- Mercredi 4 juin 2025
- Projet de loi portant transposition des accords nationaux interprofessionnels en faveur de l'emploi des salariés expérimentés et relatif à l'évolution du dialogue social - Examen des amendements au texte de la commission
- La régulation des dépenses de médicaments - Audition d'un représentant de la Direction de la Sécurité sociale et Mme Juliette Moisset, directrice de l'accès et des affaires économiques de « Les entreprises du médicament »
Mercredi 4 juin 2025
- Présidence de M. Philippe Mouiller, président -
La réunion est ouverte à 9 h 40.
Projet de loi portant transposition des accords nationaux interprofessionnels en faveur de l'emploi des salariés expérimentés et relatif à l'évolution du dialogue social - Examen des amendements au texte de la commission
M. Philippe Mouiller, président. - Nous examinons les amendements au texte de la commission sur le projet de loi portant transposition des accords nationaux interprofessionnels en faveur de l'emploi des salariés expérimentés et relatif à l'évolution du dialogue social. Ce texte sera examiné en séance publique cet après-midi, après les questions d'actualité au Gouvernement. Nous commençons par l'examen d'un amendement des rapporteurs.
EXAMEN D'UN AMENDEMENT DES RAPPORTEURS
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. - L'article 4 concerne le contrat de valorisation de l'expérience (CVE). L'amendement n° 23 porte sur l'alinéa 12, qui vise l'exonération de 30 % de la contribution patronale spécifique.
Aux termes de cet alinéa 12, « l'employeur est exonéré, jusqu'à la fin de la troisième année suivant la publication de la présente loi, de la contribution mentionnée à l'article L. 137-12 du code de la sécurité sociale au titre des indemnités versées à l'occasion des ruptures de contrats de travail effectuées en application du III du présent article. Cette exonération s'applique dans la limite des sommes mentionnées au a du 5° du III de l'article L. 136-1-1 du code de la sécurité sociale. » Or cette dernière phrase pose problème.
En effet, lorsqu'un salarié part à la retraite avec une indemnité de 1 000 euros, l'employeur sera exonéré à hauteur de 300 euros. Si l'employeur décidait de verser une indemnité de 2 000 euros par exemple, il ne pourrait bénéficier de cette exonération que sous ce même plafond de 300 euros. Cette mesure n'est donc pas vertueuse.
C'est pourquoi nous vous proposons de supprimer la dernière phrase de ce paragraphe, ce qui suppose un gage financier, que le Gouvernement lèvera en séance, afin de respecter l'accord national interprofessionnel (ANI).
L'amendement n° 23 est adopté.
EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION
Avant l'article 1er
L'amendement n° 7 rectifié bis est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. - L'amendement n° 1 n'est pas conforme à l'ANI. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 1.
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. - Les amendements nos 2 et 8 ne sont pas non plus conformes à l'ANI. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable aux amendements nos 2 et 8, de même qu'à l'amendement n° 9.
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. - Il en est de même pour l'amendement n° 21.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 21.
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. - Les amendements nos 18 rectifié et 22 rectifié visent à inscrire l'écoute des travailleurs sur le contenu, l'organisation, les conditions de leur travail parmi les grands principes qui doivent guider les employeurs dans les mesures prises pour s'assurer de la sécurité et de la santé des salariés. Même si nous partageons l'intention des auteurs de ces amendements, cette disposition n'a pas été retenue par les partenaires sociaux. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable aux amendements nos 18 rectifié et 22 rectifié.
Mme Anne-Marie Nédélec, rapporteure. - L'amendement n° 3 vise à rétablir la contribution dite Delalande, qui n'a pas prouvé son efficacité. Or l'apport du contrat de valorisation de l'expérience (CVE) est l'une des pièces maîtresses de l'ANI. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 3.
Mme Anne-Marie Nédélec, rapporteure. - L'amendement n° 10 vise à réduire à trois ans la durée de l'expérimentation du CVE. Ce délai est trop court pour dresser un bilan dans la mesure où les salariés recrutés n'auront pas encore atteint l'âge de mise à la retraite. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 10.
Mme Anne-Marie Nédélec, rapporteure. - Les amendements nos 16 et 12 prévoient d'interdire de conclure un CVE avec un ancien salarié. Cette précision n'a pas été retenue par les partenaires sociaux. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable aux amendements nos 16 et 12.
Mme Anne-Marie Nédélec, rapporteure. - L'amendement n° 11 vise à conditionner le recours au CVE à la publication d'indicateurs relatifs à l'emploi des seniors. Les partenaires sociaux n'ont pas retenu ces modalités lors de la négociation de l'ANI. Le comité de suivi et d'évaluation prévu par l'ANI semble plus pertinent. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 11.
Mme Anne-Marie Nédélec, rapporteure. - Les amendements identiques nos 6 et 15 ainsi que l'amendement n° 19 tendent à supprimer la communication de la date de retraite à taux plein à l'employeur. Or il est important pour l'employeur de pouvoir anticiper les besoins en formation, en recrutement. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable aux amendements identiques nos 6 et 15, de même qu'à l'amendement n° 19.
Mme Anne-Marie Nédélec, rapporteure. - Les amendements identiques nos 4, 14 et 17 prévoient de supprimer l'exonération de la contribution patronale spécifique sur l'indemnité de mise à la retraite. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable aux amendements identiques nos 4, 14 et 17.
Mme Anne-Marie Nédélec, rapporteure. - Avis défavorable à l'amendement n° 20, qui tend à apporter une précision sur le contenu du rapport d'évaluation. Il ne nous semble pas pertinent de préciser la méthodologie, puisque tel est l'objet même d'un rapport d'évaluation. Retrait ou avis défavorable.
La commission demande le retrait de l'amendement n° 20 et, à défaut, y sera défavorable.
Mme Anne-Marie Nédélec, rapporteure. - L'amendement n° 13 prévoit que le rapport d'évaluation soit remis au Parlement au terme de trois ans, au lieu de cinq. Nous l'avons déjà dit, ce laps de temps est trop court. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 13.
TABLEAU DES AVIS
La régulation des dépenses de médicaments - Audition d'un représentant de la Direction de la Sécurité sociale et Mme Juliette Moisset, directrice de l'accès et des affaires économiques de « Les entreprises du médicament »
M. Philippe Mouiller, président. - Chers collègues, nous allons à présent tenir une table ronde sur la régulation des dépenses de médicaments. L'importance du sujet qui nous réunit n'échappe à personne. En effet, l'évolution des dépenses de médicament est l'un des principaux facteurs - et l'un des symboles - de l'évolution des dépenses de santé. Leur maîtrise est l'un des enjeux clés de chaque PLFSS.
Cette nécessité se heurte à d'autres contraintes d'importance :
- la souveraineté, dont la crise du covid-19 a rappelé le caractère crucial ;
- l'innovation thérapeutique, à laquelle chaque patient est particulièrement sensible.
Enfin, les outils mis en place pour maîtriser l'évolution des dépenses de médicaments atteignent un sommet de complexité que chaque acteur peine à maîtriser, y compris le législateur. La « correction » de 1,2 milliard d'euros effectuée par le Gouvernement sur ce poste lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025, au Sénat, en fournit une parfaite illustration. Je rappelle que nous avons appris cette correction des prévisions alors même que nos travaux étaient déjà engagés.
