Mercredi 9 avril 2025

- Présidence de M. Alain Milon, président -

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Audition de M. Mathieu Bellahsen, psychiatre, auteur d'un ouvrage intitulé Abolir la contention

M. Alain Milon, président. - Mes chers collègues, nous recevons aujourd'hui M. Mathieu Bellahsen, psychiatre et auteur d'un ouvrage intitulé Abolir la contention. Cette audition pourrait être utile aux travaux de la mission d'information de notre commission sur l'état des lieux de la santé mentale en France depuis la crise sanitaire, qui est actuellement menée par Jean Sol, Daniel Chasseing et Céline Brulin. En complément, la Mecss devrait prochainement également auditionner Raphaël Gaillard, professeur de psychiatrie et responsable du pôle hospitalo-universitaire de psychiatrie du centre hospitalier Sainte-Anne.

Monsieur Bellahsen, je vous remercie d'avoir accepté notre invitation. Je vais vous laisser la parole pour un propos liminaire, avant que les sénateurs puissent vous interroger.

M. Mathieu Bellahsen, psychiatre. - Merci beaucoup pour votre invitation à m'exprimer devant vous.

Je vous précise qu'il y a plusieurs types de contention, mais que je parlerai de la contention mécanique, c'est-à-dire avec des sangles. Cette pratique n'est encadrée légalement que dans les services de psychiatrie adulte, mais pas dans les services de médecine, en réanimation, dans les foyers, aux urgences, etc.

Les travaux de Magali Coldefy de l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes), montrent qu'en 2023, quelque 8 000 personnes ont été attachées dans les services de psychiatrie adulte, c'est-à-dire sans inclure les urgences et les autres services. Ce nombre de 8 000 personnes attachées est à mettre en regard des 30 000 personnes en isolement tous les ans dans les services de psychiatrie adulte, ainsi que des 80 000 personnes hospitalisées sans leur consentement dans les hôpitaux. En effet, l'un découle de l'autre : vous êtes hospitalisé sans consentement, puis enfermé, puis attaché.

Dans mon ouvrage, que vous avez cité, j'ai recueilli des témoignages de personnes qui ont vécu cette expérience. Je vais vous en lire un : « J'ai toujours les souvenirs de ces contentions, de ces sangles serrées sur ma peau. Après ma dernière hospitalisation de 2021, j'avais accumulé un bon stock de traumas dus aux violences psychiatriques. Retrouver une place confortable dans un lit normal me paraissait compliqué. Souvent, je me tortillais plusieurs fois avant de dormir pour trouver une position confortable et j'avais des flashbacks remontant à ces expériences. Je m'endormais parfois plus recroquevillé qu'un foetus. La nuit, je bougeais tellement que ma tête se retrouvait au pied du lit. Depuis 2016, pas un seul jour ne passe sans que j'y pense. Il est dur de garder le silence après avoir vécu de telles choses et surtout de dormir sur ses deux oreilles en sachant que d'autres vivent encore ces horreurs dignes du Moyen Âge dans la France d'aujourd'hui ». Voilà le vécu d'un patient.

Pour évoquer mon expérience personnelle, j'ai été psychiatre, médecin, chef d'un service de psychiatrie en banlieue parisienne pendant plusieurs années. Dans mon établissement, nous n'avions pas recours à la contention alors que nous recevions les mêmes patients que tout le monde, hospitalisés avec ou sans leur consentement. On travaillait dans une ambiance familiale de soins entre les patients et l'équipe et leur famille.

Les pratiques sont donc diverses. En termes statistiques, une étude dénommée Plaid-Care, qui sera rendue publique le 5 juin à Saint-Cyr-au-Mont-d'Or, mettra en lumière la proportion d'hôpitaux qui faisaient sans contention ou avec un moindre recours aux mesures de contraintes. Il apparaît que 15 % des lieux d'hospitalisation se passent de contention ou en font peu, tandis que 85 % d'entre eux ont une pratique régulière, très régulière, voire intensive de la contention.

