Mardi 20 mai 2025

- Présidence de M. Pascal Savoldelli, vice-président -

La réunion est ouverte à 14 h 00.

Projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte - Examen des amendements aux articles délégués au fond du texte de la commission des lois

M. Pascal Savoldelli, président. - Nous examinons les amendements déposés sur l'article 22, qui nous a été délégué au fond par la commission des lois, sur le projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte.

EXAMEN DES AMENDEMENTS DE SÉANCE

M. Stéphane Fouassin, rapporteur pour avis. - Permettez-moi au préalable d'évoquer un amendement déposé par le Gouvernement pour augmenter les investissements prévus à Mayotte et pour en préciser la temporalité.

D'une part, cet amendement vise à augmenter les investissements prévus de 768 millions d'euros, passant de 3,2 milliards à 3,944 milliards d'euros pour la période 2025-2031. Près de 400 millions d'euros sont prévus pour financer la construction du bâti scolaire ; 300 millions d'euros pour soutenir les collectivités territoriales et 200 millions d'euros pour financer la reconstruction de logements. Près de 175 millions d'euros initialement prévus pour le financement des infrastructures routières sont supprimés.

Si ces investissements sont justifiés, la méthode retenue est toutefois étonnante, notamment parce qu'il aurait été utile que le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) se prononce sur ces investissements. La question de la provenance du financement de ces investissements se pose par ailleurs avec acuité.

D'autre part, cet amendement tend à préciser les périodes de mise en oeuvre de la programmation annuelle sur deux ou trois ans. Dans un contexte de contrainte budgétaire, le maintien d'une certaine souplesse dans les investissements prévus peut s'entendre.

Mme Christine Lavarde. - La commission ne se prononce pas sur cet amendement, et donc sur ces investissements ?

M. Stéphane Fouassin, rapporteur pour avis. - Ils figurent dans le rapport annexé à l'article 1er, qui ne nous a pas été délégué au fond, mais dont la commission s'est saisie pour avis.

La commission a donné les avis suivants sur les amendements dont elle est saisie qui sont retracés dans le tableau ci-après :

Article 22

Auteur

Objet

Avis de la commission

M. LUREL

3

Extension de la durée du dispositif de zone franche globale à 10 ans

Défavorable

M. LUREL

2

Demande de rapport pour évaluer les effets de la zone franche globale créée à l'article 22

Défavorable

Mme BRIANTE GUILLEMONT

46 rect.

Création d'un comité de suivi annuel des effets de la zone franche globale 

Demande de retrait

Article additionnel après Article 22

Auteur

Objet

Avis de la commission

Mme MALET

4 rect. bis

Extension du seuil d'application du CICE à 3,5 SMIC 

Avis du Gouvernement

Mme RAMIA

23 rect. bis

Extension du seuil d'application du CICE à 3,5 SMIC 

Avis du Gouvernement

Mme RAMIA

22 rect. bis

Extension du seuil d'application du CICE à 3,5 SMIC pour trois ans 

Avis du Gouvernement

Mme MALET

55 rect.

Extension du seuil d'application du CICE à 3,5 SMIC pour trois ans 

Avis du Gouvernement

Mme MALET

5 rect. bis

Suppression de l'effet cliquet de l'application du CICE

Avis du Gouvernement

Mme RAMIA

21 rect. bis

Suppression de l'effet cliquet de l'application du CICE

Avis du Gouvernement

Mme RAMIA

20 rect. bis

Suppression de l'effet cliquet du CICE pour trois ans

Avis du Gouvernement

Mme MALET

54 rect.

Suppression de l'effet cliquet du CICE pour trois ans

Avis du Gouvernement

Mme MALET

56

Prolongement de l'aide aux entreprises sur février et mars 2025

Demande de retrait

La réunion est close à 14 h 10.

Mercredi 21 mai 2025

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 10 h 00.

L'impact macroéconomique de la politique commerciale américaine, en particulier sur l'économie et les finances publiques de la France - Audition de M. Thomas Grjebine, économiste, responsable du programme « Macroéconomie et finance internationales » au Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII), Mme Isabelle Méjean, économiste, membre du Conseil d'analyse économique, et M. Raul Sampognaro, économiste au département Analyse et prévision de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE)

M. Claude Raynal, président. - Depuis son arrivée au pouvoir le 20 janvier dernier, le président des États-Unis, Donald Trump, a mis en place de nombreuses mesures visant à augmenter les droits de douane. Celui qui se fait appeler « tariff man » (l'homme des droits de douane) revendique ainsi l'héritage du président William McKinley (1843-1901) qui souhaitait taxer les importations pour protéger l'industrie et financer la baisse d'autres impôts. Ces mesures auront un impact important sur l'économie mondiale, et notamment française. C'est la raison pour laquelle il nous a paru utile d'organiser l'audition sous forme de table ronde avec trois économistes spécialistes du commerce international et de macroéconomie au niveau mondial.

Le premier mandat de Donald Trump avait déjà été marqué par une guerre commerciale : l'administration américaine avait, fin 2018, augmenté les droits de douane sur l'acier de 25 % et sur l'aluminium de 10 %, avant de viser spécifiquement la Chine. La hausse des droits de douane était alors ciblée sur certains secteurs.

Si Joe Biden avait engagé une amélioration des relations commerciales avec les Européens, il n'est pas revenu sur l'essentiel des augmentations de droits de douane vis-à-vis des Chinois. Il a alors utilisé ces outils de manière ciblée et couplée avec une politique industrielle de subventions visant à soutenir les secteurs du numérique et de la transition énergétique.

Avec le nouveau mandat de Donald Trump, la nouveauté réside dans l'universalité des droits de douane envisagés. Ceux-ci sont conçus comme des outils destinés à la fois à relancer la production industrielle nationale, à réduire le déficit commercial, à encaisser des recettes supplémentaires de façon à alléger la pression fiscale intérieure, mais aussi comme instrument de négociation vis-à-vis d'autres États : certains parlent de « couteau suisse ».

Le 10 février, les droits de douane américains ont augmenté à hauteur de 25 % sur l'acier et l'aluminium pour le monde entier, y compris dans un premier temps pour le Mexique et le Canada qui forment pourtant avec les États-Unis une zone de libre-échange. Pour l'Europe, cette hausse des droits de douane représente une augmentation de 25 points sur l'acier et de 15 points sur l'aluminium.

Le 2 avril, présenté par Donald Trump comme un « Liberation Day », les États-Unis ont soumis l'ensemble de leurs importations en provenance de certains de leurs partenaires commerciaux à des droits de douane additionnels présentés comme « réciproques ». La base de cette augmentation est un taux global de 10 % applicable à l'ensemble des importations américaines, auquel s'ajoute un taux personnalisé, annoncé pour un total de 60 pays y compris les États membres de l'Union européenne. La Chine a fait, un temps, l'objet du traitement le plus agressif, puisque les droits de douane sur les biens chinois ont pu atteindre 145 %. Depuis le 14 mai, il a été annoncé des droits de douane à 30 % pour les produits chinois importés aux États-Unis et de 10 % pour les produits américains importés en Chine.

Les effets de cette politique, y compris par l'incertitude et les volte-face qui la caractérisent, seront vraisemblablement néfastes pour l'économie mondiale et, en particulier pour l'économie française et, il faut le craindre, pour nos finances publiques qui n'avaient pas besoin de cela.

C'est pour en parler que nous recevons Thomas Grjebine, responsable du programme « Macroéconomie et finance internationales » au Centre d'études prospectives et d'informations internationales (Cepii), Isabelle Méjean, membre du Conseil d'analyse économique (CAE) - vous êtes aussi passée par le Cepii - et Raul Sampognaro, économiste au département Analyse et prévision de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

Je rappelle que cette audition est retransmise en direct sur le site du Sénat et éventuellement ses réseaux sociaux.

