Mercredi 14 mai 2025

- Présidence de M. Jean-Marie Mizzon, président -

La réunion est ouverte à 13 h 30.

Audition de M. Romain Colas, maire de Boussy-Saint-Antoine, vice-président de l'Association des petites villes de France (en téléconférence)

M. Jean-Marie Mizzon, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons notre cycle d'auditions des associations d'élus avec l'audition de l'Association des petites villes de France (APVF), dont nous avons le plaisir d'accueillir en téléconférence l'un des vice-présidents, monsieur Romain Colas, maire de Boussy-Saint-Antoine dans l'Essonne. Je précise que cette audition fait l'objet d'une diffusion en direct et qu'elle sera disponible sur le site internet du Sénat.

Monsieur le vice-président, nous vous remercions chaleureusement de vous être rendu disponible pour nous éclairer sur la manière dont les petites villes perçoivent l'intercommunalité. Celle-ci leur apporte-t-elle une réelle valeur ajoutée ? Leur permet-elle de faire entendre leur voix ou, à l'inverse, les dilue-t-elle dans des ensembles trop grands et disparates ? Après dix ans, la révolution que représente la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (loi NOTRe) a-t-elle été digérée ou, au contraire, est-il est temps de revenir sur ses dispositions ?

Ces interrogations sont au coeur de la réflexion de notre mission d'information, créée sur l'initiative du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. Je le précise, notre objectif est non pas de remettre en cause le principe de l'intercommunalité, mais d'identifier les freins et blocages de toute nature qui entravent le bon fonctionnement de certaines structures intercommunales.

En adoptant une démarche pragmatique, au plus près des réalités de terrain, nous avons à coeur de trouver avec les élus, en particulier les maires et les présidents d'intercommunalités, des voies d'amélioration pour garantir le meilleur fonctionnement possible de notre démocratie locale, notamment en matière de gouvernance, pour servir au mieux nos citoyens.

Mme Maryse Carrère, rapporteure. - Monsieur le vice-président, nous vous remercions d'apporter votre expertise à notre mission d'information. Quelques années après l'installation des nouvelles intercommunalités à la suite de la mise en oeuvre de la loi NOTRe, quelle est votre perception générale de l'intercommunalité ? Les petites villes représentées par votre association rencontrent-elles des difficultés vis-à-vis des intercommunalités ? Au contraire, pourriez-vous nous donner des exemples de bonnes pratiques et de réussites ?

La carte intercommunale est-elle adaptée aux spécificités des territoires, ou vous semblerait-il souhaitable de la revoir ? Avez-vous des exemples à nous fournir de communes qui sont sorties de certaines intercommunalités pour en rejoindre d'autres, de fusions ou de scissions ?

Nous aborderons aussi la question de la gouvernance des conseils communautaires, lesquels fonctionnent plus ou moins bien selon les territoires ; les disparités sont nombreuses. Nous aimerions identifier les outils qui permettraient de fluidifier les relations entre communes et intercommunalités.

En outre, la liste des compétences intercommunales obligatoires vous semble-t-elle adaptée ? Les transferts et délégations de compétence depuis les communes vers les intercommunalités sont fréquents ; pourriez-vous nous en fournir des exemples ?

Enfin, nous souhaitons vous interroger sur la solidarité, la mutualisation des services et des moyens dans les intercommunalités. Comment évaluer les économies et la plus-value que cela représente pour nos concitoyens ? Les nouvelles intercommunalités vous semblent-elles de nature à permettre la réalisation d'investissements plus importants que ceux qui étaient engagés par des structures de plus petite taille par le passé ?

M. Romain Colas, maire de Boussy-Saint-Antoine, vice-président de l'Association des petites villes de France. - Depuis plusieurs décennies, l'APVF a vocation à représenter les spécificités des villes de 2 500 à 25 000 habitants. Nous représentons ainsi 4 000 communes, qui accueillent 40 % de la population française. Notre diversité est une richesse, car elle nous permet de pointer les grandes différences entre les territoires.

