Mercredi 21 mai 2025

- Présidence de Mme Dominique Vérien, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, et de Mme Muriel Jourda, présidente de la commission des lois -

La réunion est ouverte à 13 h 35.

Mission conjointe de contrôle sur la prévention de la récidive en matière de viol et d'agressions sexuelles - Examen du rapport d'information

Mme Dominique Vérien, présidente de la délégation aux droits des femmes. - Nous avons toutes et tous gardé en tête le viol et le meurtre de la jeune Philippine, en septembre 2024, dont l'auteur présumé avait déjà été condamné pour viol en 2021 et qui faisait, par ailleurs, l'objet d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Ce fait nous a dramatiquement rappelé la gravité de la récidive en matière d'infractions sexuelles.

Cette tragédie a constitué le point de départ de nos travaux qui ont débuté quelques semaines plus tard.

Dans un premier temps, la délégation aux droits des femmes a constitué, en son sein, une mission d'information sur la récidive des viols et agressions sexuelles en nommant quatre rapporteures : Annick Billon, Evelyne Corbière Naminzo, Marie Mercier et Laurence Rossignol.

Puis, il m'a semblé naturel, voire incontournable, de proposer à la commission des lois de travailler conjointement sur ce sujet, qui se situe à la croisée de nos compétences respectives.

La présidente Muriel Jourda a d'emblée accepté le principe d'une mission conjointe de contrôle (MCC), entre la commission des lois et la délégation aux droits des femmes du Sénat, sur la prévention de la récidive en matière de viol et d'agressions sexuelles. La commission a, alors, nommé deux rapporteures en son sein : Catherine Di Folco et Audrey Linkenheld, qui ont complété le quatuor déjà formé par la délégation, que j'ai précédemment cité.

Notre boussole commune a toujours été la suivante : comment faire pour éviter que l'irréparable ne se reproduise ? Comment limiter le risque que les criminels sexuels condamnés, et donc pris en charge par la société, récidivent une fois qu'ils ont été libérés ?

Nous nous sommes donc intéressées au traitement judiciaire, social et sanitaire des auteurs d'infractions sexuelles, majeurs comme mineurs, dès leur mise en cause par le juge pénal, au cours de leur détention et à la suite de celle-ci.

Mme Muriel Jourda, présidente de la commission des lois. - Les éléments de contexte que vous venez d'évoquer rappellent l'importance des travaux de la mission. Je dois rendre hommage à l'investissement de nos six rapporteures, qui ont consacré leur temps et leur énergie à l'étude d'un thème sensible, qui implique de nombreux acteurs et qui n'est pas dénué de complexité juridique. Elles ont rencontré, au total, près de cent personnes, ont organisé trente auditions, dont trois plénières, et effectué trois déplacements - dans l'Yonne, puis à Caen, et enfin à la prison de Fresnes.

Leurs travaux, auxquels la présidente Vérien et moi-même avons participé autant que nous le pouvions, leur ont ainsi permis de rencontrer, à Paris ou sur le terrain, des magistrats, des conseillers d'insertion et de probation, des éducateurs et des associations spécifiquement tournées vers les mineurs, des psychiatres, des médecins et des psychologues, des agents de l'administration pénitentiaire, des policiers, des gendarmes, des chercheurs, des professeurs de droit, des représentants des agences régionales de santé, etc. Ce large panel est le gage d'une réflexion approfondie et, plus encore, la garantie que les recommandations issues du rapport du Sénat s'appuient sur la réalité vécue par les professionnels concernés, qui oeuvrent au quotidien pour la prévention de la récidive des infractions sexuelles, et qui, partant, apportent une contribution décisive à la protection de la société.

Je remercie chaleureusement nos six rapporteures pour le travail accompli et pour la qualité de leur rapport, qui a l'immense vertu d'aborder tous les aspects de la prise en charge des auteurs d'infractions à caractère sexuel, mineurs comme majeurs, à tous les stades de leur prise en charge, afin d'apporter enfin des solutions pour mieux lutter contre la récidive.

Mme Annick Billon, rapporteure. - Mes propos porteront sur la récidive, sur la prévention et sur l'évaluation des dispositifs.

Nos travaux ont d'abord rappelé à quel point la récidive du viol est un phénomène complexe, d'une ampleur certaine, mais difficilement mesurable. Les chiffres transmis par le ministère de la justice nous ont appris que les auteurs d'infractions à caractère sexuel, les AICS, sont moins concernés par la récidive que l'ensemble des condamnés. Le taux moyen de récidive légale, sur la période 2019-2023, est de 5,7 % pour les viols, contre 9 % pour l'ensemble des crimes, et de 7,2 % pour les délits sexuels, contre 17 % pour l'ensemble des délits.

Cependant, ces chiffres ne doivent pas masquer l'ampleur réelle d'un phénomène que les statistiques peinent à appréhender pour plusieurs raisons.

La première raison tient à la sous-estimation globale des faits de violences sexuelles dans la société. Si le mouvement #MeToo a permis une libération de la parole des victimes, qui a conduit à une augmentation de 120 % du nombre de plaintes enregistrées par les services de police depuis 2016, la plupart des faits échappent encore à la judiciarisation. En 2022, l'enquête menée par le ministère de l'intérieur a ainsi révélé que seules 6 % des femmes victimes de violences sexuelles ont porté plainte contre leur agresseur.

Les éléments qui dissuadent les victimes d'engager une démarche judiciaire sont multiples. Leur abstention peut résulter d'une méconnaissance des procédures, de menaces de l'auteur ou d'une incapacité à s'exprimer en raison de traumatismes. Plus grave, certaines victimes témoignent d'une méfiance, voire d'une crainte, envers les services d'enquête et la justice. Enfin, malgré l'augmentation du nombre de plaintes, le nombre de condamnations prononcées chaque année pour des faits de violences sexuelles reste relativement faible, notamment en raison d'un taux important de classement sans suite qui, s'il cache des situations complexes, révèle des difficultés probatoires elles-mêmes à l'origine d'une probable sous-estimation du nombre d'infractions commises.

La seconde raison est juridique et relève de la définition même de la récidive légale. Sur le plan juridique, la récidive répond à des critères restrictifs en ce qui concerne la nature de l'infraction et le délai entre les deux actes délictueux. Au cours de nos travaux, nous avons ainsi élargi notre champ de réflexion à la notion de réitération, plus large. En tout état de cause, le calcul des taux de récidive comme de réitération ne concerne que les cas où la seconde infraction est judiciarisée, ce qui est loin d'être systématique et ce qui crée, là encore, un biais statistique.

Dès lors, nous devons regarder les chiffres de la récidive légale des AICS avec prudence. Ils ne reflètent que le nombre de plaintes déposées - faiblement représentatif, on l'a vu - ayant abouti à deux reprises à une condamnation : ils ne concernent donc qu'un nombre restreint de situations.

Malgré ces limites statistiques, nos travaux nous ont permis de mettre en évidence la réalité complexe du phénomène de la récidive des violences sexuelles dans notre société. Nos recommandations visent donc à organiser la prévention de la récidive à tous les niveaux, mais aussi à améliorer le suivi des AICS grâce à une évaluation de l'efficacité des dispositifs existants, afin de mieux saisir l'ampleur de la récidive des violences sexuelles et des facteurs qui favorisent un nouveau passage à l'acte.

Nous sommes convaincues que la meilleure arme pour lutter contre la récidive du viol est la prévention : c'est un axe fort de nos conclusions. Je pense notamment à la prévention primaire, qui vise à empêcher la première infraction sexuelle : pour lutter contre la récidive du viol et des agressions sexuelles, le meilleur moyen est encore d'éviter le premier passage à l'acte. Ce type de prévention doit concerner l'ensemble de la population et, en premier lieu, les mineurs.

Mme Marie Mercier, rapporteur. - Plusieurs outils de prévention primaire existent. Évoquons tout d'abord l'accompagnement à la parentalité. Les psychiatres et les psychologues que nous avons entendus l'ont tous souligné : les AICS ont très majoritairement évolué dans un environnement familial dysfonctionnel et ont souvent été victimes de négligences et d'abus au cours de leur enfance. C'est pourquoi nous estimons que les dispositifs de soutien à la parentalité doivent être renforcés.

L'éducation au consentement est également un outil incontournable de prévention des violences sexuelles dès le plus jeune âge. Cette mesure répond au caractère massif des violences sexuelles ainsi qu'à l'exposition toujours plus précoce et traumatogène des mineurs aux contenus pornographiques. L'application stricte de la loi en ce qui concerne l'éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (EVARS) est une composante essentielle d'une politique forte de prévention et d'information en matière de sexualité dès l'enfance.

Nous sommes convaincues de l'utilité des campagnes de communication à destination de l'ensemble de la population, notamment pour rappeler l'importance essentielle du consentement : il serait judicieux qu'elles soient déployées en France, sur le modèle des campagnes massives qui ont porté leurs fruits en Espagne et qui ont permis de toucher jusqu'à 90 % de la population. Nous sommes également persuadées de la nécessité de détecter et de signaler les violences sexuelles où qu'elles soient commises, tant il est vrai qu'elles concernent tous les secteurs de notre société.

Au cours de nos travaux, la problématique des mineurs auteurs d'infractions à caractère sexuel, les MAICS, s'est révélée prégnante. Leur proportion est considérable : en 2023, 25 % des mis en cause pour de tels faits étaient des mineurs. Or, d'après les recherches menées par le ministère de la justice, un grand nombre de ces auteurs mineurs ont eux-mêmes subi des violences sexuelles qu'ils n'ont pas dénoncées et qui n'ont pas été repérées. Une attention accrue doit donc être accordée aux plus jeunes. Il faut surveiller les changements de comportements. Tous les enfants qui ont subi un viol ne deviendront évidemment pas des violeurs, mais beaucoup de délinquants sexuels ont subi des traumatismes durant leur enfance.

Dans cette perspective, l'une de nos recommandations vise à renforcer la formation des acteurs intervenants auprès des mineurs, afin qu'ils puissent mieux détecter et prendre en charge les cas de violences sexuelles dont ceux-ci sont victimes. Cela concerne l'ensemble des professionnels qui interviennent auprès des plus jeunes. En offrant à ces enfants l'accompagnement social, juridique et psychologique dont ils ont besoin, nous pouvons non seulement faire oeuvre utile en luttant contre les violences qu'ils subissent, mais aussi limiter le risque de voir des victimes devenir de futurs auteurs.

La prévention secondaire vise à prévenir la récidive de violences sexuelles et concerne les AICS déjà condamnés. Elle doit également être renforcée. Elle est mise en place après la condamnation, dans le cadre d'une éventuelle incarcération ou d'un suivi socio-judiciaire, à travers divers programmes de sensibilisation et un encadrement renforcé.

À cet égard, nous tenons à souligner le rôle crucial joué par les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP) et les centres de ressources pour les intervenants auprès d'auteurs de violences sexuelles (CRIAVS), qui construisent et mettent en oeuvre des programmes de prévention de la récidive, dont plusieurs sont spécifiquement dédiés aux AICS.

En parallèle, les outils d'évaluation et de mesure statistiques doivent être renforcés. Notre mission nous a permis de constater l'important déficit de statistiques relatives à la récidive produites par les ministères de l'intérieur et de la justice. Ce manque de données fait, par nature, obstacle à la mise en place d'une politique ciblée et efficace de prévention de la récidive des violences sexuelles : à l'heure actuelle, nous ne sommes pas en mesure de savoir si l'incarcération ou le suivi socio-judiciaire ont un réel impact sur le taux de récidive. C'est un constat inouï !

De même, aucune donnée ne nous a été transmise quant aux taux de récidive ou de réitération en fonction du profil de l'auteur - âge, nationalité, profil psychiatrique, antécédents judiciaires. L'établissement de statistiques consolidées sur la base de ces éléments semble pourtant nécessaire afin de mieux évaluer le risque de récidive : c'est un axe sur lequel le Gouvernement doit réaliser d'importants efforts si nous souhaitons endiguer enfin la récidive des violences sexuelles.

Nous demandons ainsi la mise en place d'une base statistique complète, qui permettra d'appréhender la récidive sous toutes ses facettes et de construire, enfin, une politique de prévention adaptée.

Mme Audrey Linkenheld, rapporteure. - Nous nous sommes également interrogées sur la prise en charge médicale, psychologique et sociale des AICS au cours de leur parcours judiciaire. Il s'agit d'une dimension cruciale pour limiter la récidive des violences sexuelles, car pour prévenir, il faut d'abord réinsérer, voire guérir. S'il est important de ne pas surestimer la part d'AICS souffrant réellement de pathologies psychiatriques, la prise en charge reste un outil central de la prévention de la récidive.

C'est à ce titre que la procédure applicable aux infractions sexuelles intègre déjà un dispositif médical renforcé. Le code de procédure pénale impose une expertise médicale avant tout jugement au fond, pour les individus poursuivis pour des violences sexuelles. Une obligation de soins est prévue et doit être mise en oeuvre avant même la reconnaissance de la culpabilité. Ensuite, lors du jugement, une condamnation peut être assortie d'une mesure de soins pénalement ordonnés, telle que l'injonction de soins, qui est théoriquement prononcée de plein droit lorsque l'auteur est condamné à un suivi socio-judiciaire. Enfin, au cours de leur incarcération, les condamnés AICS doivent être affectés en priorité dans des établissements pénitentiaires adaptés, dits fléchés, où ils bénéficient d'un suivi médical et psychologique spécifique, conformément au protocole santé-justice de 2011. Voilà qui illustre de nouveau l'intérêt d'une mission conjointe entre la délégation aux droits des femmes et la commission des lois.

Ces dispositifs visent à rendre possible, voire à imposer, une prise en charge du condamné. Ils contribuent à la prévention de la récidive. Nous avons toutefois constaté sur ce chapitre des défaillances de deux ordres, qui tiennent d'abord à un manque de moyens dans la sphère médico-sociale et, ensuite, à la sous-utilisation ou à l'inadaptation des outils juridiques prévus par le code de procédure pénale.

En ce qui concerne l'enjeu capacitaire, tout d'abord, la prévention de la récidive est rendue plus complexe par le manque de professionnels médicaux. Il s'agit en particulier des experts psychiatres placés auprès des juridictions, ainsi que des médecins coordonnateurs chargés de superviser le dispositif de l'injonction de soins.

