- Mardi 13 mai 2025
- Audition de M. Sylvain Waserman, président du conseil d'administration, et Mme Patricia Blanc, directrice générale déléguée, de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe)
- Audition de M. Olivier Dussopt, ancien ministre délégué auprès du ministre de l'Économie, des Finances et de la Relance, chargé des comptes publics
Mardi 13 mai 2025
- Présidence de M. Olivier Henno, président -
La réunion est ouverte à 16 h 30.
Audition de M. Sylvain Waserman, président du conseil d'administration, et Mme Patricia Blanc, directrice générale déléguée, de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe)
M. Olivier Henno, président. - Mes chers collègues, Monsieur le rapporteur, nous poursuivons nos travaux avec l'audition de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'Énergie (Ademe) représentée par Monsieur Sylvain Waserman, président du Conseil d'administration, et Madame Patricia Blanc, directrice générale déléguée.
Le Sénat a décidé de la constitution d'une commission d'enquête dont l'objet est de travailler sur la libre administration des collectivités territoriales et le financement de services publics de proximité et de la transition écologique.
Ce type de formation entraîne un certain formalisme juridique.
Avant de vous donner la parole, je dois vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du Code pénal. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main et en disant « je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Sylvain Waserman, puis Madame Patricia Blanc prêtent serment.
Je vous remercie aussi, par ailleurs, de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts.
Nous allons vous donner la parole pour une courte introduction avant que le rapporteur et les membres de la commission d'enquête vous posent des questions.
Avant cela, je laisse la parole à Thomas Dossus pour qu'il vous présente les axes de travail de notre commission d'enquête.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Monsieur le Président. Madame la Directrice, cette commission d'enquête travaille sur le coeur de métier du Sénat : les collectivités territoriales qui ont été privées progressivement d'un centre de ressources propres. Cette situation fragilise leur autonomie financière alors que, parallèlement, les charges s'alourdissent, notamment les dépenses d'investissement pour la transition écologique.
L'Ademe, en tant qu'opérateur important auprès des collectivités, peut nous éclairer sur sa vision des besoins d'investissement pour la transition écologique, la façon d'y répondre pour les collectivités, et comment un opérateur de l'État peut agir au plus près des territoires. Nous vous écouterons pour un premier exposé avant d'échanger sur le questionnaire qui vous a été envoyé.
Je vous donne la parole, Monsieur le Président.
M. Sylvain Waserman, président du conseil d'administration de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). - Monsieur le Président, Monsieur le Rapporteur, Mesdames, Messieurs les Sénatrices et Sénateurs, je vous remercie. Je commencerai par une déclaration d'intérêts, conformément à ma déclaration à la HATVP en évoquant mon lien avec certaines entreprises en raison de mon passé professionnel dans le domaine de l'énergie.
J'ai également un mandat d'élu régional dans la région Grand Est, sans fonction exécutive.
Je voudrais souligner deux points essentiels. D'abord, la transition écologique sera territoriale ou ne sera pas. Quelles que soient les décisions prises ou la qualité des lois votées, c'est l'alchimie territoriale qui détermine le succès d'un projet : la dynamique insufflée par un élu, l'acceptabilité citoyenne, l'équilibre trouvé par les acteurs économiques.
Le rôle de l'Ademe est d'être aux côtés de ceux qui décident de lancer des projets de transition écologique.
Je précise que l'Ademe n'impose ni n'écrit les réglementations. Notre mission est d'accompagner sur les territoires les entreprises ou collectivités portant librement des projets de transition écologique, en leur fournissant expertise et financements.
Nous raisonnons par projet, en cherchant à garantir l'efficacité de chaque euro public investi. La situation financière d'une entreprise ou d'une collectivité (niveau d'endettement, effort fiscal) n'entre pas dans nos critères d'intervention, ce qui limite ma capacité à éclairer votre commission sur les mécanismes de financement.
De nombreux projets de transition écologique permettent de réduire les coûts de fonctionnement des collectivités territoriales. Deux exemples sont particulièrement parlants : le passage aux LED pour l'éclairage public, avec un retour sur investissement très rapide, et les réseaux de chaleur, soutenus par le Fonds chaleur, qui constitue un des fonds emblématiques de l'Ademe, réseaux qui remplacent le gaz par des énergies renouvelables. Dans ce second cas, une collectivité ayant décidé de lancer une délégation de service public pilote généralement le projet sans nécessairement engager ses propres fonds, le financement provenant d'investissements privés et de subventions de l'État. En raccordant ses sites à ce réseau de chaleur, elle se protège aussi des variations imprévisibles des prix mondiaux de l'énergie, comme nous l'avons vu en 2022 avec la multiplication par dix du prix du gaz. La transition écologique constitue ainsi également une question de souveraineté et de maîtrise des coûts.
L'Ademe intervient très en amont aux côtés des porteurs de projets en finançant de nombreuses études préalables pour permettre aux élus d'avoir tous les éléments de décision nécessaires.
Je citerai l'exemple de ce maire rencontré récemment en Savoie ayant fait le choix d'installer dans son village une solution de géothermie de surface. Cette technologie très écologique et simple à mettre en place lui a permis de sortir de la consommation d'énergies fossiles.
L'Ademe prend également en charge l'ingénierie des projets en finançant près de 700 ETP dans les collectivités territoriales. Le salarié est recruté directement par la collectivité. L'aide de l'État, opérée par l'Ademe, permet de financer pendant trois ans le poste, avec des objectifs précis. Ce soutien permet notamment aux petites collectivités de lancer des études sur des sujets relatifs à la transition écologique tels que la rénovation du bâti public ou les énergies renouvelables.
62 % des projets que nous accompagnons se situent en zone rurale.
L'Ademe compte environ 30 à 50 agents par région. L'articulation entre nos équipes centrales et régionales est primordiale. Il arrive également que l'Ademe délègue des fonds aux régions afin que l'ensemble des collectivités puissent avoir recours à ces financements. Nous travaillons aussi beaucoup avec les syndicats d'énergie qui sont des relais puissants.