Parmi nos adhérents figurent des villes de taille moyenne qui sont des villes-centres dans des territoires ruraux, et d'autres, comme celle dont je suis maire, qui appartiennent à des agglomérations plus larges - Boussy-Saint-Antoine, 8 000 habitants, est aux franges du coeur de l'agglomération parisienne. Je ne pourrai donc vous fournir de réponse monolithique et tranchée sur la pertinence des périmètres des intercommunalités - veuillez m'en excuser. En effet, dans certains endroits, les schémas départementaux de coopération intercommunale ont permis l'émergence d'intercommunalités assises sur des bassins de vie pertinents, mais dans d'autres, les habitants et les élus estiment que le trait n'a pas été tracé au bon endroit par rapport au territoire tel qu'il est vécu.

Si les textes relatifs au fait intercommunal ont d'abord été incitatifs, puis coercitifs, ils laissent tout de même une très grande marge de manoeuvre aux élus locaux, leur permettant d'assumer ou non certains choix. Certains élus ont été proactifs dans la création de l'intercommunalité, d'autres ont plutôt choisi de dire qu'ils subissaient une obligation. On ne peut déconnecter les questionnements sur le fait intercommunal, l'exercice des compétences et le fonctionnement des intercommunalités de la capacité des élus locaux à forger des consensus et à assumer leur responsabilité. Personnellement, je considère que, si des exigences sont posées par la loi, notre responsabilité est de nous assurer qu'elles s'appliquent le mieux possible plutôt que de jouer aux irréductibles Gaulois qui en réalité ne résistent à rien, car la loi s'impose à tous, et qui en définitive n'assument pas leurs responsabilités. Je vous proposerai donc des remontées du terrain, une fois posé ce principe selon lequel, si certaines difficultés dans le fonctionnement des intercommunalités sont liées au cadre légal et réglementaire, la plupart d'entre elles tiennent bien souvent aux élus eux-mêmes.

Mme Maryse Carrère, rapporteure. - Pourriez-vous nous donner des exemples de mouvements dans les intercommunalités, certaines communes choisissant de sortir d'une structure pour en rejoindre une autre ? Si ces mouvements sont peu nombreux, est-ce parce que la carte intercommunale est aboutie et correspond aux besoins des territoires, ou est-ce dû aux difficultés et aux conséquences que ces mouvements entraînent pour les communes, en matière d'études ou d'implications fiscales en particulier ?

M. Romain Colas. - À ma connaissance, les mouvements d'entrée et de sortie de communes dans les intercommunalités sont extrêmement rares. Je n'ai pas le sentiment d'une accélération, et ces mouvements me semblent au contraire très marginaux, pour plusieurs raisons.

Premièrement, certaines intercommunalités fonctionnent bien - il faut s'en féliciter. Deuxièmement, compte tenu de la montée en puissance des intercommunalités, les implications des mouvements dans la carte intercommunale sont extrêmement complexes et leur ampleur encourage à conserver une certaine stabilité. Enfin, pour rebondir sur les propos liminaires de Monsieur le président, nous sommes encore en train de digérer l'application de la loi NOTRe. À l'exception de quelques endroits marginaux où les choses se passent manifestement très mal et où des erreurs de périmètres ont été commises, des élus ayant la velléité de modifier la carte - cela ne marchera jamais -, nous sommes encore en train de digérer la création des intercommunalités. À l'échelle politico-administrative, celles-ci sont encore très jeunes. Dans certains endroits, les projets de territoires ou les intérêts communautaires sont à peine définis. À moyen terme, personne n'appelle à un grand big-bang de la carte intercommunale.

Mme Cécile Cukierman. - Monsieur le maire, vous êtes auditionné en tant que représentant de l'APVF. Vous avez rappelé l'hétérogénéité des villes que vous fédérez, mais il me semble qu'on peut trouver un fil commun à toutes : leur place dans les intercommunalités issues de la loi NOTRe.

Plus les villes sont petites, plus la question de leur place réelle dans l'intercommunalité se pose. Dans nos départements, nous avons tous en tête des exemples d'intercommunalités dont les présidents sont maires de villes-centres de plus de 100 000 habitants, mais aussi des intercommunalités qui sont des kyrielles de diverses petites villes, et d'autres qui sont des kyrielles de bourgs ruraux et de villages. Nous sentons les tensions entre ces différentes collectivités, le sentiment d'abandon dans les communes rurales, et une très forte volonté compensatrice des exécutifs intercommunaux à destination des plus petites communes du point de vue démographique. Les villes que vous représentez, c'est un peu comme l'enfant du milieu : on l'aime autant que les autres, mais il n'a jamais été le premier et il ne sera jamais le dernier. J'aimerais que vous nous décriviez plus subjectivement le ressenti de ces petites villes, en mettant un peu d'humanité dans vos propos.

