Mercredi 4 juin 2025
- Présidence de Mme Dominique Vérien, présidente -
La réunion est ouverte à 16 h 30.
Audition Denis Bertin et d'Isabelle Régner
Mme Dominique Vérien, présidente. - Chers collègues, Mesdames, Messieurs, dans le cadre de nos travaux sur la thématique « Femmes et sciences » entamés il y a trois mois, nous recevons aujourd'hui des représentants d'Aix-Marseille Université (dite amU).
Je souhaite la bienvenue à :
- Denis Bertin, vice-président d'Aix-Marseille Université, en charge de la mise en oeuvre du programme « Safe Place for Science » de l'université, qui est un programme d'accueil de chercheurs et chercheuses venus des États-Unis ;
- Isabelle Régner, vice-présidente à l'Égalité Femmes-Hommes et à la Lutte contre les Discriminations d'Aix-Marseille Université. Mme Régner est par ailleurs professeure de psychologie sociale et étudie notamment l'effet des stéréotypes sociaux sur les performances et les évaluations dans différents domaines de compétences, dont les mathématiques.
Je précise que cette table ronde fait l'objet d'une captation audiovisuelle en vue de sa retransmission en direct sur le site et les réseaux sociaux du Sénat.
Comme vous le savez, notre mission vise à identifier les leviers d'action permettant de donner aux filles et aux femmes toute leur place dans les parcours et carrières scientifiques, alors qu'elles ne représentent encore qu'un tiers des chercheurs scientifiques et un quart des ingénieurs en France.
Cette sous-représentation féminine dans les études et carrières scientifiques est la conséquence d'une insuffisante orientation des filles vers les filières et spécialités scientifiques au lycée puis dans les études supérieures, mais aussi de différences de représentations et de résultats entre filles et garçons dès l'école primaire, en particulier en mathématiques.
En 2023, la France ne comptait ainsi que 13 % d'étudiantes universitaires diplômées dans les domaines des Sciences, technologies, ingénieries et mathématiques (STIM), contre 40 % d'étudiants diplômés.
Et parmi celles qui se lancent dans des carrières scientifiques après leurs études, près de la moitié quitte le monde scientifique au cours des dix années suivantes : il s'agit du phénomène bien connu du « tuyau percé ».
Si ce phénomène est multifactoriel, nos précédentes auditions ont mis en avant le poids des violences sexuelles et sexistes dans le milieu de la recherche scientifique, notamment au moment du doctorat, qui fait fuir de nombreuses femmes.
Pour renforcer la présence des filles dans les études scientifiques, la ministre de l'éducation nationale, Elisabeth Borne - que nous auditionnons demain -, a annoncé début mai plusieurs mesures visant à féminiser les filières scientifiques parmi lesquelles :
- sensibiliser et former tous les professeurs aux biais et stéréotypes de genre en sciences, de l'école primaire jusqu'au lycée ;
- sensibiliser les parents à l'intérêt des filières scientifiques pour les filles ;
- renforcer la place des filles dans les enseignements qui ouvrent vers les filières d'ingénieur et du numérique avec un objectif, d'ici 2030, de 50 % de filles qui choisissent la spécialité maths en première et en terminale, et de 30 % de filles dans chaque classe préparatoire scientifique ;
- enfin, promouvoir des rôles modèles scientifiques féminins dans le cadre d'un renforcement de la politique d'éducation à l'orientation.
Aucune mesure forte concernant les universités n'a pour l'instant été annoncée. Nos chercheurs scientifiques sont pourtant majoritairement formés au sein de nos universités. Nous ne saurions nous concentrer uniquement sur les classes préparatoires, les grandes écoles et les écoles d'ingénieurs.
Afin de connaître le plan d'action d'une université pluridisciplinaire réputée telle que celle d'Aix-Marseille pour recruter plus de femmes parmi ses étudiants, doctorants, post doctorants, mais aussi professeurs et chercheurs, puis les soutenir dans leur carrière, il nous a semblé essentiel, avec les quatre rapporteures Marie-Do Aeschlimann, qui vous prie d'excuser son absence, Jocelyne Antoine, Laure Darcos et Marie-Pierre Monier, présentes à mes côtés, de recevoir cet après-midi deux des vice-présidents de l'Université. Ils nous présenteront :
- d'une part, les recherches et le plan d'action de l'université pour lutter contre les biais de genre, spécifiquement dans les STIM, ainsi que l'initiative commune de l'université et de l'ONG Business Professional Women (BPW) pour sensibiliser les réseaux d'entreprises aux biais implicites de genre dans l'entreprise ;
- d'autre part, le programme « Safe Place for Science » et ses résultats, en particulier s'agissant de l'accueil de chercheurs et chercheuses venus des États-Unis travaillant sur les thématiques d'égalité femmes-hommes ou sur la santé des femmes par exemple. Je crois savoir que les entretiens pour la sélection des premiers chercheurs se sont tenus il y a quelques jours. Nous avons discuté de cette opportunité de récupérer de l'intelligence sur notre territoire lorsque nous avons reçu des chercheuses.
Lors d'un déplacement de notre délégation à New York en mars dernier, nous avions échangé avec des chercheuses françaises, qui avaient partagé avec nous leurs vives inquiétudes quant à la pérennité du financement américain de travaux de recherche ayant une dimension genrée et plus largement de tous les travaux liés à la diversité, l'équité et l'inclusion.
Je vous laisse sans plus tarder la parole et vous propose de vous organiser comme vous le souhaitez pour vos propos liminaires.
Mme Isabelle Régner, vice-présidente à l'Égalité Femmes-Hommes et à la Lutte contre les Discriminations d'Aix-Marseille Université. - Merci pour votre invitation. C'est un honneur de pouvoir aujourd'hui partager, en ma qualité de professeure de psychologie sociale et de vice-présidente de mon université, la manière dont nous mobilisons les résultats de la recherche pour agir concrètement contre l'influence des stéréotypes de genre, notamment dans les domaines des sciences et des technologies.
Je souhaite également remercier Laurence Kerjean, présidente de Business Professional Women (BPW) à Marseille, présente à nos côtés aujourd'hui. Elle a porté, en mars 2025, notre initiative commune de sensibilisation aux biais implicites de genre devant les instances de l'ONU. Celle-ci s'adresse non seulement aux réseaux d'entreprises, mais également aux familles et aux enfants.
Lors des auditions antérieures menées par votre délégation, le rôle des stéréotypes de genre a souvent été évoqué, à juste titre, car leur influence est puissante. Mais de quoi s'agit-il précisément ? Quelle est cette influence, et par quels mécanismes se manifeste-t-elle ?
C'est précisément à ces interrogations que la psychologie sociale et cognitive offre des réponses. En effet, l'accumulation des connaissances scientifiques sur ce sujet depuis les années 1930 a donné lieu à des milliers de publications à l'échelle internationale. Nos actions au sein d'Aix-Marseille Université s'appuient sur les résultats de ces travaux scientifiques. Je me permettrai de vous présenter quelques exemples pour illustrer la nature des initiatives que nous menons depuis 2021 dans ce domaine.
Commençons par définir ce que nous entendons par « stéréotypes de genre ». Il s'agit de croyances partagées, à des degrés divers, au sein d'une société et d'une culture, qui portent sur des caractéristiques telles que des traits de personnalité, des comportements, des compétences, voire des incompétences, seraient propres à certains individus en fonction de leur sexe. Par ce biais, les femmes et les hommes se voient assignés à des rôles spécifiques, avec des compétences ou des incompétences attribuées de manière très différenciée. Ces croyances ont une utilité : elles contribuent à simplifier notre environnement grâce à des raccourcis cognitifs, afin que notre cerveau, dont les compétences sont malgré tout limitées, puisse appréhender le monde extraordinairement complexe dans lequel nous vivons. Cependant ces raccourcis nous entraînent fréquemment vers des erreurs de jugement.
Les stéréotypes, en généralisant, nous amènent à occulter la richesse de la diversité humaine, laquelle se manifeste au niveau des individus, et non pas uniquement au sein des groupes socialement et culturellement construits. Dès lors, nous tendons à associer, de manière presque instinctive et sans effort conscient, les domaines des sciences et des technologies au genre masculin. À l'inverse, les domaines des sciences humaines, des soins, suscitent des associations équivalentes avec le genre féminin.
Ainsi, nos hormones nous prédisposeraient à être toutes d'excellentes mères et, en règle générale, des figures d'infirmières potentielles, mais certainement pas des médecins, encore moins des chirurgiens !
Ces stéréotypes, dans leur dimension automatique, sont reconnus par les plus jeunes dès l'âge de quatre ou cinq ans, mais leur composante automatique se renforce vers dix ans. À cet âge, lorsqu'ils pensent aux mathématiques, les enfants associent généralement cette discipline à un garçon, tandis que la lecture évoque, à leurs yeux, l'image d'une fille.
Cette composante automatique se manifeste également chez les adultes, et ce, pour l'ensemble des stéréotypes, pas uniquement ceux liés au genre. Les mécanismes que je vais brièvement évoquer s'appliquent de la même manière à tous les stéréotypes sociaux, qu'ils soient liés à l'âge, à l'origine culturelle, à la classe sociale ou à des situations de handicap.
Venons-en maintenant à l'influence de ces stéréotypes. De nombreuses publications internationales démontrent sans ambiguïté leur puissance, au point d'amener les individus les plus compétents dans un domaine à réaliser des performances bien en deçà de leur plein potentiel.
Cela est vrai tant pour les femmes face aux mathématiques et aux disciplines scientifiques en général, que pour les garçons, en ce qui concerne la lecture.
Il est même possible de faire échouer des hommes doués en mathématiques en fonction des informations qui leur sont fournies juste avant un test. Par exemple, si l'on confronte des étudiants brillants en mathématiques à un test particulièrement difficile tout en leur faisant croire qu'un groupe d'étudiants asiatiques réalisera le même test à côté d'eux, ces étudiants, malgré leur niveau, verront leurs performances décliner de manière significative. Comment l'expliquer ? Tout simplement parce que la mention des Asiatiques active inconsciemment un stéréotype bien ancré selon lequel ces derniers seraient plus performants en mathématiques que les Occidentaux.
Comment ce stéréotype engendre-t-il une contre-performance ? Dès lors qu'il véhicule des attentes de moins bonne réussite par rapport à un autre groupe, il génère des interférences cognitives, exacerbe le stress et la peur de l'échec. Tout cela vient saturer un élément fondamental dont nous avons besoin pour réussir des tâches complexes : la mémoire de travail. Cette mémoire est notre capacité à traiter l'information, à mobiliser nos connaissances, à écarter ce qui est superflu par rapport à la tâche à accomplir et à réguler notre stress pour optimiser nos chances de réussite. Si la tâche est simple, il est possible de compenser une performance défaillante. En revanche, lorsqu'elle est complexe, même les individus les plus talentueux afficheront une contre-performance.
Il existe également d'autres concepts pertinents, comme l'effet « backlash ». Celui-ci se traduit par des sanctions à l'encontre de quiconque ne se conforme pas aux rôles attribués par son groupe d'appartenance. Ainsi, un homme adoptant un comportement jugé trop féminin ou une femme se révélant trop masculine peuvent tous deux faire l'objet de sanctions. Les expérimentations soulignent clairement ce phénomène. Par exemple, à curriculum vitae identiques, lors d'une évaluation orale, un homme qui se comporte de manière assertive et compétitive sera perçu favorablement par le jury, indépendamment de sa composition, qui louera ses compétences supposées et son charisme. En revanche, lorsqu'une femme adopte le même comportement et dans les mêmes conditions d'évaluation, tout cela étant rigoureusement calibré et joué par des comédiens pour les besoins de l'expérimentation, elle est perçue comme légèrement moins compétente et, parfois, comme quelque peu agressive. On s'interrogera davantage sur son côté prétendument autoritaire ou sur les éventuelles difficultés à collaborer avec elle sur le long terme, conduisant in fine à privilégier la candidature masculine.
En outre, un corpus conséquent de travaux met en lumière la discrimination de genre à l'égard des femmes lors des processus de recrutement pour des postes en sciences. Là encore, à CV identiques, les professeurs d'université en physique, biologie et chimie, habitués à recruter des enseignants-chercheurs, évaluent les candidatures selon un biais de genre. Lorsqu'ils examinent un dossier qu'ils croient masculin, ils attribuent systématiquement des compétences perçues comme supérieures par rapport à un CV, identique, mais qu'ils croient féminin. Ils se montrent plus enclins à recruter l'homme, à lui offrir un mentorat ainsi qu'un salaire nettement plus élevé. Étant donné que les CV sont strictement identiques, aucun critère objectif ne peut justifier de tels écarts, qui se font systématiquement au détriment des candidates. C'est donc une forme indéniable de discrimination de genre.
Des études récentes, publiées notamment dans la revue Science Advances, démontrent que cette discrimination est d'autant plus susceptible de se manifester lorsque les évaluateurs et évaluatrices - car le genre de l'évaluateur n'influe pas sur la présence de biais - sont convaincus qu'il n'existe plus de discriminations de genre. Cette tendance à discriminer est en effet plus prononcée parmi ceux qui estiment que les mentalités ont suffisamment évolué et qu'il n'y a donc plus de discrimination de genre. Cette perception erronée conduit à des comportements discriminatoires.
Avec Pascal Huguet, directeur de recherche au CNRS, nous avons mis en évidence des biais similaires au sein des comités du CNRS, en particulier lors de l'évaluation des candidatures pour les postes de directeurs et directrices de recherche, couvrant un large éventail de disciplines. Il apparaît clairement que cette discrimination est souvent implicite : dans les jurys qui croient en moyenne qu'il n'existe pas de discrimination de genre au CNRS, plus leur stéréotype est solidement ancré dans leur mémoire, moins ils promeuvent de femmes directrices de recherche, par rapport à ce que leur présence dans le vivier des candidatures pourrait justifier.
Par ailleurs, il s'applique aussi des biais linguistiques liés au genre dans les lettres de recommandation. Indépendamment du genre de la personne les rédigeant, leur contenu est généralement plus favorable aux hommes qu'aux femmes. Bien que l'on fasse l'éloge de la compétence dans les deux cas - ce qui semble évident, car on ne rédige pas une lettre de recommandation pour quelqu'un dont on doute des capacités -, les caractéristiques valorisées diffèrent grandement. Par exemple, on retrouvera davantage l'expression « oustanding researcher », distinction caractérisée par la brillance et l'excellence académiques, pour définir les candidatures masculines. En revanche, les lettres en faveur des candidatures féminines évoqueront généralement des qualités telles que le sérieux, la rigueur et le travail, sans atteindre le niveau d'admiration réservé aux candidatures masculines.
Les études montrent que cette différence de contenu dans les lettres de recommandation agit défavorablement dans le recrutement des femmes.
Vous avez également mentionné l'importance des modèles féminins de réussite en sciences. Bien qu'indispensables, tous les modèles ne s'avèrent pas efficaces. La littérature en psychologie sociale et cognitive a mis en lumière depuis plus de cinquante ans les conditions nécessaires à l'efficacité des modèles de réussite. Un modèle, qu'il soit scientifique ou d'un autre domaine, ne sera pertinent que s'il permet aux personnes de s'identifier à lui. Il doit comporter des éléments de similitude et apparaître comme atteignable par les cibles qu'il vise, mais le modèle, dans sa façon de présenter sa réussite, doit aussi infirmer le stéréotype qui essentialise la compétence ou l'incompétence du genre auquel il appartient : un bon modèle est donc un modèle qui a réussi par le travail et l'effort. Cela pose beaucoup de conditions pour sélectionner des modèles pertinents, qui ne seraient pas uniquement fondés sur le principe d'une représentation féminine, mais sur leur capacité à inspirer durablement.
