- Mardi 27 mai 2025
- Action de sécurité pour l'Europe - Communication
- Questions diverses
- Désignation de rapporteurs
- L'aide alimentaire et le Fonds social européen + (FSE+) dans la perspective du prochain cadre financier pluriannuel - Audition de MM. Jean-Benoît Dujol, directeur général de la cohésion sociale (DGCS), Patrice Douret, président des Restos du Coeur, Louis Cantuel, responsable du pôle institutionnel et stratégique des Restos du Coeur, Mme Barbara Mauvilain, responsable du pôle des relations institutionnelles de la Fédération française des banques alimentaires, M. Philippe Da Costa, président de la Croix-Rouge française, Mmes Charlotte Guiffard, directrice de l'inclusion de la Croix-Rouge française, Joëlle Bottalico, secrétaire générale adjointe du Secours populaire français, et Mathilde Courcy, responsable du service « financements et dotations publiques » du Secours populaire français
- Mercredi 28 mai 2025
Mardi 27 mai 2025
- Présidence de M. Jean-François Rapin, président -
La réunion est ouverte à 14 heures.
Action de sécurité pour l'Europe - Communication
M. Jean-François Rapin, président. - Nous sommes aujourd'hui réunis pour entendre la communication de François Bonneau, Dominique de Legge et Gisèle Jourda sur la proposition Security Action For Europe (Safe). Il faut souligner la rapidité avec laquelle ce texte a été examiné au sein du Conseil, le Parlement européen ayant été exclu de la discussion au nom de l'urgence - procédure que celui-ci entend bien contester.
Cette proposition de règlement a ainsi fait l'objet d'un accord au Comité des représentants permanents la semaine dernière et doit être adoptée aujourd'hui même par le Conseil.
Il est important de connaître précisément les éléments ayant fait l'objet de cet accord, qui peuvent avoir une incidence sur le résultat des négociations sur le programme européen pour l'industrie de la défense (Edip).
M. François Bonneau, rapporteur. - Aujourd'hui même doit en effet être adoptée en Conseil Affaires générales la proposition de règlement établissant l'instrument « Agir pour la sécurité de l'Europe par le renforcement de l'industrie européenne de la défense », plus connue sous son acronyme Safe. Ce nouvel instrument vise à fournir 150 milliards d'euros de prêts aux États membres pour des acquisitions communes en matière de défense.
Cette proposition de règlement a été présentée par la Commission européenne début avril et une procédure d'urgence a été enclenchée pour assurer une adoption rapide du texte, en excluant, cela a été dit, le Parlement européen du processus.
Safe fait partie d'un plan plus global, le plan ReArm EU, présenté en mars dernier par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Au total, ReArm EU doit permettre de mobiliser 800 milliards d'euros pour renforcer les dépenses de défense à l'échelle de l'Union européenne, en activant des flexibilités et en recourant à divers mécanismes financiers.
Cette avalanche annoncée de financements peut-elle renforcer à court terme les capacités de défense de l'Europe ? En quoi ce plan peut-il aider à décloisonner enfin les politiques nationales d'armement ? En somme, cette Europe de la dépense peut-elle conduire à l'Europe de la défense ?
Après avoir rappelé les principales dispositions de ReArm EU, nous vous détaillerons le contenu de la proposition Safe, avant de tracer des perspectives sur les autres initiatives en matière de défense, tout particulièrement s'agissant du programme européen pour l'industrie de la défense (Edip).
Mes chers collègues, comme vous le savez, le contexte sécuritaire s'est fortement dégradé en Ukraine depuis le début de l'année, avec une intensification de l'économie de guerre russe et, surtout, une incertitude croissante s'agissant du soutien des États-Unis. C'est dans ce contexte que la Commission européenne a proposé le 6 mars dernier le plan ReArm EU, composé de cinq piliers.
Le premier de ces piliers est une autorisation à s'endetter davantage s'il s'agit de dépenses de défense. La Commission européenne appelle les États membres à activer de façon coordonnée la clause dérogatoire nationale du pacte de stabilité et de croissance. Cette clause permet à un État membre de s'écarter de sa trajectoire budgétaire en cas de circonstances exceptionnelles qui échappent au contrôle de l'État membre et qui ont une incidence majeure sur ses finances publiques. Début mars, la Commission européenne a annoncé que la guerre en Ukraine et la menace qu'elle représente pour la sécurité européenne constituaient de telles circonstances exceptionnelles. La clause couvre une période de quatre ans et permet d'augmenter les dépenses de défense jusqu'à 1,5 % du PIB. La Commission européenne estime que cette flexibilisation pourrait permettre de dégager 650 milliards d'euros d'ici à 2028.
Encore faut-il préciser que ce montant de 650 milliards d'euros est une estimation, reposant sur l'hypothèse que tous les États membres activent la clause, et ce jusqu'au plafond autorisé, soit 1,5 % du PIB d'ici à la fin de la période de quatre ans d'activation de la clause dérogatoire nationale. À ce jour, 16 États membres sur 27 ont officiellement demandé l'activation de la clause dérogatoire, notamment l'Allemagne, pourtant autrefois gardienne de l'orthodoxie budgétaire. La France, quant à elle, a d'ores et déjà annoncé qu'elle n'y recourrait pas, ne voulant pas remettre en cause la trajectoire budgétaire qu'elle s'est fixée. Rien ne garantit donc que l'objectif de 650 milliards d'euros annoncé par la Commission européenne soit atteint du fait de l'activation de la clause dérogatoire nationale.
Un deuxième pilier du plan ReArm EU consiste en la possibilité de réorienter les fonds de cohésion vers les efforts de défense. Ces fonds souffrent d'une mauvaise consommation dans le cadre financier actuel et la Commission propose d'autoriser les États membres qui le souhaitent à utiliser les programmes de la politique de cohésion pour augmenter les dépenses en matière de défense. Plusieurs régions ont déjà fait part de leurs inquiétudes face à cette annonce ; elles regrettent que la politique de cohésion soit de plus en plus détournée de ses objectifs structurels d'origine, afin de répondre aux différentes crises conjoncturelles.
Nous l'avons évoqué lors de la table ronde avec Régions de France, la direction générale de la politique régionale et urbaine (DG Regio) et l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), mais le commissaire européen chargé du budget, de la lutte anti-fraude et de l'administration publique, Piotr Serafin, a bien réaffirmé devant notre commission jeudi dernier le souhait de la Commission européenne d'aller dans cette direction.
Deux autres piliers visent, pour l'un, à mobiliser davantage les capitaux privés en accélérant la mise en place de l'Union de l'épargne et des investissements, et, pour l'autre, à prévoir une participation accrue de la Banque européenne d'investissement (BEI) aux projets de défense. En mai 2024, la BEI a déjà annoncé un changement dans sa politique traditionnelle consistant à ne pas investir dans les produits militaires. Elle a en effet assoupli les restrictions sur les investissements à double usage. C'est une première évolution indispensable, mais il faut aller plus loin, comme le Conseil européen le réclame depuis plusieurs réunions. Il s'agit désormais d'étendre encore davantage le champ des projets éligibles dans le secteur de la défense et d'augmenter le volume de financements. Il est grand temps que la BEI accompagne réellement le renforcement indispensable de la base industrielle et technologique de défense européenne !
M. Dominique de Legge, rapporteur. - J'en viens maintenant à la proposition Safe, qui est le dernier pilier du plan ReArm EU et probablement le plus important. Il s'agit là d'un nouvel instrument financier permettant d'accorder 150 milliards d'euros aux États membres pour investir dans des domaines capacitaires stratégiques.
Un mot tout d'abord sur la base légale retenue pour le texte, qui a suscité et suscite encore des tensions entre le Conseil et le Parlement européen. La proposition de règlement repose sur l'article 122 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), qui permet de prendre des mesures d'urgence à l'égard des États membres, en excluant le Parlement européen du processus. En d'autres termes, seul le Conseil décide. Cet article a déjà été utilisé pour l'achat commun de vaccins lors de la crise du Covid-19 ou pour mettre en oeuvre des mesures d'urgence face à la crise énergétique. Le Parlement européen s'était déjà plaint à ces occasions du recours à cette procédure d'urgence. Cette fois-ci, Roberta Metsola, la présidente du Parlement européen, a menacé de déposer un recours devant la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) une fois le règlement Safe adopté, pour contester la procédure retenue. Le Parlement européen dispose de deux mois pour le faire. Ce règlement est donc au coeur d'une bataille interinstitutionnelle plus large.
La proposition Safe peut se résumer en une phrase : il s'agit de fournir des prêts aux États membres pour financer des acquisitions conjointes de produits européens de défense.
S'agissant des prêts tout d'abord, l'originalité du dispositif est que les emprunts sont contractés par la Commission européenne sur les marchés financiers. Cela permet d'offrir aux États membres des conditions de financement avantageuses, en tirant parti de la solidité du crédit de l'Union européenne. Pour de nombreux États membres, il est moins coûteux de se voir prêter par la Commission européenne des fonds qu'elle a levés sur le marché que de les lever eux-mêmes. De fait, Safe fournit des prêts à longue échéance, d'une durée maximale de 45 ans, avec un délai de grâce de 10 ans pour les remboursements du principal.
Néanmoins, soyons clairs, il s'agit non pas d'argent européen, mais bien de prêts nationaux qui devront à terme être remboursés. L'allocation de l'enveloppe de 150 milliards d'euros aux États membres sera fondée sur la demande ; il n'y aura pas de clé de répartition. Les États membres souhaitant recevoir des prêts devront soumettre à la Commission un plan d'investissement pour l'industrie européenne de défense.
Ces prêts doivent financer des achats conjoints. Il s'agit là d'un autre point capital, qui vise à renforcer l'interopérabilité des forces armées européennes et permettre des économies d'échelle.
Le principe est que deux États membres au moins doivent participer à ces acquisitions. Cela peut également inclure une association entre un État membre et l'Ukraine, ou un État membre et un pays de l'Espace économique européen. Ces acquisitions conjointes peuvent aussi inclure les pays en voie d'adhésion, les pays candidats et d'autres pays tiers avec lesquels l'Union a conclu un partenariat de sécurité et de défense. Ainsi, le Royaume-Uni, avec qui un accord de partenariat a été signé le 19 mai, pourrait participer à ces acquisitions conjointes ; nous y reviendrons, car c'était un élément clé des discussions en vue du Sommet UE-Royaume-Uni du 19 mai.
Enfin, ces prêts doivent financer des achats groupés de produits européens. Figure ainsi dans la proposition Safe une clause de préférence européenne. Vous le savez, c'est un sujet crucial, puisqu'aujourd'hui 80 % des investissements des États membres dans le domaine de la défense sont réalisés auprès de fournisseurs extérieurs à l'Union, dont 63 % viennent des États-Unis. Je rentre de l'Assemblée parlementaire de l'Otan où j'ai beaucoup entendu la remarque suivante : il n'est pas très cohérent de nous demander un effort de défense et d'augmenter dans le même temps les droits de douane.
Face à cet état de dépendance et pour stimuler la base industrielle et technologique de défense européenne, Safe impose une part minimale de 65 % de composants européens dans les produits achetés. C'est le minimum que nous avions nous-mêmes exigé dans notre proposition de résolution européenne sur Edip. Sont considérés comme européens les composants provenant des États membres, mais aussi d'Ukraine ou de Norvège.
Par ailleurs, pour les produits dits complexes, comme les chars, les conditions d'éligibilité sont plus strictes : il faut non seulement une part minimale de composants européens, mais il faut également que l'entreprise dispose de l'autorité de conception, c'est-à-dire de la capacité de pouvoir utiliser et modifier l'équipement comme elle le souhaite. Cette disposition doit permettre de s'assurer que des pays tiers ne puissent pas bloquer l'utilisation d'un produit, comme les États-Unis ont été par exemple accusés de le faire sur leur programme de chasseurs F35. On peut regretter que cette clause ne s'applique qu'aux produits dits complexes, mais il s'agit là d'un compromis, certains États membres s'étant opposés au principe même de cette clause. Safe étant un instrument d'urgence et étant constitué de financements nationaux, ces États considéraient que les règles d'éligibilité ne pouvaient pas être aussi sévères que pour Edip.
En définitive, quelles ont été les grandes évolutions entre le texte proposé par la Commission européenne et le texte final qui devrait être adopté aujourd'hui ? Le texte devrait être assez proche de la version initiale. Deux sujets majeurs ont occupé les discussions : les règles d'éligibilité et la participation de pays tiers.
S'agissant des conditions de la clause de préférence européenne, certains États membres, notamment l'Italie, ont souhaité des critères plus souples, compte tenu du lien historique et de l'imbrication de leurs industries avec des partenaires extérieurs à l'Union, particulièrement américains. À l'inverse, d'autres États membres étaient partisans de critères encore plus stricts, avec une part plus importante de matériels européens.
Les réalités du paysage industriel actuel, tout comme la volonté de certains États membres de conserver des liens avec des entreprises non européennes, ont conduit à conserver la règle des 65 % de composants européens. En revanche, des conditions temporaires ont été ajoutées s'agissant des sous-traitants pour prendre en compte les chaînes d'approvisionnement existantes, que les industries européennes ne peuvent changer du jour au lendemain.
La participation des États tiers au programme Safe a été l'autre sujet majeur des négociations. En parallèle des discussions a été signé le 19 mai un accord de partenariat avec le Royaume-Uni. Cet accord comprend un pacte de défense et de sécurité, condition pour la participation d'un État tiers à Safe.
Encore faut-il préciser deux éléments. D'une part, les prêts Safe ne sont accordés qu'aux États membres ; le Royaume-Uni ne pourra donc pas bénéficier des prêts, mais il pourra participer aux opérations d'acquisitions conjointes. D'autre part, l'accès des industriels britanniques au programme reste très encadré puisqu'un deuxième accord Union européenne-Royaume-Uni devra être préalablement passé pour que ces entreprises soient éligibles.