M. Romain Colas. - Selon que l'on est une ville-centre au sein d'une communauté de communes ou que l'on fait partie d'une des kyrielles que vous évoquez, le sentiment est différent. Nos collègues de ces dernières vivent ce sentiment d'abandon, d'exclusion et de dépossession vis-à-vis du déploiement des politiques publiques. En revanche, je ne suis pas convaincu que ce vécu puisse être corrigé par des modifications réglementaires ou législatives.

J'en reviens à la responsabilité politique des élus locaux : on peut espérer que, dans ces lieux, le fait intercommunal fasse partie intégrante des projets politiques présentés aux suffrages des électeurs dans le cadre des renouvellements municipaux et intercommunaux - le fléchage des conseillers communautaires peut y contribuer -, et que l'objet de la communauté de communes ou d'agglomération devienne un véritable objet politique. De fait, les élus ou candidats dans les territoires doivent dégager, sinon des majorités politiques, du moins des consensus autour de priorités, qu'il s'agisse de péréquation ou d'aménagements.

L'appropriation de l'enjeu intercommunal par les élus doit être collective, à toutes les échelles, dans les plus petites comme dans les plus grandes communes des intercommunalités. Encore une fois, les structures sont extrêmement jeunes, et nous en sommes toujours à une phase de digestion. Progressivement, sauf s'il y a des désaccords politiques majeurs, les élus vont intégrer le fait intercommunal, et là où il y a des difficultés, ils parviendront à inventer des manières de fonctionner et à définir des politiques publiques qui lisseront ce sentiment d'abandon - en tout cas, nous l'espérons.

Je ne sais pas si le fil conducteur de mon propos manque d'humanité, mais il est empreint d'un esprit de responsabilité. Je suis un décentralisateur convaincu, et il n'y a pas de décentralisation sans responsabilités : en définitive, les acteurs locaux devront pleinement prendre possession des responsabilités qui leur ont été confiées. Il y a quelquefois eu des difficultés lors de la création des intercommunalités, certaines communes ayant l'impression d'être exclues de leur gouvernance ou de leurs priorités politiques. Dans plusieurs cas, les élus ont alors su partager un diagnostic, se fédérer au sein de l'intercommunalité et faire de la politique au sens noble du terme, amenant l'exécutif de l'intercommunalité à prendre en compte leurs préoccupations et faisant ainsi bouger les lignes.

M. Jean-Marie Mizzon, président. - Dans votre propos liminaire, vous avez indiqué que, si les intercommunalités fonctionnent plus ou moins bien, ce sont parfois les personnes elles-mêmes qui sont en cause. S'il fallait modifier le périmètre de certaines intercommunalités, seriez-vous favorables à ce que les deux acteurs majeurs réunis lors de l'application de la loi NOTRe, les préfets et les commissions départementales de coopération intercommunale (CDCI), continuent à jouer un même rôle ? Je le rappelle, la CDCI devait réunir une majorité des deux tiers pour contrer le choix du préfet.

M. Romain Colas. - Je m'exprime à titre personnel, car à ma connaissance l'APVF n'a pas eu ce débat. Si l'État, représenté par le préfet, et les élus sont des partenaires, ils devraient être traités sur un pied d'égalité. La majorité qualifiée des deux tiers n'est pas de nature à créer cette égalité.

Mme Ghislaine Senée. - Depuis le démarrage des nouvelles intercommunalités, les pactes de gouvernance satisfont-ils les maires des petites villes ? Quelles sont les propositions de l'APVF sur ce sujet ? De même, les petites villes se sentent-elles parfois exclues ou éprouvent-elles des difficultés particulières pour participer à l'élaboration des projets de territoire ?