La pénurie d'experts auprès des tribunaux judiciaires est particulièrement problématique, dans la mesure où l'expertise médicale est obligatoire pour les faits de violences sexuelles. Les magistrats que nous avons auditionnés ont souligné que cette obligation légale était un facteur important dans l'augmentation du délai de jugement des AICS, car les délais d'expertise peuvent s'avérer particulièrement longs.

Dans un contexte de grande tension dans le secteur médical, nous estimons qu'il est possible d'envisager une plus grande association des psychologues au suivi des AICS - je ne parle pas, pour le moment, de l'expertise initiale à laquelle nous consacrons des recommandations spécifiques. Cette proposition ne découle pas uniquement de la pénurie de psychiatres ; elle provient aussi et surtout du constat que nous avons pu faire au cours de nos travaux selon lequel il n'est ni opportun ni utile de maintenir le système de médicalisation systématique des AICS qui prévaut aujourd'hui.

Nombre de personnes auditionnées, y compris des experts médicaux, nous ont en effet indiqué que tous les auteurs de violences sexuelles n'étaient pas atteints de troubles psychiatriques. Le monopole de fait des psychiatres ne semble, ainsi, pas forcément justifié, et on pourrait valablement envisager un recours plus fréquent aux psychologues au cours du suivi des AICS, dans la limite, évidemment, de la compétence exclusive des psychiatres pour toutes les personnes atteintes de troubles susceptibles de justifier un traitement médicamenteux.

Le deuxième enjeu concerne les outils juridiques sur lesquels s'appuie la prise en charge des AICS. Pour éviter d'ajouter de la confusion à un sujet déjà complexe, nous allons vous présenter nos recommandations par ordre chronologique.

En amont du jugement, nous proposons de revoir les conditions dans lesquelles l'expertise médicale, et donc psychiatrique est obligatoire. Le périmètre fixé actuellement par le code vise, en effet, des infractions de gravités très inégales, qui couvrent des crimes - meurtre sur mineur, viol, actes de torture et de barbarie, etc. -, mais aussi des délits qui ne justifient peut-être pas une expertise psychiatrique systématique : je pense par exemple au recours à la prostitution ou à la fabrication de messages violents susceptibles d'être vus par des mineurs.

Nous estimons également que l'expertise ne devrait pas être obligatoire pour un auteur de violences sexuelles récidiviste ou réitérant qui a déjà fait l'objet d'une expertise quelques mois auparavant et dont le profil psychiatrique est, par conséquent, déjà connu.

Si elle devait être retenue, la fin de l'expertise obligatoire dans certaines hypothèses n'empêcherait pas le magistrat en charge du dossier de solliciter une expertise s'il l'estime utile à la manifestation de la vérité ou à une meilleure compréhension du profil de la personne mise en cause.

Enfin, nous pensons utile de prévoir de nouveaux outils qui permettraient la mise en place d'un suivi médical ou psychologique en amont du jugement. Une telle prise en charge est en effet impossible aujourd'hui pour des raisons qui tiennent, principalement, à la présomption d'innocence, ce qui est parfaitement légitime. Cela étant, il nous semble possible de concilier cette présomption d'innocence avec le démarrage précoce d'un suivi, notamment pour les mis en cause qui reconnaissent les faits qui leur sont reprochés, tout en leur accordant le plein bénéfice du secret médical.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - En ce qui concerne les sanctions applicables aux AICS, nous nous sommes longuement interrogées sur l'injonction de soins, qui constitue une forme particulièrement contraignante de soins pénalement ordonnée. Celle-ci peut être mise en oeuvre dans le cadre d'un suivi socio-judiciaire.

Nos travaux nous ont conduites à identifier plusieurs failles dans la mise en oeuvre de ces injonctions. Contrairement à ce que le droit laissait supposer, celles-ci ne concernent qu'une minorité d'AICS, soit 26 % des condamnés pour viol et seulement 7 % des condamnés pour agression sexuelle. Ensuite, il faut rappeler que les injonctions ne peuvent être exécutées qu'en dehors de la détention, ce qui signifie concrètement qu'elles ne s'appliquent parfois que plusieurs années après les faits, alors même qu'une prise en charge rapide est, de l'aveu des professionnels, essentielle à la prévention de la récidive.

Nous souhaitons, dès lors, que notre arsenal pénal soit complété pour exploiter le temps d'incarcération comme un temps de prévention de la récidive. À cet effet, nous préconisons la mise en place d'une véritable injonction de soins en détention : bien que des dispositifs incitatifs existent dans notre droit, il n'est pas aujourd'hui possible d'imposer à un détenu AICS de se soumettre à un suivi, qu'il soit psychiatrique ou psychologique. Cela n'est pas acceptable. Nous proposons, d'une part, qu'une obligation réelle de se soigner en prison puisse être imposée aux détenus les plus dangereux et que, d'autre part, les juges de l'application des peines disposent d'un lien renforcé avec les professionnels médicaux, afin d'apprécier la sincérité de l'engagement du condamné dans le suivi psychiatrique ou psychologique qui lui est proposé en détention.

Cette recommandation va de pair avec une autre de nos propositions : l'affectation prioritaire des AICS dans l'un des vingt-deux établissements fléchés où ils peuvent bénéficier d'une prise en charge adaptée. Force est de constater que ce n'est pas le cas actuellement : le taux moyen d'AICS dans ces établissements n'est que de 37 %. On peut en déduire que des marges de progrès existent. Ce sujet est d'autant plus crucial que, dans un contexte de surpopulation carcérale, un suivi personnalisé des AICS est matériellement impossible dans les établissements classiques.

Cela étant dit, tous les AICS ne relèvent pas, comme on l'a vu, d'une prise en charge strictement médicale. Nos travaux nous ont permis de mettre au jour l'importance d'un accompagnement social, notamment pour les auteurs mineurs. Nous avons pu prendre connaissance, lors de déplacements sur le terrain, de plusieurs initiatives locales visant à construire une prise en charge pluridisciplinaire des auteurs mineurs, à la fois judiciaire, sociale et médicale ou psychologique, et nous avons fait le constat de l'efficacité de ces initiatives en matière de réinsertion des AICS. Ces suivis interdisciplinaires prennent en particulier la forme de services d'accompagnement des jeunes auteurs et/ou victimes d'infractions à caractère judiciaire (Savi), comme celui qui nous a été présenté dans l'Yonne par la direction territoriale de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Nous souhaitons encourager ce type de prise en charge interdisciplinaire des auteurs d'infractions sexuelles. Nous proposons ainsi non seulement de généraliser les Savi pour les mineurs, mais aussi de les étendre aux auteurs majeurs.

Toujours concernant les mineurs, nous souhaitons que des prises en charge pluridisciplinaires soient prévues dans les centres éducatifs fermés ou renforcés, où sont placés ceux qui ont commis les faits les plus graves : il n'est pas concevable, en effet, que le temps du placement ne soit pas, comme pour les majeurs, utilisé pour aider les auteurs mineurs à comprendre leurs actes et à prendre le chemin de la réinsertion.

J'en arrive au sujet de la fin de peine.

Dans le cas des condamnés pour violences sexuelles, comme pour la plupart des condamnés, le taux de récidive dépend étroitement des conditions de sortie de prison. Une sortie dite sèche, c'est-à-dire sans accompagnement, serait, selon la plupart des professionnels rencontrés, associée à un plus fort taux de récidive. Ce constat s'applique à plus forte raison aux AICS, qui sont moins nombreux en moyenne à bénéficier d'un aménagement de peine et dont le parcours de fin de peine se heurte aux réticences de plusieurs structures externes à accueillir des condamnés pour violences sexuelles à leur sortie de prison.

Nous préconisons donc un accompagnement renforcé des AICS en fin de peine, en particulier pour ceux d'entre eux qui ont accepté de suivre des soins en prison et qui s'engagent à les poursuivre à leur sortie. La reprise progressive des habitudes de vie hors de la détention revêt en effet, selon les professionnels que nous avons rencontrés, une importance capitale pour les AICS : il est donc essentiel qu'ils soient accompagnés lors de cette phase critique.

Mme Evelyne Corbière Naminzo, rapporteure. - Nos travaux nous ont permis d'identifier divers dispositifs de procédure pénale qui doivent être modifiés pour mieux tenir compte des spécificités des profils des AICS.

Le taux de réponse pénale pour les violences sexuelles, et à plus forte raison pour les viols, a connu une augmentation supérieure à 80 % depuis 2015, ce qui marque un progrès considérable dans les dix dernières années. Cependant, nous avons constaté que le parcours judiciaire des AICS demeurait marqué par des délais de jugement particulièrement longs. Comme vous le savez, il s'agit là d'une problématique récurrente dans le fonctionnement de notre justice, qui s'inscrit dans le contexte d'une insuffisance chronique de moyens. Ainsi, il faut aujourd'hui compter en moyenne plus de vingt mois entre un dépôt de plainte pour agression sexuelle et le jugement.

Notre mission a dès lors été l'occasion de réfléchir à plusieurs aménagements de la procédure pénale afin de répondre à cette difficulté.

Au stade du jugement, tout d'abord, nous souhaitons que la formation des magistrats soit enrichie pour intégrer les problématiques spécifiques aux AICS. Nous n'avons pas jugé opportun de plaider pour la création d'une juridiction distincte, qui aurait été de nature à créer des risques forts, notamment de nullité de procédure. Cependant, nous sommes persuadées que les magistrats doivent être mieux formés aux spécificités que présentent les profils des AICS. Cette formation renforcée devrait, à nos yeux, s'adresser en priorité aux juges de l'application des peines, qui accompagnent les condamnés auteurs de violences sexuelles dans tous les aspects de l'exécution de leur peine, et en particulier dans les étapes sensibles que sont la fin de peine ou le suivi socio-judiciaire.

Toujours en ce qui concerne la procédure pénale, nous avons longuement débattu de l'extension aux crimes sexuels de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, mieux connue sous le nom de plaider-coupable, qui ne s'applique aujourd'hui qu'en matière correctionnelle. Nous n'avons pas formulé de recommandation sur ce sujet, qui demanderait un surcroît de réflexion, tant une telle extension devrait être strictement encadrée. Cette mesure ne saurait en effet simplement servir à pallier le manque de moyens de la justice et le statut de la victime doit être préservé. À titre personnel, j'estime que les violences subies ne doivent pas être atténuées et que la parole de la victime ne doit pas être remise en question. L'enjeu est donc de veiller à ne pas réécrire le récit des violences infligées. À mes yeux, il est indispensable d'éviter que les dérives que nous avons connues ne se reproduisent : trop de viols ont été requalifiés afin d'être jugés en correctionnelle, sous prétexte d'épargner aux victimes un procès éprouvant en assises.

En ce qui concerne la phase post-sentencielle, nos travaux nous ont conduites à nous pencher sur les différentes mesures de sûreté prévues à l'issue de la peine pour les profils les plus lourds et les plus susceptibles de récidive. Depuis la loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, le code de procédure pénale prévoit qu'un condamné particulièrement dangereux puisse faire l'objet, à la fin de sa peine, d'une surveillance de sûreté, voire d'une rétention de sûreté privative de liberté. Or nous avons constaté que, depuis l'entrée en vigueur de cette disposition, un nombre extrêmement faible de détenus ont fait l'objet d'un placement en rétention de sûreté. Cela est très probablement lié au fait que les détenus concernés sont déjà condamnés à des peines d'emprisonnement lourdes. Nous regrettons cependant l'absence de statistiques relatives aux rétentions de sûreté mises en oeuvre depuis l'entrée en vigueur de la loi de 2008, alors même que celles-ci concernent des faits particulièrement graves : en l'état du droit, sont en effet placées en rétention de sûreté les personnes qui ont violé les obligations attachées à une surveillance de sûreté, cette surveillance étant elle-même réservée aux condamnés qui présentent un risque grave et caractérisé de récidive. De même, aucun chiffre n'est disponible sur le nombre de personnes susceptibles d'être, à terme, placées en rétention de sûreté dès la fin de leur incarcération.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Ce manque d'anticipation est problématique à plusieurs titres, et notamment sur un plan pratique. Nous avons visité le centre socio-médico-judiciaire de Fresnes, seul centre habilité à accueillir des détenus placés en rétention de sûreté. Ce site, qui dispose d'équipements récents et s'appuie sur un haut niveau d'expertise, est aujourd'hui complètement vide. Les professionnels de Fresnes n'ont aucun moyen d'anticiper l'évolution de leur charge de travail dans les prochaines années. Plusieurs de nos recommandations portent sur ce point.

Nous souhaitons par ailleurs, dans l'attente de l'entrée en oeuvre effective de ce dispositif d'ici à quelques années, que les moyens prévus pour la rétention de sûreté soient, autant que faire se peut, utilisés pour limiter le risque de récidive des détenus les plus dangereux. Aujourd'hui, lorsqu'une expertise de fin de peine a révélé l'existence d'un risque fort de récidive chez une personne incarcérée pour des violences sexuelles, nous sommes démunis, alors même que des moyens existent. Le bon sens commande qu'ils soient mieux exploités : c'est le sens de notre proposition.

Un autre enjeu concerne la peine complémentaire d'interdiction du territoire français à laquelle les AICS étrangers peuvent être condamnés. Celle-ci entraîne le prononcé à leur égard d'une OQTF en sortie de détention. C'était le cas de l'accusé dans le meurtre de la jeune Philippine, qui nous a menées à lancer cette mission.

Notre visite à Joux-la-Ville, où le meurtrier présumé de la jeune fille avait été placé en détention, nous a permis de constater le manque de coordination entre la sphère pénale et les autres acteurs en charge du suivi des condamnés à leur sortie de prison, dans le cas d'un AICS étranger placé en rétention administrative. Il nous semble donc crucial, dans de tels cas, de garantir la communication d'informations entre le juge de la liberté et de la détention (JLD) et les acteurs de l'exécution de la peine, tels que les CPIP et les juges de l'application des peines, concernant la dangerosité de la personne concernée et le risque de récidive.

