Mardi 29 avril 2025

- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -

La réunion est ouverte à 18 h 40.

Audition de M. François Jacq, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de président du conseil d'administration du Centre national d'études spatiales (Cnes)

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous avons le plaisir d'accueillir M. François Jacq, candidat proposé par le Président de la République à la fonction de président du conseil d'administration du Centre national d'études spatiales (Cnes). En pratique, le président du conseil d'administration du Cnes en est le dirigeant exécutif et porte le titre de président-directeur général du Cnes.

En application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, cette nomination par décret du Président de la République ne peut intervenir qu'après une audition devant les commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat.

Cette audition, ouverte à la presse et au public, est retransmise en direct sur le site du Sénat. Elle donnera lieu à un vote à bulletin secret, pour lequel les délégations de vote ne sont pas autorisées.

L'Assemblée nationale ayant entendu M. Jacq avant le Sénat, nous dépouillerons les bulletins à l'issue du vote. Il ne pourra être procédé à cette nomination si l'addition des votes négatifs dans les deux commissions représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés.

Pour mémoire, M. Philippe Baptiste, qui occupait depuis 2021 les fonctions de président du conseil d'administration du Cnes, a été nommé le 23 décembre 2024 en tant que ministre chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche du gouvernement Bayrou. L'intérim est assuré par M. Lionel Suchet, directeur général délégué du Cnes depuis 2017.

Je précise à l'attention de mes collègues que si votre candidature est approuvée, monsieur Jacq, vous serez nommé pour la durée du mandat de M. Baptiste restant à courir, soit jusqu'au 8 avril 2026, c'est-à-dire pour un peu moins d'un an. Ainsi, si le Président de la République décidait de proposer de nouveau votre candidature l'an prochain, cette fois-ci pour un mandat de cinq ans, notre commission aurait de nouveau à se prononcer.

Ingénieur des mines, vous avez été conseiller pour l'industrie, la recherche et l'énergie au cabinet du Premier ministre François Fillon et avez dirigé plusieurs établissements publics de premier plan : l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) de 2000 à 2005, Météo-France de 2009 à 2013 et l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer) de 2013 à 2018.

Depuis 2018, vous êtes administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), dont vous présidez également le conseil d'administration depuis 2019. Vous avez été renouvelé dans vos fonctions d'administrateur général du CEA en mars 2022. Aussi, notre commission vous a auditionné à ce titre en 2018 et en 2022.

Vous avez déjà été membre du conseil d'administration du Cnes, en tant que personnalité qualifiée, de 2015 à 2021.

Je rappelle que le Cnes est un établissement public industriel et commercial (Épic) créé en 1961 et placé sous la triple tutelle du ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, du ministère des armées et du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Il gère la base de lancement de Kourou en Guyane, port spatial de l'Europe.

Il représente la France à l'Agence spatiale européenne (ESA) et assure une veille sur les sujets règlementaires et de mise en oeuvre de la loi sur les opérations spatiales.

Il intervient dans cinq domaines au profit du ministère des armées : la conduite des programmes spatiaux militaires et duaux, la préparation du futur, la surveillance de l'espace, les opérations spatiales et l'appui à la montée en puissance des armées dans le domaine spatial.

Le Cnes réunit ainsi toutes les fonctions permettant au Gouvernement de définir et de mettre en oeuvre sa stratégie spatiale, à l'heure où le Premier ministre a lancé l'élaboration d'une stratégie spatiale nationale à l'horizon 2040, attendue pour le mois de juin.

Le PDG du Cnes joue donc un rôle crucial à un moment où l'espace fait l'objet d'un intérêt renouvelé et constitue un enjeu de souveraineté majeur pour notre pays au sein de l'Europe - l'Allemagne souhaite jouer un plus grand rôle en la matière -, mais aussi pour l'ensemble des pays de l'Union européenne - les États-Unis, la Chine ou la Russie font de l'espace un terrain de compétition entre les grandes puissances.

L'espace est aussi un domaine où interviennent désormais des acteurs privés disruptifs, dont l'un des exemples les plus évidents est Elon Musk, depuis les lanceurs lourds ou réutilisables jusqu'aux satellites de communication qui sont stratégiques dans le conflit ukrainien.

M. Franck Montaugé, rapporteur. - Madame la Présidente l'a rappelé, nous sommes réunis pour nous prononcer sur la candidature de M. François Jacq, dont la nomination est proposée en qualité de président du conseil d'administration du Cnes.

L'enjeu est d'approuver ou non la nomination de M. Jacq à ce poste pour une durée de onze mois, puisqu'il s'agit à ce stade de terminer la durée du mandat de Philippe Baptiste restant à courir, soit jusqu'au 8 avril 2026.

Tout à la fois agence de programme, centre technique et opérateur spatial, le Centre national d'études spatiales est pour ainsi dire l'agence spatiale française, chargée d'élaborer et de proposer au Gouvernement la politique spatiale française, que ce soit pour les opérations civiles, militaires ou duales.

Les quatre missions fondamentales du Cnes sont précisées dans son contrat d'objectifs et de performance (COP) pour la période 2022-2025. La première mission vise à maintenir et à renforcer l'autonomie stratégique de la France et de l'Europe dans le domaine spatial, notamment en garantissant la capacité d'accéder de manière autonome à l'espace, en développant des systèmes civils et militaires et en garantissant l'utilisation des infrastructures, services et données spatiales.

La deuxième mission consiste à soutenir et à faire rayonner l'excellence scientifique française, l'espace et son exploration étant au coeur d'avancées scientifiques dans de nombreux domaines.