Au-delà de la question du Royaume-Uni, d'autres États tiers pourraient vouloir participer au programme, comme la Turquie. Au cours des négociations, Chypre et la Grèce se sont fortement opposées à cette possibilité.
L'accord final sur Safe devrait préciser que tout accord bilatéral pour la participation à Safe sera négocié par la Commission européenne et ensuite validé par le Conseil à l'unanimité, rassurant ainsi plusieurs États membres.
Mme Gisèle Jourda, rapporteure. - Nous l'avons dit, la proposition Safe a été discutée dans l'urgence, sans droit d'amendement du Parlement européen. L'urgence doit également s'appliquer s'agissant de la mise en oeuvre de cet instrument temporaire, soumis à des délais très courts. Ainsi, à compter de l'adoption du règlement, les États membres disposeront de deux mois pour postuler au programme et déclarer le montant de prêts qu'ils souhaitent solliciter auprès de la Commission européenne. Ensuite, la Commission informera les États membres intéressés de la répartition provisoire des montants de prêts. Dans un troisième temps, dans un délai de six mois, les États membres devant présenter leur plan d'investissement pour l'industrie européenne de la défense.
En bref, si ce calendrier est respecté, les demandes définitives des États membres devraient être présentées en novembre 2025 et les premiers financements pourraient être débloqués en fin d'année 2025.
Cette rapidité tranche avec la longueur des discussions sur un autre programme majeur pour l'industrie de défense, le programme Edip, qui avait été présenté par la Commission en mars 2024 et qui n'est toujours pas adopté.
Dans les dernières semaines, la priorité a été donnée à un accord sur Safe, ce qui a gelé au Conseil toutes les discussions sur Edip. Le Parlement européen est en revanche parvenu à un accord sur Edip le 24 avril dernier. L'objectif est donc désormais de faire avancer ce programme et d'aboutir à un accord lors des trilogues. Andrius Kubilius, commissaire européen à la défense, a appelé à un compromis sur Edip d'ici à fin juin. En réalité, il paraît très ambitieux d'obtenir un accord au Conseil puis une conclusion des trilogues dans un délai si restreint.
Où en sont donc les discussions sur Edip et quelles sont les positions respectives ?
Comme vous le savez, le programme Edip vise à développer, au-delà des mesures d'urgence, une approche structurelle en faveur du renforcement de l'industrie de défense européenne. Ce programme concerne un ensemble d'outils, notamment des soutiens à la production et aux commandes conjointes - avec au minimum trois États concernés. Il disposerait d'une enveloppe de 1,5 milliard d'euros pour une période allant jusqu'au 31 décembre 2027. À la différence de Safe, il s'agit là d'une enveloppe financée à partir du budget européen, et non à partir d'emprunts nationaux.
On retrouve sur Edip les mêmes sujets de discussion que sur Safe : jusqu'où doit aller la clause de préférence européenne ?
Au Conseil, un groupe d'États membres, rassemblés autour de la Pologne, des Pays-Bas et de la Suède, est favorable à des critères d'éligibilité très ouverts, permettant le recours à une large sous-traitance non européenne et le financement de chaînes de production sous contrôle de pays tiers.
La vision promue par la France sur la préférence européenne, que nous avons défendue avec force dans la résolution européenne du Sénat sur Edip, peine ainsi à s'imposer dans les négociations : seul un groupe restreint d'États membres, notamment Chypre et la Grèce, souhaite des critères stricts pour l'éligibilité des entreprises et le contrôle des produits achetés, conformes à ceux du Fonds européen de la défense. Puisqu'il s'agit de subventions européennes, et non de financements nationaux, il serait logique d'attendre des règles d'éligibilité plus strictes encore que celles qui sont requises pour Safe.
Dans la résolution européenne sur Edip que le Sénat a adoptée fin décembre 2024, nous avons indiqué que l'ambition devait être la plus élevée possible, en retenant un taux de composants originaires de l'Union européenne ou de pays associés qui ne saurait être inférieur à celui de 65 % qui est retenu dans le règlement relatif à la mise en place d'un instrument visant à renforcer l'industrie européenne de la défense au moyen d'acquisitions conjointes, dit Edirpa. Selon nous, il fallait, si possible, tendre vers un taux minimal de 80 %.
Le texte adopté par le Parlement européen le 24 avril dernier, dont François-Xavier Bellamy et Raphaël Glucksmann sont rapporteurs, est plus ferme que la proposition de la Commission européenne. Le Parlement européen souhaite qu'Edip ne finance que les produits dont au moins 70 % de la valeur estimée du produit final correspond à des composants issus de l'Union ou de pays associés. De plus, les projets européens de défense d'intérêt commun ne seraient éligibles aux financements que s'ils associent au minimum six États membres ou au moins quatre exposés à un risque élevé de menace militaire conventionnelle. L'Ukraine devrait pouvoir y participer.
Le Parlement européen a également introduit dans le texte la notion d'autorité de conception (Design Authority). Les fonds d'Edip doivent être réservés au soutien de produits de défense dont l'autorité de conception est installée dans l'Union européenne. Une définition précise est donnée de cette notion : l'autorité de conception s'entend comme « l'entité qui a l'autorité légale et la capacité de décider - sans restriction de la part des pays non associés ou des entités de pays non associés - de la définition, de l'adaptation et de l'évolution de la conception du produit, sur la base de la propriété nécessaire des droits de propriété intellectuelle et de la maîtrise des technologies ».
Par ailleurs, le Parlement européen propose une hausse du budget d'Edip. Dans la résolution européenne que nous avions adoptée, nous avions alerté sur l'insuffisance du montant dévolu au financement du programme jusqu'à fin 2027. Le texte du Parlement européen propose de passer de 1,5 milliard d'euros à 21,5 milliards d'euros : 1,5 milliard d'euros proviendrait du budget de l'Union et 20 milliards d'euros supplémentaires seraient issus de contributions des États membres. Le Parlement européen propose d'utiliser une partie des prêts Safe pour financer ces 20 milliards d'euros. Les modalités pratiques restent à trouver, sachant que les différences de conditions d'éligibilité entre les deux programmes pourraient compliquer ce transfert.
Il faut également noter que le Parlement européen soutient dans Edip la création d'un instrument de soutien à l'Ukraine (USI) pour assurer la modernisation et l'intégration de l'industrie de défense ukrainienne dans la base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE). Ce financement européen permettrait d'augmenter les investissements directs dans l'industrie de défense ukrainienne et de faciliter les partenariats entre les acteurs européens et ukrainiens de la défense. Le Parlement propose d'affecter 5 milliards d'euros à cet instrument, à partir des 20 milliards d'euros supplémentaires des contributions des États membres.
Les négociations doivent donc désormais s'engager avec le Conseil dès que celui-ci aura adopté sa position. Nous le savons, l'argent est le nerf de la guerre. À ce titre, la proposition de la Commission européenne sur le cadre financier pluriannuel post-2027, qu'elle présentera mi-juillet, est très attendue. Nous attendons de voir quelle place sera accordée à la défense dans ce cadre financier pluriannuel. De premières pistes suggèrent une intégration de la défense dans un fonds unique de compétitivité ou encore la levée d'un nouvel emprunt européen pour financer les efforts de sécurité.
Nous ne manquerons pas d'en débattre dans les semaines à venir.
M. Jean-François Rapin, président. - Merci de nous avoir fait part de ces propositions onéreuses, dont j'ignore si elles sont totalement réalisables.
M. Ronan Le Gleut. - Comme l'a rappelé Dominique de Legge, nous sommes rentrés cette nuit de l'Assemblée parlementaire de l'Otan, qui s'est tenue à Dayton. J'ai été très frappé par le discours de son secrétaire général, Mark Rutte, qui a fait l'apologie du F35, selon moi, de façon excessive. Il a également rappelé le programme Tempest. En aparté, il a indiqué, sans les citer, que d'autres membres de l'Otan travaillaient sur un nouvel avion de chasse. Il s'agit en réalité du programme franco-germano-espagnol de futurs avions de combat Scaf. Il n'a même pas mentionné l'autre offre européenne, qui est en fait la seule véritable offre européenne ! Cela entre pleinement en résonance avec la présentation qui vient d'être faite.
On sent bien combien, dans ces instances, la pression est forte et à quel point le plaidoyer en faveur de matériels américains domine. Cela me rappelle la formule célèbre de Florence Parly, quand elle était ministre des armées : l'article 5 n'est pas l'article F35. Pourtant, c'est exactement ce que nous avons vécu hier en écoutant le discours de Mark Rutte.
Mes chers collègues, lors de vos auditions, avez-vous senti ce tiraillement de pays membres de l'Otan qui freine peut-être la constitution d'une base industrielle et technologique de défense européenne ?
Mme Marta de Cidrac. - Je partage les remarques de Ronan Le Gleut.
Cela nous interroge sur la volonté de l'Europe de créer son propre outil de défense et sa propre industrie, ainsi que sur la capacité de la France à imposer un certain nombre d'équipements militaires.
Il est choquant d'entendre de tels propos de la part du secrétaire général de l'Otan quand on est européen.
Les Européens resteront-ils toujours sous bouclier de l'Otan, mais avant tout sous bouclier américain ? Dans ce contexte, comment envisage-t-on l'avenir de la défense européenne ?
M. François Bonneau, rapporteur. - C'est une question importante.
Ce texte prévoit non seulement des composants européens, mais aussi la capacité de pouvoir utiliser ces matériels sans autorisation extérieure. Reste que, de la volonté aux actes et à sa réalité sur le terrain, il va se passer un certain temps.
Que Mark Rutte appelle à acheter du matériel américain ne manque pas de surprendre, après les messages qui ont été envoyés depuis le début de l'année.
Pour autant, certaines choses ont changé : il n'est qu'à voir le discours du nouveau chancelier allemand. Il y a un changement dans les mots, qui se traduira dans les actes à l'avenir. On pourra sans doute s'appuyer sur du matériel dont on maîtrise à la fois les composants et la fabrication. Certes, cela gênera l'Italie, qui travaille beaucoup sous licence.
On sera adossé à des pays qui ont une vraie défense, notamment le Royaume-Uni.
M. Dominique de Legge, rapporteur. - Je tiendrai des propos très libres.
De quoi parle-t-on : de la défense de l'Europe ou d'une défense européenne ? On est là dans une ambiguïté totale.
Par ailleurs, on peut saisir l'élection de Donald Trump comme une inquiétude et une menace ou, à l'inverse, comme une opportunité et une chance pour répondre à cette question qui se pose depuis soixante-dix ans : l'Otan, est-ce les États-Unis ou un engagement de l'ensemble des partenaires qui le constituent ?
Il me semble, mais cela n'engage que moi, que le danger de la réponse de la Commission européenne, c'est d'avoir une approche purement industrielle qui, si elle est très adaptée en temps de paix, ne l'est pas en temps de guerre. Or nous sommes dans une période d'urgence.
Croire que nous pourrons avancer en tant qu'Européens dès lors que nous aurons 65 % de composants européens me paraît hors de propos compte tenu de l'urgence dans laquelle nous sommes. Aujourd'hui, la vraie question est : où trouve-t-on le meilleur avion au meilleur prix et quel intérêt avons-nous à tous l'acheter et à faire en sorte qu'il soit interopérable ?
Ne soyons pas naïfs, l'après-Ukraine ne sera peut-être pas la paix. Il faut s'y préparer. À Dayton, on nous a cité des chiffres extrêmement préoccupants sur la remontée en puissance de la menace russe. Celle-ci continuera d'exister, même si la paix avec l'Ukraine est conclue.
Nous sommes à un tournant des stratégies. Je suis intimement convaincu que nous avons besoin de coopérer à l'échelon européen pour mettre en place des outils de défense. Cela passe-t-il par une section européenne au sein de l'Otan ? Je ne sais pas.
Je ne suis pas certain que les États-Unis aient intérêt à quitter l'Otan tel qu'il fonctionne aujourd'hui. En effet, ils ont besoin d'être protégés sur ce flanc-là, d'autant qu'ils sont sujets à d'autres menaces ailleurs.
Voilà mon commentaire libre et à chaud.
M. Jean-François Rapin, président. - C'est un raisonnement qui s'entend.
Mme Gisèle Jourda, rapporteure. - Mon analyse est différente.
Nous sommes dans une situation qui a été voulue. Nous n'avons jamais été dans une situation favorable : la création d'un pilier européen au sein de l'OTAN n'a jamais été souhaitée par l'Otan. Aujourd'hui, cela resurgit.
Il est vrai que l'agression russe contre l'Ukraine a remis certaines problématiques au premier plan, notamment le fait de travailler sur des projets et de relancer des industries de défense. Pour autant, tout cela reste relativement à la marge.
Que voulons-nous au sein de l'Union européenne pour assurer notre devenir, à savoir garantir un certain périmètre de sécurité dans l'immédiat, et avec qui ? Voilà la vraie question qu'il faut se poser.
Je rappelle que, lorsqu'il était candidat la première fois, le président Trump a déclaré que le multilatéralisme ne se justifiait plus et qu'il voulait en quitter tous les outils.
Par ailleurs, nous ne sommes pas dans les perspectives qui étaient celles de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Trump, Poutine et Xi Jinping ne sont pas Roosevelt, Churchill et de Gaulle.
Je serais peut-être la dernière à considérer que nous devons à la fois avoir une protection de défense européenne bien pensée avec les pays qui souhaitent se joindre à nous et voir avec l'Otan ce que nous décidons et ce qu'il est possible de faire, pour autant que nous sachions ce que les États-Unis comptent faire et quelle est leur vision des choses,
M. Dominique de Legge, rapporteur. - Autre élément à verser au dossier, la place de la France.
On a tendance à penser qu'on a une excellente armée. C'est vrai, mais, je le dis comme je le pense, elle n'est pas aujourd'hui à la hauteur des enjeux. Les efforts des autres pays sont supérieurs aux nôtres. Nous sommes l'un des pays de l'Otan qui, en pourcentage du PIB, consacre le moins à sa défense.
