Mardi 29 avril

- Présidence de M. Olivier Rietmann, président -

La réunion est ouverte à 14 h 35.

Table ronde : « les entreprises françaises dans la guerre commerciale »

M. Olivier Rietmann, président. - Mes chers collègues, Messieurs les Présidents, nous vous remercions chaleureusement pour votre présence à cette table ronde ayant pour thème : « les entreprises françaises dans la guerre commerciale ». L'actualité impose de vous donner la parole alors que les entreprises que vous représentez sont prises en étau entre une pression commerciale internationale sans précédent et une situation économique nationale marquée par l'endettement - la dette publique culmine désormais à plus de 3 300 milliards d'euros et les charges d'intérêts à 59 milliards par an.

Le terme de guerre commerciale largement repris ces dernières semaines n'est pas choisi au hasard. Aujourd'hui, nous ne sommes plus dans une période d'échanges ouverts et gouvernés uniquement par les lois du marché. Nous sommes entrés dans une ère marquée par le retour de rapports de force géopolitique, de protectionnisme et d'une concurrence sur les plans tarifaires, technologiques et industriels. Le mercredi 2 avril, Donald Trump annonçait de nouveaux droits de douane qu'il entendait imposer aux importations en provenance de 185 pays, avec des taux allant jusqu'à 145 % sur les importations chinoises. Mais les multiples volte-face du président américain font que l'on ne peut même plus compter avec certitude sur les dernières annonces de son administration précisant que les 10 % de droits de douane seraient finalement un plafond et non un plancher pour l'Union européenne (UE).

L'Asie, devenue en quelques décennies un géant économique qui impose ses normes à l'Europe, va devoir trouver de nouveaux débouchés dans cette guerre commerciale. On peut donc craindre un effet domino avec le déversement massif des surcapacités industrielles chinoises sur un marché européen déjà saturé de produits asiatiques. C'est donc une menace supplémentaire pour la France. La ministre déléguée chargée du Commerce, de l'Artisanat et des PME (petites et moyennes entreprises), Véronique Louwagie, nous indiquait déjà le 10 avril dernier que 28 000 entreprises sont directement concernées par ces mesures tarifaires, dont 40 % réalisent plus de la moitié de leur chiffre d'affaires à l'exportation. Mais en réalité, elle estime que 48 000 entreprises seront affectées avec un impact qui varie selon les secteurs d'activité.

Heureusement, nous disposons d'atouts en France. Je pense par exemple au capital humain que sont nos ingénieurs, ouvriers qualifiés, chercheurs. Je pense par exemple à notre base industrielle et technologique de défense ou encore au savoir-faire français reconnu dans le monde entier. Dans l'agroalimentaire, le luxe, l'aéronautique, les technologies vertes, nos entreprises incarnent notre capacité à exister dans un monde hyperconcurrentiel.

Cependant, nous sommes aujourd'hui à un tournant. Soit nous nous mobilisons pour favoriser la compétitivité et la rentabilité de nos entreprises, soit nous nous trompons d'objectif et alors nous aurons rapidement cette guerre et devrons en subir les conséquences en termes de dépendance, de rentabilité et d'emploi. La menace ne vient pas toujours de l'extérieur. Quand j'entends le ministre de l'Économie dire que « les entreprises devront accepter d'être moins rentables », j'y vois une menace interne. Toute aussi inquiétante est la charge de Jacques Attali qui appelle à ne pas idéaliser nos entrepreneurs, estimant que la moitié, sinon les trois quarts d'entre eux, empoisonnent le monde par leurs produits. Il est temps de réintroduire un peu de bon sens et de culture économique dans les débats, et c'est la raison de nos travaux.

Messieurs les Présidents, je vous remercie de vous être mobilisés aujourd'hui, car il est crucial de vous entendre pour comprendre tout d'abord comment vous évaluez l'impact de la guerre commerciale sur les entreprises que vous représentez. Vous pourrez évoquer l'accès au marché, les coûts d'importation, les problématiques de dépendance. Puis, vous pourrez nous dire quelles sont, dans ce contexte très incertain, les priorités que nous devrions afficher pour aider les entreprises françaises à rester compétitives. Les arbitrages sur le budget pour 2026 débutent déjà, et nous devons impérativement ne pas nous tromper de combat.

C'est pour identifier les leviers d'action, pointer les obstacles, mais aussi tracer des perspectives ambitieuses pour les entreprises françaises que nous allons entendre cet après-midi nos invités :

- Michel Picon, président de l'Union des Entreprises de Proximité (U2P) ;

- Amir Reza-Tofighi, président de la Confédération des Petites et moyennes entreprises françaises (CPME) ;

- Frédéric Coirier, co-président du Mouvement des entreprises de taille intermédiaire (METI) ;

- Fabrice Le Saché, vice-président du Mouvement des entreprises de France (Medef).

Messieurs, je vous laisse la parole pour un propos liminaire de huit à dix minutes chacun, puis nous aurons un temps d'échange avec mes collègues de la délégation. Je rappelle que cette table ronde est retransmise en direct sur le site Internet du Sénat, puis en vidéo à la demande ensuite. Je laisse immédiatement la parole au Président Michel Picon.

M. Michel Picon, président de l'U2P - Je représente des petites entreprises qui, bien qu'éloignées en apparence de ces enjeux, sont impactées car elles interviennent souvent en sous-traitance dans la chaîne de valeur. Les marchés qu'elles peuvent avoir avec de grandes entreprises exportatrices vont perturber leur fonctionnement et leurs marges, créant beaucoup d'inquiétudes.

Certains secteurs comme la facture d'instruments de musique exportent beaucoup vers les États-Unis. Ce secteur représente 220 millions d'euros d'activité dont plus de 26 % sont exportés vers ce pays. Ces entreprises se retrouveront en difficulté face aux nouveaux droits de douane.