La troisième mission a pour objet de faire progresser la compétitivité de l'écosystème spatial, en accompagnant les acteurs de la filière française et en encourageant le développement d'une nouvelle économie du spatial, le New Space.

La quatrième mission consiste à encourager les missions spatiales visant à mieux comprendre le climat et son évolution, et à accompagner la transition écologique du secteur spatial français.

En 2025, le budget du Cnes, incluant la part française à l'Agence spatiale européenne, s'élève à près de 3 milliards d'euros. Le centre compte 2 350 salariés, dont 39 % de femmes, répartis sur ses sites de Paris et Toulouse ainsi que sur la base de lancement de Kourou. Près de 87 % d'entre eux sont des cadres ou des ingénieurs.

Au regard de l'attention renouvelée portée à la conquête spatiale et au développement des entreprises du secteur spatial, quelle contribution à la stratégie spatiale française à l'horizon 2040, qui est en cours d'élaboration, souhaiterez-vous proposer au Gouvernement ?

Quelles seront vos grandes priorités à la tête du Cnes au cours de l'année qui vient ?

Quels sont les points marquants du bilan de votre prédécesseur Philippe Baptiste que vous souhaitez poursuivre et approfondir ? Souhaiterez-vous apporter des inflexions sur certains aspects ?

Ma première série de questions portera sur le programme Ariane 6 et les enjeux de l'accès autonome de l'Europe à l'espace, sujet qui nous préoccupe le plus, puisque nous avions perdu pendant plusieurs années notre souveraineté en la matière.

Lancé en décembre 2014, le programme Ariane 6 a connu des retards et des surcoûts importants évalués à 600 millions d'euros, mais a enfin accompli son vol inaugural le 9 juillet 2024 et son premier vol commercial le 6 mars 2025 en mettant en orbite le satellite d'observation militaire français CSO-3.

Quatre autres lancements sont prévus en 2025, avec notamment le début des lancements pour la constellation Kuiper d'Amazon, puis entre cinq et dix en 2026, pour atteindre la pleine cadence avec dix tirs par an à partir de 2027.

Considérez-vous que le modèle d'Ariane 6, entré en service avec plusieurs années de retard, et qui fait face en particulier à la concurrence des fusées Falcon de SpaceX, est compétitif économiquement ?

Au-delà de la finalisation d'Ariane 6, qui est un lanceur lourd, comment doit se positionner la France dans le développement des microlanceurs et des lanceurs réutilisables, indispensables pour nous garantir un accès autonome et durable à l'espace ?

J'en viens à ma deuxième série de questions : le Cnes a joué depuis 2022 un rôle clef dans le déploiement du volet spatial du programme France 2030 doté de 1,5 milliard d'euros, puisqu'il a la responsabilité d'identifier les marchés émergents grâce à l'observatoire de l'espace, de proposer des feuilles de route pour stimuler l'innovation et la recherche de solutions industrielles dans ces domaines, puis de réaliser les appels d'offres correspondants.

Considérez-vous que le triple objectif assigné au volet spatial de France 2030, à savoir développer l'écosystème de start-up dédié au spatial, connu sous le nom de New Space, investir dans les technologies de rupture qui façonneront l'avenir du spatial et cibler les investissements sur les marchés porteurs, a de bonnes chances d'être atteint ?

Ma troisième série de questions porte sur la recherche scientifique en matière spatiale. Le Cnes est l'opérateur chargé de porter les projets de recherche scientifique en matière spatiale. Le spatial est en effet au coeur des avancées scientifiques dans de nombreux domaines : connaissance de l'univers et du système terrestre, science de la matière ou science de la vie, mais également recherches appliquées au service de l'économie et de la société.

Près de 90 % des programmes de recherche du Cnes résultent de coopérations internationales, avec par exemple le satellite Swot (Surface Water and Ocean Topography), produit de la collaboration franco-américaine entre le Cnes et la Nasa (National Aeronautics and Space Administration), qui révolutionne la mesure du niveau des eaux, celle des océans, mais aussi des lacs et fleuves.

L'observation de la Terre est en particulier un enjeu majeur, car elle est déterminante pour les questions du climat, de biodiversité ou bien encore du suivi de polluants.

Or certains des programmes liés à cette thématique fondamentale pourraient être remis en question par l'administration Trump en raison de son hostilité à la recherche sur le réchauffement climatique et de sa remise en question de la science.

Êtes-vous préoccupé par la possible remise en question par les États-Unis de programmes de recherche communs, essentiels notamment pour comprendre le réchauffement climatique et ses conséquences ?

Quel regard portez-vous sur les priorités de recherche actuelle du Cnes ? Certains domaines vous paraissent-ils plus prometteurs que d'autres ?

Comment vous positionnez-vous sur la question des vols habités et de l'exploration spatiale ?

Quelle est votre réflexion sur l'état du droit international de l'espace ? Comment éviter que prévale la loi du plus fort et favoriser le développement de la coopération en matière d'occupation de l'espace, d'exploitation de ses ressources ou de gestion des déchets spatiaux par exemple ?

J'en viens quatrièmement aux enjeux liés au développement de la connectivité spatiale. Dans le contexte actuel de développement et de mise en service de plusieurs constellations de satellites tant publiques - Chine et États-Unis - que privées - OneWeb, Starlink, Kuiper - répondant aux besoins actuels de traitement de données et de connectivité découlant de la transition numérique, le secteur des télécommunications est plus que jamais stratégique pour la France et l'Europe.

