Mardi 27 mai 2025
- Présidence de Mme Annick Billon, vice-présidente -
La réunion est ouverte à 14 h 35.
Table ronde sur la lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans les études et carrières scientifiques
Mme Annick Billon, présidente. - J'ai l'honneur de présider aujourd'hui cette réunion, en l'absence de notre collègue Dominique Vérien, présidente de la délégation, retenue par un déplacement à l'étranger avec la commission des lois.
Dans le cadre de nos travaux sur la thématique « Femmes et sciences » entamés à la mi-février, nous organisons cet après-midi une table ronde consacrée à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles (VSS) dans les études et carrières scientifiques.
Notre mission vise globalement à identifier les leviers d'action permettant de donner aux filles et aux femmes toute leur place dans les parcours et carrières scientifiques, alors qu'elles ne représentent encore qu'un tiers des chercheurs scientifiques et un quart des ingénieurs en France.
Cette sous-représentation féminine dans les études et carrières scientifiques est la conséquence d'une insuffisante orientation des filles vers les filières et spécialités scientifiques au lycée puis dans les études supérieures, mais aussi de différences de représentations et de résultats entre filles et garçons dès l'école primaire, en particulier en mathématiques.
En 2023, la France ne comptait que 13 % d'étudiantes universitaires diplômées dans les STIM - sciences, technologies, ingénierie et mathématiques -, contre 40 % d'étudiants diplômés ! Par ailleurs, près de la moitié des filles élèves de terminale n'avaient choisi aucun enseignement de spécialité en sciences, contre seulement 28 % des garçons. Et parmi celles qui se lancent dans des carrières scientifiques après leurs études, près de la moitié d'entre elles quittent le monde scientifique au cours des dix années suivantes : il s'agit du phénomène bien connu du « tuyau percé ».
Nos précédentes auditions nous l'ont montré, les défis sont nombreux et présents à tous les niveaux : au sein de la famille, dans le système éducatif, lors des différents paliers d'orientation dans l'enseignement secondaire et supérieur, tout au long des trajectoires professionnelles et, plus globalement, au niveau des politiques publiques dans leur ensemble.
La ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, Élisabeth Borne - que nous auditionnerons le 5 juin -, a annoncé le 6 mai dernier un plan « Filles et maths » et plusieurs mesures fortes visant à féminiser les filières scientifiques, parmi lesquelles : sensibiliser et former tous les professeurs aux biais et stéréotypes de genre en sciences, de l'école primaire jusqu'au lycée ; sensibiliser les parents à l'intérêt des filières scientifiques pour les filles ; renforcer la place des filles dans les enseignements qui ouvrent vers les filières d'ingénieurs et du numérique avec un objectif, d'ici à 2030, de 50 % de filles qui choisissent la spécialité maths en première et en terminale, et de 30 % de filles dans chaque classe préparatoire scientifique ; enfin, promouvoir des rôles modèles scientifiques féminins dans le cadre d'un renforcement de la politique d'éducation à l'orientation.
Un sujet, pourtant essentiel à nos yeux, semble absent de ces réflexions : celui de la prévalence des VSS dans les études puis dans les carrières scientifiques. Ces violences constituent, selon nous, un frein indéniable à la présence de plus de femmes dans les sciences.
C'est pourquoi les quatre rapporteures, Marie-Do Aeschlimann, Jocelyne Antoine, Laure Darcos et Marie-Pierre Monier, ont jugé essentiel de consacrer une table ronde à la réalité statistique de ces violences dans les sciences et aux moyens de lutter contre.
Je précise que cette table ronde fait l'objet d'une captation audiovisuelle en vue de sa retransmission en direct sur le site et les réseaux sociaux du Sénat.
Pour évoquer ces sujets, j'ai le plaisir d'accueillir : Mme Véronique Lestang-Préchac, sous-directrice Territoires, sociétés et savoirs au service de la coordination des stratégies de l'enseignement supérieur et de la recherche, accompagnée de Mme Chloé Mour, chargée de mission « Égalité, droits LGBT+ et lutte contre les violences sexistes et sexuelles », au sein du ministère chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche ; Mme Amandine Lebugle, démographe, responsable d'études et de recherche à l'observatoire du Samu social de Paris, ancienne membre de l'équipe de coordination de l'enquête Virage (Violences et rapports de genre) ; Mme Rhita-Maria Ouazzani, astronome-adjointe au Laboratoire d'instrumentation et de recherche en astrophysique (Lira) de l'Observatoire de Paris, membre de la cellule d'écoute et de veille de PSL, coordinatrice de la commission Femmes et astronomie de la Société française d'astronomie et d'astrophysique (SF2A) ; enfin, M. Jérôme Courduriès, professeur des universités en anthropologie, chargé de mission « Égalité de genre et lutte contre les VSS » à l'université Toulouse-Jean Jaurès, qui interviendra à distance.
Au cours de nos précédentes auditions, notre attention a été attirée sur les différents niveaux de violences qui pouvaient être à l'oeuvre dans les milieux scientifiques : du « sexisme ordinaire » - dans certaines écoles d'ingénieurs par exemple, où les filles ne peuvent s'épanouir pleinement ou se sentir à l'aise - aux violences sexuelles, souvent aggravées par la consommation d'alcool dans les milieux étudiants notamment, en passant par le sexisme et les violences qui peuvent ralentir les carrières des femmes scientifiques, y compris dans le cadre d'activités qui dépassent le cadre strictement professionnel, en marge, par exemple, de colloques ou de missions de terrain, et qui parfois les poussent à quitter le domaine scientifique.
Mme Véronique Lestang-Préchac, sous-directrice Territoires, sociétés et savoirs au service de la coordination des stratégies de l'enseignement supérieur et de la recherche du ministère chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche. - Merci beaucoup pour votre invitation à cette table ronde et pour l'opportunité importante qui nous est donnée de prendre la parole au nom du ministère chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche. Nous pourrons ainsi vous présenter l'ensemble des actions que nous menons sur ce sujet essentiel.
Comme cela a été souligné lors des précédentes auditions, une réelle sous-représentation des femmes est observée dans les filières STIM. Cette situation demeure préoccupante en dépit de tous les efforts qui ont été engagés pour favoriser la mixité.
La publication annuelle de nos chiffres clés de l'égalité dans l'enseignement supérieur et la recherche, dans sa dernière version, permet de mesurer cette réalité de façon extrêmement précise : si une progression avait été constatée jusqu'à la fin des années 2000, la proportion des femmes dans ces filières stagne aujourd'hui à un niveau insuffisant. Ce phénomène du tuyau percé, tel que vous l'avez justement nommé, ne s'arrête pas aux portes de l'enseignement supérieur et de la recherche ; il se prolonge tout au long du parcours professionnel et des carrières scientifiques des femmes. Les freins à cette progression sont en effet nombreux, bien identifiés et de nature multifactorielle, notamment en raison de la persistance des stéréotypes de genre, largement abordés lors des auditions précédentes.
Dans ce contexte, le ministère réaffirme son engagement en faveur d'une plus grande mixité professionnelle, au travers notamment de sa participation au plan interministériel pour l'égalité entre les femmes et les hommes 2023-2027 « Toutes et tous égaux », de son programme « Tech pour toutes », ainsi que du plan national d'action pour l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes 2025-2027, qu'il vient récemment d'adopter.
Le ministère poursuit également sa coopération avec de nombreuses associations, qui oeuvrent activement pour la promotion des carrières féminines dans l'enseignement supérieur et la recherche, telles que Femmes et sciences, Becomtech, Prologin, Femmes et mathématiques ou encore Femmes ingénieures, que vous avez également auditionnées.
Le plan national d'action pour l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes 2025-2027 fait de la prévention et du traitement des VSS un axe prioritaire.
Dans les filières où les femmes sont sous-représentées, comme les filières STIM, le sexisme et les violences sexuelles peuvent être amplifiés et constituent des freins à l'orientation et à la poursuite des études et des carrières des femmes.
Nous reconnaissons le caractère systémique des VSS au sein des établissements d'enseignement supérieur et de recherche. C'est pourquoi nous oeuvrons avec la plus grande fermeté aux côtés des établissements pour les combattre. Ces violences, multiformes, affectent profondément la vie sociale, professionnelle, universitaire et personnelle des femmes.