Le point de situation que nous allons établir se révélera particulièrement précieux pour nos travaux à venir. Il nous permettra de mieux cerner le dialogue actuellement engagé entre les différentes structures, d'identifier les pistes de réflexion en vue de la préparation du prochain PLFSS, et de disposer d'une évaluation nettement plus précise, afin d'éviter de revivre une telle correction dans de tels délais. Il s'agira donc de déterminer les outils correctifs mis en place pour répondre à ces enjeux. Ces axes structureront notre discussion.
Nous évoluons dans un contexte contraint, pris entre la volonté affirmée de renforcer notre capacité de production et d'assurer notre souveraineté, et la nécessité d'améliorer la pertinence de la dépense dans le domaine du médicament, tout en intégrant les dimensions internationales. Ce contexte est d'autant plus complexe que les États-Unis et la Chine adoptent des positions nouvelles en matière de fiscalité, de prix des médicaments ou de stratégie industrielle. Nous devons ainsi nous adapter dans un environnement en perpétuelle évolution. Par ailleurs, nous devons composer avec les contraintes budgétaires en vigueur. Dès lors, comment trouver les équilibres justes dans cette dynamique de transformation ?
Il convient enfin de souligner l'existence d'une véritable volonté de simplification, car il est aujourd'hui indispensable de disposer d'une vision claire, notamment en ce qui concerne les instruments financiers, afin de mener un travail de fond cohérent et inscrit dans la durée.
Mme Clélia Delpech, sous-directrice du financement du système de soins à la direction de la Sécurité sociale. - Merci, Monsieur le Président.
Quelques données chiffrées me permettront de vous rappeler l'évolution des dépenses dans ce domaine, dans un contexte où le redressement des finances publiques et sociales demeure une exigence majeure.
La commission des comptes de la sécurité sociale nous fournit des données consolidées. Selon les chiffres présentés hier et figurant dans son rapport, le chiffre d'affaires hors taxes brut des médicaments, qu'ils soient dispensés en ville ou à l'hôpital, dépasse 37 milliards d'euros, contre un peu plus de 35 milliards en 2023. Nous assistons ainsi à une progression de 6,3 %. Ces montants s'entendent avant application de la clause de sauvegarde et avant remises, et n'intègrent pas les marges de distribution versées aux pharmaciens ou aux grossistes répartiteurs.
Sur les cinq dernières années, les dépenses « super nettes » (après prise en compte des remises et de la clause de sauvegarde) de médicaments pris en charge par l'assurance maladie obligatoire ont augmenté de 20 %, passant de 25,5 milliards d'euros à 30,6 milliards d'euros. Il s'agit encore, pour 2025, d'estimations, les données consolidées n'étant pas encore disponibles.
En 2023, les dépenses de médicaments remboursés en ville - y compris les médicaments figurant sur la liste en sus, les rétrocessions hospitalières et les traitements en accès précoce - ont représenté un peu plus de 28 milliards d'euros. Cela équivaut à environ 12 % des dépenses totales de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam) et un peu moins de 30 % des dépenses de soins de ville. Ces montants sont également nets de remises et de clauses de sauvegarde.
Les chiffres consolidés une fois l'appel des remises pour l'année 2024 achevé devraient confirmer une croissance nette des dépenses remboursées estimée à 5,7 % entre 2023 et 2024. Ces dynamiques soulignent la forte croissance du secteur pharmaceutique, particulièrement marquée par rapport à d'autres composantes de l'Ondam. Son évolution globale, telle que votée dans la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2025, est de 3,4 %.
La progression des dépenses remboursées de médicaments en ville est principalement portée par un effet structure, avec une contribution estimée à 4,8 points.
Par « effet structure », j'entends l'arrivée sur le marché de nouveaux traitements, qui tendent à remplacer progressivement des médicaments plus anciens, souvent moins coûteux. À l'inverse, l'effet « boîte », c'est-à-dire l'augmentation du volume de boîtes délivrées, ne représente qu'environ 1,2 point. Ce diagnostic est partagé par le Comité économique des produits de santé (CEPS) ainsi que par l'assurance maladie.
La progression marquée des dépenses de médicaments en ville est donc largement imputable à l'arrivée de nouvelles molécules, souvent plus coûteuses. Certaines d'entre elles représentent de véritables innovations thérapeutiques, apportant une amélioration tangible par rapport aux traitements déjà disponibles. Cependant, ce n'est pas systématiquement le cas.
C'est précisément là qu'intervient un enjeu majeur pour les pouvoirs publics : celui de discerner clairement les nouveaux médicaments véritablement innovants de ceux qui n'offrent pas de progrès thérapeutique significatif. Ces derniers ne doivent pas être assimilés, en termes de tarification ou de prise en charge, aux traitements réellement novateurs, qui, eux, peuvent répondre à des situations d'impasse thérapeutique et sont porteurs de véritables avancées pour les patients.
Ces distinctions sont d'autant plus importantes qu'elles éclairent les grands déterminants de la dépense. Une fois ces éléments chiffrés partagés, il apparaît indispensable que le secteur pharmaceutique participe pleinement à l'effort collectif de redressement des comptes sociaux et des finances publiques. Il est l'un des moteurs principaux de la croissance des dépenses de santé. C'est ce qui justifie les objectifs d'économies définis chaque année dans le cadre de l'élaboration de l'Ondam et intégrés au débat parlementaire relatif au PLFSS, puis à la loi elle-même.
À ce titre, plusieurs instruments de régulation sont mobilisés. Pour l'année en cours, la clause de sauvegarde s'élève à 1,6 milliard d'euros, auxquels s'ajoutent des objectifs de baisse de prix de l'ordre d'un milliard d'euros ainsi que des enjeux de contractualisation avec Les Entreprises du médicament (Leem) ou de bon usage des médicaments.
L'ensemble de ces leviers vise à réconcilier des objectifs parfois antagonistes. Il nous faut à la fois garantir l'accès à l'innovation thérapeutique, assurer la disponibilité de médicaments matures et du quotidien, prévenir les tensions d'approvisionnement susceptibles d'engendrer des pénuries, et préserver notre souveraineté sanitaire et industrielle.
L'assurance maladie doit-elle assumer le financement de la politique industrielle, ou cette tâche relève-t-elle d'autres leviers budgétaires, portés par l'État, dans une logique plus large de soutien à l'industrie ? La réponse à cette question est cruciale, même s'il s'agit dans tous les cas de dépenses publiques, susceptibles de peser sur le déficit.
Par ailleurs, de nouvelles dimensions, notamment environnementales, doivent désormais être prises en compte dans l'univers du médicament. Tous ces impératifs s'inscrivent dans un cadre global de maîtrise des dépenses de santé et de contribution au redressement des comptes publics, avec des objectifs qui, bien qu'ambitieux, peuvent parfois sembler difficilement conciliables.
Pour tenter de concilier ces différentes exigences dans un cadre financier contraint, plusieurs outils classiques de régulation sont mobilisés, au premier rang desquels figure la clause de sauvegarde. Il s'agit d'un mécanisme macroéconomique destiné à contenir une évolution imprévue des dépenses de médicaments remboursables. Chaque année, un seuil de dépenses est fixé dans la LFSS. En cas de dépassement, la clause est activée afin de réintégrer une partie de l'excédent.