Décidé en mars 2023, le programme IRIS(Infrastructure de résilience, d'interconnectivité et de sécurité par satellite) vise à répondre à cet enjeu en constituant le premier réseau de satellites multiorbitaux en Europe. Cette constellation sera constituée d'environ 300 satellites et devrait voir le jour en 2030. Elle devra garantir l'autonomie stratégique de l'Union européenne dans le domaine des communications gouvernementales sécurisées, fournir des services commerciaux et maximiser les synergies entre les infrastructures gouvernementales et commerciales.

Quelles sont les forces et les faiblesses de la constellation IRIS2, pilotée par la Commission européenne ?

Pensez-vous que les entreprises françaises sont suffisamment mobilisées sur ce projet et, surtout, qu'elles seront en mesure d'en tirer des bénéfices significatifs ? Si oui, lesquels ?

Ma dernière série de questions a pour objet les principaux enjeux internes au Cnes.

Comme la Cour des comptes l'a diagnostiqué dans un récent rapport, le maintien des capacités techniques du Cnes constitue un véritable défi, car il fait face à un problème durable de vieillissement de sa population d'ingénieurs, doublé d'un défaut d'attractivité en début de carrière et de départs en cours de carrière.

De plus, la moitié de son parc informatique est aujourd'hui considéré comme obsolète. Le Cnes devra donc investir massivement dans ses systèmes d'information, investissements qui s'ajouteront à ceux qu'il devra consentir pour remédier à la vétusté du centre spatial de Toulouse.

Comment percevez-vous les différents défis internes du Cnes, en particulier dans les domaines des ressources humaines, des systèmes d'information ou bien encore de l'immobilier ?

Alors que le Cnes est chargé de la gestion de la base de lancement de Kourou, en Guyane, quelles sont aujourd'hui les perspectives de développement et de modernisation de Kourou, notamment au regard du retrait de la Russie depuis 2022 ?

Nous avons besoin pour nous prononcer sur votre nomination de bien comprendre comment vous vous positionnez sur les différents enjeux que je viens d'évoquer et d'identifier les priorités qui seront les vôtres pendant l'année de mandat qui vous serait confiée à la tête du Cnes.

M. François Jacq, candidat proposé aux fonctions de président du conseil d'administration du Cnes. - Je suis très honoré de venir présenter mes idées sur le spatial et sur le Cnes devant votre commission.

Si cette nomination devait se concrétiser, elle représenterait pour moi un nouveau défi de taille au regard de l'importance que revêt actuellement le secteur spatial. Je tiens à saluer mes prédécesseurs, en particulier Yannick d'Escatha, avec qui j'ai eu l'occasion de partager de nombreux projets au fil de ma carrière.

J'entretiens depuis longtemps une relation étroite avec le spatial. J'ai siégé au conseil d'administration du Cnes, j'ai eu à utiliser les satellites météorologiques à Météo-France et, à l'Ifremer, j'ai eu recours aux satellites pour l'océanographie et aux systèmes de positionnement. Le Cnes s'inscrit dans la continuité de mon parcours consacré à la science et à la technologie, au sein de grands organismes publics, au service de l'intérêt général.

N'étant pas encore en fonction au sein du Cnes, je m'exprime à titre personnel. Il va donc de soi que mon propos appelle à une certaine modestie, et qu'il devra, le cas échéant, être confronté au travail des équipes.

Les priorités que j'ai en tête recoupent largement les questions posées par Monsieur le rapporteur.

Le spatial est un objet de fascination, mais il fournit avant tout des services concrets, pour les citoyens comme pour les entreprises. Il suffit d'imaginer ce que deviendrait notre quotidien sans les services issus du spatial : plus de positionnement par GPS, plus d'observation météorologique satellitaire, plus de suivi du climat ou de surveillance de la Terre ; cela entraînerait également un déficit majeur en matière de sécurité et de communications.

Le spatial est devenu un secteur très convoité, où la compétition est intense, y compris d'un point de vue militaire s'agissant d'un secteur dual.

Ce secteur a connu des mutations profondes. Tout d'abord, le monde des lanceurs a été bouleversé. J'ai relu, à ce propos, le rapport rédigé en 2009 par Bernard Bigot, Yannick d'Escatha et Laurent Collet-Billon et intitulé L'Enjeu d'une politique européenne de lanceurs : assurer durablement à l'Europe un accès autonome à l'espace : nombre de leurs intuitions se sont révélées exactes, mais on mesure aujourd'hui l'ampleur du bouleversement. Prenons l'exemple de SpaceX : en dehors des lancements chinois, cette entreprise assure à elle seule la grande majorité des lancements mondiaux.

Ensuite, le domaine des satellites a subi de profondes transformations. Notre industrie, longtemps à la pointe des satellites géostationnaires, se voit aujourd'hui remise en cause par l'émergence des constellations en orbite basse et des innovations technologiques associées.

Au reste, les modèles économiques ont profondément évolué. L'exemple du programme Starlink de SpaceX illustre la tendance à l'intégration verticale des acteurs. L'entreprise maîtrise la totalité de la chaîne : le lanceur, les satellites, le segment sol, les services, captant ainsi toute la valeur du marché.

Enfin, la géopolitique pèse également de tout son poids. La guerre en Ukraine - avec notamment la crainte que M. Musk ne suspende les communications Starlink à destination des Ukrainiens, ce qu'il s'est finalement engagé à ne pas faire - ou encore la remise en cause de certains programmes spatiaux aux États-Unis illustrent la complexité croissante de notre environnement stratégique.

Face à ces bouleversements, je ne prétends pas détenir toutes les solutions. Mais je souhaite formuler quelques propositions sur ce que le Cnes pourrait entreprendre.