Nous développons également des outils méthodologiques à destination des collectivités. Le dispositif « Territoire engagé pour la transition écologique » permet aux élus de collectivités de toutes tailles d'examiner l'ensemble des sujets relatifs à la transition écologique pour définir les priorités de leurs territoires. Un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) sur deux en France a adopté ce référentiel précieux. Un maire me confiait notamment à quel point cet outil lui était utile pour justifier ses choix face aux questionnements de ses administrés.
Nous avons également développé le réseau « Élus pour agir » pour faciliter les prises de décisions, le montage et la réalisation de projets de qualité de transition écologique dans les territoires. À raison d'une journée par an et de deux heures tous les trois mois, les élus adhérents se retrouvent pour passer en revue l'ensemble des sujets de transition écologique en compagnie d'experts de l'Ademe. Notre prochain webinaire, le 3 juin, sera consacré aux moyens de financer la transition écologique pour les collectivités.
Enfin, certaines des questions posées par la commission dépassent notre champ d'expertise comme celles relatives aux taux d'endettement ou aux capacités financières des collectivités. En revanche, notre agence et le Ministère financent des experts comme l'Institut de l'Économie pour le Climat (I4CE) qui travaillent sur les besoins de financement des projets des collectivités. Notre rôle et celui de l'État n'est pas un rôle d'expertise mais d'accompagnement.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - En tant qu'acteur majeur de la transition écologique, disposez-vous d'outils pour suivre la mise en oeuvre des stratégies nationales comme la stratégie nationale bas carbone (SNBC) ou le Plan national d'adaptation au changement climatique (PNACC) ? Comment accompagnez-vous les collectivités pour qu'elles puissent respecter ces stratégies parfois décidées loin d'elles ? Les moyens de l'Ademe permettent-ils de financer les transformations nécessaires pour atteindre ces objectifs ? Quels indicateurs utilisez-vous pour évaluer l'efficacité et l'efficience de vos projets ?
M. Sylvain Waserman. - Nos indicateurs par projet sont robustes et permettent d'évaluer précisément nos performances. L'ensemble de nos données est disponible en open data.
- Pour chaque projet de décarbonation financé, nous mesurons l'efficacité carbone de chaque euro investi en prenant en compte le montant alloué, l'effet de levier de ce financement et les quantités d'émissions carbonées qui ont été évitées. Cet indicateur clé nous permet par exemple de chiffrer précisément l'impact de l'action de l'Ademe sur les émissions de CO2 évitées
En ce qui concerne l'économie circulaire, nous mesurons également le nombre d'euros par tonne de déchets détournée de l'enfouissement dans les installations de stockage (soit 4,65 euros).
Les réseaux de chaleur représentent l'un des investissements de l'État les plus rentables. En plus de dix ans, l'État a investi 4,3 milliards d'euros dans les fonds de chaleur, permettant d'économiser du gaz naturel, et donc de réduire les importations d'énergies fossiles, engendrant une réduction de 1 à 4 milliards d'euros par an du déficit de la balance commerciale.
Nous avons également réalisé un gain de productivité interne de 155 % en quatre ans grâce à la refonte de notre système d'information par mes prédécesseurs et à la réorganisation des processus initiée en 2023.
Ces chiffres nous permettent donc de justifier de l'efficacité avec laquelle nous utilisons l'argent qui nous est confié.
La transition écologique a beaucoup évolué en cinq ans grâce notamment au rôle déterminant joué par le Secrétariat général à la planification écologique (SGPE) et à sa méthodologie. Les objectifs fixés par l'État sont précis et les résultats mesurables.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Les objectifs ont-ils selon vous été atteints ces dernières années ?
M. Sylvain Waserman. - En matière d'efficacité carbone, nos résultats se maintiennent malgré l'augmentation du budget. En termes de productivité, ils dépassent largement nos espérances. Tout au long de mon parcours à la tête d'entreprises ou d'administrations publiques, j'ai rarement vu de tels chiffres.
Après quatre mois de travail, l'Inspection générale des Finances (IGF) a conclu que l'Ademe était globalement bien gérée, lui recommandant même de poursuivre la hausse des effectifs.
Nous accomplissons correctement notre mission en nous appuyant sur des preuves chiffrées et pas seulement des déclarations d'intention.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Je n'ai pas de doute concernant le suivi efficace des objectifs de l'Ademe. Je m'interroge sur les stratégies de l'État en matière de baisse des émissions, notamment la stratégie nationale bas carbone (SNBC). Les objectifs sont-ils atteints à ce niveau ?
M. Sylvain Waserman. - En 2023, les objectifs ont été atteints avec une baisse de 5,6 % d'émissions de carbone par rapport à 2022, pour un objectif initialement situé entre 4 et 5 %, selon le Citepa. Ce ne fut en revanche pas le cas en 2024.
Les efforts doivent être maintenus. Les solutions existent. Il faut arriver à les déployer, notamment le Fonds chaleur qui représente pour nous le meilleur investissement de l'État en termes d'impact sur l'efficacité carbone et de retour financier sur la souveraineté énergétique.
Rappelons que 92 % de l'enveloppe budgétaire de l'Ademe est directement allouée au financement de projets. Le Fonds chaleur est un outil extrêmement efficace à la disposition des élus. Les demandes sont deux fois plus importantes que le budget disponible. C'est la raison pour laquelle Madame Pannier-Runacher, Ministre de la Transition écologique, de la Biodiversité, de la Forêt, de la Mer et de la Pêche, ambitionne à terme d'abonder le Fonds chaleur à hauteur d'un milliard d'euros. De nombreux acteurs publics, dont le ministre de l'Industrie et de l'Energie Marc Ferracci, et de parlementaires, se sont engagés à ne pas le diminuer, et je les en remercie.
M. Olivier Henno, président. - Durant cette période sensible, avec des enjeux de dette publique et de maîtrise budgétaire davantage prégnants qu'au lendemain du Covid, je m'inquiète de voir certaines politiques publiques devenir des variables d'ajustement. Ressentez-vous cette pression dans les collectivités et au niveau de l'État ?