Au fil des années, nous avons observé une hausse significative du rendement de cette clause. Ainsi, ses recettes sont passées de 600 millions d'euros en 2021, à 1,2 milliard en 2022, pour atteindre 1,6 milliard depuis 2023. À la suite des conclusions du rapport confié à plusieurs personnalités qualifiées par l'ancienne Première ministre, Élisabeth Borne, le gouvernement s'est engagé à stabiliser ce rendement, dans une volonté de répondre à certaines préoccupations exprimées par les industriels du secteur.
Les déclenchements successifs de la clause de sauvegarde trouvent leur origine dans le dynamisme accru des dépenses liées aux médicaments remboursés, dont la croissance dépasse régulièrement les prévisions. Toutefois, ces niveaux de rendement appellent également à une réflexion plus approfondie.
Par ailleurs, ce mécanisme devrait respecter des exigences de prévisibilité, de lisibilité et de simplicité. Or, au fil des années, le dispositif s'est raffiné. Initialement conçu pour être un mécanisme collectif, il repose sur une agrégation des données transmises par l'ensemble des laboratoires, rendant la prévision particulièrement difficile pour chaque acteur individuel, notamment en ce qui concerne le montant exact de sa contribution.
Les pouvoirs publics ont tenté d'apporter davantage de clarté à ce dispositif - notamment en introduisant dans la LFSS le passage au calcul sur la base des montants remboursés. Cette démarche, bien que louable, a toutefois pour le moment reçu un accueil mitigé.
À côté de cette régulation macroéconomique, nous disposons d'un second levier, plus microéconomique, qui porte sur la négociation des prix des médicaments au moment de leur inscription, ainsi que sur les plans de baisses de prix confiés au CEPS.
Nous sommes fermement convaincus que la fixation des prix à l'entrée sur le marché constitue un levier déterminant pour la régulation des dépenses de santé. C'est sans doute l'outil le plus efficace pour maîtriser les remboursements, tout en devant rester adaptable aux nouveaux enjeux, notamment ceux liés à l'innovation, mais également à la prévention des pénuries.
Il convient à ce titre de rappeler que l'assurance maladie n'a pas vocation à financer des objectifs autres que l'intérêt thérapeutique pour les patients. Elle intervient dans le cadre d'un système de solidarité. Il est donc fondamental de veiller à une utilisation rigoureuse et ciblée des ressources.
À nos yeux, les objectifs de baisse de prix confiés au CEPS constituent un instrument essentiel de régulation. Ces objectifs permettent l'introduction d'innovations sur le marché tout en garantissant l'équilibre économique global du secteur. En effet, les médicaments connaissent un cycle de vie : ils peuvent être inscrits à un tarif élevé lors de leur arrivée sur le marché puis faire l'objet, à terme, d'ajustements à la baisse.
Pour 2025, nous avons fixé un objectif de réduction des prix à hauteur d'un milliard d'euros. Ce montant, supérieur aux niveaux observés entre 2020 et 2022, ne constitue pas une hausse s'il est rapporté à l'assiette globale des dépenses de médicaments. Le ratio baisse de prix/dépenses atteint 3,2 %, contre plus de 4 % en 2019 et 2020. Cette évolution s'explique par la croissance soutenue et dynamique du chiffre d'affaires du secteur pharmaceutique.
Néanmoins, nous sommes conscients que ces mécanismes, qu'ils soient macroéconomiques ou microéconomiques, suscitent une forme de tension et d'incompréhension de la part de nombreux acteurs du secteur, notamment les laboratoires.
Ce constat nous engage à explorer d'autres leviers de régulation, qui ne soient pas uniquement financiers, afin de mieux contenir la dépense. C'est dans cette optique que les pouvoirs publics s'efforcent de rééquilibrer la structure même des dépenses en médicaments.
À ce titre, une action volontariste a été engagée par le ministère de la Santé pour favoriser le développement des génériques, des biosimilaires et des médicaments hybrides substituables. Cette politique s'est traduite par l'adoption, dans la dernière LFSS, de mesures incitatives, aujourd'hui en cours d'application. Les textes réglementaires sont en voie de finalisation, et l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) rend désormais ses avis plus rapidement, en particulier concernant les biosimilaires et hybrides, afin de faciliter leur accès au marché.
Dans cette perspective de transformation de la structure des médicaments disponibles sur le marché, nous avons engagé plusieurs pistes de réflexion. L'une d'elles concerne le délistage de certains médicaments, qui permettrait leur dispensation par les pharmaciens sans prescription médicale obligatoire, en concertation étroite avec le Leem.
Parallèlement, nous menons un travail approfondi sur la réduction des volumes consommés, en agissant à la fois sur les pratiques de prescription des professionnels de santé et, potentiellement, sur les comportements des patients. Ce chantier s'inscrit dans notre stratégie globale en faveur du bon usage des médicaments et des dispositifs médicaux.
À cet égard, l'une des mesures phares adoptées l'an dernier - qui a suscité de nombreux débats, tant ici qu'à l'Assemblée nationale - concerne l'accompagnement renforcé à la prescription. Ce dispositif vise à soutenir les médecins dans leurs décisions thérapeutiques, en particulier pour certains médicaments identifiés comme présentant un risque potentiel de mésusage.
Au-delà de cette initiative, de nombreux autres enjeux sont à l'étude, notamment en ce qui concerne le bon usage des antalgiques de palier 1 et de palier 2. L'objectif est clair : réduire la consommation de produits de santé lorsque leur usage n'est pas médicalement justifié, ou lorsque l'on peut s'en passer.
Mme Juliette Moisset, directrice de l'accès et des affaires économiques de « Les entreprises du médicament ». - Le Leem est l'organisation professionnelle représentative des entreprises du médicament à usage humain, dont les produits sont remboursés par l'assurance maladie. À ce titre, nous fédérons aujourd'hui 280 entreprises en France, allant des acteurs de l'innovation de pointe aux producteurs de médicaments matures, tombés dans le domaine public. La moitié de nos adhérents sont des TPE et PME. Ensemble, nous représentons plus de 100 000 collaborateurs, présents sur l'ensemble du territoire national et exerçant plus de 150 métiers. Nos entreprises disposent également de 270 sites de production répartis à travers la France.
Notre raison d'être est de créer un accès équitable aux traitements pour tous les patients, sur l'ensemble du territoire. Cette mission repose sur trois piliers stratégiques :
- la soutenabilité économique, à la fois pour le système de santé et pour les entreprises du secteur ;
- la souveraineté sanitaire, régulièrement rappelée comme une priorité nationale ;
- l'accompagnement des entreprises face aux transitions majeures en cours - qu'il s'agisse de la transition démographique et du vieillissement de la population, de la transition numérique, ou encore de la transition écologique.
Le secteur du médicament est régulé, notamment à travers la maîtrise des prix. C'est la loi qui encadre les modalités de négociation du prix des médicaments. Ce dernier est fixé au moment de leur mise sur le marché, lorsqu'ils sont considérés comme innovants. Par la suite, la loi prévoit les circonstances de révision à la baisse du prix, en fonction de la maturité du produit. Ainsi, chaque année, le CEPS mène des campagnes de baisse de prix, conformément aux objectifs définis dans les annexes des LFSS.