Pour affiner nos actions, nous avons cherché à mieux comprendre ce phénomène et à le définir.
En lien avec l'Institut national d'études démographiques (Ined), nous avons d'abord soutenu l'enquête Virage, et demandé à l'Observatoire national de la vie étudiante (OVE) d'intégrer un volet VSS dans son enquête. En 2020, 5 % de femmes se déclaraient victimes de VSS dans le cadre de leurs études, chiffre qui est passé à 14 % en 2023. Cette augmentation peut aussi s'expliquer par une meilleure communication, une connaissance accrue et une plus grande libération de la parole - alors qu'auparavant, régnait une sorte d'omerta et une non-compréhension des mécanismes en cause.
Face à ce constat, le ministère a engagé dès 2017 des actions très fortes en partenariat avec des associations et des établissements, en mettant à disposition des outils, des guides, et en lançant des campagnes de communication à destination des étudiants. Le nouveau cadre législatif et réglementaire, adopté en 2019, a également structuré les actions, en renforçant les obligations des établissements. Il impose notamment à l'ensemble des établissements publics d'enseignement supérieur d'adopter un plan d'action pour l'égalité professionnelle, incluant obligatoirement un volet dédié à la lutte contre les VSS.
À la suite de l'affaire « Sciences porcs », qui a profondément marqué la société, nous avons souhaité franchir une étape supplémentaire. Nous avons donc décidé de lancer un plan national de lutte contre les VSS dans l'enseignement supérieur et la recherche. Initialement prévu jusqu'en 2025, ce plan a été pérennisé : tant que les VSS existeront, il continuera. Doté d'un budget initial de 1,7 million d'euros, ce financement a été doublé à partir de 2023, atteignant 3,5 millions d'euros par an.
Ce plan s'articule autour de 21 mesures, portant notamment sur la formation, le renforcement des dispositifs de signalement, la communication et la valorisation des engagements.
Mme Chloé Mour, chargée de mission « Égalité, droits LGBT+ et lutte contre les violences sexistes et sexuelles » au ministère chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche. - Je vous remercie également pour cette opportunité de prise de parole. Je vais détailler les actions qui ont été menées dans le cadre de ce plan national, notamment au titre du premier axe.
Le plan de formation et de sensibilisation d'envergure témoigne de notre volonté de transformer durablement les pratiques et les normes de l'ensemble de la communauté universitaire. D'ailleurs, dans la prolongation de ce plan, la formation restera un axe prioritaire de notre prochaine feuille de route.
Deux objectifs principaux ont guidé cet axe.
Le premier est de professionnaliser l'ensemble des membres des dispositifs de signalement, c'est-à-dire les personnels responsables de l'accueil et du suivi des VSS, en les formant à l'écoute et à la prise en charge de ces situations. Ce travail est conduit en partenariat avec des partenaires associatifs, tels que JuriSup, VSS-Formation et l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGÉSR), qui a créé dans le cadre de ce plan une mission permanente dédiée aux VSS. Depuis 2021, une centaine de formations ont été dispensées à plus de 4 000 agents qui interviennent désormais sur le terrain.
Le second objectif est de sensibiliser massivement les étudiants et les étudiantes, grâce à des modules en ligne qui ont été développés par l'école IMT Atlantique. À ce jour, 70 établissements ont conventionné avec l'IMT Atlantique pour déployer ce module de sensibilisation auprès de leur communauté étudiante.
Nous portons une attention particulière aux événements festifs - soirées étudiantes, week-ends d'intégration -, identifiés comme les lieux les plus propices aux VSS. Depuis 2022, le ministère diffuse un kit comprenant un guide, une charte et une fiche de description expliquant comment organiser un événement festif intégrant une sensibilisation aux VSS et assurant leur prise en charge. Ce kit inclut des fiches réflexes destinées aux victimes.
En complément, nous avons développé divers outils et supports, par exemple un guide récent à destination des gouvernances des établissements, afin d'accompagner l'ensemble des acteurs au sein des établissements.
Enfin, nous travaillons avec l'Institut des hautes études de l'éducation et de la formation (IH2EF) à l'élaboration de modules de formation à destination des personnels de direction.
Mme Véronique Lestang-Préchac. - Le deuxième axe est consacré au renforcement des dispositifs de signalement, car il est indispensable que les victimes disposent d'espaces où s'exprimer. Cette mesure s'appuie sur l'obligation légale issue de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique. Chaque établissement dispose d'une cellule d'écoute assurant un accueil confidentiel, une orientation vers un accompagnement adapté, et un suivi des procédures à engager.
Pour renforcer ce système, le ministère a lancé deux appels à projets, en 2021 et en 2022, destinés aux établissements d'enseignement supérieur, afin de soutenir le développement de ces dispositifs. Au total, 91 projets ont été subventionnés, à hauteur de 1,65 million d'euros.
Par ailleurs, nous avons mis à disposition une cartographie, disponible sur le site du ministère, qui présente l'ensemble des initiatives financées, avec une mise en valeur des livrables qui ont été produits, pour favoriser la transparence, le partage des ressources et les bonnes pratiques entre les établissements.
Enfin, nous avons mis en place, avec la Coordination nationale d'accompagnement des étudiantes et des étudiants (Cnaé), une ligne d'écoute nationale. Celle-ci répond au besoin de certaines victimes qui ne souhaitent pas se signaler auprès des cellules d'écoute. Cette ligne, gratuite, confidentielle et gérée par l'association professionnelle En avant toute(s), permet, si la victime le souhaite, de faire le lien avec le rectorat ou l'établissement pour le suivi.
Le troisième axe concerne le déploiement d'une communication articulée aux niveaux local et national, pour mieux faire connaître les dispositifs existants et valoriser les bonnes pratiques. Nous avons lancé une campagne de communication sur le consentement sexuel en octobre 2024, en partenariat avec l'association Sexe & Consentement et le média Konbini. Selon la direction de la communication, cette campagne a atteint 3,5 millions de vue ; nous invitons également les établissements privés à s'en saisir. Elle redirige aussi vers la cartographie nationale des dispositifs de signalement.
Le quatrième axe vise à favoriser l'engagement des étudiants et des personnels dans la lutte contre les VSS. Nous avons lancé en 2022 et 2023 deux campagnes de financement à cette fin. En 2022, nous avons soutenu 35 projets pour 350 000 euros et, en 2023, 51 projets pour 520 000 euros.
Mme Chloé Mour. - Des axes complémentaires renforcent l'impact du plan : nous avons constaté à mi-parcours que nous avions besoin de renforcer la prise en charge des VSS au niveau des rectorats, et de décliner notre action à l'échelle territoriale. C'est la raison pour laquelle la ministre a annoncé, en 2023, la création de 37 postes dans 18 régions académiques, centrés à la fois sur la politique de vie étudiante et la lutte contre les VSS, les deux s'articulant ensemble. Cela permet de coordonner des réseaux d'acteurs et d'actrices impliqués localement, d'accompagner les établissements, de les outiller, et de suivre les enquêtes administratives. Nous animons ce réseau depuis plus d'un an.
Nous soutenons des partenaires associatifs, présents dès l'élaboration de la politique publique sur ce sujet. En 2023, nous avons inscrit ces partenariats dans une perspective pluriannuelle ; onze associations ont bénéficié, en 2023-2024, d'un financement global de 1,8 million d'euros. Nous réalisons un suivi régulier sur les territoires des actions de sensibilisation et de formation.
Des associations oeuvrent pour la mixité des filières et portent des sujets VSS. Nous articulons notre politique d'égalité professionnelle avec la politique de lutte contre les VSS.
Mme Amandine Lebugle, démographe, responsable d'études et de recherche à l'observatoire du Samu social de Paris, ancienne membre de l'équipe de coordination de l'enquête Virage. - Merci de m'avoir conviée pour parler des VSS survenant dans le cadre des études. J'ai travaillé sur ce sujet durant plusieurs années lorsque j'étais chercheuse contractuelle à l'Ined et que je travaillais sur l'enquête Violences et rapports de genre : contextes et conséquences des violences subies par les femmes et les hommes (Virage).
J'évoquerai la mesure des violences au sein de l'enseignement supérieur, car pour combattre le phénomène il faut en avoir une bonne connaissance. Il existe deux types d'enquêtes.