C'est sur la base de ces constats que nous avons élaboré nos actions au sein d'Aix-Marseille Université. Notre plan d'action ne consiste pas à mener des recherches, mais à mettre en oeuvre des interventions dont nous connaissons déjà les conditions d'efficacité. Nous veillons à les respecter scrupuleusement, car tout manquement pourrait compromettre le succès de nos initiatives. La transposition des résultats de la recherche dans le quotidien est complexe, d'autant plus que, contrairement à un laboratoire où les résistances sont limitées, le sujet de l'égalité femmes-hommes rencontre de nombreux obstacles, y compris au sein de l'université.
L'action phare que nous avons instaurée depuis 2020 à Aix-Marseille Université, à la demande de la Faculté des sciences, consiste en une sensibilisation des membres des comités de sélection chargés de recruter les enseignants-chercheurs dans les deux corps, à savoir le rang B et le rang A (maître de conférences et professeur des universités). Cette sensibilisation est précise, standardisée et requiert un travail d'encadrement considérable de ma part et de celle de mon équipe. En revanche, elle n'est absolument pas chronophage pour les membres des comités, puisqu'elle se déroule en seulement trois phases de dix minutes.
Peut-être n'êtes-vous pas au fait du système de recrutement actuel dans les universités françaises pour les enseignants-chercheurs. Il repose principalement sur deux réunions. La première réunion permet au comité d'examiner l'ensemble des candidatures déposées, chaque dossier étant présenté par deux experts ou expertes. Lors de cette réunion, qui se tient en une journée, le jury doit déterminer qui sera retenu pour passer l'audition, prévue environ une semaine plus tard. La seconde réunion consiste dans l'audition en présentiel des candidats et candidates, si tant est que des femmes aient été retenues à ce stade.
La première phase de la sensibilisation se déroule la semaine précédant la première réunion, ce qui implique que nous devons connaître les dates de réunion de l'ensemble des comités de sélection. Nous en comptons plus de 80 au sein de l'université d'Aix-Marseille. Je vous laisse imaginer l'ampleur du travail que cela représente. Lors de cette première phase, nous demandons aux membres du jury de prendre connaissance d'une fiche statistique présentant un état des lieux genrés des effectifs au sein de l'université, dans la composante qui va recruter, ainsi que dans le laboratoire et le département concernés, sans oublier la section CNU pour laquelle le poste est attribué. Nous incluons également les informations fournies par notre ministère sur le vivier national des candidats et candidates dans la discipline en question.
L'objectif est que les membres du jury soient informés de la sous-représentation éventuelle des femmes dans ce domaine précis. Nous les incitons également, tout au long de leur processus décisionnel, à tenir un compte des candidats et candidates qu'ils évaluent et des personnes retenues pour les auditions, et de leur classement selon le genre. Ce travail leur permet de prendre conscience de leur processus décisionnel en matière d'équité de genre par rapport au vivier des candidatures.
La seconde phase consiste à les inviter à réaliser le test des associations implicites, un test informatique de dix minutes qui mesure la force d'ancrage des stéréotypes associés à la science selon le genre, c'est-à-dire à quel point nous associons la science et la technologie au masculin, et les sciences humaines et sociales au féminin. Je tiens à préciser que ce test n'évalue pas notre accord avec ces stéréotypes, mais examine plutôt à quel point un groupe est automatiquement associé à une série de disciplines scientifiques. Cet outil revêt une fonction pédagogique indéniable, car il permet de mettre en lumière les associations qui peuvent poser problème, en révélant comment certaines réponses peuvent être ralenties par des stéréotypes en contradiction avec d'autres associations.
Les deuxièmes phases doivent impérativement se dérouler au début de chacune des réunions en présentiel. Au cours de la première réunion, nous demandons au comité de visionner un diaporama qui, en neuf minutes chrono, résume l'ensemble des résultats précédemment présentés, avec des graphiques et des références scientifiques pour étayer nos propos. Nous cherchons ici à faire réaliser aux membres des jurys, qui viennent de faire l'expérience de biais automatiques grâce au test, comment ceux-ci peuvent influencer leur évaluation, ainsi que les comportements des candidats et candidates qu'ils vont auditionner.
Lors de la deuxième réunion, nous leur faisons visionner une vidéo produite par l'université de Paris Sorbonne en collaboration avec le Théâtre de la Ville, intitulée « Les biais implicites à l'oeuvre ». Elle illustre les biais présents à chaque étape du processus décisionnel d'un comité de sélection universitaire. Elle révèle la stéréotypie en action, permettant ainsi aux membres du comité de prendre conscience de ces biais et de réguler leur discussion si nécessaire. De plus, elle offre une légitimité à la discussion entourant ces questions et assure un niveau d'information égal pour tous.
Naturellement, nous suivons des indicateurs de participation. En effet, évaluer l'efficacité d'une action est impossible sans connaître le degré de participation des membres. Le test des associations implicites est hébergé sur notre serveur universitaire, ce qui nous permet d'en évaluer le taux de participation. De plus, nous recevons des retours des présidents et présidentes concernant le visionnage collectif des vidéos. Même si la participation reste sur la base du volontariat, nous sommes en mesure de mesurer l'implication.
Grâce à cette initiative, que nous menons depuis cinq ans au sein de la Faculté des sciences, nous avons vu le pourcentage de femmes recrutées en tant que professeurs des universités passer de 14 % à 50 %. Au total, nous avons sensibilisé plus de 800 membres de jury, qu'ils soient hommes ou femmes.
Sensibilisation ne signifie pas formation : il s'agit d'un éveil de conscience momentané au sujet de ces enjeux. C'est pourquoi il est impératif de procéder à nouveau chaque année à des sessions de sensibilisation, tout en veillant à actualiser les supports afin d'éviter le sentiment de déjà-vu. Nous recommençons encore et encore, car sinon, notre cerveau risque de s'appuyer sur les automatismes liés aux stéréotypes pour orienter nos décisions. D'autant plus que certains comités, notamment ceux en charge des postes de maîtres de conférences en mathématiques, peuvent être amenés à évaluer jusqu'à 150 candidatures en une seule journée. Dans un tel contexte de pression temporelle et d'évaluation, vous pouvez imaginer que les heuristiques de jugement favorisent des décisions hâtives, particulièrement lorsqu'il s'agit de mettre des dossiers de côté.
C'est pourquoi nous ancrons l'ensemble de ces séances de sensibilisation dans des formations. Nous proposons des modules de 6, 9 et 18 heures et avons formé, grâce à ces programmes, plus de 9 000 personnels académiques, non seulement à Aix-Marseille Université, mais aussi dans d'autres établissements, et plus de 6 000 étudiants.
Ces formations sont très interactives, organisées par groupes de 15 à 20 participants maximum. Elles visent à approfondir la compréhension de l'origine cognitive des stéréotypes. Nous abordons également le fonctionnement de la mémoire, car il ne s'agit pas de magie, mais bien d'un processus très mécanique.
Nous avons également établi de nombreuses collaborations avec le second degré. Il est en effet primordial d'établir un lien solide entre le secondaire et l'enseignement supérieur.
Je tiens à faire une mention particulière de l'initiative Les Cigales, qui consiste en une immersion d'une semaine pour des lycéennes de seconde et de première à Aix-Marseille Université, au CIRM à Luminy. Nous avons aussi mis en place un programme de formation dirigé par Yannick Laurent, professeur de mathématiques au Lycée Montgrand, et Luc Laulan, inspecteur d'académie et inspecteur pédagogique (IA-IPR) en sciences et techniques industrielles.
Grâce à ces collaborateurs, nous formons des enseignants et des proviseurs de lycée sur l'influence des stéréotypes de genre, en travaillant étroitement avec eux pour explorer les manières d'appliquer ces résultats en classe et, potentiellement, de modifier certaines pratiques pédagogiques.
L'ensemble de ces formations est également décliné en partenariat avec BPW dans des entreprises, ainsi qu'auprès des familles et des enfants.
En dernier lieu, vous avez abordé la question des violences sexuelles et sexistes, qui sont étroitement liées aux stéréotypes de genre. C'est pourquoi, à Aix-Marseille Université, nous avons instauré en 2022 un service pour le respect et l'égalité, permettant de recueillir tous les signalements liés au racisme, au sexisme, aux violences sexuelles et sexistes, au harcèlement à caractère sexuel, au harcèlement moral, ainsi qu'au cyberharcèlement. En effet, comment travailler sereinement dans une ambiance marquée par le sexisme ambiant ou le harcèlement sexuel ? Nos statistiques illustrent à quel point ces problèmes sont préoccupants chez les doctorants.
Cette démarche revêt une réelle importance. Nous avons choisi de créer un service autonome en recrutant des professionnels externes spécialisés dans ces domaines. La collecte et le traitement des signalements nécessitent une expertise professionnelle, qui ne s'improvise pas. Ils exigent une disponibilité à plein temps, et ne relèvent pas de notre rôle d'enseignants-chercheurs. En établissant ce service, nous avons constaté une augmentation des signalements, passant de 13 par an dans une université regroupant plus de 80 000 étudiants et 8 200 personnels, à 250 saisines. Ce chiffre continue de croître. Avec un service universitaire professionnel et une équipe de cinq personnes à temps plein, nous avons la capacité d'assurer un suivi efficace.
Enfin, je tiens à souligner que l'égalité entre les femmes et les hommes, ainsi que la sensibilisation et la formation autour des stéréotypes de genre, ne peuvent être abordées sans mentionner les nombreuses résistances auxquelles nous faisons face. Le constat de la conférence permanente des référents égalité et diversité à laquelle j'appartiens, comme tous les référents égalité des universités, est sans appel. Il est extrêmement complexe aujourd'hui de mettre en place des actions en faveur de l'égalité telles que nous le demande notre ministère, car les formations ne sont pas obligatoires. Les résistances sont nombreuses, violentes, agressives et permanentes. Elles s'accompagnent d'une volonté systématique de discréditer les résultats de la recherche sur le sujet. Bien que tout le monde s'accorde à reconnaître l'importance de l'égalité entre les sexes, beaucoup s'opposent à la mise en place de mesures de discrimination positive, par crainte de voir des femmes incompétentes recrutées à la place d'hommes compétents. Ces voix viennent même de certains universitaires qui, en réalité, sont souvent mal informés sur la littérature scientifique pertinente.
Pour mettre en place un plan égalité femmes-hommes, nous avons besoin de ressources humaines et financières, mais surtout d'une légitimité consciente au sein des structures. Savez-vous combien de référents égalité/diversité au sein des universités détiennent un poste de vice-présidence ? Un tiers. C'est dérisoire. Les deux autres tiers se heurtent à d'énormes difficultés et souffrent de ne pouvoir mettre en oeuvre des actions en faveur de l'égalité, d'autant qu'en l'absence de connaissances scientifiques sur ce sujet, leur argumentaire et leur plaidoyer sont rendus bien plus complexes.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Merci beaucoup pour cet engagement.
M. Denis Bertin, vice-président d'Aix-Marseille Université, en charge de la mise en oeuvre du programme « Safe Place for Science » de l'université. - Peut-on affirmer que s'appuyer sur des travaux de recherche constitue un élément essentiel pour aborder des problématiques telles que celles-ci ? Je pense qu'Isabelle vous a convaincus du bien-fondé de cette approche. Permettez-moi de vous fournir quelques chiffres dans un contexte quelque peu différent avant de m'intéresser directement au programme « Safe place for Science », ainsi qu'à la situation aux États-Unis et son impact en matière de genre dans notre pays.
Le site d'Aix-Marseille est une des premières universités à avoir bénéficié du label Initiative d'Excellence, en 2016. Il jouit d'une dotation de l'État de 750 millions d'euros.
Pour piloter cette Initiative d'Excellence, nous avons créé une fondation intitulée Aix-Marseille Initiative d'Excellence, plus communément désignée sous le sigle Amidex, qui est hébergée par l'Université Aix-Marseille. Nous avons notamment mis en place un programme d'attractivité à dimension internationale.
Sommes-nous parvenus à mettre en oeuvre les stratégies que nous avons définies avec le président Éric Berton et la vice-présidente Isabelle Régner depuis 2020 ?
Depuis l'année 2021, soit un an après la mise en place de cette stratégie, la fondation Amidex, a continué de suivre cette ligne directrice et a décliné tous les dispositifs que vous a présentés Isabelle. Y sont inclus des appels ouverts à l'international, permettant à n'importe quel enseignant-chercheur dans le monde de soumettre sa candidature.
Nous avons reçu en 2021, 2022 et 2023 un peu plus de 200 candidatures toutes disciplines confondues. La faculté des sciences est très impliquée sur le sujet. En revanche, il semble que d'autres facultés aient encore des efforts à fournir. Notons cependant, sur le sujet de la mobilité, qui est essentiel pour l'attractivité, que moins de 30 % des candidatures reçues proviennent de femmes. Ce constat souligne la problématique de la place des femmes dans l'enseignement supérieur et la recherche, qui est liée à des questions de mobilité familiale et autres.
Nous nous sommes assurés de former nos membres du jury chaque année à évaluer les candidatures uniquement sur la base des compétences. Les résultats sont significatifs : en mettant l'accent sur les dossiers scientifiques de chaque candidat, nous avons constaté que la compétence est omniprésente, et qu'elle est réellement au coeur de la sélection. Au départ, notre indice de parité était très faible, avec moins de 30 % de candidatures féminines. Lors de la présélection et de la sélection finale, nous avons obtenu un indice de parité de 1,5, ce qui signifie que nous avons recruté davantage de femmes que d'hommes.
Au sein de notre échantillon de 200 candidatures, dont moins de 30 % étaient féminines, nous avons procédé à la sélection d'un certain nombre de collègues, suivie des auditions, selon la même procédure que celle que vous a exposée Isabelle. En collaborant étroitement avec les membres des comités de sélection, nous avons pu établir que cette approche axée sur les compétences fonctionne. En conséquence, nous avons recruté les meilleurs enseignants-chercheurs, tant féminins que masculins, et parmi eux, nous avons recruté proportionnellement plus de femmes que le pourcentage de candidatures féminines initiales.
Nous avons investi beaucoup d'efforts avec nos membres du jury chaque année, en portant un accent particulier sur la notion de compétences. Il convient de noter que nous n'avons pas procédé à l'anonymisation des candidatures ; tous les évaluateurs avaient accès aux CV et aux lettres de recommandation. Les résultats démontrent que lorsque l'on met en place une politique d'établissement cohérente, elle peut effectivement porter ses fruits, notamment en ce qui concerne la partie attractivité.
Mme Dominique Vérien, présidente. - J'imagine que les 30 % de femmes ayant candidaté affichaient un niveau très élevé, sinon, elles n'auraient pas postulé.
M. Denis Bertin. - Non, pas toutes. La difficulté réside davantage dans les questions de mobilité et d'environnement familial. Elle risque d'être exacerbée dans le cadre du programme « Safe Place for Science ». Historiquement, nous avions chaque année deux ou trois postes à pourvoir, et parfois même cinq, lorsque nous recevions des candidatures particulièrement brillantes. Nous rencontrons encore des difficultés en matière d'attractivité dans certains domaines. Nous venons d'accueillir une mathématicienne polonaise d'une grande valeur, mais cette recherche n'a pas été un long fleuve tranquille. Il nous reste encore du travail dans certaines communautés pour continuer à promouvoir cette notion de compétence, quel que soit le genre.
Si vous me le permettez, j'aimerais aborder à présent le programme « Safe place for Science ». En parallèle, je préside également un institut d'études avancées, l'IMERA, qui a pour vocation d'accueillir artistes et scientifiques dans un cadre agréable à Marseille, au Palais Longchamp. Bien que dans une perspective modeste par rapport à ce que l'université américaine de Princeton a pu réaliser durant la Deuxième Guerre mondiale, nous offrons à des artistes et à des chercheurs, tant masculins que féminins, la possibilité de réaliser leurs projets pendant une durée allant de cinq à dix mois dans un environnement inspirant, sans aucune contrainte. Chaque année, nous accueillons des résidences scientifiques. Cette année, nous avons eu le plaisir d'accueillir quatre résidences pour des scientifiques et des artistes américains, arrivés en septembre.