À l'échelle européenne, les prix pratiqués en France sont inférieurs à la moyenne de ceux observés dans les autres pays. Ce constat vaut tant pour les médicaments récents que pour ceux en fin de cycle.
Au-delà du prix, les remises sont également encadrées par la loi. Ce dispositif permet à l'assurance maladie de bénéficier d'un prix effectif inférieur au prix facial ou public du médicament. Autrefois inscrit sur les boîtes, ce prix facial n'est plus systématiquement visible, mais la logique du mécanisme demeure : permettre un ajustement financier en faveur de l'assurance maladie.
La clause de sauvegarde constitue un mécanisme complémentaire. Dans le cadre du PLFSS, vous êtes amenés à voter chaque année un seuil de dépenses, appelé montant M. Lorsque le chiffre d'affaires de l'industrie dépasse ce seuil, les entreprises sont tenues de reverser une fraction de ce dépassement à l'État. Ce taux de reversement est progressif, selon l'importance du dépassement, et s'élève aujourd'hui, dans la majorité des cas, à 70 % du dépassement constaté.
Le quatrième levier, que l'on désigne par l'expression consacrée de « maîtrise médicalisée », correspond aux actions engagées par l'assurance maladie afin d'améliorer la pertinence des prescriptions. Ce levier demeure peu mobilisé.
Nous observons depuis plusieurs années une évolution significative dans l'équilibre de ces différents leviers, marquée par une mobilisation croissante des instruments économiques. Ce constat a d'ailleurs été confirmé par la mission d'expertise mandatée par Élisabeth Borne, dont les conclusions ont été rendues publiques à la fin de l'année 2023. La régulation du médicament repose aujourd'hui essentiellement sur des mécanismes tarifaires.
En témoignent des remises multipliées par dix en dix ans, une clause de sauvegarde atteignant, depuis 2023, des niveaux historiques, ainsi qu'une mobilisation encore très marginale des leviers liés à la maîtrise des volumes ou à la pertinence des prescriptions.
L'industrie exprime deux besoins majeurs, à commencer par celui de prévisibilité.
Sans même revenir sur l'ensemble de la décennie précédente - marquée par une régulation particulièrement intense de notre secteur -, nous constatons que les deux dernières années ont été dépourvues de toute progression de la dépense. Cette stabilité budgétaire, interrompue récemment par les dynamiques issues du Conseil stratégique des industries de santé (Csis) de 2021 et de la crise sanitaire, mérite qu'on s'y attarde.
Le système de santé a dû intégrer, dans les années 2010, plusieurs vagues d'innovations thérapeutiques majeures, à budget constant : les traitements curatifs de l'hépatite C, les chimiothérapies orales, etc.
Ces innovations ont été absorbées financièrement sans augmentation de la dépense globale, traduisant ainsi un choix politique consistant à réguler par une dévalorisation progressive des produits.
Les outils les plus sollicités ont été les mécanismes de baisse de prix - la clause de sauvegarde n'étant elle-même qu'un instrument de réduction tarifaire différée, appliqué en fin d'exercice. Ce dispositif, initialement conçu comme un filet de sécurité ponctuel, s'est inscrit durablement dans le paysage réglementaire pour devenir une taxation systématique.
Cette décennie sans croissance de la dépense a conduit le secteur du médicament à contribuer activement à la soutenabilité financière de notre système de santé. Cela se traduit notamment par une réduction de la part relative du médicament dans la dépense globale de santé. Si je ne dispose pas des mêmes chiffres exacts que Madame Delpech, je m'en remettrai à ses éléments.
Cette tendance est confirmée par le rapport de la Cour des comptes d'avril 2025, qui met en évidence cette diminution. Par ailleurs, la croissance des dépenses de médicaments a été deux fois inférieure à celle du reste des dépenses de santé (hors période de crise) - c'est ce qu'indique également le rapport de la mission Borne de 2023, pour la période allant jusqu'à 2022. Je mets de côté les deux dernières années, dont la dynamique est particulière.
Les autres conséquences, plus structurelles, sont préoccupantes pour notre secteur et pour la place de la France sur la scène internationale. En dix ans, la France est passée du premier au troisième rang européen en matière de participation aux essais cliniques internationaux. En quinze ans, elle est descendue de la première à la quatrième place en matière de production industrielle pharmaceutique. Aujourd'hui, moins de 10 % des nouveaux médicaments mis à disposition des patients en France sont fabriqués sur le territoire national.
Les industriels nous rapportent également un recul de la France dans les calendriers de lancement international des innovations thérapeutiques, ce qui témoigne d'une érosion progressive de l'attractivité de notre pays. C'est sur ces signaux d'alerte que nous insistons depuis plusieurs années, alors même que notre secteur est régulièrement reconnu, à juste titre, comme stratégique pour notre souveraineté sanitaire et industrielle.
Notre secteur exprime aujourd'hui un besoin clair de clarification de la politique du médicament, qui tienne compte, de manière globale et cohérente, de l'ensemble des enjeux qui s'y rattachent : de la commercialisation à la production, jusqu'à l'accès des patients aux traitements. Il s'agit d'élaborer une stratégie structurée, capable de soutenir l'investissement, l'emploi, la recherche, ainsi que l'accès des citoyens aux soins.
À ce jour, la politique du médicament s'inscrit essentiellement dans le cadre des PLFSS successifs, lesquels n'abordent le médicament qu'à travers le prisme des économies à réaliser. Une telle approche se révèle insuffisante pour construire une vision d'ensemble cohérente et durable de ce que devrait être la place du médicament dans la stratégie nationale de santé.
Ces textes financiers aboutissent nécessairement à des mesures de court terme, centrées sur des leviers économiques et budgétaires - principalement des baisses de prix - sans véritable prise en compte des enjeux de moyen et long termes.
Le deuxième besoin que nous portons concerne la préservation de l'investissement dans un secteur régulièrement cité comme stratégique, désormais indispensable à la santé des Français.
Paradoxalement, le retour à une dynamique de croissance de la dépense de médicaments, constatée au cours des deux dernières années, s'est accompagné d'un durcissement inédit des dispositifs de régulation économique.
Les baisses de prix ont atteint un niveau historique, dépassant le milliard d'euros d'objectifs annuels. Un tel niveau avait déjà entraîné par le passé des effets délétères, en particulier sur les médicaments les plus anciens, remettant en cause la viabilité économique de nombreuses entreprises. Ces objectifs de baisse, après avoir légèrement diminué, ont été réévalués à la hausse en 2025, pour retrouver le seuil d'un milliard d'euros.
Parallèlement, la clause de sauvegarde, dont l'activation remonte à 2014, a connu une progression constante. Désormais déclenchée de manière systématique, elle représente une charge annuelle de 1,6 milliard d'euros pour les entreprises.
Le plafonnement annoncé par différents gouvernements pour les exercices 2023, 2024 et 2025 n'a pas apporté les garanties de stabilité attendues. En 2024, le montant de 1,6 milliard pourrait être dépassé, et les incertitudes qui ont entouré le dernier PLFSS ont conduit à des ajustements.
