Mercredi 7 mai 2025
La réunion est ouverte à 17 h 00.
Audition de M. Jean Deguerry, vice-président de l'Assemblée des Départements de France (ADF) et président du Conseil départemental de l'Ain
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons notre cycle d'auditions des associations d'élus avec l'Association des départements de France (ADF), dont nous avons le plaisir d'accueillir en téléconférence le vice-président, Jean Deguerry, président du conseil départemental de l'Ain.
Monsieur le président, nous vous remercions chaleureusement de vous être rendu disponible pour nous faire partager votre appréciation du fonctionnement des intercommunalités et nous éclairer sur les relations entre les départements et les structures intercommunales. Comment, selon vous, celles-ci ont-elles évolué depuis la mise en application de la loi NOTRe, qui a renforcé le bloc intercommunal ?
Je vous précise que notre mission d'information, créée à l'initiative du groupe Rassemblement Démocratique et Social Européen (RDSE), n'a pas pour objectif de remettre en cause le principe de l'intercommunalité, ni l'ensemble de l'architecture mise en place il y a maintenant dix ans, mais d'identifier les freins et blocages de toute nature qui entravent le bon fonctionnement de certaines structures intercommunales.
En adoptant une démarche pragmatique, au plus près des réalités de terrain, nous avons à coeur de trouver avec les élus, en particulier les maires et les présidents d'intercommunalités, des voies d'amélioration pour garantir le meilleur fonctionnement possible de notre démocratie locale, notamment en termes de gouvernance et de service rendu aux citoyens.
Je cède immédiatement la parole à notre rapporteure Maryse Carrère pour que nous entrions directement dans le vif du sujet.
Mme Maryse Carrère, rapporteure. - Monsieur le président, je vous remercie d'avoir accepté de nous faire partager votre expertise et votre point de vue sur le bilan de l'intercommunalité. Nous savons l'importance des départements dans les solidarités territoriales et la relation particulière qui existe entre les conseils départementaux et les communes.
Quel regard portez-vous aujourd'hui sur les intercommunalités et sur la façon dont elles ont pu modifier les relations entre les départements et les communes ? Dans quelle mesure la loi NOTRe a-t-elle bouleversé la donne ? Quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez avec les intercommunalités et leurs communes membres, notamment dans votre territoire ? Avez-vous mis en place des politiques particulières en lien avec ces nouvelles structures ?
M. Jean Deguerry, vice-président de l'Assemblée des départements de France. - Madame la rapporteure, mesdames et messieurs les sénateurs et sénatrices, je vous remercie d'avoir pris l'attache de l'Assemblée des départements de France (ADF) pour compléter ce tour d'horizon que vous avez entrepris concernant le bilan des lois Maptam et NOTRe.
Ayant été président d'intercommunalité pendant une dizaine d'années, puis d'agglomération, avant d'être président de département, et étant toujours membre d'un conseil municipal - depuis trente ans maintenant, je suis profondément engagé auprès de toutes ces collectivités.
Les lois Maptam et NOTRe ont profondément modifié le centre de gravité de l'action publique locale, en installant, voire en imposant, l'intercommunalité au centre du paysage de la décentralisation. À l'ADF, nous pensons que l'intercommunalité a toujours été conçue pour répondre à une question d'organisation administrative, très éloignée des valeurs politiques de la décentralisation.
Une enquête menée auprès des présidents de conseils départementaux à l'occasion des quarante ans de la décentralisation révèle d'ailleurs qu'il est essentiel et urgent de conforter le département et la commune comme cadre pertinent de l'action publique territoriale.
Dès 2014, la Cour des comptes soulignait un renchérissement des coûts de l'action publique locale dû notamment à un mouvement intercommunal qui représentait à lui seul plus de 13 % des dépenses des administrations locales et qui conduisait à une progression excessive des dépenses du secteur communal, une tendance incompatible avec le redressement des comptes publics. La Cour signalait également une absence de rationalisation administrative du bloc local, en raison d'une superposition et d'un enchevêtrement des structures dont le marqueur était un accroissement excessif des effectifs.