Un bon moyen d'améliorer les choses, sans coût pour les finances publiques, serait d'affirmer dans le droit que la contention mécanique n'est pas un soin. Le contrôleur général des lieux de privation de liberté partage cette vision. Dire que c'est une pratique de sécurité qu'il peut être nécessaire d'employer, c'est une chose, mais dire que c'est un soin permet aux soignants de se déresponsabiliser de ces pratiques qui, comme le montre le témoignage que je vous ai lu - et il y en a plusieurs - peut traumatiser, voire retraumatiser, les patients. En effet, une très forte proportion de patients en psychiatrie souffre de troubles graves après avoir subi des incestes, des agressions sexuelles, bref des choses qui rendent malade. Pour ces patients, la contention, par son dispositif même, renvoie à un imaginaire négatif de pouvoir, de domination, voire à un vécu de viol. Cela va aussi contre le vécu des soignants, qui, quand ils attachent, ne se sentent pas bien et se sentent même parfois honteux de ces pratiques.

On dit souvent que la contention est la conséquence d'un manque de moyens. C'est vrai, mais j'ajouterai que c'est surtout une question de culture de soins. Ainsi un documentaire sur l'hôpital Sainte-Anne en date de 2011 montre que même lorsqu'il n'y avait pas de problème de personnel dans cet établissement, on pratiquait la contention. Si l'hôpital est parvenu à faire interdire ce documentaire, les familles et les patients ont porté plainte auprès du conseil de l'Ordre des médecins, ce qui a abouti à une interdiction d'exercer la médecine pendant un an avec sursis et trois mois de prison ferme pour les deux médecins-chefs. D'autres pratiques et le langage employé à l'égard des patients participaient de ce que je qualifie de « culture de l'entrave ».

D'autres pays font état de réduction des pratiques coercitives et notamment de contention. On peut, dès lors, se demander pourquoi beaucoup d'hôpitaux qui ont eu des recommandations, voire des recommandations urgentes du contrôleur des libertés pour dire qu'il y a des pratiques qui sont indignes, maltraitantes, etc. n'ont pas de problème pour obtenir de nouveau l'agrément qui leur permet de recevoir des patients hospitalisés sans consentement. À l'inverse, un établissement comme le centre hospitalier Buëch-Durance, à Laragne, près de Gap, n'a jamais eu de chambre d'isolement et reçoit tous les patients de la même façon, qu'il s'agisse des patients hospitalisés par le préfet, des patients hospitalisés sans consentement ou des patients hospitalisés librement. Et c'est cet établissement à qui l'agence régionale de santé (ARS) dit qu'à défaut de construire des chambres d'isolement, il n'obtiendra pas les autorisations d'exercice de la psychiatrie. En somme, dès qu'on s'écarte de la culture un peu dominante de contraintes, on est pénalisé.

Sortir de ce que j'appelle le « système contentionnaire » nécessite donc des moyens car les réductions de postes ou le développement de l'intérim favorisent la contention. Mais aussi un changement de culture à tous les échelons. C'est en ce sens qu'il faut arrêter de dire que poser des sangles est un soin.

Pour conclure ce propos liminaire, je dirai qu'il faut associer les patients. Les patients peuvent apprendre aux soignants et aux responsables politiques aussi. Je vous engage d'ailleurs à recevoir des associations d'usagers qui ont vraiment vécu l'hospitalisation sous contrainte. Cela permet de modifier le regard qu'on porte sur les autres, ainsi que la façon dont on se parle les uns avec les autres.

Mme Raymonde Poncet Monge. - Vous parlez d'associer les patients, mais les pairs, comment convient-il de les associer, y compris dans le soin ? Comment les intégrez-vous, de manière concrète ?

M. Mathieu Bellahsen. - Je me réfère à la psychothérapie institutionnelle, c'est-à-dire l'idée selon laquelle il faut soigner les lieux de soins pour pouvoir bien soigner les patients, puisque les lieux de soins ont leurs propres aliénations, leur hiérarchie et ses effets.