Pour conclure, nous constatons que la régulation continue de s'appuyer quasi exclusivement sur des leviers budgétaires, lesquels représentent, pour l'année 2025, 3,2 milliards d'euros, incluant la clause de sauvegarde. À eux seuls, ces mécanismes représentent 50 % des économies attendues dans le cadre du PLFSS pour le système de santé. Cela, malgré les nombreux appels à rééquilibrer les outils de régulation, dont le plus récent émane de la mission confiée par Madame Élisabeth Borne.
Cette pression croissante fragilise l'ensemble de notre tissu industriel, quel que soit le modèle économique des entreprises concernées. Pour les produits matures, en particulier, cette situation exacerbe les tensions d'approvisionnement et aggrave les risques de pénuries sur notre territoire.
Par ailleurs, la perte d'attractivité des filiales françaises compromet leur capacité à attirer les investissements décidés par leurs maisons-mères. Le manque de prévisibilité, conjugué à une régulation devenue illisible, affaiblit la crédibilité des entités françaises auprès de leurs sièges internationaux et nuit à l'image industrielle de la France.
Enfin, cette opacité croissante du cadre réglementaire ne touche pas seulement les industriels : elle concerne également les parlementaires, comme en témoigne l'écart constaté entre les prévisions et les réalisations en fin d'exercice, qui risque de se réitérer à l'avenir.
En effet, nous faisons face à un système d'une extrême complexité, caractérisé par la multiplicité des acteurs impliqués dans la prévision budgétaire. À cela s'ajoute une injonction paradoxale : celle de reconnaître le médicament comme un secteur stratégique, tout en lui appliquant, année après année, des décisions de court terme essentiellement guidées par une logique d'économies immédiates.
Nous devons insuffler une dynamique nouvelle en faveur de l'accès aux innovations thérapeutiques, en considérant celles-ci non comme une charge, mais comme un investissement d'avenir. Les innovations, notamment médicamenteuses, constituent un vecteur de transformation des parcours de soins, en permettant une prise en charge plus efficace, plus précoce et potentiellement moins coûteuse pour le système de santé. Elles incarnent ainsi une opportunité réelle de concilier qualité des soins et efficience économique.
En ce sens, les entreprises du médicament ont engagé des démarches collectives concrètes en faveur de la réduction des consommations inutiles et des inefficiences. Nous avons, entre autres, conduit des campagnes de sensibilisation et de formation à destination des professionnels de santé, centrées sur le bon usage du médicament, notamment en matière de polymédication des personnes âgées. Par ailleurs, nous contribuons activement aux travaux d'instances de concertation, dans un esprit de proposition et de co-construction.
Ces mesures d'efficience ne porteront leurs fruits que si l'ensemble des parties prenantes - y compris les industriels du médicament - est pleinement associé aux réflexions et aux décisions. Certaines initiatives, mises en oeuvre sans concertation avec notre secteur, peinent aujourd'hui à aboutir.
Nous appelons également à un meilleur pilotage de la régulation du médicament. Un suivi en temps réel de l'exécution des mesures d'économie permettrait d'évaluer leur efficacité, d'ajuster la trajectoire si nécessaire, et d'éviter les effets contre-productifs.
La réforme de la clause de sauvegarde, prévue pour 2026, suscite de vives inquiétudes. Loin d'apporter de la stabilité, elle risque d'aggraver la situation actuelle, en renforçant une régulation déjà déséquilibrée, au détriment de certains acteurs économiques qui en subissent déjà les effets les plus lourds. En outre, cette réforme viendrait accroître encore l'imprévisibilité de notre environnement réglementaire et affaiblir la visibilité des industriels sur les leviers de régulation à venir.
Notre industrie s'inscrit dans un cadre résolument international. Elle est soumise à une concurrence globale exacerbée, dans un contexte géopolitique mouvant, marqué notamment par les annonces des États-Unis sur la régulation des prix des médicaments, qui reconfigurent les équilibres économiques de la recherche pharmaceutique mondiale. Dans ce contexte, la France ne peut se permettre d'être à la traîne.
Pour conclure, je souhaiterais rappeler notre raison d'être : créer les conditions pour que les patients aient accès à leur traitement où qu'ils soient sur le territoire, au moment où ils en ont besoin.
Pour ce faire, il nous paraît indispensable de renouer avec un dialogue fluide, ouvert et structuré entre l'ensemble des acteurs du système de santé, dont l'industrie pharmaceutique constitue un maillon essentiel. Il s'agit de préserver et renforcer l'esprit de partenariat public-privé, tel qu'il a su s'exprimer durant la crise sanitaire, de rompre avec une approche strictement annuelle et comptable de la politique du médicament, et de déployer une politique à 360 degrés pour notre secteur stratégique.
Mme Corinne Imbert. - Il apparaît que le médicament fait parfois figure de variable d'ajustement budgétaire. D'un point de vue strictement comptable, il est sans doute perçu comme le levier le plus simple à actionner pour freiner la dépense publique de santé. Ainsi, même dans un contexte d'augmentation naturelle des dépenses, liée à l'effet volume ou à l'arrivée de nouveaux traitements, la baisse des prix du médicament devient une réponse immédiate pour contenir les dépenses de l'assurance maladie.
Où en sommes-nous aujourd'hui quant au surcoût inattendu de 1,2 milliard d'euros, annoncé en novembre dernier ? Des discussions ont-elles eu lieu entre le ministère, le CEPS et les représentants de l'industrie du médicament ? Ont-elles permis, au minimum, d'éclairer les causes précises de cette annonce tardive, survenue à l'avant-veille de l'examen du texte au Sénat ? Et surtout, quelles garanties pouvons-nous envisager pour éviter qu'un tel scénario se reproduise à l'automne prochain ?
Vous avez évoqué la mission Borne. Quelles sont concrètement vos recommandations à ce sujet ? Le Leem a formulé un certain nombre de propositions pour améliorer le pilotage et la régulation des dépenses de médicaments. À vous écouter, je me demande si nous sommes encore face à une équation que l'on peut véritablement résoudre. Nous nous trouvons au croisement de plusieurs exigences majeures : la souveraineté sanitaire, l'accès rapide et équitable aux innovations thérapeutiques, l'exigence de soutenabilité financière.
Je suis convaincue que la question du juste prix des médicaments innovants est au coeur du sujet. Bien sûr, la recherche, l'innovation et le développement ont un coût réel qu'il faut reconnaître. Mais il importe aussi d'interroger les niveaux de prix pratiqués, car leurs répercussions sur l'ensemble du système sont profondes, notamment sur les médicaments plus anciens et sur les tensions d'approvisionnement, voire les pénuries.
Je dispose de graphiques illustrant la place de la France parmi les pays où les prix des médicaments sont les plus bas - inférieurs d'environ 10 % à la moyenne européenne sur l'ensemble du cycle de vie. Ce constat doit, à mon sens, nous interpeller collectivement.
Nous poursuivons une ambition louable d'accès à l'innovation pour tous les patients, en particulier ceux en impasse thérapeutique. Toutefois, le prix de ces innovations ne saurait être dissocié des effets systémiques qu'il produit. Nous ne pouvons plus nous satisfaire d'une vision binaire où il suffirait de « payer parce qu'on le souhaite », sans considérer l'équilibre global du système de santé.