D'un côté, celles qui sont réalisées sur des échantillons aléatoires, dont les résultats sont représentatifs de la population étudiante et donc scientifiquement prouvés. C'est le cas notamment du volet principal de l'enquête Virage, ou de l'enquête Conditions de vie des étudiants de l'Observatoire de la vie étudiante (OVE), qui a inclus depuis 2020 un module sur les violences en général et les VSS en particulier.
De l'autre, celles qui sont faites sur internet, et qui sont destinées à l'ensemble des étudiants soit d'une université, soit d'une filière. Ce n'est plus un échantillon aléatoire : seules des personnes volontaires, qui ont connaissance de l'existence de l'enquête, vont y répondre. Dans l'idéal, il faudrait que tous les étudiants répondent à l'enquête pour que les résultats soient représentatifs. Ce n'est jamais le cas ; la bonne réussite de l'enquête repose alors sur une bonne campagne de communication et une large diffusion de l'information pour qu'un grand nombre de personnes y répondent.
La première enquête de ce type en France a été le volet universités de l'enquête Virage. Elle a été suivie de nombreuses autres - de nombreuses universités lançant des enquêtes spécifiques à destination de leurs étudiants. Je pense par exemple à l'enquête Safeduc réalisée en 2024 auprès d'étudiants de SciencesPo et de l'université Paris Cité ou encore celles de l'École polytechnique, de CentraleSupélec, de l'université de Nantes...
Je m'appuierai, pour mon propos, sur l'enquête Virage qui a la particularité d'être réalisée à la fois sur un échantillon aléatoire en population générale et sur un échantillon de volontaires de quatre universités. Cette enquête comprend plusieurs volets.
Le volet principal a été réalisé auprès de personnes âgées de 20 à 69 ans en ménage ordinaire, contactées par téléphone via des numéros tirés au sort. Environ 27 000 personnes ont été interrogées, soit 15 000 femmes et 12 000 hommes.
Puis, profitant d'un accès à un questionnaire sur internet et anticipant qu'il y aurait peu d'étudiants dans le volet principal, nous nous sommes rapprochés de plusieurs universités : l'université Paris-Diderot, l'Institut de physique du globe de Paris, l'université Paris 1 - Panthéon-Sorbonne, l'université de Bretagne occidentale et l'université de Strasbourg, pour une diffusion de l'enquête à l'ensemble de leurs étudiants, quels que soient leur niveau de diplôme et leur filière. Avec ce dispositif complémentaire, nous pouvions augmenter le nombre d'étudiants pour mieux connaître les violences subies dans le cadre des études.
Un peu plus de 6 000 questionnaires ont pu être obtenus par ce volet complémentaire. Si le nombre de questionnaires paraît relativement élevé, en réalité, le taux de participation à l'enquête a été plutôt relativement faible et variable d'une université à l'autre, allant de 4 % à 8 %, soit un taux inférieur à ceux observés pour d'autres enquêtes à destination d'étudiantes et d'étudiants réalisées dans les universités, et notamment l'enquête Conditions de vie de l'OVE.
Les raisons en sont les suivantes : la campagne de communication a été plus ou moins importante d'une université à l'autre, de même que le nombre de relances. Elles ont toutes été réalisées au deuxième semestre universitaire, mais certaines plus tardivement que d'autres. De plus, comme les personnes avaient connaissance de l'enquête via la messagerie universitaire, il fallait que les étudiants utilisent cette messagerie pour répondre au questionnaire. Enfin, plus généralement, c'est l'intérêt porté aux enquêtes qui a pu jouer sur le taux de participation.
Comment a-t-on procédé ? L'enquête Virage, réalisée en 2015, s'inscrit dans la continuité de l'Enquête nationale sur les violences envers les femmes en France (Enveff), réalisée en 2000. Comme pour l'Enveff, l'enquête Virage cible les violences non pas uniquement au sein de l'enseignement supérieur, mais dans l'ensemble des sphères de la vie : espaces publics, travail, couple, famille et études.
Toutefois, dans l'Enveff, les questions sur les violences subies dans le cadre des études supérieures étaient posées au même moment que celles sur les violences subies dans le cadre professionnel. L'enquête Virage a bien séparé les deux. Nous voulions mesurer précisément l'ampleur des violences, connaître leur nature et savoir ce qui se jouait derrière, afin de répondre au besoin de connaissances sur ce sujet.
L'enregistrement des violences dans le cadre des études arrive à deux moments un peu distincts dans le questionnaire.
D'abord, on interrogeait sur les violences vécues au cours des douze derniers mois ; treize faits étaient questionnés, allant de l'insulte aux violences psychologiques, physiques ou sexuelles. Il est important de ne pas centrer seulement l'interrogation sur des violences sexistes et sexuelles, en raison de la dimension de continuum des violences. Cela nous permet de mettre en évidence le cumul des violences et les différences entre les hommes et les femmes.
Ensuite, on interrogeait sur les faits survenus avant les douze derniers mois, dont les violences dans le cadre des études, mais elles étaient mélangées avec les autres sphères de vie. Pourquoi ce choix méthodologique ? On ne peut pas poser des questions sur tous les moments de la vie, mais plus le temps passe et plus les personnes minimisent certains faits qu'elles ont pu subir ; il y a un problème de remémoration. Il n'est pas possible d'avoir une vision assez fine des violences survenues dans le cadre des études : certaines personnes interrogées avaient fait leurs études longtemps auparavant, l'enquête étant destinée à un public âgé de 20 à 69 ans.
L'interrogation des violences répond à certains principes méthodologiques dans le champ d'études des violences, qui étaient déjà validés par l'Enveff. À aucun moment, le mot « violence » n'apparaît : ni dans la présentation de l'enquête, présentée comme une enquête sur les conditions de vie, la santé et la sécurité des personnes ou des étudiants, ni dans la formulation des questions. Nous n'avons pas utilisé de mots génériques tels qu'« agression » ni de qualifications précises comme « harcèlement sexuel » ou « viol ». Aucun terme juridique n'est employé car les catégories peuvent être floues pour les personnes : nous mesurons les violences par la survenue de faits. Cela permet de s'assurer que le recueil des violences répond aux mêmes définitions pour tous les répondants.
Enfin, pour un meilleur recueil des données, les faits sont contextualisés selon les sphères de vie considérées. On rappelait ainsi régulièrement par exemple que l'on était en train de parler des violences survenues dans le cadre des études. Une dissociation était faite entre l'énoncé des faits de violence et l'interrogation sur les modes de vie et les caractéristiques sociodémographiques ; cela intervenait à deux moments complètement différents dans le questionnaire.
L'enquête Virage montre des différences selon les dispositifs de collecte.
D'abord, le taux de prévalence est différent selon qu'on est en population générale ou dans le cadre de l'enquête Virage-universités. Dans l'enquête Virage principale, 16 % des femmes et 15 % des hommes qui ont répondu au module sur les violences dans les études, ont déclaré au moins un fait de violence au cours des douze derniers mois. Dans le volet Virage-universités, les taux sont bien plus élevés : ils vont de 26 % à 34 % pour les femmes et de 18 % à 28 % pour les hommes.
La nature des faits déclarés est relativement proche ; aucune différence ne saute aux yeux. Les faits les plus souvent rapportés pour les femmes vont être les propos et attitudes à caractère sexuel, suivis des propositions sexuelles insistantes et de l'appropriation abusive du travail. Pour les hommes, ce sont principalement des moqueries, des insultes et également l'appropriation abusive du travail.
Mais si les déclarations permettent d'avoir une bonne connaissance des violences subies, elles ne mettent pas en évidence les cumuls de faits. Or, pour la recherche, cette dimension est centrale car elle permet de mettre en évidence le continuum des violences. L'enquête sur les universités montre bien ce cumul de faits de violences, car la moitié des étudiantes et la moitié des étudiants qui ont déclaré au moins un fait en déclarent en réalité plusieurs : les faits se cumulent souvent. Pour en rendre compte, nous nous sommes appuyés sur une méthode de classification hiérarchique qui regroupe les individus dont les profils de déclaration sont similaires.
Grâce à cette méthode, nous avons dégagé six situations de violence. Des violences psychologiques pas ou peu graves ; des violences physiques pas ou peu graves ; des violences physiques et/ou psychologiques très graves ; puis trois catégories liées aux violences sexuelles assez distinctes les unes des autres. Il y avait des groupes d'individus qui se départageaient assez distinctement : les agressions sexuelles sans contact ; les agressions sexuelles avec contact ; et les agressions sexuelles avec contact et pénétration.