Nous avons salué l'action menée par le Gouvernement, qui nous associe depuis le premier jour par des échanges réguliers, rendant cet environnement anxiogène un peu plus paisible. Je salue notamment la sollicitation de la direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF).

La fermeture du marché américain aux produits chinois nous inquiète. Le déferlement de ces produits sur l'Europe et la massification des colis à moins de 150 euros ont déjà mis à mal nombre de nos petits commerces. La Chine va chercher à écouler ailleurs ce qu'elle ne peut plus vendre aux États-Unis. Nous nous demandons quelle sera l'ampleur de cet envahissement.

La première réponse doit être européenne. La France seule aura du mal à résister face à ces mesures dont l'évolution reste incertaine. Nos petites entreprises se relèvent difficilement de plusieurs crises successives : une crise sanitaire pendant laquelle elles ont dû s'endetter, suivie d'une crise sur le coût de l'énergie et des matières premières. Les marges se sont comprimées et nombre d'entreprises demeurent défaillantes, y compris sur le premier trimestre 2025. La trajectoire de défaillance ne faiblit pas et continue de croître, particulièrement dans le bâtiment.

Les entreprises en B2B (business to business) dans la chaîne de valeur subiront un impact qui touchera le tissu des 92 % des petites entreprises du pays. De manière générale, l'inquiétude des Français affecte leur consommation et le business quotidien, même pour les entreprises en B2C (business to consumer) non directement confrontées aux difficultés d'exportation.

M. Amir Reza-Tofighi, président de la CPME - Les tensions commerciales actuelles entre grandes puissances ne relèvent plus d'un simple affrontement tarifaire, mais d'une recomposition brutale de l'ordre économique mondial qui nous interroge sur nos choix passés.

Derrière les décisions politiques et internationales, l'emploi, le savoir-faire et le modèle social européen sont mis sous pression. Nous avons jusqu'à présent choisi de privilégier le consommateur plutôt que l'entreprise. Si, avec cette stratégie, le consommateur peut être gagnant sur le court terme, qu'en sera-t-il demain face à une économie déstabilisée ?

Je souhaite dépasser le sujet de la guerre commerciale pour soulever une question sur notre ambition en tant qu'économie européenne : voulons-nous être une nation et un continent de producteurs ou simplement des pays consommant des produits venant de l'étranger ?

Trois priorités s'imposent : se protéger, développer et renforcer.

Se protéger contre une concurrence déloyale et des distorsions de marché implique tout d'abord de mieux contrôler les importations hors UE (Union européenne). Hier, lors des assises de la politique commerciale, le ministre du Commerce extérieur citait l'exemple de la viande canadienne qui ne respecte pas les normes sanitaires européennes. En effet, nous nous imposons des contraintes sans vérifier que les produits importés se conforment à nos règles. Cette concurrence déloyale demeure incompréhensible pour nos entreprises.

Nous devons également renforcer le contrôle des plateformes étrangères à bas coût comme Temu. Le ministre de l'Économie propose de mettre en place des frais administratifs de quelques euros en attendant la suppression de l'exemption douanière dans deux ans. Cette mesure est totalement insuffisante. Contrairement à nous, les Américains, qui imposent des frais de 100 dollars à ces plateformes, ont compris l'enjeu pour leurs commerces. Notre lenteur est alarmante. Sans des décisions rapides et impactantes, nous courrons à la catastrophe. De nombreux producteurs français et européens risquent de disparaître.

Il est impératif de garantir le respect des normes européennes. La plupart des produits importés ne respectent même pas les normes sanitaires. Des clauses sociales et environnementales contraignantes doivent être intégrées dans tous les accords commerciaux. Ceux-ci ne doivent plus mettre vingt ans à voir le jour alors que le monde change rapidement. En effet, lorsqu'ils sont enfin finalisés, ils ne sont souvent plus pertinents. Nous devons donc être plus agiles.

Il faut enfin permettre aux entreprises de se développer. Les marchés publics constituent un levier essentiel pour développer nos entreprises et privilégier le made in France. Je suis toujours étonné de constater que nous n'utilisons pas suffisamment cet instrument, préférant sacrifier notre souveraineté économique et numérique pour des choix de coûts. Nous devons aussi mieux accompagner les PME à l'export.

Concernant la compétitivité, le constat est simple : nos impôts de production sont six fois supérieurs à ceux de l'Allemagne et deux fois à la moyenne européenne. Nos prélèvements obligatoires et notre dépense publique sont les plus élevés d'Europe. Comment s'étonner ensuite que nos entreprises peinent à se développer ? La définition du budget 2026 sera capitale : soit nous faisons preuve de courage en réduisant la dépense publique pour permettre aux entreprises de se développer et recruter, soit nous augmentons encore les impôts et 2026 sera pire que 2025.

M. Fabrice Le Saché, vice-président du Medef. - Le sujet du commerce international que vous abordez aujourd'hui n'est pas nouveau, même si la situation internationale le rend plus aigu. Les tendances actuelles sont à l'oeuvre depuis plus d'une décennie. La bascule américaine n'est pas récente. L'exigence de réindustrialisation, le protectionnisme américain et l'extraterritorialité précèdent Donald Trump. Déjà sous Barack Obama, les marchés publics américains ont été quasiment fermés. Sous Joe Biden, la promulgation de la loi sur la réduction de l'inflation (Inflation Reduction Act) a conduit à près de 1 000 milliards de dollars d'aides pour attirer les entreprises aux États-Unis, qui bénéficiaient de surcroît d'une énergie peu chère au moment où l'Europe était confrontée à des prix élevés en raison de la guerre en Ukraine. En 2022 et 2023, nous avons même vu des missions commerciales des États-Unis vanter tout l'intérêt de s'installer sur ce territoire avec des arguments tout à fait fondés. Les États-Unis abritent un tiers de la consommation mondiale. Les marchés financiers y sont très développés.