Je voudrais également évoquer le cas particulier des mineurs auteurs d'infraction sexuelle. Comme vous le savez, ces derniers bénéficient - pour l'instant - d'une procédure pénale différente de celle qui s'applique aux majeurs, avec notamment une césure entre la décision de culpabilité et le prononcé de la peine, laquelle permet de prendre plus rapidement en charge les mineurs auteurs après les faits. Cependant, leur parcours pénal reste marqué par plusieurs difficultés liées notamment à la saturation des services médicaux. Au vu des résultats importants que peut entraîner une prise en charge précoce des jeunes auteurs de violences sexuelles, nous recommandons de développer des programmes spécifiquement tournés vers les mineurs condamnés pour des infractions sexuelles dans les centres éducatifs fermés et renforcés. À plus long terme, une réflexion pourrait être menée sur la création de centres fléchés pour les AICS mineurs, sur le même modèle que les établissements existant pour les majeurs.

Nous souhaitons également, comme cela a été évoqué par mes collègues, que la prise en charge des auteurs mineurs permette de détecter ceux qui, parmi eux, ont été précédemment victimes de viol ou d'agression sexuelle. D'après les professionnels, le fait d'être reconnu en tant que victime lorsque l'on a subi des violences sexuelles par le passé est un facteur puissant de prévention de la récidive, ce qui implique qu'une vigilance particulière soit accordée à cet enjeu dans le suivi des mineurs AICS. J'estime pour ma part que, pour prévenir la récidive et le passage à l'acte, il faudrait dépister, dans les maisons d'enfants à caractère social, tous les mineurs qui ont été victimes de violences familiales, pour identifier les risques de passage à l'acte. Cela concernerait aussi les filles : en effet, lorsqu'on a été victime de violences dans son enfance, on a plus de risque d'être à nouveau victime à l'âge adulte. Prévenir la récidive, c'est aussi lutter contre cette forme de conditionnement.

Mme Muriel Jourda, présidente de la commission des lois. - Nos rapporteurs formulent donc 24 recommandations. Suscitent-elles des observations de votre part ?

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Je me réjouis de ce rapport. Le choix de la commission des lois et de la délégation aux droits de femmes de travailler en commun sur ce sujet a été judicieux.

Toutefois, je regrette que plusieurs points ne donnent pas lieu à recommandation. Je pense à tout le travail au cours de la détention. J'entends qu'il y a un problème d'efficacité de la prise en charge des auteurs aux différentes étapes, de l'interpellation jusqu'à la sortie de la détention éventuelle, mais je ne vois pas de préconisation à ce sujet.

Je suppose, concernant l'injonction de soins, que vous avez dû vous heurter, comme cela a pu nous arriver par le passé, à la nécessité d'obtenir l'accord de la personne intéressée. C'est un paramètre important.

Je n'ai pas très bien compris l'intérêt de faire un focus particulier sur les étrangers et sur les centres de rétention administrative (CRA). C'est peut-être l'affaire Philippine qui vous a marquées...

En revanche, je suis frappée par l'absence de préconisation sur le rôle de la puissance publique. Dans l'affaire Le Scouarnec, il y a eu une disjonction entre les faits constatés et les condamnations prononcées : il a manqué une articulation qui permette d'éviter la récidive. Dans les affaires de violence sexuelle, la non-détection et la récidive sont, pour une large part, imputables au fonctionnement de la puissance publique au sens large - j'utilise délibérément un terme générique, pour ne pas viser tel ou tel corps de l'administration -, qui n'a pas su, pas identifié, pas fonctionné. Quand, dans la première affaire Le Scouarnec, celui-ci est condamné pour détention et importation d'images pédopornographiques, on ne lui interdit pas de côtoyer des mineurs. Peut-être était-ce l'époque ? Quoi qu'il en soit, quelle recommandation pourriez-vous formuler dans le sens d'une articulation plus efficace entre les faits révélés et la corrélation avec d'autres services, y compris entre les départements ?

Mme Olivia Richard. - Mesdames les présidentes, mesdames les rapporteures, permettez-moi de vous féliciter pour cette démarche commune, que je trouve particulièrement pertinente et enrichissante, tant les compétences de la commission des lois et celles de la délégation aux droits des femmes sont complémentaires - le fait que certaines d'entre vous soient des « cumulardes » est très précieux pour ces travaux.

Certaines auditions, que j'ai trouvées passionnantes, nous ont permis de nous rendre compte de l'ampleur du non-recours à la plainte. Quand 94 % des personnes victimes de violences sexuelles ne déposent pas plainte, quand on ne dispose d'aucune statistique sur le taux de recours aux dispositifs mis en place pour prévenir la prévention, ni sur leur succès, on ne sait pas du tout de quoi l'on parle ! Nos travaux permettent au moins de mettre en lumière cette situation. À la délégation aux droits des femmes, on dit qu'« il faut compter les femmes pour qu'elles comptent »...

Je suis frappée par la pudeur du rapport s'agissant du besoin de soins et d'accompagnement et des moyens de la justice. On sait pourtant bien que, compte tenu de l'état de la psychiatrie et de la justice en France, si toutes les victimes portaient plainte, nous serions submergés.

Vous avez relevé que l'on manquait cruellement d'experts et que le recours à ces derniers avait un caractère automatique qui pouvait être excessif. Je me permets de relayer ce que m'ont dit des avocates spécialisées dans l'accompagnement des victimes, mais aussi d'auteurs, au sujet de l'expertise. Dans les procédures, c'est souvent parole contre parole, ce qui démultiplie la place de l'expert. N'y aurait-il pas une réflexion à avoir sur leur rôle et sur la justesse de leur intervention ?

Enfin, je rejoins Marie-Pierre de La Gontrie s'agissant de la pédocriminalité : il faudra poursuivre la réflexion que nous avons amorcée lors de l'examen de la proposition de loi tendant à renforcer les moyens de surveillance des individus condamnés pour des infractions sexuelles, violentes ou terroristes de Marie Mercier, concernant les modalités d'interrogation du fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (Fijaisv), qui semblent incomplètes et insuffisamment mises en oeuvre. En interrogeant ce fichier, on pourrait, par exemple, éviter qu'un pédocriminel ne soit embauché dans une association chargée de faire des animations dans des écoles...

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Le rapport et les recommandations ne rendent qu'imparfaitement compte de ce que nous avons vu et relevé au cours de nos travaux.

Je veux indiquer, premièrement, que plusieurs magistrats nous ont indiqué combien les violences sexuelles n'avaient jamais été une priorité des politiques pénales. La justice fonctionne avec des priorités successives : il y a eu le terrorisme et la radicalisation ; il y a eu les violences intrafamiliales (VIF) - ce focus a été efficace, puisque le nombre de dossiers en souffrance a baissé. Nous sentons bien que la nouvelle priorité est le narcotrafic. Nous attendons le moment où la priorité sera donnée aux violences sexuelles.

Nous avons toutes eu le sentiment que l'expertise judiciaire était un problème énorme et, d'une certaine manière, tentaculaire. Les difficultés sont multiples, du nombre d'experts disponibles à leur niveau de qualification et de compétence - ils sont loin d'être tous bons -, en passant par le montant de leur rémunération et la date de paiement des expertises. On constate également un recours tous azimuts aux experts dans des dossiers qui ne le justifient pas - voilà des années que j'essaie de faire valoir, par exemple, que l'on n'a pas besoin d'une expertise psychologique pour résoudre les problèmes de garde d'enfants.

Nous avons beaucoup réfléchi sur les expertises et nous nous sommes interrogées sur leur caractère systématique, au-delà de la première, qui vise à déterminer si l'auteur est pénalement responsable, s'il dispose de son discernement, s'il doit aller à l'hôpital psychiatrique ou en détention provisoire... Nous n'avons obtenu aucune statistique. Officiellement, l'expertise de crédibilité des victimes n'existe plus ; en réalité, on n'en sait rien. Nous n'avons pas pu obtenir de la chancellerie le moindre recensement des expertises ordonnées dans les affaires de ce type. La question de l'expertise est vraiment, dans ce dossier, l'éléphant au milieu de la pièce.

Ma chère collègue Marie-Pierre de La Gontrie, la première condamnation de Joël Le Scouarnec remonte à 2005, soit il y a vingt ans. Depuis, l'arsenal juridique a considérablement évolué. Aujourd'hui, à ma connaissance, la détention d'images pédopornographiques conduit à une interdiction de travailler avec des enfants et à une inscription au Fijaisv, mais il est vrai que l'on vient de très loin... Il a pu exister une forme de banalisation. J'espère que les choses se passeraient différemment aujourd'hui.

Pourquoi avons-nous fait un focus sur les étrangers ? Parce que, après l'assassinat de Philippine, on aurait pu croire, à écouter les commentaires, qu'elle avait été violée par une OQTF plutôt que par un homme. Nous nous sommes interrogées sur la place à donner à la question du droit des étrangers et au fait que l'auteur soit sorti d'un CRA. Nous avons d'ailleurs remonté toute une chaîne de dysfonctionnements intervenus dans les six mois précédant les faits.

Ainsi, des mesures qui auraient dû être prises au moment où l'on savait qu'il allait sortir de détention et qu'il était en situation irrégulière ne l'ont pas été - des démarches auraient alors dû être faites de la part du préfet. Surtout, les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP) que nous avons rencontrés nous ont dit qu'ils le connaissaient et qu'ils savaient qu'il était dangereux...

Sur le suivi des auteurs dès l'interpellation, il faut que nous ayons en tête que c'est la misère ! La misère, cela aurait d'ailleurs pu être le titre de notre rapport.

Mme Annick Billon, rapporteure. - Cela aurait été un titre percutant !

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Cette affaire est le reflet de toute la misère qui touche le suivi psychiatrique, le suivi psychologique, le suivi socio-judiciaire, le suivi de sortie... Il est certain que laisser les auteurs dans la nature, sans logement ni travail, augmente les risques de récidive.

Mmes Audrey Linkenheld, rapporteure, et Dominique Vérien, présidente. - Les Ehpad ne les acceptent pas.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Effectivement, les Ehpad, où il y a 90 % de femmes, n'accueillent pas les AICS facilement...

Nous avons aussi beaucoup réfléchi à la question des injonctions de soins. Faut-il s'accrocher à l'idée que l'on ne doit tenter de soigner que ceux qui l'acceptent ? J'en doute. Peut-être que ceux qui ne l'acceptent pas d'abord l'accepteront en cours de route...

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Il y a peu de chances pour que le corps médical soit d'accord !

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Par ailleurs, d'après ce que nous avons entendu, faire commencer un suivi psychologique à des détenus en détention provisoire serait porter atteinte à la présomption d'innocence. Les magistrats étaient assez fermes sur ce point. Un détenu qui acceptait de travailler sur le fait qu'il a commis un viol reconnaîtrait sa culpabilité. Je comprends les considérants, mais il y a là quelque chose d'insatisfaisant en termes d'efficacité.

Nous devrions réinterroger tout cela, mais il nous faudrait travailler davantage, et disposer de plus de statistiques. La misère, ce sont aussi les statistiques de la justice !

Mme Annick Billon, rapporteure. - Toute la difficulté de ce rapport est de faire des propositions sur une base statistique quasiment nulle. Il y a très peu de condamnations pour viol, raison pour laquelle nous avons élargi notre rapport à la réitération : si nous nous étions concentrées sur la récidive, notre base statistique aurait été encore plus étroite. Notre demande de chiffres est forte. Nous en avons besoin pour proposer des politiques publiques.

Nous avons aussi besoin d'expérimentations. Notre rapport s'appuie sur des choses que nous avons vues ou entendues lors de nos déplacements - notamment dans l'Yonne - et de nos auditions. Il faut que les dispositifs existants qui fonctionnent soient utilisés et généralisés.

On ne peut pas imaginer que le temps de la détention, qui peut durer plusieurs années, ne soit pas utilisé pour soigner et préparer la sortie. Si l'injonction de soins commence à la sortie, on a perdu d'avance !

Notre focus sur les OQTF a forcément été inspiré par l'actualité. Si nous ne l'avions pas fait, on nous en aurait demandé les raisons... Il était important que nous nous demandions de quelle manière nous pouvions éviter qu'un fait divers aussi grave ne se reproduise. Nous n'avons pas voulu stigmatiser une quelconque population : nous avons simplement voulu répondre à la question soulevée par ce fait divers, qui a marqué le début de nos travaux et alimenté notre réflexion dès le départ.

Nous avons également fait des propositions spécifiques sur les mineurs. Ce prisme est très important dans le contexte actuel. Dans notre rapport sur l'industrie de la pornographie, nous avons avancé que, si l'on ne s'attaquait pas au visionnage par des mineurs très jeunes, si l'on ne les repérait pas, si l'on ne les accompagnait pas, la population de victimes agresseurs potentiels ne cessera d'augmenter.

Mme Audrey Linkenheld, rapporteure. - Je veux insister sur ce point. Toute notre réflexion est partie du cas dramatique de la jeune Philippine, avec un auteur qui, certes, était étranger, mais qui était aussi mineur quand il a commis sa première infraction à caractère sexuel.

Ce que notre rapport montre, c'est la misère de nos services publics en général, de la justice, de la santé, de l'accompagnement, mais aussi de la protection de l'enfance, sujet sur lequel nous travaillons par ailleurs. Dans le rapport, nous disons - peut-être trop poliment - que, s'il existe des dispositions spécifiques pour les mineurs dans le suivi des auteurs d'infractions à caractère sexuel, c'est dans ce domaine que les choses marchent le moins bien. Alors que les mineurs devraient faire l'objet d'une attention redoublée, sur le plan répressif comme sur le plan éducatif, leur prise en charge est moindre, y compris dans ce domaine. Celui qui a défrayé la chronique était lui-même mineur, ce qui explique d'ailleurs pourquoi il est sorti assez vite après sa condamnation - en 2024, soit trois ans après celle-ci.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Sa peine était dans la moyenne des condamnations pour viol.

Mme Audrey Linkenheld, rapporteure. - Il faut y insister, quand on sait que 25 % des auteurs sont mineurs et qu'une bonne partie d'entre eux ont très probablement eux-mêmes été victimes. Il y a sans doute, parmi les mineurs auteurs d'infractions, qu'elles soient ou non à caractère sexuel, d'ailleurs, des victimes dont le traumatisme passé peut expliquer le passage à l'acte et la commission de violences. C'est un constat terrible.