En rassemblant près de la moitié des étudiantes et des étudiants au cours des douze derniers mois, les principales situations de violence déclarées dans les universités sont les violences psychologiques pas ou peu graves.
La deuxième situation de violence regroupe les personnes ayant subi des violences sexuelles sans contact, avec des déclarations moins fréquentes dans le volet universités qu'en population générale.
Par contre, la situation de violence sexuelle avec contact sans pénétration est bien plus fréquente dans le volet universités qu'en population générale, et en particulier pour les femmes. Elles sont deux fois plus nombreuses dans ce volet internet à déclarer ce type de violences. Ce décalage entre les deux taux de prévalence révèle que les femmes du volet universités ont souvent répondu au questionnaire pour dénoncer les agressions sexuelles qu'elles ont subies. L'analyse des auteurs de violences - essentiellement d'autres étudiants, mais aussi des personnes inconnues - et des lieux de survenue des violences - dans l'enceinte de l'université, mais aussi dans les espaces environnants - suggère que les violences dans le cadre des études répondent à des dynamiques à la fois proches du travail et de l'espace public.
Enfin, l'enquête montre que les violences ont un impact sur les parcours universitaires : redoublement, arrêt des études, changement de filière... Elle révèle également que les personnes mobilisent très peu les services de l'université pour dénoncer les violences qu'elles peuvent y subir.
En conclusion, les différences de résultats entre les deux volets de l'enquête montrent bien que les enquêtes faites sur internet sont des espaces de dénonciation des violences : l'importance des déclarations des faits de violence dans le volet universités de l'enquête est liée au caractère volontaire du remplissage du questionnaire. Les étudiants et étudiantes touchés par les violences ont probablement plus souvent rempli le questionnaire en entier et ont peut-être pris connaissance du contenu du questionnaire par le biais de camarades ou via les réseaux sociaux, les incitant à témoigner de leur expérience de violence dans le cadre universitaire.
À l'opposé, d'autres étudiants et étudiantes ont pu juger ne pas être concernés par les violences et ne pas remplir le questionnaire, d'autant que ce dernier était relativement long. En dépit d'une annonce d'une enquête ne portant pas spécifiquement sur les violences, on voit déjà des différences de déclaration. Malgré ces différences et le bémol qu'on peut apporter - la précaution que l'on doit avoir vis-à-vis des enquêtes sur internet -, ces enquêtes sont un moyen d'avoir une bonne connaissance, non pas de la prévalence en tant que telle, mais plutôt de tout ce qui est à l'oeuvre lorsque les personnes subissent des violences dans le cadre de leurs études.
Mme Rhita-Maria Ouazzani, astronome-adjointe au Laboratoire d'instrumentation et de recherche en astrophysique de l'Observatoire de Paris, membre de la cellule d'écoute et de veille de PSL, coordinatrice de la commission Femmes et astronomie de la Société française d'astronomie et d'astrophysique. - Je vous remercie vivement de m'accueillir aujourd'hui ; c'est un honneur de m'exprimer sur un sujet qui me tient particulièrement à coeur.
Je ne suis pas spécialiste des VSS au sens académique du terme. Je prends la parole ici non pas comme une experte en sciences sociales, mais comme une praticienne du monde de la recherche, témoin des réalités du terrain, et membre de la cellule d'écoute et de veille de l'université Paris Sciences & Lettres (PSL). Je remercie Sarah Asset, qui m'accompagne aujourd'hui et qui joue un rôle essentiel dans ce dispositif.
Permettez-moi de commencer par évoquer brièvement mon parcours. J'ai grandi dans un environnement familial encourageant, où la curiosité scientifique était valorisée indépendamment du genre. Mais très tôt, dans le cadre scolaire puis universitaire, j'ai ressenti ce que signifie être en minorité dans des espaces historiquement masculins. À la fin de mon cursus universitaire en master de physique fondamentale, nous n'étions plus que cinq femmes dans une promotion de cinquante. Ce sentiment d'isolement s'est renforcé au fil des années avant que je mette des mots sur ce que je vivais. À l'époque, à la fin des années 2000, le sujet des VSS était largement absent du débat public. Comme beaucoup de femmes, j'avais intégré des stratégies d'évitement, des réflexes d'adaptation. J'étais convaincue que c'était la norme et que le milieu scientifique ne faisait pas exception.
C'est lors d'un post-doctorat au Danemark que j'ai pris pleinement conscience de l'ampleur du problème. Dans un département de physique où 95 % des postes académiques étaient occupés par des hommes, la culture de convivialité, sous couvert de team building, favorisait en réalité l'exclusion et les comportements sexistes, voire abusifs. Cette expérience a été un tournant, elle a fait naître en moi une volonté d'agir. Depuis mon retour en France en 2018 et ma prise de poste comme astronome-adjointe, je me suis engagée sur plusieurs fronts : mentorat Femmes & Sciences, promotion des femmes scientifiques, valorisation des travaux en sciences sociales sur le genre, collecte des données sur les parcours des femmes dans la recherche.
Au fil du temps, un constat s'est imposé : l'un des principaux freins à l'égalité reste la prévalence des VSS. Au travers de mon parcours et de mon engagement dans la cellule d'écoute, j'ai croisé de nombreux parcours entravés, voire brisés.
Une jeune femme brillante a renoncé à faire sa thèse dans un laboratoire reconnu, car elle y subissait un climat sexiste et des remarques répétées et déplacées. Une autre, docteure, a préféré tourner le dos au soutien d'un encadrant influent, connu pour son comportement abusif, afin de ne plus lui être redevable. Elle en paie encore le prix aujourd'hui, dix ans après sa soutenance de thèse, enchaînant les contrats précaires.
J'ai accompagné une étudiante qui, après avoir refusé les avances d'un enseignant, a changé d'université pour pouvoir poursuivre ses études. Une autre a été agressée sexuellement par un professeur lors d'un repas festif institutionnel. L'administration l'a mise en face de son agresseur et l'a sommée de se réconcilier avec lui. Une dernière, enfin, n'a plus pu remettre les pieds dans un cours obligatoire, à la suite de propos sexistes tenus par l'enseignant : elle faisait des crises de panique à l'idée d'y retourner.
Et puis il y a celles dont je ne pourrai jamais raconter l'histoire parce qu'elles ont quitté l'université trop tôt et que je ne les ai pas rencontrées. Ces témoignages ne sont pas des anomalies, ce sont des symptômes d'un système trop souvent défaillant. Tant que les VSS resteront ignorées ou minimisées, l'égalité dans la recherche restera un mirage.
Maintenant que le constat est dressé, que pouvons-nous faire ? Avant de débattre éventuellement des pistes concrètes, il me semble essentiel de nommer les trois freins majeurs que j'identifie à une lutte efficace contre les VSS dans l'enseignement supérieur et la recherche.
Le premier frein, évidemment, c'est le manque de moyens. Ce mal structurel frappe toutes les universités et les services « égalité » ne font pas exception. Les cellules d'écoute sont souvent portées à bout de bras, sans financement pérenne, avec des équipes réduites, parfois même bénévoles.
Le deuxième frein, c'est l'absence de volonté politique. Tant que les présidences d'universités ne s'engagent pas clairement, rien ne bouge. À l'inverse, là où des vice-présidences à l'égalité sont en place - par exemple Isabelle Kraus à l'université de Strasbourg, Isabelle Régner à l'université d'Aix-Marseille, mais encore à l'université de Nancy ou à Rennes - les dispositifs fonctionnent, les avancées sont réelles.
Le troisième frein, c'est un déficit profond de culture des sciences sociales, notamment dans les filières scientifiques. Il en résulte une méfiance vis-à-vis des enquêtes de terrain, une mauvaise compréhension des méthodologies et parfois un rejet pur et simple des outils de diagnostic. Des ressources existent. Le ministère diffuse des formations, des guides, des enquêtes types. Mais sur le terrain, les cellules d'écoute fonctionnent avec des moyens dérisoires. Dans mon établissement, nous fonctionnons avec un demi-poste pour tout piloter : on gère l'urgence, on écoute, mais on ne construit rien sur le long terme ; on ne peut pas faire de prévention.