Je ne sais pas comment on atteindra l'objectif de 3,5 % du PIB, lorsque celui-ci sera décidé. Cela représente 45 milliards d'euros de plus à l'échéance de la loi de programmation militaire actuelle (LPM). Or nous ne réalisons pas la LPM aujourd'hui. Nous avons 8 milliards d'euros de report de crédits. Dans le budget 2025, 90 % des crédits hors crédits de personnels servent à payer des engagements qui ont été pris avant 2025 ! En outre, 99 milliards d'euros sont engagés, ce qui représente deux années de budget de la défense. Nous n'avons plus de marges de manoeuvre !
Qui plus est, nous dépensons plus pour payer les intérêts de la dette que ce que nous consacrons à la défense. Pour ma part, je suis très préoccupé. Il faut aussi tenir compte de cette réalité.
Pendant de nombreuses années, la France a eu un statut un peu particulier, car elle était le seul pays européen à avoir une armée de projection et une armée engagée et qu'elle disposait de la dissuasion. Aujourd'hui, la situation est totalement différente, car les autres pays prennent conscience qu'il ne faut pas compter que sur les Américains, mais que la France, au regard de sa situation économique, n'est peut-être pas le partenaire qu'ils souhaiteraient qu'elle soit.
Mme Marta de Cidrac. - Je souhaite revenir sur la déclaration du chancelier allemand concernant la levée de la limitation des portées des armes livrées à l'Ukraine. Cela signifie que de l'armement européen peut être impliqué, ce qui peut être perçu comme le franchissement d'une limite. Cela aurait forcément une incidence sur notre philosophie de la défense européenne ou de l'Europe de la défense. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ?
Je ne peux m'empêcher de faire un lien avec l'industrie de l'armement, quand bien même ce n'est pas le même sujet. À comparer nos clients avec ceux des autres États membres, on mesure que, d'un point de vue stratégique et géopolitique, les enjeux ne sont pas les mêmes.
Une réflexion a -t-elle été menée sur ce sujet et des connexions diplomatiques ont-elles été établies en fonction du poids de certains États membres, je pense en particulier à l'Allemagne et à la France ?
M. François Bonneau, rapporteur. - Je vous réponds d'emblée sur la deuxième partie de votre question. Nous avons eu des auditions très techniques sur les réglementations européennes, et ce que vous suggérez paraît difficilement envisageable.
Pour le reste, nous avons tardé à apporter aux Ukrainiens l'aide dont ils avaient besoin ; d'ailleurs, ils nous l'ont dit eux-mêmes. Pour combattre un ennemi comme la Russie, il faut pouvoir frapper en profondeur ; pendant de trop nombreux mois, ils n'en ont pas eu la possibilité. La déclaration allemande relève d'un constat pragmatique. À mon sens - c'est un avis tout à fait personnel -, nous aurions dû le faire plus tôt. Nous avons craint l'escalade, car Poutine nous promettait l'enfer. Mais je pense que nous aurions dû garder la tête froide et réfléchir avant tout aux objectifs que nous souhaitions voir nos alliés ukrainiens atteindre.
M. Dominique de Legge, rapporteur. - Ce qui me frappe dans la coopération franco-allemande - j'espère qu'elle va évoluer -, c'est le péché originel : les Allemands veulent bien développer une base industrielle et technologique de défense (BITD) allemande, mais ils préfèrent que ce soient les Français qui fassent la guerre. Or, aujourd'hui, la guerre est sur le territoire européen. La question n'est donc pas seulement de savoir qui construit ; il faut aussi savoir comment utiliser le matériel ensemble.
Aujourd'hui, les Russes fabriquent chaque année quatre fois plus de munitions que tous les Européens réunis. La réponse de Mme von der Leyen me semble donc totalement déphasée d'un point de vue militaire et de sécurité.
Mme Gisèle Jourda, rapporteure. - Pour ma part, je suis très réservée sur cette question qui mérite, me semble-t-il, une réflexion approfondie. Je ne suis pas persuadée que nous partagions tous la même vision des choses et que ce type de discussions soit d'actualité aujourd'hui.
M. Jean-François Rapin, président. - Mes chers collègues, je vous remercie de votre participation. Le sujet nécessite un travail de longue haleine. Je vous indique d'ailleurs que nous essayons d'organiser, avec la commission des affaires étrangères, une audition des deux rapporteurs du Parlement européen, François-Xavier Bellamy et Raphaël Glucksmann.
Questions diverses
M. Jean-François Rapin, président. - Je vous rappelle que nous examinerons demain à quatorze heures le rapport d'information et la proposition d'avis politique présentés par Mmes Cathy Apourceau-Poly, Pascale Gruny et M. Bernard Jomier sur le plan européen pour vaincre le cancer.
À la suite de l'audition du commissaire Piotr Serafin jeudi dernier, et compte tenu du caractère mouvant des prises de position à l'échelon européen, nos collègues Christine Lavarde et Florence Blatrix Contat disposeront, à leur demande, d'un peu plus de temps que prévu pour finaliser leur avis politique sur le cadre financier pluriannuel. L'avis sera probablement rendu le 11 ou le 12 juin.
Désignation de rapporteurs
M. Jean-François Rapin, président. - Je propose de désigner nos collègues André Reichardt et Audrey Linkenheld rapporteurs sur la proposition de règlement établissant un système commun pour le retour des ressortissants de pays tiers installés irrégulièrement dans l'Union.
Je propose en outre de désigner Christine Lavarde, Didier Marie et Jacques Fernique rapporteurs sur la révision de la directive relative à la publication d'informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD) et de la directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (CS3D).
Il en est ainsi décidé.
L'aide alimentaire et le Fonds social européen + (FSE+) dans la perspective du prochain cadre financier pluriannuel - Audition de MM. Jean-Benoît Dujol, directeur général de la cohésion sociale (DGCS), Patrice Douret, président des Restos du Coeur, Louis Cantuel, responsable du pôle institutionnel et stratégique des Restos du Coeur, Mme Barbara Mauvilain, responsable du pôle des relations institutionnelles de la Fédération française des banques alimentaires, M. Philippe Da Costa, président de la Croix-Rouge française, Mmes Charlotte Guiffard, directrice de l'inclusion de la Croix-Rouge française, Joëlle Bottalico, secrétaire générale adjointe du Secours populaire français, et Mathilde Courcy, responsable du service « financements et dotations publiques » du Secours populaire français
M. Jean-François Rapin, président. - En vue de la préparation du prochain cadre financier pluriannuel, nous auditionnons les principaux acteurs de l'aide alimentaire.
Je veux souligner le rôle important du Fonds social européen + (FSE+) pour soutenir les acteurs de l'aide alimentaire dans notre pays. Le programme de soutien européen à l'aide alimentaire (SEAA) du FSE+ a ainsi été doté de 647 millions d'euros sur la durée de l'actuel cadre financier pluriannuel. L'Union européenne finance 90 % des dépenses effectuées, la contribution nationale s'élevant, elle, à 65 millions d'euros. Ce programme européen, géré par la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), bénéficie à quatre associations pour financer des achats de denrées alimentaires : la Croix-Rouge française, la Fédération française des banques alimentaires, les Restos du Coeur et le Secours populaire français.
Ces achats de denrées alimentaires sont réalisés via des marchés publics annuels ou pluriannuels organisés par FranceAgriMer. Signalons en outre qu'entre 2020 et 2022, 132 millions d'euros de crédits intégralement financés par l'Union européenne ont été alloués à la France dans le cadre de l'initiative React-EU.
La contribution de l'Union européenne est très significative pour les associations bénéficiaires. Elle incarne l'Europe du concret et de la solidarité. Il nous paraissait donc essentiel de mettre en lumière cette politique, mais aussi ses éventuelles difficultés de mise en oeuvre et les enjeux liés aux négociations à venir sur le futur cadre financier pluriannuel.
Quelle sera demain la place de l'Europe de la solidarité ? Comment analysez-vous l'évolution des besoins et l'évolution possible des modalités de gestion des fonds ? Comment s'assurer de la bonne mise en oeuvre de règles européennes parfois, voire souvent trop complexes, alors que la France doit compenser budgétairement des dépenses que la Commission européenne refuse de prendre en charge en raison de leur non-conformité aux règles européennes édictées ?
Nos collègues rapporteurs spéciaux de la commission des finances, Arnaud Bazin et Pierre Barros, relèvent ainsi dans leur rapport sur le projet de loi de finances pour 2025 que la France a tendance à surprogrammer l'aide versée au titre du FSE+.
Pour analyser ces différents enjeux, nous sommes heureux de recevoir M. Jean-Benoît Dujol, directeur général de la cohésion sociale (DGCS), M. Patrice Douret, président des Restos du Coeur, M. Louis Cantuel, responsable du pôle institutionnel et stratégique des Restos du Coeur, Mme Barbara Mauvilain, responsable du pôle des relations institutionnelles de la Fédération française des banques alimentaires, M. Philippe Da Costa, président de la Croix-Rouge française, Mme Charlotte Guiffard, directrice de l'inclusion de la Croix-Rouge française, Mme Joëlle Bottalico, secrétaire générale adjointe du Secours populaire français, et Mme Mathilde Courcy, responsable du service « financements et dotations publiques » du Secours populaire français.
Je vous rappelle que cette table ronde est captée et diffusée sur le site internet du Sénat.
M. Jean-Benoît Dujol, directeur général de la cohésion sociale. - Je vous remercie de votre invitation. C'est l'occasion pour nous de partager avec vous les perspectives de la DGCS et notre analyse du fonctionnement du programme européen dans sa forme actuelle.
La lutte contre la précarité alimentaire repose sur l'articulation étroite entre les acteurs nationaux et l'Union européenne, mais aussi entre l'État et les associations. Selon différentes estimations, plusieurs millions de personnes sont aujourd'hui dans la précarité alimentaire. Dans ce cadre, le programme SEAA, qui est désormais intégré au Fonds social européen +, constitue un levier central de notre action.
En tant qu'autorité de gestion, nous avons une double responsabilité : d'une part, assurer un pilotage stratégique et pluriannuel du dispositif ; d'autre part, garantir la conformité de sa mise en oeuvre, afin de sécuriser les financements européens. Cela implique de veiller à l'efficacité des procédures d'achat, à la bonne exécution des livraisons et à la fiabilité de la piste d'audit exigée par la Commission européenne.
L'aide alimentaire européenne a vu le jour en 1987, avec le programme européen d'aide aux plus démunis (PEAD), dont l'objectif était simple : utiliser les excédents issus de la politique agricole commune (PAC) pour soutenir les associations caritatives. Il y a eu plusieurs incarnations successives, mais la mise en oeuvre du programme repose de longue date sur des associations partenaires, dont quatre en particulier : les Restos du Coeur, la Croix-Rouge française, le Secours populaire français et la Fédération française des banques alimentaires.
Le SEAA est désormais pleinement intégré au Fonds social européen. Pour la période 2021-2027, la France bénéficie d'une enveloppe de 647 millions d'euros, en faisant la somme des crédits européens et de la contrepartie nationale, soit environ 100 millions d'euros par an, ce qui nous permet de plus que doubler l'effort national consenti par ailleurs sur les crédits budgétaires nationaux au titre de l'aide alimentaire. Nous ne pourrions donc pas mettre en oeuvre une politique aussi importante sans le soutien de l'Union européenne.
Autorité de gestion du programme, la DGCS s'appuie sur FranceAgriMer, établissement public sous tutelle du ministère de l'agriculture qui assure les achats de denrées via des marchés publics. Leur expertise, que je salue, est indispensable.
L'ensemble du programme est ensuite audité de manière régulière par toute une série d'autorités chargées d'en vérifier la conformité. Mais rien ne serait possible sans l'engagement des associations, qui en sont les partenaires et les opérateurs. Leur fonctionnement repose notamment sur des bénévoles, dont on estime le nombre à 200 000.
Chaque année, environ 100 millions d'euros sont consacrés à ce programme. Cela représente 55 000 tonnes de denrées de toutes sortes et 370 points de distribution. C'est donc aussi un défi logistique très important en tous points du territoire, y compris en outre-mer. Mais il n'y a pas que de l'aide alimentaire. Le SEAA, ce sont aussi des mesures d'accompagnement social, d'écoute, d'orientation, d'insertion pour les bénéficiaires.
Le travail que nous menons depuis maintenant plusieurs années nous a permis d'améliorer le fonctionnement du programme, à la lumière notamment des remarques et des préconisations qui avaient été formulées par le rapport des sénateurs Arnaud Bazin et Éric Bocquet, en 2018.
Historiquement, les crédits ont beaucoup augmenté, à hauteur de 60 %. Nous avons essayé de simplifier administrativement le fonctionnement du programme, et nous avons amélioré la logistique en distinguant l'achat de denrées des achats de logistique avec des marchés séparés, ce qui a permis de professionnaliser la livraison des denrées. En outre, des progrès importants en matière de pilotage interne de conformité ont été accomplis, et les conclusions des audits récents sont plutôt, voire totalement, positives sur la manière dont la DGCS a fait face aux demandes et aux exigences de l'Union européenne.
Pour l'avenir, il est crucial de ne pas laisser l'impératif de conformité, qui est très important pour nous, dégénérer en une « surprocédurisation » du programme. Aujourd'hui, nous sommes tenus par toute une série d'exigences - c'est d'ailleurs normal : nous devons veiller au respect des intérêts du contribuable européen -, mais il ne faut pas perdre de vue que l'objectif est d'avoir un impact social maximal. Dans le cadre d'un futur programme, il faudrait être vigilant sur l'équilibre entre les contraintes, légitimes, et la nécessité de garantir une forme de fluidité et d'agilité pour mieux correspondre aux besoins sociaux.