Mme Marie Mercier, rapporteur. - Pour répondre à Olivia Richard, sauf exceptions, on ne peut pas être inscrit au Fijaisv si l'on n'a pas été condamné. Une commune qui, par exemple, souhaite embaucher un éducateur ou un animateur pour faire du cirque dans les écoles va demander si cette personne est inscrite au Fijaisv via le ministère de la jeunesse et des sports. Nous avons fait avancer la loi pour inclure dans le fichier les chauffeurs de bus- c'est malheureusement dans ces métiers en contact avec des enfants que l'on peut retrouver des pédocriminels...

Nous pouvons essayer d'obliger un patient à suivre des soins psychiatriques, mais, pour que le traitement marche - je parle sous couvert de notre collègue Véronique Guillotin par ailleurs médecin comme moi -, il faut une observance du patient et une adhésion.

J'ai été particulièrement marquée, au cours de nos travaux, par notre visite, à Caen, d'une prison ouverte où séjournent de très vieux AICS, dont nous nous sommes demandé quels actes abominables ils avaient pu commettre pour être encore là, alors qu'ils ne semblaient plus être en état d'embêter qui que ce soit. Je veux souligner le volontarisme et l'implication de ceux qui les accompagnaient. Pourtant, eux aussi savent ce qu'est la misère ! Je trouve vraiment que ceux qui accompagnent les détenus en général sont remarquables.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Ma chère collègue Marie-Pierre de La Gontrie, j'ai bien entendu ce que vous avez dit sur l'imposition des soins, mais force est de constater que, à Migennes, dans l'Yonne, des jeunes qui ne voulaient pas, au départ, être pris en charge par les psychologues du Savi y sont revenus par la suite de leur plein gré, ayant compris qu'ils étaient eux-mêmes victimes. On peut se dire que ce qui fonctionne sur les jeunes pourrait éventuellement fonctionner sur des adultes...

Sur la question des experts, je fais un pas de côté. À l'Institut des cancers des femmes de l'Institut Curie, que nous avons visité hier dans le cadre d'autres travaux de la délégation, une chercheuse nous a confié qu'elle trouvait que les jeunes médecins d'aujourd'hui éprouvaient de vraies difficultés à prendre des décisions. Ils demandent systématiquement des analyses complémentaires, des suranalyses... Il semblerait qu'il y ait un problème générationnel avec le risque associé à la prise d'une décision. Aujourd'hui, les médecins, comme les magistrats, cherchent à se rassurer par de nombreuses analyses qui nous coûtent cher.

Madame de La Gontrie, il y a déjà beaucoup de choses dans la loi ! Ce qu'il faut aujourd'hui, c'est former, notamment les magistrats et les forces de sécurité intérieure, à son application, pour qu'ils sachent détecter, traiter et prendre en charge correctement.

Mme Olivia Richard. - Je parlais non pas de la possibilité pour les collectivités d'interroger le Fijaisv, mais des associations employées par certaines collectivités pour assurer des animations.

Lorsque nous avons débattu du Fijaisv en séance publique, j'avais déposé un amendement, qui avait été voté, visant à permettre aux associations de demander au moins le casier judiciaire des personnes qu'elles souhaitaient embaucher. Les débats avaient permis de mettre au jour les délais, très longs, de consultation indirecte du Fijaisv - cela peut prendre trois mois ! Ce délai complique l'embauche, ce qui décourage la consultation : le Fijaisv est insuffisamment consulté pour beaucoup de catégories d'embauches. Cette difficulté avait été soulevée lors des débats, et le garde des sceaux de l'époque nous avait répondu que, si nous rendions la consultation du Fijaisv obligatoire, nous allions devoir nous armer de patience... Le problème se pose aussi pour le passage des frontières. Cependant, je rappelle que l'on a su automatiser la consultation indirecte du Fijaisv dans certains domaines : il faudrait étendre ce procédé à d'autres secteurs.

Mme Audrey Linkenheld, rapporteure. - Cela fait écho à notre recommandation n° 18. Peut-être faudrait-il, d'ailleurs, que le Fijaisv y soit expressément mentionné !

Mme Véronique Guillotin. - Merci aux rapporteures.

Pour m'occuper d'une association, je sais que, quand une association sportive embauche un salarié - je ne parle pas des bénévoles -, elle est dans l'obligation de demander la carte professionnelle, pour la simple et bonne raison que celle-ci est adossée au casier judiciaire.

Mme Olivia Richard. - Cela fonctionne bien dans le sport !

Mme Véronique Guillotin. - C'est peut-être quelque chose qu'il serait assez facile d'étendre.

Demain matin, notre collègue députée Sandrine Josso et moi-même allons présenter à la délégation aux droits des femmes le rapport sur la soumission chimique comme forme de violence faite aux femmes qui nous a été commandé par le Gouvernement. Globalement, on retrouve, dans nos conclusions, les grandes lignes de ce que vous avez écrit : la sensibilisation, la formation de tous les professionnels de première ligne - magistrature, police, gendarmerie, professionnels de santé, professionnels sociaux...

Nous avons peut-être davantage insisté, pour ce qui est de la prévention, sur la nécessaire recherche, notamment clinique, sur les psychotraumatismes. À cet égard, je vous recommande la visite de la Maison de la résilience, très belle structure de recherche fondée par le professeur Hingray. Il a été mis en évidence que les victimes de violences et de viols développaient une forme d'amnésie : elles sont mal dans leur peau et développent des pathologies parallèles, sans faire le lien avec le traumatisme de départ, dont elles ne se souviennent plus. Au final, si la question des chiffres est compliquée, ce n'est pas seulement parce que les plaintes n'aboutissent pas, mais aussi parce certaines victimes elles-mêmes sont dans l'ignorance de ce qu'elles ont subi. Il y a donc tout un travail de recherche à faire dans ce domaine.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Oui, la formation permet de répondre à ma préoccupation sur le rôle de la puissance publique. Nous avons dit moult fois que les choses avaient un peu progressé sur ce point, et que le Fijaisv avait été un progrès formidable.

Cependant, je reviens encore une fois à l'affaire Le Scouarnec : le problème n'était pas une absence de détection, c'était une absence de circulation de l'information. J'aurais aimé que le rapport contienne une préconisation à ce sujet.

Mme Annick Billon, rapporteure. - Il y a quand même des recommandations sur le dialogue et le recoupement entre les différents services, puisque nous disons que chacun est dans son silo, qu'il faut un échange, un partage d'informations pour éviter de la perte en ligne.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Je n'ai pas vu cela.

Mme Audrey Linkenheld, rapporteure. - C'est dans les recommandations nos 1, sur la prévention primaire, et 7.

Mme Annick Billon, rapporteure. - C'est davantage développé dans le texte du rapport que dans les recommandations.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Vous avez dit que vous aviez réagi à l'actualité, avec l'affaire Philippine. Il est assez curieux que vous formuliez des réponses tout en dénonçant des dysfonctionnements, lesquels impliquent que les outils existent déjà.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Il n'y a quasiment pas de préconisations qui soient issues de cette affaire.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Si ! La recommandation n° 19 sur les CRA l'est directement.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Ce n'est pas la plus importante.

Mme Annick Billon, rapporteure. - La recommandation n° 19 apporte une réponse à une difficulté... En quoi est-ce problématique ?

Mme Dominique Vérien, présidente. - S'agissant de l'affaire Le Scouarnec, ce dernier a été protégé malgré sa condamnation. Objectivement, aujourd'hui, il n'aurait pas eu le droit de continuer à travailler.

Il est problématique que des médecins mis en examen et ayant fait l'objet d'un certain nombre de plaintes continuent à exercer parce que l'ordre des médecins ne fait pas le ménage, et que l'hôpital pour lequel ils travaillent continue à les faire travailler sans les mettre de côté.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Je ne pense pas que ce soit sur l'ordre des médecins que doive reposer le rôle que doit jouer la puissance publique en matière de sécurité.

En revanche, il aurait pu être judicieux d'ajouter une recommandation sur les hôpitaux.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Il est vrai que, plus qu'aux mis en examen, nous nous sommes surtout intéressées aux condamnés récidivistes, nous demandant ce que nous pouvions faire pour qu'ils soient moins dangereux à leur sortie de prison.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Le Scouarnec avait été condamné !

Mme Dominique Vérien, présidente. - Oui, mais, au moment de sa condamnation, on considérait qu'être condamné pour la détention d'images pornographiques n'était pas grave. Fort heureusement, la loi a beaucoup évolué depuis ! Les choses auraient probablement été différentes s'il avait été condamné pour viol - du moins nous l'espérons...

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Ce que vous déclarez sur le dialogue pourrait faire l'objet d'une recommandation.

Enfin, je regrette que le titre du rapport ne soit pas plus marquant. Sans aller jusqu'à parler de « misère », nous pourrions choisir un sous-titre qui marquerait davantage les esprits.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Les rapporteures nous ont fait plusieurs propositions, et nous avons retenu celle-ci : « Prévention de la récidive du viol : prendre en charge les auteurs pour éviter de nouvelles victimes ».

L'idée est d'éviter les futures victimes, mais aussi d'éviter que des victimes deviennent des auteurs, et l'indication de la prise en charge des auteurs me paraît indispensable.

Les vingt-quatre recommandations et le titre du rapport sont adoptés.

La commission des lois et la délégation aux droits des femmes adoptent le rapport et en autorisent la publication.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Merci beaucoup ! Je donne rendez-vous aux rapporteures à 16 h 30 pour la présentation du rapport à la presse.

Jeudi 22 mai 2025

- Présidence de Mme Dominique Vérien, présidente -

La réunion est ouverte à 8 h 30.

Audition de Me Stéphane Babonneau et de Me Antoine Camus, avocats de Gisèle Pelicot

Mme Dominique Vérien, présidente. - C'est un très grand honneur pour la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes de recevoir ce matin Me Stéphane Babonneau et Me Antoine Camus, à qui je souhaite la bienvenue parmi nous.

Vous êtes tous deux les avocats de Gisèle Pelicot que vous avez défendue au cours d'un procès de près de quatre mois, entre septembre et décembre 2024, que l'on peut, à bien des égards, qualifier d'historique. Ce procès en première instance, qui s'est tenu devant la cour criminelle départementale du Vaucluse, sera suivi par un second procès devant la cour d'appel de Nîmes, du 6 octobre au 21 novembre 2025, puisque, à ce jour, quatre des cinquante et un accusés condamnés ont décidé de faire appel de leur condamnation malgré des peines prononcées globalement inférieures aux réquisitions du parquet.

Pour donner à cette audition l'audience la plus large possible, nous avons décidé de l'ouvrir aux membres de la commission des lois et de la commission des affaires sociales. Elle est également diffusée en direct sur le site internet et les réseaux sociaux du Sénat, et ouverte à la presse.

J'ai également souhaité y associer nos collègues parlementaires chargées par le Gouvernement d'une mission temporaire sur la soumission chimique comme forme de violence faite aux femmes : la sénatrice Véronique Guillotin, également membre de notre délégation, et la députée Sandrine Josso, membre de la délégation de l'Assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Elles nous présenteront les principales conclusions de leur rapport rendu public le 12 mai dernier.

Nous l'avons toutes et tous en tête, le procès des « viols de Mazan » est d'abord le symbole du courage d'une femme, Gisèle Pelicot, qui a décidé de lever le huis clos de l'audience et, ainsi, de rendre publics, aux yeux du monde entier, les multiples viols, filmés et archivés, dont elle a été victime durant près d'une décennie par plus de cinquante hommes différents, après avoir été droguée et sédatée à cette fin par celui qui était son mari et le père de ses trois enfants.

Au dernier jour du procès, après le verdict, Gisèle Pelicot a prononcé ces mots qui résonnent particulièrement au sein de notre délégation : « J'ai voulu, en ouvrant les portes de ce procès [...] que la société puisse se saisir des débats qui s'y sont tenus. Je n'ai jamais regretté cette décision. »

Cette décision courageuse et essentielle aura, en effet, ouvert la voie, de façon quasi cathartique, à une réflexion non seulement juridique, mais aussi sociétale sur la question du consentement et sur celle de l'exercice du libre arbitre.

Si ce procès a constitué, dans notre histoire pénale, un véritable moment de bascule et un tournant conceptuel, c'est parce qu'il a, pour la première fois, fait la lumière sur une forme, jusqu'alors impensée et invisible, de la violence sexuelle tout autant que de la violence conjugale : le recours à la soumission chimique comme instrument du viol et, dans ce cas précis, du viol conjugal.

Ce procès aura aussi permis à notre société de se saisir de questions fondamentales en lien avec l'égalité entre les femmes et les hommes et le traitement de violences sexuelles systémiques.

À l'issue du procès, Gisèle Pelicot a déclaré : « J'ai confiance à présent en notre capacité à saisir collectivement un avenir dans lequel chacun, femme et homme, puisse vivre en harmonie, dans le respect et la compréhension mutuelle. » Nous ne pouvons qu'être profondément admiratifs de sa résilience et de cette confiance qu'elle manifeste dans notre capacité au sursaut collectif.

Chers maîtres, vous nous livrerez votre analyse de ce procès, de ses conséquences en matière de jugement des affaires de viol et notamment de reconnaissance du déni de consentement et, plus largement, de son retentissement sur la société tout entière.

Me Antoine Camus, avocat de Gisèle Pelicot. - Je vous remercie de cette invitation qui permet de poursuivre la réflexion collective entamée le 19 décembre dernier après le verdict de la cour criminelle du Vaucluse.

Depuis, avec Stéphane Babonneau, nous multiplions les échanges, les conférences et tables rondes - à Buenos Aires avec Madame la députée Sandrine Josso voilà quelques semaines, à Madrid, à Sciences-Po Strasbourg, à l'université de la Sorbonne ; nous irons bientôt à Boston et Pointe-à-Pitre. Partout, on constate l'existence d'une sidération, voire d'un trauma collectif, et du besoin -vous l'avez qualifié de cathartique - de poser des mots sur ce qui s'est passé et d'en tirer des enseignements, comme on le ferait dans le cadre d'une thérapie. C'est exactement ce que souhaitait Gisèle Pelicot en renonçant au huis clos : elle voulait transformer cette salle d'audience en laboratoire sociétal, en une sorte de bocal en verre, afin de livrer une matière brute qui montrerait le viol tel qu'il est, mais aussi comment ce crime est défendu et comment il est jugé.