Pour ce faire, il y a des techniques assez simples, des techniques de réunion, par exemple. Dans le service que je dirigeais, on avait une réunion sur l'unité d'hospitalisation toutes les semaines avec tout le monde, les patients et les soignants. Cela permettait de parler du quotidien, par exemple de la chambre d'isolement mais aussi de questions telles que la représentation des usagers.

Par exemple, j'ai un jour incité un patient qui se plaignait parce qu'il n'y avait plus de lait à l'hôpital depuis une semaine, à saisir la commission des usagers. Un autre patient a ensuite voulu savoir qui il y avait au sein de cette commission. Sachant que seuls les représentants des familles y siégeaient, il a protesté, faisant valoir que sa propre famille voulait l'enfermer et que s'il n'y avait que des familles comme ça pour représenter les usagers, cela n'allait pas le faire. Du coup, on a fait tout un travail pour que les patients puissent se représenter eux-mêmes. Du strict point de vue de la justice administrative, il n'y a pas de distinction entre usagers familles et usagers patients. C'est problématique car on ne défend pas les mêmes choses quand on est patient ou membre de la famille.

Les échanges avec les patients permettent aussi de leur faire partager les contraintes de l'hôpital, ce qui diminue également le niveau d'agitation dans les services.

Ce dialogue est une pratique. On l'avait institutionnalisé en créant un conseil local de santé mentale qui existe toujours et où siègent des usagers du secteur. Tout cela permet que les gens se saisissent des questions qui les préoccupent. Cela permet aussi de modifier les rapports entre soignants-patients - et plus largement dans la société.

Dans un autre registre, nous avons travaillé avec un théâtre. Les patients pouvaient raconter sur scène comment ils se sentaient, les difficultés qu'ils pouvaient avoir quand ils étaient hospitalisés.

Hélas, les normes et les contraintes actuelles rendent plus difficile l'organisation de telles expériences. De fait, plus les établissements sont saturés, plus vite il est nécessaire de faire sortir les patients, moins bon sera leur état à la sortie et moindre sera la confiance entre eux et nous.

M. Jean Sol. - Je mène en ce moment avec Céline Brulin et Daniel Chasseing une mission d'information sur la santé mentale depuis la crise sanitaire. Au cours de nos auditions, il nous a été rapporté que, dans la psychiatrie sectorielle, l'obligation de recevoir des patients en soins sans consentement et la nécessité de rendre compte de chaque mesure d'isolement ou de contention, notamment devant la justice, affectent fortement les conditions de travail et alimentent la perte d'attractivité du métier de psychiatre hospitalier. Est-ce que vous partagez ce constat, ainsi que vous l'avez laissé entendre ?

M. Mathieu Bellahsen. - Oui et non. Je trouve positif le fait que le regard de contre-pouvoirs tels que le juge de la liberté et de la détention rende moins facile le fait d'enfermer les gens, de les isoler ou de les attacher. Cela nous permet de nous interroger sur la pertinence de nos actes.

Je pense que c'est surtout le conflit éthique que vivent beaucoup de soignants qui pèse sur l'attractivité du métier. Presque personne n'aime enfermer ou attacher des patients.

Au fond, on sait ce qui soigne : prendre le temps nécessaire avec chacun et avoir des dispositifs qui permettent d'éviter que les angoisses ne se transforment en agitation. À l'inverse, quelqu'un qui va passer dix heures à attendre aux urgences peut s'angoisser, donc s'agiter et, in fine, se retrouver attaché puis en chambre d'isolement et en contention. Un tel processus relève de la « pathoplastie », c'est-à-dire que les dispositifs de soins créent de la pathologie, ou plus exactement de la surpathologie. Ajoute de la pathologie à la pathologie.

Ce sont des choses de ce type qui font partir des personnes comme moi de l'hôpital public. Je pense aussi aux enfermements illégaux que j'ai dénoncés pendant le premier confinement et qui m'ont valu d'être reconnu comme lanceur d'alerte par le Défenseur des droits.