Malgré ce constat, le législateur de 2015 a conduit, sans réel débat ni étude d'impact, une grande réforme territoriale qui s'est encore une fois traduite par un affaiblissement des collectivités locales décentralisées, via la spécialisation des compétences pour le département, via le transfert forcé de compétences pour la commune - je pense notamment à l'eau et l'assainissement - tout cela au profit des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI).
Le département, traditionnelle collectivité de proximité et des solidarités humaines, a particulièrement souffert de l'affirmation des métropoles, notamment dans le domaine social.
Dix ans plus tard, en 2024, la Cour des comptes dresse un même constat de défaillances organisationnelles qui conduisent à un manque de lisibilité et d'efficacité de l'action publique locale. Elle pointe aussi la forte croissance des dépenses de personnel des EPCI, de plus de 35 % entre 2015 et 2021.
Les intercommunalités sont parfois ressenties comme technocratiques par les maires, notamment ruraux, qui s'y sentent étrangers. J'observe de plus en plus de désaffection de la part de maires, qui ne trouvent plus leur place et qui, à mon avis, ne l'ont jamais vraiment trouvée. Beaucoup redoutent une dépossession du pouvoir communal et une négation de leur capacité à agir au plus près de leurs concitoyens.
Pour l'ADF, les intercommunalités sont d'abord des structures de mutualisation au service des communes et doivent le rester. Les plus puissantes, comme les métropoles, ne semblent pas vouloir renoncer à étendre encore davantage leur champ de compétences, au détriment des départements. Or on dépend toujours des départements et des communes en matière de services publics de proximité.
Les lois RCT (loi de réforme des collectivités territoriales française), Maptam et NOTRe ont profondément modifié le cours de la décentralisation en remettant en cause les libertés locales, le nombre d'échelons territoriaux et leur efficacité. En imposant des regroupements intercommunaux successifs, elles ont eu des effets très néfastes. Historiquement, dans le processus de décentralisation, le département a toujours été perçu comme le bon niveau d'administration, l'État reconnaissant en lui un pouvoir démocratique local, détenteur de moyens effectifs et de ressources fiscales propres. Ce n'est plus le cas aujourd'hui.
Le législateur de l'époque a cru en une logique dite de « bloc de compétences » pour clarifier la situation, mais cela n'a pas été le cas. Nous n'avons pas été plus efficaces, au contraire. L'adoption de nouvelles échelles régionales, cantonales ou intercommunales a contribué à éloigner les élus et les citoyens de l'action publique de proximité, et non de réduire les dépenses publiques - je le répète souvent, mais c'est le cas aujourd'hui avec les contraintes financières que nous connaissons. Après la crise des gilets jaunes et la colère des élus locaux, des ajustements ont eu lieu avec l'adoption des lois « Engagement et proximité » et « 3DS », mais cela n'a pas répondu aux attentes.
Le département a apporté, par le biais de la contractualisation, un soutien important aux communes et aux EPCI, évalué à deux milliards d'euros par an en 2020, ainsi qu'une ingénierie territoriale publique. Aujourd'hui, plus d'un département sur trois ne verse plus d'aides aux communes, faute de moyens financiers. Dans mon département de l'Ain, chaque année, je vote un budget de 20 millions d'euros d'aide aux communes et aux intercommunalités, qui engendre 170 millions d'euros de travaux. C'est un levier très important. Les maires ou les présidents d'intercommunalités font travailler des entreprises locales, ce qui a un fort impact sur l'économie.
La dernière décennie a chamboulé la décentralisation en créant de nouveaux déséquilibres et de nouveaux rapports de force. L'intercommunalité suscite un certain désintérêt, ce qui est grave. De nombreux maires prônent l'intercommunalité à la carte afin de retrouver leur liberté d'agir en fonction des spécificités locales. Je crois à la spécificité des territoires, et non à la logique du silo vertical et uniformisateur.