Gisèle Pelicot est la première à avoir compris que son histoire ne se réduisait pas à un simple fait divers et qu'elle revêtait un caractère universel au regard du nombre et de la variété des profils des accusés. Ce procès est unique. Son caractère exceptionnel nous concerne tous et explique l'existence des files d'attente composées de nombre de femmes - et de quelques hommes -, qui quotidiennement bravaient le froid pendant des heures en espérant trouver une place dans la salle d'audience à Avignon. Lorsque nous leur demandions pourquoi ils revenaient chaque jour, ils nous répondaient toutes et tous : « c'est de nous dont on parle dans cette salle d'audience ».

On s'est beaucoup demandé si les accusés étaient des monstres ou des « monsieur tout-le-monde ». Peu importe, la réalité est implacable : au XXIe siècle, en France, quatre-vingts individus, situés dans un rayon d'à peine cinquante kilomètres, sont prêts à violer une vieille dame sédatée tellement profondément qu'on la penserait morte. Manifestement, il est possible d'en tirer une forme de jouissance au point de revenir plusieurs fois, comme l'ont fait plusieurs des accusés. Cela dit forcément quelque chose de notre société et des relations entre les hommes et les femmes.

Avec Stéphane Babonneau, nous partageons ce besoin de comprendre. Depuis cinq mois, nous avons repris le cours de nos vies professionnelles, retrouvé nos cabinets, ouvert de nouveaux dossiers, mais une partie de nous est restée à Avignon - je vous le confesse. La matière est dense, épaisse, stratifiée ; par conséquent, il faudra encore du temps pour la décrypter pleinement et la digérer.

Madame la présidente, je vous décevrai peut-être, mais livrer nos enseignements sur ce procès me semble à la fois prématuré, pour les raisons que je viens d'évoquer, et très ambitieux, particulièrement dans les dix minutes qui nous sont imparties à chacun.

Ambitieux, car les apports de ce procès sont innombrables, presque moins sur le plan juridique que sur le plan sociétal. Ainsi la notion de consentement actif a-t-elle été précisée et mise au centre des débats du procès ; il semble que ce soit encore nécessaire. On pourrait aussi évoquer l'importance de la preuve dans les affaires de violences sexuelles en général, qui revêt un caractère crucial lors de soumissions chimiques. Le cas de Gisèle Pelicot est une exception : la preuve matérielle des viols, notamment au travers de vidéos, n'existe jamais. Cette exception tient à l'immense perversité de son ex-époux, Dominique Pelicot, et au versant collectionneur de sa personnalité qui a sauvé la vie de Gisèle Pelicot : sans ces preuves matérielles qui étaient au centre de notre dossier, elle n'aurait rien su et serait probablement morte aujourd'hui. Les photographies et les vidéos montraient le luxe de précautions pris par les violeurs pour ne pas la réveiller ; on entendait les chuchotements, les ronflements qui ne laissaient aucun doute sur l'état de sédation profonde de Gisèle Pelicot. Or, de tels éléments de preuve sont absents de la plupart des cas.

Ce dossier a dévoilé les mécanismes de la soumission chimique. Gisèle Pelicot ne s'est pas réveillée, un matin, sur un trottoir avec le visage tuméfié ou aux côtés d'un homme inconnu dans un lieu également inconnu. En réalité, elle se réveillait chaque matin, vêtue de la même manière que la veille au soir, dans son lit, dans sa chambre auprès de son mari. Elle n'avait aucun moyen de détecter ce qui lui était arrivé, en dépit de ses pertes de mémoire ou de ses difficultés d'élocution. Personne ne savait analyser ces signes, pas même le corps médical ; en témoignent les années d'errance médicale qu'elle a subies.

Ce dossier souligne l'importance d'organiser le recueil et la conservation des preuves biologiques en cas de suspicion de soumission chimique, car il est rarissime d'obtenir des preuves audiovisuelles telles que celles-ci. Il est également important d'informer et de former le grand public et les professionnels de santé afin qu'ils puissent envisager l'hypothèse d'une soumission chimique ; tel n'a malheureusement pas été le cas pour Gisèle Pelicot. En cela, le rapport sur la soumission chimique, sur les moyens de la prévenir et de la réprimer qui vient d'être rendu public est absolument fondamental.

On pourrait aussi évoquer le rôle d'internet, grand absent de ce procès - pourtant, ce dossier n'aurait pas pris une telle ampleur sans ce vecteur -, la place réservée à la parole des victimes ou encore la préservation de la dignité de celles-ci. J'ai plaidé la maltraitance de prétoire qui n'est rien d'autre que l'application, au sein de l'enceinte judiciaire, du concept de victimisation secondaire, qui a récemment connu de nouveaux développements judiciaires. On peut débattre des conséquences à tirer en droit de ce concept - ce débat est en cours -, mais il est essentiel de retenir que les choses bougent et que la société change. Ce qui pouvait être toléré voilà encore quelques années ne l'est plus désormais. Le rôle des médias et de l'opinion pourrait aussi être abordé.

Pour ce qui me concerne, en tant qu'avocat pénaliste davantage tourné vers le monde de l'entreprise - je ne suis pas un spécialiste des violences sexuelles, contrairement à Stéphane Babonneau -, ce qui m'a le plus marqué, c'est que le procès de Mazan a mis au jour l'ancrage profond de nombreux stéréotypes et de clichés qui participent de la perpétuation du fléau des violences sexuelles. Cela me rend malheureusement pessimiste s'agissant de notre capacité à y remédier rapidement en dépit de l'investissement du politique, qui est une bonne chose. Le simple toilettage d'une définition juridique ou l'adoption d'une nouvelle loi ne mettront pas fin à ce fléau.

Certains parlent de culture du viol ; j'ignore si ce terme est le bon. À l'évidence, la conception de la masculinité révélée par ce dossier repose sur des éléments problématiques.

Ces stéréotypes qui ont été érigés en stratégie de défense sont de deux ordres.

Tout d'abord, seul un monstre peut violer : il serait impossible d'être bien inséré dans la société, engagé et tourné vers l'autre, en tant que pompier, infirmier ou journaliste, et en même temps être un violeur. Les accusés, dans leur quasi-totalité, se sont employés à démontrer qu'ils étaient de bons pères de famille, des citoyens respectables et qu'ils n'avaient pas le profil d'un violeur ; celui-ci serait forcément un pervers, un criminel en série. Ce procès a montré qu'un tel profil n'existait pas ou plutôt qu'un violeur peut avoir tous les profils. Le violeur, c'est celui qui viole : on peut violer par faiblesse, par facilité, par indifférence, voire par opportunité. Ce n'est pas un constat très réjouissant.

Ensuite, d'autres stéréotypes ont trait à « l'objectalisation » des femmes, à tout le moins dans la sphère sexuelle. On a entendu bien des choses de la part des accusés durant ces quatre mois : le consentement d'une femme serait présumé si celle-ci ne dit pas explicitement non - telle était la thèse développée par la défense -, une femme pourrait volontairement se sédater profondément pour être violée par des inconnus, même à l'âge de 68 ans, les explications du mari sur le consentement de sa femme seraient fiables.

Un expert psychiatre de renom a souligné, au cours de nos débats, le rôle de l'industrie pornographique dans la construction des fantasmes et dans la perpétuation des clichés qui construisent la masculinité. Celle-ci a presque pris le relais de l'éducation sexuelle, car les jeunes y ont accès de plus en plus précocement, dès l'âge de treize ans. Une réflexion est sans doute à mener en la matière. Les sujets à aborder sont réellement innombrables.

Me Stéphane Babonneau, avocat de Gisèle Pelicot. - Madame la présidente, vous avez cité les propos de Gisèle Pelicot tenus à la sortie du procès, dont certains exprimaient l'espoir de voir les hommes et les femmes vivre en harmonie et dans un respect mutuel. Avec Gisèle Pelicot et Antoine Camus, même si ce dernier a fait part d'un certain pessimisme, nous pensons que des raisons d'espérer existent. On peut avoir espoir en notre société.

Je l'ai dit lors de ma plaidoirie en clôture des débats du procès de Mazan : je crois sincèrement que la société française est une société de progrès social. En effet, tout en reconnaissant nos imperfections, nous cherchons constamment, de façon empirique, parfois maladroite, les moyens d'améliorer notre société ; notre présence ici conforte d'ailleurs cette conviction.

Bien souvent, l'élément déclencheur est une étincelle, qui ne vient pas toujours d'en haut, mais parfois de la société elle-même, d'individus particuliers. Dans ce cas précis, l'étincelle c'est Gisèle Pelicot. Elle a vécu une vie simple et honnête, qui n'a pas été marquée par le militantisme, mais, face à une situation exceptionnelle, elle a décidé de faire don de son histoire. Cette étincelle a provoqué, littéralement, un embrasement. Ce mot nous est venu à l'esprit, à la fin de la première semaine du procès, au regard des mots d'ordre pacifiques des manifestations qui se sont déroulées dans toute la France. De notre point de vue, nous avons assisté à une réponse immunitaire, si je puis dire, et j'utilise cette expression à dessein, face à un mal connu, quasiment aussi ancien que la société elle-même, celui des violences sexuelles, dont le viol est l'expression la plus brutale.

Recevant chaque semaine des victimes d'agressions sexuelles de tous âges, mais également des hommes accusés de ces infractions, je reste choqué, voire stupéfait, par la profondeur des conséquences de ces actes. Pour le praticien du droit pénal que je suis, peu d'infractions engendrent des effets sur des générations entières, y compris sur des enfants qui ne sont pas encore nés, aussi bien du côté des victimes que du côté des auteurs de ces infractions. À mon sens, on ne mesure pas encore suffisamment la dévastation qu'elles provoquent, sans quoi les hommes seraient un peu plus nombreux parmi nous ce matin. Ce sujet ne concerne pas uniquement les femmes, c'est un problème que nous devons résoudre collectivement.

J'aimerais vous lire quelques déclarations prononcées lors du procès que j'emporte avec moi dès que je le peux et qui donnent la mesure de la situation.

L'un des accusés, Cédric V., 44 ans, père de deux enfants, a déclaré : « Vous me faites remarquer que je n'ai pas obtenu son consentement. Oui, pas directement. À votre demande, je vous précise que c'est monsieur qui m'a donné son accord. »

M. Romain V., âgé de 64 ans à l'époque, a dit : « Il fait ce qu'il veut, c'est sa femme. » Plus tard, il a ajouté : « Non, vu que j'ai agi en accord avec son mari. S'il n'était pas d'accord, je ne l'aurais pas fait. »

Un autre accusé, âgé de 40 ans, père de trois enfants, a déclaré : « Je ne suis pas d'accord [s'agissant du fait d'avoir commis un viol], car c'est son mari qui me donnait les ordres pour faire ces choses. »

Un autre accusé déclarait encore : « Vous connaissez, vous, un violeur qui caresse sa victime. »

Enfin, un autre accusé expliquait : « oui, c'est bien ça, c'est le mari qui était consentant », avant d'ajouter : « Je ne suis pas un violeur, mais si je devais violer quelqu'un, ça n'aurait pas été une dame de 57 ans, mais une belle. »

Gisèle Pelicot était assise derrière moi lorsque ces mots ont été prononcés ; elle n'a pas tressailli et a simplement gardé la tête haute. Elle a montré à quel point elle était prête à aller jusqu'au bout, en étant présente chaque jour du procès, mais aussi présente pour toutes les personnes qui lui écrivaient afin de lui dire combien elles admiraient sa force, son courage, sa capacité à faire face. Elles se sentaient représentées, car nombre d'entre elles n'avaient pas eu la force de dénoncer les faits dont elles avaient été victimes et de s'engager dans un processus judiciaire.

Pourquoi nombre de personnes n'osent-elles pas dénoncer de tels faits ? Pourquoi n'osent-elles pas franchir la porte des commissariats ? Très souvent, un sentiment, très bien identifié par Gisèle Pelicot elle-même lors du procès, est à la source de ce blocage : le sentiment de honte.

Quand Gisèle Pelicot a dit : « la honte doit changer de camp », elle n'a pas prononcé un slogan, mais traduit une réalité, qu'elle a personnellement expérimentée. Cette honte l'a paralysée pendant longtemps, mais elle a su la dominer et la dépasser - cela peut être une de ses plus grandes fiertés. Gisèle Pelicot était l'archétype de la personne pudique qui n'aime pas exposer son intimité, mais elle a accepté - et s'est même battue pour cela - que les vidéos de ses viols soient diffusées pour donner à voir la réalité d'un viol, pour interpeller la société et pour que les hommes qui l'avaient agressée prennent conscience de l'étendue des ravages qu'ils avaient causés.

Ce message est-il passé ? La question subsistera. Néanmoins, on peut constater que sur cinquante et un accusés, dont plus des trois quarts contestaient leur responsabilité, seuls quatre d'entre eux font désormais appel. La décision de la cour criminelle a donc finalement été acceptée par l'immense majorité des accusés. C'est une victoire pour la justice et pour la société. Faire appel est un droit, mais décider de ne pas faire appel doit être interprété comme un signe de reconnaissance de la portée de la décision de justice.

Nous devons tous nous interroger sur la façon de faire disparaître le sentiment de honte des victimes, c'est une responsabilité collective. Le regard de la société sur les victimes d'agressions sexuelles et de viols influera à l'avenir sur leur capacité à dénoncer de tels faits, à demander justice et, surtout, à réintégrer notre société.

Vos travaux sont essentiels, c'est pourquoi c'est un honneur pour nous d'y participer. Gisèle Pelicot l'a dit, elle n'a pas fait tout cela pour elle, mais pour ceux qui viendront après elle. Dans quelques semaines, son fils Florian Pelicot recevra en son nom le Prix Liberté décerné à la suite du vote de plus de dix mille jeunes à travers l'Europe. Constater que son message a été reçu, que son sacrifice est compris, c'est pour elle une grande victoire. Je pense qu'elle aura l'occasion de le dire elle-même. Nous occupons la place aujourd'hui, mais elle aura beaucoup à dire le moment venu.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Le temps a permis aux accusés de prendre un peu de recul et de réaliser qu'ils étaient des violeurs.

Hier a été présenté le rapport d'information sur la prévention de la récidive en matière de viol et d'agressions sexuelles, fait au nom de la mission conjointe de contrôle de la commission des lois et de la délégation aux droits des femmes. Ses conclusions ont montré qu'un violeur n'est pas forcément un fou ; cela peut être votre voisin parfaitement sain d'esprit et inséré socialement. Ce procès l'a également montré.