En fait, il faudrait tout revoir pour changer les choses en matière d'attractivité. Revoir le fait qu'à part cinq cliniques dans toute la France, seul l'hôpital public reçoit des hospitalisations sans consentement et subit toutes les contraintes sans disposer des moyens adéquats. Cela peut provoquer du désespoir chez les soignants, auquel répond le désespoir des patients et de leurs familles, en particulier quand on attache des personnes alors qu'on sait qu'on aurait pu faire autrement.

Le manque de moyens nous contraint souvent à des dilemmes, comme un arbitrage entre un déplacement chez un patient que l'on sait nécessaire et le fait de devoir annuler de nombreuses consultations de patients qui en auraient besoin afin d'effectuer ce déplacement...

Consacrer à chacun le temps nécessaire, dans une démarche de prévention, permet la désescalade, comme l'a recommandé la Haute Autorité de santé (HAS) en 2017 et comme le dit la littérature internationale.

Mme Céline Brulin. - Si j'ai bien compris, les psychiatres se disent embolisés par le travail de certification qu'ils doivent effectivement faire dans les cas d'isolement ou de contention, mais également dans le cas d'hospitalisation sous contrainte. Or, cela n'appartient pas au choix du psychiatre mais à celui du représentant de l'État. En tout cas, nous avons entendu que chacun adhère au fait de devoir rendre des comptes.

Ensuite, en matière de contention, vous dites qu'on ne peut pas la considérer comme un soin, ce qui me semble évident, mais qu'elle peut être une mesure de sécurité. Dès lors, quelles pourraient être les mesures alternatives à la contention pour cette dimension de sécurité ?

Par ailleurs, je comprends votre réflexion quant à l'aspect systémique de la contention. Je comprends parfaitement qu'une désescalade institutionnelle est nécessaire. Mais dans des cas de crise précis, comment doivent faire les professionnels ? Et vous dites que ce n'est pas seulement lié au manque de professionnels, mais quand même. Je pense que des services d'urgence embolisés qui doivent recevoir des patients en pleine crise, violents pour les autres, mais aussi pour eux-mêmes, cherchent - et on ne peut pas leur en faire le reproche - des moyens de sécuriser tout le monde.

Et enfin, beaucoup nous ont aussi dit que le métier d'infirmier de secteur psychiatrique (ISP), qui n'existe plus, n'était peut-être pas miraculeux mais permettait de répondre à des situations concrètes. Quel est votre avis là-dessus ?

M. Mathieu Bellahsen. - Sur la question des hospitalisations sans consentement, je vous renvoie au travail d'un de mes collègues, Pedro Serra, qui est médecin-chef à Bondy et qui a bien montré qu'en travaillant sur l'ambiance dans le secteur de la psychiatrie et en se rendant disponible, on peut diminuer le nombre d'hospitalisations sans consentement et faire qu'il n'y ait quasiment que des hospitalisations libres.

S'agissant de la question de la sécurité, je m'appuie sur ma pratique. Dans mon service d'hospitalisation, il n'y avait pas de contention même s'il y avait des crises d'agitation. En premier lieu, il y a une façon de se positionner, de ne pas prendre pour soi quand un patient va vous insulter ou dire des choses graves. Face à une personne malade, un soignant doit essayer de prendre en charge sa maladie et pas ses propos. À cet égard, l'inflation de plaintes contre les patients pour des propos me laisse songeur... De plus, la violence du patient répond aussi à toute une série de violences - comme ne répondre qu'à la seizième fois à l'une de ses demandes. On devrait parfois s'interroger sur ce qui conduit une personne hors de ses gonds. Et quand une telle situation se présente, s'il y avait du monde dans les services, vous pourriez faire appel au renfort, ce qui en général, calme les choses.