Madame Méjean, tout d'abord, vous êtes spécialiste du commerce international. Les mesures prises par Donald Trump vous paraissent-elles économiquement justifiées ? Quelles pourraient-être leurs conséquences ? Quelle réponse leur apporter ?

Mme Isabelle Méjean, économiste, membre du CAE. - Votre introduction, monsieur le président, a été très détaillée. Comme vous l'avez indiqué, la hausse des droits de douane est unilatérale et universelle. Elle concerne tous les biens importés par les États-Unis et sera de 10 %. Les droits sur l'acier et l'aluminium ont été portés à 25 %, tandis que les droits sur l'automobile ont augmenté de 25 points. Par ailleurs, subsiste une menace de droits de douane réciproques : pour l'instant, une pause a été décidée sur ce point, mais cette menace concerne tous les pays qui ont un excédent commercial de leur balance des biens avec les États-Unis, tels que les États membres de l'Union européenne.

Ces mesures douanières traduisent l'obsession de Donald Trump pour les questions de politique commerciale. Son mandat précédent avait déjà donné lieu à une première guerre commerciale. Celle-ci avait pris une forme différente : les hausses de droits de douane étaient ciblées sur certains biens, représentant 18 % des importations américaines, mais elles étaient significatives, variant entre 4 % et 26 % selon les produits concernés. Le ciblage était à la fois sectoriel - acier, aluminium, certaines machines électriques - et géographique, visant notamment les importations en provenance de Chine. Les arguments avancés étaient à la fois économiques et géopolitiques.

Cet épisode nous a fourni de nombreuses données statistiques, qui nous permettent d'évaluer les impacts potentiels de telles politiques commerciales. Nous avons ainsi pu constater que les modèles théoriques que nous utilisons fonctionnent plutôt bien. Il faut se rappeler que nous n'avions pas connu de politique commerciale de cette nature ni de cette ampleur depuis les années trente. Cette seconde guerre commerciale présente une configuration différente, car elle concerne tous les biens importés par les États-Unis, et son ampleur est importante.

L'un des enjeux est de déterminer l'impact des tarifs douaniers sur les prix et d'apprécier si leur hausse sera absorbée par les entreprises exportatrices étrangères ou répercutée sur les consommateurs.

Les nombreuses études qui ont été menées sur la guerre commerciale sino-américaine de 2018 montrent, de manière unanime, une répercussion intégrale des droits de douane sur l'économie américaine. Autrement dit, contrairement à ce que martèle Donald Trump, ce sont non pas les entreprises étrangères qui supportent la charge, mais bien les consommateurs américains.

Parallèlement, comme les prix augmentent, on observe mécaniquement une baisse significative des volumes importés, selon une logique classique d'élasticité-prix de la demande. Cette baisse des importations a eu un effet macroéconomique sur le PIB américain, estimé à environ -0,13 point de PIB, soit quelque 25 milliards de dollars. L'impact a donc été relativement limité ; les droits de douane ne concernaient qu'environ 20 % des importations américaines. Rappelons toutefois que les États-Unis ont une économie qui demeure, dans l'ensemble, relativement fermée. Le taux d'ouverture est faible, ce qui limite l'effet global des droits de douane, même lorsqu'ils sont élevés.

Cette baisse de 0,13 point de PIB peut être décomposée en plusieurs éléments. Les consommateurs américains ont subi une perte de consommation réelle équivalente à 0,6 point de PIB. L'augmentation des prix des biens importés a entraîné une hausse des prix de vente et, corrélativement, une baisse du pouvoir d'achat réel des ménages. D'un autre côté, les profits des entreprises domestiques ont augmenté : grâce à la réduction de la concurrence, elles ont pu accroître leurs marges. De même, les recettes tarifaires ont progressé, à hauteur de 0,30 point de PIB.

Ces éléments confirment que les modèles économiques relativement simples que nous utilisons en commerce international pour estimer l'impact de ce type de politiques sont plutôt robustes.

Qu'en est-il aujourd'hui ? Comme cela a été dit, la politique commerciale actuelle diffère par sa nature. Jusqu'à présent, elle demeure peu discriminatoire entre les pays, puisque la hausse de 10 % sera appliquée sur tous les produits entrant aux États-Unis, à l'exception de l'acier, l'aluminium et l'automobile. Elle se caractérise aussi par son ampleur, car elle concerne l'ensemble des importations américaines.

Quel sera l'effet potentiel sur l'économie française ? Le Conseil d'analyse économique (CAE) a publié un Joint statement sur ces questions, avec son homologue allemand, le Kiel Institute for the World Economy. Nous avons évalué, à l'aide de deux modèles de commerce international - celui du Cepii et celui de l'Institut de Kiel - l'impact potentiel des mesures envisagées et celui d'éventuelles mesures de rétorsion européenne, selon deux scénarios.

Le premier scénario, dit « scénario du 9 avril », correspond à la situation où une augmentation des tarifs de 10 % est appliquée à tous les pays, tandis que des droits prohibitifs s'appliquent entre les États-Unis et la Chine. Il faut aussi tenir compte de droits sectoriels. Le second scénario, dit « scénario du 2 avril », comporte en outre des droits de douane réciproques, ce qui rend la politique commerciale discriminatoire en fonction des partenaires.

Les deux modèles, bien qu'étant fondés sur des hypothèses différentes et conçus pour le long terme, donnent des résultats très convergents.

Dans le scénario du 9 avril, l'impact pour la France et l'Europe reste relativement limité : il serait de -0,1 point de PIB pour la France tant que les tarifs sont en vigueur. L'impact est un peu plus important pour l'Union européenne dans son ensemble, ce qui est logique, car la France est très désindustrialisée et est donc moins exposée à la politique commerciale des États-Unis que d'autres pays comme l'Allemagne ou ceux d'Europe centrale.

En revanche, l'impact principal serait supporté par les États-Unis : leur perte de PIB serait de 1 à 1,5 point de PIB, ce qui représente une perte bien plus élevée que pendant la guerre commerciale sino-américaine, du fait que tous les biens sont visés.

Si l'effet reste donc contenu pour la France, il existe des disparités sectorielles importantes. Certains secteurs sont plus exposés que d'autres. Ce qui est très coûteux pour la France et l'Europe, ce sont les tarifs sur l'automobile, l'acier et l'aluminium, puisqu'ils touchent directement un des avantages comparatifs important de l'Europe dans le secteur des équipements de transport. Ainsi, selon le Cepii, la production dans ce secteur pourrait reculer de 3,1 %.

Si, à l'issue de la pause de 90 jours, des droits de douane réciproques étaient instaurés, l'impact serait bien plus lourd. L'Europe, qui a un excédent commercial avec les États-Unis, serait alors particulièrement visée. Une telle politique discriminatoire créerait aussi des effets de bord. Elle entraînerait une perte de compétitivité face à des pays qui ne subissent pas ces droits de douane. Dans ce scénario, les pertes économiques sont environ doublées pour l'Europe, avec des effets plus importants sur tous les secteurs exportateurs de la France : l'agroalimentaire, le luxe, les produits chimiques, etc.

Dans un scénario de politique commerciale discriminatoire, les effets pour l'économie européenne sont potentiellement accentués par le fait que l'économie européenne peut perdre en compétitivité par rapport à ses concurrents directs. Par exemple, le Royaume-Uni a un déficit commercial avec les États-Unis et ne ferait pas face à des tarifs réciproques, or ses exportations sont concurrentes de celles de la France, ce qui entraîne une perte de compétitivité. Ces effets, bien que partiellement intégrés dans nos modèles, sont difficiles à quantifier avec précision.