Je me tourne désormais vers les auteures d'un rapport sur la soumission chimique, remis au Gouvernement la semaine dernière : nos collègues Véronique Guillotin et Sandrine Josso.

C'est cette affaire judiciaire très médiatisée, puis le procès lui-même, qui auront révélé à l'opinion publique et aux politiques la soumission chimique comme une modalité de violence intrafamiliale, alors qu'on ne la connaissait que dans un cadre festif. Lorsque, avec Émilie Chandler, nous avons préparé notre plan rouge VIF, à aucun moment ce sujet n'a été évoqué. Pas une association, pas un policier ou un gendarme, pas un magistrat : personne ne nous en a parlé, alors que l'instruction de l'affaire était déjà en cours.

Votre rapport au Gouvernement, remis le 12 mai et comprenant cinquante propositions, dont quinze prioritaires, permettra de mieux détecter et sanctionner le recours à la soumission chimique et de sensibiliser et accompagner les victimes. Il appelle à faire de la lutte contre la soumission chimique une priorité nationale ; il y en a beaucoup, mais la protection des femmes me paraît, en effet, être une priorité nationale.

Mme Véronique Guillotin, sénatrice chargée par le Gouvernement d'une mission temporaire sur la soumission chimique comme forme de violence faite aux femmes. - Comme hier à l'Assemblée nationale, je suis ravie de pouvoir présenter avec Sandrine Josso ce rapport au Sénat qui pourra enrichir les travaux de la délégation.

Une mission, théoriquement, doit durer six mois, mais nous avons remis notre rapport plus d'un an après le début de la mission, à cause des multiples rebondissements et soubresauts de la vie politique.

Comme ce procès, ce rapport n'est pas un rapport parlementaire comme les autres. Bien avant que le procès Pelicot ne débute, nous avions fait le choix d'entamer nos travaux par une première table ronde réservée aux victimes. C'est en effet pour elles et avec elles que le rapport devait être construit. C'était également le moyen pour nous de tenter de décrypter les différents mécanismes autour de la soumission chimique pour savoir sur quels axes travailler.

Une fois que l'affaire a explosé au grand jour, le courage de Gisèle Pelicot nous a obligées - et il nous oblige encore. Après plus de cinquante auditions, quinze déplacements, la constitution de quatre groupes de travail, ce rapport articule autour de quelques axes prioritaires cinquante recommandations, dont quinze doivent être appliquées immédiatement.

Il faut d'abord une meilleure définition de la soumission chimique : on ne peut comprendre que ce qui est bien décrit. Il faut ensuite reconnaître également la vulnérabilité chimique comme une circonstance aggravante pour écarter la culpabilité, la honte, qui consiste à se dire : « J'ai bu, j'ai fumé... Il m'est arrivé cela, mais c'est peut-être aussi un petit peu de ma faute. »

Deuxième axe : mieux prendre en charge les victimes, les écouter, les accompagner, encourager le dépôt de plaintes, améliorer leur accueil en tout lieu et sécuriser la course contre la montre du recueil de preuves.

Dernier axe : développer la recherche et mieux lutter contre la cybercriminalité.

Quinze recommandations sont à mettre en oeuvre en priorité.

Tout d'abord, l'éducation. L'éducation et la formation tiennent une place centrale dans ce rapport, plus que les points législatifs. Plusieurs recommandations insistent sur la prévention à l'école : lorsqu'on éduque un enfant, ce sont plusieurs générations qui sont touchées. Des jeunes sensibilisés, ce sont clairement des agressions en moins.

Des professionnels formés, ensuite, ce sont des victimes mieux prises en charge et des surtraumatismes évités. Il nous faut collectivement prendre ce sujet à bras-le-corps pour améliorer concrètement l'accueil et l'accompagnement des victimes chez les forces de l'ordre, les procureurs, les juges, les avocats et les professionnels de santé.

Étant moi-même médecin, la première question que je me suis posée avec ce procès, c'est : comment est-ce possible ? Comment est-il possible que, pendant dix ans, des médecins généralistes, des gynécologues-obstétriciens, des gérontologues - il y a eu une suspicion de démence précoce -, n'aient rien vu. Je me suis posé clairement la question : si j'avais eu cette patiente-là en face de moi, y aurais-je pensé ? Eh bien, je crois que non. Je crois que la petite lumière ne se serait pas allumée dans mon cerveau après dix ans d'études pour me dire : oui, c'est peut-être le mouton à cinq pattes auquel il faut penser.

Il y a donc un vrai travail collectif à faire chez l'ensemble des professionnels concernés, de santé ou autres. Il faut améliorer le dépistage, l'orientation et l'accompagnement des victimes de soumission chimique, de vulnérabilité.

Nous préconisons dès cette année qu'un référentiel de la Haute Autorité de santé présente des recommandations pour les professionnels de santé, permettant de clarifier un parcours de prise en charge aujourd'hui peu lisible. Nous avons suggéré au Gouvernement de le publier le 25 novembre prochain à l'occasion de la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes.

Nous demandons également une sensibilisation à la soumission chimique dans le cadre du service sanitaire des étudiants en santé, qui dure six semaines, et concerne les étudiants de médecine, pharmacie, maïeutique, masso-kinésithérapie, odontologie et soins infirmiers. Une patiente traumatisée peut en effet se retrouver chez un kinésithérapeute pour des tensions qui pourraient être liées à un psychotrauma, par exemple. Il nous a donc semblé indispensable de toucher l'ensemble de ces jeunes étudiants en santé.

Les doyens nous ont suggéré d'ajouter une formation en sixième année, plus ciblée sur la pharmacologie du médicament, qui est au coeur de la soumission chimique, plus que le GHB en boîte de nuit par exemple. Il faut aussi une formation continue, chaque fois que c'est possible et que les professionnels le souhaitent.

Nous demandons par ailleurs une modification de l'article 226-14 du code pénal pour élargir la levée du secret médical en cas de soumission chimique, lorsque le médecin estime en conscience que la victime n'est pas en mesure de se protéger en raison d'une altération temporaire de son discernement et du contrôle de ses actes par un tiers.

Second point législatif : nous recommandons une actualisation de la procédure de recueil des preuves sans dépôt de plainte dans les hôpitaux afin d'y intégrer les victimes de soumission chimique ou de vulnérabilité chimique. Cela a déjà existé : des circulaires avaient été écrites à la suite d'une affaire sordide de soumission chimique, mais cela est retombé dans l'oubli. Il faut continuer à porter cette parole pour éviter qu'il arrive la même chose, une fois la médiatisation de l'affaire Pelicot terminée.

La soumission chimique, c'est ce que Sandrine Josso appelle le crime parfait ; elle laisse pourtant des traces, mais il faut savoir les rechercher, les analyser et les conserver. Ces traces disparaissent rapidement, mais restent le pire ennemi de leurs agresseurs.

Cette mesure viendra compléter la généralisation, dès janvier 2026, de l'expérimentation du remboursement des prélèvements biologiques sans dépôt de plainte, dont le coût reste un vrai frein à la judiciarisation de ces crimes.

Enfin, la prise en charge des victimes ne peut être décorrélée du soutien à la recherche clinique en galénique et en toxicologie, mais aussi en santé sexuelle, pour mieux comprendre la survenue et le développement des violences sexuelles et construire un parcours de soins pour les enrayer, et enfin une recherche clinique sur le psychotraumatisme lié aux violences sexuelles sur lequel nous souhaitons la création d'un appel à projets spécifique dans le cadre de France 2030 mentionnant explicitement les situations de soumission chimique.

Nous avons tous une introspection à faire sur l'invisibilité de ce phénomène pendant des décennies, jusqu'à l'exceptionnel procès des viols de Mazan. Si la soumission et la vulnérabilité chimiques ont pu si longtemps prospérer, c'est parce qu'il y a eu une défaillance collective. La médiatisation du procès a laissé place à un traumatisme collectif. Il nous faut désormais passer à une mobilisation collective ; s'il faut retenir un mot d'ordre, c'est celui-ci.

Mme Sandrine Josso, députée chargée par le Gouvernement d'une mission temporaire sur la soumission chimique comme forme de violence faite aux femmes. - Merci de nous recevoir ici. J'ai eu la chance d'être accompagnée par une sénatrice quand j'ai moi-même vécu la soumission chimique. J'ai souhaité associer le Sénat à cette mission, parce qu'on a besoin des deux chambres pour faire appliquer ce que nous recommandons.

Les personnes qui nous ont beaucoup renseignées d'abord sont les chercheurs, les toxicologues, les pharmacologues qui, dans leur laboratoire et parfois à la barre du tribunal, peuvent fournir beaucoup d'informations sur les modes opératoires des prédateurs.

Nous avons aussi reçu beaucoup d'informations précieuses de victimes ; celles-ci deviennent en quelque sorte expertes, à partir de leur parcours médical et judiciaire. Nous avons donc créé au sein de la mission un groupe de victimes expertes. Nous recommandons de les inclure un peu plus dans les instances de décision, notamment locales, car nous préconisons une territorialisation de la protection contre les violences sexuelles que subissent les enfants et les femmes - personne n'est épargné.

Il a été question tout à l'heure d'une phase d'acceptation. Le procès Pelicot nous a contraints à regarder toutes ces horreurs, pour une fois sans détourner le regard. Il y a un moment d'acceptation en train de se produire dans la société, une acceptation de ce qui était difficile à voir, ce qu'on ne voulait pas voir.

Il faut encourager toutes les femmes qui osent parler, car elles nous protègent. Il faut les remercier de parler ; ce n'est jamais simple, parce que la société juge avant de comprendre. Lorsqu'une victime de violences sexuelles parle, se confie, c'est un cadeau qu'elle fait. Il est important de l'accompagner dans cette démarche, quel que soit notre rôle dans la société.

Des évolutions législatives pourront être incluses dans le projet de « loi cadre » que prépare la ministre Aurore Bergé. Ce sera un outil intéressant, même si vous avez entendu ce matin qu'on ne peut pas tout faire dans la loi : on ne peut pas espérer que ce changement culturel, sociétal se fasse uniquement au travers de la loi ; malgré tout, nul n'étant censé ignorer la loi, elle peut contribuer à accélérer la conscientisation et endiguer tous les phénomènes de violences sexuelles.

La recherche est importante, pour mesurer les effets de ces infractions sur les familles, sur la société tout entière. Beaucoup de recommandations du rapport vont dans ce sens. Il y a des chercheurs qui se sont mobilisés ; il faudra leur donner plus de visibilité : tout au long de cette mission, nous avons pris conscience de sujets comme les conséquences des violences sur la santé. Les violences physiques et psychologiques ont des conséquences énormes, que l'épigénétique peut aussi aider à atténuer.

Lorsqu'on parle du rapport, j'ai aussi à coeur d'écouter vos questions. Comme vous l'avez dit, maîtres, répondre aux questions, c'est une façon de faire de la sensibilisation. J'y serai donc très attentive.

Hier, à SantExpo, nous avons abordé le sujet des violences sexuelles et de la soumission chimique ; beaucoup de professionnels se demandaient : comment est-ce possible ? Que faire ? Comme l'a précisé Véronique Guillotin tout à l'heure, nous mettrons en place avec la Haute Autorité de santé des fiches réflexes pour que les médecins, les professionnels de santé, les professionnels du monde social, aient les bons réflexes. Quand on est pompier, gendarme, que faire ? Aujourd'hui, malheureusement, comme les réflexes ne sont pas là, il est difficile de faire reconnaître des preuves, ce qui complexifie tout le parcours des victimes, qui subissent une victimisation secondaire, ce qui est vraiment terrible.

Nous avons donc eu une obsession : faciliter l'accès à la preuve. Un groupe de travail pluridisciplinaire a été mis en place pour imaginer des kits de prélèvements. Nous aurions aimé rendre disponibles dans les pharmacies des kits de détection. Mais ce n'est pas possible, parce que cela ne produira pas de bonnes preuves. La toxicologie est une science de pointe : un kit simple ne permet pas d'obtenir des résultats qui soient pris en compte au tribunal.

Nous avons recommandé de flécher dans l'Hexagone et en outre-mer les laboratoires spécialisés en toxicologie qui pourront apporter des preuves irréfutables. On pourrait penser que, si on va dans un laboratoire de quartier avec une ordonnance du médecin traitant, on pourrait avoir des résultats d'analyse toxicologique fiables ; mais non. Là encore, c'est une perte de chance pour les victimes. C'est pourquoi il faut mettre en place un parcours pour accéder aux preuves. Nous sommes en train de le faire valider par un groupe de travail qui perdure.

En effet, la mission ne s'arrête pas là : nous en ferons le « SAV » partout. Au ministère de l'intérieur, par exemple, car nous avons une recommandation sur la formation des policiers et des gendarmes. Ils sont aujourd'hui de mieux en mieux formés aux violences sexuelles, mais pas à la soumission chimique. Or, il faut prendre en compte aussi l'état très particulier d'une victime de soumission chimique, qui a déjà vécu une trahison, parce que, dans 82 % des cas, c'est un proche qui la drogue à son insu. Cela développe une colère et une sidération. Et il y a aussi l'effet cumulé des drogues ou des médicaments, qui altèrent le discernement. Une victime de soumission chimique, une fois sur deux, ne se rappelle de rien ; il faut aussi le prendre en compte.

Une victime de soumission chimique peut s'endormir, être sédatée, mais elle peut aussi subir un changement de comportement. Certaines substances visent à désinhiber. Une personne peut ainsi devenir hypersensuelle. Lorsque quelqu'un a un changement de comportement brutal, il faut s'en préoccuper et vraiment accompagner ces personnes, ne jamais les laisser seules.

Il faut donc des formations partout : à l'école nationale de la magistrature, dans les universités, auprès des professionnels de santé ou de l'éducation. En fait, on découvre ce qu'est la soumission chimique ; c'est une expression qui vient de rentrer dans le dictionnaire. On comprend aujourd'hui un peu mieux cette expression parce qu'effectivement on l'a beaucoup entendue avec le procès Pelicot. Mais j'ai déjà entendu quelqu'un me dire : « Ah, je pensais que c'était en lien avec l'écologie, à cause du mot chimie. » Il y a encore beaucoup à faire.