Même au sein d'une grande intercommunalité, telle celle dont j'ai été élu par le passé, nous n'avons pas les mêmes besoins d'un côté à l'autre du territoire intercommunal. Nous n'avons pas les mêmes attentes, ni les mêmes envies. C'est compliqué à harmoniser. Dans un département, nous avons des intercommunalités, des agglomérations puissantes. Le maire comme le citoyen ne s'y retrouve pas vraiment. De plus, les compétences sont désormais partagées : prenons l'exemple du tourisme, de l'agriculture, de la culture, du sport. Qui fait quoi ? Cela ne rend pas un territoire très équitable.
Je ne suis pas anti-intercommunal, mais si vous me demandez si l'intercommunalité est une réussite, je dirais « oui et non ». Ni l'un ni l'autre ne l'emporte. Ce n'est pour moi qu'une demi-réussite. On a trop dépossédé les maires et trop éloigné les élus intercommunaux des décisions de proximité. Les gens dans la rue connaissent à peine leur président d'intercommunalité, et encore moins ses compétences. C'est différent lorsqu'on interroge un citoyen par rapport à la commune. Les grandes difficultés concernent les mises en place, ou les compétences obligatoires. Lorsque j'étais président d'intercommunalité, j'ai été obligé de prendre la compétence « eau et assainissement ». J'en ai dépossédé les communes, et pour rendre un service moins bien, en fin de compte, et pour augmenter le prix de l'eau dans certaines communes pour l'harmoniser avec les autres communes membres de l'intercommunalité. La mise en place d'un plan local d'urbanisme intercommunal (PLUi) complique le quotidien des élus locaux, des maires en particulier, mais aussi crée un fossé avec les départements. Le président d'une intercommunalité possède un vrai pouvoir de décision, parce qu'il peut se passer du département. Aujourd'hui, ce n'est pas très lisible du point de vue des citoyens, mais aussi de certains élus : beaucoup de nouveaux élus municipaux ne comprennent pas encore comment fonctionne cet ensemble.
Le grand nombre de démissions actuelles parmi les maires, que j'ai pu observer dans mon département, s'explique notamment par le fait qu'ils n'avaient pas anticipé ce type de mission. Ils croyaient que le rôle de maire était différent et que, lorsqu'ils voulaient entreprendre quelque chose, ils n'auraient pas à devoir demander à l'intercommunalité, demander à tout le monde, sans oublier l'État ; en réalité, ils ne savaient pas qu'on leur retirait la capacité de décision, leur ambition et que les choses mettaient beaucoup de temps à se décider et à se mettre en place. C'est un frein important, en dehors des problèmes de sécurité ou d'agression, dans l'exercice quotidien de la fonction. C'est ce qui, bien souvent, freine l'envie des maires sortants de se représenter.
Mme Maryse Carrère, rapporteure. - Vous avez abordé l'ensemble des thématiques du questionnaire que nous vous avions fait parvenir. Merci pour cette analyse.
La carte intercommunale n'a pas connu de grosses évolutions depuis la mise en oeuvre de la loi NOTRe. Un petit nombre de communes sort d'une intercommunalité pour aller vers une autre, et on observe peu de fusions et de scissions. Pensez-vous que les modalités de changement constituent un frein ou que la carte intercommunale d'aujourd'hui est acceptée ?
La carte intercommunale a été très contestée car elle a été faite sur la base mathématique d'un nombre minimal d'habitants assortie d'une obligation de fusionner lorsque la population d'une intercommunalité était moins nombreuse que ce seuil. Ces périmètres sont-ils cohérents ?
S'agissant de l'exercice des compétences intercommunales, pensez-vous que la liste des compétences obligatoires, aujourd'hui, est adaptée ? Les élus connaissent-ils suffisamment les dispositifs de transfert de compétences, de restitution et de transfert à la carte ? Les délégations de compétences sont-elles fréquemment utilisées ?
Les services communs peuvent être de bonnes pratiques pour les communes, et une façon de prouver aux communes que l'intercommunalité est intéressante et importante. Faut-il donner aujourd'hui plus de souplesse en matière de répartition des compétences ?