Dès janvier, ces résidents nous ont avertis que la direction prise par le gouvernement américain aurait des conséquences dramatiques sur la recherche, ainsi que sur la place des femmes dans les sciences - toutes sciences confondues - aux États-Unis. Au début de l'année 2025, le président Éric Berton et moi-même avons donc initié le programme « Safe Place for Science » dès le début du mois de mars, en prenant en compte les signes avant-coureurs qui semblent se produire avec une intensité croissante.
Avant d'ouvrir cet appel, nous avons alloué 15 millions d'euros pour mettre en place une approche préliminaire et lancer ce programme afin d'accueillir des collègues se trouvant en situation difficile. Je précise aussi que cette initiative revêt une grande importance pour notre établissement, car nous participons également au programme PAUSE. Il vise à accueillir des artistes et des scientifiques en danger en raison de conflits israélo-palestiniens, russo-ukrainiens, etc. Nous avons ainsi reçu une dizaine de collègues et de familles palestiniennes vivant dans des conditions dramatiques.
Nous avons lancé l'appel en mars. Celui-ci a suscité un intérêt médiatique considérable, recueillant l'attention de nombreux médias, tant nationaux qu'internationaux, y compris des chaînes prestigieuses comme CNN et la BBC, ainsi que des émissions japonaises et britanniques. En moins de trois semaines, nous avons reçu plus de 300 candidatures. Nous avons dû clore cette première phase d'examen pour les analyser de manière approfondie. Fait étonnant, nous avons reçu 50 % de candidatures féminines et 50 % de candidatures masculines. Ce constat contraste fortement avec le programme d'attractivité classique, où nous recevions, comme indiqué précédemment, moins d'un tiers de candidatures féminines.
Aujourd'hui, la situation des femmes chercheuses et enseignantes-chercheuses aux États-Unis est particulièrement préoccupante. Nous avons effectivement reçu une répartition équilibrée entre les candidatures féminines et masculines, et cela, peu importe les disciplines concernées.
Les sciences exactes - physique, chimie, mathématiques - sont moins malmenées que d'autres disciplines par le gouvernement américain. En revanche, les sciences de l'environnement et les sciences de la vie, y compris la santé, sont touchées, notamment lorsqu'elles ont trait aux enjeux relatifs aux femmes et aux enfants, à la biodiversité et la nutrition. Les défis se présentent également en astrophysique, à la lumière des préoccupations de la NASA en matière de lobbying par certains groupes privés.
Les sciences humaines et sociales, quant à elles, subissent une pression sans précédent de la part du Gouvernement. Les discussions sur l'histoire, la migration ou les droits des minorités, notamment LGBT+, sont désormais prohibées.
Nous avons donc été contraints de clore cet appel fin mars. Nous avons constitué un comité de présélection, au cours duquel nous avons retenu 40 collègues. Aujourd'hui, nous affichons un indice de parité de 1, ce qui signifie que nous avons atteint une répartition égale entre hommes et femmes. Nous avons appliqué les mêmes protocoles et stratégies, pour atteindre un indice de 1,35 en faveur des femmes. Ainsi, lorsque nous nous concentrons sur les compétences, il n'existe pas de différence marquée. Cette équité est observable en sciences humaines et sociales, en sciences de la vie et en environnement.
Nous avons mené 40 entretiens avec ces collègues, chacun durant une heure, durant les 15 premiers jours de mai. Lors de chaque entretien, qu'il concerne un homme ou une femme, le candidat a révélé un sentiment de désespoir important et de crainte. Certains hésitent encore à communiquer sur le fait qu'ils ont postulé chez nous, craignant des représailles, les empêchant d'intervenir publiquement. Les proches de certains ont déjà vécu des licenciements soudains d'organisations gouvernementales pour avoir pris position. Dans ce contexte, peu de personnes osent s'exprimer aux États-Unis.
De nombreux projets relatifs au sujet qui nous occupe aujourd'hui, femmes et sciences, mettaient l'accent sur la santé des femmes et des enfants. Historiquement, les financements étaient nombreux aux États-Unis via le NIH (National Institute of Health) pour soutenir ces recherches. Les budgets associés étaient considérables, bien supérieurs à ceux disponibles en France. Certains candidats ont connu des réductions de budget sur leur programme de recherche de 2 millions d'euros du jour au lendemain, les crédits ayant été coupés. La situation du NIH devrait encore s'aggraver en septembre.
Il est essentiel, lorsque nous établissons une politique d'établissement fondée sur les compétences, de nous assurer qu'aucun biais de genre ne se manifeste. Nous y parvenons même à l'échelle internationale. Ce constat confirme que les recherches menées par Isabelle ont un sens, et que nous sommes capables de les mettre en oeuvre. Il en résulte un message au niveau national : je pense que les relations entre le domaine scientifique et la politique pourraient être améliorées dans de nombreux contextes.
Vous avez peu évoqué l'écho de la baisse de budget du NIH. En France, il n'existe pas de programme spécifique de recherche sur la santé des femmes ni de guichet de financement dédié. Des tentatives ont été engagées, mais elles s'avèrent complexes. L'Agence nationale de la recherche ne dispose pas d'un programme équivalent à celui du NIH pour la santé des femmes. Nous avons mis en place un PEPR (Programme et Équipement Prioritaire de Recherche) sur la santé des femmes, qui représente une première avancée. Pour autant, les 50 millions d'euros alloués dans ce domaine sont marginaux par rapport aux investissements de 500 à 600 millions d'euros par an aux États-Unis.
Nous prévoyons d'accueillir ces collègues et de leur offrir un soutien financier de 200 000 euros par an pendant trois ans, ce qui représente un total de 600 000 euros pour mener leurs travaux de recherches. Toutefois, nous serons confrontés à des questions relatives à la politique nationale permettant d'accompagner ces collègues. C'est un véritable enjeu.
La santé des femmes et des enfants mérite également d'être mise en avant. Le sujet de l'endométriose commence à être reconnu à l'échelle nationale. Des financements, bien que limités, y sont aujourd'hui alloués. Néanmoins, nous devons aller beaucoup plus loin.
De plus, toutes les études cliniques en matière de santé sont généralement réalisées sur des cohortes composées majoritairement d'hommes. Bien qu'une prise de conscience commence à émerger, je reste critique à cet égard. Actuellement, moins de 10 % des participants dans ces études sont des femmes, ce qui les rend pratiquement invisibles dans les résultats. C'est là un enjeu majeur.
La physiologie masculine présente généralement moins de variabilité que celle que l'on observe chez les femmes. Ainsi, si nous souhaitons véritablement approfondir ce thème, nous devons être conscients que les coûts associés aux études cliniques pourraient augmenter de deux à trois fois en raison de la nécessité de suivre l'évolution physiologique des femmes.
Cette question soulève de véritables enjeux politiques : comment pouvons-nous défendre cette approche tout en reconnaissant qu'elle engendrera des coûts élevés ? Toutefois, il est important de noter que cet investissement pourrait permettre de développer des médicaments spécifiquement adaptés aux femmes, offrant ainsi une efficacité bien supérieure à celle observée avec les médicaments traditionnellement conçus pour les hommes.
Mme Laure Darcos, rapporteure. - Merci pour ces présentations passionnantes. Le Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres) est censé fournir des évaluations concernant les discriminations de genre. Or, c'est un aspect qui ne fait jamais l'objet de publications. C'est inquiétant.
M. Denis Bertin. - Un travail est engagé au sein du Rassemblement des universités à l'échelle européenne, où ce sujet est particulièrement porté. Nous sommes en train de collaborer avec une organisation appelée l'IEP, qui est responsable de l'évaluation des stratégies universitaires, dans laquelle nous pourrons intégrer ce thème. Ce travail est en bonne voie.
Le Hcéres ne fournit pas cette évaluation. Je pense qu'il serait nécessaire de refonder complètement cette structure. Nous devons la déstructurer pour la reconstruire, sans quoi elle ne sera nullement évolutive. Ce n'est là que mon avis personnel. Néanmoins, des avancées ont lieu au niveau européen. Je pourrai vous fournir davantage d'informations à ce sujet.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Nous avons récemment participé à un colloque dédié à la santé des femmes, au cours duquel il a été précisé que les cohortes étaient certes essentiellement masculines, mais qu'on y avait, semble-t-il, réintroduit des femmes.
M. Denis Bertin. - C'est le cas, mais de façon trop marginale.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Nous comprenons bien qu'y introduire 10 % de femmes ne les rendra pas plus visibles. Cela dit, les cohortes seront de fait féminines lorsqu'on étudiera l'endométriose ou le cancer du col de l'utérus.
Mme Isabelle Régner. - Il serait également pertinent d'étudier l'ostéoporose chez les hommes, car on observe également une sous-représentation des enjeux liés à cet aspect de la santé publique, alors même que ces problématiques sont bien réelles. Nous disposons maintenant de preuves, et pourtant, ces sujets restent encore largement sous-étudiés.
Mme Marie-Pierre Monier, rapporteure. - Merci pour vos propos éclairants, qui nous bousculent et nous interpellent. Nous avons beaucoup travaillé sur le constat. S'agissant des effets, vous avez su déconstruire de nombreux stéréotypes.
Les actions que vous entreprenez essaiment-elles ailleurs ? Nous avons auditionné, dans le cadre de nos travaux, l'Institut national supérieur du professorat et de l'éducation (INSPÉ) de Lorraine, qui effectue un travail remarquable, centré sur des pratiques exceptionnelles. Connaissez-vous d'autres universités qui appliquent des initiatives similaires ? Est-ce vous qui avez élaboré les tests que vous utilisez dans ce cadre ?
De plus, j'aimerais vous interroger sur votre collaboration avec le secondaire. Formez-vous uniquement les enseignants ; ou avez-vous également des interactions avec les élèves ? Comment sélectionnez-vous les enseignants ou établissements participants, ainsi que les élèves ?
J'ai également été interpellée par votre mention des rôles modèles. Dans nos rapports, nous avons souvent souligné l'importance de cette question. Dans le domaine politique, j'ai reçu des témoignages de personnes qui ont déclaré : « ce que vous faites m'inspire » Je souhaite donc savoir si le choix d'un modèle inapproprié peut dissuader une femme de s'engager dans une certaine voie, ou s'il peut engendrer des effets contre-productifs et plus profonds en termes de stéréotypes. Lors de notre visite à l'Institut des cancers des femmes de l'Institut Curie, il a été évoqué que la sénologie n'était pas une spécialité de recherche à part entière. De même, à l'ONU, nous avons rencontré des chercheuses françaises actives sur des cancers féminins ou sur l'endométriose, qui vont être bloquées dans leur recherche en raison de l'impossibilité de mentionner le genre féminin dans leurs travaux. Cela corrobore votre constat.
Enfin, vos propos relatifs aux moyens et à l'existence d'un cadre bien défini m'interrogent. Vos initiatives ont bien un effet tangible, étant donné que depuis que vous appliquez ces principes dans vos processus de recrutement, cela se traduit par un nombre supérieur de femmes recrutées. Vous prouvez que nous pouvons agir, même si le vivier pourrait encore évoluer. Il n'existe toutefois pas de base légale suffisante pour soutenir ces initiatives. Avez-vous engagé des discussions avec les ministères pour faire avancer ces questions ? Après tout, c'est l'ensemble de la société qui souffre de cette situation.
Mme Isabelle Régner. - Il convient de distinguer deux aspects. Tout d'abord, le Service pour le respect et l'égalité est chargé de recueillir les signalements concernant les violences sexuelles et sexistes, le racisme ainsi que toutes les formes de discrimination. Il traite ces situations et formule des recommandations auprès des instances de gouvernance et du service juridique. Il s'agit d'un service autonome, composé de professionnels spécialisés que nous avons recrutés en externe, mais qui travaillent bien sûr pour l'université et sont rémunérés par celle-ci. Ce service ne s'occupe pas de la sensibilisation et de la formation sur les stéréotypes de genre, qui relèvent de ma vice-présidence.
En tant que vice-présidente, je suis assistée par deux chefs de projet. L'une d'entre elles ne se concentre pas du tout sur ces sujets et collabore avec des associations pour organiser des sensibilisations portant sur d'autres aspects culturels, tels que des expositions ou des ciné-débats, ainsi que pour inviter des conférenciers. Cependant, elles ne m'assistent pas dans la sensibilisation des jurys. Pour l'instant, c'est moi qui délivre ces formations à Aix-Marseille Université, car je suis la seule à posséder les compétences nécessaires. Nous avons tenté de former des formateurs et formatrices, et ce travail commence à porter ses fruits.
Actuellement, une dizaine de collaboratrices de l'université ont suivi cette formation et s'entraînent en binômes à transmettre ces connaissances. Il est en effet essentiel d'élargir cette initiative, car il est impossible d'en faire reposer la charge sur une seule personne. De plus, il est important de pérenniser ces formations, notamment parce que je ne vais pas occuper la fonction de vice-présidente indéfiniment. Vous savez que ces postes sont généralement temporaires. En tant qu'enseignante-chercheuse, je risque de revenir rapidement à mes activités d'origine, à savoir la recherche et l'enseignement. Nous devons donc finaliser ces formations et transmettre ces connaissances.
Il n'est pas nécessaire d'être un expert reconnu dans ce domaine pour former d'autres personnes. Toutefois, il est essentiel de se familiariser avec quelques articles scientifiques et de se tenir à jour. La formation, telle qu'elle est dispensée, peut être appropriée par des personnes n'étant pas spécialistes du sujet.
Pour la sensibilisation, je m'entoure de collègues enseignants-chercheurs. Actuellement, un homme et trois femmes m'assistent dans l'encadrement des comités de sélection. Pour garantir l'efficacité de notre démarche, chaque étape doit être rigoureusement suivie dans un ordre précis, car sensibiliser dans un délai aussi court nécessite d'abord de faire prendre conscience de l'existence des biais automatiques en mémoire. Cette première étape ne suffit pas à elle seule. Il est également essentiel de faire comprendre comment ces biais peuvent influencer nos jugements, même lorsque l'on est convaincu de ne pas partager le contenu de ces stéréotypes. Ces derniers peuvent néanmoins nous affecter, sauf si nous sommes en mesure d'identifier les situations propices à leur activation. Une fois un stéréotype activé, il influence nos perceptions et décisions, à moins que nous ne décidions de garder un contrôle conscient dessus. Ce fonctionnement est assez mécanique, en réalité.
Les outils de sensibilisation que nous avons conçus visent à illustrer la manière dont ces biais se manifestent, en particulier au sein d'un comité de sélection, notamment dans les discussions et dans les comportements verbaux et non verbaux. Cela inclut la façon dont les questions sont posées aux candidats et aux candidates, qui peuvent être formulées différemment en fonction du sexe, ainsi que les dynamiques de comportement entre membres du jury. Des phénomènes tels que le « mansplaining » ou d'autres manifestations de sexisme et de stéréotypes de genre peuvent se produire. Tous ces éléments sont soigneusement encadrés et nécessitent du temps pour être expliqués. C'est à ce niveau que nous avons besoin du soutien de notre ministère.
Je lance un appel, depuis plusieurs années maintenant. Nous avons déjà eu des entretiens avec la direction générale de l'Enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle (DGESIP) sur cette problématique. En juin 2020, une circulaire recommandait de sensibiliser les comités de sélection aux stéréotypes de genre, une démarche qui nous a conféré une certaine légitimité. Cependant, elle n'emporte aucun caractère obligatoire. Sur une base volontaire, nous percevons une importante perte de participation de la part des comités à ces actions.