Un autre effet possible est celui de la diversion commerciale. Lorsqu'un pays comme la Chine perd l'accès au marché américain, ses surplus doivent se déverser ailleurs, notamment en Europe. En 2018-2019, on a observé une réorientation partielle de la surproduction manufacturière chinoise vers les marchés européens. L'inquiétude est forte dans des pays comme l'Allemagne, qui ont aussi une production manufacturière importante. Cependant, il reste difficile d'évaluer précisément l'ampleur de ce phénomène. Par exemple, l'afflux de véhicules électriques chinois en Europe peut résulter de cette diversion, mais peut aussi s'expliquer par une dynamique propre de la demande et par la compétitivité des firmes chinoises, lesquelles sont largement subventionnées. Là encore, les phénomènes sont difficiles à évaluer. Tout dépendra du résultat des négociations entre les différents pays et les États-Unis, et de la position européenne.

Un autre élément, plus difficile à quantifier mais peut-être mieux capté par des modèles conjoncturels comme ceux de l'OFCE, est l'incertitude. L'un des effets majeurs de la politique commerciale américaine actuelle est en effet de générer un climat d'incertitude important autour de la politique économique. Or, on sait empiriquement que l'incertitude pèse fortement sur l'investissement. Les entreprises, en France comme ailleurs, ont tendance à reporter leurs projets dans ce contexte de grande instabilité. L'effet conjoncturel peut être important. Il n'est pas intégré dans les simulations que j'ai évoquées.

Enfin, il existe aussi des inquiétudes concernant le fonctionnement du système monétaire international. Le dollar joue un rôle clé dans le système monétaire international. Même si la situation semble aujourd'hui se calmer, d'éventuelles fluctuations importantes du dollar pourraient avoir des conséquences économiques globales significatives.

M. Claude Raynal, président. - Monsieur Grjebine, vous êtes responsable du programme « macroéconomie et finance internationale » au Centre d'études prospectives et d'informations internationales (Cepii), mais vous avez également beaucoup travaillé sur les questions industrielles. L'économie française, et notamment son industrie, vous paraissent-elles de taille à subir les décisions de Donald Trump ? Les décisions américaines affectent aussi l'ensemble de l'économie mondiale : pensez-vous qu'on puisse attendre des effets de ricochet sur l'économie française ?

M. Thomas Grjebine, économiste, responsable du programme « Macroéconomie et finance internationales » au Cepii - J'insisterai sur trois points. Tout d'abord, l'impact macroéconomique de cette guerre commerciale devrait être modéré, notamment sur nos finances publiques, même si le climat d'incertitude existant sera encore aggravé.

Ensuite, cette guerre tarifaire risque de porter un coup dur à certains secteurs d'activité, dans un contexte où l'industrie européenne, et en particulier française, est déjà affaiblie. En ce sens, il s'agit davantage d'un choc microéconomique que macroéconomique.

Enfin, le principal risque que fait courir aujourd'hui la politique commerciale américaine est de nous détourner de ce qui constitue, à mes yeux, la menace la plus grave : la concurrence chinoise. À moyen et long terme, nos recettes fiscales reposent sur notre aptitude à créer de la richesse. Or celle-ci risque d'être lourdement affectée par le rouleau compresseur chinois.

L'impact macroéconomique de cette guerre commerciale devrait être modéré.

En 2024, la France a exporté pour environ 49 milliards d'euros de biens vers les États-Unis, ce qui représente à peu près 1,5 % de notre PIB. Notre exposition commerciale aux États-Unis reste donc limitée. À titre de comparaison, les exportations de l'Italie vers les États-Unis représentent 3 % du PIB du pays, celles de l'Allemagne 4 %, et celles de l'Irlande 10 %.

Quel sera l'impact sur la croissance et sur les finances publiques ? Selon l'OFCE, la croissance pourrait être amputée de 0,6 point en 2025, en raison du climat d'incertitude accru lié à la guerre commerciale ou à la situation politique française intérieure. La Commission européenne est allée dans le même sens, en révisant les prévisions de croissance à la baisse : pour la France, elle anticipe désormais une croissance de 0,6 % en 2025, et non plus de 0,8 %. Ce ralentissement s'explique principalement par un recul des exportations et de l'investissement. La Commission pointe également une dégradation de l'emploi. Le ralentissement de la croissance et la hausse du chômage s'accompagneront mécaniquement d'une baisse des recettes fiscales et d'une hausse des dépenses publiques, notamment d'indemnisation.

Isabelle Méjean a évoqué les évaluations macroéconomiques à plus long terme. Celles-ci confirment que l'effet devrait être modéré. Les tarifs douaniers américains annoncés devraient induire une baisse de la production réelle française de l'ordre de 0,15 % à 0,25 %, ce qui reste relativement faible.

Une question se pose toutefois : que se passera-t-il en cas de représailles européennes ? Une riposte tarifaire de l'Union européenne pourrait en effet affecter la croissance et produire deux effets principaux sur les recettes fiscales, même si ces effets n'ont pas été quantifiés avec précision. D'une part, une augmentation des tarifs européens en représailles pourrait générer des recettes douanières supplémentaires, mais celles-ci alimenteraient le budget de l'Union européenne, et non les budgets nationaux. D'autre part, cette hausse entraînerait probablement une augmentation des prix à l'importation : certes, celle-ci serait susceptible d'engendrer un supplément de recettes de TVA, mais on observerait probablement un ralentissement de la consommation, un recul de l'investissement et une perturbation des chaînes de valeur. En définitive, la marge de manoeuvre budgétaire pour accompagner les secteurs ou les ménages fragilisés par ce choc commercial risque d'être très limitée.

J'en viens à l'impact sectoriel. Celui-ci devrait être concentré sur certains secteurs. On connaît les secteurs les plus vulnérables : les vins et les spiritueux, la construction aéronautique et, potentiellement, les produits pharmaceutiques, qui sont aujourd'hui exemptés mais qui pourraient être exposés en cas d'aggravation du conflit commercial. Certaines entreprises, comme LVMH, réalisent près de 25 % de leur chiffre d'affaires aux États-Unis. Un tiers du chiffre d'affaires lié au cognac provient des États-Unis. Il faut aussi tenir compte des stratégies d'adaptation des entreprises. Il est évidemment plus aisé, pour les entreprises du secteur du luxe, de répercuter une hausse des prix sur les consommateurs que, par exemple, pour l'industrie pharmaceutique.

Cela me conduit à mon dernier point : le risque principal de la politique commerciale américaine ne réside pas tant dans ses conséquences directes pour l'Europe que dans le fait qu'elle détourne notre attention de la vraie menace, celle issue de la concurrence chinoise.

Notre capacité à créer de la richesse se voit menacée par le capitalisme d'État chinois, qui agit comme un véritable rouleau compresseur. La situation actuelle est, à bien des égards, inédite dans l'histoire économique. Nous observons des écarts de coûts de production de 30 % à 40 % dans des pans entiers de l'industrie entre la Chine et l'Europe. On évoque souvent l'automobile. Le rapport Draghi a souligné que la Chine dispose désormais d'une génération d'avance en ce qui concerne quasiment tous les domaines de la production des véhicules électriques, tout en produisant à moindre coût. Ce constat concerne aussi la chimie, la pharmacie, les machines-outils, voire le nucléaire.

Historiquement, de tels écarts de coûts étaient compensés par un avantage européen en matière de productivité ou d'innovation. Ce n'est malheureusement plus le cas. Dans les conditions actuelles, concurrencer l'appareil industriel chinois devient quasiment impossible, tant les coûts sont inférieurs de 30 % à 40 % pour une qualité équivalente.