M. Jean Deguerry. - La carte intercommunale n'est pas contestée, mais elle n'a été acceptée qu'à contrecoeur. Dans mon département, nous sommes passés de 27 ou 29 intercommunalités à 14. Il y a eu des mariages forcés, ce qui a laissé des traces. Même si les élus ont peut-être changé depuis, dans un territoire comme le mien, qui est à la fois de moyenne montagne et de plaine, de proximité et de grande ville, les mariages se sont faits par rapport aux lignes de crête, aux frontières de moyennes montagnes et de plaines. Certaines communes sont enneigées, d'autres ne le sont pas. Cela a des implications pour le déneigement, le salage de routes, la chute de rochers, la culture maraîchère, etc. Toutes ne se sentent pas concernées.
Marier deux intercommunalités pauvres ne peut pas faire une intercommunalité riche. Et quand une riche est mariée avec une ou deux pauvres, elle s'appauvrit. Les services de l'État imposent ensuite - je prends l'exemple de l'eau et de l'assainissement - des travaux avec des délais impartis, ce qui tend les finances de l'intercommunalité « riche » et conduit à augmenter le coût de l'eau.
Pourquoi les communes ne reviennent-elles pas en arrière ? Quelques communes ont changé d'avis car elles s'étaient rendu compte qu'elles n'étaient pas membres de la bonne intercommunalité. Elles ont préféré se rapprocher d'une intercommunalité qui les traitait mieux.
En outre, de nombreux maires ont arrêté de participer lors de la création de ces intercommunalités. Dans mon exemple, en 2013, quatre intercommunalités ont fusionné. Puis en 2014, la moitié des maires ont arrêté de participer après que la nouvelle intercommunalité a été mise en place. Ils ont aidé à la créer, mais n'ont pas voulu siéger au sein de son exécutif. Six ans plus tard, en 2020, de nouveaux maires ont arrêté de siéger parce qu'ils ne s'y retrouvaient pas. L'intercommunalité ne correspondait pas à ce qu'ils attendaient. On leur avait peut-être vendu l'idée qu'elle les aiderait, mais ce n'est pas ce qui s'est passé. L'intercommunalité rend des services, comme le ramassage des ordures ménagères, mais d'autres choses ne marchent pas, comme l'eau et l'assainissement.
En 2018, ma commune a été forcée de rejoindre une communauté d'agglomération. Il n'y a pas eu d'amélioration du service, en partie parce que les communes n'ont pas joué le jeu. Les employés ou les élus qui connaissaient bien les réseaux n'ont pas directement transmis toutes les informations dont ils disposaient. En conséquence, lorsqu'il y a un problème, il faut plus de temps pour intervenir, ce qui rend les usagers insatisfaits et augmente la tarification. Le système est plus gros, plus coûteux, et il faut embaucher.
Certaines choses fonctionnent et peuvent soulager, comme l'aménagement de zones industrielles ou artisanales, qui relève des compétences économiques des EPCI et nécessite des moyens pour la réalisation des aménagements. Cela permet de créer de l'économie dans des zones rurales, ce qui est une bonne chose, puisque cela permet à celles-ci de conserver leurs écoles, commerces et emplois sur place et d'améliorer leur attractivité.
De même il est parfois avantageux d'avoir des compétences partagées, mais cela cause souvent des confusions. Tout le monde veut s'occuper de tout, ce qui peut entraîner des dépenses excessives. On pourrait faire des économies à ce niveau et rendre l'action publique plus lisible. De plus, lorsque la compétence est partagée, il faut une certaine unanimité sur les actions à mener, et on ne sait pas qui doit faire quoi. Cela me rend circonspect quant à ces compétences partagées. J'estime qu'avoir des compétences propres et bien ciblées permet à chacun de travailler selon ses besoins, ses priorités et ses convictions. C'est également bien plus clair aux yeux du citoyen.
Les élus connaissent-ils forcément la répartition des compétences entre collectivités ? Non. C'est le devoir de chaque président d'EPCI de former les élus. Il devrait y avoir un cadre et des formations pour redéfinir les rôles de chacun. Beaucoup de nouveaux maires ne connaissent pas les compétences d'une commune, d'une intercommunalité, d'un département ou d'une région.