Par ailleurs, l'annexe qui présente des outils de sensibilisation comporte des erreurs. Certains des outils proposés ne sont pas adaptés. Surtout, il n'existe absolument aucun guide d'utilisation. Lors d'une réunion avec la Conférence Permanente des Référents à l'Égalité (CPED) et la DGESIP, nous les avons alertés à ce sujet. L'annexe, telle qu'elle est conçue, peut donner l'illusion aux universités qu'elles peuvent simplement faire leur marché dans les outils proposés, en choisissant de manière aléatoire celui qui semble le plus facile ou celui qui nécessite le moins d'investissement en temps. Par exemple, si l'on trouve une vidéo de cinq minutes, il serait alors tentant de l'utiliser pour cocher la case et ainsi « sensibiliser » les membres du comité.
C'est dramatique, car une telle démarche ne fonctionnera pas. Le problème, c'est que nous utilisons des outils issus de la recherche, mais que nous les appliquons de manière inappropriée, compromettant de fait leur efficacité, ce qui discrédite notre démarche. Il est essentiel d'aborder la question de l'égalité femmes-hommes avec rigueur et vigilance. Ce n'est pas uniquement parce que l'on est convaincu de son importance, y compris sur le plan politique, que l'on parvient à mettre en place des actions efficaces. Il existe une expertise scientifique sur le sujet, et il est vital de consulter des spécialistes pour s'assurer que nous utilisons les outils de manière appropriée. Je réitère que cette circulaire, bien que nécessaire, doit être mise à jour.
Il est fondamental de travailler avec des experts pour rédiger un guide d'utilisation. En l'absence de ce dernier, la plupart des universités qui se basent sur cette circulaire choisissent des outils sans discernement. Par exemple, elles peuvent avoir recours au test des associations implicites sans en comprendre le véritable fonctionnement.
À ce propos, il est essentiel de préciser que ce test ne permet pas d'identifier les personnes sexistes ou racistes. Il ne s'agit pas d'un détecteur de mensonges. Il indique indirectement la fréquence à laquelle une personne a été exposée à des stéréotypes au sein de son environnement. Étant donné que nous évoluons tous dans un milieu similaire, ces stéréotypes sont profondément ancrés dans notre mémoire sous forme d'automatisme.
Le test évalue simplement cette force d'ancrage en mémoire. C'est déjà une information précieuse, mais ce n'est pas un outil permettant de juger de l'accord ou du désaccord d'une personne avec ces stéréotypes. J'insiste sur ce point, car j'ai souvent entendu des malentendus à ce sujet.
Afin que cette circulaire soit améliorée, nous aurions besoin d'un soutien, et peut-être d'une véritable discussion concernant le caractère obligatoire ou non de ces sensibilisations.
L'université d'Aix-Marseille s'inscrit dans une deuxième phase de son plan en faveur de l'égalité femmes-hommes. Nous avons à notre disposition tous les outils nécessaires et savons ce qu'il convient de faire ainsi que la façon de le faire. Nous avons déjà expérimenté ces démarches pendant trois ans. Nos résultats sont plutôt convaincants. Néanmoins, le problème réside dans le fait que de nombreuses personnes ne participent pas. Nous peinons à remplir nos sessions de formation.
Pour l'instant, il n'est pas préoccupant que je sois la seule à dispenser ces formations, car l'engagement des membres est insuffisant. Les personnes qui étaient sensibilisées ont déjà suivi ces formations, mais désormais, peu de nouveaux intéressés se manifestent. Pourtant, il reste encore de nombreux laboratoires de recherche et diverses composantes de l'université à former. Ce défi ne se limite pas aux domaines des sciences et technologies. Il existe un point commun à toutes les disciplines scientifiques : la persistance d'un plafond de verre. Il ne serait pas juste de dire que l'absence de femmes parmi les effectifs est normale. En effet, dans de nombreuses disciplines, nous observons 60 % à 70 % de femmes parmi les maîtres de conférences, mais à peine 30 % à 40 % parmi les professeurs d'université.
Ce constat ne résulte pas d'une autocensure, car les données démontrent que les femmes se présentent bien aux recrutements. Toutefois, les hommes continuent d'être privilégiés pour les postes à responsabilités. Cette situation contribue également aux disparités salariales au sein des universités. En tout, 80 % des écarts de rémunération entre les sexes peuvent être attribués à la ségrégation des corps, c'est-à-dire à la sous-représentation des femmes dans les postes de rang A, quelle que soit la discipline. Nous avons un besoin pressant d'aide sur cette question. Il est à noter que l'Europe nous soutient davantage à cet égard. La Commission européenne a intégré le genre comme critère d'éligibilité pour le financement européen.
Pour être éligible au financement européen, il est nécessaire de démontrer que l'établissement dispose d'un plan d'égalité femmes-hommes, accessible au public et signé par la présidence de l'université. Ce plan doit respecter certains critères obligatoires, l'un d'entre eux étant la formation des membres des jurys aux biais implicites de genre. Pour autant, aucun audit n'est mis en place pour vérifier ces éléments. En conséquence, beaucoup cochent la case sans véritable mise en oeuvre. Malgré tout, cette démarche est importante, car la Commission européenne s'appuie sur les travaux scientifiques que j'ai mentionnés et propose également des ressources en ligne.
Je vous invite à consulter le site de Stanford, intitulé « Gender Innovation Studies ». Il permet de bien définir ce qui est entendu par « genre » et « sexe biologique », et d'expliquer pourquoi il est important d'étudier les deux, ainsi que leur interaction, notamment dans le domaine de la santé. De nombreux projets y sont présentés, avec des publications à l'appui, qui clarifient ces distinctions de manière approfondie.
L'Union européenne semble s'engager davantage dans ce sens, surtout dans le contexte géopolitique actuel et face au tournant historique que nous vivions. Il convient de ne pas sous-estimer l'importance de la situation : nous sommes confrontés à l'une des plus grandes démocraties du monde qui remet en question les droits des femmes. Les attaques visant ces droits se multiplient, et les universités sont particulièrement touchées. Mes collègues de la CPED m'ont également encouragée à relayer ce message auprès de vous. Actuellement, les universités qui prennent les devants en proposant des formations sur l'égalité entre les femmes et les hommes, ou sur la lutte contre le racisme, souffrent de pressions médiatiques négatives et voient certains de leurs financements coupés. C'est une réalité qui commence à se dessiner, y compris en France.
Ce qui se passe est grave. Nous devons en prendre conscience à tous les niveaux. Nous avons besoin du soutien de nos responsables politiques pour rendre légitimes les actions que l'on nous demande de mener. Il est primordial d'assurer un cadre politique solide, ainsi que des ressources humaines et financières suffisantes pour mettre en oeuvre ces initiatives, afin d'éviter de remettre en difficulté celles et ceux qui s'engagent dans cette lutte au quotidien. C'est là la réalité d'aujourd'hui. Vous l'avez bien compris, c'est mon sujet de recherche. Bien que je dispose de plusieurs arguments scientifiques, je suis quotidiennement exposée aux critiques et insultes, y compris au sein de mon université.
La mise en oeuvre des actions au sein des universités dépend largement de la volonté de la présidence. J'en profite pour exprimer ma gratitude envers Éric Berton, le président d'Aix-Marseille Université. Sans son soutien, je n'aurais pas pu mettre en place toutes les initiatives que j'ai développées.
M. Denis Bertin. - Ce sujet est individu-dépendant, j'en suis certain. La circulaire est-elle nécessaire ? La réponse est affirmative. Est-elle suffisante ? En revanche, la réponse est négative. De nombreuses recherches l'attestent.
Le problème central reste le coût de la mise en oeuvre. Nous sommes conscients de la situation actuelle de la dette publique. Toutefois, une ouverture s'est présentée. L'université Aix-Marseille, sous la direction de son président, a exprimé son intérêt à participer suite aux propositions d'Élisabeth Borne et du ministre Philippe Baptiste. Il s'agit du fameux programme COMP, qui nous permettra de négocier 100 % du budget, ce qui n'est pas le cas actuellement, puisque nous disposons des mêmes dotations que par le passé. Globalement, le cadre de financement des universités reste inchangé depuis vingt ans.
Nous sommes prêts à expérimenter des politiques d'établissement dans ce cadre. Nous souhaitons les présenter dans le contexte d'un dialogue contractuel avec notre ministère. Nous attendons avec impatience l'annonce du ministre Baptiste concernant le lancement de cette initiative, de façon à mettre en oeuvre une politique d'établissement dans un contexte budgétaire contraint tout en ayant un impact sociétal significatif. Il est essentiel que cette action soit accompagnée par des ressources budgétaires appropriées.
Aujourd'hui, le contexte financier est tel que nous pouvons envisager une ambition politique forte et souhaitons la déployer largement. Cependant, cette approche mériterait des moyens financiers supplémentaires difficiles à obtenir. Ce dialogue contractuel permettrait de soutenir des politiques nationales que nous souhaitons accompagner, tout en assumant nos responsabilités.
Nous avons réellement effectué un travail substantiel, mais il serait également pertinent de mettre en place une méthode d'évaluation et de performance axée sur les enjeux sociétaux. On pourrait d'ailleurs envisager d'appliquer une telle approche à des problèmes durables.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Nous pouvons porter ce discours sur de nombreux sujets. Je travaille moi-même sur la justice, et nous serions ravis de disposer de chiffres et d'évaluations.
M. Denis Bertin. - De notre côté, nous disposons tout de même de chiffres.
Mme Jocelyne Antoine, rapporteure. - Merci beaucoup pour vos interventions. J'ai eu l'occasion de prendre connaissance du rapport final sur l'exécution de la période 2021-2024. Cependant, entendre votre témoignage est tout à fait différent de simplement le lire. J'avais à ma disposition une version allégée du PowerPoint présenté, qui est accessible en ligne.
Bien qu'il puisse toujours subsister des difficultés, vos propos nous apportent une certaine réassurance, car ils illustrent qu'avec une volonté sincère, il existe des possibilités de changement. Cela signifie que nous ne sommes pas nécessairement bloqués dans une impasse et que nous n'avons pas à être fatalistes. Les pistes d'amélioration sont nombreuses, même si elles ne sont pas universelles ni pleinement réalisées. Néanmoins, il est encourageant de constater qu'il existe des voies possibles vers l'amélioration.
Vous avez mentionné votre collaboration avec Business Professional Women, soulignant que vous agissez de manière transversale avec cette ONG, particulièrement en ce qui concerne les établissements scolaires. J'ai aussi noté une brève mention de votre travail avec les familles.
Avec la permission de Madame la Présidente et des autres intervenantes, j'aimerais donner la parole à la représentante de cette ONG pour qu'elle puisse, en quelques mots, nous partager les initiatives développées en lien avec les familles. Mon principal souci réside dans l'analyse des chiffres concernant les stéréotypes de genre et le décrochage scolaire des filles en mathématiques et en sciences dès le cours préparatoire. Il est évident que ce décrochage est étroitement lié à l'influence de l'environnement familial et à ce que vivent ces jeunes filles au quotidien dans leur famille.
Mme Isabelle Régner. - Les travaux montrent clairement que les modèles de réussite sont non seulement nécessaires, mais qu'ils doivent aussi permettre à leurs cibles de s'identifier et de se reconnaître d'une manière ou d'une autre. Les critères de similitude peuvent être très basiques : l'âge, l'origine sociale ou culturelle. De plus, il est essentiel que la différence de performance entre le modèle et l'individu ne soit pas trop importante, sans quoi il deviendra inaccessible.
Les études en psychologie sociale de l'éducation, notamment celles de Jean-Marc Monteil et Pascal Huguet, le soulignent : lorsque l'on évalue sur une échelle de 0 à 20, il ne sert à rien de présenter à un enfant un exemple d'un élève ayant reçu 18, alors qu'il n'a que 8. Ce différentiel est trop large. Il est bien plus pertinent de montrer un exemple de quelqu'un ayant obtenu 10 ou 10,5, mais guère plus, car au-delà, la réussite est perçue comme inatteignable. Elle n'incite pas à l'effort.
En ce qui concerne les « superstars », leur impact peut être contre-productif, mais pas nécessairement. Si un modèle célèbre favorise une identification, en illustrant par exemple la mobilité sociale de son groupe d'appartenance, cela peut être très positif, à condition que cette superstar présente sa réussite comme le résultat de travail et d'efforts. En revanche, si elle prétend avoir toujours réussi en mathématiques simplement parce qu'elle est douée, sans jamais avoir travaillé, elle renforce l'image du stéréotype et l'idée que des différences innées de compétences existent entre les sexes en mathématiques. Cette approche nuit alors à la capacité d'identification et pourrait même décourager les filles et les femmes de s'engager dans ce domaine.
C'est pourquoi il est fondamental de prendre en compte tous les résultats scientifiques issus de la psychologie sociale et cognitive, qui nous aident à comprendre les processus d'influence, les mécanismes des stéréotypes et les dynamiques de comparaison. Cette connaissance est importante pour éclairer les politiques publiques et orienter les actions à mettre en place pour garantir leur efficacité.
En ce qui concerne le secondaire, le programme piloté par Yannick Laurent et Luc Laulan à Marseille ne vise pas à former directement les élèves. Je suis chargée de former les enseignants, qui peuvent être spécialisés en mathématiques, en sciences ou dans d'autres disciplines, ainsi que les référents et les proviseurs.
Vous nous avez également demandé si nos actions à l'Université Aix-Marseille, diffusaient ailleurs. La réponse est oui. J'ai reçu de nombreuses demandes de plusieurs universités. Cependant, très peu d'entre elles ont demandé une formation de formateurs, ce qui est révélateur.
Permettez-moi d'évoquer rapidement le projet We4Lead, financé par l'Union européenne dans le cadre d'Erasmus+ (Capacity Building in Higher Education). Il n'est pas axé sur la recherche, mais sur le financement pour transformer les gouvernances des universités. Il a été initié par le Liban, la Tunisie et l'Algérie, qui ont sollicité Aix-Marseille Université pour piloter cette initiative. Depuis, l'Espagne et l'Italie nous ont rejoints. L'ambition de ce projet est de former sur les biais implicites de genre, de créer des cellules de signalement pour les cas de harcèlement à caractère sexuel et d'apprendre à collecter et analyser les données genrées. Cette pratique n'est pas généralisée dans ces pays, alors qu'en France, c'est désormais une exigence légale, encadrée par un décret et un rapport social unique. Cette méthodologie n'est pas encore établie dans ces pays.
Depuis déjà un an et demi, les universités qui participent au projet ont mis en place la collecte et l'analyse des données genrées, et les mêmes formations que nous sur la sensibilisation aux biais implicites de genre, pour les jurys de recrutement, pour les personnels enseignants en général et pour les doctorants également.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Je dois vous quitter. Je laisse Marie-Pierre Monier présider la fin de la séance. Merci beaucoup pour vos interventions passionnantes. Je suis ravie que cette audition ait été captée, d'abord, parce que je pourrai en visionner la fin, mais surtout, car nous pourrons en faire une grande publicité pour que tout le monde s'inspire de vos enseignements.
Mme Laurence Kerjean. - Je suis présidente du club Business Professional Women à Marseille Métropole. Nous dépendons de la fédération française, elle-même rattachée à une ONG. À l'échelle locale, nous avons mis en place plusieurs commissions qui ciblent diverses populations. Évidemment, nous nous adressons aux entreprises ainsi qu'aux partenaires économiques du territoire. L'une de nos commissions, nommée « Powerminottes », fait référence à la manière dont nous désignons les petites filles dans le sud de la France. Elle a pour objectif de renforcer la confiance des plus jeunes.