Le président Mouiller a également évoqué les enjeux géopolitiques : les États-Unis, avec leurs mécanismes de régulation des prix, mais aussi la Chine, qui investit massivement dans le médicament innovant. À cela s'ajoutent des pressions exercées sur les laboratoires, parfois sommés de choisir leur implantation stratégique - avec des messages du type : « si vous ne venez pas chez nous, nous n'achèterons pas vos médicaments. »
Et pendant ce temps, la France court le risque réel de voir partir certains industriels, y compris parmi ceux historiquement implantés sur notre territoire. Nous disons souvent aux acteurs économiques : « Choisissez la France. » Mais sommes-nous réellement capables de leur demander d'y rester ?
Je vois ici un enjeu de compétitivité, de stabilité et d'attractivité, qui ne saurait être ignoré. Je n'ai pas de réponse définitive, mais je crois que des ajustements doivent être envisagés, notamment en matière de régulation. La clause de sauvegarde, dans sa forme actuelle, s'apparente à une sanction collective. Tous les laboratoires ne partageront peut-être pas ce point de vue, mais il me semble pertinent d'envisager l'introduction, dans le calcul de la clause de sauvegarde, d'un critère différencié prenant en compte le lieu de production. Le Sénat a d'ailleurs intégré, dans une précédente LFSS, un mécanisme de valorisation du prix du médicament en fonction du lieu de production et de la sécurité d'approvisionnement. Cette mesure a été étendue à toute révision de prix concernant des médicaments déjà commercialisés. Il me semble qu'il serait temps d'assumer une forme de préférence nationale.
De même, pourquoi n'introduirions-nous pas un tel critère dit « industriel » dans la baisse de prix ? Autrement, nous risquons d'aggraver une situation déjà fragilisée.
Si nous sommes collectivement convaincus que le médicament constitue un secteur stratégique, nous devons nous en donner les moyens. Il ne peut être une variable d'ajustement.
Je vous rejoins pleinement sur la question de l'efficience. La mise en oeuvre de mesures en ce sens n'a pas toujours été aisée, mais dans le contexte actuel, il est indispensable que chacun contribue à l'effort collectif : patients, industriels, prescripteurs, pharmaciens, sans oublier les pouvoirs publics. J'identifie du côté de l'assurance maladie un réel enjeu de pédagogie à conduire, avec le concours des professionnels de santé. Vous avez mentionné, à juste titre, les actions déjà engagées par les laboratoires pour sensibiliser les acteurs à ces enjeux.
Par ailleurs, la généralisation du tiers payant, si elle a constitué un progrès pour l'accès aux soins, a pu générer une certaine forme de déresponsabilisation.
Enfin, j'aimerais souligner l'incohérence qu'il y aurait à dénoncer chaque année la régulation excessive ou la financiarisation du secteur tout en reconduisant des dispositifs qui contribuent précisément à cette dérive. Nous ne pourrons nous en émouvoir si nous ne prenons pas dès aujourd'hui les mesures qui s'imposent.
Mme Corinne Bourcier. - En février 2024, Catherine Vautrin, Frédéric Valletoux et Roland Lescure présentaient une feuille de route « Médicaments 2024-2027 », dont l'ambition affichée était de garantir la disponibilité des médicaments tout en restaurant durablement une souveraineté industrielle dans ce domaine. Quel bilan tirez-vous de cette stratégie ?
Depuis le 1er janvier 2025, l'ANSM a recensé quatorze cas de tensions d'approvisionnement ou de ruptures de stock concernant des médicaments psychotropes. Comment expliquer que le champ de la psychiatrie semble particulièrement exposé à ces difficultés ? Quelles mesures sont envisagées pour y remédier ?
Plusieurs syndicats de pharmaciens et d'officinaux ont demandé la mise en place de mécanismes incitatifs pour encourager les laboratoires à maintenir la production et l'accès à ces médicaments, ainsi que des ajustements réglementaires pour fluidifier les flux logistiques en cas de pénurie. Comment ces pistes pourraient-elles se traduire dans les faits ?
Enfin, il me semble fondamental de soutenir nos entreprises françaises et de préserver notre souveraineté sanitaire. Bien entendu, les industriels doivent participer à l'effort collectif, mais nous devons quand même leur donner plus de marge de manoeuvre et de visibilité.
M. Khalifé Khalifé. - Permettez-moi de souligner trois points majeurs d'inquiétude.
D'abord, le niveau particulièrement bas des prix pratiqués en France. Cette situation m'interroge profondément quant à l'avenir de l'innovation pharmaceutique dans notre pays, ainsi que sur les incitations réelles pour l'industrie à commercialiser ses produits sur notre territoire.
Ensuite, le risque croissant de fraude. À l'heure de l'intelligence artificielle, des prescriptions suspectes, notamment pour des pathologies lourdes ou rares, devraient sans doute faire l'objet d'un suivi renforcé. Les récentes attaques informatiques visant des centres hospitaliers ou des établissements pharmaceutiques, ainsi que le vol de médicaments à forte valeur, semblent attester de l'existence de filières internationales organisées, bien au-delà d'agissements isolés. Quelles actions concrètes ont été prévues par l'assurance maladie et le gouvernement pour lutter contre ces dérives ?
Enfin, la clause de sauvegarde et le mécanisme des remises. Il me semble que les montants en jeu sont encore plus élevés que ceux mentionnés : plus de 7 milliards d'euros en 2023, et près de 9 milliards en 2024 selon les estimations que j'ai pu recueillir. Or, cette somme n'est généralement exigée des laboratoires qu'en toute fin d'année suivante, alors que l'industrie en a connaissance dès le mois de juin de l'année N+1. Cet argent « dort » plusieurs mois dans les comptes des laboratoires - sans utilité immédiate - alors qu'il aurait toute sa place dans les caisses de l'État, particulièrement en période de tension budgétaire. Un versement anticipé, ne serait-ce que partiel, permettrait d'atténuer les charges d'intérêt liées à notre dette publique. Avez-vous connaissance d'une réflexion engagée à ce sujet ?
Mme Céline Brulin. - Les mécanismes actuels de régulation apparaissent effectivement insatisfaisants pour l'ensemble des parties prenantes.
Vous avez exposé de manière claire que la forte dynamique des dépenses s'expliquait principalement par l'arrivée de nouveaux produits sur le marché, et que parmi eux figurent à la fois des innovations thérapeutiques avérées, et d'autres produits qui n'apportent pas d'amélioration significative. Pourriez-vous nous fournir davantage de précisions à ce sujet ? Cet écart dans la valeur thérapeutique ne devrait-il pas être intégré plus systématiquement dans la politique de fixation des prix ?
Du côté du Leem, vous avez exprimé le souhait de voir émerger une approche plus stratégique de la régulation, en opposition à un pilotage que vous qualifiez de « comptable » et annuel. Cependant, l'adoption d'une stratégie publique implique, en retour, certaines exigences de la part de l'État. Il pourrait s'agir, par exemple, de conditionner les aides publiques à des engagements industriels concrets, en matière de localisation de la production, de répartition attendue entre médicaments innovants et médicaments matures produits sur le territoire national, en fonction des besoins de santé publique.