Nous devons cesser de séparer les politiques d'égalité et les politiques de lutte contre les VSS. Il ne suffit pas d'encourager les jeunes femmes à faire des sciences ; il faut qu'elles puissent y rester et y évoluer en sécurité. Nous ne pouvons pas, en conscience, les envoyer dans un système qui ne les protège pas. Ne rien faire, c'est devenir complice.
M. Jérôme Courduriès, professeur des universités en anthropologie, chargé de mission « Égalité de genre et de lutte contre les VSS » à l'université Toulouse-Jean Jaurès. - Merci de votre invitation.
D'après le rapport de l'Observatoire des violences sexuelles et sexistes de l'enseignement supérieur, publié l'an dernier à propos de l'étude sur les VSS et les discriminations en milieu doctoral en France, près de 52 % des doctorantes et doctorants estiment que le doctorat est une période particulièrement propice aux VSS, constat plus fréquemment observé chez les femmes et encore davantage chez les personnes non binaires.
Près d'un quart des doctorantes et doctorants qui se rendent dans leur laboratoire plus d'une fois par an déclarent y avoir subi ou été témoin d'au moins une forme de violence, de harcèlement ou de discrimination passible de sanctions légales. Les faits relèvent surtout d'agissements sexistes ou d'outrages sexistes, mais aussi de faits discriminatoires et de harcèlement sexuel, d'agressions sexuelles ou de viols.
Les congrès et colloques sont également des lieux professionnels à risque, puisque 7 % des doctorantes et 9 % des personnes non binaires déclarent y avoir subi des atteintes ou agressions de nature sexuelle. Dans 90 % des cas, les auteurs de ces violences sont des hommes, très souvent des titulaires ou des chercheurs ou enseignants-chercheurs émérites.
Des travaux montrent que ces VSS sont des facteurs de renoncement ou de distanciation du milieu professionnel, comme l'abandon de thèse. Tous les domaines scientifiques sont concernés, mais ces faits paraissent encore davantage prégnants dans les sciences du vivant et de l'environnement, les sciences de l'ingénieur et techniques. On ne peut que remarquer que, dans ces mêmes domaines, les femmes sont moins nombreuses à tous les échelons, surtout au grade de professeur et assimilé, et donc particulièrement dans l'encadrement de thèse.
Les VSS déclarées par les femmes et personnes non binaires qui en ont été victimes vont des blagues sexistes, remarques ou questions obscènes, sexualisantes ou dégradantes, jusqu'aux agressions sexuelles et viols, en passant par les discriminations et les insultes sexistes ou liées à l'orientation sexuelle supposée et le harcèlement sexuel.
Les VSS s'observent dans toutes les sphères de la vie sociale. L'enseignement supérieur et la recherche présentent toutefois un certain nombre de situations à risque.
Je soulignerai d'abord la relation entre doctorante, doctorant et directrice de thèse ou directeur de thèse, qui est très hiérarchisée. En même temps, elle est peu codifiée, paradoxalement, et prend souvent la forme d'une relation très interpersonnelle.
Ensuite, le statut de doctorante et doctorant est hybride. Quand ils bénéficient d'un financement, ils sont salariés, mais ont aussi un statut étudiant. L'avenir professionnel des doctorantes et doctorants est si incertain dans de nombreux domaines, et si dépendant de l'appréciation de leur encadrante ou encadrant et de leur responsable hiérarchique, qu'il peut leur être difficile de poser des limites si cela s'avère nécessaire. Enfin, les espaces de travail sont nombreux et divers et peuvent favoriser un brouillage des sphères privée et professionnelle dans les relations de travail et d'encadrement, particulièrement dans les temps de colloques ou de congrès.
Si tout cela est parfaitement inacceptable, rien n'est pour autant surprenant lorsqu'on conserve à l'esprit que, en dépit des progrès qui ont été indéniablement accomplis pour une plus grande égalité entre les femmes et les hommes, en France comme dans quelques autres pays, de profondes inégalités subsistent, notamment dans le domaine professionnel pour l'accès à des postes à responsabilité et l'évolution des carrières et des niveaux de rémunération.
Ces inégalités - les recherches conduites sur les femmes et dans les études de genre depuis les années 1970 l'ont inlassablement montré - sont entretenues par un système culturel qui continue, de façon relativement discrète ou beaucoup plus explicite, à valoriser le masculin au détriment du féminin, et à disqualifier, dans les domaines d'activité les plus valorisés, sur le plan économique ou symbolique, les femmes par rapport aux hommes.
Ce qui est en cause aussi, c'est tout particulièrement l'éducation des garçons. La socialisation masculine est plus généralement une représentation des identités de genre. Au lieu du modèle de masculinité conquérante et séductrice, il nous faudrait privilégier le modèle d'une masculinité plurielle. Au lieu d'identités de genre stéréotypées et hiérarchisées, il nous faudrait privilégier le respect d'identifications de genre diverses. Dans ce domaine, les libertés et les droits acquis par certaines ou certains ne retranchent rien aux droits et libertés des autres, bien au contraire.
Le monde professionnel scientifique n'est pas exempt de ces représentations. Je signale à ce sujet le travail tout à fait intéressant d'Emmanuelle Godeau, médecin et anthropologue, sur la coutume des carabins dans les études de médecine et les fresques sexuelles dans les salles de garde. C'est édifiant. Une révolution culturelle est nécessaire, elle est déjà en marche dans bien des secteurs, mais pour les personnes d'ores et déjà victimes le changement n'est pas suffisamment rapide. Les institutions de l'enseignement supérieur et de la recherche qui nous emploient ont une responsabilité particulière, ainsi que chacune et chacun de nous, enseignants-chercheurs, enseignantes-chercheuses, chercheurs et chercheuses.
Mon université, l'université Toulouse-Jean-Jaurès, s'est emparée de ces sujets depuis plusieurs années, comme d'autres évidemment. Le nouveau dispositif de signalement mis en place début janvier témoigne de la persistance toujours prégnante des VSS. Néanmoins, il me semble que ce dispositif et ceux de quelques autres établissements qui ont été signalés par notre collègue astronome permettent une prise en charge de ces situations plus satisfaisante que par le passé.
Il reste un autre travail à mener, plus difficile et plus long : modifier nos façons de faire, nos façons de voir et nos façons de dire. En d'autres mots, prévenir les situations de violences de genre et sexuelles.
Différentes voies d'amélioration ont été identifiées par les études, les scientifiques et une partie de nos instances. J'en ai énuméré quelques-unes. Bien sûr, la liste n'est pas exhaustive. D'abord, la facilitation du recrutement des femmes à des postes de maîtresses de conférences, de chargées de recherche, bien sûr, mais aussi et surtout de professeures et de directrices de recherche, postes auxquels elles ne sont pas encore assez nombreuses dans les sciences expérimentales, du vivant et techniques. Mon université, comme d'autres, particulièrement dans le domaine des humanités, des lettres et des sciences sociales, témoigne de progrès très significatifs depuis 2019 dans ce domaine. Alors, évidemment, il faut le mettre en rapport avec la part des étudiantes engagées dans ces filières. C'est un élément d'explication.
Ensuite, je voudrais souligner la fluidification impérative des carrières des femmes qui devraient accéder plus fréquemment, particulièrement dans ces mêmes sciences, aux délégations, aux congés pour recherche et conversion thématique, aux nominations par exemple à l'Institut universitaire de France. Il faut aussi donner un accès plus fréquent aux femmes à des postes à haut niveau de responsabilité. Si cela ne fait pas tout, le fait que mon université soit dirigée par une femme depuis de nombreuses années n'est sans doute pas pour rien dans la meilleure prise en compte des VSS que par le passé. Il faut aussi intégrer les risques liés aux violences de genre et sexuelles dans les formations à la recherche, en master et en doctorat.
Enfin, il faut mettre en oeuvre des formations obligatoires pour les enseignantes, enseignants, chercheurs et chercheuses qui encadrent des équipes de recherche, des doctorants, des doctorantes, des mastérants, des mastérantes.
Je souhaite partager avec vous une initiative conduite par un collectif de doctorantes, de chercheuses et d'enseignants-chercheurs et enseignantes-chercheuses dont je fais partie. Nous appartenons à différents établissements, l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS), le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Aix-Marseille Université, l'université de Besançon et l'université Toulouse-Jean Jaurès. Il y a près de huit mois, nous nous sommes réunis à Toulouse autour d'un quadruple constat.