J'ajoute que la contention s'est développée aussi parce que de plus en plus de soignants préfèrent attacher les gens que les sédater. Pour ma part, en tant que psychiatre, je préférais que les gens dorment pendant deux jours et après diminuer les traitements et puis qu'ils reviennent, plutôt que de les attacher. On peut s'ajuster vraiment très vite. On avait donc recours à ça et puis à l'isolement. Aux urgences, ce n'est pas la même chose et je ne peux pas apporter un témoignage direct. Mais là aussi, je pense que des locaux calmes et adaptés et des traitements alternatifs permettraient souvent d'éviter la contention mécanique.

Enfin, si l'absence de moyens crée un surplus de contention, il peut y avoir aussi de la contention quand il y a des moyens - d'où la nécessité développer des cultures de soins où la parole des patients va être respectée. Donner du crédit à la parole, même délirante, des patients, peut permettre de remonter jusqu'à l'origine d'un traumatisme et de mieux comprendre sa situation.

Pour ce qui concerne les ISP, ils passaient beaucoup de temps en formation avec les patients psychiatriques. Ils étaient dans les services très jeunes et apprenaient le métier dans la rencontre avec les patients. C'est un peu comme cela que j'ai appris le métier de psychiatre et je témoigne du fait que cela modifie la façon de rentrer en relation. Désormais, la formation initiale dans les instituts de formation en soins infirmiers (Ifsi) comporte très peu de modules de psychiatrie. Les étudiants passent en stage de manière très rapide et les formations sont empreintes de sécuritaires. Ainsi, on va transmettre, sans trop le vouloir, la peur des patients. On pourrait dire la même chose de la formation des psychiatres. Là aussi, les étudiants passent beaucoup moins dans les services de psychiatrie ordinaire, et doivent quasiment faire que des stages en services universitaires où on ne voit pas les mêmes patients. Il faut des formations faites à partir des patients, de leur vécu, des pairs aidants.

M. Alain Milon, président. - Je voudrais vous raconter une petite expérience que j'ai vécue quand j'étais maire. J'ai reçu un appel me disant : « Monsieur le maire, il faut que vous veniez vite, on a un forcené qui est en train de s'installer au centre-ville ». Quand je suis arrivé, il y avait le préfet, le procureur, les gendarmes et le GIGN. Et on me dit : « C'est untel, il est enfermé dans son appartement, il menace de tout faire exploser ». La situation était assez angoissante. Sachant que l'intéressé était un malade psychiatrique, on a appelé son psychiatre qui, avant que le GIGN n'intervienne, a appelé son infirmière psychiatrique. Celle-ci, malgré nos protestations, nous a demandé de la laisser aller voir son patient. De fait, elle y est allée et, une heure après, tout était réglé.

Mme Annie Le Houérou. - S'agissant de la formation des infirmiers, je suppose qu'il est possible de se spécialiser dans l'accompagnement de la santé mentale, n'est-ce pas ?

Il y a aussi des référentiels de formation, parce que c'est bien un problème de formation que vous évoquez, et de manière d'accompagner. Moi, j'ai pu échanger avec des professionnels psychiatres et des ISP dans des établissements d'accueil de personnes en difficulté psychique.

Et puis, sur la contention, ce qui revient tout le temps, c'est la question du manque de temps, donc des moyens. J'ai le sentiment que les professionnels sont souvent malheureux d'accompagner leurs patients de manière forcée.

Enfin, même si ce n'est pas notre sujet du jour, la contention chimique, peut aussi s'imposer en situation d'urgence, quand on échange avec les professionnels.

M. Mathieu Bellahsen. - En fait, il faut savoir comment la formation des soignants crée, ou ne crée pas, de la confiance pour la relation avec les patients. Si vous êtes un super technicien mais que vous ne faites pas ce qu'a fait l'infirmière de votre anecdote, monsieur Milon, il vous manquera quelque chose. Cette infirmière connaissait son patient depuis un certain temps et, pour cette raison, elle n'avait pas peur.