Pourra-t-on compter sur la pérennisation d'un dispositif qui existe depuis 1987 ? Pour nous, c'est évidemment essentiel. Comme je l'ai indiqué tout à l'heure, cela représente la moitié, voire plus certaines années, de l'ensemble de l'effort que nous consentons en matière d'aide alimentaire. Nous ne saurions pas faire sans ce programme, dont le caractère pluriannuel est également très avantageux : la garantie de programmation de plus de 600 millions d'euros offre de la visibilité à l'ensemble des acteurs. Il me paraît donc vraiment capital de le conforter dans le cadre des discussions à venir.
Aujourd'hui, la Commission européenne met en avant une logique de performance et d'évaluation. Je pense que nous sommes tout à fait en mesure d'y répondre.
Le FSE+ doit continuer à soutenir les politiques d'inclusion, de lutte contre la pauvreté, d'accès à l'alimentation, à la santé, au logement, à la formation. Je plaide pour un FSE+ qui ressemble le plus possible à celui qui fonctionne aujourd'hui. À mon sens, ce n'est pas contradictoire avec les objectifs de la Commission européenne, qui insiste beaucoup, à juste titre, sur les objectifs de compétitivité et de productivité. En effet, les politiques sociales elles-mêmes sont un facteur de compétitivité durable : elles favorisent l'employabilité, renforcent la cohésion sociale et contribuent à une Europe plus résiliente.
L'aide alimentaire ne peut pas être considérée comme un simple dispositif transitoire. C'est bien un pilier structurel d'une Europe protectrice.
M. Patrice Douret, président des Restos du Coeur. - Voilà bientôt quarante ans, Coluche se rendait au Parlement européen pour réclamer l'ouverture des « frigos de l'Europe » - nous avons tous l'image en mémoire - et la redistribution des excédents de production issus de la politique agricole commune (PAC) aux plus démunis.
En 1987, sous l'impulsion de Jacques Delors et Henri Nallet, le programme européen voyait le jour. Sa mise en oeuvre a évolué au fil des décennies, mais l'ambition reste la même : apporter une aide alimentaire, mais aussi un accompagnement aux personnes en situation de pauvreté.
L'aide alimentaire est la première marche dans les plus de 2 300 lieux d'accueil en France aux Restos du Coeur, grâce à l'engagement chez nous de plus de 78 000 bénévoles. C'est une porte d'entrée pour créer du lien social, faciliter l'insertion, recréer la confiance et accompagner les personnes plus rapidement vers une sortie de nos lieux d'activité.
Le soutien européen représente un repas sur cinq distribué par les Restos du Coeur. Et ce sont environ 15 millions de personnes en situation de grande exclusion qui en bénéficient partout en Europe, selon des modalités d'ailleurs très diverses en fonction des pays et des systèmes de solidarité en place.
Depuis 2020, nous avons traversé beaucoup de crises imprévisibles - Covid-19, inflation, etc. -, qui ont toutes frappé avec une grande violence les plus précaires. Aujourd'hui, nous accueillons encore 1,3 million de personnes aux Restos du Coeur : enfants, personnes seules, familles monoparentales, travailleurs pauvres et retraités isolés, etc. Pendant ces crises, nous avons tenu bon, mais nous avons pu le faire aussi grâce à ce soutien européen, qui offre une base d'approvisionnement pluriannuel, une visibilité et une stabilité essentielle pour absorber les chocs toujours plus fréquents et violents auxquels nous sommes soumis. Alors que l'accès à l'alimentation a été rendu plus difficile ces dernières années, nous devons préserver cet outil irremplaçable.
Très concrètement, ce fonds nous permet de disposer de produits de base utilisables par tous, y compris par les personnes vivant à la rue. C'est une sécurité alimentaire essentielle. Le programme fonctionne aujourd'hui mieux ; grâce à un engagement collectif : associations, mais aussi DGCS et FranceAgriMer, que je tiens à saluer.
Aujourd'hui, je souhaite adresser un message non pas d'inquiétude, mais de mobilisation. Les ressources du budget européen sont incertaines. Son architecture l'est tout autant. De nouvelles politiques en matière de défense et de sécurité, sur lesquelles nous n'avons pas d'avis à donner, seront mises en oeuvre. Notre message est simple : la solidarité envers les Européens les plus en difficulté doit être non seulement sauvegardée, mais renforcée. Il ne peut pas y avoir d'Europe forte, compétitive et combattante qui laisserait une partie de sa population la plus fragile. Même les plus démunis sont des acteurs du renforcement de l'Europe.
Pour nous, le nouveau cadre budgétaire que la Commission européenne proposera bientôt devra garantir une place plus forte à la lutte contre l'exclusion et aux programmes qui, comme le FSE+, sont des instruments de résilience et de cohésion sociale. Personne ne pourrait comprendre qu'il en aille autrement dans le contexte actuel, fait de tensions multiples, de divisions et de replis sur soi.
Disons-le clairement : s'il existe encore une politique d'aide alimentaire et matérielle en Europe, c'est grâce à la France, qui l'a toujours fortement défendue - je crois que nous pouvons être fiers de notre pays pour cela -, et ce quelle que soit la majorité politique au pouvoir : voilà une quinzaine d'années, quand le programme a été menacé de suppression, nous avons pu compter sur le soutien du président Sarkozy, puis du président Hollande, et le soutien de la France a été réaffirmé en 2020. Il nous paraît essentiel que cette position constante et historique de la France soit portée haut et fort dès à présent par notre pays. Mesdames, messieurs les sénateurs, comme nous le disons aux Restos du coeur : « On compte - vraiment ! - sur vous » pour y contribuer autant que possible.
M. Philippe Da Costa, président de la Croix-Rouge française. - Cela a été souligné, nous sommes dans un contexte d'accélération des crises post-Covid. Les crises inflationnistes liées au conflit ukrainien ont eu des répercussions évidentes sur une partie des populations accompagnées. Au sein de la Croix-Rouge, nous avons assisté à une augmentation de nos publics, ainsi qu'à une baisse de la qualité et de la quantité des produits. Cela ne concerne pas uniquement les fonds européens.
Nous accueillons 434 000 personnes, pour 48,9 millions de repas distribués. Il s'agit d'abord d'une population fragile : près de la moitié des personnes accompagnées ont moins de 25 ans. L'aide alimentaire est finalement devenue une sorte de filet de sécurité pour les populations et, plus particulièrement - vous l'avez compris -, pour notre jeunesse et nos étudiants.
Les denrées européennes représentent une part importante de notre action. Pour nous, c'est 20 % à 30 % du volume total des denrées distribuées. C'est un socle vital en produits de base et de première nécessité. Il est donc essentiel de pouvoir préserver, maintenir, renforcer les crédits liés au soutien européen.
L'aide alimentaire, c'est avant tout un marchepied et une question de dignité des personnes que nous accompagnons.
Le contexte d'épidémie de solitude, de dégradation du lien social, voire de la santé mentale, a aussi son importance. Ainsi, 35 % des personnes en situation de précarité alimentaire n'ont pas recours à l'aide, car elles ont honte de venir à notre rencontre.
Ces 700 points de contact, c'est 22 000 bénévoles sur les 110 000 volontaires de la Croix-Rouge. C'est une activité phare de la maison, même si ce n'est pas la seule. Elle s'inscrit dans une sorte de continuum d'accès aux biens essentiels, d'accompagnement et d'écoute. L'aide alimentaire doit permettre de reconstruire le lien social et de travailler sur l'estime des personnes.
L'un des axes importants de notre stratégie est de favoriser, d'accueillir dans une ambiance chaleureuse et digne, de travailler aussi sur les espaces de convivialité, de faciliter la communication entre nos bénévoles et les personnes accompagnées, de retisser du lien social et de développer un certain nombre d'activités.
Nous sommes bien conscients que le modèle est aujourd'hui confronté à de nombreux défis. Mais c'est aussi une occasion à saisir pour introduire des leviers d'accompagnement vers l'autonomie, au-delà de la seule distribution de denrées. Chaque point de distribution doit devenir aussi un lieu de veille sociale et d'écoute permettant d'identifier les fragilités et de relayer ensuite vers d'autres types de réponses.
L'aide alimentaire est souvent la porte d'entrée d'un accompagnement global vers d'autres champs de l'action sociale : santé, logement, mobilités, etc. Nous travaillons actuellement sur les zones blanches, avec le soutien d'un certain nombre de partenaires, pour apporter des réponses globales, qui passent aussi par l'insertion. Nous devons donc penser le modèle dans une logique de parcours. L'accès à ces biens est évidemment une réponse, ô combien, essentielle, mais elle ne doit pas être la seule. Elle doit au contraire être beaucoup plus inscrite dans une forme de continuum.
Je voudrais évoquer plus spécifiquement les outre-mer. Comme nous l'avons vu à Mayotte, où je me suis rendu, à la suite du cyclone Chido, il y a une situation de vulnérabilité exacerbée dans nos outre-mer, où le niveau de vie est nettement inférieur à celui de l'Hexagone. Les aides européennes sont souvent inadaptées et ne correspondent pas aux besoins de ces territoires. Par exemple, en Guyane, la plateforme gérée par la Croix-Rouge n'est pas couverte par le SEAA. Idem à Mayotte, où nous sommes sur des distributions de tickets : nous voyons bien la différence entre l'accès aux biens et la distribution de tickets. J'échange souvent avec la présidente de la Croix-Rouge espagnole ; ce n'est pas du tout le même type de réponses. Pour nos outre-mer, il est essentiel de passer d'une logique de financement annuel à une vision globale et pluriannuelle afin de pérenniser l'action contre la précarité alimentaire.
M. Jean-François Rapin, président. - Pour notre commission, la question des relations entre nos outre-mer et l'Union européenne est essentielle. Nous avons ainsi adopté une proposition de résolution européenne sur le sujet, et, la semaine dernière, nous avons accompagné les membres de la délégation sénatoriale aux outre-mer à Bruxelles, afin de faire part à la Commission de l'inadaptation des procédures européennes aux outre-mer. Je vous remercie donc d'avoir attiré notre attention sur le cas particulier du FSE+.
Mme Barbara Mauvilain, responsable du pôle des relations institutionnelles de la Fédération française des banques alimentaires. - Je vous prie de bien vouloir excuser l'absence de notre président, qui est actuellement retenu par l'organisation des assemblées générales de nos 79 banques alimentaires. Nous saluons l'engagement du Sénat sur la question de l'aide alimentaire européenne.
Il existe une fédération européenne des banques alimentaires ; elle est présidée par la France. Selon Eurostat, 9,5 % de la population est concernée par la précarité. Ce sont environ 15 millions de personnes qui ont recours à l'aide alimentaire, dont 12 millions via les banques alimentaires, sur trente pays européens.
C'est un sujet essentiel au regard des nouvelles perspectives financières pluriannuelles et de la diversification des publics ayant recours à l'aide alimentaire. Nous constatons une diversification des profils, avec une part de plus en plus importante de personnes issues de la classe moyenne, c'est-à-dire des travailleurs pauvres, parfois en contrat à durée indéterminée, majoritairement à temps partiel, ayant recours à l'aide alimentaire du fait de l'impact de la crise inflationniste. Nous dressons ce constat à l'échelon tant national qu'européen. L'accompagnement dans l'accès à l'alimentation de ces classes moyennes fragilisées est donc un enjeu majeur.
Pour y répondre, l'Union européenne a un outil extrêmement performant et précieux pour notre réseau français : le système européen d'aide alimentaire (SEAA). Les banques alimentaires sont approvisionnées à hauteur de 20 % environ grâce au SEAA.
Le financement de l'accompagnement social est également un élément très important. C'est une nouveauté de la programmation en cours. Cela nous permet de financer le programme « Bons gestes & bonne assiette », qui accompagne 25 000 personnes sur des ateliers cuisine, anti-gaspillage ou prévention-santé, etc. Pour nous, l'apport en produits est indissociable de l'accompagnement et du lien social.
Le SEAA est extrêmement précieux. C'est le seul fonds européen qui amène une aide concrète auprès des personnes en difficulté. Cela nous offre de la prévisibilité dans nos approvisionnements, grâce à la dimension pluriannuelle.
Ce programme est également très complémentaire du programme « Mieux manger pour tous », même si les deux ne sont pas interchangeables : le SEAA concerne des produits secs, alors que « Mieux manger pour tous », auquel notre réseau est très attaché, nous permet de travailler sur les produits frais et les liens avec les filières agricoles. Pour nous, il est nécessaire de les préserver tous deux à l'avenir.
À l'échelon européen, le SEAA représente 143 000 tonnes pour les banques alimentaires, soit 3,6 % de ce qu'elles redistribuent. Onze pays redistribuent le FSE+ via des produits alimentaires.
Pour nous, l'exemple espagnol est plutôt un contre-exemple. Le gouvernement espagnol a fait le choix d'un chèque alimentaire. Or les retours d'expérience de la fédération espagnole, avec laquelle nous avons des liens très forts, sont extrêmement inquiétants : seule 20 % de la population qui bénéficiait auparavant du SEAA est aujourd'hui couverte par le nouveau système. Une partie des entrepôts des banques alimentaires espagnoles sont vides. Un chèque ne remplacera jamais l'accompagnement social qu'effectuent nos associations.
Pour nous, le bilan de la programmation en cours est extrêmement positif. Nous avons été collectivement dans une démarche d'amélioration constante, grâce au dialogue engagé avec la DGCS. Dès le départ, nous avons coconstruit ensemble la future programmation, qui a donc été pensée collectivement pour s'inscrire dans l'avenir. On a aussi institué des comités de concertation auxquels participe également FranceAgriMer. Nous avons appris à mieux nous connaître et à comprendre les contraintes de chacun. Les banques alimentaires, ce sont 7 000 bénévoles. Ne l'oublions pas : toute l'aide européenne est distribuée et manutentionnée au quotidien par des bénévoles. Nous trouvons également que, s'agissant des contrôles, FranceAgriMer s'est amélioré.
