien le cas.

Mme Antoinette Guhl. - Une question me taraude depuis que nous avons entendu Madame Lienau, qui a changé de fonctions pour se consacrer entièrement à Nestlé Waters, dont vous avez fait une filiale autonome. Dans le cadre de ce changement de fonctions, quel est l'ordre de grandeur du bonus qu'elle a obtenu ?

M. Laurent Freixe. - Madame Lienau avait déjà un poste très important. Elle cumulait en fait deux fonctions : patronne des eaux pour l'Europe et patronne de Nestlé France. C'était probablement trop pour une seule personne, aussi forte soit-elle. Elle a laissé Nestlé France et s'occupe maintenant des eaux au niveau mondial. Sa rémunération a augmenté légèrement, mais pas conséquemment.

Mme Audrey Linkenheld. - Je vais essayer de synthétiser ma pensée et mes questions en fonction de ce qui a déjà été dit.

Évidemment, je suis assez tentée de préférer votre posture à celles de vos prédécesseurs devant cette commission. J'avais fait part de ma déception par rapport à l'attitude de vos collaboratrices.

M. Laurent Burgoa, président. - Notre déception ! Je l'ai exprimée aussi dans mon intervention.

Mme Audrey Linkenheld. - Je ne voulais pas impliquer mes collègues... J'étais déçue par rapport à l'image que j'avais de votre groupe et d'une filière entière, qui concerne un grand nombre de salariés, auxquels nous pensons, de même qu'aux consommateurs. Il est ici question non seulement de qualité des eaux, mais aussi de tromperie commerciale.

Je préfère votre attitude. Il n'en reste pas moins qu'on a l'impression que, chez Nestlé, faute avouée est à moitié pardonnée. Vous avez triché quelques années, mais vous allez voir le Gouvernement et les autorités, vous leur avouez, ensuite il n'y a plus de problème : vous réalisez un plan de transformation et on oublie tout ce qu'il y avait avant...

J'ai peur que votre attitude actuelle relève un peu de cela aussi. Vos collaboratrices sont venues, leur attitude ne nous a pas plu, elles sont venues avec des avocats, n'ont pas répondu aux questions, ont été fermées... Vous pensez que vous auriez dû agir différemment et vous venez, vous, directeur général, corriger un peu le tir et reconnaître que vous auriez dû faire autrement, et la commission d'enquête pardonne...

Je recherche la chaîne de responsabilités. Tant mieux s'il y a des aveux de votre part, mais nous n'avons pas pour autant la réponse à nos questions sur ce point. Nous attendons avec impatience votre revue interne, l'audit, pour savoir ce qui s'est passé avant.

Selon vous, depuis août 2023, il n'y a plus aucun traitement interdit dans les Vosges et dans le Gard. Quid avant, quid après, quid ailleurs ? La revue interne y répondra...

Vous avez cité Speak Up, c'est très bien, mais cela signifie-t-il qu'avant, il y avait don't speak up ?

Nous ne lâcherons pas sur la chaîne de responsabilités, ni avant ni aujourd'hui. J'ai beaucoup de mal à croire que vos deux directrices sont venues ici sans aucun accompagnement de la part du groupe ni aucune consigne. Ce sujet est sensible, complexe, médiatique. Nous ne sommes pas totalement ignares du monde de l'entreprise. J'ai du mal à croire qu'on les ait laissé aller seules dans la fosse aux lions, juste avec des avocats, et que tout d'un coup ce serait différent.

Pouvez-vous nous garantir de nouveau que, lorsque vos deux directrices sont venues ici, vous n'en avez pas parlé avec elles, vous n'avez pas donné de consignes ? Vous êtes en poste depuis septembre 2024, elles sont venues en avril 2025... Ont-elles fait cela de leur propre chef, sans aucun échange avec vous sur la stratégie à mener ?

Si des responsabilités sont établies après la revue interne, une fois que tout le monde aura fait un Speak Up, si des responsabilités apparaissent, avez-vous prévu - au-delà de saisir, le cas échéant, la justice - des mesures disciplinaires, des sanctions ? Nous avons posé ces questions, mais pas obtenu de réponses.

Vous avez indiqué combien le plan de transformation n'était pas simple pour les équipes et avez parlé d'un « contexte hostile » pour sa mise en oeuvre. Qu'est-ce que ce contexte hostile ?

M. Laurent Freixe. - J'ai noté cinq points.

Sur le dernier point, je faisais plutôt référence au contexte médiatique accompagnant ce sujet depuis quelques mois et qui a créé beaucoup de pression interne et externe, rien d'autre.

Sur les consignes : nous avons effectivement discuté de la manière dont il fallait se positionner dans un contexte où une procédure judiciaire a été ouverte. Peut-être que la posture visant à respecter la procédure judiciaire et à lui donner la primauté a fait que leur attitude a pu paraître fermée par rapport aux questions du Sénat ?