M. Romain Colas. - Encore une fois, les petites villes n'ont pas toutes le même ressenti : il y a une grande diversité des cas, selon les gouvernances, l'état d'esprit et la maturité communautaire. Pour autant, l'APVF revendique qu'un temps de concertation obligatoire soit réservé, au début du mandat intercommunal, à la définition des priorités politiques de ce mandat. De mémoire, les pactes de gouvernance sont une possibilité offerte par la loi et non une obligation. Obliger l'exécutif intercommunal à questionner le conseil communautaire et les maires sur la gouvernance de l'intercommunalité en début de mandat serait de nature à créer les conditions d'un dialogue là où celui-ci n'existe pas, à prendre en compte l'ensemble des voix et à favoriser l'émergence de consensus. De même, une révision des priorités du projet de territoire à l'occasion d'un débat suivi d'un vote du conseil communautaire au début du mandat serait également de nature à contribuer à l'émergence de l'esprit communautaire.

Certains élus se plaignent d'être ignorés des intercommunalités, mais l'ignorance dont ils se plaignent est à la mesure de leur refus d'intégrer les logiques intercommunales. J'ai tendance à demander un allègement des contraintes qui pèsent sur les collectivités locales, mais poser en début de mandat des temps obligatoires de discussion des principes de gouvernance et des priorités politiques nous semble être pertinent.

M. Jean-Marie Mizzon, président. - L'organisation des pactes de gouvernance est bien une faculté des intercommunalités, et non une obligation.

M. Jean-Marc Delia. - Dix ans après l'adoption de la loi NOTRe, que pouvons-nous améliorer dans l'organisation des intercommunalités en ce qui concerne l'exercice de leurs compétences ? Certaines compétences doivent-elles être partagées entre communautés d'agglomération et communes ? Quelle est la vision des habitants sur le terrain ? Parviennent-ils à identifier l'intercommunalité si le maire de leur commune ne fait pas le relais avec l'échelon intercommunal, ou cela favorise-t-il son rejet ?

M. Romain Colas. - Pour ce qui concerne la dévolution des compétences, nous sommes par principe favorables à tout ce qui permet à l'intelligence territoriale, lorsqu'elle existe, de se déployer. Pour des raisons d'efficacité de l'action publique, il ne me paraît pas utile de rouvrir un chantier sur les compétences, mais il faut veiller à ce que l'exercice des compétences obligatoires réponde aux intérêts intercommunautaires, même si la définition de ces derniers est très souple.

La loi dispose que certaines compétences sont obligatoires pour les intercommunalités, mais l'exercice de ces compétences est tributaire de l'intérêt communautaire, librement défini par l'intercommunalité et par les communes, à l'aide d'ailleurs de régimes de majorité qualifiée permettant d'éviter que l'intercommunalité ou certaines communes n'imposent leurs vues. Nous sommes favorables à ce que ces dispositifs perdurent, car ils permettent de conserver une logique de fédération des communes. C'est d'ailleurs pour cette raison que j'ai du mal avec ceux qui perçoivent l'intercommunalité comme un échelon supplémentaire : c'est au contraire un échelon de coopération et de mutualisation, un peu à l'image de l'Europe, qui est un fédéralisme dans le respect des États-nations.

Tout ce qui permet à l'intelligence territoriale, lorsqu'elle existe, de s'appliquer finement, d'adapter l'exercice et le partage des compétences aux réalités locales, me paraît souhaitable. C'est le pari de la décentralisation et de la responsabilité des acteurs locaux. Nous ne demandons pas d'ouvrir un nouveau chantier sur les compétences, encore une fois, qui sont en train d'être intégrées, car cela nous ferait perdre beaucoup de temps.

D'ailleurs, à titre personnel, le fait que la loi ait exigé le transfert de la compétence eau et assainissement avant de revenir sur cette disposition ne me semble pas avoir été pertinent du point de vue de l'efficacité des politiques publiques. Plusieurs élus, y compris en secteur rural, m'ont indiqué avoir perdu du temps et de l'argent public pour rien, alors même qu'ils avaient commencé à réfléchir au transfert de la compétence à l'échelon intercommunal. Derrière chaque dévolution de compétence, il y a un gros travail politique et technique, de l'argent public est dépensé, mais chaque mouvement ne nous amène pas à améliorer la performance publique.

Mme Isabelle Briquet. - Je suis élue d'un territoire où une intercommunalité a évolué, passant de communauté de communes à communauté d'agglomération, puis à communauté urbaine. Sur l'exercice des compétences obligatoires, quel est le ressenti des communes ? La situation globale s'est-elle améliorée ? Le transfert de compétences s'est-il accompagné de transferts de moyens humains ? Normalement, les effectifs des personnels intercommunautaires auraient dû augmenter, quand ceux des personnels communaux auraient dû diminuer.