Dans les discussions sur le commerce international, nous avons tendance à nous focaliser sur les biens manufacturés en oubliant les services, les flux financiers, les chaînes de valeur, les prix de transfert et les investissements. Si les États-Unis utilisaient d'autres métriques, ils verraient qu'ils ont un excédent commercial global avec l'Europe : ils aspirent notre épargne (300 milliards d'euros par an selon le rapport Draghi), ont un excédent de plus de 100 milliards sur les services, malgré un déficit de 150 milliards sur les biens manufacturés. L'accès au marché européen est précieux et constitue un levier de négociation. Nous devons conditionner cet accès à ce qui nous intéresse.

La stratégie chinoise est également ancienne. La production massive pour l'exportation, la montée en gamme, les subventions massives et le découplage sur les règles de conformité étaient clairement annoncés dans leurs plans. Leurs monopoles agissent à l'étranger, comme CRRC (China Railway Construction Corporation) qui faisait quatre fois le chiffre d'affaires d'Alstom ou Siemens et qui, contrairement aux prévisions, s'est bien implanté en Europe.

Quant au protectionnisme global, il s'est considérablement accru depuis la Covid, avec plus de 3 000 barrières protectionnistes identifiées, dans un contexte où l'Organisation mondiale du commerce (OMC) est affaiblie par le dysfonctionnement de son organe de règlement des différends.

L'Europe n'est cependant pas victime du commerce international. Sur les vingt dernières années, elle a systématiquement dégagé des excédents commerciaux. Même la France, malgré sa balance déficitaire, reste un grand pays exportateur avec des excédents dans les services et une forte présence à l'international en matière d'investissements. Dans la plupart des pays du monde, les stocks dans les investissements français arrivent souvent en troisième ou quatrième position. Dans le reste de l'UE, nous sommes aussi régulièrement parmi les premiers. Une fermeture ne nous rendrait donc pas service.

De plus, des pays comme l'Allemagne ou la Suisse sont capables de réaliser de forts excédents commerciaux sur les biens manufacturés, démontrant que le problème n'est pas européen. Cette situation tient peut-être davantage aux choix réalisés par la France en matière fiscale, sociale, etc.

Par ailleurs, il convient de faire attention aux contre-mesures : surexposer certains secteurs comme les vins et spiritueux ou la cosmétique serait contre-productif. Nous exportons beaucoup de biens : de la métallurgie, des produits chimiques ou encore pharmaceutiques. Il est important que l'effort soit réparti entre tous les Européens. La France doit également se montrer très présente à Bruxelles pour protéger ses intérêts et maintenir un front européen uni.

Expliquer aux Américains ce qu'est la TVA (taxe sur la valeur ajoutée), ou que la taxe Gafam ne vise pas leurs entreprises, est inutile. Notre meilleure protection viendra des effets sur la situation économique américaine elle-même : hausse des taux d'intérêt à dix ans, chute des marchés financiers, menace de récession, hausse du taux d'épargne et baisse de la consommation.

« Dérisquer » la relation avec la Chine implique de signer des accords commerciaux avec des États tiers. Les débats autour du Mercosur (Marché commun du Sud), et du CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement) sont regrettables. Le Canada est un partenaire puissant, francophone, avec un niveau de vie comparable. Si nous n'arrivons pas à ratifier cet accord aux résultats plutôt positifs pour la France, avec qui pourrons-nous signer ? Nous ne pouvons plus mettre vingt ans à conclure des accords commerciaux. Il faudra envisager des accords thématiques, excluant éventuellement parfois l'agriculture, et maintenir le dialogue avec les pays qui aspirent toujours à un commerce ouvert, comme les Émirats arabes unis, l'Indonésie, les pays d'Asie du Sud-Est ou encore l'Afrique du Sud.

M. Frédéric Coirier, co-président du METI - Les entreprises de taille intermédiaire (ETI), fortement industrielles et exportatrices, sont directement concernées par ces changements. La France compte aujourd'hui 6 800 ETI, contre 4 500 il y a quinze ans. Si cette progression est notable, elle demeure encore insuffisante face à nos voisins européens qui en comptent plus de 20 000. C'est pourtant ce « Mittelstand » qui génère l'excédent commercial allemand.

Notre base d'ETI représente 25 % de l'emploi salarié et plus d'un tiers des exportations françaises, avec 86 % des ETI qui exportent.

Ces entreprises sont présentes dans tout le territoire (70 % des sites se situent en dehors de l'Île-de-France) et pour la moitié d'entre elles, l'export représente plus de 50 % du chiffre d'affaires. Plusieurs centaines sont des champions européens ou mondiaux, et beaucoup font partie de chaînes de valeur dans des secteurs clés comme l'aéronautique ou le luxe. 90 % ont des implantations à l'étranger, notamment aux États-Unis qui constituent le premier ou le second marché pour 50 % des ETI.

Notre dernière enquête menée auprès de 20 % des ETI montre qu'environ la moitié d'entre elles connaissent une baisse d'activité et de rentabilité. Seules 13 % ont un carnet de commandes supérieur à l'année dernière. La plupart sont confrontées à une baisse d'activité, ce qui entraîne de l'attentisme en matière d'investissement et de recrutement, avec un rythme d'embauche réduit de moitié par rapport à l'année dernière. Malgré tout, beaucoup d'ETI vont continuer à investir et à réaliser des acquisitions.