Pour les conseillers municipaux, c'est encore pire, car ils pataugent complètement. Et si le maire lui-même ne sait pas, comment voulez-vous qu'il explique à son conseil municipal ? Il faut donc de la formation. Si chaque élu municipal comprenait le fonctionnement et les compétences, on serait mieux compris par la population.
Il faut parvenir à harmoniser les choses tout en les assouplissant. Je l'ai souvent dit, on ne peut pas tout décider depuis Paris. Ce qui se passe dans l'Ain, chez moi, est différent de ce qui se passe en Lozère ou dans le Nord. Il faut tenir compte de ces spécificités. Sinon, on crée des intercommunalités uniformisées ; sans saveur, certaines vont tenir, d'autres vont vivoter. Mais ce n'est pas ce qui fait la richesse et la diversité d'un pays. Il faut permettre de la différenciation et laisser faire les élus locaux. Il faut leur faire confiance.
Aujourd'hui, j'entends des maires désabusés qui disent « on nous interdit de faire ci, on nous interdit de faire ça, on ne nous fait pas confiance ». C'est cela qui les bloque. Il y a, en France, trop de normes et de règles qui empêchent les bonnes volontés. On le paye tous les jours. Si on arrivait à libérer un peu ces forces vives, on retrouverait plus facilement des candidats aux élections. Et le pays s'en porterait beaucoup mieux.
Mme Maryse Carrère, rapporteure. - Vous avez évoqué la mutualisation des services et des moyens, mais vous n'avez pas une vision très positive sur le coût mutualisé, qui n'est pas forcément moins élevé.
En matière d'investissement, pensez-vous que l'intercommunalité soit en mesure de porter des investissements plus importants et d'avoir rendu possibles, au bout de ces dix années, des investissements plus conséquents que n'auraient pu être portés par les intercommunalités précédentes ou les communes elles-mêmes ?
M. Jean Deguerry. - C'est évident. En matière de coûts, malheureusement, les grandes régions, les métropoles, les intercommunalités, même agrandies, n'ont pas permis de réduire les coûts.
Lorsque j'ai créé mon agglomération avec cinq communautés de communes, j'avais cinq directeurs généraux des services (DGS), il ne m'en fallait qu'un. Je ne pouvais pas licencier les autres, je les ai donc réaffectés. Certains sont partis parce qu'ils ne trouvaient plus leur place. Ce genre de situation s'est répété plusieurs fois, nous n'avons donc pas fait d'économies.
Le rapport de la Cour des comptes a montré que les effectifs coûtaient très cher. Les fonctionnaires, on ne peut pas s'en séparer du jour au lendemain. Il faut les absorber ou leur retrouver de nouvelles missions. On en a créé pour les garder, et donc il n'y a pas eu d'économies.
Cependant, le fait d'être regroupés permet incontestablement des investissements que certaines petites intercommunalités ne pouvaient pas se permettre de faire. Dans ma propre intercommunalité, cela a permis de créer des infrastructures et des zones d'activité, de renforcer notre attractivité et de maintenir de l'emploi dans des communes qui, seules, n'auraient pas pu le faire.
Cela permet également de garder les écoles et les commerces dans le milieu rural, ce qui est très important. Ce n'est donc ni tout mauvais ni tout bon. Il y a eu certaines avancées, mais qui ont coûté très cher à tout le monde. Cela a un coût et tout le monde n'est pas satisfait du résultat.
M. David Margueritte. - Merci. Je partage un grand nombre de points que vous avez évoqués, notamment sur la lisibilité pour nos concitoyens, qui ne sont pas intéressés par les questions de répartition de compétences mais souhaitent simplement que le service soit rendu.
Vous avez cité, dans les compétences croisées, des compétences très symptomatiques de ce qui ne fonctionne pas : le tourisme, la culture, etc., auxquelles chaque niveau veut contribuer. Chacun cherche à imposer sa marque, rendant le message peu lisible pour les acteurs touristiques.