M. Romain Colas. - La généralisation du fait intercommunal ne me semble pas avoir été une source majeure d'économies d'échelle, loin de là, mais les raisons en sont variées, et il ne faudrait pas incriminer les intercommunalités dans la croissance des effectifs des collectivités territoriales. En revanche, du point de vue d'une pure gestion, elle a permis dans bien des territoires une montée en compétences dans l'exercice des politiques publiques. L'exemple de ma commune en témoigne : sur des sujets politiques et techniques aux incidences financières importantes, les petites communes restaient à la marge en raison de la faiblesse de leur ingénierie et de leur manque de moyens. Là où les intercommunalités fonctionnent, elles ont pu monter en compétence alors que les communes ne le pouvaient pas. À bien des égards, en matière d'aménagement, d'énergie ou de gestion des déchets, l'émergence du fait intercommunal a permis des avancées certaines.

Des progrès restent toutefois possibles pour que l'échelon intercommunal soit pris en compte par des structures existant avant son émergence. Par exemple, lorsqu'une intercommunalité est assise sur le périmètre de plusieurs syndicats de traitement des déchets, déployer une politique intercommunale qui traite chaque administré sur un pied d'égalité est presque impossible. Nous manquons de souplesse pour raccrocher aux périmètres intercommunaux des opérateurs qui exercent sur une partie de l'intercommunalité ou qui la dépassent. Dans plusieurs cas, la compétence gestion des déchets a été dévolue à l'intercommunalité, mais il est parfois impossible pour celle-ci de l'exercer, car plusieurs acteurs historiques se partagent son territoire sans avoir ni la même gouvernance ni la même forme juridique, sans avoir d'intérêt à s'entendre. Les règles actuelles permettent aux intercommunalités de sortir du cadre d'un syndicat industriel pour asseoir leur politique de gestion des déchets sur une structure pertinente à l'échelle du bassin, mais à des prix et des conditions de sortie exorbitants.

Un travail de cartographie, nécessairement long et complexe, pourrait ainsi porter sur la prise en compte du fait intercommunal par les structures infra-intercommunales ou supra-intercommunales. Bien souvent, selon l'histoire de chaque territoire, des compétences dévolues à l'agglomération ou à la communauté de communes sont déléguées à des opérateurs autonomes par rapport à l'intercommunalité, pourtant censée exercer la compétence en question...

M. David Margueritte. - L'intérêt communautaire est essentiel, et je partage largement vos propos : les intercommunalités fonctionnent lorsque les élus y croient. Néanmoins, des élus parfois très engagés dans leur intercommunalité deviennent immanquablement, dans les instances communautaires, les représentants des intérêts de leurs communes, ce qui peut poser de réelles difficultés. Pour reprendre l'exemple de la gestion des déchets, mettre en place une réforme de la collecte peut devenir extrêmement compliqué si l'esprit communautaire a du mal à infuser. On regardera toujours comment le voisin a été servi...

En matière de gouvernance, d'éventuelles évolutions législatives pourraient-elles faciliter les choses ? Je pense en particulier à la conférence des maires : nos auditions semblent converger autour de l'idée qu'elle ne fonctionne que modérément, la plupart des intercommunalités ne s'en saisissant pas réellement, en raison du manque d'effectivité de ses décisions. S'assurer que cette instance représente réellement les intérêts des communes, lui accorder un pouvoir décisionnel lui permettant de s'opposer à certaines réformes, en faire avec le bureau communautaire le lieu de l'expression du débat - cela se définit lors du pacte de gouvernance, durant les six mois suivant l'élection - ne représenterait-il pas une solution ?

Par ailleurs, pour donner de l'intérêt à l'échelon communautaire, faut-il revoir le mode d'élection et le fléchage des conseillers communautaires ? Il y a quelques années, certains se demandaient si, pour asseoir sa légitimité, l'intercommunalité ne devait pas devenir une collectivité territoriale à part entière. Je ne partage pas nécessairement ce point de vue, mais ces questions permettent de souligner qu'une intercommunalité constitue non pas un pacte d'actionnaires attendant un retour sur investissement, mais une confédération. Un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) n'est pas un lieu où l'on représente une commune en attendant un retour sur investissement : c'est un lieu qui porte des projets déterminants pour les territoires.