Le budget 2025 a déjà impacté certaines volontés d'investissement, avec un surcoût équivalant à 1 % du chiffre d'affaires, ce qui crée des inquiétudes pour le budget 2026 qui pourrait encore réduire la rentabilité et donc les capacités d'investissement.

Néanmoins, la question américaine ne doit pas nous aveugler.

Ce sujet a certes un impact significatif sur le commerce international.

En effet, 50 % des ETI sont fortement exposées aux États-Unis. Certaines ont augmenté leurs stocks locaux ou prévoient d'y investir. Nos baromètres montrent que les intentions d'investissement, auparavant dirigées vers la France, s'orientent désormais davantage vers l'international.

Le risque de désorganisation des chaînes d'approvisionnement mondialisées est également préoccupant. Cette réalité a notamment contraint le président américain à revenir en arrière sur Boeing, 80 % de la valeur de ses avions étant produite hors des États-Unis. En tant qu'Européens, il est donc important de ne pas surréagir. Une surenchère tarifaire fragiliserait d'autant plus nos entreprises.

Le troisième enjeu concerne la concurrence asiatique, notamment chinoise, qui pourrait se réorienter vers l'Europe en conséquence de la fermeture du marché américain.

Face à ces défis, la seule stratégie viable est de muscler notre appareil productif à l'échelle française et européenne. C'est en travaillant sur nous-mêmes et en améliorant notre écosystème que nous pourrons répondre aux enjeux.

Pour cela, il faut d'abord stabiliser nos actionnariats. Les entrepreneurs sont très inquiets quant à leur capacité à maintenir une cohésion à ce niveau. Il est donc indispensable de sanctuariser le pacte Dutreil dans le budget 2026, ces dispositifs ayant permis l'augmentation de 50 % du nombre d'ETI depuis quinze ans.

L'autre priorité porte sur le réalignement compétitif de nos entreprises. Les mesures en faveur de la diminution du coût du travail ont permis d'augmenter le nombre d'heures travaillées, les cotisations, et diminué le coût du chômage, créant un double effet positif. De même, malgré la baisse des taux, le volume des impôts de production est demeuré supérieur en 2024. Les déficits supplémentaires enregistrés ne sont donc pas liés à ces mesures, mais à l'augmentation des dépenses.

La simplification est également essentielle. Elle représente 28 milliards de coûts en moins pour les ETI. Je remercie le Sénat pour son rôle dans le report de la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) et de la CS3D (Corporate Sustainability Due Diligence Directive), des directives dangereuses, vu les coûts de mise en oeuvre qu'elles impliquent.

Garantir une électricité compétitive pour les électro-intensifs et électro-sensibles que sont les ETI est enfin indispensable. Cet objectif ne devrait pas être difficile à atteindre, l'industrie ne consommant que 20 % de l'électricité française.

Nous travaillons actuellement sur un vade-mecum des quinze leviers prioritaires pour développer le travail et la production en France.

Nous réalisons aussi un screening du positionnement des ETI dans les chaînes de valeur de secteurs comme l'énergie, la mobilité, le numérique, la santé, la défense ou encore le luxe. Même dans le luxe, certaines ETI sont en difficulté, ce qui impacte aussi les donneurs d'ordre comme L'Oréal ou LVMH.

Enfin, la création de la catégorie ETI européenne est très importante et je remercie le Sénat pour son soutien à ce sujet.

M. Jérôme Darras. - J'aimerais connaître votre position de principe. Êtes-vous pour le libre-échange ou estimez-vous que des mesures protectionnistes peuvent s'imposer dans certaines circonstances ?

En dehors des instruments de contrôle d'échanges, voyez-vous d'autres moyens à l'échelle internationale ou européenne de mieux réguler le commerce international, par exemple en développant le rôle de l'euro ou en révisant la réglementation européenne en matière de concurrence ?

Mme Sylvie Valente Le Hir. - Merci pour vos interventions avec lesquelles je suis totalement en accord. En tant que rapporteure de la proposition de loi sur l'impact environnemental de l'industrie textile, j'ai pu échanger avec les filières du « fabriqué en France ». Les acteurs que j'ai rencontrés craignent que les décisions n'arrivent trop tard. Au Sénat, nous avons volontairement ciblé les acteurs de cette mode éphémère que sont Shein et Temu pour préserver nos magasins, notre fabrication française et nos artisans. J'ai également été sollicitée par la filière ameublement qui est impactée de la même manière par les entreprises asiatiques. Ces savoir-faire disparaîtront si nous ne sommes pas assez réactifs. Nous avons besoin de règles, mais surtout de pouvoir lutter à armes égales, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui.

M. Michel Picon. - Si le libre-échange peut encore être un moteur de développement et de prospérité pour beaucoup de nos entreprises, il engendre également des dégâts considérables. Faire respecter les normes et les règles du jeu est impératif. Il faut mettre un frein à ces tarifs préférentiels, comme ceux mis en place par La Poste à l'égard de la Chine, pour des produits qui ne respectent ni nos normes sanitaires ni nos normes de sécurité. Le libre-échange nous apparaît porteur de prospérité pour tous, à condition de faire la compétition avec des règles identiques.

M. Amir Reza-Tofighi. - Le libre-échange est une chance uniquement quand tout le monde joue avec les mêmes règles. Les produits importés en Europe doivent respecter nos normes environnementales, sanitaires et de sécurité.

Or, le problème majeur reste celui du contrôle, lequel demeure quasi insignifiant sur les produits arrivant en Europe. Pour avoir un impact réel, il faudrait pouvoir condamner les entreprises sur l'équivalent d'un pourcentage significatif de leurs envois.

Nous devons également préserver notre souveraineté stratégique, en identifiant ce qui doit être produit chez nous.