Il me paraît avant tout essentiel de réaffirmer que le Cnes est le bras armé de l'État dans le domaine spatial. Il n'est pas le seul acteur du secteur, mais il en est l'aiguillon.

Dans le contexte actuel, il nous faut impérativement renforcer la dimension européenne de notre action spatiale. L'Union européenne, si elle reste fragmentée, ne pourra durablement affronter un acteur aussi dominant que SpaceX. L'Union européenne doit renforcer sa politique spatiale et le budget qui lui sera alloué par le cadre financier pluriannuel (CFP) 2028-2034 devra l'être tout autant.

Le projet IRIS², dans la lignée de Galileo, constitue un bon exemple de l'engagement de l'Union européenne dans le domaine spatial. Il s'agit d'un dispositif innovant et original, capable de faire collaborer efficacement les acteurs européens, en associant communication gouvernementale et prestations commerciales. L'enjeu sera de tenir le calendrier, avec une échéance de déploiement autour de 2030. C'est ambitieux, mais indispensable à la réussite de ce programme.

Notre objectif doit également être de construire une vision commune avec les grands pays européens, en particulier l'Allemagne et l'Italie. Sans un équilibre gagnant-gagnant, les divisions européennes risquent de nous affaiblir considérablement sur la scène internationale.

Concernant les lanceurs, la bonne nouvelle du jour est le succès du lancement de Vega C ; nous retrouvons ainsi une dynamique positive sur Vega comme sur Ariane 6. La priorité demeure le maintien de l'exploitation d'Ariane 6. Certes, nous faisons face à des problèmes de compétitivité et de coût, qui ont justifié la mise en place de subventions lors des dernières conférences ministérielles. Cela dit, l'investissement consenti dans ce programme est majeur, et nous nous efforcerons de le rentabiliser. Nous ne pouvons que nous réjouir d'avoir retrouvé l'accès autonome à l'espace grâce à Ariane 6.

Il faut également préparer les lanceurs de demain - le passage d'Ariane 5 à Ariane 6 a été marqué par une période de transition délicate -, sans disperser nos forces, au risque de nous exposer à des difficultés internationales. Cela suppose une coopération européenne plus étroite et un recours à des modèles innovants, associant les compétences des acteurs classiques et celles des start-up.

Le Centre spatial guyanais (CSG) constitue, à ce titre, un atout décisif. Il nous offre un accès autonome à l'espace, ce qui est un privilège stratégique. Le CSG devra se préparer à accueillir une plus grande diversité de lanceurs dans les années à venir. Les travaux engagés sur les pas de tir vont dans le bon sens et permettront d'offrir aux opérateurs futurs une infrastructure performante.

Fort de mon expérience au sein de l'Organisation européenne pour l'exploitation des satellites météorologiques (Eumetsat), de l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire (Cern) ou encore à la présidence de l'association européenne des organismes de recherche et de technologie (EARTO), je suis prêt à mettre à profit cette connaissance des rouages européens pour renforcer l'action du Cnes dans cette dimension.

J'en viens à un deuxième axe de travail : la dualité du spatial, qui est plus évidente que jamais. Il ne s'agit plus seulement de mettre les compétences du Cnes au service du ministère des armées, mais de rapprocher davantage les travaux civils et militaires afin de favoriser une approche intégrée - les technologies, les compétences, les usages doivent circuler dans les deux sens : de la défense vers le civil, et inversement.

Ce renforcement de la dualité doit également s'inscrire à l'échelle européenne. Le plan de réarmement de l'Union européenne doit impérativement comporter une composante spatiale, à la fois pour répondre aux besoins de défense et pour soutenir notre base industrielle.

Selon moi, le troisième axe de travail est le rôle du Cnes en faveur de la souveraineté et du développement industriel. Il est impératif de préserver et de consolider le socle industriel français et européen. Cela suppose de maintenir notre maîtrise sur les principales composantes technologiques : lanceurs, satellites, segments sols. Une opération de consolidation est en cours, associant Airbus, Thales et Leonardo pour constituer un acteur de taille critique. Le rôle du Cnes doit être d'accompagner, de soutenir et d'éclairer cette dynamique industrielle.

Bien sûr, nous ne réussirons pas à transposer le modèle américain. Du reste, même M. Bezos, au travers du projet Kuiper de son entreprise Amazon, est loin d'atteindre le modèle de SpaceX et du programme Starlink. Nous pouvons toutefois tirer deux leçons du modèle américain : la capacité à produire rapidement grâce à des cycles courts et à tirer parti de l'effet de série ; la recherche de l'exploitation optimale des données spatiales.

Dans ce contexte, le rôle du Cnes est, à mon sens, d'apporter son savoir-faire et sa compétence technique à l'ensemble des acteurs de l'écosystème industriel, qu'ils soient historiques ou émergents, en combinant les compétences. Nos industriels établis conservent une excellence reconnue, dont nous n'avons aucune raison de rougir. Je ne sais s'il faut parler d'« anciens » et de « nouveaux » acteurs, mais, en tout état de cause, les premiers disposent d'une solidité technique précieuse, tandis que les seconds peuvent apporter une relecture féconde des idées reçues ainsi que des modes de fonctionnement plus agiles.

Ce mouvement me semble proche de ce que nous avons pu observer dans le domaine nucléaire, où coexistent des acteurs historiques et des start-up, dont certaines réussissent, d'autres moins, mais qui contribuent tous à l'émergence d'idées neuves.