M. Romain Colas. - Vous posez la question de l'instauration d'un bicaméralisme intercommunal, avec d'un côté le conseil communautaire et de l'autre la conférence des maires. La conférence des maires est l'un des moyens de lutter contre le sentiment d'abandon ou de dépossession, car chaque commune y dispose d'une voix, quel que soit son poids démographique. Stabiliser et mieux définir le rôle de la conférence des maires pour lui permettre de s'exprimer concrètement dans la gouvernance et de participer à la définition des politiques prioritaires de l'intercommunalité est éminemment souhaitable. Il faut réaliser un travail de dentelle, ce qui est particulièrement difficile pour un texte ayant vocation à s'appliquer sur l'ensemble du territoire national, et laisser l'intelligence et la responsabilité locale s'exercer. Dans une logique d'intercommunalité, les communes doivent s'exprimer.

En revanche, l'APVF ne croit absolument pas à l'idée de porter le chantier d'une élection au suffrage universel direct des conseillers communautaires, indépendamment des élections municipales. Aller vers des collectivités territoriales de plein exercice et créer une strate supplémentaire risquerait de renforcer le sentiment de dépossession dans les communes. L'intercommunalité peut être une source de création de consensus, d'efficacité de l'action publique locale et d'intelligence collective, mais ces lieux doivent devenir ceux de l'apprentissage du consensus, dans une logique de coopération intercommunale. Une élection au suffrage universel direct risquerait de politiser et de créer de la conflictualité là où, en règle générale, les intercommunalités sont déjà en mesure de créer des consensus par-delà les clivages partisans. Il me semble qu'il s'agirait d'un recul dans la maturation du fait intercommunal.

Mon expérience est celle d'une maturation progressive. Je connaissais l'intercommunalité bien avant la loi NOTRe : je suis maire d'une commune qui appartient à une communauté d'agglomération créée en 2003 sur la base de la loi du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale, dite loi Chevènement et de la loi du 25 juin 1999 d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire, dite loi Voynet. Je suis maire depuis 2008 ; j'ai vécu la naissance d'une communauté d'agglomération, puis la fusion, dans une relative douleur, de deux communautés d'agglomération à la suite de la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (Maptam).

Lors de la création de l'intercommunalité, cette structure nouvelle recevait un bonus d'affectation de la dotation globale de fonctionnement (DGF) et se voyait attribuer une meilleure capacité d'endettement. Clairement, lors de sa naissance, l'intercommunalité était un pacte d'actionnaires, car elle permettait de financer des investissements que chaque commune ne pouvait pas se permettre. Cette situation s'est poursuivie pendant une dizaine d'années. Puis, en raison du transfert des compétences obligatoires aux intercommunalités, et parce que des besoins nouveaux ont émergé - je pense par exemple aux plans climat-air-énergie territorial (PCAET) -, notre intercommunalité a dû se saisir d'autres sujets. Progressivement, alors que nous n'étions pas en pointe en ce domaine, un esprit communautaire transcendant largement les clivages partisans a émergé, ce dont je ne peux que me féliciter. Le processus est vivant et humain : il a besoin de suivre son chemin. Les intercommunalités qui relèvent aujourd'hui du pacte d'actionnaires, parce que nécessité fait loi et qu'il faut tenir compte de la raréfaction des crédits publics, peuvent évoluer : il faut leur laisser cette possibilité.

Mme Cécile Cukierman. - En ce qui concerne le transfert de compétences, vous n'êtes pas le premier représentant d'association de collectivités à tenir de tels propos. Nous avons tous beaucoup de respect pour les représentants, et je crois en la démocratie, en la capacité d'élire les gens. Pour faire avancer un territoire et faire société dans un pays, il faut bien évidemment une continuité des politiques publiques. Cependant, il faut aussi accepter que des changements liés à des choix politiques différents puissent s'exprimer. Si demain la majorité du conseil départemental de l'Essonne changeait, il y aurait probablement des ruptures par rapport aux politiques menées par la majorité actuelle. Votre point de vue est fédéraliste, dites-vous. Permettez-moi de tenir une position plus souverainiste : lorsque chacun a la force de son émancipation, on fait mieux avec l'autre.