Par ailleurs, nous avons toujours privilégié l'intérêt du consommateur sur celui du producteur en favorisant une concurrence toujours plus forte. Nous avons ainsi empêché l'émergence de champions européens. Or, sans de telles entreprises, nous n'aurons plus d'acteurs à même de peser demain face aux géants mondiaux.

Miser sur la responsabilité du consommateur est illusoire car ce dernier réagit en fonction de son intérêt financier. La seule solution réside dans la mise en place d'une réglementation qui protège notre économie et nos entreprises, avec réactivité et agilité. Le système actuel est trop lent. Il faut agir vite pour sauver nos entreprises.

M. Fabrice Le Saché. - 20 % des emplois français dépendent des exportations. Se refermer est donc illusoire. Même si l'on ajoute des droits de douane, les pays compétitifs parviendront à implanter leurs usines chez nous - on voit déjà les constructeurs chinois proposer des installations en Espagne et en Hongrie.

La seule réponse fondamentale reste la compétitivité. Nous avons fait des efforts en France et obtenu quelques résultats de réalignement, mais aujourd'hui 70 à 80 % des réglementations touchant nos entreprises émanent de Strasbourg et Bruxelles. La France doit retrouver son influence européenne, perdue depuis l'élargissement à 27 États. Nous n'avons pas assez mesuré le poids croissant du Parlement européen qui propose des amendements sans étude d'impact et le pouvoir normatif de la Commission européenne.

La simplification amorcée est insuffisante. Nous sommes en train de nous découpler du reste du monde. Pour nos entreprises, le coût de conformité représente en moyenne la moitié du coût de l'énergie. Nous consacrons plus de temps aux questions administratives qu'à améliorer nos produits ou trouver des débouchés.

Si l'on a vu, à un moment, un intérêt à arrimer la Chine au système international, certaines pratiques actuelles ne respectent pas les règles d'une concurrence loyale et équilibrée. Nous avons besoin de mécanismes de prévention qui puissent nous permettre d'intervenir immédiatement. Or réaliser une enquête antidumping prend aujourd'hui deux ans.

Certains élus français devraient par ailleurs éviter de mettre l'accent sur la responsabilité de la France dans la mise en place de mesures de protection des entreprises françaises à l'égard des rétorsions.

Le problème n'est pas spécifiquement chinois, mais concerne toute plateforme sous-régulée face à nos entreprises surrégulées. Le vrai obstacle ne réside pas tant dans l'abaissement du seuil de minimas que dans l'efficacité des contrôles douaniers. Il faut une méthode d'échantillonnage permettant des redressements significatifs.

Concernant la concurrence, le Medef prône une grille d'analyse mondiale.

Enfin, sur les matériaux critiques, nous restons dépendants de partenaires commerciaux, sachant que la Chine a imposé des restrictions sur le gallium et le germanium. Nous devons construire notre autonomie tout en maintenant certaines relations commerciales.

M. Frédéric Coirier. - Les pays les plus prospères sont ceux qui commercent le plus, faire l'inverse nous appauvrirait. Sur le libre-échange, deux éléments sont essentiels : la réciprocité et la compétitivité.

Aujourd'hui, certains marchés n'offrent aucune réciprocité - accès difficile pour nos entreprises face à des concurrents étrangers subventionnés. Les produits chinois (textile, voitures, panneaux solaires) largement subventionnés arrivent sur notre marché à bas prix, détruisant nos industries.

Cependant, nous devons aussi examiner pourquoi nous manquons de parts de marché à l'international. Sans modification de notre fiscalité et amélioration de notre compétitivité, nous continuerons à avoir des déficits structurels. Des pays comme la Suisse, l'Allemagne, les pays scandinaves ou l'Italie du Nord ont d'importants excédents commerciaux, des niveaux de vie élevés et des systèmes publics de qualité. Néanmoins, leur fiscalité pèse sur la consommation plutôt que sur le travail.

Certes, une partie de nos difficultés provient d'une concurrence déloyale (produits subventionnés, marchés difficiles d'accès, marchés publics fermés). L'Europe, qui représente pourtant 25 % du marché mondial, a été trop naïve. Les Allemands, voyant aujourd'hui leur industrie automobile fragilisée par la concurrence asiatique, pourraient se montrer plus ouverts à un réalignement des positions européennes.

La solution n'est cependant pas de fermer les marchés, mais d'obtenir une réciprocité, avec des mesures plus rapides face à la déferlante actuelle (Shein, Temu, Alibaba, etc.) qui impacte énormément nos petits commerces et nos industries.

Nous devons également améliorer notre capacité d'exportation, sachant que nos voisins ont de meilleures situations commerciales avec les mêmes contraintes énergétiques. L'an dernier, la France a même exporté de l'électricité. Notre priorité doit être d'améliorer notre compétitivité-coût pour exporter davantage, tout en restant ouverts, mais pas naïfs, car nos chaînes d'approvisionnement sont mondialisées.

M. Michel Canévet. -Monsieur Coirier, vous avez évoqué l'importance de renforcer notre appareil productif. Quelles discussions menez-vous avec Bercy à ce sujet ? Vous sentez-vous écoutés ? Y a-t-il une mesure prioritaire qui permettrait d'avancer ? Nous avons du mal à faire progresser le gouvernement malgré nos efforts constants au sein de cette délégation.

Concernant l'accompagnement des entreprises à l'exportation, les dispositifs comme Business France ou Bpifrance vous semblent-ils optimaux ou devraient-ils être repensés ?

M. Michel Masset. - La clé à la crise que nous traversons réside dans notre capacité à travailler ensemble et à trouver des points d'entente communs. Je remercie donc le Président de vous avoir invités. Vous avez face à vous, des sénateurs de différents groupes qui font bloc pour des propositions transpartisanes bénéfiques à l'économie, même si nous ne gagnons pas toujours.