Depuis cinq ans, nous organisons entre un et cinq événements gratuits par an à destination des familles d'enfants âgés de sept à treize-quinze ans. Nous choisissons de n'accueillir que des enfants ayant acquis la capacité de lire. Nous leur proposons toute une série d'ateliers visant à les initier à différentes professions et à développer des compétences psychosociales. Ces événements se déroulent en dehors des temps scolaires, généralement le samedi. Dans le même temps, nous réunissons les parents dans une salle, et ouvrons systématiquement la journée par une conférence sur les biais cognitifs inconscients.
Nous avons la chance de bénéficier d'une grande diversité à Marseille, ville comptant 16 arrondissements très hétérogènes. Nous recevons des familles de divers milieux socioprofessionnels, allant de parents au chômage à des CSP+, plaçant leurs enfants dans l'enseignement public comme privé. Certaines familles viennent même avec les enseignants de leurs enfants.
Depuis septembre 2024, nous avons formé 319 individus, dont 109 femmes et 51 hommes, ainsi que 97 petites filles et 62 petits garçons. L'année précédente, nous avions atteint 290 participants. Face à la demande, nous avons structuré notre commission au sein de BPW Marseille Métropole afin d'assurer une continuité entre l'éducation précoce et les opportunités futures.
Lors de ces sessions, nous ne nous limitons pas à l'intervention sur les biais cognitifs ; nous faisons également intervenir des modèles de réussite qualifiés d'atypiques. Ce sont des personnes aux parcours variés, souvent non linéaires, qui peuvent avoir accompli de grandes études puis s'être reconverties vers des métiers manuels, ou inversement, avoir commencé par un CAP avant de reprendre des études après avoir eu des enfants. Nous les invitons à témoigner. Nous veillons à représenter aussi bien des hommes que des femmes, tout en mettant un accent particulier sur le témoignage féminin. Les retours des enfants et des parents sont très positifs, car les premiers réalisent alors qu'il existe des perspectives auxquelles ils n'avaient jamais pensé.
Étant donné que nous intervenons auprès d'enfants de moins de dix ans, ils conservent la croyance que tout est possible, et nous les encourageons dans cette voie. Certains parents nous approchent ensuite pour demander s'il existe des systèmes de reconversion pour eux. Cet échange est bénéfique, car nous impliquons aussi la famille et suivons certains élèves sur plusieurs années. Par exemple, une élève issue d'un milieu ordinaire à Marseille, qui a découvert notre initiative par un article dans La Provence, devait décider de son avenir en seconde et n'avait aucune idée de ce qu'elle souhaitait faire, se sentant incapable d'entreprendre de grandes choses. Aujourd'hui, elle est en deuxième année de classe préparatoire aux grandes écoles à Paris et y évolue avec succès, nous donnant régulièrement des nouvelles et déclarant que notre programme lui a ouvert des perspectives qu'elle ignorait.
C'est ainsi que nous agissons. Pour le moment, nous n'avons pas d'impact régulier mesurable, mais nous travaillons à la constitution d'un écosystème. Nous comptons environ une trentaine de partenaires. Des femmes et des hommes se consacrent bénévolement à cette initiative depuis cinq ans, engageant leur week-end pour donner un exemple positif aux familles. Ce processus contribue également à la création de liens sociaux.
Mme Jocelyne Antoine. - Avez-vous un site internet ?
Mme Laurence Kerjean. - Vous pouvez trouver Powerminottes sur LinkedIn, ou consulter le site de BPW Marseille Métropole, sur lequel nous publions de nombreux articles.
Je précise que nous avons intitulé cette initiative Powerminottes après avoir constaté que le terme « minots » n'attirait que les petits garçons, tandis que son féminin nous permettait d'accueillir 50 % de filles.
Mme Marie-Pierre Monier. - Ayant été enseignante, je constate que ces stéréotypes s'enracinent profondément dès notre jeunesse. Quelle action peut être entreprise au niveau scolaire ? Vous savez qu'il existe des heures d'éducation à la vie affective et relationnelle et à la sexualité, qui étaient obligatoires. Malgré l'existence de cette loi, ces heures n'ont pas été mises en oeuvre concrètement au sein des établissements.
De plus, ayant également travaillé sur l'orientation des élèves, je rejoins votre constat selon lequel il est inutile de dire à un élève qui obtient une note de 8 qu'il peut atteindre un score de 17. Il est primordial de travailler sur la connaissance de soi, mais aussi sur la confiance en soi.
Mme Isabelle Régner. - Dans ma discipline, à savoir la psychologie sociale et cognitive, nous nous intéressons profondément au fonctionnement cognitif des apprenants, qu'ils soient filles ou garçons. De mon point de vue, la compréhension approfondie des mécanismes cérébraux chez les enfants fait défaut aujourd'hui, notamment pour les professeurs des écoles, mais aussi de manière générale au collège et au lycée. Elle permettrait pourtant d'adapter les pratiques pédagogiques en conséquence.
À Aix-Marseille Université, nous avons ainsi développé une unité d'enseignement (UE) dédiée à « apprendre à apprendre ». Elle est enseignée aux étudiants de première année. Ce cours, d'une durée de 30 heures, est obligatoire pour tous les L1 au sein de la faculté des sciences. Il a également suscité un intérêt dans le secondaire. Récemment, nous avons organisé une formation de six heures à l'attention d'enseignants du secondaire, afin qu'ils puissent comprendre les concepts que nous enseignons, notamment sur le fonctionnement cérébral, la mémoire de travail, la motivation, la construction et la déconstruction de l'estime de soi, ainsi que d'autres éléments contextuels qui peuvent influencer positivement ou négativement l'estime de soi des élèves dans diverses disciplines.
Expliquer ces mécanismes peut avoir un impact significatif et faire prendre conscience que certaines pratiques pédagogiques ne sont pas nécessairement adaptées. Lors de telles formations, nous ne fournissons pas des recettes toutes faites ou des directives strictes. Nous mettons plutôt l'accent sur le fonctionnement cognitif : comment la mémoire et l'attention opèrent, leurs rôles dans les apprentissages et les évaluations, et ce qui se produit lorsqu'un élève doit mobiliser un certain nombre de connaissances en situation d'examen, même lorsqu'il se pense bien préparé. Il n'est pas rare de constater qu'après un examen, un élève réalise qu'il n'a pas su mobiliser les informations pertinentes alors qu'il en avait connaissance.
Des travaux en sciences cognitives expliquent ces phénomènes. Il me semble fondamental que les formations destinées aux professeurs des écoles intègrent ces travaux afin de mieux comprendre le fonctionnement cérébral des enfants. Nous ne devons pas réduire cette approche aux seules neurosciences, car il est tout aussi important de considérer la psychologie des apprentissages et la psychologie du développement. En saisissant ces nuances, nous serons mieux à même de comprendre comment les stéréotypes influencent les apprentissages et les performances des élèves, ainsi que la manière dont, à un moment donné, un stéréotype peut entraver la performance, y compris chez les étudiants les plus compétents dans un domaine particulier.
Contrairement à une idée reçue, les stéréotypes ne réduisent pas forcément les performances des élèves les moins performants en mathématiques. En réalité, l'effet constaté est contre-intuitif et inverse : plus un élève est compétent et s'identifie à son domaine d'études, plus la pression d'une réussite perçue comme essentielle peut exacerber l'activation du stéréotype, entraînant alors une chute de performance. Ne pas le prendre en compte dans ses pratiques pédagogiques rend difficile la régulation des interactions entre élèves. Pourtant, les stéréotypes commencent à circuler très tôt dans les interactions entre enfants.
Pour y faire face, il est essentiel de comprendre l'origine des stéréotypes, leur fonctionnement, et leur influence potentielle sur les enfants et sur nous-mêmes. Ce travail est complexe, car maîtriser cette influence nécessite une compréhension approfondie de leurs mécanismes et une identification des situations où ils peuvent se manifester.
Permettez-moi un exemple. En tant que vice-présidente en charge de l'égalité, je fais particulièrement attention à ces questions. Bien que je sois spécialiste en psychologie, je fais également partie de la faculté des sciences. Je participe à des jurys en sciences, et je suis consciente des situations où il est nécessaire de rester vigilante pour contrôler ces automatismes qui sont profondément ancrés dans ma mémoire. Il y a quelques mois, j'ai expérimenté une situation où je n'avais pas anticipé l'activation de ce stéréotype dans ma mémoire. C'était un samedi matin, au supermarché. Je voulais acheter une bouteille de vin rouge pour mes invités. Ne consommant pas moi-même de vin rouge, j'étais assez décontenancée face à ce choix. Étant seule dans le rayon, j'ai vu arriver un couple et, instinctivement, je me suis dirigée vers l'homme, lui demandant des conseils sans même saluer sa compagne. À ma grande surprise, il m'a répondu qu'il n'était pas le mieux placé pour m'aider, car lui-même ne s'y connaissait pas en vin, et a désigné sa compagne comme la spécialiste en la matière.
C'est alors que j'ai pris conscience que la vice-présidente en matière d'égalité venait de sombrer dans un préjugé. Je n'avais pas identifié cette situation comme étant susceptible de faire émerger un stéréotype. En conséquence, ce stéréotype a guidé mes actions et m'a amenée à présumer à tort que la compétence se situait chez l'homme et non chez la femme.
Tout ceci témoigne de l'importance d'une formation qui favorise la vigilance, car ces stéréotypes sont profondément ancrés dans notre société, au point que de nombreuses personnes, tant hommes que femmes, considèrent le contenu de ces croyances comme véridique. C'est ce qui explique la difficulté actuelle à mettre en oeuvre des actions en faveur de l'égalité entre les sexes.
Comme je l'ai mentionné précédemment, on obtient souvent un consensus sur l'égalité, mais une forte résistance émerge à l'égard de la discrimination positive. En portant ce terme, il est impératif de clarifier ce dont nous parlons. En effet, la discrimination est, par définition, une pratique négative. Elle consiste à priver un individu de droits ou d'opportunités en raison de son appartenance à un groupe donné, constituant une injustice manifeste, créant ainsi des inégalités. Par conséquent, la notion de « discrimination positive » est en elle-même trompeuse. Lorsqu'il s'agit d'initiatives correctives, il est essentiel de les désigner adéquatement, afin de ne pas induire en erreur en laissant supposer que des personnes sont favorisées en raison de leur groupe d'appartenance, indépendamment de leurs compétences.
L'exemple évoqué par Denis plus tôt démontre que ce n'est nullement ainsi que cela fonctionne. Cependant, dans l'esprit collectif et dans les mentalités individuelles, les stéréotypes exercent leur influence. De plus, en ce qui concerne la confusion entre genre et sexe biologique, l'argument qui revient fréquemment stipule qu'il serait inapproprié de nier les différences biologiques entre hommes et femmes. Bien qu'il soit indéniable que des différences biologiques existent, notamment sur le plan hormonal, on peut se demander en quoi elles induisent des variations de compétences cognitives dans les disciplines scientifiques.
Je vous invite à me faire parvenir toute publication démontrant que ces différences hormonales entraînent effectivement des différences cérébrales, avec pour conséquence des disparités cognitives en mathématiques. Il est primordial de reconnaître que la connaissance et l'éducation sont des leviers essentiels. Cela dit, ne perdons pas de vue que l'une des fonctions des stéréotypes est de maintenir le statu quo et de perpétuer les inégalités entre les groupes. Le pouvoir, qu'il soit matériel ou symbolique, est un bien en quantité limitée. Ainsi, certains ont à coeur que ces inégalités perdurent.
Enfin, il est à noter que certaines femmes peuvent, elles aussi, freiner l'avancement de l'égalité femmes-hommes. Certaines d'entre elles ont trouvé leur place et leur identité à travers les stéréotypes et les normes sociales et culturelles. Elles en viennent à penser que, si elles ont réussi, c'est que les compétences doivent être effectivement présentes, mais que d'autres, n'atteignant pas leur niveau, ne les méritent pas. Il existe également des travaux, bien documentés au niveau international, sur ce que l'on appelle l'effet « Queen Bee ». Ce phénomène désigne des femmes ayant atteint des positions élevées, grâce à leurs compétences, tout en étant plus sévères vis-à-vis de leurs pairs.
Une publication récente dans la revue Nature de 2025 aborde cette question, et identifie deux types de « Queen Bees ». Je tiens à vous rassurer : toutes les femmes en position de pouvoir ne se comportent pas de cette manière. Les deux principales explications pour ce comportement résident dans le fait que certaines estiment que le stéréotype selon lequel les femmes sont moins compétentes est valide, et qu'elles en sont l'exception, ou qu'elles ont tant dû se battre pour obtenir leur place qu'elles adoptent inconsciemment des normes et comportements masculins. Ce phénomène existe bel et bien et mérite d'être examiné plus en profondeur.
Mme Marie-Pierre Monier. - Nous n'avons que peu parlé de recherche.
M. Denis Bertin. - Il existe de véritables sujets en France dans les sciences et la recherche concernant lesfemmes. Je suis convaincu que c'est un levier essentiel pour attirer davantage de femmes vers des carrières scientifiques. Malheureusement, ces sujets ont été peu développés dans notre pays. Dans le domaine qui est le mien, à savoir l'activité physique et la santé, ainsi que dans les sciences du sport et en médecine, de nombreuses collègues et étudiantes expriment le désir de travailler sur des problématiques féminines.
S'agissant de l'endométriose, un appel à candidatures pour des bourses de contrats doctoraux a récemment été lancé à l'échelle nationale, mais seulement douze demandes ont été enregistrées pour dix places disponibles, ce qui témoigne de l'ampleur de la problématique. Nous devons encourager la recherche en lien avec les femmes. Au-delà de la santé des femmes, il existe de nombreux autres sujets qui pourraient être des leviers significatifs pour inciter les étudiantes à s'engager dans une démarche scientifique.
Les développements récents aux États-Unis pourraient également bouleverser certaines dynamiques. Nous devons être capables de répondre à ces enjeux tant au niveau national qu'européen, notamment dans le domaine de la recherche.
Par ailleurs, concernant « Safe place for science », certains collègues s'interrogent sur l'attribution d'une enveloppe de 15 millions d'euros à des collègues aux États-Unis, alors qu'aucune aide concrète n'est proposée aux chercheurs français. Mais cette remise en cause témoigne d'une dynamique préoccupante. Alors que nous observons des démocraties qui commencent à restreindre des mots-clés et à limiter certains pans de recherche, il est impératif que la solidarité scientifique soit mobilisée car il est légitime d'offrir aujourd'hui à nos collègues chercheurs américains, au titre d'une certaine réciprocité historique, l'asile que leur pays a pu offrir aux chercheurs européens durant la seconde Guerre mondiale.
Aujourd'hui, nous faisons face à une situation symétrique, bien qu'il n'y ait pas de conflit armé aux États-Unis. La nature des conflits évolue. À cet égard, sachez que le Président Berton, en collaboration avec le Président Hollande, porte le projet de loi relatif au statut de réfugié scientifique, tant au niveau national qu'européen. Je crois que ce sujet sera prochainement débattu à l'Assemblée nationale.
En somme, je suis convaincu que nous devons afficher une volonté forte pour accompagner des programmes de recherche beaucoup plus ambitieux, car le sujet dépasse la simple dichotomie femmes-hommes. Cette ambition semble faire défaut.
Mme Marie-Pierre Monier. -Je ne doute pas que cette audition fera date. Sachez que nous auditionnerons demain Elisabeth Borne.
M. Denis Bertin- Vous pourrez la saluer pour nous, et lui affirmer notre soutenir. À l'exception du Hcéres, qu'il faudrait, selon moi, détruire pour mieux reconstruire, les petits pas et les petites actions nous permettent de parvenir à des actions plus structurées. Le ministère de l'éducation nationale prend enfin des initiatives qui permettront des avancées sur un certain nombre de sujets.
Mme Isabelle Régner. - Absolument et je suis persuadée que le contenu des formations sera bien adossé aux résultats de la recherche scientifique sur le sujet.
Jeudi 5 juin 2025
- Présidence de Mme Dominique Vérien, présidente -
La réunion est ouverte à 8 h 30.