Je compte donc aussi sur vous pour sensibiliser et pour vous emparer de ce rapport. Véronique Guillotin et moi viendrons exposer les conclusions du rapport partout où ce sera possible. Ce rapport vise à mettre tout en oeuvre pour une société plus protectrice, qui ne soit plus fragilisée par cette forme de violence qu'est la soumission chimique et cette notion importante de la vulnérabilité chimique - on en parle aussi, lorsqu'on aborde le « Chemsex » par exemple. Nous avons monté un groupe sur la cybercriminalité, car le monde virtuel accélère tous ces modes opératoires. Des prédateurs oeuvrent en toute impunité, sur les sites de rencontres ou les réseaux sociaux. Il y a beaucoup à faire aussi dans les entreprises qui doivent mettre en place de vrais plans de prévention.

Pour qu'enfin, comme disait Gisèle Pelicot, la honte change de camp et que la peur change de camp, que toutes les victimes puissent être accompagnées, car une victime qui dénonce est une victime courageuse.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Rapport après rapport, on relève toujours la même chose : il faut former tout le monde, les services sociaux, l'éducation nationale... Plus de formation, cela ne coûte pas forcément plus cher. Par exemple, l'infarctus chez les femmes est moins détecté, parce que les symptômes ne sont pas les mêmes que chez les hommes : la solution, c'est de former les médecins aux réactions des femmes.

Vous parliez des médias ; il est vrai que les viols de Mazan ont été fortement médiatisés, mais il n'y a pas la même médiatisation pour le procès Le Scouarnec. Il y a pourtant un grand nombre de victimes mineures : pourquoi n'y a-t-il pas plus de retentissement ?

Tout ne passe pas par la loi, effectivement. C'est une très bonne nouvelle, surtout en ce moment, où, objectivement, plus on passe par le réglementaire et plus on peut agir vite. Autre point : la prise en compte du psychotraumatisme, comme pour les violences sur les mineurs ou la récidive du viol.

Je m'adresse aux avocats avec une question très précise : si la notion de consentement avait été introduite dans la loi, cela vous aurait-il servi ?

Me Antoine Camus. - Clairement pas : tous les accusés ont été condamnés sans. Le texte en vigueur était suffisant pour comprendre ce qu'est un viol. Certes, parce qu'il y avait des preuves, mais ce serait la même chose si la loi change.

Mme Olivia Richard. - Cet échange est passionnant pour nous, qui sommes impliqués dans la lutte contre les violences faites aux femmes, aux enfants et aux hommes - ne les oublions pas, puisqu'ils représentent 10 % des victimes.

Maîtres, vous avez tous les deux parlé de ce que cette affaire remet en cause dans notre société, soit avec pessimisme, soit avec espoir. Je note que beaucoup d'hommes, à la suite du procès, se sont remis en cause. Mais n'observe-t-on pas également un mouvement inverse de réaffirmation d'une masculinité qui se sent annihilée par le féminisme, alors que celui-ci ne demande que la protection des droits des femmes ? Comment peut-on éviter ce balancier entre progrès et réaction qui fait que, quand on affirme plus fort qu'il faut se battre pour un droit, à l'inverse, d'autres répondent : ça va, vous l'avez maintenant ?

Vous avez cité les travaux très importants de la délégation aux droits des femmes du Sénat sur la pornographie, la traite des femmes, l'exploitation sexuelle, les tortures, les actes de barbarie... Comment pouvez-vous convaincre les hommes de rejoindre ce combat ? Parce que vous avez bien raison : on n'y arrivera pas sans eux.

Mme Annick Billon. - Merci à nos deux collègues pour la qualité de leur travail : leurs cinquante propositions peuvent vraiment changer les choses contre la soumission chimique. Cette audition des avocats de Gisèle Pelicot en leur présence permet de mettre en exergue quelque chose qui n'aurait pas été possible s'il n'y avait pas eu le courage de Gisèle Pelicot de rendre public ce qu'elle avait vécu.

C'est un sujet de société, mais il faut pouvoir le faire passer dans la société. Pour avoir porté la proposition de loi devenue loi sur le seuil de non-consentement, je peux vous dire que nous avons réussi à la faire voter au Sénat à l'unanimité parce qu'au même moment paraissait le livre de Camille Kouchner sur l'inceste. Parfois, nous, législateurs, avons besoin de vous - et, en l'occurrence, du courage de Gisèle Pelicot. Cette affaire a eu un retentissement national et international et elle a véritablement changé le regard que nous pouvions porter sur la soumission chimique qui était jusqu'alors associée à un contexte festif.

Cela se réduisait - lorsqu'on a mon âge - à dire à nos enfants : attention à ce que vous consommez lorsque vous sortez. Le cercle familial, dans lequel il y a déjà beaucoup d'incestes, beaucoup de violences - la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) a démontré qu'il y avait environ 200 000 victimes - peut aussi dissimuler de la soumission chimique.

À la délégation sénatoriale aux droits des femmes, nous avons travaillé sur l'industrie de la pornographie. Avec la présidente qui a organisé un événement à l'ONU sur ce travail, nous étions précurseurs. Vous avez raison de dire, maître, que l'éducation est la clé : nous l'avons montré dans notre rapport. Hélas, depuis plus de vingt ans, des générations entières sont éduquées à la sexualité par la pornographie.

Vous avez parlé d'enfants de douze-treize ans ; en réalité, des enfants de neuf ans, désormais, ont déjà vu des images pornographiques, volontairement ou involontairement. Cela a des conséquences extrêmement graves sur leur construction, sur la notion du consentement, sur la capacité d'empathie. Cela a été démontré dans le rapport Porno, l'enfer du décor.

Ce travail a suscité l'intérêt, parce que chacun a des enfants, des petits-enfants ; en signalant que cela peut les concerner, on arrive à toucher un peu plus de monde.

Dans ce cas-là aussi, pour changer le regard de la société, nous avons besoin de condamnations. Notre collègue Laurence Rossignol évoquait hier l'affaire French Bukkake. Le 16 mai 2025, la Cour de cassation a pris une décision majeure, celle de casser la décision de la chambre d'instruction de la cour d'appel de Paris, qui avait écarté les circonstances aggravantes liées aux stéréotypes sexistes et racistes. Cela confirme ce que nous avions démontré dans notre rapport... Nous avons besoin de la justice pour avancer sur ces sujets, ainsi que du grand courage des victimes. C'est difficile d'être porte-parole. Il faut tout mettre en oeuvre pour lutter contre cette industrie de la pornographie qui biaise l'éducation à la sexualité.

J'adhère à toutes les propositions. J'avais une question sur le consentement : je ne suis pas persuadée que l'inscription de cette notion dans la loi facilitera les choses. Et pourtant, il y a de l'espoir, malgré tout, parce que la société peut changer. Nous avons le devoir de la faire changer par la loi et par la justice.

Mme Elsa Schalck. - Merci pour ce rapport très complet. Merci de mettre des mots sur un fléau que nous devons combattre. Cette question concerne les femmes, mais aussi les hommes, qui doivent s'en saisir. Merci aux avocats pour leurs propos et leur assistance à Gisèle Pelicot qui a fait le geste politique de refuser le huis clos pour faire savoir au monde entier l'horreur qu'elle avait vécue.

Maître Camus, vous avez été clair dans votre réponse sur le consentement. Vous l'évoquiez dans votre plaidoirie : il est quand même très malheureux en 2024 que des femmes doivent démontrer qu'elles sont une « bonne victime » - je reprends les termes. Pensez-vous que le changement de la définition du viol, dans le texte qui arrivera sous peu au Sénat, changera le paradigme, même s'il faudra toujours chercher des preuves ? Permettra-t-il de se focaliser sur les auteurs, plus que sur la victime ?

Dans votre plaidoirie, vous évoquiez aussi le fait que, dans notre droit pénal actuel, il n'y a pas de responsabilité solidaire. Pensez-vous que c'est une lacune ou devons-nous en rester au principe pur de responsabilité individuelle ?

Mme Marie-Pierre Monier. - Je vous remercie de vos propos. Vous entendre fera du bien aux victimes.

La honte et la peur doivent changer de camp : mais comment et quand ? Les violences faites aux femmes sont un sujet porté par la délégation sénatoriale aux droits des femmes, auquel je suis confrontée également dans mon département. Selon les gendarmes que je rencontre, ces violences augmentent sans cesse et ils consacrent beaucoup de temps à leur traitement. Pourtant, nombre de plans et de rapports se sont succédés, mais sans effets concrets.

Vous avez cité les propos des violeurs qui expliquaient avoir demandé le consentement au mari et non pas à la femme. Qu'est-ce que cela veut dire pour les femmes ? Sommes-nous des objets ? Des êtres dénués d'humanité ?

Mme Dominique Vérien, présidente. - Cela ne fait pas longtemps qu'une femme peut travailler sans demander l'accord de son mari.

Mme Marie-Pierre Monier. - Il est donc grand temps d'agir.

Vous avez souligné combien nombre de clichés et de stéréotypes étaient profondément ancrés. Pourriez-vous développer un peu plus ? Avez-vous des pistes pour faire évoluer la situation ?

Madame la présidente, vous avez évoqué le consentement et son éventuelle inscription dans la loi. J'ignore quelle en serait l'efficacité sur le plan législatif, mais sur le plan sociétal, affirmer la nécessité d'obtenir un consentement poserait un cadre. Certes, il peut être compliqué de demander la preuve du consentement.

Quels sont les produits utilisés pour la soumission chimique ? Ces produits peuvent-ils être trouvés dans le commerce ou sur un marché parallèle ?

Mesdames les parlementaires, parmi les quinze recommandations de votre rapport à mettre en oeuvre immédiatement, certaines ont trait au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) ou au projet de loi de finances (PLF). Avez-vous obtenu des engagements budgétaires du Gouvernement ? Continuerez-vous, après votre mission, à jouer ce rôle de porte-parole, à solliciter et à rencontrer tous ceux qui peuvent être concernés par la mise en place de vos mesures ?

Mme Marie Mercier. - Le point commun des interventions est qu'elles portent des informations à la connaissance de tous.

Madame Guillotin, si nous avions reçu un patient avec une telle pathologie, nous n'aurions pas pensé à une telle situation, tout simplement parce que nous n'avons pas appris à poser ce diagnostic.

Madame Josso, je vous remercie d'avoir porté ces faits à la connaissance du public. Une femme victime est toujours en proie au doute. Mais une femme politique doit être encore plus forte. Subir de tels actes, en quelque sorte, dans l'exercice de son mandat engendre une forme de honte qui empêche de les énoncer ensuite.

Maîtres, messieurs, comment allez-vous ? Commet reprend-on une vie normale après ce procès ? Ce sont souvent des femmes qui défendent les victimes ; c'est une chance d'avoir eu deux « mâles alpha blancs » pour défendre Gisèle Pelicot !

Ce procès soulève tant de questions. Une psychiatre me confiait être restée sans voix face à de tels faits qui dépassent notre entendement. On parle d'éducation et de parentalité. Je me suis battue pour protéger les enfants des films pornographiques gratuits qui les « bousillent » ; il a fallu attendre quatorze mois pour que les décrets d'application soient pris après l'adoption de la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales.

Certains des auteurs des viols ont des filles, comment les éduquent-ils ?

Le chantier à mener est immense. Aussi, je vous remercie d'y avoir pris part tous les quatre.

Mme Dominique Vérien, présidente. - J'ajoute : comment éduquent-ils leurs garçons ?

Mme Marie Mercier. - Cela me semblait une évidence. Mais vont-ils dire à leur propre fille qu'un garçon pourrait être leur maître ?

Mme Evelyne Corbière Naminzo. - Je vous remercie de vos propos sincères. Je remercie également nos collègues parlementaires de leur travail nourri et de leurs préconisations. Il est rassurant que vous continuiez de suivre ce dossier, nous en avons besoin comme nous avons besoin de voir les choses avancer et évoluer.

Maître Babonneau, vous avez souligné que peu d'infractions engendrent des effets sur plusieurs générations. Cette question m'intéresse particulièrement, notamment s'agissant de la transmission de stéréotypes, mais aussi de psychotraumatismes. Le sujet de la vulnérabilité chimique apparaît au grand jour et il couvre des infractions d'une grande variété.

Dans le cadre des violences intrafamiliales, l'alcoolisme est un sujet récurrent et connu. Mais, dans ce cas, lorsqu'une victime arrive en état d'ébriété pour déclarer les violences qu'elle a subies, elle n'est pas crédible aux yeux des forces de l'ordre, car elle n'a pas le profil de la « bonne victime », comme l'a dit Elsa Schalck. Elle est alors doublement victime. Que pensez-vous de ces cas particuliers ?

Mme Dominique Vérien, présidente. - J'ajoute une question pratique ; j'ai cru comprendre que Gisèle Pelicot était accompagnée par son mari, lorsqu'elle se rendait chez le médecin. Je m'adresse à Véronique Guillotin en tant que médecin : ne pas voir la patiente seule devrait tout de même être un signal d'alerte, sans avoir besoin de recevoir une formation de dix ans.

Me Stéphane Babonneau. - Chacune des questions nous renvoie à nos propres interrogations formulées à la faveur du procès.

Pour ce qui concerne le mouvement de réaction contre la volonté d'aller vers plus de respect et d'humanité, Gisèle Pelicot a reçu des milliers de lettres pendant le procès et nous a lues nombre d'entre elles. J'ai eu le sentiment que ce mouvement existait en effet et qu'il était surtout très bruyant, mais je ne pense pas qu'il soit majoritaire. Une majorité rejette les stéréotypes auxquels renvoient ces agressions, comme l'inégalité entre les genres ou « l'objectalisation » du corps de la femme. Néanmoins, cette partie de la population doit prendre conscience du fait qu'elle est majoritaire et ne pas se laisser impressionner par ceux qui s'expriment bruyamment et qui peuvent laisser penser que la société n'avance pas.

Chaque changement social a lieu avec fracas, mais celui-ci pour exister doit être pérennisé. L'étincelle a jailli - je l'évoquais plus tôt -, mais il n'y a pas de changement sans transmission génération après génération, ce qui renvoie à la question de l'éducation. Celle-ci a été évoquée en filigrane pendant le procès.