M. Sylvain Waserman. - Je commencerai par répondre sur les entreprises. Alors que les réseaux de chaleur nécessitent 18 mois d'études préalables avant de pouvoir être mis en place, les entreprises, particulièrement les PME, ont des cycles de décision plus courts. Lors de mes déplacements en Bretagne, tous les représentants économiques (MEDEF, chambres de commerce et d'industrie, Clubs des ETI) m'ont confirmé que malgré les incertitudes actuelles, aucune entreprise n'abandonne ses projets de décarbonation.
Pour les entreprises, la décarbonation n'est plus un choix, mais une nécessité. Dans l'Orne, un verrier m'a expliqué que 70 % de son chiffre d'affaires dépend de l'industrie française impliquant une décarbonation d'ici 2030. Le monde bancaire, notamment français, avec sa finance durable, exerce également une pression importante.
Un autre facteur déterminant est la gestion du risque. Toute matrice de risque présentée aux actionnaires doit tenir compte de l'incertitude sur les coûts futurs du carbone. Or, l'année 2022, avec des prix du gaz multipliés par dix, a démontré la grande vulnérabilité des processus carbonés. Les entreprises préfèrent désormais un coût prévisible plutôt qu'incertain.
La France possède un avantage considérable : une électricité totalement décarbonée grâce au nucléaire et aux énergies renouvelables. Un investissement de décarbonation en France sera utile à 100 %, contre 75 % en Allemagne et seulement 50 % en Pologne.
Ces sujets sont donc désormais au coeur des stratégies des entreprises. En témoigne la présence massive à Angers, la semaine dernière, des dirigeants d'entreprises venus assister à notre présentation sur l'offre de l'Ademe.
Du côté des collectivités, aucun projet de réseau de chaleur n'a été interrompu. Mais ceux-ci ne pourraient pas voir le jour sans l'aide de l'État. Il ne s'agit pas d'un effet d'aubaine, mais bien d'une nécessité économique. Notre modèle repose sur des délégations de service public avec un effet de levier significatif : pour chaque euro investi par l'Ademe, le délégataire en investit trois.
Nous faisons néanmoins face à certaines difficultés. Nous avons notamment dû durcir nos critères de financement au 1er janvier 2025 sur la biomasse en raison de tensions au niveau des ressources (deux projets ont ainsi dû être interrompus dans la région Grand Est).
Face aux tensions sur les ressources en plaquettes forestières, l'État a fait le choix de différencier les niveaux de subvention. Cette décision a créé des tensions avec certains élus qui comptaient sur des subventions plus importantes, mais elle a également encouragé des projets plus vertueux, comme en Normandie avec des haies bocagères labellisées ou la récupération de déchets agricoles.
Les projets de réseaux de chaleur sont hiérarchisés en fonction de leur dimension vertueuse sur le plan écologique : la priorité est donnée à la récupération de chaleur fatale industrielle, puis à la géothermie (technologie très prometteuse pour 80 % de nos sous-sols), au solaire thermique, aux biomasses non forestières, et enfin à la biomasse forestière.
Mme Brigitte Devésa. - Lors d'une mission d'information sur la décarbonation, j'ai pu constater les grandes difficultés rencontrées par les collectivités pour comprendre les informations, trop nombreuses et complexes, en particulier pour les PME qui manquent de moyens humains. Les conséquences sont importantes : projets de décarbonation au point mort ou difficultés financières.
Ma question est simple : disposez-vous d'une évaluation chiffrée du surcoût que représente la mise en oeuvre des objectifs de neutralité carbone pour nos collectivités ? Comment cette charge peut-elle être assumée sans autonomie fiscale ni levier d'endettement accru, sachant qu'elles sont déjà en grande difficulté ?
M. Christian Redon-Sarrazy. - Je souhaite revenir sur l'ingénierie. Vous avez rappelé que la majorité des aides ne concernait pas les métropoles, mais les collectivités de plus petite taille. Toutefois, l'accès à ces aides est-il vraiment égalitaire ? Malgré les outils mis à disposition, beaucoup de petites et moyennes communes rencontrent des difficultés d'accès, souvent contraintes de recourir à de l'assistance à maîtrise d'ouvrage avec des coûts importants qui réduisent l'effet de levier des fonds alloués à ces projets.
Mme Marie-Claude Varaillas. - Je fais partie des élus qui défendent l'Ademe, partenaire et opérateur indispensable pour accompagner les collectivités vers la transition écologique. Dans mon département, couvert à 85 % de forêts, notre collaboration pour la mise en place de réseaux de chaleur (le plus important ayant été récemment inauguré dans la vallée de l'Isle, alimentant un collège, un gymnase, une école, une piscine, un hôpital et des logements) a été très satisfaisante sur le plan technique et financier.
L'Ademe a été injustement critiquée. Les contraintes budgétaires ont amené des coupes importantes dans des agences, dont le rôle est d'accompagner les collectivités et les entreprises dans la décarbonation et la transition écologique.
Vous avez répondu à ceux qui estiment vos frais de fonctionnement trop élevés que 92 % des dépenses sont directement redistribués aux territoires sous forme de subventions - il faut le répéter. En 2023, l'IGF préconisait même une augmentation de vos effectifs pour faire face aux défis croissants.
Les collectivités territoriales doivent réaliser des investissements importants pour accélérer l'adaptation au réchauffement climatique. Comme vous l'avez dit, l'inaction sera encore plus coûteuse. L'I4CE estime que les investissements locaux pour le climat, aujourd'hui de 8,3 milliards d'euros par an, devraient atteindre 19 milliards pour respecter les engagements de la France. L'Ademe ne fait-elle pas les frais des économies réalisées sur la transition écologique ?