La question du statut de l'élu est curieusement peu évoquée. Vous avez insisté sur le fait que la loi seule ne peut pas tout, que le fait intercommunal a été perçu différemment, qu'il en reste des traces et des rancoeurs, et qu'en définitive l'élu manque surtout du temps. Personnellement, je trouve contradictoire d'imposer les pactes de gouvernance tout en défendant la liberté des communes. Si un nouveau texte rendait obligatoires ces réunions, il serait illusoire de croire que celles-ci pourraient faire s'évanouir les rancoeurs politiques ou personnelles qui existent dans une intercommunalité.

La vraie difficulté des maires des petites villes, c'est la compatibilité de leur mandat avec leur activité professionnelle, qui demeure bien souvent indispensable. Au sein des conseils communautaires, cela peut conduire à des crispations. Si l'on s'exaspère que seuls les élus des grandes villes décident, c'est aussi parce qu'un adjoint à la ville de Saint-Étienne ou un vice-président à l'exécutif de la métropole touche une indemnité digne d'un parlementaire, et n'a pas la même vie que le maire d'une commune de 5 000 habitants ! Vous vous dites fervent défenseur du fait intercommunal, mais il me semble que vous étiez parlementaire en 2015, et que nous n'avons pas eu le même vote sur la loi NOTRe. Les associations auraient intérêt à défendre le statut de l'élu, car avec le temps, il s'agit d'une des clés pour permettre de faire ensemble et d'atténuer, voire de faire disparaître les irritants. La loi est aussi là pour assurer que l'on puisse vivre ensemble lorsqu'on ne s'entend pas.

M. Romain Colas. - Le statut de l'élu est évidemment un immense sujet. L'APVF fait depuis longtemps plusieurs préconisations - nous vous les adresserons - pour modifier le statut de l'élu. En particulier, il n'y a pas eu depuis longtemps de revalorisation des indemnités des élus des communes que nous représentons. La loi du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique, dite loi Engagement et proximité, a revalorisé les indemnités des élus des plus petites communes, ce qui était parfaitement légitime ; lorsque le cumul des mandats a été interdit, les élus des grandes villes ont vu leurs indemnités augmenter, mais les élus des petites villes sont restés dans une sorte de trou noir. Ceux qui ont fait le choix de s'investir pleinement dans leur mandat, de renoncer à leur vie professionnelle pour se consacrer uniquement à l'exercice de leurs tâches publiques ont connu un effondrement de leur pouvoir d'achat. Nous portons depuis longtemps des revendications fortes, que le Gouvernement serait bien inspiré de considérer avant le prochain renouvellement municipal.

En 2015, je m'étais opposé à la position de mon groupe parlementaire en ce qui concerne l'élection au suffrage universel direct des conseillers communautaires, avec le même argument que celui que j'ai avancé, celui de ne pas créer de conflictualité là où le consensus peut émerger. Encore une fois, je crois au fait de la décentralisation. Lorsque la loi exige des intercommunalités certaines choses, il faut nous en saisir.

Je partage largement votre diagnostic sur le regard que l'on porte à l'exécutif des intercommunalités selon qu'on y appartienne ou non, mais j'ai tendance à porter un jugement très négatif sur la paralysie des institutions du fait de rancoeurs personnelles. Nous avons là une responsabilité collective et individuelle : l'intérêt général doit passer avant l'expression de nos inimitiés. Ces rancoeurs sont parfois presque criminelles : le syndicat mixte pour l'assainissement et la gestion des eaux du bassin versant de l'Yerres (Syage), que j'ai l'honneur de présider depuis 2020, est compétent pour la gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (Gemapi) de tout un bassin versant. Le périmètre du syndicat a été défini par mon prédécesseur, avec l'ensemble des acteurs du territoire. Nous étions autrefois compétents sur 18 communes, nous le sommes désormais sur 120 communes, réparties dans trois départements. Alors que l'échelle pertinente pour lutter contre les inondations est celle du bassin versant, en Île-de-France, seuls deux établissements publics d'aménagement et de gestion de l'eau (Epage) sont véritablement assis sur un bassin versant. Ce n'est pas du fait de la loi, qui incite à créer ces établissements sur les échelons pertinents ; c'est parce que, alors que le risque climatique accroît les besoins d'anticiper notre réponse aux inondations, les acteurs locaux ne veulent pas s'organiser pour agir au niveau de l'échelon adapté. Au-delà des désaccords, nous devons être exigeants envers nous-mêmes. Nous avons la fâcheuse tendance à critiquer la loi, mais ce sont parfois les personnes qui sont responsables. C'est aussi pour cela que je crois au fait intercommunal, qui peut contribuer à nous élever vers l'intérêt général.