Je ne connais pas bien la formation des infirmiers en pratique avancée (IPA). Sont-ils des « super techniciens de surface psychique » ou des techniciens de la relation ? Ce n'est pas la même chose. S'agissant des psychiatres, on les pousse plutôt à être des super techniciens, connaissant très bien les médicaments. Mais comme le disent les associations de patients, plus la consultation est courte, plus l'ordonnance est longue. Je crois qu'il est important de savoir comment on parle, comment on fait, comment on se place, etc. Aborder les choses de manière uniquement technique, avec des grilles comportementales par exemple, peut avoir un effet rassurant pour les équipes mais ne traite pas le fond du problème.

Puisque vous avez parlé de sécurité, je vous assure que la peur est bien présente. Les gens ont de plus en plus peur parce qu'ils sont de moins en moins en contact. Or le contact permet de désescalader énormément de choses. Cette disposition d'esprit doit être transmise dans les formations, mais aussi dans les lieux de soins.

J'ai une autre anecdote qui l'illustre et dont je parle dans mon livre. Un samedi matin, on m'appelle pour traiter la situation d'un jeune homme très agité. Quand je suis arrivé dans la chambre d'isolement, neuf personnes étaient autour de lui et l'équipe me dit qu'il faut l'attacher parce qu'il a failli sauter sur une collègue. Je me suis rapproché de ce jeune homme, qui était mutique et était tendu. Avisant mes deux collègues infirmiers, on lui a proposé un massage, qu'il a accepté en ne parlant qu'à moitié, parce qu'il avait plutôt des troubles autistiques. Au bout de trois quarts d'heure, une voiture a klaxonné dans le parc de l'hôpital, ce qui a permis d'engager la conversation car on parlait souvent de voitures ensemble. Comme il a alors évoqué avec insistance la voiture de sa mère, on a pu se rendre compte du fait que sa mère, qui devait venir quelques jours plus tôt, n'était finalement pas venue. Là pouvait être le sens de son agitation. Le patient a fini par se détendre, j'ai modifié un peu son traitement mais on ne l'a pas attaché et ça a tenu plusieurs jours comme cela. Les collègues de ce service ont demandé à être formés au massage enveloppant mais ce n'est qu'une technique. Le plus important est de se placer dans une certaine disposition auprès des patients quand ils ne vont pas bien.

J'ai aussi visité une clinique en banlieue parisienne qui a fait tout un travail de désescalade avec une salle d'apaisement, une salle de stimulation et plein de choses avant d'arriver à la chambre d'isolement. Les soignants s'en sont saisis et ce travail a permis de diminuer les recours à la contention. Les patients eux-mêmes demandent à aller dans la salle d'apaisement pour écouter de la musique douce. En somme, plus on développe des dispositifs intermédiaires et plus on a de chances de se passer du dispositif le plus contraignant.

Mme Raymonde Poncet Monge. - S'agissant des moyens, je relève que dans votre anecdote, neuf personnes sont déjà présentes quand vous arrivez...

Mais je partage votre appréciation sur le caractère culturel de la contention. Pourquoi seulement 15 % des lieux d'hospitalisation se passent-ils de contention ou en font-ils peu, comme vous l'avez dit ?

M. Mathieu Bellahsen. - Ce n'est pas si mal, 15 %, je pensais que ce serait moins et j'espère que ce taux va augmenter.

Mais les portes des lieux de soins se sont fermées. Je pense qu'il y a un rapport entre la contention et le fait que les portes soient ouvertes ou fermées. Si, quand les patients ne se sentent pas bien, ils peuvent faire un petit tour dans le parc, c'est mieux. Avec une porte qui est fermée, ils ne peuvent pas aller courir dehors. Du coup, ils s'agiteront davantage, avec un risque accru d'escalade.

Au-delà des portes qui se ferment, je pense qu'il faut essayer de nous décloisonner aussi dans nos têtes. À partir du moment où on considère les patients comme étant nos prochains - et ça peut nous arriver à toutes et tous d'être hospitalisés - on ne se dit plus qu'il y a les malades mentaux d'un côté et nous de l'autre. Les campagnes de déstigmatisation, la grande cause nationale, tout cela est très bien, mais cette démarche doit concerner tout le monde.

M. Alain Milon, président. - Merci pour cet échange très intéressant.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 17 h 25.