Le défi principal est à mon sens celui de la temporalité. Dans un monde de consommation en perpétuel changement, il existe un décalage important entre les besoins des entreprises et le temps législatif. Il est donc important d'anticiper des marchés. Par ailleurs je ne partage pas totalement votre avis : je pense que nous avons un rôle à jouer sur notre mode de consommation, en favorisant les circuits courts et en tenant compte des conditions de travail et de la dimension écologique.

M. Michel Picon. - Notre sentiment est que le ministère n'est pas suffisamment à l'écoute des entreprises. Prenons la loi sur la simplification : cela fait trop longtemps qu'on y travaille. Le temps entre nos attentes et la mise en oeuvre des mesures est excessif, avec une inertie difficile à combattre. Les impôts de production et le coût du travail sont problématiques pour toutes les entreprises. Il n'est plus possible de financer notre modèle social majoritairement sur le travail. Nous allons faire des propositions sur ce sujet. Avec des masses salariales chargées atteignant 55 % à 65 %, ce système est insoutenable.

L'insécurité juridique est également intenable pour les entreprises qui n'ont pas les moyens de financer des équipes administratives et juridiques pour les guider. L'accompagnement proposé par Bpifrance n'est pas adapté aux besoins des petites entreprises. Ses actions positives ne sont pas vraiment visibles pour ces petites structures.

Le problème de l'envahissement chinois n'est pas récent. Les grandes surfaces sont remplies de produits chinois depuis des années, avant l'arrivée des plateformes. Ces mêmes groupes qui s'indignent aujourd'hui ont habitué les consommateurs à des produits très peu chers.

Je constate par ailleurs que le débat sur l'augmentation des droits de douane américains s'est déplacé sur le sujet de la menace chinoise. Je souhaite en tout cas que cette situation nous amène à trouver ensemble des solutions pour mieux nous protéger de ces invasions.

M. Amir Reza-Tofighi. - Élu depuis seulement trois mois, j'ai pour l'instant le sentiment d'être écouté par Bercy. Nous verrons si les résultats suivront.

Nous avons construit notre modèle social sur un financement assuré principalement par le travail. Ce système, conçu dans un contexte d'après-guerre différent d'aujourd'hui, n'a jamais été remis en question. Nous voyons ses limites actuelles : nous faisons reposer sur les actifs la majorité du coût, au-delà de ce qui les concerne directement. Il n'est pas normal que les salariés financent la santé ou la politique familiale. Cela relève de la solidarité nationale.

Nous appelons donc à une baisse drastique des charges sur le travail, tant pour le salarié que pour l'entreprise. Sur les 400 milliards prélevés (après allègements), il faudrait transférer au moins 25 %, soit 100 milliards, vers d'autres modes de fiscalité.

Pour qu'une réforme fonctionne, l'effet positif doit être massif et se traduire par un gain de pouvoir d'achat très fort pour les salariés. Pour favoriser la production en France et l'industrie, il faut baisser le pourcentage de charges salariales ainsi que le coût du travail et les transférer sur la consommation. Cela permettrait aussi de rééquilibrer le décalage entre produits importés et français.

Je suis optimiste. Nous semblons être arrivés au bout d'un système. Il y a là une occasion, malgré un contexte politique compliqué, de passer une grande réforme qui soit bénéfique pour tous.

Je remercie la délégation pour son investissement en faveur de l'économie et des entreprises, des sujets cruciaux, souvent peu compris par les politiques.

Bpifrance est un acteur très efficace. Si une batterie de mesures existe déjà pour encourager les exportations, nous pourrions en développer d'autres pour renforcer la marque France à l'étranger.

M. Fabrice Le Saché. - Le Président du Medef, Patrick Martin, s'est exprimé de nombreuses fois sur ces sujets. Le système productif supporte beaucoup trop de charges. Quatre Français qui travaillent pour dix Français, ce n'est pas tenable. Il faut revoir tout le financement de la protection sociale.

Le Medef est une force motrice de propositions, notamment récemment sur la formation et l'orientation professionnelles.

Certaines mesures ont créé le trouble : les entreprises perçoivent le versement mobilité régional comme une charge supplémentaire, assimilable à un impôt de production. Si nous comprenons le besoin de financer les infrastructures, nous estimons que ce n'est pas aux entreprises de financer les transports. De même, le transfert des complémentaires santé vers les entreprises représente 900 millions d'euros de charges. Le verdissement des flottes de véhicules a aussi généré des coûts importants pour les chefs d'entreprise.

La baisse de la charge fiscale accroît le rendement, comme l'a démontré la baisse de l'impôt sur les sociétés. Malheureusement, nous avons du mal à convaincre nos compatriotes que ce système fonctionne.

La mise en place de circuits courts est probablement une bonne idée, mais il faut rester vigilant. Le discours dominant suggère de se fermer face à la montée de la Chine, qui produira la moitié de la production industrielle mondiale en 2030. Nous devons nous protéger sans être naïfs, mais garder à l'esprit que l'exportation et l'ouverture soutiennent des emplois locaux essentiels à nos territoires.

Quand la Chine s'est fermée au cognac, 70 000 emplois ont été impactés en Charente et Charente-Maritime. Chez Airbus, 20 000 emplois sont liés aux États-Unis. La cosmétique représente 60 000 emplois liés aux exportations américaines. L'agroalimentaire exporte beaucoup et représente 70 % de l'aval agricole. Certaines filières agricoles bénéficient d'accords commerciaux.