Il y a toutefois des points à améliorer, en particulier concernant les marchés publics. Pour nous, il est vraiment important de pouvoir inclure le principe de préférence européenne dans le cadre de la révision des règles de passation des marchés publics. En effet, les banques alimentaires sont soumises aux marchés publics d'une manière générale. Or nous voulons aller vers une aide alimentaire plus locale, plus durable. Mais si nous devons faire des marchés publics qui nous amènent à acheter des produits en provenance de l'autre bout de l'Europe ou du monde, il y a un problème de cohérence entre les objectifs et les moyens.
Je termine en évoquant les enjeux pour l'avenir. Nous sommes confrontés à un effet ciseaux. Alors que le nombre de personnes accueillies a augmenté de 30 % depuis 2019 - nous soutenons ainsi 2,4 millions de personnes via nos 6 600 associations partenaires -, le FSE+ a baissé de 15 % ; c'est une conséquence de l'inflation. Nous formulons donc deux demandes.
À l'échelon européen, notre préoccupation principale est que le sujet ne soit pas invisibilisé. Nous ne souhaitons pas du tout opposer les enjeux. Nous comprenons très bien les enjeux géostratégiques et de compétitivité. Mais, comme cela a été souligné, une Europe qui ne porterait pas attention aux plus fragiles et qui ne prendrait pas le décrochage d'une partie des classes moyennes comme un signal très important ne serait pas une Europe qui se projetterait dans l'avenir de manière constructive. Nous souhaitons donc que le SEAA ne passe pas à la trappe dans le nouveau cadre financier pluriannuel.
À l'échelon français, où nous avons eu la chance - cela a été rappelé - de bénéficier d'un soutien toutes tendances politiques confondues au maintien du programme européen, nous espérons qu'il en aille toujours de même à l'avenir.
Mme Joëlle Bottalico, secrétaire générale adjointe du Secours populaire français. - Le Secours populaire cherche, depuis ses origines, à faire vivre la solidarité, par l'ensemble des personnes que nous rencontrons : dans un contexte où le repli sur soi et le communautarisme se développent, c'est un enjeu.
Nous aidons plus de 4 millions de personnes en France et dans le monde, dont 1,3 million grâce à l'aide alimentaire. Ces chiffres ont augmenté de 9 % depuis 2002. Notre mission ne se limite pas à répondre aux besoins de la population en difficulté. Nous souhaitons apporter un coup de pouce, dialoguer, engager une relation qui fasse émerger une envie d'agir. Avec plus de 95 000 bénévoles sur le territoire, nous nous assurons que ces envies d'agir puissent s'exprimer au travers de multiples initiatives : pour rassembler des fonds, faire connaître notre association, agir dans une démarche d'éducation populaire, ou encore travailler à l'émancipation des personnes, etc. Ce dernier point nous semble important, car nous souhaitons favoriser une citoyenneté active.
Nous voulons que les personnes aidées puissent devenir également bénévoles, afin qu'elles ne soient pas uniquement des consommateurs de l'aide. Elles doivent pouvoir avoir une utilité dans une société où l'on a tendance à stigmatiser les pauvres comme des assistés. Nous cherchons à éviter cela.
Je rappelle également qu'il existe en France le droit de s'associer. C'est important pour les personnes qui sont en difficulté. Nous cherchons en effet à avoir une approche globale de la personne, plutôt que de nous limiter à considérer les individus simplement à travers nos actions quotidiennes de distribution d'aide. Nous organisons ainsi tout au long de l'année des temps de dialogues, d'échanges et de relations avec les personnes que nous accueillons. Certaines d'entre elles deviennent bénévoles. Les mesures d'accompagnement permettent de rompre avec une démarche d'assistanat et avec une forme d'institutionnalisation de l'aide alimentaire.
L'aide matérielle est nécessaire. Elle sert de support au développement d'une relation sociale. Elle nous a ainsi permis d'aider des personnes isolées pendant la crise du Covid-19. Lors de la Journée des oubliés des vacances, nous accueillons des enfants pour aller à la rencontre des familles.
L'aide européenne est indispensable. Nous plaidons pour le maintien, voire même l'augmentation, du budget du FSE+. Ensuite, la question se posera en France du maintien de l'aide alimentaire sous sa forme actuelle. Nous souhaitons une ouverture accrue du programme aux enjeux de la lutte contre l'exclusion, de l'accès aux soins, aux vacances, à la pratique sportive, aux loisirs, etc.
Une programmation budgétaire sur une période de sept ans apporte une visibilité et une stabilité appréciables. Les crédits européens sont essentiels pour des structures comme la nôtre : ils offrent une sécurité financière qui permet de planifier les actions sur le long terme et d'éviter des réponses passagères en réaction à un événement. Cette aide est, grâce à notre action, la traduction concrète de l'idée fondatrice de l'Europe, celle de la solidarité entre les peuples.
Nos permanences d'accueil sont des lieux d'écoute et de solidarité. Nous rencontrons parfois des situations dramatiques. Nous mettons en oeuvre une approche globale de la personne, selon une conception généraliste de la solidarité. Les fonds européens sont nécessaires pour soutenir nos actions d'aide collectives et associatives. Cependant, il est crucial que nos actions soient organisées dans le respect des personnes. Aussi, nous insistons pour que les critères d'éligibilité n'introduisent pas de discrimination fondée sur la nationalité ou l'origine. Nous insistons également pour qu'aucune donnée statistique de cet ordre ne soit demandée lors de l'accueil de ce public.
M. Jean-François Rapin, président. - Je cède la parole à Pascale Gruny, rapporteur de notre commission sur les affaires sociales, puis à Arnaud Bazin, rapporteur spécial de la commission des finances.
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - Votre action est essentielle. J'ai été député européen en 2009 et 2010. L'aide alimentaire était déjà un sujet de discussion. Michel Barnier, qui était président de la délégation française au groupe du Parti populaire européen, a bien défendu votre cause.
Quelle est aujourd'hui la part des excédents agricoles dans l'aide alimentaire ?
Je voudrais aussi vous interroger sur votre trésorerie. C'est une source de difficulté pour les associations qui perçoivent des aides européennes. Dans mon département, des associations se demandent si elles pourront continuer leur activité.
Comment est réalisé le contrôle interne de vos associations ? La fraude est partout. L'association d'insertion Caritas a ainsi été victime d'un détournement de fonds de 61 millions d'euros au Luxembourg.
Quelle est la part des dons dans vos financements ?
Comment assurez-vous la sécurité des approvisionnements ? Peut-être avez-vous rencontré des difficultés à cause de la guerre en Ukraine. Enfin, parvenez-vous à recruter des bénévoles ? Certaines associations doivent cesser leurs activités faute de bénévoles.
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial de la commission des finances. - Depuis 2017, je suis rapporteur spécial - avec Éric Bocquet, puis, depuis son départ, avec Pierre Barros - de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».
Il faut insister sur le rôle des bénévoles. Avec Éric Bocquet, nous avions estimé, en 2018, que leur apport en travail s'élevait environ à 500 millions d'euros. Cette action est valorisante pour les bénévoles - qui sont souvent de jeunes retraités, mais pas seulement. Des bénéficiaires de l'aide peuvent aussi être bénévoles. La dimension humaine est donc importante. L'aide sociale et alimentaire est une manifestation de la solidarité en action.
Dans notre rapport de 2018, nous avions également souligné la complexité des justifications à apporter auprès de la Commission européenne pour obtenir des aides. À l'époque, la France perdait jusqu'à environ 15 millions d'euros par an de crédits européens, qui devaient être compensés par le budget de l'État, car on ne pouvait pas répondre à toutes les procédures que nous avions nous-mêmes instituées, à la demande de Bruxelles. De mémoire, il y avait neuf niveaux de contrôle !
Des bénévoles sont impliqués dans toute la chaîne de validation des dépenses. Mais ce n'est pas leur métier. Je suis donc heureux d'entendre le directeur général de la cohésion sociale parler de la nécessité d'éviter la « surprocédurisation ». Des améliorations ont eu lieu en la matière, mais des marges de progrès existent. L'État procède à un « sur-booking » budgétaire : il s'agit que les associations ne soient pas privées de denrées, si on n'arrive pas à justifier toutes les dépenses. Il faut donc que les contrôles permettent de répondre aux exigences de la Commission européenne, mais il convient d'éviter toute surtransposition.
J'ai noté avec satisfaction une professionnalisation, notamment à FranceAgriMer, en particulier sur le plan de la logistique. On ne s'improvise pas logisticien. Il existe plus de 300 points de livraison. Il importe absolument de maintenir les compétences acquises en la matière. On observe aussi des difficultés pour recruter des professionnels connaissant bien les marchés alimentaires. Savoir choisir les denrées adaptées est un gage de réussite.
Le système est en amélioration. Nous avons, au Sénat, le devoir de se mobiliser collectivement et de défendre ce système d'aide alimentaire, essentiel dans les rouages de solidarité de notre pays. Je remercie ainsi la commission des affaires européennes de s'y intéresser.
M. Jean-François Rapin, président. - Ce montant de 500 millions d'euros, relatif à la valorisation de l'apport des bénévoles, est impressionnant.
M. Patrice Douret, président des Restos du Coeur. - On ne parle plus d'excédents agricoles, mais les dons des agriculteurs sont importants. La moitié des 140 000 tonnes de produits que nous distribuons proviennent de dons, qu'il s'agisse de dons issus de la ramasse ou de dons en nature des industriels.
Il est important de souligner également que ces dons sont utilisables grâce aux financements européens, qui nous permettent de mettre en place une logistique robuste, sous la forme notamment de plateformes régionales et d'entrepôts, qui permettent de recevoir les dons. La baisse de l'aide européenne aurait des effets non négligeables à cet égard.
Rien ne serait possible sans les bénévoles. Il s'agit de personnes qui sont extrêmement engagées, à tel point qu'on leur demande presque de se comporter comme des professionnels, notamment en matière d'audit et de contrôle. Or ils y parviennent, car ils ont envie que le système fonctionne et que l'on ne puisse rien nous reprocher. Pour le Restos du Coeur, on estime que leur apport en travail s'élève à 250 millions d'euros, en prenant pour base le Smic. Le maintien du bénévolat est un enjeu.
Lorsque l'on perçoit 1 euro d'argent public, on déploie sur le terrain quatre fois plus, c'est-à-dire que l'effet de levier des aides est de quatre !
Le soutien européen nous permet de déployer des actions d'accompagnement dans tous les domaines : en matière budgétaire, scolaire, pour améliorer l'estime de soi, aider à la recherche d'emploi, développer l'activité par l'insertion économique, etc. Notre pôle d'insertion et d'accompagnement supervise ces activités et anime une centaine d'ateliers et chantiers d'insertion. Il serait donc dangereux de supprimer le financement européen.
Plus de 30 % de nos bénévoles ont plus de 70 ans. Nous devons assurer le renouvellement et la continuité de nos équipes, sinon notre action d'aide alimentaire et d'accompagnement sera menacée. Il s'agit d'un enjeu humain - celui de la transmission de nos pratiques et de nos valeurs - et opérationnel. L'an dernier nous avons formé 30 000 bénévoles. Ces derniers ne sont pas que des personnes qui viennent simplement prêter main-forte, elles sont aussi formées pour exercer ces activités.
M. Philippe Da Costa, président de la Croix-Rouge française. - Les bénévoles sont notre principale richesse. Nos associations sont un lieu de travail intergénérationnel. À la Croix-Rouge, le nombre des bénévoles s'est accru de 4 500 en deux ans. Les bénévoles qui s'engagent dans des activités d'aide alimentaire ne sont initialement pas les mêmes que ceux qui viennent pour le secourisme, mais, grâce à la diversité de nos activités, certains passent de l'urgence sociale à l'urgence vitale, et réciproquement. Des parcours existent. C'est possible grâce à une vraie politique de formation et d'accompagnement des bénévoles.
On observe également une vraie professionnalisation du bénévolat. On recherche de plus en plus certaines compétences. À la Croix-Rouge, sur un budget de 1,8 milliard d'euros, on estime que la part des bénévoles peut être valorisée à 450 millions d'euros, dont 80 millions pour l'aide alimentaire. Nous avons développé des méthodologies d'accompagnement et de suivi de la qualité que nous n'avions pas il y a 20 ans.
En cas de crise, nous affectons une part des dons à l'aide alimentaire, comme nous l'avons fait, par exemple, lors du passage du cyclone Chido. Nous bénéficions des dispositifs d'aide européenne, de dons privés ainsi que de dons d'entreprises qui flèchent une part de leur solidarité ou de leur engagement sociétal vers l'action sociale que nous déployons : les personnels qui viennent chez nous expliquent et mettent en valeur ensuite dans leur entreprise notre activité, ce qui suscite l'intérêt chez leurs collègues : un cercle vertueux se met en place.
La Croix-Rouge est une association unique : la question de la trésorerie ne se pose pas, car celle-ci est totalement consolidée. Toutefois, cette question peut être problématique pour beaucoup de petites associations, telles que les épiceries sociales, qui sont nées d'initiatives étudiantes ou autres, et qui sont confrontées aujourd'hui à un véritable défi existentiel.
En ce qui concerne le contrôle, nous avons une direction de l'audit et de la qualité, qui est professionnelle. Par ailleurs, nous avons constitué une équipe de bénévoles de conseillers régionaux en maîtrise des risques et en contrôle interne. Ils accompagnent les autres bénévoles. Les bénévoles sont donc contrôlés à la fois par des professionnels et par d'autres bénévoles. C'est, me semble-t-il, important. Une vigilance permanente est toutefois nécessaire, car les sources potentielles d'abus sont nombreuses. En outre, nos associations sont aussi contrôlées en externe, par la Cour des comptes notamment.