Les laboratoires pharmaceutiques et les industriels du secteur sont-ils prêts à accepter que la puissance publique exerce pleinement cette responsabilité stratégique, y compris en y associant des contreparties plus structurantes ?
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Nous faisons face à un dilemme : d'un côté, un besoin de régulation économique incontournable, qui semble aujourd'hui ne satisfaire pleinement personne ; de l'autre, la nécessité impérieuse de garantir l'accès aux innovations thérapeutiques, conformément aux attentes légitimes des patients.
La régulation est évidemment nécessaire. Toutefois, si les dépenses en médicaments connaissent une progression notable, les prix pratiqués en France demeurent parmi les plus bas d'Europe, et la part relative du médicament dans les dépenses de santé a, semble-t-il, diminué au cours des dernières années. Pouvez-vous nous le confirmer ?
Quels sont les outils de pilotage mis en oeuvre, ou ceux que vous souhaitez développer pour répondre à cette équation complexe ? Il me semble que ces contradictions pourraient être transformées en opportunités, à condition de les aborder lucidement.
La France dispose d'un tissu industriel solide, avec des entreprises capables de proposer des produits de santé susceptibles de générer des économies indirectes : en réduisant le recours à l'imagerie, à l'hospitalisation, ou encore en limitant le nombre de prises médicamenteuses. Il me paraît essentiel que les innovations soient évaluées aussi sous cet angle.
Ainsi, quels sont aujourd'hui les outils de pilotage existants ou en projet pour mieux articuler régulation et accès à l'innovation ? Et surtout, comment accélérer concrètement l'accès des patients aux traitements innovants ? Il n'est plus acceptable que des patients français soient contraints de se rendre à l'étranger pour obtenir les soins dont ils ont besoin.
Mme Pascale Gruny. - En mars dernier, la Commission européenne a présenté une proposition de règlement concernant les médicaments critiques, visant à renforcer leur disponibilité ainsi que la sécurité de leur approvisionnement.
Ce texte prévoit également un appui à la création ou à l'augmentation des capacités de production en Europe, ainsi que la possibilité d'imposer des critères d'attribution de marchés publics de médicaments qui ne soient pas uniquement fondés sur le prix. Il semble raisonnable de penser que les médicaments fabriqués en Europe pourraient être plus onéreux que ceux produits en Chine ou en Inde.
Comment envisagez-vous de concilier la nécessité de réduire les prix des médicaments afin d'assurer la viabilité de notre modèle de sécurité sociale tout en renforçant la sécurité de l'approvisionnement et, par conséquent, en répondant aux exigences formulées par la Commission européenne ?
Mme Clélia Delpech. - Dans notre approche réglementaire, nous nous attachons à prendre en considération les enjeux d'innovation et de relocalisation industrielle. Nous oeuvrons à concilier ces divers objectifs en matière d'accès à l'innovation. Nous avons mis en oeuvre plusieurs dispositifs dans le cadre des différentes LFSS, incluant des mécanismes dérogatoires permettant d'accéder à certains médicaments avant l'obtention de leur autorisation de mise sur le marché ou peu après cette étape, afin de garantir un accès rapide pour les patients.
Nous avons notamment introduit une réforme concernant les accès précoces et compassionnels. Elle fonctionne plutôt bien, et permet aux patients français d'accéder à des traitements jugés innovants. La question réside ensuite dans la capacité à distinguer clairement ce qui est simplement nouveau de ce qui apporte un véritable progrès thérapeutique. Ce défi inclut la nécessité de garantir, par la suite, la soutenabilité du dispositif et d'offrir aux patients les meilleurs médicaments disponibles.
La proportion de médicaments ayant démontré une amélioration du service médical rendu (ASMR) n'a pas significativement augmenté ces dernières années pour les médicaments remboursés par l'assurance maladie. Elle a connu une hausse bien moins marquée que les dépenses engendrées par les nouveaux médicaments. Nous y voyons un potentiel d'amélioration dans notre manière de réguler et d'intervenir sur les prix de ces produits.
J'entends les observations formulées par le Leem concernant les leviers de régulation financière, incluant les clauses de sauvegarde, les plans de réduction et la tarification des produits de santé et des médicaments. Je souhaite, toutefois, écarter les remises sur produits et les remises conventionnelles, car elles ne constituent pas des mesures de régulation financière. Elles ne représentent pas des avantages accordés à l'assurance maladie, mais sont négociés entre le CEPS et chaque laboratoire. Bien que ces dispositions soient bénéfiques pour les industriels, elles pourraient illustrer un point de divergence entre nos positions et celles du secteur, ainsi que des représentants des laboratoires.
Il est essentiel de se concentrer sur les enjeux liés à la fixation des prix, à la détermination des plans de réduction et à l'identification des entreprises ou des spécialités visées par ces efforts. Nous pouvons effectivement cibler des médicaments spécifiques en tenant compte de leur apport dans le cadre de la stratégie thérapeutique et du parcours de soins. Ces réflexions sont actuellement menées au sein du CEPS, qui cherche à identifier les spécialités les plus pertinentes. Ce chantier peut également nous permettre de privilégier les produits fabriqués en France ou en Europe par rapport à d'autres.
Au-delà des questions de tarification stricto sensu, il existe déjà des mécanismes destinés à encourager l'implantation ou la relocalisation de certains sites de production en France ou en Europe. Nous disposons de crédits d'investissements d'avenir qui visent à soutenir ces démarches. Par ailleurs, l'accord-cadre régissant les relations entre le CEPS et les entreprises pharmaceutiques prévoit des critères afin d'évaluer différemment les prix en fonction de la localisation de la production.
Cependant, fonder la détermination de la contribution des entreprises à la clause de sauvegarde sur de tels critères de localisation semble complexe, d'autant que nous tentons de simplifier le mécanisme de cette clause. Il est souvent difficile de connaître avec certitude le lieu de production des médicaments, étant donné la complexité des chaînes de production. Néanmoins, c'est une voie d'exploration que nous envisageons activement. Nous réfléchissons également à des moyens plus efficaces pour prendre en compte ces enjeux.
Ensuite, nous avons lancé des travaux dans le cadre de la feuille de route sur les pénuries. Il est encore un peu prématuré d'en fournir un bilan détaillé. Néanmoins, plusieurs mesures sont votées chaque année par le Parlement pour renforcer la lutte contre les tensions d'approvisionnement, mais également pour prévenir les situations de pénurie et augmenter les moyens à la disposition des pouvoirs publics en cas de crise.
Nous avons pu adopter des textes concrets avec le ministère de la santé. Il convient d'ailleurs de souligner l'implication significative de l'ANSM. Nous avons désormais la possibilité de délivrer les médicaments en tension et en situation de pénurie à l'unité afin de rationaliser leur distribution tout en responsabilisant les patients et les pharmaciens. De plus, nous orientons les prescripteurs vers d'autres traitements lorsque des alternatives sont disponibles.
Surtout, nous prenons désormais en charge le remboursement des préparations magistrales, une fois que l'ANSM a émis des recommandations en ce sens. Ces actions devraient nous aider à limiter les situations de pénurie, ou à en réduire la durée et à trouver des solutions adaptées pour les patients.