Premier constat, de nombreuses mastérantes et doctorantes ont été victimes d'agissements sexistes, d'agressions sexuelles et de viols dans le cadre de leurs recherches de terrain en sciences sociales ou lors de chantiers de fouilles en archéologie. Ces expériences sont très souvent passées sous silence, au motif, en particulier, que faire du terrain en sciences sociales nécessiterait forcément de dépasser un certain nombre de difficultés, de se dépasser soi-même.
Deuxième constat, aucune formation aux méthodes d'enquête et à la recherche, ou si peu, n'intègre véritablement ce risque des violences de genre et sexuelles.
Troisième constat, peu de textes scientifiques épistémologiques et méthodologiques abordent cette dimension problématique de la recherche.
Enfin, quatrième constat, il n'existe, à notre connaissance, aucune obligation des directeurs et directrices de thèse et des encadrants et encadrantes de recherche de se former sur cette question.
Nous avons donc élaboré, ces derniers mois, un livret consacré aux VSS sur le terrain en sciences sociales et en archéologie. Il est à disposition sur le site internet de l'université de Toulouse-Jean Jaurès et sera prochainement mis à disposition des collègues doctorantes, doctorants, étudiantes et étudiants de nos disciplines. Je l'ai transmis à l'attention des rapporteures et de la présidente et de la vice-présidente de la délégation.
Mobilisant des exemples concrets et une description succincte des mécanismes sociaux à l'origine de ces violences, ce livret rassemble les ressources d'ores et déjà disponibles pour y faire face, même si elles sont souvent insuffisantes. Il s'adresse aux victimes, aux étudiants et étudiantes en formation, aux doctorants et doctorantes en début de carrière, aux collègues et aux encadrants et encadrantes, ainsi qu'aux enseignants et enseignantes. Il est le résultat du travail collectif de chercheurs et chercheuses titulaires et de doctorantes qui ont été largement à l'origine du constat.
Ce livret concerne les sciences sociales, mais il constitue un exemple de ce qu'il conviendrait de faire dans l'ensemble des domaines scientifiques, à savoir regarder les situations de VSS dans nos secteurs d'activité respectifs avec lucidité, imaginer des solutions pour les prévenir et y remédier, et réfléchir conjointement - j'insiste sur ce point - avec les doctorantes et jeunes chercheurs et chercheuses qui sont aujourd'hui les plus nombreuses et nombreux à être concernés et visés par ces violences de genre et sexuelles.
Mme Annick Billon, présidente. - Je vous remercie pour ces interventions très détaillées et complètes.
Mme Laurence Rossignol. - Merci de vos propos, qui sont intéressants, et rassurants : partout, on travaille sur les VSS et sur le lien entre les VSS et l'exclusion des filles de certaines professions.
Vous me répondrez peut-être en privé à cette question : comment expliquer qu'une enseignante, professeure des universités et habilitée à diriger des recherches, ait été suspendue de son poste pour avoir dénoncé un collègue qui aurait commis un viol sur une étudiante ? Il se passe donc de telles choses dans l'enseignement supérieur actuellement : les enseignants qui s'impliquent aux côtés des élèves victimes sont parfois eux-mêmes victimes de sanctions de la part de leur administration et de leurs collègues.
Mme Laure Darcos, rapporteure. - Merci de vos interventions. J'invite nos collègues qui viennent à nos auditions sur les VSS à assister également aux autres auditions préalables à notre rapport Femmes et sciences, thème formidable sur de nombreux autres points. Cela montre que des femmes se battent pour être plus nombreuses dans les sciences.
Les dispositifs que vous citez s'appliquent-ils aussi aux écoles privées ?
On a l'impression, sauf dans les interventions de Mme Ouazzani et M. Courduriès, que vos études ou vos dispositifs traitent surtout des VSS entre étudiants. Or, des directeurs de thèse ou de laboratoire ont une emprise sur les jeunes femmes. Il existe une sorte d'omerta. Comment de jeunes étudiantes peuvent-elles se prémunir face à de grands pontes ? Il est compliqué de les dénoncer...
Quand vous évoquez « les professionnels », est-ce que cela prend en compte les forces de l'ordre ? Je viens du plateau de Saclay. Nous travaillons avec la gendarmerie locale, au moment des rendez-vous festifs mais pas seulement, afin que les étudiantes puissent, avant même de porter plainte, avoir des instances de dialogue. Avez-vous trouvé cette écoute du côté des forces de l'ordre ?
Que pensez-vous des pensionnats non mixtes ? De nombreux interlocuteurs en ont parlé. Il est terrible de se dire que certains ou certaines demandent des lieux non mixtes. De nombreuses jeunes filles venant de province renoncent à faire une prépa scientifique, par peur de se retrouver dans des lieux mixtes. Elles demandent plus de places en pensionnats de jeunes filles. Je ne pensais pas entendre cela en 2025. Vous en a-t-on parlé lors de vos travaux ?
Mme Marie-Pierre Monier, rapporteure. - Notre mission est centrée sur les femmes et les sciences. Disposez-vous de données chiffrées permettant d'objectiver que les femmes engagées dans des carrières ou des études scientifiques risquent, davantage que leurs pairs, de subir des VSS ? Vous avez cité des chiffres globaux : on serait passé de 5 % à 16 % de VSS. Selon vous, peut-être existaient-elles avant, mais les personnes osent maintenant davantage parler. Par rapport aux femmes qui embrassent d'autres carrières, celles qui sont dans des carrières scientifiques en sont-elles plus victimes ?
Parmi les outils mis en place, vous avez beaucoup parlé des guides d'information et des campagnes de sensibilisation. Quels retours avez-vous ? Certains outils se heurtent-ils à des obstacles juridiques ? Sont-ils acceptés par les publics concernés ? Lors des campagnes de sensibilisation, par exemple, n'y a-t-il que des filles qui répondent, ou que celles qui sont concernées, ou les deux ?
Y a-t-il des partages de bonnes pratiques entre établissements ?
Les universités ont-elles les moyens humains et financiers suffisants pour mener à bien ces politiques ? Mme Ouazzani a répondu que ce n'était pas vraiment le cas...
Monsieur Courduriès, je partage votre point de vue : il ne s'agit pas seulement d'accompagner les femmes et les filles pour qu'elles osent parler. Il y a un important travail à faire dans la relation entre hommes et femmes, filles et garçons. Quelles sont les actions menées pour sensibiliser les garçons, notamment dans les filières scientifiques ? Nous faisons prendre conscience à tout le monde de nos droits. Des missions égalité entre les hommes et les femmes sont obligatoires depuis la loi du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche. Quels impacts concrets observez-vous depuis, notamment dans les filières scientifiques ?
Mme Marie Mercier. - Merci pour vos exposés. Vous avez évoqué un manque de moyens, mais dans quel sens : pour informer maintenant, en matière de prévention ? La prévention vient juste de la culture du respect de l'autre : pas besoin de moyens pour cela, il suffit d'éduquer au respect d'autrui.
L'enquête Virage date de 2015, il y a dix ans. Une nouvelle enquête est-elle prévue ? Avez-vous l'impression que les choses vont en s'accélérant ? Vous parlez du fameux chiffre noir : avant, personne ne disait rien. Le phénomène #MeToo n'a pas bousculé les universités. Vous citez les doctorantes : y a-t-il aussi des problèmes avec les doctorants ?
Mme Olivia Richard. - Merci pour ces prises de parole très instructives, et pour le livret que nous avons pu consulter.
Outre la difficulté de faire un signalement lorsque le rapport de force est très déséquilibré au cours des études et des recherches, l'entourage des équipes doctorales n'accueille pas forcément bien une femme qui revient couverte de bleus... La précarité de certains statuts dans l'enseignement supérieur conduit non pas à serrer les rangs autour des victimes, mais bien à faire taire celles qui pourraient mettre en péril des projets difficiles à mener à terme, notamment en raison du manque de moyens. Tout le monde de la recherche peut être précarisé. Quels sont les remèdes ?
Monsieur Courduriès, vous évoquiez la différence d'éducation et la nécessité de réinventer les rapports hommes-femmes. C'est valable dans tous les domaines, et pas seulement dans les sciences, même si le fait que ce domaine soit en grande majorité masculin déséquilibre encore plus les choses.