La Chine poursuit une stratégie prédatrice pour dominer toutes les chaînes de valeur à l'échelle mondiale. Cela commence à se refléter dans le déficit commercial bilatéral de l'Union européenne vis-à-vis de la Chine, qui a presque triplé depuis 2019, passant de 120 milliards d'euros à près de 300 milliards en 2025.

La politique commerciale américaine risque d'aggraver cette situation.

En se fermant davantage, les États-Unis amplifieront le problème des surcapacités de production chinoises. La Chine cherchera alors à écouler ses exportations vers d'autres marchés. Or l'Europe, avec son vaste marché intérieur et son pouvoir d'achat élevé, est une cible privilégiée. Cela exercerait une pression accrue à la baisse sur les prix. Je rappelle que les capacités mondiales de production de batteries sont aujourd'hui quatre fois plus élevées que la demande. La Chine produit 80 % des panneaux solaires et sa capacité de production dans ce domaine est le double de la demande. La Chine peut produire 50 millions de véhicules électriques par an, alors que sa demande intérieure ne dépasse pas 25 millions.

En outre, la politique américaine actuelle risque de fracturer l'axe américano-européen. Pourtant, les deux puissances sont confrontées à la même menace chinoise. On aurait pu envisager une alliance transatlantique pour contenir cette pression. C'était, dans une certaine mesure, l'ambition du président Biden lorsqu'il promouvait le friendshoring, c'est-à-dire le développement des échanges commerciaux avec des partenaires partageant les mêmes valeurs et les mêmes intérêts économiques, afin de réduire la dépendance à la Chine. Mais le refroidissement des relations transatlantiques pousse certains pays à se rapprocher de Pékin. Le Premier ministre espagnol a ainsi affiché une position très ouverte à l'égard de la Chine pour attirer des investissements. Hors d'Europe, on observe que le Japon et la Corée du Sud ont amorcé des discussions en vue d'un accord de libre-échange avec la Chine - c'est un signal fort compte tenu des tensions historiques entre ces pays.

Le plus inquiétant, pour nous Français et Européens, est que la Commission européenne adopte depuis deux mois une posture beaucoup plus conciliante à l'égard de la Chine, qui marque un net infléchissement de sa doctrine par rapport à sa position antérieure de fermeté. Mme von der Leyen parle désormais de rechercher des avantages mutuels, de tendre la main, d'approfondir nos relations commerciales avec la Chine.

Cette position me paraît très risquée. Elle conduit à sous-estimer la menace que représente la Chine pour l'industrie européenne. Pékin continue de subventionner massivement son industrie, tout en entravant l'accès de ses marchés aux produits européens. Elle joue le jeu du multilatéralisme dans les discours, mais poursuit, en pratique, une stratégie de domination. Le risque est que l'Union européenne prenne au pied de la lettre cette posture chinoise et que l'industrie européenne en paie le prix fort. Cela aurait des conséquences économiques majeures, et in fine, des conséquences budgétaires - une baisse des recettes fiscales et une augmentation des dépenses publiques pour venir en aide aux secteurs en difficulté.

En conclusion, dans un contexte où les marges de manoeuvre budgétaires sont limitées, notamment en France, il ne sera pas possible d'utiliser l'outil budgétaire pour compenser des écarts de coûts de production de l'ordre de 30 % à 40 % entre les produits chinois et les produits européens. Si on voulait compenser dans le secteur automobile - on a en tête le bonus sur les voitures électriques - cela serait insuffisant car ce problème ne concerne pas seulement un secteur, mais près de 80 % de l'industrie européenne.

Dès lors, la question de la protection du marché européen devra se poser. De telles mesures de protection ne suffiront pas, à elles seules, à rendre nos industries compétitives ou innovantes. Mais elles peuvent permettre de gagner du temps et d'éviter que notre tissu industriel ne soit étouffé par une concurrence dopée aux subventions.

M. Claude Raynal, président. - Monsieur Sampognaro, vous êtes conjoncturiste. Vous avez notamment développé un modèle pour apprécier les effets de l'incertitude sur la conjoncture qui, je crois, a été fort utile à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) pour ses exercices de prévision 2024 et 2025. À court terme, quel serait l'effet de la politique commerciale de Donald Trump sur l'économie et les finances publiques françaises ? Comment l'incertitude liée aux volte-face du président américain pourrait peser sur l'économie ?

M. Raul Sampognaro, économiste au département Analyse et prévision de l'OFCE. - J'évoquerai particulièrement la situation de la France et ses perspectives à court terme.

Si l'on observe l'évolution du produit intérieur brut (PIB) depuis la crise sanitaire liée au covid, la France se situe dans la moyenne de la zone euro. Le PIB a progressé d'environ cinq points par rapport à son niveau d'avant-crise, ce qui correspond à la dynamique observée au sein de la zone euro. C'est un petit peu mieux que l'Allemagne, mais nettement moins bien que les États-Unis.

Les moteurs récents de cette croissance ont principalement été le commerce extérieur et la consommation publique. Ce constat permet déjà d'anticiper des mois à venir plus difficiles pour notre pays. La guerre commerciale ne tombe pas un bon moment pour la France.

Dans sa réflexion sur les perspectives économiques, l'OFCE a distingué trois temps. Les deux premiers ont été intégrés dans nos modélisations ; le troisième mérite, selon moi, d'ouvrir un débat que mes collègues ont d'ailleurs déjà amorcé. À court terme, cette guerre commerciale se traduit d'abord par une incertitude extrêmement forte pour l'économie mondiale. Ensuite, il faut analyser les effets concrets à moyen terme des droits de douane. Le troisième temps concerne les dynamiques de plus long terme.

À court terme, cette guerre commerciale se traduit d'abord par une incertitude extrêmement forte pour l'économie mondiale. Le Peterson Institute a recensé, depuis le retour de Donald Trump à la présidence des États-Unis en janvier 2025, près de 100 annonces de politique commerciale, exactement 98 considérées comme majeures. Ce chiffre témoigne à lui seul de l'ampleur du bouleversement en cours. Ces annonces vont dans un sens, puis dans un autre. Elles sont souvent contradictoires, ce qui rend leur interprétation extrêmement complexe. L'incertitude est omniprésente. Des chercheurs américains, notamment M. Caldara et ses co-auteurs, ont établi des indicateurs d'incertitude commerciale fondés sur l'analyse de la presse. Leur niveau est sans précédent, dépassant largement celui de la première guerre commerciale de 2018 : nous avons basculé dans un autre univers.

Cette incertitude produit des effets économiques tangibles à court terme. Le « jour de la libération », par exemple, personne n'a compris quels droits de douane s'appliqueraient aux importations en provenance du Mexique et du Canada, qui sont pourtant des partenaires commerciaux majeurs des États-Unis.

Des chercheurs ont calculé les droits de douane effectifs moyens appliqués par les États-Unis en tenant compte des produits visés, des pays concernés et de la structure des importations américaines. Ces taux sont plus élevés pour la Chine que pour le reste du monde. Ils augmentent et sont aussi très instables.

L'incertitude a des effets sur les flux commerciaux. Les importations aux États-Unis ont augmenté de 22 %, en volume, en janvier et en février. Ce bond s'explique en partie par une stratégie d'anticipation : les entreprises américaines cherchent à constituer des stocks pour anticiper les annonces commerciales. Si l'on exclut l'or, la hausse des flux est de plus de 10 points. On observe également une hausse des prix à l'importation.