M. Jean-Benoît Dujol. - Les excédents de la politique agricole commune se sont raréfiés. Il n'y a désormais plus de lien entre ces excédents et le programme de soutien européen à l'aide alimentaire. Celui-ci est désormais un compartiment FSE +, dont les crédits servent à acheter des denrées alimentaires. FranceAgriMer procède aux achats de ces produits, avant de les redistribuer aux associations partenaires.
En réalité, FranceAgriMer réalise ces achats sur la base d'une avance de trésorerie, dont nous demandons ensuite le remboursement auprès de l'Union Européenne, mais l'organisme ne perçoit pas ex ante les crédits européens. FranceAgriMer emprunte les fonds auprès de l'Agence France Trésor (AFT) et paye des intérêts, que l'État lui rembourse. Celui-ci porte l'intégralité du risque. Il assure le financement de 10 % des dépenses du programme - l'Union européenne en finance 90 %. En cas de rejet d'une partie des dépenses par la Commission européenne, si celle-ci considère que tel ou tel produit a été mal acheté, ce sont les crédits nationaux qui sont mobilisés pour combler les trous. C'est pourquoi nous veillons attentivement, avec les associations partenaires, à la qualité de la gestion du programme, afin de limiter au maximum les rejets de dépenses, lesquels peuvent représenter des montants parfois importants. Voilà qui explique la politique de surprogrammation que nous conduisons depuis quelques années : nous voulons que l'usage des crédits européens puisse être optimisé, en dépit des rejets de dépenses. Je tenais à expliciter ce circuit quelque peu complexe.
Le choix a été fait d'un achat direct de denrées dans le cadre de marchés publics. Nous pouvons ainsi bénéficier du professionnalisme de FranceAgriMer dans sa politique d'achats et profiter d'économies d'échelle. Dotés d'un pouvoir de marché, nous pouvons négocier des tarifs avantageux pour la trentaine de denrées qui figurent dans le cahier des charges.
Mme Joëlle Bottalico, secrétaire générale adjointe du Secours populaire français. - Nous avons mis en place des contrôles internes et un plan de gestion des risques. Nous avons constaté durant la crise du Covid-19 que cela était nécessaire pour garantir la continuité de notre action et éviter les ruptures. Il s'agit, à chaque étape de contrôler les dépenses engagées et la cohérence vis-à-vis de la démarche d'ensemble.
Le nombre de bénévoles a augmenté à la suite de la crise du Covid-19. On a ainsi accueilli 10 000 nouveaux bénévoles, et notamment beaucoup de jeunes. Alors que les personnes à la retraite semblent moins s'engager en raison d'obligations familiales, de plus en de plus de jeunes s'engagent. Les jeunes sont d'ailleurs plus nombreux que les séniors à candidater pour rejoindre nos équipes.
Les bénévoles réalisent 8 millions d'heures au Secours populaire. Cet apport est crucial. Ils apportent une vraie richesse, notamment en termes de relations humaines. Sans eux, nous ne pourrions pas passer le même temps avec les personnes en difficulté. Cette relation humaine permet d'assurer un suivi au-delà de la simple aide matérielle. Grâce aux bénévoles, nous pouvons essayer d'accompagner les personnes dans leur globalité.
M. Jean-François Rapin, président. - Nous avons le même constat pour les conseillers municipaux dans nos communes. Ils ne sauraient être remplacés par des fonctionnaires. La dimension humaine est cruciale.
Mme Barbara Mauvilain, responsable du pôle des relations institutionnelles de la Fédération française des banques alimentaires. - Les banques alimentaires ont eu la chance de ne pas être confrontées à une baisse du bénévolat. Au contraire, à la suite de la crise du covid, nous avons plutôt constaté un afflux de bénévoles, plutôt jeunes. Nous travaillons désormais beaucoup avec les universités ou les grandes écoles.
L'enjeu est désormais celui du bénévolat de responsabilité. Prendre la direction d'une banque alimentaire est une lourde charge. On peut comprendre que des personnes à la retraite ne souhaitent pas toujours prendre cette responsabilité. Le renouvellement des conseils d'administration est pour nous le principal enjeu.
Le programme SEAA est désormais totalement décorrélé des surplus agricoles européens. Notre réseau a de plus en plus recours à des dons volontaires, issus notamment de stocks ou d'invendus. Mais, à l'avenir, nous entendons développer les partenariats pluriannuels avec des coopératives agricoles ou certains industriels de l'agroalimentaire : l'entreprise fait le choix, dans le cadre de sa politique de responsabilité sociétale (RSE), de nous confier une partie de sa production. Nous avons ainsi un partenariat avec la coopérative Vivescia et Grands Moulins de Paris, dont les dons de farine nous permettent de couvrir nos besoins dans l'est de la France. Les liens avec le monde agricole contribuent ainsi à une transformation de l'aide alimentaire dans la durée, en dépit des contraintes de conjoncture.
Concernant les contrôles, nous avons trouvé un point d'équilibre, afin de respecter les lignes directrices du programme SEEA, même si notre association est animée par des bénévoles. Les banques alimentaires réalisent un important travail d'accompagnement de nos 6 000 associations partenaires. Notre vocation est aussi de former les bénévoles des autres associations. Nous sommes attachés à l'existence de l'habilitation pour l'aide alimentaire. Pour nous, celle-ci est justifiée : elle est un gage de rigueur. Nombre d'associations ont vu le jour à la suite de la crise du Covid-19. Il convient sans doute de retrouver un certain équilibre en la matière. L'habilitation pour l'aide alimentaire doit rester au coeur du système.
M. Jean-François Rapin, président. - Comment se situe la France par rapport aux autres pays européens, en matière de politique d'aide alimentaire ?
M. Jean-Benoît Dujol. - J'aurai du mal à vous répondre avec précision, car nous ne rencontrons pas souvent nos homologues européens. Nous les avons accueillis en France cette année lors d'un séminaire. Des formes d'organisation différentes existent en Europe. La France est assez bonne en termes d'utilisation des crédits européens dans ce domaine. Notre pays étant contributeur net au budget européen, il a intérêt à maximiser ses retours dans les programmes où il peut obtenir des crédits. C'est ce que nous nous efforçons de faire, avec un certain succès, en ce qui concerne l'aide alimentaire.
Toutefois, il est très difficile d'évaluer la performance des différents systèmes de gestion en Europe. Certains reposent sur un opérateur centralisé, d'autres s'appuient sur des associations. Il est difficile de porter un jugement précis sur la qualité ou la performance comparée des uns ou des autres.
M. Louis Cantuel, responsable du pôle institutionnel et stratégique des Restos du Coeur. - Le système français est plutôt performant. Il possède plusieurs points forts que nos homologues européens nous envient. L'ampleur de son action est soulignée. Peu de réseaux en Europe sont capables d'accueillir autant de personnes et de distribuer des volumes de denrées aussi importants que les grands acteurs français. En outre, notre vision de l'aide alimentaire est liée à la notion d'accompagnement. La France, soutenue par la Commission européenne, défend cette vision. Enfin, nous mettons davantage l'accent sur l'équilibre nutritionnel et la diversité alimentaire, alors que, dans d'autres pays, l'accent est plutôt mis sur les denrées de base. La France peut donc jouer un rôle leader en Europe sur cette question, et nos homologues européens comptent sur nous pour défendre ce fonds.
Mme Karine Daniel. - Vos organisations sont-elles inscrites dans des projets de coopération avec vos homologues européens, pour échanger sur les bonnes pratiques par exemple ? Ensuite, les bénéficiaires de vos actions savent-ils qu'ils sont aidés par un programme européen ? Se sentent-ils partie prenante de l'Europe sociale ?
Mme Amel Gacquerre. - On a évoqué le contrôle de l'emploi des fonds. Je voudrais vous interroger sur l'évaluation de l'efficacité des dispositifs. Existe-t-il des indicateurs pour évaluer l'impact de l'aide alimentaire financée par le FSE+ ? Vous avez évoqué les atouts du système français. Certaines bonnes pratiques en vigueur dans d'autres pays européens mériteraient-elles d'être transposées en France ? Dans le cadre des discussions sur le futur cadre financier pluriannuel, une épée de Damoclès pèse sur l'avenir du FSE+. Vous préparez-vous à une baisse des crédits européens ?
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial de la commission des finances. - Les collectivités territoriales jouent un rôle important en ce domaine. Quelles sont vos relations avec ces dernières ? Rencontrez-vous des difficultés ? Les Restos du Coeur sont implantés dans mon département. Les collectivités considèrent-elles toujours qu'assurer l'alimentation des plus vulnérables, avec notre aide, est une de leurs priorités ?
M. Patrice Douret, président des Restos du Coeur. -Il est évident que les communes, et les collectivités en général, jouent un rôle essentiel, ne serait-ce qu'en mettant à disposition des associations des locaux, souvent gratuitement. On sent bien les difficultés qu'elles ont pour conserver le même niveau d'accompagnement, du fait des pressions budgétaires auxquelles elles sont soumises. Les besoins sont considérables. Toutes les associations se tournent vers leur mairie ou leur conseil départemental pour être aidées. Il est vrai qu'aujourd'hui, c'est de plus en plus difficile. Certains indicateurs montrent que certaines collectivités vont se désengager, même si elles sont très attristées de le faire.
Nous essayons d'informer nos équipes que leur action est possible grâce au soutien de l'Europe. Un affichage à cet égard est obligatoire dans nos entrepôts, dans nos centres d'activité. Lors d'une maraude, j'ai expliqué que les boîtes de thon que nous distribuions l'étaient grâce à une décision prise à Bruxelles. Nous avons d'ailleurs réalisé une vidéo pour expliquer le parcours de ces boîtes de thon. Nous faisons donc un effort de pédagogie, mais pouvons sans doute aller encore plus loin en la matière.
Le programme SEAA représente 0,3 % du budget européen. C'est peu à l'échelle européenne mais, pour nous, ces sommes sont très importantes. Nous devons bien évidemment anticiper une éventuelle réduction des aides. Les incertitudes sont nombreuses. Nous ne savons pas si ce budget sera maintenu ni, le cas échéant, sous quelle forme. Il serait dramatique de le supprimer. Sans cette aide, nous devrions alors acheter les denrées et compter encore plus sur l'effort des donateurs, des entreprises. Le risque est que nos étagères restent vides et que nous ne puissions plus assurer nos missions d'accompagnement et de lien social. Je rappelle que 15 % de nos bénévoles sont des personnes que nous aidons. Ce bénévolat est une occasion pour elles de se reconstruire, de se former et de retrouver le chemin de l'emploi.
M. Philippe Da Costa, président de la Croix-Rouge française. - En ce qui concerne le lien avec les collectivités, je suis assez inquiet à propos de l'immobilier. Les collectivités mettent à disposition des associations des locaux, mais, en raison des tensions économiques auxquelles elles sont confrontées, elles doivent faire des arbitrages, céder des actifs, et le risque est qu'elles ne puissent plus toujours nous fournir des locaux. Parfois nous avons des locaux en propre, mais cela ne permet pas de compenser un repli éventuel des collectivités.
La Croix-Rouge a un réseau européen et dispose d'un bureau à Bruxelles. On observe de plus en plus une interpénétration entre la gestion des crises naturelles et la gestion des crises sociales. La réponse aux catastrophes naturelles nécessite une articulation avec la dimension sociale. Par le passé, les équipes de la Croix-Rouge étaient un peu spécialisées : il y avait les équipes liées aux interventions d'urgence et celles liées aux interventions sociales. Mais l'articulation entre les deux est devenue indispensable. C'est pour cela que nous essayons de construire, entre les sociétés nationales européennes de la Croix-Rouge, un réseau pour fournir des réponses adaptées aux crises de demain, en dépassant la seule question de l'accès aux biens essentiels.
M. Jean-Benoît Dujol. - Communiquer sur le programme et mettre en avant sa dimension européenne font partie des obligations de ses bénéficiaires. Ces derniers sont tenus d'afficher dans leurs locaux le logo de l'Union européenne. Cela peut être vérifié à l'occasion des contrôles. Les autorités de gestion du programme en France - la DGCS et la direction générale des finances publiques (DGFiP) - disposent également d'un petit budget de communication fourni par l'Union européenne pour tourner des vidéos promotionnelles. Nous le faisons de manière scrupuleuse. En tant que bénéficiaire de crédits européens, il nous appartient de faire savoir que notre action est possible grâce à l'Europe.
En ce qui concerne les indicateurs, nous ne raisonnons pas, pour ce programme, dans une logique d'impact. Ce que la Commission européenne attend de nous, c'est un reporting précis en termes de traçabilité et de conformité. Nous devons vérifier qu'on achète les bons produits - c'est-à-dire ceux qui sont décrits de manière très précise, jusque dans leur composition, dans les fiches produits qui figurent dans les différents documents -, qu'on achète les bonnes quantités, qu'on les livre au bon endroit, auprès des bonnes associations, afin qu'elles les distribuent, selon certaines conditions. Le respect de cette compliance fait l'objet d'une vérification.
Cela ne nous empêche pas, par ailleurs, de nous interroger pour savoir si notre aide alimentaire vise les bonnes personnes. Le comité national de coordination de la lutte contre la précarité alimentaire, qui est piloté par le ministère et qui associe l'ensemble des parties prenantes, diligente parfois des études pour réfléchir au bon modèle de l'aide alimentaire, à la nature des produits que nous distribuons, ainsi qu'aux bénéficiaires que nous devons cibler. Toutefois, dans le cadre du programme stricto sensu, les contrôles s'inscrivent dans une logique de respect de la conformité.
Mme Joëlle Bottalico, secrétaire générale adjointe du Secours populaire français. - Il y a une obligation d'affichage. Au-delà, il s'agit de faire comprendre ce qu'est l'Europe. Par exemple, avec différents partenaires, nous organisons les Villages Copain du monde, afin de faire partie en vacances des enfants, pour leur permettre de découvrir d'autres cultures en Europe pendant deux ou trois semaines. À cette occasion, ils nouent des liens avec des enfants qui n'ont pas forcément les mêmes langues. Des interconnexions et des interrelations se nouent. Voilà une façon très concrète d'appréhender ce qu'est l'Europe, à travers la découverte d'autres peuples, d'autres pratiques, d'autres expériences. Nous demandons aussi aux enfants de construire un projet de solidarité pour le pays dans lequel ils sont. Là encore, la solidarité permet de construire de manière concrète, et non pas abstraite, l'Europe des peuples.