Examen du rapport de la présidente Dominique Vérien sur le déplacement de la délégation à New-York dans le cadre de la 69e Commission de la condition de la femme de l'ONU (CSW69), du 9 au 14 mars 2025
Mme Dominique Vérien, présidente. - Mes chers collègues, en mars dernier, sept sénatrices de notre délégation se sont rendues au siège des Nations Unies à New York, afin de participer à la CSW (Commission on the Status of Women), le plus grand rassemblement mondial annuel consacré aux droits des femmes et à l'égalité femmes-hommes.
Ont participé à ce déplacement nos collègues Annick Billon, Agnès Evren, Béatrice Gosselin, Marie-Pierre Monier, Olivia Richard, Laurence Rossignol et moi-même.
Une douzaine de collègues députés étaient également présents, dont mon homologue à l'Assemblée nationale Véronique Riotton et notre collègue député Guillaume Gouffier Valente, nous permettant de constituer une délégation parlementaire transpartisane particulièrement étoffée et ainsi d'envoyer un signal fort de l'implication des parlementaires français dans le combat pour les droits des femmes dans le monde.
Ce premier déplacement institutionnel de notre délégation à la CSW fut, selon moi, un réel succès.
C'était pour la plupart d'entre nous une découverte, et quelle découverte : quelle effervescence générale, quel dynamisme, quelle richesse des échanges... La multiplicité des entretiens, rencontres et événements auxquels nous avons participés nous a ouvert de nouveaux champs de réflexions et de préoccupations, tant les menaces qui pèsent sur les femmes, leur santé, leur liberté et leur dignité sont nombreuses. Mais ces échanges nous ont aussi apporté un incroyable élan d'enthousiasme admiratif devant l'engagement de toutes ces femmes - et aussi de ces hommes - qui se mobilisent, dans leurs pays, en faveur des droits des femmes et de l'égalité et qui, par des initiatives concrètes, font bouger les lignes et changent des vies, parfois en risquant la leur.
C'est pour cette raison que ce déplacement fait aujourd'hui l'objet d'une communication devant notre délégation et de la publication d'un rapport d'information.
Notre programme, commun à l'ensemble de la délégation parlementaire, a été très dense et en partie « à la carte » tant les événements concomitants étaient nombreux.
Car la CSW, c'est à la fois :
• une commission officielle des Nations Unies, avec des réunions des États membres au niveau ministériel ;
• et un espace d'échanges, avec des centaines d'événements parallèles (ou side events) et des opportunités de rencontres uniques, puisque des dizaines de milliers de défenseurs et défenseuses des droits des femmes, venus du monde entier, sont réunis, pour une semaine ou deux, dans un même lieu. Certaines de ces personnes n'obtiendront peut-être pas de visa l'année prochaine puisque l'administration Trump vient d'annoncer que les citoyens de douze pays seraient désormais interdits d'entrée aux États-Unis.
Nous avons ainsi eu des entretiens avec les équipes des principaux organes des Nations Unies qui travaillent sur les problématiques des droits des femmes et des filles - ONU Femmes, le Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP/UNFPA) et Unicef - ainsi qu'avec les équipes de la représentation permanente de la France auprès des Nations Unies, qui nous ont détaillé les coulisses des négociations de la CSW. J'ai notamment appris que seuls quarante-cinq pays participaient officiellement aux négociations. Les États-Unis n'en faisaient pas partie cette année mais en feront partie l'année prochaine, ce qui compliquera certainement l'adoption d'un texte.
Nous avons également échangé avec de nombreuses délégations venues du monde entier, des ministres, des parlementaires, ainsi que des représentants de la société civile. Nous nous sommes ainsi entretenus avec des parlementaires du Royaume-Uni, d'Espagne, du Canada et de Corée du Sud, des membres d'associations ukrainiennes, des activistes afghanes ou encore des femmes engagées en Afrique, soutenues par l'Alliance féministe francophone.
Grâce à l'EPF - le forum européen pour les droits sexuels et reproductifs - je me suis rendue à Washington pour échanger avec des membres du Congrès américain, notamment Sarah McBride et Grace Meng, et des représentants de la société civile américaine sur la situation actuelle en matière d'accès à l'avortement et de remise en cause des politiques de diversité, égalité et inclusion aux États-Unis.
Nous avons bien senti que l'ambiance globale aux États-Unis n'était pas vraiment favorable aux droits des femmes et aux droits des minorités. Nous avons aussi été marquées par le témoignage d'une ancienne employée d'USAID, travaillant désormais pour l'initiative Spotlight, qui nous a relaté la façon dont elle et ses collègues avaient appris de façon abrupte leur licenciement, via un écran noir sur leur ordinateur ou, pour l'un d'entre eux, en découvrant lors d'un passage aux urgences qu'il n'avait plus de couverture sociale.
Les membres de la délégation parlementaire ont également assisté à divers side events en fonction de leurs centres d'intérêt : sur le rôle des parlements pour faire progresser l'égalité femmes-hommes, sur la lutte contre les cyberviolences ou encore sur la situation des femmes et filles afghanes.
Et, surtout - ce fut un temps fort de notre déplacement - nous avons organisé notre propre événement parallèle consacré aux violences pornographiques, dans la lignée de notre rapport Porno : l'enfer du décor, publié en 2022. Nous avions la chance de compter dans notre délégation deux des co-rapporteures de ce rapport : notre ancienne présidente Annick Billon et notre vice-présidente Laurence Rossignol.
Cet événement, qui a réuni plus de soixante-dix participants, venus d'une quinzaine de pays différents, a donné une dimension internationale à l'engagement de notre délégation dans la lutte contre les violences pornographiques et leurs conséquences.
En donnant de la visibilité aux travaux de recherche et aux témoignages de victimes de l'industrie pornographique, nous avons apporté notre participation à la prise de conscience en cours, au niveau international, de l'ampleur des violences pornographiques.
L'organisation d'un panel mêlant organisations de la société civile et décideurs politiques a également permis d'engager des discussions sur les initiatives juridiques de nature à lutter contre ces violences. La France ne peut agir seule sur un tel sujet !
À l'issue d'une semaine de déplacement, riche en échanges, j'aimerais insister sur trois éléments qui me semblent particulièrement importants.
Premièrement, en dépit de progrès réalisés depuis trente ans, le contexte international est aujourd'hui globalement peu favorable aux droits des femmes et des filles. Il semblerait même qu'il le soit malheureusement moins qu'il ne l'était lors de la conférence mondiale sur les femmes de Beijing de 1995, qui avait donné lieu à des engagements majeurs de la part de 189 États. Nous fêtions cette année les trente ans de cette conférence et nous avons réalisé qu'il ne s'agissait pas de trente ans de progrès - en tout cas pas uniquement. Non seulement les femmes et les filles sont souvent les premières victimes des conflits armés et des crises qui se multiplient, mais nous faisons face à un contexte global d'hostilité envers les droits des femmes et l'égalité femmes-hommes, souvent qualifié de « backlash ».
J'ai été particulièrement marquée par les explications que nous avons reçues sur la structuration de plus en plus professionnelle des mouvements hostiles aux droits et à la santé sexuels et reproductifs (DSSR). Ces mouvements anti-droits reprennent la terminologie et les codes du droit international et des mouvements féministes et parviennent à se faire entendre, y compris au sein de la CSW.
De façon notable, la déclaration politique adoptée lors de la CSW ne contient aucune référence à la santé et aux droits sexuels et reproductifs.
De façon incidente, j'ai récemment appris qu'au Royaume-Uni la police mène aujourd'hui des enquêtes après des fausses couches afin de vérifier si ces fausses couches ne dissimulent pas des IVG illégales.
Le deuxième élément sur lequel j'aimerais revenir est celui de la lutte contre l'exploitation sexuelle sous toutes ses formes, qui est un combat que nous devons continuer à porter.
En effet, nous avons été interpellées par les argumentaires de certaines organisations de la société civile, notamment françaises, présentes à la CSW, faisant un amalgame entre la lutte contre la prostitution et la pornographie - présentées comme un supposé « travail du sexe » - et la pression des mouvements anti-droits. Nous ne pouvons que déplorer les critiques et contestations soulevées à la fois par le side event ministériel français consacré aux cyberviolences et par notre side event consacré aux violences pornographiques.
Nous devons le réaffirmer avec force : la lutte contre la prostitution et la pornographie, en accord avec le positionnement abolitionniste de la France depuis 2016, est un enjeu de société, de droits des femmes et de droits humains, et constitue une priorité de notre délégation.
Enfin, le troisième élément important est le rôle de la diplomatie féministe française. La France a été le quatrième pays au monde à adopter une diplomatie féministe en 2019 et dispose désormais d'une stratégie internationale clairement définie.
Notre délégation apporte évidemment tout son soutien à cette diplomatie féministe, au sujet de laquelle nous devons avoir trois points de vigilance :
- tout d'abord, alors que le financement de l'aide publique au développement est menacé, nous devons veiller à préserver le soutien financier et technique apporté aux organisations féministes de terrain via le FSOF (fonds de soutien aux organisations féministes), dont nous avons pu rencontrer plusieurs bénéficiaires et ainsi constater le rôle majeur ;
- ensuite, l'action consulaire doit pleinement s'inscrire dans cette orientation et l'aide apportée aux Françaises victimes de violences sexuelles ou intrafamiliales à l'étranger doit être renforcée - je sais que c'est un combat de notre collègue Olivia Richard ;
- enfin, les parlementaires doivent aussi s'inscrire dans cette diplomatie féministe. Je souhaite notamment qu'une séquence parlementaire dédiée soit organisée lors de la prochaine conférence des politiques étrangères féministes que la France accueillera en octobre 2025.
Nous ne pourrons sans doute pas organiser un déplacement institutionnel lors de la prochaine CSW, en raison des élections municipales de mars 2026, mais nous continuerons à porter le combat pour les droits des femmes à l'international et à organiser ou participer à des événements sur cette problématique majeure. En effet, les droits des femmes sont un impératif universel, un enjeu de justice, de paix et de dignité.
Merci à vous pour votre attention.
Est-ce que des collègues présentes à la CSW souhaitent également partager leurs retours d'expérience, réflexions et remarques ?
Mme Laurence Rossignol. - Merci beaucoup pour ce rapport, dont je viens de prendre connaissance. J'aimerais qu'il soit ajouté, au sein du rapport et de l'Essentiel, une mention de l'offensive idéologique menée contre les droits des personnes LGBTQIA+.
Mme Dominique Vérien, présidente. - C'est effectivement un sujet important. Les droits des personnes LGBTQIA+ sont déjà mentionnés dans le rapport mais nous allons ajouter un paragraphe supplémentaire.
Mme Marie-Pierre Monier. - J'ai été ravie de participer à ce déplacement à la CSW, qui a permis des échanges très riches. On nous a beaucoup félicités, en tant que parlementaires français, pour l'inscription du droit à l'avortement dans la Constitution, ce qui a fait du bien à entendre. J'ai été particulièrement marquée par la réunion que nous avons eue sur les mouvements anti-droits et masculinistes.
Mme Annick Billon. - J'aimerais également remercier la délégation, et sa présidente, pour l'organisation de ce déplacement. Le rapport d'information illustre bien tout l'intérêt pour notre délégation de s'être rendue à la CSW et d'avoir participé à tous ces échanges, qui ont été passionnants.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Merci à toutes pour vos remarques.
Nous devons maintenant formellement adopter le rapport d'information et en autoriser la publication. Ai-je bien votre accord ? Le rapport est donc adopté.
S'agissant du titre du rapport, je vous propose : « Porter le combat pour les droits des femmes à l'international ».
Jeudi 5 juin 2025
- Présidence de Mme Dominique Vérien, présidente -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Audition de Mme Élisabeth Borne, ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, sur la place des femmes dans les études et carrières scientifiques
Mme Dominique Vérien, présidente. - Dans le cadre de nos travaux sur la thématique « Femmes et sciences », entamés il y a près de trois mois, nous accueillons Mme Élisabeth Borne, ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Notre mission vise à identifier les leviers d'action permettant de donner aux filles et aux femmes toute leur place dans les parcours et carrières scientifiques. Elles ne représentent dans notre pays qu'un tiers des chercheurs scientifiques et un quart des ingénieurs : cette sous-représentation féminine est la conséquence d'une insuffisante orientation des filles vers les études scientifiques au lycée puis dans les études supérieures, mais aussi de différences de représentations et de résultats entre filles et garçons dès l'école primaire, en particulier en mathématiques.
En 2023, la France ne comptait que 13 % d'étudiantes diplômées en sciences, technologies, ingénieries et mathématiques (Stim), contre 40 % d'étudiants ; par ailleurs, près de la moitié des filles élèves de terminale n'avaient choisi aucun enseignement de spécialité en sciences, contre 28 % des garçons. En outre, parmi les filles qui se lancent dans des carrières scientifiques, près de la moitié quittent le monde scientifique au cours des dix années qui suivent - c'est le phénomène du « tuyau percé ».
Pourtant, nous sommes convaincus que l'accroissement du nombre de femmes dans les sciences favoriserait tant la réduction des inégalités salariales que notre croissance économique.
Comme nos précédentes auditions l'ont montré, les défis sont nombreux, à tous les niveaux : famille, société, système éducatif, paliers d'orientation dans l'enseignement secondaire et supérieur, trajectoires professionnelles, politiques publiques.
Madame la ministre d'État, à la suite de la publication du rapport conjoint de l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche et de l'inspection générale des finances intitulé « Filles et mathématiques : lutter contre les stéréotypes, ouvrir le champ des possibles », vous avez annoncé plusieurs mesures visant à féminiser les filières scientifiques et à redonner le goût des maths aux petites filles.
Ces mesures portent en particulier sur la sensibilisation et la formation de tous les professeurs aux biais et stéréotypes de genre en sciences, afin de favoriser une pédagogie égalitaire de l'école primaire jusqu'au lycée ; la sensibilisation des parents à l'intérêt des filières scientifiques pour les filles ; le renforcement de la place des filles dans les enseignements ouvrant vers les filières d'ingénieur et du numérique, avec un objectif, à l'horizon 2030, de 50 % de filles choisissant la spécialité maths en première et en terminale et de 30 % de filles dans chaque classe préparatoire scientifique ; la promotion de rôles modèles scientifiques féminins pour changer durablement les représentations.
Certains aspects d'une politique publique ambitieuse pour accroître la part des femmes dans les filières scientifiques méritent sans doute d'être développés ou précisés.
Ainsi, en ce qui concerne les quotas de filles, nous nous interrogeons sur leurs modalités de mise en oeuvre : à quelles étapes de la scolarité seront-ils les plus efficaces et comment les faire respecter ? En classe préparatoire, faut-il considérer la première ou la deuxième année ?
Par ailleurs, la mise en place de bourses ou allocations spécifiques pour encourager les jeunes femmes à s'engager dans les parcours scientifiques a-t-elle été étudiée ? De même que l'augmentation du nombre de places réservées aux filles en internat ?
Enfin, l'importance d'une réelle politique de lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans les études supérieures doit être soulignée.
J'ajoute que nous n'avons eu connaissance d'aucune mesure concernant le rôle des universités. Nos chercheurs scientifiques sont pourtant majoritairement formés au sein des universités : nous ne pouvons donc nous limiter aux classes préparatoires et grandes écoles.
Nos quatre rapporteurs dans le cadre de cette mission sont Marie-Do Aeschlimann, Jocelyne Antoine, Laure Darcos et Marie-Pierre Monier, dont les trois dernières sont présentes ce matin. Elles seront les premières à vous interroger après votre propos liminaire.
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. - Je me réjouis que vous vous penchiez sur la place des femmes dans les secteurs professionnels scientifiques : je mène avec détermination ce combat qui me tient particulièrement à coeur. Encourager les jeunes filles à s'engager dans les parcours scientifiques et technologiques, c'est lutter pied à pied contre toutes les inégalités.