Une fois ce mouvement initial de reconstitution des stocks passé, les flux commerciaux mondiaux baisseront en raison de l'incertitude : lorsque les entreprises ne savent pas combien coûtera une marchandise importée dans un an, elles réallouent leurs chaînes d'approvisionnement, ce qui devrait réduire les échanges commerciaux pendant plus de deux ans après ce premier moment de sursaut que l'on observe, et qui contribue à expliquer la baisse du PIB aux États-Unis au premier trimestre 2025.

En France, les enquêtes de conjoncture de l'Insee indiquent que les carnets de commande de l'industrie à l'exportation sont moins garnis qu'en 2024. Ce moteur de la croissance qu'était le commerce extérieur s'affaiblit. Les industriels sont très pessimistes. Il ne s'agit pas, toutefois, d'un effondrement comparable à celui de 2008 ou de la crise sanitaire. On observe plutôt un trou d'air susceptible de peser sur la croissance. Dans trois secteurs, le niveau des carnets de commande à l'exportation est particulièrement réduit : l'automobile, l'aéronautique et la métallurgie.

Dans ce contexte, l'OFCE anticipe un net ralentissement de la croissance française en 2025, laquelle est estimée à 0,5 % du PIB. Selon nos modèles, l'incertitude pèse à hauteur de 0,6 point sur cette croissance. La moitié de cet effet, soit 0,3 point, est imputable à l'incertitude liée à la politique nationale et au contexte politique. L'autre moitié, soit 0,3 point, provient de l'incertitude géopolitique au sens large, ce qui inclut la guerre commerciale, mais aussi d'autres tensions internationales, telles que le conflit entre la Russie et l'Ukraine.

La France apparaît peu exposée à la hausse des droits de douane, du fait de la structure de ses exportations et des effets de transmission des prix. Selon nos évaluations, l'impact direct serait compris entre 0 et -0,1 point de PIB, ce qui est cohérent avec les estimations produites du Cepii et du CAE. Notre publication est fondée sur les données disponibles avant le jour de la libération. Notre scénario se fonde donc sur une hausse générale des droits de douane américains de 10 %. Ce scénario, qui a semblé être obsolète, est redevenu relativement réaliste compte tenu des annonces récentes. Cela illustre encore une fois le degré d'incertitude qui entoure l'élaboration même des prévisions.

Ainsi, en cumulant l'effet de l'incertitude, de -0,3 point, et l'impact des droits de douane, de 0,1 point, on estime l'impact global sur le PIB de 2025 entre -0,1 et -0,4 point, selon l'ampleur de la contribution de la guerre commerciale à l'incertitude.

Quelles seraient les conséquences sur les finances publiques ? En appliquant les élasticités économiques classiques, l'effet négatif sur le déficit public serait relativement faible : entre 0,05 et 0,2 point de PIB. Cela n'est pas négligeable dans le contexte actuel, mais cela n'est pas non plus très élevé.

Toutefois, la période 2022-2024 appelle à une certaine prudence sur l'évaluation des élasticités. Comme la valeur ajoutée exportée est en moyenne moins taxée que la valeur ajoutée domestique - en raison notamment d'une moindre intensité en travail -, il est possible que les élasticités classiques surestiment légèrement l'effet réel. Par ailleurs, nos calculs ne tiennent pas compte de potentielles mesures sectorielles ou d'effets de rétroaction. En outre, le prix des matières premières énergétiques a baissé sensiblement depuis le début de la guerre commerciale, ce qui a des conséquences indirectes sur les finances publiques. En résumé, l'effet attendu en 2025 sur les finances publiques est relativement modéré.

Si le conflit commercial devait dégénérer en guerre commerciale totale, les pays les plus exposés seraient principalement situés en Asie et en Amérique du Nord. À l'exception de l'Irlande, l'Europe reste relativement peu concernée. Les effets indirects pour la France, via l'Allemagne notamment, devraient rester limités.

Les marchés financiers ont réagi de manière particulièrement vive. Peut-être surréagissent-ils. Mais peut-être captent-ils des signaux que nos modèles ne parviennent pas à intégrer. J'identifie ainsi trois éléments susceptibles d'échapper à nos outils d'évaluation.

Tout d'abord, l'organisation du commerce mondial connaît une mutation profonde. Les États-Unis ont joué un rôle moteur dans l'instauration du multilatéralisme. Le principe de non-discrimination inscrit à l'article premier de l'accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) est mis à mal par l'instauration de droits de douane arbitraires. Ce passage du multilatéralisme au bilatéralisme remet en cause les règles mêmes du système commercial. Il est difficile d'apprécier les conséquences de long terme sur la reconfiguration des chaînes d'approvisionnement mondiales.

Ensuite, le rôle du dollar dans le système financier international est questionné. C'est peut-être là, dans le statut de cette monnaie et des obligations d'État américaines, que se niche le risque financier majeur. Malgré les reculs apparents sur certains droits de douane, les taux longs américains demeurent élevés.

Enfin, le discours de Donald Trump s'articule aussi autour des déficits commerciaux mondiaux. Nous pouvons sans doute nous attendre à une réallocation de l'investissement et de l'épargne à l'échelle mondiale, mais ses effets sont encore mal identifiables, en raison de la difficulté à anticiper et à comprendre les décisions américaines.

M. Claude Raynal, président. - Merci pour vos exposés particulièrement clairs. Vous nous avez déjà fort bien éclairés, avant même que nous posions nos questions ! Vos conclusions diffèrent de ce que l'on entend souvent : vous estimez que les effets de court terme seront limités, mais que les conséquences de long terme, pas nécessairement liées aux taux de change mais à la redistribution des flux économiques, sont plus incertaines. Je ne peux que vous inviter à communiquer davantage sur ce point.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - À mon tour, je tiens à vous remercier de vos interventions, qui rompent à la fois avec le conformisme ambiant et avec la tyrannie de l'immédiateté.

À vous entendre - vous êtes tous trois d'accord sur ce point -, les effets immédiats sur l'économie française ne sont ni les plus graves ni, dans l'absolu, les plus importants. En revanche, vous insistez avec raison sur l'essor de la puissance chinoise, menace sérieuse pour l'économie européenne. Je me rappelais, en vous écoutant, le livre d'Alain Peyrefitte, Quand la Chine s'éveillera... le monde tremblera ». J'ai été interpelé par ce que vous avez dit, monsieur Grjebine, à propos de la position de Mme von der Leyen. On risque de se trouver en danger par rapport à la très grande puissance de la Chine.

Dans ce contexte, il faut s'interroger sur la place de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), évoquée par M. Sampognaro. Les règles de l'OMC sont remises en cause par une grande puissance, mais il ne faut en aucun cas se résigner : comment pourrait-on les revoir, afin d'inventer de nouveaux équilibres ?

Enfin, la hausse des droits de douane risque de créer de l'inflation aux États-Unis, en provoquant un renchérissement du dollar aux dépens de l'euro. Mais si l'euro était plus faible, l'Union européenne ne pourrait-elle pas en tirer un avantage concurrentiel ?

M. Bernard Delcros. - Je tiens moi aussi à vous remercier de la clarté de vos propos, rassurants par certains côtés et inquiétants par d'autres.

Ma première question a pour objet l'imposition minimale de 15 %, décidée à l'échelle de l'OCDE, donc avec les États-Unis, laquelle vise principalement les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) mais pas uniquement, je crois qu'elle concerne toutes les entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à 750 millions d'euros. La France elle-même l'a votée au titre du projet de loi de finances (PLF) pour 2024, la liquidation de l'impôt devant avoir lieu en 2026. Dès février dernier, les États-Unis ont déclaré qu'ils n'appliqueraient pas cette imposition : quelles sont les conséquences de cette décision pour la France ? Est-il pertinent de conserver un tel prélèvement de 15 % ?