M. Clément Pernot. - Quel sens donnez-vous à votre action par rapport à celle de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF) ?

M. Romain Colas. - Historiquement, au-delà de l'AMF qui a vocation à défendre l'ensemble des communes de France dans leur immense diversité, les élus communaux ont choisi de se réunir pour défendre les points de vue particuliers qu'elles partagent du fait de leurs spécificités. L'APVF existe au même titre que l'Association des maires ruraux, France urbaine, ou les associations des communes littorales, des villes touristiques, des villes de montagne, etc., car il est utile que chacune de ces communes puisse porter les problématiques qu'elles partagent, au-delà du point de vue très généraliste porté par l'AMF.

À titre personnel, je ne me reconnais pas dans la politisation de l'AMF. Avant même que l'AMF se saisisse d'un sujet, je peux deviner sa position...

M. Clément Pernot. - Un président de conseil départemental et moi-même avions envisagé de créer une association des intercommunalités de moins de 50 000 habitants, car nous avions l'impression de ne pas être entendus lors de l'Assemblée des communautés de France, devenue Intercommunalités de France. De même que les petites villes ont intérêt à se fédérer, les communautés de communes de moins de 50 000 habitants auraient tendance à s'entendre, car les problèmes sont par exemple souvent différents dans la métropole de Grenoble et dans ma communauté de commune, Champagnole Nozeroy Jura. Nous devrions inciter certains à se lancer dans l'aventure pour que naissent ces structures, qui pourraient devenir des interlocuteurs de premier plan pour le Sénat.

Mme Marie-Jeanne Bellamy. - Nombre de mes collègues de petites communes ne se sentent pas intégrés dans l'intercommunalité s'ils ne figurent pas dans son exécutif. La question est peut-être liée au nombre de représentants dont dispose chaque commune. Ne serait-il pas pertinent de créer un siège supplémentaire pour les petites communes, dont les maires siègent souvent à l'intercommunalité sans pouvoir assister à toutes les réunions du conseil communautaire, ni à celles de toutes les commissions ? L'organisation est d'ailleurs déjà difficile pour les communes qui disposent de deux ou trois délégués communautaires.

M. Romain Colas. - Je ne suis pas sûr de pouvoir apporter une réponse ferme à cette question. Soit on renforce le rôle de la conférence des maires, ce qui serait de nature à ancrer l'EPCI dans une logique de coopération intercommunale ; soit on renforce la représentation des petites communes, au risque de contrarier le principe d'équité de représentation, ce qui à mon sens présente un risque d'inconstitutionnalité ; soit on renforce la présence des petites communes dans les organes délibérants, au risque de créer de nouveaux problèmes liés à la disponibilité. Votre question m'interpelle. La conférence des maires peut répondre à une part du problème, en représentant effectivement chaque maire dans le coeur du réacteur.

La loi Engagement et proximité a permis des progrès sur ce sujet, un élu d'une commune pouvant la représenter au sein des commissions, même s'il n'est pas lui-même conseiller communautaire. Le choix est laissé aux intercommunalités. Il faut permettre une représentation effective de chacune des communes dans les commissions de l'intercommunalité, mais je ne suis pas certain qu'une seule réponse puisse être donnée sur ce sujet. Cela relève de la conception de la gouvernance que l'on se fait à l'échelle de l'intercommunalité, et de la manière dont on appréhende la création du consensus autour du projet de territoire.

Je me permets de vous préciser d'où je parle : je suis maire de la plus petite commune de mon intercommunalité, qui ne dispose que de deux représentants dans un conseil communautaire qui compte cinquante-six membres. Je suis issu de la gauche dans une intercommunalité très largement de droite ; et je suis vice-président, chargé des finances et du développement durable. Nous sommes parvenus à créer quelque chose ensemble.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 14 h 40.