S'agissant de l'inscription du consentement dans la loi, je faisais partie des personnes qui considéraient, de manière un peu conservatrice, que la définition existante était suffisante. En réalité, elle l'était pour les avocats et les magistrats qui comprenaient ce texte. Mais, lors du procès Pelicot, un homme âgé de 58 ans a déclaré de façon désabusée à la barre : « Vous savez, monsieur le président, j'aurais aimé qu'on m'explique quand j'étais plus jeune ce qu'était le consentement. » J'ai alors pensé que préciser la notion de consentement dans la loi aurait un effet sur la société. Les citoyens doivent comprendre la loi en la lisant. N'importe qui doit comprendre que le consentement est essentiel, y compris cet homme de 58 ans et non pas seulement nous, les professionnels de la justice, pour qui le consentement est sous-entendu dans le texte en vigueur. Il faut aussi sensibiliser les jeunes.

À propos de la manière dont ces accusés éduquent leurs filles, l'un de ces hommes à qui un policier demandait s'il aurait fait subir les mêmes actes à sa femme déclarait : « Je vous réponds : jamais de la vie. » Je lui ai fait remarquer qu'il l'avait fait à l'épouse d'un autre.

Cela démontre l'existence à la fois d'une capacité à comprendre l'énormité, mais aussi celle d'une incapacité à envisager l'autre et à faire preuve d'empathie. Par conséquent, il faut développer la capacité à comprendre l'altérité qui existe pourtant en chacun de nous, même chez ces hommes, puisqu'ils ne voulaient pas faire subir les mêmes actes à leurs femmes.

Madame la sénatrice, vous m'avez demandé : « Comment allez-vous ? » Je suis préoccupé par le souci de la transmission - il anime Gisèle Pelicot également. En tant que père de deux jeunes enfants, je suis inquiet - comme de nombreux parents - de la manière dont ils évolueront dans notre société.

Comme Gisèle Pelicot, je suis convaincu que, parmi la jeune génération, une volonté de changement émerge - elle forme peut-être une majorité silencieuse. Grâce à vos travaux et à votre engagement en tant que représentants de la nation, vous contribuez à mettre en lumière cette aspiration et à enclencher ce changement.

Me Antoine Camus. - Je partage pleinement les propos de Stéphane Babonneau.

S'agissant du contraste entre, d'une part, la remise en question observée chez certains hommes ayant suivi le procès Pelicot, et, d'autre part, l'émergence d'un masculinisme décomplexé, il me semble qu'une position intermédiaire - un entre-deux - est plus largement partagée - c'est, à tout le moins, ce que j'observe.

Il s'agit d'un réflexe de mise à distance vis-à-vis des accusés, qui a pu se traduire dans des expressions telles que : « je ne suis pas comme ça », « je n'ai rien à voir avec ces gens » ; comme si ceux-ci formaient un bloc homogène... Or, nous le savons, leurs profils sont divers, aussi bien en termes d'âge, de parcours, de niveau culturel et d'insertion sociale ou encore de statut marital.

La réflexion sur la masculinité n'aura de sens que si elle s'accompagne d'une réflexion sur la féminité ; les deux se construisent en miroir. À l'évidence, il s'agit de mener une introspection collective et non pas uniquement de la part des hommes, même si celle-ci est bien sûr indispensable.

En effet, lors du procès, la présence des femmes a été marquante, en soutien non seulement à Gisèle Pelicot, mais aussi aux accusés. Mères, soeurs, compagnes sont venues les défendre à la barre, expliquer à quel point ils étaient des gens bien et qu'ils ne pouvaient pas être des violeurs, et ce même après la diffusion de vidéos édifiantes. En réalité, les femmes participent aussi à la formation des clichés et des stéréotypes qui peut-être forgent la masculinité. Elles ont un rôle à jouer, car elles contribuent à l'éducation des enfants - bien sûr, le père y a également toute sa part. Le dépôt de plainte est aussi un acte essentiel pour changer ces stéréotypes. Il s'agit d'une démarche non seulement pour soi, mais aussi pour les autres. Gisèle Pelicot a agi avec cette volonté de changement profond. Il faut mener une réflexion collective pour bâtir un nouveau vivre-ensemble, où l'autre est replacé au centre.

Je rejoins l'avis de Stéphane Babonneau à propos de l'inscription du consentement dans la loi. Même si cela ne changera peut-être pas le traitement judiciaire de ce type d'affaires - l'absence de consentement, c'était l'éléphant dans la pièce, il n'était question que de cela en réalité -, cela aura une vertu pédagogique indéniable. Plus le texte est clair, mieux il est compris et appliqué. Cela ne peut pas être nuisible et, si c'est un facteur d'amélioration, tant mieux !

Oui, j'ai plaidé le concept de « bonne victime ». Durant ces quatre mois de procès, Gisèle Pelicot a été beaucoup malmenée. On lui a reproché d'avoir fréquenté, dans sa jeunesse, des plages naturistes avec Dominique Pelicot ou encore d'être trop rapidement passée sur un incident d'exhibitionnisme de son ex-époux, surpris par une de ses belles-filles - quelqu'un lui aurait demandé pourquoi elle ne divorçait pas après un tel incident. On lui a reproché de ne pas montrer suffisamment de haine envers lui, avec qui elle avait vécu près de cinquante ans. Pour certains, une « bonne victime » ne se comporte pas comme Gisèle Pelicot : elle ne lève pas la tête, mais devrait regarder ses chaussures, elle aurait dû être silencieuse, moins combative, totalement détruite - Gisèle Pelicot l'était à l'intérieur d'elle-même. Manifestement, elle ne correspondait pas à un tel profil.

Changer la loi ne suffira pas à faire évoluer cette perception. Ce n'est pas le sujet. Le texte en vigueur à l'époque n'aurait déjà pas dû permettre de telles remarques. S'intéresser à la sexualité d'une victime en dehors de la scène de crime est hors sujet. La scène de crime était parfaitement identifiée, puisque nous avions les vidéos ; nous voyions donc les actes qui avaient été commis. Quel besoin y avait-il de savoir si Gisèle Pelicot aimait les plages naturistes à trente ans ? C'est une forme de maltraitance - j'ai plaidé la maltraitance de prétoire qui est une forme de maltraitance gratuite. Cela perdurera encore probablement demain.

Nous avons évoqué le travail pour changer les mentalités : les avocats, les juges, les policiers, les huissiers ne naissent pas dans les choux ! Nous sommes tous éduqués de la même manière...

Mme Dominique Vérien, présidente. - Justement, je pense que nous ne sommes pas tous éduqués de la même manière !

Me Antoine Camus. - Bien sûr, mais les clichés et stéréotypes présents dans la population générale se retrouvent également dans toutes les professions, y compris la mienne.

Pour répondre à la question qui m'a été posée, je vais bien, même si je reste bouleversé par ce que nous avons vu. Tous ceux qui ont été enfermés sous cloche pendant quatre mois partagent le même sentiment de solitude, qu'il s'agisse des journalistes ou de nos confrères.

Bien sûr, nous avons eu le privilège d'avoir pris part à ce qui est bien plus qu'un procès, puisqu'il s'agit désormais d'un fait de société. Nous espérons faire bouger les lignes. Cependant, il y a une part d'indicible ; il est difficile de mesurer la tension, l'ampleur de ce qui a été montré si l'on n'y était pas. Les vidéos sont désormais incrustées dans notre rétine. Cette audition donne du sens à notre travail. Chaque fois que notre agenda le permet, nous sommes désireux d'échanger, car c'est ainsi que les choses changeront.

À la question de Mme la sénatrice sur l'éducation, je répondrai : n'est-ce pas précisément le rôle de l'école républicaine ? Les violences sexuelles sont un vecteur de traumatismes transgénérationnels. La famille ne peut être la seule à assurer l'éducation sexuelle, parce qu'on ne transmet que ce que l'on connaît : si l'on connaît mal, on transmet mal. L'école républicaine a donc un rôle essentiel à jouer, probablement plus qu'elle ne le fait actuellement.

Mme Véronique Guillotin. - Plusieurs points devront être retenus pour le prochain budget : augmenter le soutien aux maisons des femmes, dont l'importance est détaillée dans le rapport ; avoir une attention particulière pour les unités médico-judiciaires (UMJ) ; structurer le Centre de référence sur les agressions facilitées par les substances (Crafs) en tant qu'unité fonctionnelle ou service à part entière. Il y a un nombre croissant de demandes qui n'est peut-être pas lié à une augmentation des faits, mais à une plus grande propension des femmes à porter plainte ; il faut pouvoir les traiter.

Des médecins suggèrent de restreindre l'accès à certains produits pharmaceutiques, en les réservant aux pharmacies hospitalières et en les soumettant à des ordonnances spéciales. Cela semble difficilement envisageable, car ces médicaments ont des usages courants - je pense aux antiallergiques ou au Lexomil. Le problème réside dans l'usage détourné, qui évolue constamment. Il est donc préférable de miser sur l'éducation, la sensibilisation et le diagnostic.

La vulnérabilité chimique doit être davantage reconnue comme un facteur aggravant. Il s'agit d'un changement de prisme sociétal : autrefois, on blâmait la tenue vestimentaire - la minijupe - ; aujourd'hui, on pointe la consommation de substances.

Certains agresseurs affirment : « Jamais je n'aurais fait cela à ma femme. » Cela révèle un problème fondamental d'empathie. Ces hommes se disent protecteurs, mais ce qui arrive aux autres femmes ne les concerne pas.

L'empathie doit s'inculquer dès le plus jeune âge : à l'école maternelle, cela passe par des gestes simples, adaptés à l'âge des enfants. Il ne s'agit pas de parler de sexualité, mais de comportements. Nos enfants passent la majeure partie de leur journée à l'école ; ils y sont déposés de plus en plus tôt et récupérés de plus en plus tard. L'éducation nationale détient donc une responsabilité centrale. Il faut renforcer les moyens à sa disposition, notamment en matière de formation du personnel.

Mme Sandrine Josso. - Dans notre rapport, nous évoquons la notion de traumatisme vicariant. Tous les professionnels accompagnant les victimes, qu'ils soient avocats, policiers, travailleurs sociaux ou médecins, peuvent en être affectés. Il est essentiel de reconnaître et d'étudier ce phénomène. Nous en avons souvent parlé avec Marine Darnault, la rédactrice du rapport ; elle aussi a découvert un monde de violence à travers les auditions.

Certains disent que le procès Le Scouarnec, c'est trois cents victimes et un mis en cause, tandis que le procès des viols de Mazan, c'était cinquante accusés et une seule victime. Le regard porté sur les victimes n'est peut-être pas le même. Il faut réfléchir à ce sujet ; parfois, les victimes sont considérées comme des coupables, ce qui doit nous préoccuper.

Cependant, il y a un message d'espoir. Dans une forêt, quand un arbre tombe, cela fait du bruit, mais l'on ne voit pas tous les arbres qui poussent. Or, nous assistons à un changement de paradigme : de nombreuses victimes se lèvent et parlent, ce qui donne de l'espoir.

Je tiens également à rendre hommage à toutes les personnes engagées dans cette lutte contre les violences, aux associations qui nous ont accompagnées tout au long de ce travail, notamment à celle qui a été fondée par la fille de Gisèle Pelicot, Mme Caroline Darian, ainsi qu'à son frère, M. David Pelicot, également très investi. Nous faisons notre part, et il nous appartient de poursuivre cet engagement, du mieux possible.

Je vous rejoins pleinement : il faut une véritable politique d'État pour prendre en compte toutes les formes de violence ; pour l'heure, nous n'y sommes pas encore.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Pourriez-vous préciser ce qu'est le traumatisme vicariant ?

Mme Sandrine Josso. - Le traumatisme vicariant survient lorsque l'on est exposé de manière répétée à des récits traumatisants dans le cadre professionnel. Cela peut nous affecter insidieusement, même si l'on pense être préparé. Il est important de lever les tabous autour de ces sujets et de les aborder ouvertement.

Je pense également au phénomène du contrôle coercitif. Par exemple, lorsqu'un homme accompagne systématiquement sa compagne à toutes ses consultations médicales, cela peut en relever.

Lors des auditions, j'ai souvent demandé : « Quel est le point commun entre les agresseurs ? » Le point commun, c'est qu'ils sont tous sexistes. Lutter contre le sexisme est donc une étape essentielle pour endiguer toutes les formes de violences qui en découlent.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Beaucoup de femmes ont-elles quitté leurs conjoints accusés ?

Me Antoine Camus. - Oui, mais, en revanche, un certain nombre d'entre eux ont entamé une nouvelle relation depuis la révélation de l'affaire, avant même leur comparution. Certaines de ces nouvelles compagnes, parfaitement informées des faits reprochés, sont venues témoigner à la barre. L'une d'elles a déclaré : « Avant moi, peu importe ce qui s'est passé. »

Mme Dominique Vérien, présidente. - Cela signifie au moins qu'avant elle, une autre femme était partie... Ce constat peut être, d'une certaine manière, rassurant !

Je vous remercie de vos interventions, qui ont été particulièrement précieuses.

Il s'agit d'un travail de longue haleine. Le rapport de la mission d'information sur les politiques publiques de prévention, de détection, d'organisation des signalements et de répression des infractions sexuelles susceptibles d'être commises par des personnes en contact avec des mineurs dans le cadre de l'exercice de leur métier ou de leurs fonctions date de 2019 ; le rapport sur l'industrie de la pornographie a été publié en 2022. La proposition de loi visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales date de 2023. Nous poursuivons ce travail cette année avec votre rapport.

Les textes abordent désormais la question du contrôle coercitif ; nous débattrons du consentement le 18 juin prochain dans l'hémicycle. Il est important de ne pas être seules : lutter contre le sexisme implique de convaincre les hommes que le sexisme n'a pas sa place dans notre société.

Or, ce combat reste encore difficile à mener, comme en témoignent certains débats récents. Je pense notamment au scrutin de liste dans les petites communes : ce n'était pas tant le scrutin lui-même que la question de la parité qui semblait poser problème - comme si, dans les communes de moins de 1 000 habitants, il était plus difficile qu'ailleurs de trouver des femmes à élire, alors qu'elles représentent pourtant, là comme ailleurs, plus de la moitié de la population.

Notre société a encore besoin d'évoluer pour tendre vers le monde plus apaisé qu'a appelé de ses voeux Mme Pelicot, un monde dans lequel femmes et hommes trouvent leur juste place, dans une harmonie véritable.

Pour l'heure, le travail parlementaire se poursuit. Grâce à vous, nous nourrissons notre réflexion, et, je l'espère, nous avançons.

La réunion est close à 10 h 40.