Ma seconde question porte sur la filière bovine, qui, dans mon département du Cantal, a une grande importance. La France, avec le ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, et les États-Unis travaillent actuellement à une reconnaissance mutuelle des systèmes d'inspection sanitaire, afin de permettre l'exportation de viande bovine française vers les États-Unis. Pour différentes raisons, cette filière est aujourd'hui en difficulté dans notre pays - la production bovine française a diminué de 10 % au cours des cinq dernières années. Cette décision serait-elle de nature à la renforcer ?

Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - Merci de vos propos, à la fois très clairs et empreints de modestie : les chiffrages dont il s'agit sont extrêmement complexes, d'autant que la politique tarifaire américaine va donner lieu à des changements de comportements, de la part des consommateurs comme des entreprises.

Monsieur Grjebine, le modèle du Cepii tient-il compte de l'imbrication des supply chains, en particulier dans des secteurs où l'Europe est à la pointe, ou du moins l'était, comme l'automobile et l'aéronautique ?

Monsieur Sampognaro, vous vous interrogez sur la place du dollar à moyen terme. Mais, à court terme, tenez-vous compte, les uns et les autres, des cours respectifs du dollar, de l'euro et du yuan ?

M. Marc Laménie. - Je vous remercie sincèrement de la qualité de vos interventions.

Vous avez évoqué l'automobile, l'aéronautique et la métallurgie, trois secteurs particulièrement touchés par la politique tarifaire américaine. Qu'en est-il du tourisme, qui pèse très lourd dans la balance commerciale française ? Ce secteur joue un rôle considérable, à Paris comme dans bon nombre de départements, où de nombreux Américains se rendent. Peut-on chiffrer, à cet égard, l'impact des récentes décisions du président Trump ?

M. Thierry Cozic. - Ma question ne porte pas sur les effets directs de la politique douanière de Donald Trump, mais sur ses effets de bord sur la politique budgétaire européenne et donc française.

En 1985, les accords du Plaza ont permis de convaincre l'Allemagne de la pertinence de la monnaie unique : en 2025, les menaces américaines pourraient-elles la convaincre d'accepter une dette commune ? Il y a deux semaines, le nouveau chancelier allemand déclarait que l'Europe devait être plus indépendante des États-Unis : ce sont là des mots forts pour un pays qui, depuis des décennies, considère les États-Unis comme son principal protecteur.

L'Allemagne, surmontant ses réticences, a fini par accepter l'union monétaire. Ne peut-elle pas faire de même pour la politique fiscale et budgétaire européenne ? Pourquoi ne pas profiter des circonstances actuelles, où l'hégémonie du dollar est à nouveau remise en question par les politiques erratiques de M. Trump, et où les créanciers internationaux recherchent d'autres solutions, pour émettre des euro-obligations à un taux d'intérêt avantageux ?

Le rapport Draghi évalue à près de 5 % du PIB de l'Union européenne, soit 800 milliards d'euros, le budget nécessaire pour parvenir à cette souveraineté européenne. Si l'Union européenne annonçait, demain, une émission de dette à hauteur de 15 % du PIB pour les cinq prochaines années, elle provoquerait un véritable bouleversement du système monétaire international, et l'euro, sans pour autant supplanter le dollar, pourrait devenir une monnaie de réserve. Berlin vous semble-t-il susceptible de franchir le pas ?

Mme Isabelle Briquet. - La politique de M. Trump ne fait que renforcer la suprématie commerciale chinoise. Or, comme vous le soulignez, nous avons à peu près vingt ans de retard sur la Chine dans nombre de domaines stratégiques. Quels moyens pourrions-nous déployer pour limiter l'impact de cette politique sur notre économie et consécutivement sur nos finances publiques, qui risquent d'être gravement affectées ?

M. Vincent Capo-Canellas. - Je retiens que l'effet de la politique américaine, s'il reste faible, est légèrement récessif à court terme. Il s'agit somme toute d'une bonne nouvelle, car on craignait le pire ; mais ce constat est nécessairement inquiétant dans le contexte que nous connaissons.

Monsieur Sampognaro, l'OFCE vise une croissance de l'ordre de 0,5 % ; selon vous, quel peut être l'impact de ces décisions sur le déficit français ? Dans quelle mesure notre pays pourra-t-il revenir sous la barre des 3 % d'ici à 2029 ?

Vous insistez tous trois sur les risques à moyen et long termes auxquels nous exposent la puissance industrielle de la Chine et le soutien public apporté à son industrie, en citant l'aéronautique, l'automobile et la métallurgie. Quelle peut être la réponse européenne ?

Dans le secteur aéronautique, la Chine commence à vendre divers appareils, parmi lesquels le Comac C919, grâce à une diplomatie habile. Des pans entiers de notre industrie sont désormais menacés, d'autant que nous ne disposons pas des mêmes armes de soutien public que la Chine. Comment pouvons-nous réagir ?

M. Claude Raynal, président. - Les deux grands acteurs aéronautiques mondiaux sont aujourd'hui étroitement liés : les Airbus contiennent 30 % à 40 % de produits américains, tandis que les Boeing renferment 30 % de produits européens. Pourquoi ce secteur serait-il particulièrement en difficulté en Europe ? Ce point mérite d'être éclairci.

En outre, pouvez-vous revenir brièvement sur l'impact monétaire de la politique commerciale américaine ? La politique de l'administration Trump a rapidement évolué à la suite des attaques infligées aux obligations américaines. Va-t-on vers un rééquilibrage entre le dollar, qui restera sans doute fort, et l'euro, voire, à terme, le renminbi ? À l'inverse, le dollar va-t-il retrouver sa pleine souveraineté en vertu des schémas classiques ?

M. Raul Sampognaro. - Premièrement, il me semble très difficile de prévoir les effets de la politique américaine sur l'inflation. On ignore en particulier ce que la Chine va faire de ses produits et de ses capacités de production. L'effet inflationniste fait consensus pour ce qui concerne les États-Unis ; mais, pour le reste du monde, ce n'est pas si clair, d'autant plus si l'on tient compte de la baisse du prix des matières premières, déjà observée. On peut même envisager, pour ce qui est des biens importés par la France et la zone euro en général, une hypothèse déflationniste.

Deuxièmement, vos interventions soulignent que, si nous avons beaucoup parlé de l'industrie, nous avons très peu évoqué les autres secteurs. Les services représentent, d'une certaine manière, un point aveugle de nos modèles, alors même que les échanges internationaux de services ne cessent de se développer. Ils constituent probablement un levier de négociation pour Donald Trump, qu'il s'agisse de la taxe sur les Gafam ou de l'impôt sur les sociétés. Mais, à ce titre, nous restons dans le flou. Ces secteurs sont à la fois spécifiques et complexes ; on peut avoir le sentiment que les problèmes soulevés vont se résoudre de gré à gré.

Troisièmement, en matière de tourisme, on observe un effet des taux de change. A priori, l'appréciation du dollar entraîne un effet prix défavorable à l'Union européenne. Cela étant - on perçoit à ce titre les limites de nos modèles -, les Européens commenceraient à bouder les États-Unis du fait d'un climat jugé hostile : une réorientation des flux économiques et commerciaux pourrait en résulter, mais nous avons du mal à l'anticiper.

Quatrièmement, nous disposons clairement d'une fenêtre de tir en faveur d'une dette européenne. Je me garderai de faire de prévisions sur la politique allemande ; mais, ce qui est flagrant, c'est que l'Allemagne a radicalement changé de discours sur la dette tout court, qu'elle soit allemande ou européenne. Une émission de dette allemande est en soi une bonne chose, face au dollar comme monnaie de réserve.