Je suis sénatrice des Français de l'étranger. Madame Ouazzani, vous avez cité le Danemark. Avez-vous des collaborations avec d'autres instituts qui pourraient inspirer la France ?
Mme Véronique Lestang-Préchac. - Merci pour ces nombreuses questions qui montrent tout l'intérêt que vous portez à ce sujet. Effectivement, le lien avec les sciences n'est pas spécifique.
Nous avons deux sortes d'écoles privées. Le cursus législatif et réglementaire n'est pas tout à fait le même. Les établissements d'enseignement supérieur privé d'intérêt général passent un contrat avec le ministère. Du fait de la loi, ils sont obligés, eux aussi, d'avoir un dispositif, mais pas sur les mêmes critères. Nous réfléchissons, notamment dans le cadre des discussions sur la proposition de loi de M. Levi relative à la lutte contre l'antisémitisme, le racisme, les discriminations, les violences et la haine dans l'enseignement supérieur, qui en est au stade de la commission mixte paritaire, à élargir les choses, dans le cadre du contrat.
Les VSS n'ont pas lieu qu'entre étudiants, mais ce sont ces situations qui nous remontent, lors d'événements festifs par exemple. Les enquêtes qui ont été citées, notamment, ont été faites sur le plateau de Saclay. De manière générale, de nombreux étudiants ne se sentent pas en sécurité durant ces événements. Nous travaillons donc sur ce sujet, mais il n'est pas exclusif. Ont été évoqués aussi les études de terrain et l'encadrement du doctorat. Une nouvelle coordinatrice sur le doctorat pour la Direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle (Dgesip) et la Direction générale de la recherche et de l'innovation (DGRI) travaille de façon plus globale sur la revalorisation du doctorat. Certains doctorants sont aussi concernés car les personnes non binaires et les personnes LGBT subissent, elles aussi, de nombreuses VSS.
Un binôme est formé entre le directeur ou la directrice de recherche et l'étudiant et l'étudiante. Désormais, le dispositif est beaucoup plus encadré avec les contrats doctoraux. Dans les laboratoires, le suivi de la thèse n'est plus fait qu'en binôme. Le changement est important, mais cela n'empêche pas certaines situations. Nous en avons parfaitement conscience, même si celles-ci ne nous remontent peut-être pas suffisamment. C'est un sujet pour les forces de l'ordre.
Mme Laure Darcos, rapporteure. - Ce genre de plaintes peut-il remonter jusqu'à l'inspection générale ?
Mme Véronique Lestang-Préchac. - Oui. Un président d'université peut enclencher une procédure après une enquête administrative, réunir une commission disciplinaire spécifique, demander le dépaysement si nécessaire.
Le guide du traitement des violences dans les établissements a été mis en place pour aider les présidents d'université, souvent un peu perdus ; ce ne sont pas des professionnels, ils doivent agir lorsqu'ils apprennent d'un seul coup qu'un de leurs collègues est soupçonné d'avoir eu des actions vis-à-vis d'un étudiant ou d'une autre collègue. Ce guide présente des logigrammes pour savoir quelles actions mettre en place en fonction de la situation, lesquelles peuvent aller jusqu'à la saisine de l'inspection générale pour réaliser des enquêtes administratives. Cela n'empêche pas les mesures conservatoires, absolument indispensables dans ce genre de situation, avec toute la difficulté de préserver la présomption d'innocence.
Les présidents d'université sont compétents en matière de maintien de l'ordre. Tous les fonctionnaires, dans l'exercice de leurs fonctions, sont tenus de dénoncer des faits délictueux à partir du moment où ils en ont connaissance, selon l'article 40 du code de procédure pénale. Certaines universités ont mis en place des conventions avec le parquet.
Mme Chloé Mour. - Et avec des associations.
Mme Véronique Lestang-Préchac. - S'agissant des pensionnats non mixtes, je n'ai pas d'information particulière. Je sais que la sécurité dans les résidences universitaires est un vrai sujet. Il est arrivé qu'une résidence reste fermée en raison de viols perpétrés par des personnes extérieures - il s'agissait alors de viols sur des garçons.
Dans les carrières scientifiques, il y a une prévalence d'hommes, mais le lien qui a été évoqué est difficile à objectiver faute d'éléments chiffrés.
Le guide que nous avons élaboré est récent, il n'a été publié qu'au mois de décembre dernier. Il est donc un peu tôt pour se faire une idée précise de son impact. Toutefois, nous avons mis en place dans les rectorats et nous formons des chargés de mission VSS : ils jouent un rôle d'accompagnement auprès des établissements pour la mise en place des procédures et pour les enquêtes administratives.
Mme Chloé Mour. - À ce jour, nous ne menons pas d'évaluation sur le taux de prévalence. Nous visons à améliorer la remontée des signalements et à avoir une meilleure mesure au niveau national. Je veux rappeler que, pour nous, l'augmentation des faits de VSS qui apparaît dans les statistiques est un bon signal : cela témoigne d'une prise de conscience et d'une meilleure confiance envers les dispositifs. A contrario, quand il n'y a pas de signalement, c'est plutôt un mauvais signal de ce point de vue.
Nous travaillons à mieux évaluer nos politiques et on peut déjà noter, malgré le peu de recul dont nous disposons, que les outils que nous avons mis en place, notamment les différents guides, permettent aux responsables des établissements de se saisir de ces sujets et de mettre en place des actions. Selon les établissements, il peut y avoir des résistances et, comme cela a été dit, la volonté politique est particulièrement déterminante. Le cadre national permet de professionnaliser et de renforcer les actions qui sont menées.
Mme Véronique Lestang-Préchac. - En ce qui concerne les moyens, je rappelle que le ministère dispose d'une enveloppe de 3,5 millions d'euros par an et que nous avons déployé dans les rectorats les chargés de mission VSS - ils sont trente-sept. Nous n'avons pas installé ces chargés de mission dans les établissements d'enseignement supérieur et de recherche, parce que nous voulons une politique publique uniforme sur l'ensemble du territoire et qu'elle couvre l'ensemble des établissements, quelle que soit leur taille, y compris les plus petits. Souvent, les gros établissements sont bien dotés et structurés, ce qui peut être différent dans des établissements plus petits.
Par ailleurs, le plan a été pérennisé et nous avons préservé les moyens.
En matière d'égalité femmes-hommes, nous animons un réseau dans les établissements et les échanges sont assez fructueux. Il y a aussi une journée nationale sur ce thème - elle aura lieu le 18 juin. Nous avançons progressivement en termes de formation et d'accompagnement, mais nous ne pouvons pas faire à la place des établissements. Les présidents d'université ont un rôle essentiel à jouer.
Mme Chloé Mour. - S'agissant des collaborations internationales, nous sommes impliqués dans un groupe de travail mis en place par la Commission européenne dans le cadre de l'espace européen de la recherche. Nous échangeons ainsi les bonnes pratiques et les expériences, y compris les résistances rencontrées ici ou là.
Cela a permis d'améliorer et de renforcer le cadre européen : par exemple, depuis 2021, les personnes qui candidatent au programme-cadre de recherche et d'innovation de l'Union européenne, Horizon Europe, ont l'obligation de disposer d'un plan d'action sur l'égalité - il reste un enjeu en termes de suivi de ces plans et d'application effective, mais c'est une avancée intéressante.
Le cadre européen nous permet aussi de penser les plans d'action de manière transversale, en articulant l'ensemble des sujets. Développer des politiques inclusives ne doit pas se faire en silos.
Mme Olivia Richard. - Avez-vous une idée des montants budgétaires consacrés à ces sujets par les autres États européens, en particulier ceux qui sont réputés actifs en la matière ?
Mme Chloé Mour. - Il existe un code de conduite européen sur la lutte contre les violences sexistes et sexuelles : trois pays sont souvent mis en avant dans ce cadre, dont la France qui est considérée comme un bon élève. Nous faisons en effet partie des pays qui ont développé une politique nationale en y consacrant un budget dédié, et ce budget est plutôt plus important que dans nombre d'autres pays.
Néanmoins, tout cela dépend du mode d'organisation de chaque pays : par exemple, les pays du nord de l'Europe qui mènent des politiques actives les mènent souvent au niveau des établissements, de manière décentralisée.
Mme Véronique Lestang-Préchac. - Il est effectivement difficile de comparer des modèles qui sont très différents.