Le législateur pourrait-il corriger quelques difficultés évidentes de la loi NOTRe sur des transferts de compétences qui n'ont pas été consentis par ceux qui se sont vus attribuer cette compétence ? L'exemple des eaux pluviales urbaines est symptomatique. Les intercommunalités ne demandaient pas spécialement se saisir de cette compétence, mais se sont retrouvées à le faire très rapidement dans des conditions complexes. Les transports scolaires vont être confiés aux régions, qui ne demandaient pas spécialement cette compétence retirée aux départements qui pouvaient pourtant les gérer avec plus d'efficacité.
Ma deuxième question concerne les excès de compétences croisées. Vous avez dit être attaché à la clause générale de compétences et vous trouvez que la spécialisation des compétences pour le département limite son action. Comment faire pour éviter le croisement de compétences, sans pour autant cadenasser complètement l'action des autres collectivités ?
Enfin, vous avez parlé, dans votre intervention liminaire, de l'aménagement du territoire et du soutien des départements aux communes, pour ceux qui pouvaient encore le faire, compte tenu de leur situation budgétaire. La loi NOTRe avait introduit une subtilité entre la solidarité territoriale, qui revient au département, et l'aménagement du territoire, qui revient aux régions. Dans votre expérience de président de département et d'intercommunalité, comment avez-vous vécu cette distinction législative ? Comment l'avez-vous mise en place dans les contrats de territoire avec la région et le département ? Y a-t-il eu une bonne entente pour clarifier le partage des financements et rationaliser la dépense publique ?
M. Jean Deguerry. - Le législateur peut amender, corriger les choses qui ne fonctionnent pas de façon optimale. J'ai la chance d'avoir des sénateurs parmi mes connaissances et amis avec qui j'échange régulièrement. Il est important de pouvoir se parler franchement car vous représentez les collectivités et les élus que nous sommes. Le Sénat n'a jamais eu autant d'importance qu'en ce moment. En regard d'une Assemblée nationale très agitée, nous avons besoin de calme, de réflexion, de représentants qui connaissent nos territoires et qui essaient de sauver ce qui peut encore l'être.
Ce système peut mieux fonctionner s'il est corrigé. Le transfert de la compétence transports scolaires aux régions, alors que ce sont les départements qui construisent les collèges, est une aberration. Dans l'Ain, nous construisons près d'un collège par an, mais il devient très difficile de modifier la carte scolaire lorsque l'on a perdu cette compétence. Nous devons parfois expliquer à un parent d'élève que son enfant, qui habite à 100 mètres d'un collège, devra pourtant se rendre à celui qui se trouve à deux kilomètres. 36 000 collégiens et leurs parents sont ainsi concernés dans mon département. Ce problème, qui est le plus important que la loi NOTRe a engendré, est d'autant plus facile à corriger que les régions ne demandaient pas à prendre cette compétence.
Je vous rejoins sur la problématique des eaux pluviales. Nous pouvons d'ailleurs vous transmettre une liste de sujets, celui-ci en fait partie, sur lesquelles nous réfléchissons. Je pense que l'on peut améliorer le dispositif et faire qu'il soit plus digeste et plus accepté.
Les compétences partagées peuvent permettre de réaliser un projet de façon plus ambitieuse que s'il n'était porté que par une seule collectivité. Mais cela n'empêche pas, même si l'on n'a pas la compétence, d'aider la collectivité qui a un projet par le biais de la contractualisation. Le département accompagne la collectivité, comme l'État le fait avec la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), la dotation de soutien à l'investissement des départements (DSID) ou la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL).
Toutefois, s'il faut que le service soit rendu et que les équipements soient de qualité, la question de savoir qui fait quoi reste très importante pour les élus. Par exemple, quatre échelons ont la compétence tourisme : commune, intercommunalité, département, région. Chacun a des moyens, des ambitions et des visions différents. Cela complique souvent les choses car il faut attendre l'accord de tous avant d'avancer. Cela constitue un frein plutôt qu'un accélérateur.