Dans cette logique de préservation du socle industriel et de réindustrialisation, l'apport du Cnes repose sur trois leviers : sa capacité prospective, son socle technique et sa faculté à éclairer les choix de l'État, y compris sur la manière d'orienter les crédits publics.

Le quatrième axe de travail concerne la recherche scientifique. Nous assistons à une remise en cause préoccupante de la science, à l'heure des vérités alternatives, comme l'on dit désormais. En ces temps troublés, il est donc essentiel de préserver un socle scientifique solide, car c'est une force reconnue de la France et de l'Europe, et un pilier de notre attractivité. Le domaine de l'observation de la Terre - j'y inclus la météorologie, le climat, la surveillance environnementale - est emblématique de cette excellence à préserver. Or certaines coopérations entre la France, les États-Unis et l'Agence spatiale européenne pourraient être remises en cause alors que des programmes à plusieurs centaines de millions d'euros ont été engagés, dans l'altimétrie spatiale ou dans l'observation des océans, comme le programme Swot. S'ils ne pouvaient aboutir, ce serait un véritable crève-coeur, d'autant que l'altimétrie spatiale, avec les missions Jason, est une coopération historique entre la France et les États-Unis, et d'excellence mondiale.

Face à cette incertitude, il faudra faire preuve de prudence. Si certaines missions peuvent être maintenues, il faudra en tirer le meilleur parti. Si elles doivent être abandonnées, il nous appartiendra de rechercher d'autres partenaires - les agences spatiales japonaise et indienne pourraient être des options crédibles ; nous devons être prêts à bâtir de nouveaux partenariats stratégiques. Au reste, cela suppose aussi une fédération des efforts des acteurs français : Météo-France, l'Ifremer, les universités et le Cnes ont vocation à travailler davantage ensemble.

Je terminerai par un mot sur le Cnes lui-même. Le Cnes est un outil indispensable à la politique spatiale nationale. Sa valeur tient à son expertise technique, à son rôle d'architecte système du spatial et à sa capacité à conseiller l'État. Mon souhait est que l'État s'appuie pleinement sur le Cnes pour définir ses politiques publiques.

Le projet pour l'établissement devra être construit collectivement, en interne, avec les équipes et les parties prenantes. Plusieurs orientations me paraissent néanmoins prioritaires.

Tout d'abord, il faut renforcer l'agilité, la capacité d'innovation, l'anticipation, et raccourcir les cycles de travail. Ensuite, il faut intégrer pleinement la dimension environnementale. Aujourd'hui, nous lançons 1 500 tonnes par an, contre 400 tonnes auparavant. L'espace n'est pas infini : la gestion des débris et de la congestion orbitale devient un enjeu central.

Je voudrais souligner un autre aspect relatif à nos préoccupations pour la science. Le spatial fascine, notamment les jeunes gens. Nous pourrions mobiliser ce caractère fascinant au service d'une promotion de la science pour en renforcer l'attractivité. En effet, la désaffection à l'égard des études scientifiques, en particulier chez les jeunes filles, devient extrêmement préoccupante. En montrant ce que nous faisons au service de la découverte de l'univers et des progrès technologiques, nous pouvons faire du spatial un outil d'attraction.

J'en arrive à la remarque du rapporteur sur l'attractivité du Cnes. Il est clair que le haut de la pyramide des âges au sein du Cnes tend à s'étoffer et que les générations actuelles devront être renouvelées, sans que nous perdions leur savoir-faire. Il nous faut donc attirer des jeunes. À cet effet, il convient d'appuyer sur la dimension d'innovation scientifique et sur la promotion de nouveaux projets pour montrer à ces derniers que l'aventure spatiale n'est pas terminée, bien au contraire.

Le Cnes doit également être capable de nouer des passerelles entre les différents acteurs du système, y compris l'industrie. Une plus grande mobilité dans le secteur serait une richesse. Il me semble donc important de rapprocher les différents organismes pour renouveler nos compétences et de proposer des parcours attractifs en interne.

Comme quand je suis arrivé au CEA, mon objectif est de parvenir à ce que nous nous inscrivions pleinement dans l'héritage du Cnes, en préservant la culture de l'excellence qu'il cultive depuis 1961, tout en adaptant l'organisme à l'environnement actuel, qui n'est plus celui des années 1960. Voilà mon pari : proposer aux salariés un projet attractif leur ouvrant de nouvelles voies. Toutes proportions gardées, c'est ce que nous avons essayé de faire au CEA, ces dernières années.

J'ai conscience des responsabilités qu'implique la présidence du Cnes. Il peut sembler facile de dire, comme je viens de le faire, que nous avons besoin de renforcer la dimension européenne et le tissu industriel, car il est bien sûr compliqué d'y parvenir. Il ne sera pas simple d'unir les volontés de tous les pays européens, au regard des rivalités qui existent entre eux, notamment celle que nous entretenons avec notre voisin allemand. Mais je suis prêt à mettre toute mon énergie dans ce projet, parce qu'il est passionnant, qu'il résonne avec mon parcours et que je pense que la qualité des personnels et de l'encadrement du Cnes doit nous permettre de le réaliser.

Au service de ce projet, je pourrai mobiliser plusieurs atouts : ma pratique du pilotage de grandes organisations de recherche, qui représente l'essentiel de ma carrière ; mon lien avec l'industrie et le développement des grands programmes - dans le nucléaire, mais également dans la microélectronique ; ma capacité à faire travailler ensemble différents acteurs - je suis fier d'être parvenu, avec mes collègues de l'Ifremer, à unifier les quatre flottes océanographiques ; mon expérience européenne, que j'ai déjà évoquée ; et ma capacité à transformer les organismes tout en respectant leur héritage.