Il est bien sûr frustrant de voir la Banque européenne d'investissement et l'Agence française de développement (AFD) financer des études en Afrique pour des projets qui seront au bout du compte construits par des entreprises chinoises. On nous rétorque que nos entreprises peuvent déposer des dossiers ailleurs, là où il y a plus de financements. Néanmoins, il serait souhaitable de voir davantage de clauses RSE et des financements fléchés plus intelligemment.

De plus, nous ne savons toujours pas où déposer les dossiers pour bénéficier des financements du programme Global Gateway. Il faudrait mettre en place des systèmes de garantie, comme le fait l'Amiga ou d'autres institutions internationales. Cela nous donnerait de l'influence dans les pays émergents et permettrait de structurer des financements pour les infrastructures, notamment pour soutenir nos leaders mondiaux dans ce domaine.

M. Frédéric Coirier. - Nous entretenons d'excellentes relations avec Bercy, particulièrement avec la DGE (Direction générale des entreprises) qui fait un travail efficace. Nous avons d'ailleurs lancé la « Stratégie Nation ETI » qui fait collaborer les chefs d'entreprise et la haute administration pour simplifier et résoudre des problèmes.

L'important est d'avoir une lecture commune des enjeux, sans se focaliser uniquement sur le déficit au détriment de la compétitivité.

Certes, le budget 2025 a été élaboré dans des conditions complexes. Cependant, changer les règles en cours d'année et augmenter le coût du travail tout en parlant de compétitivité est problématique. Les entreprises ont le sentiment d'un retour en arrière. Des dispositifs comme le Pacte Dutreil sont systématiquement remis en question. Il faut sanctuariser et stabiliser les règles. Malgré cinq années de crises successives, les entreprises continuent pourtant de se projeter et d'investir. Les chefs d'entreprise en ont l'envie, il faut simplement créer les bonnes conditions : réduire les impôts de production et le coût du travail, qui est deux fois plus élevé en France que la moyenne européenne pour le travail qualifié. Comment dès lors s'étonner qu'on ne puisse pas monter en gamme et exporter davantage ?

Si nous n'alignons pas nos diagnostics, nous ne parviendrons pas à prendre les mesures courageuses nécessaires. Le Trésor sait que la réduction des impôts de production fonctionne. Plus la situation est difficile, plus il faut accélérer les choix stratégiques forts.

Nous travaillons actuellement sur un ensemble de 15 mesures prioritaires à prendre rapidement et simultanément sur la compétitivité, la simplification et les changements à opérer à l'échelle européenne.

Quant aux comportements des consommateurs français, nous n'avons pas prise sur leurs décisions. S'ils achètent des produits à bas prix, c'est parce que les salaires nets sont trop faibles, non par la faute des entreprises, mais à cause du coût du travail et des charges. L'écart entre ce que paie l'employeur et ce que touche le salarié est abyssal. Il faut d'abord améliorer notre compétitivité, ce qui augmentera les revenus des Français et leur permettra d'acheter des produits de meilleure qualité, plus européens et moins importés.

M. Guillaume Gontard. - Le premier poste de dépenses de l'État est justement l'aide publique aux entreprises, qui représente entre 150 et 200 milliards d'euros par an. Celle-ci a été multipliée par trois depuis les années 2000. Comment est-elle utilisée ? Les organismes et agences de soutien aux entreprises fonctionnent-ils correctement ? Ces aides ont-elles réellement porté leurs fruits ?

Par ailleurs, la France reste le pays européen le plus attractif pour les investisseurs, qui lui reconnaissent plusieurs qualités, dont la qualité de la main-d'oeuvre. L'environnement juridique et réglementaire est également cité comme un atout, ainsi que les services publics et la qualité de vie. Je pense au contraire que le versement mobilité peut augmenter l'attractivité des territoires et des entreprises. Des progrès peuvent également être accomplis sur l'organisation du travail, les questions environnementales et le mode de distribution. Concernant la décarbonation, le verdissement est également une manière d'être plus compétitif pour les années à venir. Comment appréhendez-vous toutes ces questions ?

M. Michel Picon. - En soutenant l'apprentissage, l'État n'aide pas les entreprises, mais de nombreux jeunes qui ne trouvent plus leur place dans le système éducatif traditionnel et représenteraient un coût important pour l'État s'ils restaient scolarisés dans un établissement classique.

Les exonérations de charges démontrent simplement qu'elles sont trop élevées. Le coût du travail est tel que pour limiter le chômage des personnes peu formées, l'État investit massivement. Il ne s'agit pas d'une aide aux entreprises, mais d'un soutien à la formation et à l'emploi.

Quant au verdissement, cette politique environnementale représente un coût considérable pour les entreprises. Les ZFR (zones France ruralités) dans les villes créent un préjudice pour beaucoup d'entreprises qui n'ont pas les moyens de remplacer leurs véhicules. L'électrique est-il vraiment une solution irréversible ? Cette transition profite actuellement aux constructeurs chinois et met en danger notre industrie automobile.

M. Amir Reza-Tofighi. - Je suis entièrement d'accord avec ce qui vient d'être dit sur les allègements de charges et la formation professionnelle. Ces aides compensent des coûts considérés comme trop importants qui pénalisaient les entreprises.

Bien que certaines d'entre elles puissent être revues, il faut rester vigilant. Sur les 80 milliards d'allègements de charges, qui représentent la majorité des aides, j'entends dire qu'elles ne seraient pas conditionnées, ce qui est faux. Il n'y a pas de soutien à l'apprentissage sans apprenti.

Concernant les services publics, nous partageons l'idée que la socialisation de leur coût est une chance pour la France. Cependant, nous considérons que la qualité du service public n'est pas strictement proportionnelle à l'argent investi. Nous dépensons plus que nos voisins européens par habitant, pourtant le sentiment de dégradation persiste. Le problème n'est pas l'argent disponible, mais l'organisation, l'efficience et le management. Un exemple : un hôpital public compte 20 % de personnel administratif de plus qu'un hôpital associatif pour réaliser les mêmes tâches.