La relation avec les autres collectivités est plutôt bonne même si quelques difficultés subsistent. Par exemple, nous avons relancé il y a quelques jours notre pacte de contractualisation pour l'année à venir. Les demandes de dossier débutent à partir du 1er mai et vont jusqu'au 30 juin. Après une phase d'étude, je fais, au mois d'octobre, la tournée des territoires au cours de laquelle je réunis l'ensemble des élus qui me confirment quels sont les dossiers retenus. Nous validons l'éligibilité des dossiers et au mois de décembre, les subventions sont votées. Avant la fin du mois de décembre, les communes reçoivent toutes un courrier avec le montant de leur subvention. Six mois après, nous n'avons toujours pas la réponse de ces dernières alors que le courrier leur rappelle qu'il faut que les travaux soient réalisés dans l'année. Le département est obligé de rallonger ce délai parce que l'État et la région ne rendent pas leur réponse avec la même rapidité.
Cela constitue un frein pour le développement et pour les entreprises qui attendent la confirmation des travaux dans une période que l'on sait difficile. L'État, les régions et les départements jouent le jeu et aident leurs communes mais il manque une harmonisation des procédures. Le maire ne commence pas ses travaux tant qu'il n'a pas l'assurance d'avoir ses trois ou quatre subventions.
M. Jean-Marc Delia. - Monsieur le président, vous avez souligné l'importance du couple département-commune. D'après vos propos, on comprend que ce couple s'est éloigné, avec un échelon intercommunal qui contractualise parfois avec le département avant de flécher les investissements vers les communes.
Par ailleurs, des départements ont créé des agences techniques pour apporter de l'expertise à certaines communes qui n'en avaient pas ou peu via leur intercommunalité. Ces agences ne viennent-elles pas en doublon avec les équipes techniques des intercommunalités ou inversement. Comment éviter un empilement de strates techniques ?
Je suis également intéressé par la liste des transferts de compétences que vous voulez voir évoluer.
Enfin, je souhaitais avoir votre avis sur la qualité de la gouvernance des intercommunalités.
M. Jean Deguerry. - Je crois beaucoup au couple département-commune. Ce couple est historique, il existe depuis très longtemps, bien avant les intercommunalités. Le département est une collectivité de proximité par excellence, une collectivité des solidarités territoriales et humaines. Ils ont toujours exercé leur action en lien avec les communes, notamment pour la mise en oeuvre des compétences dans le secteur social, pour les routes et pour les collèges.
Lors de la crise de la Covid, les maires se sont avant tout tournés vers les conseils départementaux. Qui a fourni les masques, le gel hydroalcoolique ? Qui a répondu aux questions des maires ? Qui a continué à assurer ses missions dans le domaine social, à entretenir les routes ? Ce sont bien les départements. Même les chefs d'entreprise se sont tournés vers nous, qui faisions leur relais, parfois, avec l'État.
En fin de compte, les grandes intercommunalités, les métropoles, les grandes régions redonnent du sens au département. Alors qu'on voulait les supprimer, on peut se dire que la pandémie nous a redonné de la vitalité, mais surtout une raison d'être.
Les agences que les départements ont créées fonctionnent très bien. Même s'il existe des disparités entre départements, l'aide départementale à l'ingénierie représente un chiffre d'affaires très important. Que ce soit par exemple dans le domaine du logement ou à travers les conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE), les communes la sollicitent de plus en plus.
Aujourd'hui, les intercommunalités se renforcent dans les domaines de l'eau et de l'assainissement d'une part, des mobilités d'autre part. Certaines ont ces compétences, mais le département est encore en avance et très sollicité par les communes. Si chaque intervenant fait un peu de tout, on va perdre en lisibilité, sans réaliser des économies.
Le mode de gouvernance est complexe, car chaque président d'intercommunalité a ses spécificités et sa façon d'être. Cela rend difficile l'harmonisation, notamment lors de discussions sur des schémas directeurs. Certains conseils communautaires sont très ouverts, tandis que d'autres sont dominés par le président de l'intercommunalité. La création de ces intercommunalités a ajouté une nouvelle strate qui complique un peu les choses, car les maires doivent convaincre une personne de plus lorsqu'ils souhaitent mener à bien un investissement.