Je terminerai en revenant sur certaines questions du rapporteur auxquelles je n'ai pas encore répondu.

Monsieur le rapporteur, vous m'avez interrogé sur la potentielle contribution du Cnes à la stratégie spatiale française et européenne. Je vous ai partiellement répondu en dressant les grands chantiers futurs de l'organisme. À mon sens, le Cnes a un rôle de proposition ; il doit être le bras armé de l'État et l'aiguillonner sur les choix qu'il devra faire, d'autant plus que ceux-ci risquent d'être rudes, compte tenu de l'évolution de l'environnement international et du contexte budgétaire.

Ensuite, les objectifs de France 2030 ont-ils été atteints ? Lorsqu'il est question d'innover et d'ouvrir de nouvelles voies, j'estime qu'il faut donner du temps au temps. Il est compliqué de demander de rendre des comptes au bout de deux ans. Prenons l'exemple de SpaceX : l'entreprise, avant de devenir productive, a pu compter sur un soutien constant de l'administration américaine et entretenir des liens avec la Nasa pendant un bon nombre d'années.

Ma conviction sur l'écosystème actuel est la suivante : nous avons ravivé la conviction de chacun sur l'importance du domaine spatial et sur la nécessité d'y apporter des idées nouvelles, voire de revisiter des idées anciennes qui n'avaient pas été développées jusqu'au bout. Nous avons ainsi suscité une forme d'attraction et nourri une capacité de mobilisation. Désormais, se trouve devant nous le moment des choix entre les voies que nous considérerons sans issue et celles que nous jugerons prometteuses.

Sur les infrastructures des sites de Kourou et de Toulouse, je vous répondrai « à quelque chose malheur est bon. » La période intermédiaire en matière de lancements a permis de moderniser la base de Kourou et de réaliser des travaux de jouvence. Quant au centre spatial de Toulouse, mon retour d'expérience du CEA me fait dire que nous devons adopter un schéma patrimonial rigoureux, définir une programmation et nous y tenir. L'un des enjeux pour que les bâtiments restent en bon état est de maintenir un niveau d'investissement régulier, car nous ne pouvons pas tout faire d'un coup. Le Cnes de Toulouse a engagé des travaux en ce sens qui devraient porter leurs fruits.

Enfin, les systèmes d'information sont déjà presque obsolètes lorsqu'ils sont lancés tant les évolutions dans le domaine sont rapides. Je l'expérimente rudement au CEA où nous sommes en train de refondre l'ensemble du système informatique de gestion. Il s'agit de chantiers lourds, coûteux et énergivores pour le personnel. Nous avons là aussi besoin de schémas directeurs afin de programmer des rendez-vous réguliers pour la mise à niveau.

M. Franck Montaugé. - Vous n'avez pas répondu sur l'état du droit international de l'espace.

M. François Jacq. - Toute une série d'accords ont été conclus depuis les années 1960 pour un usage pacifique de l'espace. La ligne française est clairement de respecter cette notion d'usage pacifique de l'espace. Nous devons pousser pour que le futur acte européen sur le sujet s'inspire de notre loi du 3 juin 2008 relative aux opérations spatiales pour nous donner les moyens de contrôler, de mesurer et de surveiller ce qui se passe dans l'espace. En effet, la bonne connaissance des activités spatiales est un prérequis pour nous assurer que le cadre pour lequel nous plaidons est bien respecté. Nous avons un rôle important à jouer à cet égard.

M. Patrick Chaize. - Je vous remercie de cet exposé très complet. Permettez-moi de revenir sur la question des partenariats. Les évolutions récentes du domaine spatial ont fait émerger de nouveaux acteurs. Le Cnes collabore ainsi avec de plus en plus de start-up, l'industrie ayant acquis des compétences dans le domaine à l'issue d'un travail de longue haleine. Avez-vous des idées pour développer et renforcer les bénéfices de cette coopération au regard des fonctions que vous avez occupées ?

Par ailleurs, quelles pistes envisagez-vous pour réduire les coûts des lancements ?

M. Daniel Salmon. - Vous avez abordé les sujets des pollutions spatiales. Les débris de plus en plus nombreux augmentent le risque de voir advenir le scénario connu sous le nom de « syndrome de Kessler ». Comment le Cnes peut-il contribuer à lutter contre cette pollution de l'espace ?

Par ailleurs, les constellations de satellites engendrent de la pollution lumineuse. L'humanité a toujours vécu sous le magnifique paysage offert par la voûte céleste. Or celle-ci est en train de devenir un lieu privé, ce qui a des répercussions sur ce que nous en voyons.

Ensuite, nous avons débattu du sujet des vols habités au sein de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst). Ces vols présentent peu d'intérêt scientifique et sont plutôt vécus comme un symbole de puissance. Quel est votre point de vue sur le sujet ?

Il est bien sûr absolument nécessaire d'observer la Terre pour quantifier les dérèglements climatiques.

Enfin, je ne peux que vous inciter à rénover vos bâtiments : observer le réchauffement climatique est une bonne chose, lutter contre celui-ci chacun à son niveau est également une nécessité.

M. Bernard Buis. - Comment la France doit-elle se saisir des missions d'exploration et d'utilisation des ressources spatiales ?

M. François Jacq. - Monsieur Chaize, il n'existe pas de baguette magique pour réduire le coût des lancements, mais nous pouvons agir sur l'efficacité de l'organisation industrielle en simplifiant les processus et en rendant les circulations moins nombreuses. ArianeGroup y travaille. Bien entendu, nous sommes dépendants de la conception du lanceur. Toutefois, nous pouvons nous inspirer de certains processus de production en vigueur à l'étranger pour dégager des marges et concevoir les futurs lanceurs.

En ce qui concerne les partenariats, puisque vous m'invitez à m'appuyer sur mon expérience passée, je prendrai l'exemple du nucléaire. Le fait de travailler avec des acteurs nouveaux nous incite à réinterroger un certain nombre de choses. Dans le domaine des réacteurs nucléaires, nous avons expérimenté le réacteur à sels fondus. Un unique réacteur de ce type a été construit dans les années 1960-1970. Or la Chine vient d'en lancer un, qui est certes petit, mais commence à attirer l'attention.

Autrement dit, des voies que nous avons abandonnées par le passé sont remises sur le devant de la scène par de nouveaux acteurs, ce qui nous oblige à les reconsidérer. Pour cela, les divers acteurs doivent coopérer et partager leurs compétences. Le socle de compétences et l'expertise du Cnes doivent servir à déterminer les voies qui méritent d'être réactivées et celles qui sont trop hasardeuses.

Monsieur Salmon, la pollution lumineuse est loin d'être le sujet le plus simple. La communauté scientifique s'en plaint et il convient d'en déterminer les répercussions sur les mesures et sur les observations pour ensuite trouver des mesures palliatives. Ce travail est en cours et il faudra bien en tenir compte.

Cela m'évoque le problème de compétition des usages sur un domaine limité : nous devrons soit trouver des palliatifs, soit réguler les usages. La solution se trouve sûrement entre les deux options.

En ce qui concerne les débris et le « syndrome de Kessler », nous devons répondre à deux questions. La première est d'ordre ponctuel : être capable de prévoir les effets des débris en tant que tels et de leurs impacts. La seconde est plus générale : déterminer ce que la masse et l'importance du phénomène impliquent réellement. Kessler a émis son hypothèse il y a plusieurs décennies et nous ne disposons pas de modélisation fine du phénomène. Il s'agit à ce stade d'un sujet de travail.

Le vol habité recouvre un enjeu de puissance et de démonstration de la maîtrise de l'espace depuis les années 1950. L'Europe a toujours eu une position équilibrée : ne pas avoir son propre programme spatial, mais profiter des occasions qui se présentent à elle, en participant aux missions américaines ou à la conception et à la gestion de la station spatiale internationale.

Nous pouvons profiter du vol habité dans la mesure où il permet de tester des technologies extrêmes et de recueillir des retours d'expérience. Pour autant, il pose des questions tant en matière d'exploration spatiale que d'économie des deniers publics. Il convient de trouver un juste équilibre.

Quant à la rénovation des bâtiments, j'y suis bien sûr favorable, mais il faut pour cela sécuriser les investissements et réaliser les travaux année après année.

Monsieur Buis, nous devons parvenir à la fois à connaître l'espace et à en bénéficier sans nous lancer dans des démarches de compétition entre les acteurs ou de commercialisation, ce qui n'irait pas sans risques. Il convient de prendre des mesures pour mieux connaître et comprendre l'espace avant d'envisager une quelconque exploitation ou exploration de celui-ci. Si nous mettons la charrue avant les boeufs, nous allons au-devant de difficultés considérables.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Je reviendrai sur la saturation de l'orbite basse et le déploiement des constellations de satellites. J'ai lu que plus de 50 000 objets devraient y flotter d'ici à 2050. Cela donne une idée de l'ampleur du phénomène. Que pensez-vous de l'idée de créer une autorité mondiale du trafic spatial ? Vous semble-t-elle crédible compte tenu de la donne mondiale ? Comptez-vous être actif dans ce domaine ?

Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Le domaine spatial crée non seulement des emplois hautement qualifiés dans l'industrie spatiale, mais également de nombreux emplois dans les services, que ce soit dans la logistique, les transports, l'agriculture, la santé, la finance, la défense, ou encore les télécommunications. Or le grand public est peu informé sur le sujet, à l'exception des travaux de Thomas Pesquet. Comment envisagez-vous de rendre accessibles au plus grand nombre les enjeux techniques et scientifiques de l'espace ?

M. Fabien Gay. - Monsieur Jacq, j'ai été quelque peu surpris par votre façon d'évoquer le sujet du rapprochement entre Airbus, Thales et Leonardo en nous disant que l'objectif n'était pas de créer un SpaceX européen. Je suis d'accord avec vous sur le fait que ce serait très compliqué. Sauf que les directions de ces entreprises vendent en ce moment un projet dit « Bromo » reposant précisément sur la volonté de faire émerger un SpaceX européen. Or ils se fondent sur ce projet pour opérer des restructurations très importantes : 2 500 emplois vont être supprimés chez Airbus dans le domaine spatial et la défense et 1 800 emplois sont menacés chez Thales.

Je précise que je m'intéresse de près à la question spatiale et que j'ai notamment eu la chance de visiter le centre spatial guyanais. Les grands industriels contestent le rôle du Cnes. Certains voudraient même se passer de ses services et pouvoir organiser des tirs de A à Z. Le projet Bromo découle de cette logique d'amoindrissement du rôle du Cnes. Quelle position adopterez-vous sur ce projet ? S'il aboutissait, il faudrait plus que jamais défendre les compétences et les savoir-faire du Cnes face aux industriels pour affirmer les nécessités de service public.

M. François Jacq. - Madame Loisier, à dire vrai, je ne suis pas très optimiste sur la création d'une autorité mondiale quand je vois ce que fait en ce moment l'administration américaine et la forme de consanguinité qu'elle entretient avec divers acteurs. Toutefois, il nous faut plaider en ce sens. Nous pouvons agir à l'échelle européenne, dès lors que les acteurs en question bénéficient d'infrastructures ou qu'ils doivent trouver des relais en Europe, mais il ne faut pas nous leurrer.

En revanche, nous devons alerter sur les conséquences du trafic spatial pour que chacun convienne qu'il faut agir de manière raisonnable.

Madame Renaud-Garabedian, je prendrai de nouveau l'exemple du CEA pour répondre à votre question sur les moyens de communiquer. Nous avons récemment mis en service la plus grosse machine d'imagerie cérébrale au monde, qui permet d'examiner un cerveau de manière quasiment aussi fine qu'en le disséquant. Nous avons publié une communication sur le sujet sur le web qui a recueilli un nombre de vues énorme, notamment par des jeunes.

Il convient de trouver des sujets qui non seulement montrent des exploits scientifiques et technologiques, mais ouvrent aussi des horizons de réflexion susceptibles de fasciner le grand public, car la connaissance est le propre de l'être humain. Le spatial s'y prête bien, car il revêt déjà une dose de fascination. Il est indispensable de communiquer pour convaincre de l'importance du domaine, et de la science dans son ensemble, et pour attirer les jeunes. Le Cnes le fait déjà, mais nous pouvons aller encore un peu plus loin en trouvant des sujets susceptibles de susciter l'attention du public.

Monsieur Gay, comme vous le savez, SpaceX est un modèle qui va du lanceur à l'utilisateur du service internet finalement fourni, en passant par la fabrication et le lancement de la constellation de satellites. Voilà ce qui lui permet d'écraser la concurrence.

M. Fabien Gay. - C'est la force de ce modèle !

M. François Jacq. - Bien sûr, mais il convient, au sein de ce modèle, de distinguer la part qui bénéficie des lancements institutionnels et du soutien public.

M. Fabien Gay. - Un soutien massif !

M. François Jacq - Si je dis que le projet Bromo est différent, c'est qu'il se fonde non pas sur une organisation verticale, mais plutôt sur une organisation horizontale, en proposant de travailler sur l'ensemble des satellites.

Vous dites à juste titre que les industriels français historiques sont dans une situation difficile. C'est précisément lié au développement des constellations et aux difficultés qu'ont connues nos satellites géostationnaires, qui ont été par le passé l'un des symboles de notre excellence. Je ne sais pas comment nous pourrions créer un SpaceX européen, mais nous devons consolider nos compétences, nous assurer qu'il existe un marché européen, et aider, grâce à nos missions, nos industriels à développer de nouveaux projets. Voilà ce qui nous permettra de préserver l'emploi.

En ce qui concerne la contestation du rôle du Cnes, j'ai l'habitude de faire face à ce genre de critiques - je l'ai vécu rudement au CEA ces dernières années. Comme je le dis toujours, quand tout va bien, on croit ne pas avoir besoin de ces organismes, mais dès qu'il y a un problème, on découvre que c'est bel et bien le cas.

Je suis convaincu de la noblesse du rôle de ce genre d'organisme : maintenir le socle de compétences techniques et l'excellence qui nous permet d'anticiper des événements, de répondre à des questions difficiles le moment venu, de piloter des projets et de comprendre le système. Je l'ai défendu par le passé et j'ai bien l'intention de le faire à l'avenir, car je n'ai pas changé d'avis sur le sujet.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Vote et dépouillement sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. François Jacq aux fonctions de président du conseil d'administration du Centre national d'études spatiales (Cnes)

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous avons achevé l'audition de M. François Jacq, candidat proposé par le Président de la République pour exercer les fonctions de président du conseil d'administration du Centre national d'études spatiales. Nous allons maintenant procéder au vote sur cette proposition.

Le vote se déroulera à bulletin secret, comme le prévoit l'article 19 bis de notre Règlement. En application de l'article 1er de l'ordonnance n° 58-1066 du 7 novembre 1958 portant loi organique autorisant exceptionnellement les parlementaires à déléguer leur droit de vote, les délégations de vote ne sont pas autorisées.

Je vous rappelle que le Président de la République ne pourrait procéder à cette nomination si l'addition des votes négatifs des commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés dans les deux commissions.

La commission procède au vote, puis au dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. François Jacq aux fonctions de président du conseil d'administration du Centre national d'études spatiales, simultanément à celui de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Voici le résultat du scrutin, qui sera agrégé à celui de la commission compétente de l'Assemblée nationale :

Nombre de votants : 43

Bulletin blanc : 1

Suffrages exprimés :

Pour : 14

Contre : 28

La réunion est close à 20 heures.

Mercredi 30 avril 2025

- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -

La réunion est ouverte à 8 heures.

Audition de M. Bernard Fontana, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de président-directeur général d'Électricité de France (EDF) (sera publié ultérieurement)

Le compte rendu de cette audition sera publié ultérieurement.

Vote sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Bernard Fontana aux fonctions de président-directeur général d'Électricité de France (EDF) (sera publié ultérieurement)

Le compte rendu de cette audition sera publié ultérieurement.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo, disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition sur la politique forestière avec Mme Anne Duisabeau, présidente de France Bois Forêt, MM. Jean-Pascal Archimbaud, président de la Fédération nationale du Bois, et Mathieu Fleury, président du Comité interprofessionnel du bois-énergie (sera publié ultérieurement)

Le compte rendu de cette audition sera publié ultérieurement.

La réunion est close à 12 h 10.