M. Sylvain Waserman. - Concernant les entreprises, nous avons complètement refondu notre approche. Sous l'impulsion de Mme Olivia Grégoire, alors ministre chargée des PME-TPE, nous avons lancé l'outil « Mission Transition Écologique ». Ce système nous permet d'identifier rapidement les entreprises, via notamment leur code SIRET, pour pouvoir leur proposer directement des solutions adaptées à leurs besoins sans qu'elles aient à parcourir les centaines d'offres existantes.
Cette approche ciblée aide particulièrement les PME. Le vice-président du MEDEF a d'ailleurs estimé lors d'une audition au Sénat que l'Ademe avait « trouvé sa place » dans son offre aux entreprises, nous motivant à entreprendre un tour de France auprès des entreprises pour leur présenter cette nouvelle offre.
Concernant l'évaluation chiffrée du surcoût pour les collectivités, il faut distinguer deux éléments : là où nous pouvons sécuriser les coûts (réseaux de chaleur, LED) et ce qui nécessite des investissements pouvant augmenter les coûts opérationnels. Nous ne disposons pas d'évaluation suffisante à l'échelle macroéconomique pour déterminer si la capacité d'investissement des collectivités est adéquate. Nous travaillons sur le budget vert et sur les logiques de redirection, afin que les collectivités puissent faire des choix plus éclairés en connaissant l'impact de leurs investissements.
Concernant l'ingénierie, notre principale aide réside dans les 700 postes relais que nous finançons. Dans le cadre des contrats de relance et de transition écologique (CRTE), nous proposons des contrats d'objectif territorial avec un financement clair : 75 000 euros fixes et 275 000 euros en fonction des objectifs atteints. Il s'agit d'un dispositif pluriannuel conçu avec le Ministère pour offrir des solutions clés en main permettant une grande autonomie. Les bénéficiaires peuvent déployer les moyens qu'ils souhaitent (achat de prestations de bureau d'études, recrutement, etc.) en bénéficiant d'une enveloppe financière destinée à les accompagner en matière d'ingénierie.
Sur ce sujet, les interlocuteurs naturels sont plutôt les communautés de communes ou les regroupements. Nous avons aidé 2 000 collectivités et 5 000 entreprises en 2024. Si deux tiers de nos budgets sont consacrés au monde économique du fait du programme « France 2030 », notre engagement envers les collectivités reste constant.
Concernant les moyens de l'Ademe pour 2025, l'essentiel a été préservé. Le Fonds chaleur a été maintenu à 800 millions d'euros. Sans cela, les projets qui s'étendent sur deux ans auraient été suspendus jusqu'en 2027. Les moyens pour la décarbonation des entreprises sont même inédits, avec plus d'un milliard d'euros supplémentaires annoncés par le ministre de l'Industrie et de l'Énergie, M. Marc Ferracci. Un milliard d'euros ont également été annoncés pour la filière hydrogène, sujet industriel majeur pour la décarbonation.
Nous avons dû faire des choix budgétaires difficiles, passant de 1,3 à 1,1 milliard d'euros. Les 800 millions d'euros du fonds chaleur étant préservés, les économies ont porté sur les 500 millions restants, avec notamment l'arrêt des subventions pour les combustibles solides de récupération.
Concernant la société ArcelorMittal, l'État a consenti 850 millions d'euros pour un projet de décarbonation majeur faisant de son site de Dunkerque, le premier à cette échelle à passer du charbon à l'hydrogène. L'Ademe a mis en oeuvre cette relation contractuelle. L'entreprise a demandé huit mois de réflexion, car elle doit également investir environ 850 millions d'euros. Nous attendons leur décision. Les salariés de la société ArcelorMittal espèrent que l'entreprise acceptera, car cela garantirait sa pérennité et celle de leurs emplois.
La mission de l'Ademe, en aidant à décarboner l'industrie, est aussi de protéger les emplois. Notre action vise à protéger le pouvoir d'achat énergétique des Français et à préserver l'emploi en accompagnant les entreprises qui choisissent de s'inscrire dans la durée et de se décarboner.
M. Olivier Henno, président. - Merci, Monsieur le Président, merci Mesdames et Messieurs, pour la qualité de cette audition.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de M. Olivier Dussopt, ancien ministre délégué auprès du ministre de l'Économie, des Finances et de la Relance, chargé des comptes publics
M. Olivier Henno, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux avec l'audition de Monsieur Olivier Dussopt, ancien ministre en charge des Comptes publics, entre novembre 2017 et mai 2022. Monsieur le ministre, le Sénat a décidé de la constitution d'une commission d'enquête dont l'objet est de travailler sur la libre administration des collectivités territoriales et le financement de services publics de proximité de la transition écologique. Vous le savez, ce type de formation entraîne un certain formalisme juridique.
Avant de vous donner la parole, je dois vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du Code pénal. Je vous invite donc à prêter serment et dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant « je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Olivier DUSSOPT prête serment.
Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts.
Avant de vous donner la parole pour un propos d'une quinzaine de minutes, je la cède à notre collègue Thomas Dossus, qui va vous présenter les axes de travail de notre commission d'enquête.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Cette commission d'enquête s'intéresse aux collectivités territoriales, que nous considérons comme des acteurs majeurs de l'action publique de proximité. Pourtant, depuis plusieurs années, elles ont été progressivement privées de leurs ressources, en particulier fiscales. Cette situation fragilise aujourd'hui leur autonomie financière et les place dans une situation de dépendance préoccupante vis-à-vis des votes du budget. La part croissante des produits d'impôts nationaux dans leurs ressources propres tend à rompre le lien entre des dynamiques spécifiques à leur territoire et leur niveau de fiscalité.
Nous avons décidé de cette commission d'enquête pour faire la lumière sur la façon dont la perte d'autonomie financière peut peser sur les collectivités, notamment au vu du mur d'investissements qui se dresse, lié en partie à la transition écologique. Nous sommes très intéressés d'entendre votre analyse d'ancien ministre chargé des Comptes publics, notamment concernant la suppression de la taxe d'habitation, une promesse de la campagne présidentielle en 2017.
Nous ne reviendrons pas sur les raisons qui ont conduit à ce choix. Nos questions portent sur la façon dont elle a été conçue et comment l'intérêt des collectivités territoriales a été pris en compte.
Nous avons deux grands questionnements.
Le premier porte sur les objectifs de la réforme. Outre la suppression d'impôts, s'agissait-il également de donner des gages aux autorités communautaires, en contrôlant mieux les dépenses des collectivités ? L'idée figure en effet dans de nombreux rapports sur la maîtrise de la finance publique.
Notre seconde interrogation concerne les solutions techniques retenues. Pourquoi avoir choisi les voies de transfert d'impôts locaux entre niveaux de collectivités ?
M. Olivier Dussopt, ancien ministre chargé des Comptes publics. - Monsieur le Président, Monsieur le Rapporteur, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, je suis très heureux de retrouver le Parlement après quelques mois de jachère, puisque j'ai fait le choix de tourner la page de ma vie élective il y a maintenant un peu plus d'un an.
Concernant vos questions sur d'éventuels conflits d'intérêts, je n'en vois pas puisque je travaille désormais auprès de fonds d'investissement privés n'intervenant pas dans le champ des collectivités. Par choix personnel, je veille à ne travailler qu'avec des acteurs privés et aucun acteur public, à plus forte raison aucune collectivité.
Je souhaite apporter une précision sur mon parcours au Gouvernement : j'ai été secrétaire d'État auprès de Gérald Darmanin de novembre 2017 à juillet 2020, ministre délégué au Budget et aux Comptes publics de juillet 2020 à mai 2022, puis ministre du Travail. Les décisions sur la taxe d'habitation et les contrats de Cahors remontent à la période où j'étais secrétaire d'État et chargé de ces dossiers. J'intervenais donc directement tant auprès du Parlement que des associations d'élus.
En tant qu'ancien maire d'Annonay en Ardèche, ancien conseiller régional, député puis ministre, je partage l'attachement du Sénat au principe de libre administration des collectivités. Je considère que ces dernières sont à la fois le socle de la démocratie et une source inégalée de services publics de proximité.
Je connais l'investissement des élus locaux pour trouver des solutions à des situations souvent inextricables. Je suis donc convaincu de la nécessité de préserver cette liberté d'agir.
Maintenir la clarté des débats en restant attentif à la justesse des mots et expressions employés est également essentiel.
La Constitution reconnaît le principe de libre administration et la loi organique de 2004 consacre le principe d'autonomie financière des collectivités. Cependant, ni la Constitution, ni la loi organique, ni la jurisprudence n'ont reconnu ou « sacralisé » leur autonomie fiscale. L'autonomie de gestion n'a jamais été consacrée ni définie juridiquement. Lorsqu'ils sont mal définis, ces concepts juridiques peuvent vite conduire à de faux débats.
Les moyens financiers des collectivités ont augmenté entre 2017 et 2024. Cette affirmation suscite bien souvent des réactions justifiées par le poids des normes et des contraintes, l'inflation, mais aussi tous les aléas auxquels les collectivités sont confrontées.
Cependant trois chiffres permettent d'illustrer cette tendance :
- Les recettes des administrations publiques locales ont augmenté de 60 milliards d'euros entre 2017 et 2024, contre seulement 25 milliards d'euros entre 2010 et 2017. L'État a augmenté les subventions de fonctionnement et les dotations aux collectivités de 9 milliards d'euros entre 2017 et 2024. Ce chiffre est à comparer avec la baisse de la dotation globale de fonctionnement (DGF) de 11 milliards d'euros lors de la période précédente. Par ailleurs, sur cette même période, la DGF a augmenté de 790 millions d'euros, ce qui n'était pas arrivé depuis 2010.
- Entre 2017 et 2023, les recettes fiscales des collectivités ont augmenté d'environ 30 milliards d'euros, soit 21%, qu'il s'agisse de recettes fiscales votées, avec un pouvoir de taux, ou de recettes fiscales affectées.
- Sur cette même période, leur trésorerie a augmenté de 10 milliards d'euros et atteint aujourd'hui près de 50 milliards d'euros sur les comptes des collectivités, soit deux fois la DGF annuelle.
Derrière ces chiffres globaux plutôt positifs se cache une grande diversité de situations. Certaines collectivités sont en difficulté tandis que d'autres se portent bien, mais nous entendons naturellement plus souvent les élus des collectivités en souffrance.
L'augmentation des recettes fiscales s'explique également en partie par l'inflation sur la période 2017-2023, avec une revalorisation des bases conséquente.
Mon expérience d'élu local m'a également convaincu qu'il n'existe pas de liberté sans responsabilité assumée par les élus en fonction. Avec la réforme de la taxe d'habitation et les contrats de Cahors, nous avons voulu être au rendez-vous de trois types de responsabilités.
Cette réforme n'a pas été menée sous l'injonction de Bercy ou de Bruxelles, même si les engagements pris par la France sur la scène européenne nous amènent à faire preuve de plus de rigueur par rapport aux années précédentes.
La première responsabilité concerne nos concitoyens. Ces derniers sont soumis à un taux de prélèvement obligatoire parmi les plus élevés du monde dans un contexte où le pouvoir d'achat représente une préoccupation forte. La suppression de la taxe d'habitation a permis un gain moyen de 723 euros pour 24 millions de contribuables. Cette suppression n'était pas une idée préconçue de Bercy, dont les directions sont en général peu favorables à l'arrêt de recettes, mais la réponse à un engagement présidentiel durant la campagne de supprimer l'un des impôts les plus injustes, notamment pour les habitants des villes-centres assumant des charges de centralité.
La seconde responsabilité concerne les collectivités. Je tenais à ce que la compensation soit à la fois intégrale et dynamique, conformément aux engagements pris lors de la campagne présidentielle ainsi qu'aux préconisations présentes dans plusieurs rapports, notamment celui remis par le groupe de travail animé par Alain RICHARD. Je ne voulais pas reproduire des mécanismes complexes et figés tels que ceux issus de la réforme de 2010 ou des compensations de la suppression de la part salaire. Nous avons donc souhaité que cette compensation préserve le principe de libre administration, avec pour conséquence la perte d'une partie du levier fiscal pour les élus. Les communes ont toutefois gardé un pouvoir de taux puisqu'elles bénéficient désormais de la totalité du produit de la taxe foncière sur les propriétés bâties après le transfert des recettes départementales, même si ce pouvoir est souvent peu utilisé, notamment dans les communes qui en auraient le plus besoin.
Nous nous sommes interrogés sur la perte d'un outil théoriquement à la disposition des élus. En réalité, le recours au pouvoir de taux était assez marginal. Pour les territoires confrontés à des charges de centralité ou des difficultés sociales et dont les taux étaient déjà très élevés, le recours au taux était théoriquement possible, mais pratiquement impossible. Nous avons donc également pris en compte cette réalité.
Le pouvoir de taux s'est avéré le plus intéressant en termes de rendement pour les territoires les plus dynamiques. Les modalités de compensation que nous avons retenues ont également été plus favorables aux collectivités ayant la dynamique la moins importante, donc les plus fragiles.
Lorsque nous avons proposé d'affecter la taxe foncière des départements aux communes et de compenser les départements par une fraction de TVA, nous avons aussi pris en compte le fait que la majorité des départements avaient, sur la période 2010-2019, une dynamique de leurs ressources en Taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) inférieure à celle de la TVA sur la même période. Par exemple, dans le département du Nord, la dynamique de la TFPB était inférieure de 40 à 50% à celle de la TVA.
Les départements périurbains, ruraux ou frappés par la désindustrialisation, présentaient tous une dynamique de TVA supérieure à celle de la TFPB sur les neuf à dix années précédentes. Nous avons jugé plus avantageux pour les élus de bénéficier d'une ressource dynamique plutôt que d'un pouvoir de taux qu'ils n'utilisaient plus et qui ne garantissait pas une dynamique comparable.
Pour les communes, nous avons compensé la taxe d'habitation par l'attribution de la totalité de la Taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB). Dans 7 300 communes, la surcompensation était égale ou inférieure à 10 000 euros. Nous avons décidé de ne pas reprendre ces montants. Parmi elles, 7 000 sont des communes de moins de 1 000 habitants pour lesquelles une recette pérenne de 7 000 à 9 000 euros représente un avantage significatif permettant d'équilibrer certaines charges.
Les communes ont conservé la totalité du produit de la TFPB, corrigé par le coefficient correcteur pour celles ayant une surcompensation supérieure à 10 000 euros ou une sous-compensation. Nous avons veillé à ce que cette allocation soit indexée sur l'évolution des bases, physiques comme forfaitaires, pour garantir une compensation dynamique et maintenir l'incitation à la construction.
Concernant la responsabilité envers les générations futures et l'équilibre des comptes publics, les ressources des administrations publiques ont augmenté de plus de 250 milliards d'euros entre 2017 et 2024, dont 60 milliards pour les administrations publiques locales. Notre déficit structurel résulte moins d'un manque de recettes que d'une incapacité collective à maîtriser l'augmentation des dépenses. Cette responsabilité incombe à l'État, mais aussi aux administrations sociales et aux collectivités locales. Je crois que la contribution des collectivités doit s'appuyer sur un mécanisme de confiance et de modération des dépenses de fonctionnement plutôt que sur une baisse des recettes.
À Bercy, beaucoup considèrent que la meilleure façon de piloter les dépenses de tout acteur public est de réduire les recettes. Nous avons fait un choix différent, préférant faire confiance plutôt que de couper les recettes par la baisse de la DGF.
Avec les contrats de Cahors, nous avons demandé aux 321 collectivités ayant une section de fonctionnement de 60 millions d'euros ou plus de signer un contrat encadrant l'évolution des dépenses de fonctionnement. 71% d'entre elles l'ont fait. De nombreux débats ont eu lieu depuis 2020 pour proposer d'abaisser le seuil de 60 millions ou d'élargir le champ aux syndicats intercommunaux et à d'autres types d'établissements publics. Certains organismes privés suggèrent même d'élargir cette cible aux dépenses d'investissement.
Le Conseil constitutionnel a confirmé qu'il n'y avait pas d'atteinte à la libre administration des collectivités. Sur les deux années de mise en oeuvre du contrat, 12 puis 14 collectivités ont dépassé les limites, entraînant des reprises respectives de 25 et 76 millions d'euros, montants modiques au regard du montant global des sommes versées au titre de la DGF.
Pour conclure, opposer l'État et les collectivités dans les débats budgétaires nuit parfois à la confiance de nos concitoyens. Je souhaite des relations gagnant-gagnant en associant les élus à l'élaboration des normes concernant les politiques publiques locales, en favorisant la solidarité et la péréquation horizontale entre collectivités, et en donnant une lisibilité pluriannuelle sur les moyens dédiés aux collectivités.
Il y a à mon sens derrière ces trois axes une possibilité d'apaisement entre l'État et les collectivités.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Vous dites avoir voulu faire un choix responsable en abaissant les prélèvements obligatoires. Cependant, vous avez choisi de supprimer un impôt qui n'était pas un impôt d'État, mais perçu par les collectivités. Comment chiffrez-vous le coût pour l'État de la suppression de la taxe d'habitation ?
Vous l'avez remplacée par un impôt qui n'est pas beaucoup plus juste, puisque les propriétaires sont désormais les seuls à payer la taxe foncière aux collectivités. Cette situation tend à entraîner une rupture du lien entre élus locaux et contribuables. Vous êtes-vous interrogé sur les conséquences ?
Avec la suppression de cette taxe et sa compensation par des recettes affectées aux collectivités qui ont amputé le budget de l'État, ce dernier se retrouve dans une situation financière compliquée et commence à resserrer ses dotations. Au final, les collectivités auront l'impression d'avoir quand même payé la suppression de la taxe d'habitation. La tentative de reprise en main des budgets des collectivités suscite des inquiétudes.
Vous avez évoqué les contrats de Cahors et la confiance entre l'État et les collectivités. Comment ces outils d'accompagnement ont été pensés pour améliorer cette relation ?
M. Olivier Henno, président. - La question du rétablissement d'un lien fiscal entre les collectivités territoriales et leurs habitants a été évoquée récemment par le ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation, Monsieur Rebsamen. En Allemagne, les recettes proviennent de l'État central. L'indépendance des collectivités locales s'y exprime uniquement au niveau de la dépense. Avez-vous débattu du lien entre autonomie fiscale et autonomie des collectivités territoriales lors de la préparation de la réforme ?
M. Olivier Dussopt. - N'ayant plus de fonction élective ou gouvernementale aujourd'hui, je me garderai de commenter des annonces ou perspectives que je ne connais pas. Je resterai uniquement sur les décisions que j'ai eu à prendre entre 2017 et 2023.
Monsieur le Président, je partage votre conviction qu'il est plus intéressant pour une collectivité de bénéficier d'une recette dynamique et garantie plutôt que d'un pouvoir de taux dont elle ne peut pas véritablement faire usage. L'Allemagne est effectivement un bon exemple.
Je ne crois pas que le lien entretenu pas les habitants avec leur collectivité soit uniquement fiscal. D'autres vecteurs existent en matière de tarification et de participation aux services publics ou à la vie associative. Pendant longtemps, plus de 5 millions des 24 millions de ménages assujettis à la taxe d'habitation, soit environ 20% des contribuables, ne la payaient pas, principalement pour des raisons sociales, moyennant une compensation par l'État.
Par ailleurs, cet impôt était injuste. Les communes-centres ont souvent dû augmenter leurs taux pour financer les équipements de centralité, créant une concurrence territoriale et une fuite vers les communes périphériques. L'impôt était aussi devenu incompréhensible : en 2019, un tiers des contentieux fiscaux et demandes d'explications concernaient la taxe d'habitation, soit 950 000 demandes annuelles.
Entre 2017-2022, la baisse de la fiscalité a atteint 50 milliards d'euros, répartis équitablement : 25 milliards au profit des entreprises et 25 milliards bénéficiant aux ménages (18 milliards étant liés à la taxe d'habitation, 4,5 à 5 milliards à la baisse de l'impôt sur le revenu au début du premier quinquennat, le reste correspondant à la différence entre la suppression de l'Impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et la création de l'Impôt sur la fortune immobilière (IFI).
Ces choix devaient être financés par la croissance et le rendement fiscal. Les recettes de l'État ont effectivement augmenté. L'impôt sur les sociétés rapporte davantage, avec un taux à 25% plutôt qu'à 33%. Cependant, l'augmentation des dépenses, notamment due aux crises successives comme le Covid, explique le déficit actuel.
La trajectoire de notre endettement se caractérise par une hausse régulière, marquée par des escaliers correspondant aux différentes crises (crise de 2010, Covid, inflation énergétique liée à la guerre en Ukraine). Notre difficulté majeure réside dans notre incapacité à revenir à la situation d'avant-crise après chaque choc.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Comment les collectivités ont-elles été consultées et intégrées lors de la suppression de la taxe d'habitation ? Comment pourrait-on améliorer ce lien alors que beaucoup ont le sentiment que les dialogues ont été menés de façon extrêmement verticale, qu'il s'agisse des contrats de Cahors ou encore du dernier projet de loi de finances (PLF) ?
M. Olivier Dussopt. - Toutes les associations ont été consultées et concertées. Beaucoup nous avaient fait part de leur inquiétude en exprimant soit une opposition de principe, soit des craintes concernant le caractère dynamique de la compensation.
L'engagement d'une compensation intégrale a été tenu. Quand on examine les rôles fiscaux où figurent les compensations (sous forme de TVA ou de produit de la Taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB), en neutralisant d'éventuelles décisions de taux prises par les collectivités), aucun ne montre une diminution des ressources liée à la suppression de la taxe d'habitation. Avec le rapporteur général du budget, nous avions invité les maires qui constateraient une baisse à nous transmettre leurs documents. Nous n'en avons jamais reçu, la direction générale des Finances publiques (DGFIP) veillant scrupuleusement à ce point. De nombreux élus ont pu être rassurés en constatant que cet engagement était tenu.
Nous n'avons pas engagé un processus de négociation, car cet engagement avait été pris publiquement par le Président de la République pendant la campagne de 2017. La légitimité conférée par son élection nous donnait mandat pour agir.
Nous avons néanmoins mené de nombreuses réunions avec les associations d'élus et répondu à certaines de leurs demandes. Par exemple, en compensant les recettes perdues des départements, nous leur avons attribué la TVA avec une majoration de 250 millions d'euros au niveau national la première année pour les aider face à l'évolution des charges sociales. Il s'agit donc, globalement, d'une surcompensation de 150 millions d'euros.
Nous avons également pris en compte une requête de la ville de Paris qui, en tant que commune et département, avait demandé à bénéficier du cumul de TFPB et d'une part de TVA d'environ 600 millions d'euros sur le budget de la ville.
Nous avons veillé à ce que la part écrêtée de la TFPB départementale attribuée aux communes surcompensées, et donc versée au mécanisme du coefficient correcteur, ne concerne que la part initiale. Les recettes nouvelles apportées par ces mêmes collectivités leur sont intégralement conservées si elles décident d'augmenter la TFPB.
Nous avions également intégré l'évolution forfaitaire et physique des bases dans l'indexation des mécanismes de compensation pour plus de justesse.
Mme Marie-Claude Varaillas. - Je suis admirative de votre allant, Monsieur le Ministre, et de vos convictions sans faille, mais la réalité sur nos territoires est différente. Dans mon département, l'application du coefficient correcteur s'est traduite par une perte de 51 millions d'euros transférés vers d'autres départements. Il s'agit d'une réalité chiffrée et vérifiée.
La suppression de taxe foncière sur les propriétés bâties pour les conseils départementaux signifie pour cette strate de collectivités la fin de toute autonomie fiscale, les rendant dépendantes de recettes aléatoires telles que les droits de mutation à titre onéreux (DMTO). La première année, dans mon département, il manquait huit millions d'euros.
Dans les départements sans levier fiscal, mais où les dépenses d'action sociale explosent, la situation est très difficile. En Dordogne par exemple, le nombre d'enfants pris en charge par l'Aide sociale à l'enfance (ASE) est passé de 600 à 1 700 en dix ans, sachant qu'il faut compter un montant de 60 000 euros pour la prise en charge annuelle d'un enfant. Les conseils départementaux, qui sont avec les communes les premiers services publics de proximité, risquent de devoir se limiter à leurs dépenses obligatoires (action sociale, collèges) sans pouvoir accompagner les communes dans leurs projets.
Je m'interroge : quand le Gouvernement évoque une contribution citoyenne pour renforcer le lien fiscal entre citoyens et communes, ne regrette-t-il pas d'avoir supprimé cette taxe d'habitation ?
Mme Isabelle Briquet. - Monsieur le Ministre. C'est un plaisir de vous retrouver parmi nous, après nos échanges parfois animés lors de l'examen des projets de loi de finances.
Je ne partage pas votre analyse. Pour compléter ce que disait à l'instant Marie-Claude VARAILLAS, certains départements ont effectivement subi une perte lors de la compensation. Le transfert du foncier a créé des mécanismes de péréquation qui ont fait que des départements n'ont pas retrouvé leurs ressources initiales, une partie de leurs ressources ayant été dirigées vers d'autres communes. Si en moyenne le compte y est, les situations locales sont très contrastées.
Vous dites que la suppression de la taxe d'habitation visait à corriger une injustice, mais l'impôt qui reste est-il plus juste ? Le foncier ne fait presque pas référence aux revenus.
Cette suppression crée une opposition malsaine entre citoyens qui contribuent et ceux qui ne contribuent pas tout en utilisant les mêmes services.
Certes, beaucoup d'habitants ne payaient pas la taxe d'habitation, mais ils auraient pu contribuer en cas d'augmentation de leurs revenus. Chacun recevait une feuille d'impôt local, même à zéro, et se sentait concerné. Est-il juste qu'un petit propriétaire âgé paie un foncier considérable quand un locataire aux revenus conséquents n'est assujetti à aucune imposition au niveau local ?
Regardez-vous différemment cette réforme aujourd'hui ? Cette suppression a entraîné avec le temps une baisse de revenus pour les collectivités. L'État se retrouve à compenser environ 20 milliards par an, aggravant son déficit, pour une mesure que les collectivités ne demandaient pas.
Quant aux 50 milliards de baisse fiscale, la dynamique et le rendement espérés n'ont pas permis de compenser cette réduction, notamment en raison des différentes crises. Les collectivités se retrouvent coincées et seront probablement sollicitées pour contribuer à un déficit très important.
M. Olivier Henno, président. - En tant qu'ancien élu local, pensez-vous que les intercommunalités jouent pleinement leur rôle concernant les charges de centralité et les investissements, notamment dans la transition écologique ?
M. Olivier Dussopt. - Globalement, l'échelle intercommunale me paraît pertinente, particulièrement en matière de transition écologique. Une attention particulière est nécessaire pour que les gains de mutualisation se traduisent concrètement par des transferts complets de dépenses et recettes, évitant ainsi les doubles comptes.
Concernant la compensation liée à la suppression de la taxe d'habitation, je persiste à affirmer qu'elle est intégrale. Les recettes des collectivités de 2018-2019 sont compensées avec une dynamique comparable à celle de la TFPB, bien qu'il n'y ait plus de pouvoir de taux. Il n'y a pas d'effilochage de la compensation puisque les modalités permettent une forme d'indexation.
Quant aux écarts constatés entre la Taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) et la compensation, s'agissant des 8 millions d'euros évoqués par Mme Varaillas, ceux-ci s'expliquent par la modification des modalités de péréquation horizontale entre départements entre l'exercice N et N+1 : à péréquation constante, ces montants auraient été égaux au centime près. L'écart reste néanmoins léger, portant sur 8 millions d'euros à l'échelle des recettes de TFPB du département.
S'agissant du montant de 51 millions d'euros évoqué, il correspond aux montants de TFPB payés par les contribuables de Dordogne qui ont été intégrés dans le mécanisme de coefficient correcteur pour participer à la péréquation. Ils n'ont pas été perdus puisque le département de la Dordogne a pu récupérer ces 51 millions d'euros sous forme de TVA. Globalement, pour les collectivités du département, il y a 51 millions de fiscalité locale en moins et 51 millions de TVA en plus.
La compensation intègre l'évolution des bases. Même s'il n'y a plus de pouvoir sur les taux, toute volonté politique de développement des bases (construction de logements ou développement économique) est prise en compte dans la compensation.
En conclusion, ces débats posent souvent la question de l'autonomie fiscale à laquelle je suis plutôt favorable sur le principe. Je souhaite toutefois apporter une nuance : le jour où nous opterons pour un modèle d'autonomie fiscale complète, l'État n'interviendra plus comme assureur de dernier ressort.
J'ai à l'esprit les baisses de DMTO après 2010-2011 ou pendant le confinement. À plusieurs reprises l'État avait compensé les recettes des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) par des dotations.
À l'inverse, lors de fortes augmentations des DMTO, les bénéficiaires ne proposent jamais d'en reverser une part à l'État.
Durant le confinement, nous avons garanti aux collectivités un filet de sécurité basé sur la moyenne des recettes fiscales des trois années précédentes. En réalité, cela a concerné principalement les collectivités bénéficiant largement de taxes sur les casinos ou de taxes de séjour.
L'autonomie fiscale fonctionne dans les deux sens : elle est profitable en cas de croissance des recettes, mais elle n'offre aucune garantie de l'État en cas de baisse.
M. Olivier Henno, président. - Merci beaucoup de la qualité de vos réponses.
Cette réunion a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 h 40.