De plus, dans le domaine de la macroéconomie internationale, de nombreux travaux théoriques posent cette question ; peut-on absorber des déficits commerciaux en menant une guerre commerciale ? La réponse semble être non, pour diverses raisons. En tout cas, pour mener à bien une telle stratégie, afin d'absorber non pas des déficits commerciaux, mais des déficits de balance courante, les États-Unis devraient renoncer au privilège exorbitant du dollar. Tout ce qu'ils perdraient en termes de flux de revenus financiers, ils le gagneraient par la balance commerciale.

On touche là à ce que la situation actuelle peut avoir, du moins pour moi, de difficilement explicable : les États-Unis disent en somme au reste du monde qu'ils veulent perdre leur privilège exorbitant. En effet, d'ordinaire, on se bat pour conserver ses privilèges. Dans ce contexte, la dette européenne me semble être un outil et, heureusement, le discours relatif à la dette a changé en Allemagne.

Cinquièmement et enfin, je ne saurais dire pourquoi les perspectives dressées par l'aéronautique sont si pessimistes, mais je tiens à apporter une précision : dans son enquête, l'Insee considère l'ensemble des matériaux de transport hors automobile. C'est en partie par abus de langage que j'ai appliqué cette analyse au seul secteur aéronautique.

M. Thomas Grjebine. - Au risque de paraître provocateur, j'estime que Donald Trump part d'un constat en partie juste. Les États-Unis, comme la France, dans une certaine mesure, au sein de la zone euro, ont joué le rôle de consommateur en dernier ressort au sein du système monétaire international. Or le consommateur en dernier ressort - c'est vrai notamment pour les biens manufacturés - voit sa compétitivité affectée. Presque systématiquement, sa consommation est favorisée au détriment de la production.

Les États-Unis ont clairement souffert de la désindustrialisation, laquelle est liée au statut du dollar, à la place qu'il donne à la consommation, et aux déficits commerciaux. Comme les Français, les Américains ont substitué de l'exportation à de la production nationale, ce qui les a rendus moins compétitifs relativement tout en accélérant la désindustrialisation.

On se souvient du paradoxe de Triffin, énoncé en 1960. Le pays qui émet une monnaie internationale doit avoir des déficits courants pour fournir le reste du monde. Les déficits américains sont intrinsèquement liés au fait que le dollar a le statut de monnaie internationale ; et les Américains fournissent des dollars au reste du monde en achetant divers produits. La réduction du déficit courant des États-Unis aurait de facto des conséquences sur le rôle du dollar comme monnaie internationale.

Je vous le confirme, la valeur de la monnaie est un des éléments susceptibles d'affecter la valeur du dollar. Mais s'y ajoutent des facteurs macroéconomiques jouant un rôle fondamental, notamment la consommation. Pour réduire leur déficit courant, les États-Unis doivent réduire leur consommation. Le président Trump insiste sur la nécessité de baisser le déficit et de réduire la valeur du dollar, mais il s'est aussi efforcé d'aider les ménages, même si c'est moins le cas ces derniers temps, ce qui aggrave les déficits courants.

Lorsqu'on taxe les importations, on provoque en général une appréciation de la monnaie en renforçant la consommation intérieure et en diminuant consécutivement la demande de monnaie étrangère dont la valeur est alors censée baisser. Or on a assisté à une dépréciation du dollar, attribuée aux inquiétudes qu'inspirent le système monétaire international et la pérennité de la politique économique de l'administration américaine.

Je ne crois pas que nous soyons à la veille d'un « grand soir », car il n'existe pas réellement d'autre monnaie de réserve - les difficultés économiques, actuelles et à venir, de la zone euro n'invitent pas à l'optimisme. En outre, de nombreux investissements sont annoncés aux États-Unis. Les chiffres mirobolants brandis par le président Trump doivent certes être lus avec beaucoup de prudence, mais le mouvement est réel. Les responsables de certains secteurs industriels envisagent, pour une partie, d'investir davantage aux États-Unis.

Je le confirme, une fenêtre d'opportunité s'ouvre en faveur d'une dette européenne. La France pousse en faveur de cette mesure, de même que M. Draghi, mais, en parallèle, il préconise dans son rapport un durcissement des diverses règles budgétaires au niveau national. Étonnamment, on en a moins parlé en France... Les Allemands auront sans doute du mal à accepter une augmentation de la dette à l'échelle communautaire, via des euro-obligations, si les finances publiques françaises demeurent dans leur état actuel. Je reste prudent, car le nouveau chancelier allemand a déjà brisé beaucoup de tabous, mais la question reste très compliquée car cette dette européenne est perçue en Allemagne et dans certains pays du Nord de l'Europe comme un moyen de financer des pays du Sud, dont la France. S'il faut pousser en ce sens, ce n'est pas si simple.

De manière plus conjoncturelle, on observe que, depuis 2019, le yuan s'est déprécié de près de 20 % par rapport à l'euro. Les écarts de coûts, très importants, se sont de plus accrus depuis quelques années. Beaucoup de pays, parmi lesquels les États-Unis et nombre d'États européens, souhaitent à ce titre un accord international comparable aux accords du Plaza. Mais n'oublions pas que ces derniers ont été obtenus manu militari. Les Chinois n'accepteront pas spontanément de réévaluer leur monnaie.

Aujourd'hui, il est impératif de revoir les règles de l'OMC. Pour les Américains, cette institution est certes un astre mort, l'entrée de la Chine ayant à l'évidence été mal négociée ; mais nous sommes face à un enjeu à tout le moins symbolique pour les Européens. Les règles actuelles de l'OMC ne tiennent pas compte du capitalisme d'État tel que la Chine le pratique et de son caractère extrêmement prédateur. Si elles demeurent telles quelles, la situation de l'industrie européenne sera extrêmement compliquée.

Le Cepii applique des modèles de long terme, sans mobilité des facteurs de production. Les questions relatives aux supply chains ne sont donc pas prises en compte, à l'instar des enjeux monétaires : par construction, dans les modèles de long terme, tout est à l'équilibre. Il n'y a ni chômage ni dépréciation monétaire.

Enfin, il me semble que des réponses sont possibles à l'échelle européenne. Il faut notamment revoir certaines règles qui pénalisent lourdement l'industrie européenne. Sans devenir protectionniste, il faut défendre auprès de nos voisins allemands des mesures de protection beaucoup plus fortes.

En particulier, il faut durcir notre position face à la Chine, pour des raisons tenant à la fois à l'économie et à la sécurité nationale. Il ne s'agit pas de prendre des mesurettes pour se donner bonne conscience. Ce serait presque pire que tout, à l'heure où les écarts de production atteignent 30 % à 40 %.

Dans les années 2000, les Européens étaient en pointe dans la production de panneaux solaires. Puis la Chine est très rapidement montée en gamme, grâce à des subventions massives, et en quelques années l'industrie européenne du panneau solaire a été balayée. On a prétendu que ce n'était pas grave, en avançant que cette évolution était bonne pour le consommateur et la transition écologique. Mais, aujourd'hui, ce sont 80 % de l'industrie européenne qui sont menacés : nous ne parlons plus d'un sujet anecdotique ou symbolique.

En 2019, la Chine était encore importatrice nette d'automobiles. Aujourd'hui, elle est le premier exportateur mondial de voitures : elle assure près de la moitié de la production mondiale. L'Europe se doit de réagir et, dans le contexte actuel, des demi-réponses seraient particulièrement dangereuses.

Mme Isabelle Méjean. - L'OMC était moribonde depuis 2017 ou 2018 au moins. En effet, l'organe de règlement des différends, forme de tribunal d'arbitrage des problèmes commerciaux internationaux, ne peut plus fonctionner. Depuis l'entrée de la Chine, qui ne respecte pas les règles relatives à l'ouverture des marchés publics ou encore aux subventions à la production, l'OMC est aujourd'hui morte, de facto.