Pour ce qui est de l'organisation du travail, à force de parler de « quality jobs », on décourage les demandeurs d'emploi de s'orienter vers certains métiers structurellement pénibles. Les entreprises concernées font face à des injonctions contradictoires. On leur demande l'impossible pour des emplois dont la transformation des conditions est irréalisable. Il faut en priorité remettre le travail en avant, alors que tant d'entreprises peinent à recruter.

Le versement de mobilité régionale constitue à mon sens simplement un nouvel impôt pour les entreprises.

M. Guillaume Gontard. - Ce versement est effectivement un impôt. Cette contribution revêt un intérêt important pour les entreprises pour qui la question des mobilités est un vrai sujet.

M. Fabrice Le Saché. - Alors que la France affiche presque le taux de prélèvement le plus élevé des pays de l'OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Économiques) et de l'Union européenne, et la pression fiscale la plus forte, même après compensations, cette culpabilisation des entreprises est problématique. Nous sommes certains que notre pays a des atouts. Nos propositions visent des réglages qui permettraient d'aller plus loin.

Le passage de 300 000 à près d'un million d'apprentis ne s'explique pas seulement par la mise en place d'aides. Nous sommes parvenus à convaincre les jeunes et leurs familles que l'apprentissage était un chemin de réussite permettant de s'insérer dans le marché de l'emploi. Nous avons créé près de deux millions d'emplois. Des études prétendent que le CICE (Crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi) n'aurait créé que 100 000 à 200 000 emplois. Curieusement, nous avons connu une forte création d'emplois après la mise en place de ce dispositif. Ces études ne prennent pas en compte les aspects dynamiques.

Ces « pansements » fiscaux demeurent largement insuffisants, mais ont permis d'arrêter l'hémorragie industrielle grâce à une politique fiscale plus raisonnée.

La productivité est en baisse à l'échelle européenne tandis que l'écart avec les États-Unis continue de se creuser. La robotisation, l'intégration de l'intelligence artificielle et la formation des salariés sont des sujets majeurs. Les écarts de coûts du travail demeurent très importants, notamment avec l'Allemagne : s'ils se sont harmonisés sur les bas salaires, ils demeurent de 1 à 4, voire à 5 pour certaines catégories professionnelles.

Nous comprenons le besoin d'infrastructures, mais est-il normal qu'en Île-de-France, les usagers ne paient que la moitié des services de mobilité ? Les touristes à Paris ne paient pas le vrai coût du transport. Dans certaines régions, des entreprises paient le versement mobilité sans avoir un arrêt de bus près de leurs usines de 1 000 salariés. On pénalise finalement les entreprises à forte main-d'oeuvre et qui rémunèrent bien.

Sans doute existe-t-il un lien entre le crédit impôt recherche et le fait que la France ait le plus grand nombre de chercheurs privés en Europe. Retirer ces aides à une entreprise comme Pierre Fabre, qui dispose d'un centre de recherche, pose des questions sur la poursuite de l'activité ou la localisation de chercheurs en France.

Enfin, le Medef a proposé un projet de loi d'accélération de l'économie alors que des projets (mines, usines pour les matériaux critiques, extensions de sites industriels, voies ferrées, aéroports, etc.) sont bloqués partout en France. Des investissements privés sont pourtant prêts à se déployer dans tous les départements. Il faut avoir une ambition pour construire dans notre pays.

M. Frédéric Coirier. - Nous sommes persuadés que notre pays est plein d'atouts. Si nous créons les conditions favorables, nous pouvons en tirer le meilleur parti.

Sur les aides aux entreprises, l'écart net entre les entrants et sortants est de huit points de valeur ajoutée pour une entreprise française versus une entreprise européenne. Arrêtons de fantasmer ce sujet. Ces aides compensent souvent des défauts, mais cela représente du temps perdu, des contraintes fiscales et administratives qui ralentissent et insécurisent notre économie. Notre position est la suivante : moins de charges, moins d'aides. Nos voisins ont moins d'aides, mais aussi moins de charges et s'en portent mieux. Les subventions sont pertinentes quand elles financent des investissements stratégiques comme la R&D ou la formation, pas le fonctionnement.

Quant au verdissement, les entreprises sont déjà engagées. Dans mon entreprise, j'atteins déjà 50 % de production d'énergie renouvelable, aux objectifs 2050. De nombreuses entreprises se sont lancées dans le photovoltaïque, la biomasse. Nestlé a déjà décarboné toute sa chaleur. Le rythme dépendra des résultats économiques, mais la dynamique est lancée : nos clients et salariés l'exigent. Le plus court chemin vers la décarbonation est de produire en France, avec notre mix électrique le plus décarboné d'Europe. Plus nous produirons en France, moins nous importerons de carbone. Un produit chinois a un coût carbone 50 fois plus élevé, tandis qu'une importation d'un pays européen n'a un coût que de 4 à 5 fois supérieur.

L'insécurité juridique reste un frein terrible à l'investissement. À l'étranger, une autorisation est gravée dans le marbre. En France, même lorsqu'elle dispose de tous les permis, une entreprise n'est jamais à l'abri de problèmes liés aux espèces protégées ou encore aux zones humides. Nous avons une épée de Damoclès permanente au-dessus de la tête, ce qui freine considérablement nos projets industriels et d'infrastructure.

M. Olivier Rietmann, président. - Merci beaucoup pour votre franchise et vos propos directs. Nous renouvellerons ce format, qui suscite manifestement beaucoup d'intérêt vu l'affluence exceptionnelle à cette table ronde de la délégation aux Entreprises.

La réunion est close à 16 h 30.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat