Mercredi 14 mai 2025
- Présidence de M. Laurent Burgoa, président -
La réunion est ouverte à 16 h 30.
Examen du rapport
M. Laurent Burgoa, président. - Mes chers collègues, nous procédons aujourd'hui à l'examen du projet de rapport de notre commission d'enquête. Je vous présenterai ensuite les différents éléments de notre position en matière de saisine de la justice.
Je tiens tout d'abord à remercier chaleureusement l'ensemble des membres de cette commission pour leur disponibilité, chacun s'étant investi dans la mesure de ses possibilités. Je vous salue également, monsieur le rapporteur, une certaine complicité s'étant établie entre nous alors que nos points de vue initiaux divergeaient.
Nous avons ainsi mené un travail pluraliste, sans a priori, animé par la recherche du consensus et du pragmatisme, au service de l'intérêt de nos concitoyens, en essayant de nous tenir à l'écart des pressions. Je tiens ici à saluer le travail des administrateurs à nos côtés.
Nos travaux ont été très suivis par la presse et le grand public : par exemple, l'extrait de l'audition de la présidente de Nestlé Waters a été vu plus de 500 000 fois - dont 242 000 fois sur YouTube, 226 000 fois sur TikTok et 44 000 fois sur Instagram.
Sur Linkedin, la publication extraite de l'audition de Christophe Poinssot, directeur scientifique du bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), est la plus vue de l'histoire de la page du Sénat, avec 144 000 vues.
Au total, nous avons entendu près de 120 personnes - anciens ministres, hauts fonctionnaires, dirigeants du secteur des eaux minérales, experts et scientifiques - au cours de 73 auditions, dont la quasi-totalité a été diffusée en direct sur les réseaux sociaux du Sénat.
Le droit de communication de documents, qui appartient au rapporteur, a été largement exercé. Ainsi, plusieurs milliers de pages ont été reçus et exploités de la part d'entreprises et d'administrations qui ont, dans l'ensemble, bien joué le jeu, à une réserve que vous connaissez bien, c'est-à-dire Nestlé Waters. Je le regrette profondément, deux des auditions de ses responsables ayant donné une image catastrophique du groupe. Certes, le directeur général a donné ensuite une image un peu plus positive, mais il n'est pas étonnant que les ventes de l'entreprise aient chuté tant les prestations précédentes n'ont pas été dignes d'un groupe de cette taille.
Nous avons effectué deux déplacements pour visiter trois usines. Dans le Gard d'une part, où nous avons visité de l'usine Perrier de Vergèze et plusieurs sites de captage ; nous avons organisé des tables rondes et des rencontres avec vingt-trois personnes, élus locaux, salariés du site, représentants de l'administration locale. En Haute-Savoie, d'autre part, nous avons visité l'usine Évian du groupe Danone à Publier et un site de captage, puis l'usine des eaux de Thonon à Thonon-Les-Bains qui appartient au groupe Sources Alma. Nous avons rencontré vingt personnes sur place - élus locaux, salariés du site, représentants de l'administration locale.
Enfin, nous avons sollicité auprès la division de la législation comparée du Sénat une note de droit comparé sur la réglementation des eaux en bouteille portant sur six pays : Allemagne, Belgique, Espagne, États-Unis, Italie et Suisse.
Avant de donner la parole au rapporteur, il me revient de vous rappeler les règles de procédure applicables à la présente réunion. Nous devons respecter la parfaite confidentialité de nos échanges, à l'instar d'un conclave. Il est du devoir de chacun d'entre vous de contribuer au secret de nos travaux jusqu'à la publication de nos conclusions. Ces règles strictes permettent de ne pas risquer de voir le contenu de nos réflexions divulgué de manière anticipée.
Le rapport est donc sous embargo strict pendant vingt-quatre heures à compter de la fin de cette réunion. Durant cette période, il ne peut être consulté qu'aux fins de solliciter la réunion du Sénat en comité secret, c'est-à-dire une réunion à huis clos pour statuer sur la publication ou la non-publication de l'ensemble du texte ou de certains passages.
Notre rapport sera publié le 19 mai prochain, date à laquelle les résultats de nos travaux seront présentés en conférence de presse, qui aura lieu à 11 h 00 et à laquelle vous êtes cordialement conviés. D'ici là, rien ne doit filtrer à l'extérieur, ce qui proscrit toute communication à la presse, à des tiers ou sur les réseaux sociaux.
Tous ceux qui contreviendraient à cette règle s'exposeraient à des sanctions fondées sur le code pénal, dont l'article 226-13 prévoit des peines d'emprisonnement en cas de divulgation, dans les vingt-cinq ans, de toute information relative à une partie non publique des travaux d'une commission d'enquête, et sur notre règlement. Le président Larcher a rappelé à plusieurs reprises l'interdiction absolue d'une publicité anticipée, même de quelques minutes, sur les rapports ou les conclusions des commissions d'enquête.
Veillons à respecter ces règles, pour des raisons à la fois juridiques et institutionnelles. En effet, les fuites amoindriraient la portée de nos travaux.
La consultation du rapport a eu lieu les 5, 6, et 7 mai derniers. Des exemplaires nominatifs vous ont été distribués contre émargement et il vous sera demandé de les restituer à la fin de la réunion.
Après l'exposé du contenu du rapport, je céderai la parole à ceux d'entre vous qui souhaiteraient s'exprimer. Nous procéderons ensuite à l'examen des éventuelles propositions de modifications. Après le vote sur ces éventuelles propositions de modification, nous voterons sur les recommandations, puis sur le titre du rapport. Nous voterons enfin sur son adoption et sa publication.
Il est possible pour les groupes politiques de présenter une contribution qui sera annexée au rapport : celle-ci doit être d'une longueur raisonnable, c'est-à-dire une dizaine de pages maximum. Le délai limite pour leur dépôt est fixé au 15 mai, c'est-à-dire demain, à 17 h 00.
Enfin, je vous propose que le compte rendu de la présente réunion soit, lui aussi, annexé au rapport de la commission d'enquête.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce moment mêle à la fois joie et nostalgie, car cheminer ensemble pendant de longs mois a été un véritable plaisir, et je tiens également à saluer le président : initialement, j'ai pensé que la désignation du sénateur Les Républicains du Gard visait à me placer sous surveillance, mais il n'en a rien été et nous avons recherché la vérité sincèrement.
Notre rapport s'articule autour de quatre grands axes et de vingt-huit propositions destinées à sécuriser la qualité des eaux minérales et de source. Le premier axe vise à rappeler l'importance de production de l'eau minérale - notamment économique et fiscale - pour les communes ; le deuxième axe consiste en la description de l'affaire elle-même et des dysfonctionnements découverts ; le troisième axe correspond à l'explication des dessous de la crise et du rôle des uns et des autres ; le quatrième axe, enfin, liste une série de propositions pour préserver l'avenir des eaux minérales et de source en France.
Je rappelle que nous avons tenu à accumuler le plus grand nombre de verbatims afin d'éviter de nous voir reprocher toute surinterprétation.
S'agissant de l'importance économique et fiscale pour les communes de production de l'eau minérale, la France compte 104 sites d'exploitation d'eau minérale naturelle et d'eau de source, répartis sur le territoire au sein de 59 départements et de 18 régions.
Le secteur est dominé par trois groupes qui se partagent 80 % du marché, dont deux multinationales du secteur de l'agroalimentaire, Danone et Nestlé. Le marché représente un total de 2,7 milliards d'euros en termes de chiffres d'affaires cumulé, la France étant une grande exportatrice d'eaux minérales dans le monde.
Les sites de production d'eaux minérales naturelles et d'eaux de source ont souvent une empreinte économique forte dans les territoires et sont parfois l'un des principaux employeurs locaux. La filière représente ainsi 11 000 emplois directs en France, dont 8 000 emplois dans la filière des eaux minérales naturelles et 3 000 emplois dans la filière des eaux de source, et plus de 30 000 emplois indirects.
Les communes sur le territoire desquelles sont situées des sources d'eaux minérales naturelles bénéficient d'une contribution fiscale de ces sites dont le rendement total était de 18,4 millions d'euros en 2024 : il s'agit d'une ressource fiscale essentielle pour les collectivités concernées.
Nous avons constaté, au cours de nos travaux, qu'une distorsion s'était installée pour plusieurs raisons, à commencer par le fait que la contribution sur les eaux minérales n'est versée aux communes que pour la production d'eau minérale stricto sensu. Par conséquent, les déclassements entraînent des pertes sèches extrêmement importantes pour les communes, d'où notre souhait de corriger cette injustice.
Par ailleurs, l'exonération de la contribution pour la production exportée n'a guère de sens et peut inciter des industriels à privilégier l'export, au détriment de la consommation sur place.
J'en viens au deuxième axe, c'est-à-dire à la description de l'affaire elle-même et des dysfonctionnements découverts.
Le scandale du traitement des eaux minérales naturelles commence fin 2019 par un signalement d'un salarié de Sources Alma, qui commercialise notamment Vichy Célestins, Saint-Yorre, Cristaline, Thonon et Châteldon, concernant des traitements non autorisés. Une enquête du service national d'enquête (SNE) de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) met alors en lumière le recours, chez plusieurs industriels, à des microfiltrations inférieures au seuil de 0,8 micron, pourtant considéré depuis 2001 par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) comme « seuil limite ».
Le 31 août 2021, Nestlé Waters rencontre, à sa demande, le cabinet de la ministre déléguée chargée de l'industrie, Agnès Pannier-Runacher, en présence de la DGCCRF. Muriel Lienau, PDG de Nestlé Waters, reconnaît alors l'utilisation dans ses usines des Vosges et du Gard - Vittel, Hépar, Contrex, Perrier - de filtres à charbon actif et de traitements ultraviolets, c'est-à-dire de pratiques interdites.
Lors de cet entretien, Nestlé Waters fait valoir, sans preuve, que ces traitements n'ont pas affecté la sécurité alimentaire ni la composition de l'eau, et présente aux autorités un « plan de transformation » qui est encore au coeur de l'actualité aujourd'hui : en dépit du « bleu » interministériel, les préfets ont décidé de constater le caractère non réglementaire de la filtration à un seuil de 0,2 micron.
Malgré la fraude aux consommateurs que représente la désinfection de l'eau, les autorités ne donnent pas de suites judiciaires à ces révélations. Le 14 octobre 2021, il est décidé d'une saisine de l'inspection générale des affaires sociales (Igas). Cette mission est lancée un mois plus tard, le 19 novembre, les agences régionales de santé (ARS) n'en étant informées que le 28 janvier 2022. Ce choix d'une mission de l'Igas, alors exclusive de toute saisine de l'autorité judiciaire ou de mesure administrative de suspension des forages incriminés, a retardé la réponse publique aux révélations de Nestlé.
À l'examen du dossier et de ses multiples pièces, le rapport présente une série de dysfonctionnements. Premièrement, l'absence ou le retard de signalement des délits présumés au procureur de la République conformément à l'article 40 du code de procédure pénale, puisque les cabinets ministériels et directions d'administrations centrales n'ont pas bougé dans un premier temps.
In fine, trois signalements ont été effectués : le premier, en octobre 2022, par la directrice de l'ARS Grand Est ; les autres, après constitution de la commission d'enquête, le deuxième par la DGCCRF dans le Gard, le 19 février 2025, soit près de quatre ans après les révélations du 31 août 2021 ; le dernier par le directeur général de l'ARS Occitanie, le 18 avril 2025.
Deuxièmement, une minimisation du risque sanitaire a été à l'oeuvre à l'échelon national. Certes, à notre connaissance, le risque sanitaire ne s'est pas réalisé, mais il a existé, en particulier à partir du moment où Nestlé a dû retirer ses traitements interdits de désinfection. Ce point est selon moi central : avec une eau qui n'est plus originellement pure, les problèmes ont été traités a posteriori par la destruction. Deux millions de bouteilles ont ainsi été détruites chez Perrier en 2021.
Le troisième dysfonctionnement renvoie aux échecs de l'interministériel et du travail en silo, et le quatrième à l'absence de suspension de la production d'eau minérale naturelle non conforme.
S'y ajoute l'inversion de la relation entre l'État et les industriels en matière d'édiction de la norme, soit la « capture réglementaire » que j'ai évoquée au cours des auditions. Dès le 31 août 2021, Nestlé Waters adopte en effet une attitude transactionnelle en posant explicitement l'autorisation de la microfiltration à 0,2 micron comme condition à l'arrêt de traitements pourtant illégaux, via ce qui est pudiquement appelé un « plan de transformation ».
Il est donc d'emblée question de mettre en conformité le droit avec la pratique de l'exploitant, dans une logique dévoyée par rapport à ce que devraient être les relations entre l'État, qui édicte la norme, et l'industriel, qui l'applique.
S'agissant de l'Anses qui, en 2023 et 2024, a rappelé que la microfiltration ne devait pas corriger une qualité insuffisante des eaux brutes, nous considérons que ses avis auraient gagné à être plus directs et explicites pour éviter de laisser subsister une forme d'ambiguïté que l'industriel n'a pas manqué d'exploiter et qui a laissé trop de marges aux cabinets ministériels.
Par ailleurs, les autorités locales n'ont été que peu, voire pas, associées aux décisions prises par l'échelon central, parfois au plus haut sommet de l'État. Cela les a placées dans une situation d'ignorance pendant plusieurs mois, entraînant, de manière stupéfiante, l'absence d'inspection, dans le cadre de la mission de l'Igas, du site de Perrier dans le Gard.
J'en arrive aux délais excessifs, qui favorisent l'enracinement des infractions : il s'est ainsi écoulé respectivement six mois et quatorze mois entre le déclenchement de la mission de l'Igas et l'information de l'ARS Grand Est, le 6 avril 2022, et celle de l'ARS Occitanie, le 3 novembre 2022. S'agissant de cette dernière, je rappelle que Nestlé l'a prévenue de l'illégalité et lui a proposé une visite « touristique » du site afin de lui montrer les procédés utilisés pour tricher, ce qui assez stupéfiant.
De la même manière, plus de trois ans se sont écoulés entre la connaissance des infractions par l'autorité judiciaire et leur début de traitement, tandis que huit mois et trois ans séparent respectivement l'information par l'Igas de l'ARS Grand Est et de l'ARS Occitanie quant à la lettre de mission mentionnant l'enquête - de nature pénale - du service national d'enquête (SNE) et leurs signalements à la justice. Parmi les conséquences de ces délais, l'industriel a pu continuer à commercialiser comme eau minérale naturelle une eau qui n'aurait pas dû avoir droit à cette appellation : la valeur des ventes correspondantes a été estimée à environ 220 millions d'euros dans les Vosges et à 375 millions d'euros dans le Gard.
Un autre dysfonctionnement concerne l'absence de suivi de la mise en oeuvre de ses décisions par l'État : aucune instruction claire n'a été envoyée aux préfectures pour vérifier de manière exhaustive l'absence de traitements interdits sur les autres sites de production ; dans nombre de départements, les autorités locales sont restées comme immobiles et les modalités de contrôle n'ont pas évolué. Il a fallu le déplacement de la commission d'enquête en Haute-Savoie, où se trouve le site d'Évian, pour que les services de l'État du département communiquent avec ceux du Gard, qui bénéficiaient de l'expérience du cas Perrier de Nestlé Waters.
L'absence des ministres dans le processus décisionnel nous a également marqués, les directeurs et conseillers de cabinet prenant des décisions importantes et aux marges de la légalité, pour le dire pudiquement. Le cas de l'industrie est différent : ce ministère a assumé d'emblée un soutien fort à l'égard des exigences de Nestlé.
Ajoutons à cette liste l'arbitrage fautif au sommet de l'État : le fait qu'une concertation interministérielle dématérialisée (CID) ait validé une solution qui n'était pas conforme à la réglementation - la filtration à 0,2 micron - aboutit à ce que les préfets aillent à l'encontre d'un bleu de Matignon, ce qui contrevient au fonctionnement régulier de l'administration.
De son côté, la présidence de la République a suivi de près le dossier et ouvert les portes de certains ministères au groupe suisse. La présidence savait, au moins depuis 2022, que Nestlé trichait depuis des années ; elle avait conscience que cela créait une distorsion de concurrence avec les autres minéraliers. Ces derniers ont d'ailleurs publié une tribune dans Les Échos pour affirmer que leur métier ne consiste pas à restaurer l'eau et pour rappeler leur attachement au critère - fondamental et fondateur - de la pureté originelle de l'eau minérale naturelle.
M. Laurent Burgoa, président. - Il s'agit de l'édition du 13 mai, qui contient un dossier consacré au sujet des eaux minérales.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Au cours des travaux de la commission, nous avons aussi découvert le problème des eaux distribuées à Mayotte, grâce notamment à notre collègue Saïd Omar Oili. Nous avons donc enrichi le rapport des événements survenus dans l'archipel, en constatant là aussi un certain nombre de lenteurs dans l'action publique.
J'en viens à la troisième partie, consacrée à l'explication des dessous de la crise et du rôle des uns et des autres. Nous avons voulu comprendre pourquoi certains industriels avaient trahi la confiance du consommateur et mis en risque leurs propres outils de production, comme on le voit aujourd'hui à Vergèze.
Quatre hypothèses s'imposent, à commencer par la dégradation de la qualité de la ressource en eau en raison de pollutions anthropiques ou naturelles, hypothèse confirmée pour certains forages tels que Hépar. Une autre source de vulnérabilité, mise en évidence par les directeurs de sites de Nestlé Waters, réside dans la vétusté des installations, qui a été explicitement mentionnée.
Nestlé Waters a en outre justifié la nécessité de traiter ses eaux avec une microfiltration à 0,2 micron pour sécuriser son processus industriel en raison de la formation de « biofilm », c'est-à-dire un amas de micro-organismes qui se déposent à l'intérieur des canalisations. Néanmoins, cette analyse n'est pas partagée par d'autres industriels qui estiment que la formation de biofilm est tout simplement prévenue par... des nettoyages réguliers.
Une quatrième hypothèse est donc plus crédible : la microfiltration pourrait être un outil pour réduire la fréquence des nettoyages qui impliquent des arrêts de production.
S'agissant de la microfiltration, qui est devenue un axe majeur de la stratégie de Nestlé, le rapport montre que contrairement aux allégations de nombreux acteurs, il n'existe pas de base légale solide - ni européenne ni nationale - à la microfiltration à 0,2 micron, raison pour laquelle d'ailleurs, les préfets du Gard et des Vosges viennent de demander à Perrier de la retirer.
Pour autant, nous demandons une clarification d'urgence de la position de l'État sur la microfiltration : jusqu'à 0,8 micron, aucun problème ne se pose ; pour ce qui est d'une microfiltration comprise entre 0,8 micron et 0,45 micron, l'Anses doit régler cette question scientifiquement le plus vite possible, afin d'arrêter de bâtir des règlements sur du sable. Le président et moi-même écrirons à Catherine Vautrin en ce sens.
Le rapport comporte aussi une série de propositions pour préserver l'avenir des eaux minérales et de source en France. Nos propositions pour l'avenir portent sur cinq thèmes : mieux protéger la ressource ; rénover un dispositif de contrôle trop complexe ; restructurer la réglementation ; élargir le contrôle des composants de l'eau en raison des pollutions émergentes ; assurer la transparence et renforcer les moyens d'action du consommateur.
Tout d'abord, mieux protéger la ressource suppose d'améliorer le suivi en temps réel du niveau quantitatif de la ressource en eau. Le suivi qualitatif de la ressource en eau doit être repensé afin de mieux protéger les zones sensibles à la pollution que sont l'impluvium, qui correspond à la zone de surface dans laquelle l'eau s'infiltre dans les nappes, et la zone d'émergence sur laquelle se situent les captages d'eau. Si ces périmètres ne sont pas suffisamment protégés, les eaux minérales naturelles seront menacées.
Ensuite, il convient de rénover un dispositif de contrôle trop complexe : une meilleure gestion de la ressource en eau passe par un contrôle effectif du niveau de prélèvement réalisé par les industriels minéraliers, au regard des seuils maximum de débit autorisé dans les arrêtés préfectoraux d'autorisation d'exploiter une source d'eau minérale naturelle.
Rénover les contrôles implique de renforcer leur fréquence, les moyens et la coopération entre les autorités responsables, notamment via un protocole tripartite entre les ministères chargés de la santé - la direction générale de la santé (DGS) -, de la consommation - la DGCCRF - et de l'agriculture - la direction générale de l'alimentation (DGAL) -, à finaliser dans les meilleurs délais.
Le président de la commission s'était ainsi agacé de constater que les uns et les autres se renvoyaient systématiquement la responsabilité des dysfonctionnements du contrôle.
M. Laurent Burgoa, président. - J'avais été agacé par l'attitude nonchalante de certaines personnes auditionnées qui, plongées dans leurs ordinateurs, ne répondaient pas à des questions aussi importantes que celle de savoir si elles avaient reçu le rapport de l'Igas, alors qu'il existait un sérieux problème de remontée d'informations au niveau national.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le rapport préconise également de restructurer et de clarifier la réglementation. Celle-ci doit être restructurée autour de deux sujets majeurs : la microfiltration et la traçabilité.
Le rapport prévoit que la France saisisse la Commission européenne, qui n'a pas cherché jusqu'à présent à prendre d'initiative, pour obtenir une révision de la directive sur les eaux minérales naturelles afin de clarifier les critères de qualification de la pureté originelle, ainsi que le statut et le seuil acceptable de la microfiltration.
À plus brève échéance et au niveau national, il s'agira de diffuser rapidement une instruction et de modifier la réglementation écartant la microfiltration avec des seuils de coupure inférieurs à 0,45 micron et conditionnant la microfiltration avec des seuils compris entre 0,45 micron et 0,8 micron à la démonstration d'une absence d'impact sur le microbisme naturel de l'eau.
Plutôt que de laisser chaque préfet et chaque ARS à nouveau seuls face à la nécessité de recueillir les preuves de l'absence d'impact de la microfiltration entre 0,45 micron et 0,8 micron, la bonne démarche consiste selon nous à solliciter un avis documenté par l'Anses.
Toutefois, il pourra toujours être opposé aux autorités qu'une instruction ne crée pas de droit. Par conséquent, dans l'attente d'une décision au niveau européen, une instruction, pour être bienvenue, ne suffit pas et il revient au Gouvernement de prendre l'initiative et de clarifier l'arrêté du 14 mars 2007 relatif aux critères de qualité des eaux conditionnées.
Autre sujet majeur, celui de la traçabilité de l'eau, alors que les sites assurant la production de plusieurs types d'eau - c'est le cas à Vergèze avec Perrier et Maison Perrier, c'est-à-dire une eau minérale naturelle d'un côté et une eau rendue potable par traitement de l'autre côté - sont de plus en plus automatisés.
Il est proposé que l'État établisse un cahier des charges de traçabilité des eaux, car nous avons été marqués par son incapacité à se doter des outils informatiques permettant de procéder aux vérifications requises. Les services sur place nous ont ainsi indiqué qu'ils étaient prisonniers des présentations de l'industriel, et il faudra que le ministère de l'économie consente un effort de recrutement, de rémunération et de formation de personnels capables de procéder à des audits des programmes de production.
Quatrièmement, il importe d'élargir d'urgence le contrôle des composants de l'eau afin d'intégrer les pollutions émergentes, substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (Pfas) et les microplastiques : nous proposons un programme de recherche en ce sens.
Cinquièmement, il convient d'assurer la transparence et de renforcer les moyens d'action du consommateur. Afin de remédier aux manquements révélés par les révélations effectuées par Nestlé, il est proposé de renforcer l'information du consommateur sur le recours éventuel à la microfiltration lorsqu'elle est autorisée par des arrêtés préfectoraux, grâce à une information sur l'étiquette.
La bonne information sanitaire du consommateur passe également par une publicité renforcée du contenu des eaux qu'il achète, notamment des eaux qui, pour être à base d'eau minérale, contiennent des quantités de sucre assimilables à des boissons de type soda.
De plus, le rapport prévoit de renforcer la transparence sur le suivi de la ressource en eau et les contrôles réalisés par les autorités locales.
Enfin, un enjeu pour l'avenir est de mieux encadrer les conditions d'utilisation des conventions judiciaires d'intérêt public (CIJP) en matière environnementale. Dans les Vosges, en particulier, le montant de l'amende d'intérêt public infligée à Nestlé Waters, qui aurait pu, selon les textes, être beaucoup plus élevé pour atteindre jusqu'à 30 % du chiffre d'affaires annuel, n'a pas fait l'objet d'explications étayées et a été très contesté.
Le rapport recommande que la Chancellerie établisse des lignes directrices sur la mise en oeuvre de la convention judiciaire d'intérêt public environnementale, à l'instar de celles qui ont été publiées en janvier 2023 par le parquet national financier (PNF) pour les CJIP « financières ».
J'en termine avec certains points ajoutés au rapport : tout d'abord, la mention des travaux de Mme Guhl dans l'introduction, car son rapport d'information consacré aux politiques publiques en matière de contrôle des traitements des eaux minérales naturelles et de source, présenté devant la commission des affaires économiques, a été le point de départ des travaux de cette commission.
A été ajoutée, en outre, la mention de la demande d'une étude droit comparé à la division de la législation comparée du Sénat sur la réglementation des eaux en bouteille portant sur six pays - Allemagne, Belgique, Espagne, États-Unis, Italie et Suisse. Il est important de placer ce document en annexe puisque l'une des demandes du « bleu » visait à ce que le secrétariat général des affaires européennes (SGAE) mène une enquête pour établir l'état de la réglementation, tâche qui n'a pas toujours pas été accomplie alors que les services du Sénat s'en sont acquittés en l'espace de quelques mois : il y avait donc une volonté de ne pas effectuer ce travail.
Le dernier ajout fait suite aux informations transmises entre les 9 et 12 mai par un lanceur d'alerte dont nous avons vérifié l'identité. Nous vous proposons d'ajouter un encadré relatif à la modification d'un rapport officiel sous la dictée de Nestlé.
M. Laurent Burgoa, président. - Nous ne disposions plus du temps suffisant pour organiser de nouvelles auditions sur ce point. L'intégration d'un encadré permet néanmoins de faire figurer les informations les plus récentes.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Enfin, nous ajoutons un paragraphe afin de tenir compte de la contribution officielle à nos travaux de la Maison des eaux minérales naturelles (MEMN).
Par ailleurs, M. Gillé m'a fait parvenir un amendement relatif à l'absence d'enquête interne au sein de Nestlé, point qui ne figurait effectivement pas dans le rapport : nous procédons donc à un ajout pour rendre compte de ce dysfonctionnement interne majeur.
Une fois encore, merci à tous pour votre participation à cette passionnante commission d'enquête. Le travail a été long et exigeant, mais le rapport touche la vérité du dossier.
M. Jean-Pierre Corbisez. - Le tandem entre le rapporteur et le président a en effet bien fonctionné, car la fougue du premier, qui a poussé les personnes auditionnées dans leurs retranchements, a été complétée par la rondeur du second, ce qui a permis d'obtenir des réponses lorsque celles-ci éludaient les questions ou ne s'exprimaient pas clairement.
Ce rapport ne constitue qu'une première étape et la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable ne manquera pas de s'emparer de certaines thématiques afin d'améliorer la réglementation.
Sur un plan plus politique, des procédés ont été validés au plus haut sommet de l'État, en passant parfois par-dessus certaines administrations ou en leur demandant de revoir leur copie. Alors que la chasse aux agences de l'État est ouverte depuis plusieurs mois, certaines s'avèrent indispensables pour protéger la santé de nos enfants et les nappes phréatiques, qui sont un bien commun.
Par ailleurs, je pense qu'il faudra suivre le dossier et se pencher sur les propositions émanant des diverses commissions du Sénat : demander à la ministre de saisir l'Anses ne suffit pas et nous devrons agir, en tant que législateurs, afin de revoir la réglementation applicable et notamment de modifier une contribution fiscale sur l'eau dont les distorsions interrogent.
Ce rapport est en tout état de cause excellent et fournit une très bonne base de travail pour l'avenir.
Mme Antoinette Guhl. - Je tiens à vous remercier pour la rédaction de ce rapport, marquée par un travail pointilleux que je salue à mon tour. De la même manière, je remercie le rapporteur et le président pour les auditions de qualité qui ont été menées dans le prolongement du travail que j'avais entrepris en avril 2024.
J'ai cependant un regret dans la mesure où ne disposons pas de tous les éléments s'agissant de l'implication des ministres, car nous ne savons pas qui a donné les consignes visant à ne pas remettre en cause la production de Nestlé. Quelques entretiens supplémentaires nous auraient peut-être permis de faire toute la lumière sur ce point.
Mon groupe a rédigé une contribution rappelant notamment qu'un risque sanitaire a bien été pris sur le site de Vergèze pendant plusieurs mois, le soin de réaliser les tests viraux ayant été laissé à Nestlé. Si aucune répercussion sur les consommateurs n'est connue à ce jour, il n'est pas exclu que des épidémies de gastro-entérites se soient produites sans que le lien ait été établi avec la consommation de Perrier.
Ensuite, je ne partage pas tout à fait votre vision de la traçabilité : je suis pour ma part favorable à l'interdiction de la coexistence, sur le même site, de deux lignes de production d'eaux de qualité à ce point différentes, car aucun contrôleur ne sera en mesure d'avoir évalué le bon produit. Nous nous exposerions donc à un risque d'opacité.
Enfin, je tiens à saluer l'intégration des Pfas et des microplastiques dans le rapport, car il s'agit de sujets que nous aurons à traiter dans les années à venir.
Mme Florence Lassarade. - J'avais été sensibilisée à la question de la qualité des eaux de boisson au travers de mon métier de pédiatre. Lorsqu'étais en exercice, Nestlé était une entreprise modèle en matière d'hygiène et de contrôle de la qualité du lait infantile, le moindre problème déclenchant une enquête. Les travaux de cette commission ont montré que nous étions loin d'une telle rigueur en matière d'eaux.
À l'instar de Mme Guhl, je suis préoccupée par la qualité de l'eau du robinet. Par ailleurs, nous devrons continuer à étudier les causes de la présence de microplastiques dans les bouteilles, qui semblerait liée aux filtres plus qu'au stockage.
Enfin, je regrette que nous n'ayons pas pu interroger le lanceur d'alerte et je m'interroge sur le fait qu'il ne se soit pas manifesté plus tôt.
Mme Audrey Linkenheld. - Je salue à mon tour la qualité de l'animation de cette commission d'enquête par le rapporteur et le président, et me réjouis que nous ayons pu mener cette commission d'enquête jusqu'au bout, en complément du travail initial de Mme Guhl.
Nous avons parfois pu entendre que les faits étudiés n'étaient pas si graves, mais cet argument ne tient pas : il fallait lancer des investigations, quand bien même une seule prise de risque sanitaire a été recensée. Il me semble en effet essentiel, dans une démocratie telle que la nôtre, d'identifier la chaîne de responsabilité, d'où mon appréciation positive du rapport, puisque nous nous sommes penchés, au-delà de l'organisation politique, sur la conduite administrative des contrôles, point sur lequel portent une série de recommandations.
De plus, la mention des autres polluants est bienvenue, tout comme la proposition concernant les informations à faire figurer sur l'étiquette : même en l'absence de risque sanitaire avéré, il faut éviter toute tromperie commerciale. Du reste, la proposition visant à saisir l'Anses est pertinente, ainsi que l'appel à approfondir la réflexion sur les règles régissant les commissions d'enquête : l'actualité de l'Assemblée nationale prouve également qu'il existe un besoin de réviser certaines règles relatives aux convocations.
Enfin, cette commission d'enquête a prouvé que l'on pouvait être à la fois respectueux et incisif au cours des auditions, en évitant l'écueil qui aurait consisté à opposer l'administration et les entreprises privées.
Mme Marie-Lise Housseau. - Il s'agissait de ma première participation à une commission d'enquête et l'exercice a été passionnant, car il a permis de découvrir de nombreux éléments grâce à des questions incisives.
La chaîne de responsabilité gouvernementale interroge dans la mesure où les ministres n'ont pas été mis au courant de certaines décisions, tandis que l'échelon local, abandonné à lui-même, n'a découvert certaines décisions qu'au bout de plusieurs mois. Ce manque de rigueur, dommageable, concerne d'ailleurs sans doute d'autres ministères et l'État gagnerait à mettre en oeuvre des procédures qualité qui sont appliquées dans les entreprises.
J'apprécie, par ailleurs, la clarté des recommandations, mais je m'interroge sur les moyens dont nous disposerons pour suivre leur mise en oeuvre et éviter de voir ce type de situations se reproduire.
Enfin, je salue votre proposition d'élargir la contribution sur les eaux minérales aux produits exportés : j'avais déposé un amendement en ce sens, mais il avait été retoqué.
M. Khalifé Khalifé. - Je souscris aux propos précédents quant à la très grande qualité du travail de cette commission d'enquête. Les normes applicables à la filtration sont-elles applicables quel que soit le terrain de forage ?
M. Hervé Gillé. - Je m'associe aux propos de mes collègues, la complémentarité entre les responsables de la commission ayant été exemplaire, ce qui a permis d'aboutir à des résultats significatifs. Ces travaux mettent en lumière - c'est heureux - l'utilité des commissions d'enquête, dont le rôle devrait être renforcé.
L'État a clairement souhaité protéger l'industriel Nestlé et rester dans le flou, en n'anticipant aucunement les difficultés évidentes des différents producteurs à court, moyen et long terme : cette responsabilité en matière de normes et de règlements pose de vraies questions, à tous les niveaux.
Nous pourrions aussi nous interroger sur la faiblesse juridique de la CJIP et la pertinence de négocier une amende de 2 millions d'euros alors que les éléments disponibles, déjà significatifs, auraient dû amener une approche prudentielle bien plus forte. Il s'agit selon moi d'un aspect important du dossier, car ladite CIJP mettait en théorie fin à toutes les poursuites, d'autres plaintes ayant relancé le processus.
De la même manière, des procédures de certification interne doivent être questionnées, alors qu'il est en théorie nécessaire de faire appel à des organismes suffisamment neutres. Je remercie le rapporteur d'avoir pris en considération le fait que la responsabilité morale et juridique de Nestlé Waters est profondément engagée par son inaction en matière d'enquête interne.
Ce point renvoie d'ailleurs aussi au droit du travail : un groupe de cette importance doit informer les partenaires sociaux des incidents les plus graves qui peuvent être constatés en interne et qui peuvent aussi avoir des conséquences en matière d'emplois. Un irrespect des règles est donc à relever sur plusieurs plans.
Ce rapport clôture un parcours, mais l'affaire n'est certainement pas terminée et je suis persuadé qu'un certain nombre de travaux parlementaires s'inspireront des recommandations et des conclusions du rapport.
M. Olivier Jacquin. - Outre la qualité du duo formé par le président et le rapporteur, je salue le travail pionnier d'Antoinette Guhl. Les médias ont joué un rôle tout à fait particulier dans cette enquête, le rapporteur s'étant fort bien servi de ce levier pour obtenir des renseignements nouveaux. Ce rapport met en exergue la qualité du pouvoir de contrôle du Sénat, et j'ai l'impression que nous sommes parfois plus efficaces en commission d'enquête que lorsque nous adoptons des lois dont les décrets d'application ne paraissent pas toujours.
Au-delà du vaudeville des relations entre l'État et une multinationale, cette plongée en eaux troubles met en valeur la qualité de l'eau du robinet, bien moins chère que l'eau minérale naturelle et véritable trésor. J'apprécie donc particulièrement les recommandations visant à protéger la ressource, qui serviront à protéger toutes les eaux.
J'ai été particulièrement sensible aux problèmes posés par l'agriculture conventionnelle, ayant exercé moi-même cette profession en maniant des pesticides au détriment de ma propre santé. J'espère donc que la recommandation visant à ne plus utiliser de produits dangereux dans les périmètres de captage, ainsi que celle relative aux nouveaux risques, prospérera.
M. Daniel Gremillet. - Ce qui est proposé en matière de traçabilité est important et je tiens à rassurer Mme Guhl : il est tout à fait possible de contrôler la traçabilité lorsque des lignes de production différentes coexistent sur un même site, dès lors que l'on utilise une méthodologie adaptée.
Par ailleurs, veillons à ce que l'embouteilleur ne devienne pas le plus important propriétaire foncier sur le périmètre de protection de la ressource : il doit être en mesure d'apporter cette protection dans le cadre d'un schéma de développement associant les acteurs économiques, qu'ils soient agricoles ou industriels.
M. Olivier Jacquin. - Cela ne fonctionne pas.
M. Daniel Gremillet. - J'en parle en connaissance de cause : sur le site de Vittel-Contrex, Nestlé est propriétaire de centaines d'hectares, ce qui n'est pas satisfaisant. Pour le dire autrement, l'argent ne doit pas être le seul levier utilisé et la commission d'enquête doit proposer d'autres solutions.
En outre, le rapport opère parfois une confusion sur l'évolution des réglementations européenne et nationale : auparavant, les services de l'État étaient responsables de la libération des lots et de la mise en marché, mais la réglementation européenne a confié à l'acteur qui met en marché la responsabilité du contrôle. Il appartient donc à l'État de vérifier que lesdits contrôles sont bien mis en oeuvre dans les entreprises. Veillons donc à la clarté des recommandations, afin de ne pas créer une usine à gaz qui n'apporterait pas davantage de sécurité.
M. Laurent Burgoa, président. - Je vous propose de voter en bloc les vingt-huit recommandations.
Les recommandations sont adoptées.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je vous propose le titre « Eaux minérales : scandale à la source ».
M. Jean-Pierre Grand. - Autant tuer directement les sociétés ! Personne n'achètera plus d'eau minérale avec une telle formulation. Des emplois sont en jeu dans notre département, et ce titre est politique, pas technique.
M. Daniel Gremillet. - Je ne le comprends pas non plus : par nature, l'eau qui sort de la source ne pose pas problème et il ne faudrait pas semer le doute sur ce point.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Tel n'était pas mon objectif. Je ne souhaite pas faire de la question du titre un problème entre nous et accepterai une modification, car je tiens avant tout à ce que ce rapport arrive à son terme de manière consensuelle. Mon idée était de souligner que nous revenions sur la source du scandale, mais si vous pensez que ce titre est susceptible de jeter le discrédit sur l'ensemble du secteur, j'accepterai une formulation plus neutre.
Mme Marie-Lise Housseau. - Le scandale concerne Nestlé Waters, mais pas les eaux minérales en général.
Mme Florence Lassarade. - Les traitements sont en cause.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Que penseriez-vous du titre « Eaux minérales naturelles : préserver la pureté pour les générations futures » ?
M. Jean-Pierre Grand. - Il faut préserver la santé publique dès à présent.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Faire référence à la santé publique aurait une dimension inquiétante.
M. Jean-Pierre Grand. - La notion de pureté inquiétera la population.
Mme Antoinette Guhl. - La pureté originelle est l'une des caractéristiques des eaux minérales naturelles.
M. Jean-Pierre Grand. - Prenons garde à ne pas nous faire plaisir médiatiquement.
Mme Antoinette Guhl. - La préservation de la pureté originelle est au coeur de notre travail.
M. Laurent Burgoa, président. - Nos préfets et nos ARS se sont retrouvés seuls et il faudrait que l'État prenne ses responsabilités en édictant une norme claire en matière de microfiltration, dans la foulée d'une saisine de l'Anses. Mentionner la pureté de l'eau me semble intéressant et n'a rien de choquant.
Mme Antoinette Guhl. - Nestlé Waters voulait justement que l'on considère qu'une atteinte à la pureté originelle n'était pas si grave, d'où l'utilisation de certains traitements. Notre objectif consiste bien à rappeler cette exigence de pureté, car la réglementation l'exige.
M. Laurent Burgoa, président. - Pourquoi ne pas envisager « Eaux minérales naturelles : renforcer le contrôle pour restaurer la confiance » ? La perte de confiance des consommateurs est réelle.
Mme Antoinette Guhl. - Je trouve que ce titre remet en cause les contrôleurs, alors que les fonctionnaires concernés se sont, dans l'ensemble, acquittés de leurs missions. Je préférerais viser davantage les mauvaises décisions politiques.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous vous proposons donc le titre « Eaux minérales naturelles : préserver la pureté à la source. »
M. Daniel Gremillet. - Non, car cela laisse trop de champ à l'interprétation.
M. Laurent Burgoa, président. - Certains ne manqueraient pas de s'engouffrer dans la brèche en mettant de côté toute intervention survenant hors forage.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Êtes-vous sûrs de ne pas souhaiter mentionner les « générations futures », ce qui implique l'existence d'un risque durable pour la ressource ?
M. Laurent Burgoa, président. - Qu'en est-il des générations actuelles ?
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il s'agit d'évoquer un horizon d'action.
Mme Antoinette Guhl. - Je rappelle que la « pureté originelle » est bien la formule à employer pour ces eaux.
M. Laurent Burgoa, président. - Soyons prudents, car les problèmes de contamination ne sont pas survenus à la source, mais au niveau de l'embouteillage. Or un industriel pourrait s'appuyer sur la notion de pureté originelle pour indiquer qu'aucun problème n'était à signaler à cette étape : nous nous retrouverions alors piégés.
M. Daniel Gremillet. - Je partage cette opinion : en nous limitant à la source, nous risquons d'amoindrir la portée de l'important travail qui a été accompli.
M. Laurent Burgoa, président. - Nous vous proposons donc le titre suivant : « Eaux minérales naturelles : préserver la pureté. »
Le titre du rapport, ainsi modifié, est adopté à l'unanimité.
La commission d'enquête adopte le rapport ainsi modifié, ainsi que les annexes, et en autorise la publication.
Il est décidé d'insérer le compte rendu de cette réunion dans le rapport.
M. Daniel Gremillet. - Disposerons-nous d'un rapport écrit à l'issue de l'embargo ?
M. Laurent Burgoa, président. - Nous vous communiquerons d'abord L'Essentiel, puis le rapport complet.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je partage la frustration de Mme Guhl quant aux interrogations qui subsistent : nous ne savons ainsi pas qui a décidé de ne pas publier le rapport de l'Igas, alors qu'il y a là une intention de dissimulation.
Pour ce qui concerne la traçabilité, je suis persuadé qu'il est possible d'effectuer des contrôles de qualité informatique et que les systèmes d'information doivent pouvoir être audités : je ne peux pas croire que l'État est incapable de scruter ce niveau.
Par ailleurs, Mme Linkenheld a évoqué les attributions de la commission d'enquête. Je rappelle que nous avons reçu des courriers réguliers nous invitant à ne pas poursuivre nos travaux et que M. Kohler ne s'est pas présenté devant nous, tandis que certaines déclarations sous serment ont été problématiques.
Selon moi, les suites doivent prendre, d'une part, la forme d'une proposition de loi transpartisane sur les questions de fiscalité et de protection des périmètres, accompagnée d'un rendez-vous avec les ministres concernés pour entreprendre des actions dans le champ réglementaire.
D'autre part, compte tenu de l'importance croissante des commissions d'enquête dans la vie démocratique de la Nation - dont celle portant sur Bétharram -, il me semble que nous devons sécuriser la manière dont elles fonctionnent. Nous avons formulé plusieurs propositions, dont des procédures de comparution immédiate, mais ces pistes devront être affinées en lien avec la direction de l'initiative parlementaire et des délégations.
S'agissant de la confusion autour de la réglementation, monsieur Gremillet, nous souhaitons simplement améliorer la manière dont le contrôle sanitaire s'opère, l'autocontrôle restant la règle en vertu du droit européen.
Enfin, l'encadré que je vous propose concerne l'ARS Occitanie : dans le cadre d'une procédure d'instruction, l'un de ses rapports a été modifié à la demande de l'industriel. Il ne s'agit pas d'allégations, mais de faits étayés par des courriels : des parties de ce document ont été retirées et cette intervention directe mérite d'être mentionnée.
M. Laurent Burgoa, président. - Je tiens à souligner que nous avons reçu le soutien du président du Sénat à deux reprises. Il a en effet défendu, face à Nestlé, la légalité et la légitimité de la commission d'enquête ; il nous a aussi soutenus après avoir été interpellé par le Président de la République, qui ne comprenait pas pourquoi nous avions divulgué des informations concernant son ancien secrétaire général, Alexis Kohler.
M. Daniel Gremillet. - J'hésitais entre m'abstenir et voter pour l'adoption du rapport, mais je ne regrette pas de l'avoir finalement soutenu. Je vous remercie de nous avoir entendus ; je craignais que nos recommandations ne laissent croire que tout le monde avait triché et que le système de contrôle interne était partout défaillant. Ne semons pas le trouble : il y a des équipes qui travaillent bien, alors que ce n'est pas simple dans les entreprises. J'approuve le choix qui a été fait de donner des perspectives et des responsabilités. Les nouvelles réglementations européennes ont représenté une révolution à laquelle on n'était pas prêt, y compris dans les administrations. Je vous recommande de rappeler, lors de la conférence de presse, qu'il y a des gens qui travaillent bien ! Merci encore au président et au rapporteur pour leur travail.
M. Laurent Burgoa, président. - Il n'a pas été simple pour moi d'assurer la présidence de cette commission d'enquête alors que je suis élu d'un département où l'une des installations en cause est implantée, mais je ne regrette pas d'avoir accepté cette responsabilité : en tant que parlementaires, nous avons le devoir de contrôler. J'ai aussi eu du plaisir à améliorer ma connaissance de ce milieu, à entendre les salariés nous dire qu'eux aussi ont besoin de transparence, de ce rapport.
Il faut rassurer les élus locaux ; l'harmonisation de la fiscalité entre eaux minérales naturelles et eaux de boisson, recommandée dans le rapport, devrait contribuer à les tranquilliser. L'important, pour tous les élus, est de ne pas tomber dans le populisme ; certains élus de mon département sont inquiets au sujet de l'emploi. Au-delà de nos différences politiques, nous voulons tous que nos départements soient prospères et offrent des emplois, mais notre responsabilité est aussi d'assurer le contrôle et de ne pas fermer les yeux lorsque quelque chose ne va pas.
Or, en l'occurrence, j'ai vu des hommes et des femmes bien seuls quand ils devaient prendre des décisions, sans soutien national. Il faut que l'État prenne ses responsabilités, fixe clairement les règles, en confiant aux préfets et aux ARS le soin de les appliquer.
M. le rapporteur et moi-même présenterons le rapport lors d'une conférence de presse organisée le 19 mai prochain à 11 heures.
J'en viens à la question de la saisine de la justice. Comme nous tous, avec le rapporteur, nous nous sommes interrogés sur deux types de saisines.
Le premier cas était celui du refus de déposer de M. Alexis Kohler.
Notre souci, depuis le début de cette affaire et de nos travaux, est d'établir une véritable transparence sur un dossier qui n'a cessé de faire l'objet de dissimulations au public, à certaines administrations, voire à la représentation nationale.
Dans ce cadre, il nous a semblé que la meilleure réponse à apporter à la dérobade du secrétaire général de l'Élysée était de vous proposer de rendre publics les documents sur lesquels il refusait de s'expliquer.
Le 8 avril dernier, la commission a donc voté le principe de ne pas saisir la justice, mais, d'une part, de donner communication publique par le rapporteur du contenu des documents de l'Élysée, lecture retransmise sur le site du Sénat, et, d'autre part, de les insérer en annexe de notre rapport et de les mettre ultérieurement à disposition des internautes sur la page internet de la commission. Les reprises de presse ont été considérables.
Par ailleurs, nous craignions que la justice ne nous aide pas. Nous ne voulions pas affaiblir notre position ni celle des commissions d'enquête à venir.
La récente décision de la procureure de Paris, Mme Laure Beccuau, sur le refus de déposer du même Alexis Kohler devant la commission des finances de l'Assemblée nationale confirme que notre analyse était bonne. La procureure de Paris a en effet rejeté le signalement effectué par le président de cette commission, M. Éric Coquerel, par le motif suivant : « Le principe de la séparation des pouvoirs et la combinaison des articles 20, 24 et 51-2 de la Constitution ne permettent pas en l'espèce de caractériser l'infraction. »
Le rapporteur, en parfait accord avec moi, a par ailleurs préféré se concentrer sur des recommandations qui pourront nourrir une proposition de loi visant à renforcer les pouvoirs que les commissions d'enquête tirent de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires. Il y a là un champ d'action pour nos groupes et nous proposerons la rédaction d'une proposition de loi transpartisane sur le sujet.
Le deuxième cas était celui des éventuels faux témoignages devant la commission d'enquête.
Avec le rapporteur, nous nous sommes interrogés sur trois cas : les auditions de Mmes Dubois et Lienau, et celle de M. Le Fanic, directeur industriel du groupe Nestlé Waters.
Il est certain que les deux premières, compte tenu de leur attitude lors des auditions, nous donnaient l'envie d'une forme de sanction. Mais il ne suffit pas d'avoir envie ! Nous avons revu avec minutie les comptes rendus et, si certains propos étaient ambigus, ils l'étaient justement trop pour étayer un signalement ayant des chances de prospérer devant la justice.
En revanche, il nous a semblé, après cet examen, que les propos de M. Le Fanic, qui, le 26 mars, écartait toute idée de contamination sur les chaînes Perrier, étaient en contradiction claire avec les documents dont nous disposions. Nous avons donc saisi la procureure de Paris. Vous avez tous reçu le communiqué de presse afférent.
Dans le prolongement de nos travaux, nous allons désormais travailler à trois textes : une proposition de loi visant à renforcer les pouvoirs que les commissions d'enquête tirent de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires ; une proposition de loi reprenant les recommandations du rapport sur la protection et les contrôles des eaux en bouteille ; enfin, une proposition de résolution pour les aspects réglementaires de nos recommandations. Nous allons rapidement prendre l'attache des ministres compétents pour que nos recommandations prennent effet rapidement.
M. Hervé Gillé. - Les éléments portés à notre connaissance par le rapporteur sur le rapport qui a été modifié sur intervention expresse de Nestlé Waters ne pourraient-ils pas donner lieu à des poursuites ?
M. Laurent Burgoa, président. - Pour que ce soit le cas, nous aurions dû auditionner une nouvelle fois sous serment les personnes concernées.
M. Hervé Gillé. - Nous avons aujourd'hui clairement connaissance de cette modification d'un rapport. Cela pose la question des responsabilités non seulement de l'administration, mais aussi de l'entreprise, y compris pénalement.
M. Laurent Burgoa, président. - En tant que président de la commission d'enquête, j'ai conduit les débats et me suis concentré sur l'occurrence ou non de faux témoignages. Concernant les éléments que vous mentionnez, vous avez toute liberté de saisir le procureur de la République au titre de l'article 40 du code de procédure pénale, comme tout membre de la commission d'enquête, mais ce n'est pas mon rôle.
M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous examinerons ces éléments et pourrons en discuter ensemble encore, mais nos mandats de président et de rapporteur de la commission d'enquête prendront de toute façon fin dans une minute, dès que cette réunion sera close.
M. Laurent Burgoa, président. - Merci encore à tous pour le travail réalisé ensemble.
La réunion est close à 18 h 25.