Mme Barbara Mauvilain, responsable du pôle des relations institutionnelles de la Fédération française des banques alimentaires. - La fédération européenne des banques alimentaires, qui regroupe trente pays, dont trois pays hors Union européenne, et des pays associés, comme l'Ukraine et la Moldavie, a créé une communauté d'échanges de bonnes pratiques. On organise très régulièrement des réunions sur ce thème. Dans deux semaines aura lieu notre convention annuelle. La France est un modèle en Europe. Je suis régulièrement sollicitée par mes collègues pour leur expliquer comment nous fonctionnons, ce que nous faisons. Mes homologues européens apprécient notre modèle fondé sur le dialogue et la concertation entre les quatre grands réseaux et avec l'administration. Certains cherchent à s'inspirer de ce modèle, notamment pour construire des liens avec leur gouvernement.
Je conclurai sur les indicateurs de l'impact. Ce sera sans doute l'un des enjeux de la prochaine programmation financière pluriannuelle, puisque, dans sa note de février, la Commission met l'accent sur la question de l'impact. C'est compréhensible. Néanmoins, il faut garder en tête que notre action porte sur la distribution d'aide alimentaire, la construction de lien social, le soutien à la reconstruction des personnes dans leurs parcours de vie, etc. Il est difficile d'objectiver tous ces éléments dans des grilles très concrètes d'indicateurs d'impact.
En revanche, il est extrêmement important d'être exigeant en matière de conformité, de traçabilité et de qualité. Nous devons aussi veiller à conserver la gratuité et à éviter l'instauration de critères de sélection en fonction du profil des personnes.
Mme Charlotte Guiffard, directrice de l'inclusion de la Croix-Rouge française. - L'expérience espagnole a été évoquée. Les remontées dont on dispose sur le système de distribution de chèques alimentaires montrent que ce système est complexe à mettre en oeuvre. Parfois, il s'accompagne d'une situation de monopole de certains acteurs qui peut être problématique. Les bénéficiaires des chèques sont quelquefois obligés d'aller assez loin pour les toucher, ce qui pose des problèmes de mobilité solidaire. Le choix des produits proposés est souvent assez restreint, ce qui n'est pas cohérent avec une logique de renforcement de l'estime de soi et de la confiance.
M. Jean-François Rapin, président. - Je vous remercie. Notre commission prépare un avis politique qui sera adressé à la Commission européenne sur le cadre financier pluriannuel. Il comportera un volet sur le FSE+. La Commission européenne a le devoir de nous répondre. Notre avis politique a donc un impact direct sur la Commission. Nous souhaitons que certains crédits soient sanctuarisés, même si le contexte budgétaire est contraint. Les économies doivent être équitablement partagées, et ne pas reposer uniquement sur certains secteurs.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 16 h 30.
Mercredi 28 mai 2025
- Présidence de M. Claude Kern, vice-président -
La réunion est ouverte à 14 h 00.
Plan européen pour vaincre le cancer - Examen du rapport d'information et de la proposition d'avis politique
M. Claude Kern, président. - Mes chers collègues, je vous prie d'excuser l'absence du président Jean-François Rapin et vous indique, qu'en raison des nombreux déplacements prévus, notre commission ne se réunira pas la semaine prochaine.
Nous nous réunissons cet après-midi pour examiner le projet de rapport d'information de nos collègues Pascale Gruny, Bernard Jomier et Cathy Apourceau-Poly, ainsi que leur proposition d'avis politique sur le plan européen pour vaincre le cancer.
Ce plan, présenté en février 2021, répond à un engagement fort et sans précédent de la Commission européenne sur cette thématique à forts enjeux, le cancer étant la deuxième cause de mortalité en Europe.
Alors que la Commission européenne va bientôt présenter sa proposition de maquette pour le prochain cadre financier pluriannuel, il est important de dresser un bilan des actions menées et de la valeur ajoutée de l'Union européenne.
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. - La Commission européenne a présenté en février 2021 le plan européen pour vaincre le cancer, ou « plan cancer ».
Conçu pour être mis en oeuvre entre 2021 et 2027, ce plan aborde tous les axes de la lutte contre le cancer, à savoir la recherche, la prévention, le dépistage et les soins, ainsi que la qualité de vie des patients et des survivants du cancer. Il vise à favoriser l'utilisation des nouvelles technologies du numérique et à lutter contre les inégalités face à cette maladie, tout en accordant une attention particulière aux cancers pédiatriques.
À cette fin, le plan cancer doit permettre le lancement de plusieurs initiatives, législatives ou non, dont dix initiatives phares.
Ces initiatives se déclinent en projets dont la réalisation associe l'Union européenne et, selon leur volonté, les États membres, des associations ou des centres de soins ou de recherche. L'Union européenne finance généralement 60 à 80 % du projet, le reste étant à la charge des autres participants.
À ce jour, toutes les initiatives phares prévues ont été lancées, ce dont on peut se féliciter.
Ce plan traduit une mobilisation sans précédent de la Commission européenne pour lutter contre le cancer. L'engagement financier est également significatif : le budget potentiel pour la mise en oeuvre des initiatives du plan s'élève à quatre milliards d'euros, provenant essentiellement du programme « L'UE pour la santé » et du programme-cadre « Horizon Europe ».
Cette mobilisation contre le cancer est complétée par la création d'une « mission cancer » au sein de la direction générale de la recherche et de l'innovation (DGRI). Cette mission doit permettre d'atteindre les objectifs et de déployer les initiatives du plan cancer.
Dans le domaine de la recherche, l'Union européenne dispose d'une compétence étendue, affirmée par les articles 179 et 180 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). Les différents piliers du programme-cadre « Horizon Europe » financeront la recherche contre le cancer à hauteur de deux milliards d'euros.
Si ce montant potentiel est particulièrement important, nous souhaitons que les plus petites structures puissent également bénéficier de ces fonds. Dès lors, une simplification des démarches administratives nécessaires devrait être engagée.
Par ailleurs, certains projets de recherche, visant notamment à suivre les séquelles de survivants du cancer, doivent être menés sur le long terme. De ce fait, ils nécessitent un engagement financier sur plusieurs années. Il nous paraît donc essentiel d'adapter la durée du financement au projet financé.
L'Union européenne devrait prioritairement soutenir des projets qui ne présentent pas d'intérêt pour le secteur privé : c'est le cas de la recherche sur les cancers rares, notamment les cancers pédiatriques, mais aussi de la désescalade thérapeutique, qui permettrait de réduire les effets toxiques des traitements sur les malades pour un bénéfice médical égal.
De même, il serait intéressant de comprendre la hausse du nombre de cas de cancers chez les jeunes adultes afin de mettre en oeuvre des actions de prévention et de dépistage spécifiques.
En outre, conformément au plan cancer et en s'appuyant sur la « mission cancer », la Commission européenne a lancé plusieurs initiatives visant à créer des structures et des outils permettant de soutenir la recherche.
Le centre de connaissances sur le cancer a ainsi été créé le 30 juin 2021 afin de fournir les données scientifiques nécessaires pour mieux lutter contre cette maladie. Il se chargera notamment du registre des inégalités face au cancer, qui vise à recenser les disparités entre les États membres et en leur sein face au cancer. La Commission a confié à l'OCDE la collecte des données, et des rapports sont publiés tous les deux ans pour chaque État membre.
Pour soutenir les activités du centre de connaissances sur le cancer, il est nécessaire que chaque État membre dispose d'un registre du cancer permettant la collecte et l'analyse de données relatives à la maladie et aux soins. Il est donc important que la Commission européenne continue de soutenir les États membres dans la production de données. Or, contrairement à 22 États membres de l'Union européenne, la France ne dispose toujours pas d'un registre du cancer, malgré une proposition de loi adoptée par notre assemblée en 2024.
La Commission européenne développe également différents outils pour stimuler la recherche. C'est le cas de l'initiative UNCAN.eu (UNderstand CANcer), dont le but est de créer une plateforme européenne de données des recherches sur le cancer afin de mieux comprendre les mécanismes de la maladie et de repérer les personnes à risque.
De même, le futur atlas européen des images liées au cancer doit permettre le déploiement d'une infrastructure européenne pour héberger ces images.
Nous soutenons particulièrement ces initiatives. En conséquence, nous demandons à la Commission européenne de s'assurer que les deux bases de données créées soient complémentaires et interopérables, de manière à pouvoir croiser ces données.
Enfin, la Commission européenne soutient le repositionnement de médicaments déjà sur le marché. Il s'agit là d'une piste prometteuse pour développer de nouvelles thérapies.
Lors de nos auditions, notre attention a été appelée sur les difficultés de mise en oeuvre du règlement relatif aux dispositifs médicaux de diagnostic in vitro. Ce cadre complique particulièrement les démarches administratives pour la réalisation d'essais cliniques incluant à la fois ces dispositifs et des médicaments.
En outre, le système de certification retenu est actuellement sous-dimensionné et engendre des risques de pénuries.
Le Parlement européen a adopté, le 23 octobre dernier, une résolution appelant la Commission européenne à réviser rapidement ce règlement. Nous soutenons tout spécialement cette initiative, afin que la recherche puisse se développer sur le territoire de l'Union européenne.
À présent, Bernard Jomier va aborder les questions liées à la prévention et au dépistage précoce.
M. Bernard Jomier, rapporteur. - La prévention doit être, selon nous, un axe essentiel du plan pour vaincre le cancer. Au sein de l'Union européenne, 40 % des cancers pourraient être évités, raison pour laquelle nous souhaitons voir cet axe renforcé.
Certes, des progrès ont été accomplis. La Commission européenne a proposé diverses initiatives législatives pour réduire la pollution de l'environnement et l'exposition des travailleurs aux substances cancérigènes. Elle a ainsi présenté, en octobre 2022, un paquet intitulé « zéro pollution » comprenant trois textes qui visent à garantir un environnement exempt de polluants nocifs d'ici à 2050. Deux de ces textes ont été adoptés : une directive relative au traitement des eaux résiduaires urbaines et une directive traitant de la qualité de l'air ambiant. Le troisième texte est toujours en discussion : il s'agit d'une proposition de directive portant sur la qualité de l'eau. Nous appelons le Parlement européen et le Conseil à s'accorder pour adopter ce texte.
La directive visant à limiter les émissions industrielles a été révisée. Le but était d'élargir son champ d'application aux activités d'extraction minière et à un plus grand nombre d'exploitations porcines et avicoles. L'adoption de nouvelles normes de performance en matière d'émissions de dioxyde de carbone pour les véhicules à moteur aura également un impact certain sur la qualité de l'air.
Les études semblent indiquer que la hausse du nombre de cancers chez les jeunes adultes, tendance on ne peut plus préoccupante, est liée à des facteurs environnementaux. Une actualisation du plan cancer devrait permettre l'application de mesures de prévention adaptées pour enrayer cette hausse.
S'agissant de l'exposition aux substances cancérogènes au travail, une directive a été adoptée pour réduire la concentration maximale d'amiante en suspension dans l'air à laquelle un travailleur peut être exposé. Les limites d'exposition professionnelle ont également été réduites pour trois substances - l'acrylonitrile, les composés du nickel et le benzène.
Bien sûr, nous soutenons ces mesures annoncées dans le cadre du plan cancer. Toutefois, d'autres initiatives n'ont pas pu être mises en oeuvre. Elles concernent le tabac, l'alcool et la lutte contre l'obésité.
Le Conseil a adopté une recommandation appelant les États membres à définir de nouveaux espaces sans tabac. De son côté, la Commission a adopté une directive déléguée afin d'étendre aux produits à base de tabac chauffé l'interdiction de mise sur le marché de produits contenant des arômes. L'effort demeure néanmoins insuffisant.
Le plan cancer devait assurer la révision de la législation relative au tabac et une révision des législations relatives à la taxation du tabac et de l'alcool, mais aucune proposition n'a été faite en ce sens, ce que nous regrettons particulièrement. Nous invitons la Commission européenne à présenter rapidement des initiatives législatives pour réduire la consommation de tabac et d'alcool et réguler les nouveaux produits à base de tabac et d'alcool mis sur le marché, notamment à destination des plus jeunes.
La lutte contre l'obésité est également essentielle pour lutter contre le cancer. Avec sa stratégie « De la ferme à la table », la Commission européenne entendait proposer une initiative législative imposant un étiquetage nutritionnel harmonisé, sur le modèle du Nutri-Score français, ainsi qu'une révision de la politique de promotion des produits agricoles.
Ces annonces ont été reprises dans le plan cancer mais elles n'ont pas été suivies d'effets. La Commission européenne indique ne pas avoir proposé d'initiatives en raison de désaccords persistants entre les États membres. Sur ce sujet également, nous l'encourageons, ainsi que les États membres, à continuer de rechercher un compromis.
Un autre sujet demeure préoccupant pour nous : l'exposition aux rayonnements ultraviolets émis par les bancs solaires. En 2009, le rayonnement ultraviolet a été classé comme cancérigène par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC). Aussi, nous demandons à la Commission européenne de proposer une réglementation plus stricte pour l'utilisation des bancs solaires à des fins cosmétiques.
Par ailleurs, la Commission européenne a lancé, sur les recommandations du Conseil, un vaste programme de vaccination contre le papillomavirus humain et contre le virus de l'hépatite B, afin de réduire le nombre de cancers causés par ces infections. Il s'agit là d'une initiative essentielle pour lutter contre le cancer du col de l'utérus et le cancer du foie.