J'ajoute que, dans le plan national d'action sur l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, nous avons inséré des mesures spécifiques sur les VSS.
Mme Annie Le Houerou. - Sur quelle mission budgétaire est inscrite l'enveloppe de 3,5 millions d'euros ?
Mme Véronique Lestang-Préchac. - Elle est répartie entre plusieurs programmes de la mission « Recherche et enseignement supérieur ».
Mme Amandine Lebugle. - Est-ce que les étudiantes en sciences déclarent plus souvent des violences que dans les autres filières ? Nous ne sommes pas en mesure de répondre, à l'heure actuelle, à cette question par manque d'enquête en population générale.
Par exemple, dans le cadre de l'enquête Virage, nous avons recensé 16 % de femmes et 15 % d'hommes qui ont déclaré des situations de violence, mais nous ne pouvons pas aller plus loin. Les enquêtes qui comptent un plus grand nombre de participants ne sont pas nécessairement représentatives de la population.
À ma connaissance, il n'est pas aujourd'hui prévu de suite à l'enquête Virage de 2015.
Mme Rhita-Maria Ouazzani. - En 2023, la Fondation L'Oréal a publié une enquête internationale réalisée par l'institut Ipsos : Harcèlement sexuel et sexisme au sein du monde scientifique. Elle pouvait évidemment comprendre des biais et ne représentait pas nécessairement la population générale des personnes en carrière scientifique, mais elle me semble avoir été bien menée : d'une part, ses auteurs proposaient d'identifier des situations particulières de violence, mais sans citer les mots qui les caractérisent pénalement ; d'autre part, ils demandaient parallèlement aux répondants s'ils avaient été victimes de sexisme ou de harcèlement sexuel.
L'étude portait sur 5 184 chercheurs et chercheuses venant de cent dix-sept pays, de plus de cinquante institutions, employés en contrat court ou permanent et allant d'étudiants à des retraités - les répondants avaient entre 18 et 70 ans. Dans cette étude, 84 % des femmes interrogées ont rapporté une expérience personnelle de sexisme pendant leur carrière, un chiffre stable selon les continents et les domaines de recherche. Autour de 50 % des femmes interrogées rapportaient avoir été victimes de harcèlement sexuel.
Les situations de sexisme étaient très bien identifiées par les répondants, tandis que les situations de harcèlement sexuel ne l'étaient pas.
S'agissant des internats et pensionnats, il faut noter qu'au sein de PSL il y a l'École normale supérieure (ENS) et qu'à l'ENS les internats sont mixtes - les étudiants ont voté pour cela.
Des moyens sont effectivement alloués au niveau national à la question des VSS, mais il en manque au niveau des établissements. Plus que de la taille de l'établissement, l'attribution de moyens dépend de la volonté politique des présidents.
Mme Olivia Richard. - Ce sont souvent des hommes d'ailleurs !
Mme Rhita-Maria Ouazzani. - Oui, mais ce n'est pas le cas dans mon établissement, l'Observatoire de Paris, où Fabienne Casoli est présidente.
Comme cela a été dit, la phase du doctorat est importante. Or, il est possible, si la volonté est là, de faire des choses : par exemple, on peut imposer aux personnes qui se présentent à l'habilitation à diriger des recherches d'avoir été formées aux questions de violences sexistes et sexuelles. Nous avons mis cela en place à l'Observatoire de Paris.
Je veux revenir rapidement sur les comparaisons internationales. J'ai passé trois ans au Danemark. Les pays du nord de l'Europe ne font pas nécessairement mieux que nous, parce que, si la société connaît en général moins de violences sexuelles et sexistes, les universités sont des lieux de pouvoir beaucoup plus hiérarchisés que dans le sud de l'Europe : les mandarins sont nommés à vie, la collégialité est faible, etc.
M. Jérôme Courduriès. - Mme Rossignol a fait allusion au cas d'une professeure qui avait dénoncé des agressions sexuelles et qui a été suspendue. Je ne parlerai pas de ce cas particulier, mais cela pose la question des témoins de telles agressions. De plus en plus de victimes dénoncent les violences dont elles font l'objet, mais très souvent des témoins se taisent, en particulier lorsque les auteurs des violences sont des pairs.
Selon mon expérience, il est effectivement assez difficile pour des collègues, notamment par corporatisme, de dénoncer des faits dont ils ont été témoins. Or, un certain nombre de cas leur donnent raison, puisque des personnes ayant dénoncé des faits de VSS ont été poursuivies en justice pour diffamation. Ce n'est pas spécifique au monde de l'enseignement et de la recherche et c'est assez fréquent pour les VSS. Nous devons donc trouver les moyens d'encourager les témoins à saisir les dispositifs de signalement.
S'agissant de « l'emprise » - Mme Darcos a utilisé ce terme - des directeurs de thèse ou de laboratoire ou de la difficulté à prendre en charge certaines situations, je crois que nous devons répondre par la formation. J'ai d'ailleurs noté avec intérêt l'expérience de l'Observatoire de Paris relatée par Rhita-Maria Ouazzani : je trouve formidable d'obliger les collègues désirant être habilités à diriger des recherches à suivre une formation sur les VSS, mais j'ai bien peur que cette décision soit une exception... J'ai fait partie d'un laboratoire dont l'assemblée générale a voté la modification du règlement intérieur pour obliger les collègues qui encadrent des thèses et des recherches collectives à suivre ce genre de formation, mais je peux vous dire que la question n'est pas complètement réglée.
Dans notre monde professionnel, où les études sont très longues, beaucoup de collègues considèrent qu'ils n'ont plus grand-chose à apprendre... Et, quand il s'agit de se former à d'autres outils ou notions que ceux qui sont directement indispensables aux activités propres de recherche, il est difficile de convaincre de prendre ce temps.
Lorsque j'ai intégré la cellule d'écoute de mon établissement il y a déjà plusieurs années, on m'a proposé une formation à l'écoute active dans le domaine des VSS. Je vous avoue que, sur le moment, j'ai soupiré, en me demandant si j'avais vraiment besoin d'être formé, alors qu'une partie de mon activité scientifique consiste à convaincre les gens de me raconter leurs histoires, particulièrement leur intimité. Je me demandais ce que j'avais bien à apprendre dans ce domaine. J'ai quand même suivi la formation et cela m'a tellement apporté que je vais la suivre de nouveau cette année !
Nous sommes dans un domaine professionnel où il est compliqué de convaincre les collègues de l'importance de se former de manière continue à un certain nombre de choses, dont les VSS. Nous devons donc réfléchir collectivement à rendre ces actions de sensibilisation et de formation obligatoires afin que les collègues fassent évoluer leurs pratiques. Il y a encore trop peu de formations doctorales qui rendent obligatoires des modules de formation dans le domaine des VSS.
Certains établissements veulent intégrer ces questions à la formation initiale en licence ou en master, mais là aussi il est difficile de convaincre de l'intérêt d'intégrer de tels modules, qui ne sont pas directement en lien avec le domaine étudié.
Mme Monier s'est interrogée sur la place des garçons dans tout cela. Une manière de répondre à cette question passe également par la formation. Il faut former tant les doctorantes et les étudiantes que leurs collègues masculins aux signaux d'alerte, aux situations à risque, etc.
Enfin, concernant les moyens, je rejoins les propos de Rhita-Maria Ouazzani : les moyens alloués à la prévention et à la lutte contre les VSS ou à l'égalité entre les femmes et les hommes sont étroitement dépendants de la bonne volonté des présidents. Tout dépend donc beaucoup de la gouvernance et cela peut changer dans le temps. Nonobstant l'autonomie des universités, il nous faut réfléchir à des règles pour obliger les établissements à consacrer un certain niveau de moyens à la prise en charge de ces questions. Par exemple, dans mon établissement, les personnes qui étaient en charge des écoutes dans le domaine des VSS le faisaient à titre bénévole il y a encore quatre ou cinq ans, ce qui n'est plus le cas maintenant.
Mme Annick Billon, présidente. - Mesdames, monsieur, je vous remercie pour ce tableau précis. Je suis certaine que nos rapporteures tireront profit de cette table ronde pour faire avancer leurs travaux, même si la conclusion de M. Courduriès est assez inquiétante : la lutte contre les violences sexuelles et sexistes se fait à géométrie variable en fonction des établissements et de l'engagement de tel ou tel président.
La réunion est close à 16 h 25.