Aujourd'hui, les femmes représentent moins d'un tiers des ingénieurs et des chercheurs dans les sciences de l'ingénieur et du numérique, et cette proportion stagne depuis vingt ans alors que les besoins augmentent. Les femmes sont moins nombreuses à occuper des postes à responsabilités au sein des laboratoires et départements R&D.
Cette sous-représentation est la conséquence d'une insuffisante orientation des filles vers les filières et spécialités scientifiques au lycée et dans le supérieur, qui trouve elle-même son origine dans les différences de représentation entre filles et garçons dès l'école, qui conduisent les filles à se sentir moins légitimes.
Alors que les filles représentent 55 % des élèves en seconde générale et technologique, elles sont 48 % à choisir la spécialité maths en première, 42 % à la conserver en terminale et ne représentent que 25 % des étudiants inscrits dans les formations conduisant aux métiers d'ingénieur et du numérique. Le décrochage commence dès le CP, où l'écart d'appétence avec les garçons apparaît au bout d'un trimestre.
Dans le contexte actuel de transition énergétique, de réindustrialisation et de révolution de l'IA, notre pays a plus que jamais besoin d'ingénieures et d'ingénieurs, de techniciennes et de techniciens. Il y a donc urgence à former davantage, au moins 20 000 ingénieures et ingénieurs et 60 000 techniciennes et techniciens de plus chaque année. Nous devons former au moins autant de garçons, mais aussi beaucoup plus de filles.
Les filles seraient-elles moins douées en maths ? Évidemment non. La raison de leur sous-représentation, c'est l'assimilation dès le plus jeune âge de stéréotypes de genre, présents partout dans la société, dans les familles, dans les publicités, sur les réseaux sociaux, dans la culture, dans les médias - et donc, naturellement, à l'école.
Les conséquences sont lourdes : les filles s'orientent vers des métiers moins rémunérateurs et l'économie française se prive chaque année de milliers de talents féminins. De fait, nous sommes encore loin de l'égalité salariale, l'écart entre les femmes et les hommes à temps de travail égal étant de 14 %.
Pour toutes ces raisons, j'ai lancé le plan « filles et maths », destiné à mobiliser la communauté éducative pour que les choses changent dès la rentrée 2025. Pour atteindre la parité en spécialité maths, il manque 30 000 filles tous les ans. Nous avons fixé une cible claire : 5 000 filles de plus chaque année jusqu'en 2030. Cet objectif sera intégré aux feuilles de route des chefs d'établissement. Nous voulons éliminer toute autocensure pour libérer des vocations.
Dès la rentrée prochaine, ce plan entrera dans sa phase active, avec cinq leviers d'action : sensibilisation et formation des enseignants ; développement d'une offre de formation plus attractive ; mise en avant de modèles féminins ; promotion de la mixité dans les filières scientifiques de l'enseignement supérieur ; meilleure représentation des femmes dans les postes les plus visibles de mon ministère en maths et en sciences.
Une séance de sensibilisation destinée à tous les personnels sera organisée dans toutes les écoles et tous les collèges et lycées avant le 15 septembre ; elle sera animée par les chefs d'établissement ou les référents égalité filles-garçons, eux-mêmes préalablement formés.
Une attention particulière sera portée au premier degré. En quatre ans, nous formerons de façon plus approfondie tous les professeurs des écoles, notamment pour les sensibiliser aux gestes professionnels qui peuvent inconsciemment nuire à la confiance des filles. Le rapport des inspections donne de nombreux exemples, comme la façon d'interroger les filles ou les différences d'annotations sur les bulletins : « sérieuse » pour les filles, « brillant » pour les garçons.
Nous voulons aussi former tous les professeurs de mathématiques du second degré, comme cela a été fait dans l'académie d'Amiens, où l'on commence à observer des résultats probants.
Nous entendons aussi réformer la formation initiale des enseignants. Je pense en particulier aux professeurs des écoles, qui suivront dès la rentrée 2026 une licence pluridisciplinaire leur permettant d'acquérir des connaissances solides dans toutes les disciplines qu'ils auront à enseigner, notamment les mathématiques.
Par ailleurs, j'ai annoncé la création de nouvelles classes à horaires aménagés « maths et sciences » en quatrième et en troisième, sur le modèle de ce qui existe pour les enseignements artistiques. Ces classes verront le jour à titre expérimental dans au moins cinq académies dès septembre prochain. Leurs effectifs devront comprendre au moins 50 % de filles et une pédagogie de projets sera adoptée, qui favorise l'appétence pour les sciences.
L'enseignement des sciences numériques et technologiques (SNT), obligatoire en seconde générale et technologique, doit donner envie aux élèves de choisir les enseignements de Stim en première et terminale ; nous en rénoverons le contenu et les méthodes dès la rentrée 2026. La voie technologique, appelée sciences et technologies industrielles et du développement durable (STIDD), sera également rénovée à la même échéance : elle offre une poursuite d'études naturelle en bachelors universitaires de technologie (BUT) et forme les techniciennes et techniciens dont nous avons tant besoin.
Je crois aussi beaucoup aux rôles modèles, car chacun a besoin de s'identifier pour mieux se projeter. J'ai donc décidé de rendre obligatoire une rencontre annuelle avec des profils féminins inspirants pour toutes les filles de la troisième à la terminale. Je compte sur la mobilisation de tous, car nous aurons besoin de 15 000 étudiantes, ingénieures et chercheuses qui acceptent d'intervenir pendant quatre heures pour partager avec des groupes de filles leur passion des sciences. Nous travaillons avec des partenaires comme le Medef et l'Inria pour y parvenir - toutes les écoles d'ingénieurs pourront être sollicitées.
S'agissant de la promotion de la mixité dans les filières scientifiques du supérieur, je rencontrerai la semaine prochaine les représentants des proviseurs d'établissement accueillant des classes préparatoires scientifiques pour définir les leviers permettant d'attirer davantage de filles. Si les filles qui demandent à entrer dans les formations scientifiques les plus prestigieuses ont autant de chances que les garçons, à niveau égal, d'être retenues, c'est au moment de faire un choix définitif qu'elles renoncent à ces formations. Il faut absolument que la proportion de filles en classes préparatoires scientifiques atteigne 30 %, seuil à partir duquel l'effet ressenti est celui de la mixité.
Parce que nous devons réaliser la parité à tous les niveaux et que les jeunes filles ont besoin de s'identifier à des figures fortes, nous devons également travailler sur la représentation des femmes parmi les enseignants des classes préparatoires aux grandes écoles et les postes de direction des lycées. J'ai donc demandé à l'inspection générale de veiller à nommer au moins 30 % de femmes parmi les professeurs des disciplines Stim en classes préparatoires.
De même, Philippe Baptiste, ministre chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche, et moi-même avons demandé aux directeurs de laboratoire de recherche et à tout l'écosystème de l'enseignement supérieur et de la recherche d'encourager et de promouvoir les compétences féminines en sciences.
Ce combat n'est pas seulement celui de l'égalité ; il est aussi celui de l'émancipation. Ouvrons grand les portes des sciences et des mathématiques à toutes celles qui, jusqu'ici, ne s'y sentent pas à leur place !
Mme Dominique Vérien, présidente. - Nous sommes en phase avec toutes ces propositions, vous n'en serez pas surprise.
En ce qui concerne les femmes modèles, la vice-présidente de l'université d'Aix-Marseille que nous avons auditionnée hier, qui forme à la lutte contre les stéréotypes qui nous imprègnent tous et toutes malgré nous, a insisté sur la nécessité de présenter aux filles des rôles accessibles. Nous ne pouvons pas toutes devenir double prix Nobel, comme Marie Curie... Mais se rendre compte, en première ou en terminale, que l'on peut devenir ingénieure, c'est une perspective beaucoup plus atteignable.
Des associations s'organisent pour promouvoir ces rôles féminins dans les collèges et les lycées. L'une d'entre elles - STEM4ALL - se lance au Sénat dans quelques jours ; les rapporteures et vous-même, madame la ministre d'État, êtes invitées à cet événement.
Les femmes ingénieures, les femmes dans les sciences de façon générale, se sentent seules. C'est l'une des causes du phénomène du « tuyau percé ». De fait, les femmes ne sont pas toujours extrêmement bien accueillies - hier, nous avons bien senti que la filière « mathématiques » de l'université d'Aix Marseille n'était pas forcément des plus accueillantes pour les femmes.
La réforme du baccalauréat n'a pas forcément entraîné de déperdition de filles après le bac, mais nos auditions ont montré que les chercheuses en sciences sont aussi souvent de brillantes littéraires. C'est fréquemment la rencontre d'un professeur qui les a poussées à continuer à faire des sciences au lycée, ce qui leur a permis d'opter finalement pour une carrière scientifique.
Mme Marie-Pierre Monier, rapporteure. - Une expérience intéressante, que je voudrais signaler : la vice-présidente de l'Université d'Aix-Marseille a institué une formation pour ceux qui recrutent des chercheurs et des chercheuses, afin de bien comprendre comment les biais de genre se mettent en place ; c'est un simple test pour sensibiliser ceux qui recrutent, leur faire prendre conscience de la manière dont les biais se mettent en place chez eux et comment ils les exercent. Il serait intéressant de prévoir un temps pour que les professeurs analysent la situation et voient comment, à leur corps défendant, ils peuvent véhiculer des biais de genre, il est important de comprendre comment ces biais se forment et s'exercent.
Vous insistez à raison sur la formation continue des professeurs ; cependant, il serait préférable que ces temps de formation se fassent pendant le temps scolaire.
La réforme du baccalauréat a remis en valeur les mathématiques, qui avaient été malmenées par l'un de vos prédécesseurs. Les mathématiques sont rétablies en classe de première, seriez-vous favorable à ce que l'obligation soit étendue à l'ensemble des élèves jusqu'en terminale ?
La mesure 5 de votre plan d'action prévoit la création de classes à horaires aménagées en quatrième et en troisième, avec un minimum d'effectifs d'au moins 50 % de filles et une expérimentation dans cinq académies. Comment fonctionneront ces classes, où seront-elles déployées - les territoires ruraux en bénéficieront-ils aussi ?
Les représentants d'associations favorisant la mixité dans les sciences ont suggéré d'organiser des rencontres entre des élèves de quatrième et de troisième et des lycéens ayant choisi les spécialités scientifiques en première et terminale : cet échange entre pairs peut motiver les collégiennes, qu'en pensez-vous ?
Les réseaux sociaux sont un espace privilégié par les jeunes pour s'informer ; le ministère envisage-t-il d'y conduire des campagnes de communication dédiées et adaptées, pour encourager la mixité dans les sciences ?
Une des mesures de votre plan d'action prévoit la mise en place de rencontres systématiques avec des adultes qui puissent servir de « modèle » aux élèves, de la troisième à la terminale. Comment sera constitué ce vivier - et comment cette mesure sera-t-elle déployée sur le territoire ?
Enfin, il faudra veiller à ce que les lycées en ruralité ne soient pas pénalisés. Les déplacements et le fait de devoir être interne peuvent empêcher les filles mais aussi les garçons de faire des études supérieures, c'est un vrai sujet pour l'orientation.
Mme Laure Darcos, rapporteure. - Nous sommes très heureuses de vous voir à ce poste, car je me rappelle, lorsque j'avais posé une question d'actualité à votre prédécesseur Pape Ndiaye sur la suppression des mathématiques en classe de première et terminale, avoir vu à votre regard que vous étiez pour le moins surprise de cette réforme - vous avez rétabli les mathématiques en classe de première, c'est une très bonne chose.
Merci pour cette formation pluridisciplinaire que vous proposez à nos professeurs des écoles. Je m'inquiète de ce que, parmi les professeurs des écoles recrutés depuis la réforme Blanquer, certains n'ont pas fait de maths en première ni en terminale et n'ont peut-être aucun goût pour les mathématiques ; il est important de les remettre à niveau pour qu'ils enseignent les mathématiques à leurs élèves de premier degré.
Vous n'avez pas parlé du tout de l'association La main à la pâte, qui est un succès : comment la conforter, encourager des enseignements qui soient pratiques, et pas seulement théoriques ?
Le rôle des modèles est très important pour l'orientation, vous l'avez dit. Mais il faut faire accepter à l'Éducation nationale que des personnes extérieures viennent à l'école, pas seulement des modèles, il faut que l'école s'ouvre au monde de l'entreprise, dans le cadre de foires aux carrières, bien sûr, mais pourquoi pas dans la gestion même des établissements, dans les conseils d'administration des établissements. L'association Une Voie pour tous expérimente de nouvelles approches, il est primordial de changer l'état d'esprit et d'ouvrir des ateliers scolaires à des personnes extérieures pour que les jeunes filles identifient des carrières qui les attirent. Lors d'une rencontre sur le plateau de Saclay avec de nombreux scientifiques, des scientifiques femmes - par exemple la présidente de l'ENS Paris-Saclay, Nathalie Carrasco - ont suggéré que les quotas de filles soient mis en place en deuxième année de classe préparatoire plutôt qu'en première année, ce serait plus efficace pour éviter les abandons : qu'en pensez-vous ?
Enfin, j'apprécie beaucoup ce que fait Coralie Chevalier à la tête du Haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (HCERES) - et il faut vraiment soutenir ce Haut conseil, alors que nos collègues députés entendent le supprimer, mais je sais que je prêche ici une convaincue...
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État. - La proposition de supprimer le HCERES relève d'une incompréhension, me semble-t-il, car la recherche doit être évaluée en tout état de cause - et il vaut mieux qu'elle le soit par un Haut conseil, plutôt que par le ministre de la recherche, qui serait un peu embarrassé d'évaluer les laboratoires de recherche...
Mme Laure Darcos. - Effectivement, c'est un gage d'objectivité, et j'apprécie la façon dont Coralie Chevalier accomplit sa mission. J'indique au passage que les universités sont censées évaluer l'impact des stéréotypes de genre dans leur fonctionnement et l'efficience de leur politique d'égalité, mais qu'elles ne le font pas en pratique ; Coralie Chevalier s'est étonnée de cet état de fait, elle veut le faire évoluer, c'est aller dans la bonne direction.
Mme Jocelyne Antoine, rapporteure. - Le rapport des inspections générales insiste sur la nécessité d'appliquer une politique de tolérance zéro à l'égard des propos sexistes, en particulier ceux visant les compétences ou la légitimité des filles. Quelles sont les sanctions possibles contre de tels comportements - que les auteurs soient des membres du personnel ou des élèves ?
La mesure de votre plan d'action qui a été la plus commentée est sans nul doute l'objectif de parvenir à un minimum de 30 % de filles en 2030 dans les classes préparatoires scientifiques. Quels retours pouvez-vous nous en faire à ce stade ?
Je m'associe à mes collègues pour exprimer ma satisfaction de votre engagement sur cette thématique des femmes et des sciences, elle nous tient beaucoup à coeur. Vous dites être sensible à la question du décrochage des filles dès la classe de CP. Les stéréotypes de genre ont des origines multifactorielles et se situent aussi au sein de l'environnement familial. De quelle manière envisagez-vous de sensibiliser les parents à ces questions de stéréotypes de genre, en particulier vis-à-vis des sciences ? Dans quelle mesure comptez-vous associer les collectivités territoriales dans le cadre de leurs compétences en matière d'accueil périscolaire et d'accompagnement de la petite enfance ?
Mme Marie-Pierre Monier. - Les responsables de l'université d'Aix Marseille que nous avons auditionnés hier nous ont alerté sur le fait que les actions en faveur de l'égalité femmes-hommes à l'université étaient fondées sur le volontariat, elles ont souligné l'importance que ces actions deviennent obligatoires, pour que des changements se produisent véritablement. Votre plan ne porte pas sur l'université, mais que pensez-vous de cette idée d'obligation ?