M. Laurent Burgoa, président. - J'ai essayé d'être le plus sénatorial et pédagogique possible...

M. Laurent Freixe. - Je sais.

M. Laurent Burgoa, président. - Je n'ai pas toujours eu le succès escompté et je le regrette. Nous apprécions que cette audition soit aujourd'hui beaucoup plus ouverte, même si sur certains points vous n'avez pas pu apporter toutes les précisions, pour des raisons qui vous sont propres. On sent une meilleure confiance entre vous et nous. Nous pouvons échanger, nous ne sommes pas devant un mur. J'ai essayé, mais cela a été compliqué...

M. Laurent Freixe. - J'ai aussi peut-être une perspective différente, n'étant pas au coeur du sujet, mais au-dessus... Cela traduit la posture de l'entreprise. C'est de cette façon que nous souhaitons travailler et opérer.

Sur le premier point, nous allons tout faire pour que cela ne se reproduise pas et que nous ne nous retrouvions pas dans la même situation, à devoir mettre sur la table quelque chose que nous devons corriger... Je ferai tout pour que cela ne se reproduise pas. Je veux être très clair par rapport à cela. C'est pour cela que la revue interne sera importante.

Speak Up fonctionne depuis très longtemps. Cela a fait débat au moment de le mettre en oeuvre dans le groupe, car il y a des cultures différentes. Dans certains pays, cela paraissait évident de le faire. Dans d'autres, la dénonciation était plus sensible. Le système fonctionne depuis des années. Nous recevons chaque année plus de 3 000 alertes : elles donnent lieu, systématiquement, à une enquête et nous permettent parfois de détecter des fraudes ou des problèmes de conformité, ce qui nous permet de nous améliorer. Tel est l'esprit : soyons à l'écoute. Nous souhaitons être parfaits, mais nous ne le sommes pas.

Si les équipes, les fournisseurs ou l'environnement permettent de détecter un problème, cela nous permet de le résoudre. Nous ferons tout pour l'éviter en amont afin de ne pas passer notre temps à corriger des problèmes du passé. La meilleure posture est de faire les choses bien, par définition. Telle est notre posture. C'est pour cela que je souhaite tirer les leçons du passé. C'est ce que nous faisons et nous en tirerons les conséquences si des mesures sont à prendre.

Je comprends vos questions, elles sont légitimes. Soyez assurés que notre état d'esprit est de faire les choses d'emblée dans la conformité. Je ne veux pas que les équipes passent leur temps à corriger des choses réalisées non conformes à nos valeurs, à nos principes ou à la réglementation.

M. Olivier Jacquin. - Madame Linkenheld suppose que votre attitude actuelle est d'avouer une faute pour qu'elle soit à moitié pardonnée. Vous n'avez pas réagi sur ce point.

Vous avez répondu à Madame Housseau que la qualité sanitaire des produits a toujours été garantie et respectée, ce que je crois. Vous ajoutez que « la promesse a été tenue ». Vous évoquez la promesse commerciale : derrière l'eau minérale naturelle, il n'y a pas de filtration. Comment pouvez-vous l'affirmer, alors qu'il y a eu plusieurs décennies de fraudes aux eaux minérales naturelles ?

M. Laurent Freixe. - Je comprends. C'est tout le débat technique. Je faisais référence aux dernières années où nous avons opéré dans la conformité, en accord avec les arrêtés préfectoraux, permanents ou temporaires, à tout moment.

Sur l'idée de la faute à moitié pardonnée : notre état d'esprit est de mettre les choses sur la table, de reconnaître que nous ne sommes pas parfaits, mais qu'en faisant face aux problèmes, on peut les résoudre. C'est un premier pas, critique, pour nous améliorer et nous assurer que nous sommes en conformité avec nos valeurs, nos principes et la réglementation. C'est davantage cela que faute avouée à moitié pardonnée.

M. Olivier Jacquin. - J'apprécie ce nouvel état d'esprit. Ce n'est pas ce que nous avons eu devant nous ces dernières semaines.

M. Laurent Freixe. - C'est l'état d'esprit Nestlé. Je regrette que nous n'ayons pas su le faire passer avant. Je peux vous assurer que c'est le Nestlé que je connais, que j'aime et que je souhaite que tout le monde ait en face de lui comme interlocuteur. C'est l'état d'esprit avec lequel nous allons travailler, je peux vous l'assurer.

Mme Antoinette Guhl. - Vous parliez d'hostilité médiatique. Est-il vrai que vous avez réuni l'ensemble des patrons de presse il y a quelque temps en interdisant aux enquêteurs, qui pourtant ont beaucoup travaillé sur votre sujet, d'être présents à ce rendez-vous médiatique ?