Enfin, la détection précoce du cancer augmente considérablement les chances de survie. Elle permet le recours à des traitements moins invasifs et moins toxiques pour les patients. Il était donc essentiel que le Conseil adopte une recommandation sur ce sujet en vue d'actualiser ses recommandations de 2003. Celle-ci a été adoptée le 9 décembre 2022. Son champ d'application a été étendu aux cancers du poumon, de la prostate et de l'estomac, en supplément du cancer du sein, du cancer du col de l'utérus et du cancer colorectal.
Pour permettre la mise en oeuvre de cette recommandation, la Commission européenne a lancé l'action commune EUcanScreen, dotée d'un budget de 31 millions d'euros. Elle vise à renforcer les capacités des États membres en matière de dépistage du cancer et à garantir l'égalité d'accès des citoyens européens éligibles aux programmes de dépistage.
Considérant que les politiques de détection précoce du cancer sont essentielles pour réduire la mortalité, nous appelons la Commission européenne à promouvoir, au sein de chaque État membre, des politiques ciblées vers les publics concernés, afin de réduire les inégalités en la matière.
Nous souhaitons également que ces politiques prennent en compte le caractère héréditaire de certains cancers et que le dépistage concerne davantage de personnes âgées, avec une politique adaptée et des personnels mieux formés à l'oncologie gériatrique.
Enfin, notre commission a récemment adopté une proposition de résolution européenne visant à promouvoir la recherche fondamentale et l'innovation de rupture dans le domaine des ARN extracellulaires et des vésicules extracellulaires. Il s'agit là de biomarqueurs qui pourraient être utilisés pour développer des méthodes de dépistage non invasives du cancer. Nous appelons la Commission européenne à soutenir la recherche dans ce domaine.
Je cède maintenant la parole à Pascale Gruny, qui évoquera l'offre de soins et les suites de ce plan.
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - S'agissant de l'offre de soins, la Commission européenne dispose d'une compétence moindre : en vertu du TFUE, la fourniture de soins de santé relève des États membres.
La Commission européenne s'efforce toutefois de développer des infrastructures de soins en favorisant la coopération et la coordination entre les structures nationales. Ainsi, elle a établi des standards pour la création de centres de cancérologie intégrés au sein de chaque État membre, et elle organise actuellement ces centres en réseau, conformément au plan cancer. En parallèle, des réseaux d'expertise permettent de développer les connaissances et les innovations sur des thématiques considérées comme critiques par la communauté européenne du cancer.
Des réseaux de référence permettent, quant à eux, de proposer un diagnostic ou un traitement pour un cas clinique particulier. L'initiative « Venir en aide aux enfants atteints d'un cancer », lancée dans le cadre du plan cancer, repose sur ces différents réseaux.
Pour financer les infrastructures de soins, les États membres peuvent recourir aux fonds de cohésion. Ces crédits permettent également de financer des équipements de pointe facilitant le dépistage du cancer. Il est donc nécessaire de conserver une enveloppe ambitieuse pour ces fonds dans le prochain cadre financier pluriannuel.
La Commission européenne tente également de développer l'accès aux traitements. Ainsi, le plan d'action SAMIRA doit garantir l'approvisionnement en radio-isotopes médicaux. L'initiative « Diagnostic et traitement du cancer pour tous » vise, pour sa part, à développer l'utilisation de la technologie du séquençage de nouvelle génération pour établir des profils génétiques des cellules tumorales. Le partage de ces profils permettra aux centres de cancérologie de recourir aux mêmes approches diagnostiques et thérapeutiques pour les patients présentant des profils comparables.
Disposant de compétences pour organiser le marché unique, la Commission européenne souhaite favoriser l'accès aux médicaments innovants et limiter les risques de pénurie. À cette fin, elle a proposé plusieurs initiatives législatives, dont le paquet pharmaceutique et une proposition de règlement pour garantir l'approvisionnement en médicaments critiques. Ces textes sont en cours d'examen.
Enfin, pour améliorer la qualité des soins, la Commission a, conformément au plan cancer, établi un programme de formation visant à favoriser la coopération entre les différents spécialistes dans le traitement du cancer.
Toutefois, la principale difficulté à laquelle sont confrontés les États membres reste le manque d'oncologues. La Commission européenne a ainsi lancé une première initiative intitulée eCAN afin de fournir un cadre de recommandations pour l'intégration de la télémédecine et de la télésurveillance dans les systèmes de soins de santé. Nous jugeons nécessaire de favoriser davantage le recours à ces pratiques, faute de mieux. Le développement de l'intelligence artificielle permettra également, à terme, de faire face au manque de radiologues.
Par ailleurs, le plan cancer détaille diverses initiatives pour améliorer la qualité de vie des patients et des survivants du cancer, avec des projets spécifiques et adaptés pour les enfants. Une carte à puce où seront stockées les informations relatives aux antécédents des survivants du cancer et les résultats de leurs examens est en cours d'élaboration. Elle permettra d'éviter la duplication inutile d'examens et de concentrer sur un seul support les informations relatives au parcours de soins.
La Commission a également créé un réseau permettant de mettre en relation des jeunes ayant survécu au cancer et leurs proches. Enfin, des discussions avec les représentants des banques et des assurances ont été engagées pour établir un code de bonne conduite visant à faciliter l'accès aux services financiers pour les survivants du cancer.
Pour notre part, nous souhaiterions que la Commission européenne aille plus loin en proposant un véritable droit à l'oubli : passé un certain délai, les survivants du cancer ne seraient plus obligés de mentionner leur maladie pour obtenir un prêt ou une assurance. En France, ce droit à l'oubli existe déjà : il s'applique après une période de cinq ans suivant la fin du traitement.
Au final, nous dressons, à mi-parcours, un bilan plutôt satisfaisant du plan européen pour vaincre le cancer. Toutefois, des inquiétudes demeurent pour l'après-2027, une fois que ce plan sera achevé.
En effet, de nombreuses initiatives lancées dans le cadre de ce plan devront être pérennisées. Si, pour certaines d'entre elles, des sources de financement nouvelles peuvent être espérées, d'autres continueront de dépendre des crédits européens. Les actions du réseau européen des centres nationaux de cancérologie pourraient, par exemple, être financées par ces centres. En revanche, le centre de connaissances sur le cancer et la carte à puce destinée aux survivants du cancer exigeront toujours des financements de l'Union européenne.
Or les budgets consacrés à la santé risquent de diminuer après 2027, avec l'adoption du nouveau cadre financier pluriannuel, alors que la Commission européenne prévoit un plan de lutte contre les maladies cardiovasculaires qui supposera des moyens financiers importants. C'est pourquoi nous demandons à celle-ci d'assurer la pérennité des initiatives du plan cancer au-delà de 2027, en prévoyant le financement des structures qui ont vocation à être pérennes.
Enfin, la Commission européenne est aujourd'hui particulièrement investie dans la lutte contre le cancer, au travers notamment de la direction générale de la santé et de la sécurité alimentaire et de la DGRI. Selon les services de la Commission européenne, il ne sera pas possible de maintenir un tel niveau d'engagement après 2027. Néanmoins, la lutte contre le cancer continuera d'impliquer de nombreux acteurs. Afin d'assurer la coordination des différentes actions de l'Union européenne, nous préconisons la création d'un institut européen de lutte contre le cancer.
Tel est le bilan que nous dressons de ce plan européen de lutte contre le cancer. Vous retrouverez l'ensemble des recommandations que nous venons de vous présenter dans le rapport d'information et dans l'avis politique que nous vous proposons d'adopter.
M. Claude Kern, président. - Merci pour vos excellentes présentations.
Mme Mathilde Ollivier. - L'Union européenne est l'un des continents où la consommation d'alcool est la plus importante au monde, entraînant une prévalence importante d'un certain nombre de cancers, notamment de cancers colorectaux.
Je veux rappeler l'importance d'avancer, à l'échelle européenne, notamment avec les producteurs de vins français qui se sont montrés assez rétifs à des mesures sur la taxation de l'alcool ou les avertissements sanitaires. Nous répondrions ainsi à une demande très forte des associations de médecins et des sociétés scientifiques.
En tant que Français, nous avons, sur ces questions, une position forte à tenir au niveau européen, une parole à porter. Nous ne pouvons pas seulement avoir une position de retrait et de soutien à notre industrie viticole, en dépit de son importance.
Je soutiendrai cet avis politique.
M. Bernard Jomier, rapporteur. - La position que nous défendons dans le rapport est claire : si le plan cancer est une initiative de la Commission européenne qui doit être saluée, s'il est globalement un bon plan, qui a apporté des financements importants et qui a permis d'avancer sur un certain nombre de points, il présente des faiblesses.
La prévention est la grande faiblesse de ce plan. Un certain nombre d'initiatives qui auraient dû être prises sur le tabac et l'alcool ne l'ont pas été. Nous en connaissons tous les raisons.
Effectivement, l'alcool est cancérigène, raison pour laquelle il est concerné par ce plan. Par ailleurs, l'augmentation très importante, depuis quelques années, des cancers chez les jeunes adultes, suscite une inquiétude particulière.
La responsabilité des différents facteurs n'est pas encore clairement précisée. Notre rapport cite une grande étude parue dans le BMJ (British Medical Journal) - une autre a été publiée aux États-Unis - qui pointe des facteurs environnementaux et des facteurs comportementaux, c'est-à-dire des habitudes de consommation.
Il convient de s'inquiéter du marketing qui cible les adolescents en proposant des produits qui mêlent l'alcool à des boissons sucrées ou à des arômes. Les fabricants de tabac font exactement la même chose. Il s'agit d'amener les très jeunes, qui ont une appétence pour le sucre, à une appétence pour la substance addictive, tabac ou alcool.
Nous devons absolument renforcer le cadre législatif. Les Parlements nationaux légifèrent, mais toujours tardivement. Il y a un défaut de législation au niveau européen.
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - La prévention est la faiblesse au niveau européen, mais aussi en France.
La prévention intéresse peu en général. Pourquoi les élus, qui sont rééligibles à court terme, s'intéresseraient-ils à la prévention, qui s'inscrit sur le temps long - dix ans, quinze ans... ? Ils préfèrent des résultats concrets dont ils pourront faire état dans un document de campagne ! Or la prévention est d'autant plus nécessaire qu'elle peut permettre de réduire le déficit de la sécurité sociale.
Ce matin, l'infirmière qui participait à la table ronde sur la santé scolaire organisée par la commission des affaires sociales a dit que beaucoup d'enfants commençaient à boire de l'alcool à 11 ans. C'est assez incroyable...
Nous avons, dans l'avis politique - aux alinéas 71 et 72 -, appelé à la vigilance sur les nouveaux produits du tabac, qui, avec leurs couleurs attrayantes, constituent aujourd'hui un produit d'appel auprès des jeunes.
La Commission européenne doit être vigilante à ce que les industries mettent sur le marché, voire à ce qu'elles projettent d'y mettre, en évitant la mise sur le marché de produits nocifs.
Certes, nous avons voté, ici, un texte sur les cigarettes électroniques jetables, les « puffs », mais nous l'avons fait tardivement - et il n'y a pas eu de vote ailleurs. C'est un vrai sujet.
Les chiffres de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) montrent que, plus que celle du vin, c'est la consommation d'alcools forts et de bière qui est très importante, particulièrement chez les jeunes. Les modes de consommation changent.
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. - Je partage largement ce qu'ont dit mes collègues.
« Mieux vaut prévenir que guérir », dit le dicton. On ne peut pas dire qu'il n'y a pas de prévention dans ce pays ni dans l'Union européenne, mais je pense que la prévention n'est pas assez suivie. On envoie des courriers aux gens pour qu'ils fassent différents dépistages : ils ne les font pas. On les relance : ils ne les font toujours pas. Cela ne suffit donc pas.
On observe une augmentation des cancers chez les 15-39 ans. Elle est liée, effectivement, à l'alcool, mais aussi au tabac, à la sédentarité, à la mauvaise alimentation et à toutes les substances chimiques qui peuvent exister aujourd'hui dans l'environnement. Je pense notamment aux ouvriers exposés à l'amiante, qui peuvent attraper, très jeunes, des cancers.
Pour ma part, je pense que ce plan a le mérite d'exister et qu'il donne des moyens. Cependant, il faut un meilleur suivi.
Je regrette les difficultés rencontrées par les petites structures pour bénéficier des fonds européens. Je déplore également le principe du reste à charge pour les patients mais ceci relève de politiques nationales.
Mme Amel Gacquerre. - Merci beaucoup pour tous ces éléments.
Quid de l'inégalité entre les États membres ? Je pense aux inégalités d'accès aux oncologues, aux inégalités entre structures... Le fait que les systèmes nationaux ne soient pas identiques pose-t-il des problèmes de coordination dans la mise en oeuvre du plan ?
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - Je rappelle que l'Union européenne dispose uniquement d'une compétence d'appui en matière de santé.
La coordination s'est tout de même améliorée depuis le Covid-19, notamment en matière de recherche.
Le plan apporte beaucoup en termes de moyens, mais il est vrai qu'il y a des disparités dans la déclinaison au niveau des États membres - c'est vrai partout.
Par exemple, je sais que, dans un certain pays d'Europe du Nord, le dépistage du cancer du sein se fait très tôt - bien plus tôt que chez nous, où les cancers des jeunes femmes ne sont pas dépistés.
Un registre des inégalités face au cancer a justement été lancé pour les répertorier. Des fonds de cohésion sont versés afin d'apporter un soutien aux États membres en ce domaine. Au reste, les réseaux d'expertise et le réseau des centres de cancérologie sont en train de se structurer.
Je vous remercie, chère collègue, de cette question très intéressante.
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. - Elle pourrait donner lieu à un autre rapport...
M. Claude Kern, président. - En effet.
La commission autorise la publication du rapport d'information et adopte, à l'unanimité, l'avis politique, qui sera adressé à la Commission européenne.
La réunion est close à 14 h 35.