Plus largement, faut-il continuer à appliquer les règles du système commercial international ? Gardons à l'esprit la valeur de ces règles : il faudra des décennies pour résorber les augmentations tarifaires décidées aujourd'hui.

L'expérience le prouve, il est beaucoup plus facile d'augmenter les tarifs que de les réduire - Joe Biden n'est absolument pas revenu sur les décisions prises lors de la première guerre commerciale américaine -, et l'après-Trump supposera une gouvernance très compliquée. Nous assistons en effet à la fin de l'hégémonie américaine ; le monde de demain sera dominé par la concurrence entre différentes puissances commerciales. Dans ce cadre, l'Union européenne aura un rôle à jouer, et elle aura besoin de la Chine, malgré la menace qu'elle représente : la Chine est la première puissance commerciale au monde, et l'Union européenne, dont la position n'est pas négligeable, devra dialoguer avec elle. La Commission européenne le reconnaît d'ailleurs elle-même.

Les chaînes de valeur sont intégralement comprises dans nos quantifications. Ainsi, on tient compte du fait que l'aéronautique est frappée par la hausse des droits appliqués à l'acier et à l'aluminium, laquelle affecte très fortement de nombreux composants.

Dans de tels modèles de long terme, où tout se réalloue - c'est-à-dire que lorsqu'il devient plus cher de produire en Europe, on n'y produit plus et les chaînes de valeur s'ajustent -, la principale difficulté est le calcul des effets à très court terme. Les chaînes de valeur sont des investissements massifs, des structures extrêmement rigides : à court terme, l'ajustement se fait par les quantités. L'Europe doit continuer d'acheter aux États-Unis divers composants aéronautiques.

Dans ces modèles, les effets sur la métallurgie et les biens de transports, notamment l'automobile, sont considérables, car ces secteurs sont très intégrés dans les chaînes de valeur. Les hausses de droits de douane ont donc un effet démultiplié, du fait de la démultiplication des flux : elles s'appliquent, non sur la valeur ajoutée, mais sur la valeur brute. En outre, ces secteurs sont particulièrement sensibles à l'incertitude, laquelle affecte directement les investissements des entreprises. Ces derniers jouent un rôle majeur, qu'il s'agisse de créer des chaînes de valeur ou d'obtenir des débouchés, dans l'automobile comme dans l'aéronautique - les produits de l'aéronautique étant des biens de capital, ils sont très sensibles au climat de l'investissement. Dès lors, il n'est pas du tout surprenant que ces secteurs soient fortement affectés.

Dans les secteurs agricoles, les enjeux sont très différents. Les questions relatives aux chaînes de valeur sont beaucoup plus limitées, même si un certain nombre d'intrants sont échangés, et les tensions ont toujours été très fortes, en particulier du fait des normes sanitaires à l'importation comme à l'exportation : c'est ce qui a ralenti toutes les négociations commerciales entre l'Amérique du Nord et l'Europe. L'Union européenne ne veut en aucun cas importer de la viande bovine américaine qui ne respecte pas tous ses standards de qualité. Ce n'est pas un hasard si les biens agricoles n'ont pas été inclus dans le deal conclu entre le Royaume-Uni et les États-Unis, accord limité aux biens industriels. Même quand les normes sont harmonisées en vertu d'accords de libre-échange, la vérification est très difficile à assurer. Il y a de nombreux problèmes de fraudes aux normes sanitaires, notamment à l'entrée en Europe.

En matière industrielle, notre retard par rapport à la Chine se creuse année après année, faute d'investissements suffisants. L'exemple de l'automobile est caractéristique : la Chine a massivement subventionné ce secteur, et c'est pourquoi l'Union européenne a négocié un tarif, aujourd'hui suspendu, sur les importations de véhicules chinois. En outre, l'automobile est caractéristique de l'échec européen à créer de l'innovation.

L'automobile européenne était à l'avant-garde. Nous produisions les premiers véhicules électriques de bonne qualité et nous pouvons compter sur un climat institutionnel censé favoriser de telles innovations. En témoigne notre politique environnementale, qui a joué un rôle précurseur. Voilà quinze ou vingt ans que l'on parle en Europe d'interdire le moteur thermique, mais cela fait quinze ou vingt ans que l'automobile européenne fait du lobbying contre cette mesure. Aujourd'hui, les Chinois proposent leurs propres véhicules électriques. Il est probable qu'ils viennent rapidement produire en Europe, mais l'industrie automobile européenne n'en est pas moins menacée d'un véritable marasme. Pour ce qui est des véhicules électriques, la bataille est déjà perdue - je pense notamment aux batteries. Il s'agit là d'un cas d'école, qui nous interroge sur la capacité de l'Union européenne à édicter des normes tout en créant un climat économique et institutionnel favorable à l'innovation.

Enfin, le rôle du dollar est à la fois une question de très long terme, comme nombre d'enjeux évoqués ce matin, et un enjeu de court terme. Il s'agit, de surcroît, d'une question ambiguë : les États-Unis entendent renoncer à leur privilège exorbitant, mais pas complètement - ils ne veulent pas que le dollar se déprécie trop non plus -, si bien que l'on peine à cerner la doctrine américaine sur le sujet.

Ce qui est certain, c'est que le rôle du dollar occupe une place centrale dans la pensée américaine aujourd'hui. Or cet enjeu a été l'un des grands absents des discussions des quinze ou vingt dernières années.

Depuis quatre ou cinq ans, en tant qu'économiste spécialiste du commerce international, on m'interroge fréquemment sur la résilience des chaînes de valeur et sur les vulnérabilités auquel est soumis le commerce international, mais on n'insiste pas suffisamment sur le fait que le système financier international et le système de paiement reposent sur le dollar : il s'agit là d'une vulnérabilité considérable pour les Européens. La faible internationalisation de l'euro est une grande faiblesse pour l'Union européenne. Permettez-moi de vous renvoyer aux travaux d'Hélène Rey, qui est la spécialiste de la question : sur ce sujet, elle prépare actuellement pour le Conseil d'analyse économique une note qu'elle remettra à la fin du mois de juin ou au début du mois de juillet prochains.

Le système commercial international s'organise en trois blocs - la Chine, l'Union européenne et les États-Unis. En revanche, le système financier international est dominé par un bloc, ce qui crée divers déséquilibres.

La littérature économique commence seulement à s'interroger sur ces interactions entre le commercial et le financier. Ce qui manque beaucoup, ce sont des solutions. Mais Hélène Rey se consacre à ces sujets, en rappelant que l'Union européenne se construit dans les moments de crise et qu'en ce sens nous disposons d'une occasion d'avancer beaucoup plus rapidement, qu'il s'agisse de l'émission de dette ou encore de l'intégration des marchés de capitaux.

M. Claude Raynal, président. - Nous vous remercions de nouveau de la qualité de vos interventions.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 12 h 00.

Proposition de nomination de M. Olivier Sichel, candidat proposé par le président de la République aux fonctions de directeur général de la Caisse des dépôts et consignations - Désignation d'un rapporteur

La commission désigne Jean-François Husson rapporteur sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Olivier Sichel aux fonctions de directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, en application de l'article 13 de la Constitution.

Proposition de loi visant à garantir une solution d'assurance à l'ensemble des collectivités territoriales - Désignation d'un rapporteur

La commission désigne Mme Marie-Carole Ciuntu comme rapporteur de la proposition de loi n° 542 (2024-2025) visant à garantir une solution d'assurance à l'ensemble des collectivités territoriales, présentée par M. Jean-François Husson et plusieurs de ses collègues.

La réunion est close à 12 h 00.