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Je partage beaucoup de vos propos, monsieur le président, et j'aimerais vous poser une question : les présidents d'intercommunalités sont-ils régulièrement réunis par les présidents de départements ? Entretiennent-ils des liens réguliers avec eux, comme ils le font traditionnellement avec les communes ?
Je fais partie de ceux qui pensent que l'homme s'investit d'autant plus sur un territoire qu'il s'identifie à lui. Le premier territoire auquel on s'identifie, c'est là où l'on habite, la commune. Au contraire, certains ne se reconnaissent pas dans le territoire plus grand qu'est l'intercommunalité.
Vous avez souligné que les communautés de communes ou d'agglomération pouvaient avoir des vertus, avec des différences selon les situations sur le terrain. Comment, selon vous, pourrait-on faire en sorte que les élus municipaux se sentent impliqués dans la vie de la structure intercommunale ? Au sein même de certains conseils municipaux, les conseillers municipaux s'investissent de manière inégale. Les motivations s'émoussent avec le temps, les absences se répètent, et la raison de s'investir disparaît. De la même manière, au niveau de l'intercommunalité, les maires des petites communes se sentent parfois délaissés, abandonnés, et donc ils vivent mal l'intercommunalité. Dans certaines intercommunalités, il faut parfois convoquer deux fois les réunions, pour être sûr d'atteindre le quorum, ce qui est un signe d'échec, d'une certaine manière.
M. Jean Deguerry. - Je réunis les présidents d'intercommunalités de mon département au minimum une fois par semestre mais j'ignore ce qu'il en est dans les autres départements. En outre, certains présidents d'intercommunalité m'invitent dans leur intercommunalité pour rencontrer l'ensemble des conseillers communautaires ou leur bureau exécutif. Il est nécessaire de montrer que le département est bien présent, qu'il est là pour travailler avec les intercommunalités, pas contre elles.
S'agissant de l'implication des élus, plus les structures sont grandes, moins elles intéressent et plus les gens s'y perdent. Dans le département de l'Ain, la communauté d'agglomération de Bourg-en-Bresse compte 70 ou 72 communes et son conseil 120 conseillers communautaires. Comment le maire d'une commune de 300 habitants pourrait-il y trouver sa place ? Petit à petit, il s'en désintéresse.
Pour intéresser les maires au fonctionnement des intercommunalités, il faut renforcer les compétences des communes. En outre, elles doivent exercer certaines d'entre elles en partage avec les intercommunalités. Cela rendrait la fonction de maire beaucoup plus intéressante et le maire se sentirait concerné. C'est de cette manière que nous parviendrons à recréer un climat de confiance entre l'intercommunalité et la commune. Aujourd'hui, il existe un sentiment de défiance, par exemple lors de l'adoption des plans locaux d'urbanisme. J'ai vu des élus qui n'arrivent plus à se parler. Si on leur permet de mieux se comprendre, de partager certaines choses, cela fonctionnera mieux et sera mieux compris par les habitants.
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Seriez-vous favorable à une plus grande adéquation entre le périmètre des intercommunalités et la carte des cantons ?
M. Jean Deguerry. - Dans le cadre de la mise en oeuvre de la loi NOTRe, l'État a demandé un grand chamboulement. Nos sous-préfets d'arrondissement nous ont interrogés, nous, conseillers départementaux de l'époque, pour savoir quelle carte mettre en place entre les grandes intercommunalités et les cantons. Malheureusement, nos suggestions n'ont pas été prises en compte. Il n'en reste pas moins qu'une certaine harmonie entre les cantons et les intercommunalités est indispensable. Aujourd'hui, certaines intercommunalités regroupent quatre ou cinq cantons, voire des morceaux de cantons, ce qui complique les choses. Si on avait pu rationaliser et harmoniser davantage les choses, elles seraient plus acceptables et le travail serait plus efficient.
M. Jean-Marie Mizzon. - Je vous remercie, monsieur le président.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo, disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 h 00.