Mme Dominique Vérien, présidente. - Il est certain qu'il est plus facile de lutter contre les biais une fois qu'on en a pris conscience. Quand on n'en est pas conscient, on dit facilement qu'on n'a pas de problème, et encore moins de temps, en conséquence, pour suivre une formation dont on ne voit pas l'objet - et c'est aussi de cette façon que l'on entretient les biais, c'est aussi pour cela que l'obligation est intéressante.
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État. - Je partage votre avis sur les modèles. Si l'on veut que des jeunes filles se projettent dans un modèle, il faut trouver des figures qui leur parlent, pas seulement leur montrer l'exemple de Marie Curie. C'est pourquoi il est intéressant que des jeunes filles en école d'ingénieurs, que des jeunes femmes ingénieurs, des jeunes chercheuses viennent leur parler. C'est ce que nous voulons faire, des associations travaillent dans ce sens, nous voulons fédérer les initiatives pour permettre à nos chefs d'établissement de répondre à l'obligation d'avoir systématiquement, devant chaque classe de la troisième à la terminale, des rencontres avec des femmes inspirantes et proches.
Je partage également votre avis sur la nécessité de sensibiliser tous les personnels - et d'explorer le champ de l'enseignement supérieur. La période de pré-rentrée scolaire et les deux premières semaines de la rentrée sont propices à des actions dirigées vers tous les personnels. Le rapport des deux inspections met en évidence les stéréotypes de genre à l'oeuvre, des propos tenus, des annotations et des commentaires encore stéréotypés, il faut en être plus conscient dans la communauté éducative, donc sensibiliser dans ce sens.
Le plan maths va permettre à tous les professeurs du premier degré de se former de nouveau en mathématiques ; cela se fait dans ce qu'on appelle les constellations, en proximité, dans les établissements, une académie a montré l'utilité de ces formations. Je vous rejoins, Madame Darcos, nous recrutons des professeurs des écoles au niveau Master 2 qui n'ont pas fait de maths depuis des années, nous recrutons beaucoup de femmes qui ont fait des études littéraires et qui n'aiment pas forcément les mathématiques ; il peut y avoir une tendance à ce que les jeunes femmes professeures projettent ce peu d'appétence pour les mathématiques, c'est pourquoi cette formation pluridisciplinaire, que nos professeurs suivront désormais, est vraiment importante. L'enjeu est aussi de redonner goût aux mathématiques à nos futurs professeurs pour qu'ils puissent transmettre ce goût à tous les élèves.
Faut-il réintroduire les mathématiques en terminale ? Nous ne l'avons pas prévu, mais j'ai annoncé qu'on allait introduire, dès la prochaine session du baccalauréat, une épreuve anticipée de mathématiques en classe de première. Cela donne le signal qu'on a bien deux évaluations nationales sur les matières fondamentales que sont le français et les mathématiques. Cela permettra aussi d'avoir une évaluation objective, en particulier dans Parcoursup, puisque les évaluations de spécialité se tiennent après les choix consignés dans Parcoursup.
Les réseaux sociaux ont un rôle massif, c'est un sujet majeur. Je ne vois pas d'autre explication à la montée du sexisme et du masculinisme à laquelle nous assistons. Lorsque j'étais en classe préparatoire scientifique, nous n'étions déjà pas beaucoup de filles - la proportion n'a malheureusement pas beaucoup progressé depuis -, mais je ne vivais pas cela comme le signe de ce que je n'y étais pas à ma place. Je pense que les théories masculinistes qui circulent aujourd'hui sur les réseaux sociaux, font que les jeunes filles, y compris des jeunes filles qui sont excellentes en sciences et en mathématiques, disent qu'elles ne vont pas dans certaines formations parce qu'elles ne s'y sentent pas à leur place.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Le seuil de tolérance à l'égard des commentaires de ce genre n'est pas le même aujourd'hui non plus. Lorsque j'étais en maths sup, j'avais de très bonnes notes en maths et à chaque fois, mes camarades - nous étions, je crois, trois filles dans une classe de trente - disaient que c'était parce que j'avais fait un sourire au professeur. Cela me mettait en colère et je me souviens d'une fois où j'avais une « colle » avec un répétiteur aveugle, j'avais alors dit à mes camarades qu'ils verraient bien que même avec un correcteur non-voyant, j'aurais une bonne note - mais ce correcteur m'avait lui-même, en me donnant une très bonne note, félicité pour mon sourire... On considérerait aujourd'hui que de tels propos sont sexistes et insupportables, mais à ce moment-là, c'était le quotidien, on n'avait pas le même seuil de tolérance.
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État. - J'ai discuté de ce sujet avec Catherine Sueur, elle a une expérience similaire. Je pense que toutes les filles ne sont pas préparées à affronter ces stéréotypes et que, si l'on veut dépasser ce plafond de verre à 25 %, il faut aller chercher des filles qui pourraient être affectées par ces remarques sexistes et qui ne le seront pas parce qu'on aura changé les choses - bien des jeunes filles ont traversé nos classes préparatoires sans prêter attention à ces remarques, il faut, maintenant, que toutes les filles qui ont des talents en maths puissent aller en classe préparatoire : ce n'est pas aux jeunes filles de s'adapter aux remarques sexistes, c'est l'état d'esprit global qui doit changer.
Les classes à horaires aménagés maths et sciences seront expérimentées dans cinq académies qui sont déjà candidates - celles de Normandie, d'Amiens, de Nancy-Metz, de Bordeaux et de Martinique -, d'autres vont se porter candidates, les rectrices et recteurs veulent les implanter dans tous les territoires, dans les quartiers politiques de la ville, dans des territoires ruraux, dans des centres-villes, et avoir une couverture équilibrée du territoire.
Pour faire venir des scientifiques à l'école, il faut trouver des partenariats avec des institutions, cela peut être le Conservatoire national des arts et métiers, le laboratoire d'une université, il y a beaucoup de possibilités. L'association La main à la pâte est très intéressante, elle donne une autre approche des sciences, plus expérimentale, elle donne une idée de la recherche scientifique, elle ouvre d'autres horizons et une autre façon d'aborder les disciplines scientifiques. Je suis convaincue - La main à la pâte le démontre -, que cela peut conforter des choix d'orientation pour tous les élèves et en particulier pour les filles. L'association La main à la pâte a développé un grand réseau, avec des relais sur tout le territoire, c'est très important pour l'action, nous avons besoin d'un maillage du territoire et de passer immédiatement à l'échelle pour sensibiliser les jeunes et diffuser la culture scientifique et technique.
Dans un échange que j'ai eu avec des proviseurs et des professeurs de classes préparatoires, j'ai malheureusement encore entendu cette crainte qu'en ciblant une proportion de filles, on risquerait de faire baisser le niveau...
Mme Laure Darcos. - On nous a dit la même chose en politique...
Mme Dominique Vérien, présidente. - ... alors que, je le dis haut et fort, cela a fait monter le niveau des conseils départementaux !
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État. - Le niveau va monter si l'on augmente la proportion de filles. Aujourd'hui, des filles qui ont de meilleures notes sont admises mais elles renoncent, parce qu'elle ne se sentent pas à leur place. Pour atteindre la parité en classes scientifiques, il y a un enjeu de conviction au sein des établissements, il faut que les proviseurs et les professeurs poussent à ce que les filles ne se découragent pas - et il faut commencer par dire que si l'on veut faire monter le niveau, il faudra qu'il y ait plus de filles.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Le professeur de classe préparatoire mathématiques, physique et sciences de l'ingénieur (MPSI) au lycée du Parc, à Lyon, que nous avons entendu, nous a donné ces chiffres : sur Parcoursup, 31 % des candidats sont des filles, le haut du classement est féminin à 43 %, mais finalement, à la rentrée, les filles ne sont plus que 22 % des élèves de classes préparatoires scientifiques, parce que les autres sont parties.
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État. - J'ai été très surprise de constater qu'effectivement, des jeunes filles renoncent à des filières scientifiques parce qu'elles les jugent trop masculines, avec l'idée que, de ce fait, elles n'y seraient pas à leur place - je vous l'ai dit, je fais le lien avec la vague masculiniste sur les réseaux sociaux. Il y a là un enjeu d'éducation, ce que nous allons aborder dans le cadre du programme d'éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (EVARS). Il faut apprendre à ne pas tenir des propos sexistes, alors que les réseaux sociaux en sont pleins ; il faut réapprendre le respect de l'autre, la tolérance, le respect des relations entre les filles et les garçons. Lorsque j'étais jeune fille, je n'avais pas l'idée d'éviter une école parce qu'il y avait une majorité de garçons, c'est pourtant le cas aujourd'hui, des jeunes filles renoncent à aller dans telle classe préparatoire parce qu'elles pensent y subir des remarques sexistes. Il faut casser ces barrières pour que les filles n'abandonnent pas la spécialité maths entre la première et la terminale, pour qu'elles choisissent leur orientation en fonction des matières qu'elles aiment - et qu'elles restent dans les filières qu'elles choisissent.
Mme Laure Darcos. - Elles demandent aussi des places en internat qui soient non mixtes, elles recherchent une bulle protectrice, dans l'entre soi, où elles se sentent en sécurité et entre elles.
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État. - L'objectif d'au moins 30 % de filles dans chaque classe préparatoire est important. J'ai lancé le plan Filles et Maths depuis un lycée des Hauts-de-Seine où un véritable travail avait été fait par la cheffe d'établissement et par les professeurs - et où des filles disent qu'elles sont bien à leur place dans la filière scientifique. Tout l'enjeu, c'est que les filles se sentent à leur place dans ces formations scientifiques et mathématiques, cela suppose qu'elles ne soient pas isolées, on a besoin de passer un cap de présence féminine dans ces classes pour que les filles se sentent chez elles dans la classe préparatoire spécialité maths.
Il y a aussi un enjeu sur la famille, son rôle est très important dans les choix d'orientation. Nous allons ouvrir une nouvelle plateforme pour l'orientation, avec des ressources très claires pour les professeurs, pour les élèves et pour les familles. Je vais demander aussi que se tiennent des réunions professeurs-parents-élèves avant les conseils de classe, au deuxième trimestre, pour avoir cette discussion avec les familles sur l'orientation. Il y a un combat culturel à mener pour que la famille encourage, ou à tout le moins ne dissuade pas les filles d'aller vers les filières scientifiques, d'ingénieurs et numériques. J'entends aussi ce que vous dites sur l'intérêt d'avoir un travail avec les collectivités : cette continuité entre les activités scolaires et périscolaires est importante, nous devons y porter le même message.
Il faut prendre en compte également une évolution générale, qui ne va pas dans le bon sens : quand j'étais petite, les jouets étaient de toutes les couleurs, ils n'étaient pas soit roses, soit bleus - il faudra bien en discuter avec les fabricants des jouets, il y a beaucoup de stéréotypes à combattre ; Nicole Belloubet, ma prédécesseuse au poste de ministre de l'éducation nationale, avait signé une charte avec les éditeurs de manuels scolaires, nous allons suivre son application avec attention.
Quelles sanctions contre les comportements et les propos sexistes ? Il faut affirmer clairement que ces comportements donnent lieu à des procédures disciplinaires et que nous ne pouvons pas tolérer des comportements sexistes, ni de la part des élèves, ni de la part des enseignants.
Mme Dominique Vérien, présidente. - L'une de nos collègues nous a fait part d'une expérience personnelle qui illustre bien les stéréotypes de genre auxquels nous sommes confrontés. Dans la classe maternelle d'un de ses enfants, les dessins des filles et des garçons étaient séparés : il y a une bannette rose pour les dessins des filles et une bannette bleue pour les dessins des garçons... Les dessins des garçons et des filles sont séparés, les bannettes sont roses ou bleues - quand de tels stéréotypes apparaissent dès la maternelle, on voit qu'il y a un travail à faire sur la formation des professeurs des écoles...
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État. - C'est pour cela que nous avons prévu d'afficher une charte dans les salles des professeurs, pour alerter sur de petits gestes, ce sont de petites choses qui peuvent casser une ambition, il faut être attentif à ce qui peut apparaître comme des détails mais qui va ensuite déterminer le choix des jeunes, réduire leur ambition.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Cela fonctionne d'ailleurs dans les deux sens, des garçons sont dissuadés d'aller dans des filières considérées comme « féminines »...
Que pensez-vous de l'expérience menée par l'École normale supérieure, consistant à dispenser des cours non mixtes - la classe est mixte, mais certaines parties du cours peuvent être réservées aux filles ou aux garçons : cette approche vous parait-elle une piste pour favoriser la participation des filles ? On sait que dans un groupe mixte, si un homme commence à prendre la parole, aucune femme ne prendra la parole tant que tous les hommes n'auront pas eu leur tour ; à l'inverse, si c'est une femme qui commence, la parole se répartira de façon plus équitable. J'ai vérifié ce phénomène avec des classes de seconde et j'ai constaté qu'il était très compliqué de faire prendre la parole aux filles dans un contexte de classe mixte.
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État. - Je m'interroge, car je pense qu'il est essentiel de recréer une culture où chacun est capable de laisser la parole à l'autre. Les garçons lèvent davantage la main que les filles et si l'on n'y prend pas garde, on ne va interroger que des garçons ; mais on peut faire différemment, en sensibilisant les professeurs des écoles et les enseignants du secondaire ; je préfère apprendre à nos enseignants à être attentifs et à donner la parole aux filles malgré le fait que les garçons lèvent davantage la main, apprendre aux enseignants à rechercher davantage la parole des filles - parce qu'au fond, je préfère vivre dans une société où les espaces sont mixtes.
Mme Marie-Pierre Monier. - On nous a expliqué hier que les stéréotypes sont définitivement intégrés entre l'âge de quatre ans et dix ans. L'école primaire est donc cruciale, c'est là que cela commence - puis les stéréotypes sont figés, il faut donc les déconstruire dès le plus jeune âge.
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État. - C'est un enseignement du rapport des deux inspections : avant d'entrer au CP, l'appétence des filles et des garçons pour les mathématiques est la même ; après un trimestre, ce n'est plus le cas - le combat démarre là.
Mme Dominique Vérien, présidente. - On nous a signalé que les tests d'évaluation en mathématiques à l'école primaire étaient eux-mêmes biaisés, parce qu'ils portent davantage sur la rapidité d'exécution de la tâche que sur les mathématiques ; or, la vitesse n'est pas gage de compréhension ni d'aptitude, ce n'est pas parce qu'on lit plus vite, qu'on lit mieux. Il y a aussi un travail à faire sur les tests d'évaluation.
Mme Marie-Pierre Monier. - Et on sait également que la pression du temps compte beaucoup dans les examens et concours, les filles y sont plus stressées, cela a encore à voir avec la vitesse, qui exclut davantage les filles.
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État. - Vous allez auditionner la semaine prochaine Laura Chaubard, la directrice de l'École Polytechnique, vous savez que l'année 2024 a été marquée par une baisse du nombre de filles admises au concours, c'est peut-être lié à l'une des épreuves, qui était longue et qui nécessitait une certaine rapidité. Or, l'intérêt du pays n'est pas nécessairement d'avoir des ingénieurs et des chercheurs rapides, nous avons surtout besoin qu'ils soient créatifs et imaginatifs.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Merci pour votre présence, nous suivrons avec grand intérêt l'application des mesures que vous prenez. L'éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle fait partie intégrante de l'éducation à l'égalité entre filles et garçons ; je trouve intéressant votre souhait que les professeurs et les enseignants des écoles soient engagés sur ces sujets, ils vont y apprendre beaucoup de choses et ils regarderont peut-être leur pratique sous un jour différent.
Je vous remercie donc pour votre action en général et en particulier pour votre engagement en faveur de l'égalité entre les filles et les garçons.
La réunion est close à 10 h 45.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo, disponible en ligne sur le site du Sénat.