M. Laurent Freixe. - Je suis Français et j'ai travaillé longtemps en France, mais en fait je suis assez peu connu du microcosme et de l'environnement national. Dans mes responsabilités, et c'est normal, comme je l'ai fait en Suisse, en Angleterre, en Chine, j'essaie de rencontrer des personnes pour expliquer ma vision, ma perspective sur Nestlé - en l'occurrence ici, Nestlé en France : les enjeux, notre vision, de façon très ouverte et très informelle. Tous les médias ont été invités, y compris ceux qui sont les plus critiques vis-à-vis de Nestlé. Chacun fait son travail. Les médias font le leur et nous n'avons exclu personne. Il est vrai qu'il n'y avait qu'un représentant de chaque média, mais personne n'a été exclu.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comme certains de vos prédécesseurs, vous avez finalement des mots peu aimables pour la presse. Or la presse a réalisé un travail formidable : sans elle, personne n'aurait jamais rien su de ce qui se nouait chez vous. Les quelques mesures de transformation que vous évoquez sont aussi dues au travail de la presse.

Vous parlez de culture Nestlé. Avec le groupe socialiste, nous avons tenu à créer cette commission d'enquête justement en raison de la mauvaise réputation de Nestlé sur certains sujets. Nestlé, pour nous en France, c'est aussi Buitoni. Cela veut dire quelque chose en matière de sécurité sanitaire.

J'entends ce que vous avez dit à Madame Linkenheld : il n'y aura plus d'impunité chez Nestlé. Dans cette affaire, ceux qui ont été en responsabilité ne verront pas leur carrière continuer comme si de rien n'était, ou ne subir aucune mesure disciplinaire qui s'impose devant une telle fraude.

Il est aussi question du consommateur : nous apprenons aujourd'hui que la pureté originelle de l'eau dans le Gard n'est pas au rendez-vous, selon les hydrogéologues mandatés. Que dites-vous à vos consommateurs ? Allez-vous faire un geste ? Jusqu'à aujourd'hui, ce qui est encore vendu comme de l'eau minérale naturelle n'en est plus, selon les hydrogéologues. Or la dénomination commerciale est toujours en vigueur. L'usine ultramoderne que nous avons visitée fait sortir chaque seconde des dizaines de bouteilles de Perrier. Que dites-vous aux consommateurs ?

Que ce serait-il passé si nous ne vous avions pas convoqué pour cette audition ? Qu'est-ce qui a été mis en place pour préparer cette audition ? Ce Speak Up, ce cadre de conduite professionnelle, cette revue interne étaient-ils programmés auparavant ou est-ce la perspective de venir au Sénat qui vous a « stimulé » ?

M. Laurent Freixe. - Vous m'avez convoqué il y a deux semaines. Ce plan d'action était mis en oeuvre depuis quelques mois déjà, même plusieurs années pour certains aspects. Rien n'a été défini dans le cadre de cet entretien. Nous avons décidé de vous donner cette visibilité sur ce que nous avons décidé pour renforcer nos systèmes de contrôle, comprendre ce qui s'est passé précédemment et éviter que cela ne se répète.

La posture de l'entrepreneur et du dirigeant est d'agir dans le présent pour préparer le futur, mais il est aussi important de comprendre le passé pour en tirer les leçons et éviter que cela ne se répète. Telle est notre posture depuis quelques mois.

Je suis absolument d'accord avec vous sur les médias. Je lis, en tant que lecteur, ces médias qui nous critiquent. La critique fait partie du jeu médiatique. Elle nous amène à nous interroger et à nous améliorer. Je n'ai jamais critiqué les médias, et vous ne m'entendrez jamais les critiquer. Je les soutiens. Je faisais juste référence au fait que le bruit médiatique n'a pas été facile à gérer pour les équipes. J'ai le plus profond respect pour les médias.

L'affaire Buitoni est une affaire malheureuse, douloureuse, tragique ; elle est en particulier très douloureuse pour les familles. Nous en assumons aussi toutes les conséquences. Elle a été très douloureuse pour l'entreprise, mais c'est une affaire disjointe.

Concernant les eaux minérales, je rappelle qu'il n'y a aucun problème sanitaire et que la minéralité a été respectée. Le rapport des hydrogéologues, qui fait référence à des déviations, émet des recommandations pour l'ARS et les autorités préfectorales qui devront en tirer les conclusions. Je ne veux pas les anticiper.

Certes, le devoir du dirigeant est d'anticiper tous les scénarios possibles ; nous nous y préparons, dans l'esprit de maintenir l'activité. Vous pouvez compter dessus. Nous ne fermons pas la porte. Nous restons engagés, mais nous cherchons un partenaire pour investir et valoriser ce patrimoine exceptionnel du Gard.

M. Laurent Burgoa, président. - Il y a quelques semaines, nous avons pris avec le rapporteur la bonne décision, celle de vous inviter. Face au mutisme ou à l'absence de réponse des responsables de Nestlé Waters France et Nestlé Waters Europe, nous avons tenté de laisser une dernière chance à Nestlé. Il était beaucoup plus agréable d'échanger avec vous. Nous vérifierons vos annonces. Je vous remercie de ces échanges.

Nous recevrons encore, pour une dernière audition, Monsieur Aurélien Rousseau, avec sa double casquette d'ancien directeur de cabinet de la Première ministre, Élisabeth Borne, et d'ancien ministre de la santé.

Le rapport sera examiné et soumis au vote le 15 mai et nous le présenterons ensemble le 19 mai.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 10.