Enfin, vous nous interrogiez sur les conséquences des débats complexes et des modifications apportées aux prévisions et aux chiffres l'année dernière lors des débats parlementaires. Nous travaillons assidûment sur ces questions au sein du ministère de la santé, notamment à la direction de la sécurité sociale. Des missions parlementaires ont été menées sur ce thème, incluant des auditions du directeur de la Sécurité sociale.
Une mission d'inspection nous accompagne sur ces divers sujets. Elle devrait prochainement rendre son rapport.
L'une des principales difficultés réside dans la prévision des remises, qu'elles soient liées aux produits, aux accords conventionnels ou aux accès précoces. Nous examinons ces aspects de manière détaillée. Nous procéderons à un examen minutieux de chaque négociation qui a eu lieu au sein du CEPS et avec les laboratoires pharmaceutiques afin d'identifier les clauses permettant le calcul des remises et d'améliorer nos prévisions. Cet aspect était sous notre contrôle au niveau de la direction de la sécurité sociale et a fait l'objet de mises en oeuvre et de modifications. Nous pourrons ainsi affiner nos prévisions, tout en gardant à l'esprit qu'elles comportent toujours une part d'incertitude que nous nous efforçons de minimiser.
Sachez qu'il existe déjà des instances de concertation entre les représentants des entreprises pharmaceutiques, notamment à travers des comités d'interface. Depuis le début de l'année, nous avons oeuvré de manière très étroite à la mise en place d'une contractualisation entre le Leem et les pouvoirs publics, visant à compenser l'écart de prévisions observé dans le cadre de la LFSS. Nous trouvons des espaces de dialogue constructif, malgré des positions parfois divergentes.
Nous progressons sur ces sujets. Toutefois, il est impératif d'améliorer la lisibilité, la visibilité et la simplicité des différents mécanismes. La clause de sauvegarde mérite d'être allégée. Nous pensons qu'une approche fondée sur le montant remboursé serait la plus efficace. Elle éviterait aux laboratoires d'attendre la déclaration de leurs concurrents et permettrait de sortir d'une logique collective complexe qui nuit à la prévisibilité pour les entreprises, tout en facilitant le calcul de la clause de sauvegarde.
Il pourrait être opportun d'envisager d'autres mécanismes permettant de redonner à la clause de sauvegarde son rôle initial de garde-fou. Nous explorons également tous les autres leviers liés à l'usage approprié et à la maîtrise des volumes de médicaments. L'année dernière et l'année précédente, nous avons enregistré entre 250 et 300 millions d'euros d'économies dans le cadre du bon usage des médicaments.
Cet objectif peut sembler modeste comparé aux ambitions de réduction des prix, mais il demeure ambitieux. Il implique un changement de pratique tant chez les prescripteurs que chez les pharmaciens et les patients. Ce processus prend donc davantage de temps que la régulation financière. En sus des 300 millions d'euros d'économies, il convient également de mentionner les actions de maîtrise médicalisée mises en place par l'assurance maladie, qui se chiffrent entre 800 et 900 millions d'euros.
Nos actions et objectifs en matière de maîtrise médicalisée et de régulation des volumes sont ambitieux, bien qu'il soit difficile d'aller plus loin ou plus vite sans risquer de perdre la confiance des prescripteurs, des patients et de l'ensemble des acteurs du système de santé.
Mme Juliette Moisset. - Nous avons effectivement engagé de nombreux échanges avec la direction de la sécurité sociale et les diverses autorités administratives afin de mieux comprendre ce qui a conduit à une correction de 1,2 milliard d'euros en fin d'année dernière. Nous avons pu réduire l'écart entre nos analyses respectives de moitié. En effet, nous débattons actuellement d'un écart d'environ 500 millions d'euros, rien que par l'établissement des données constatées.
Pour autant, il s'avère qu'un tiers de ce débordement n'est pas intégré dans le chiffre d'affaires de l'industrie. Nous nous interrogeons sur cet écart. Nous devons continuer à travailler sur ce point, ainsi que sur la mise en place d'outils de pilotage plus réguliers.
Nous disposons de plusieurs outils dont nous partageons les résultats, mais la conception de ces outils n'est pas nécessairement communiquée aux pouvoirs publics. L'industrie est pleinement engagée et désireuse de contribuer à un pilotage partagé, en discutant avec les pouvoirs publics du suivi des remises, ainsi que des dépenses liées aux médicaments et du chiffre d'affaires de l'industrie.
Sachez que le secteur a proposé un versement anticipé des remises, surtout compte tenu des problématiques de trésorerie. Nos récents rapports indiquent qu'elles se renforcent pour l'assurance maladie. Plusieurs points demeurent à discuter. Je suis convaincue que ces discussions avec la direction de la Sécurité sociale pourront reprendre très prochainement.
Ensuite, le levier des baisses de prix s'est complexifié au fil du temps. Nous parlons ici des prix faciaux, c'est-à-dire des prix affichés avant déduction des remises, qui sont déjà inférieurs à la moyenne de nos voisins européens. De plus, la situation géopolitique actuelle ajoute des tensions supplémentaires. Les États-Unis, qui adoptaient auparavant une approche coopérative en payant beaucoup plus cher certains médicaments, semblent vouloir abandonner cette logique.
Par ailleurs, le montant des baisses de prix demeure globalement constant par rapport au chiffre d'affaires. Aujourd'hui, une frange importante de produits ne peut plus faire l'objet de baisses de prix. Après la crise sanitaire, la reprise de l'inflation a eu pour effet de plonger dans le rouge un certain nombre de produits et d'entreprises, en particulier parmi les produits matures et les moins chers sur notre marché.
Nous avons publié plusieurs chiffres concernant les écarts de prix des molécules essentielles. Les prix pratiqués en France sont inférieurs de 15 à 30 % à ceux de ces mêmes produits sur d'autres marchés européens. Ainsi, la marge de manoeuvre pour les baisses de prix se réduit.
Le juste prix doit permettre une négociation entre l'industriel et le CEPS, dans le cadre légal défini, en conciliant divers impératifs : la soutenabilité des comptes publics, la viabilité économique pour les entreprises et la capacité à disposer des produits sur le territoire national, compte tenu du contexte géopolitique et des différences de prix. À cet égard, les remises ne doivent pas être perçues comme une faveur ou un bonus accordé à l'industrie, mais comme un outil essentiel garantissant l'accès à un certain nombre de médicaments en France tout en maintenant des prix non affichés.
Nous devons échanger sur cette prévisibilité et envisager une fluidification des prévisions, afin d'éviter la répétition des désagréments rencontrés en fin d'année. Nous devons aspirer à avoir une visibilité nettement accrue tout au long de l'année, ainsi qu'une compréhension plus complète des différents mécanismes en jeu.
Je partage les préoccupations exprimées concernant la tension entre soutenabilité, innovation et la nécessité de changer de paradigme pour considérer cette dernière comme une opportunité. Les médicaments et les produits de santé sont des vecteurs d'innovation fondamentaux dans notre système, susceptibles de transformer les pratiques. À ce titre, nous avons besoin d'une vision axée sur les aspects médico-économiques et d'un réflexe médico-économique plus immédiat, qui nous permettra d'élargir notre perspective.
Ma directrice générale et moi-même serons de retour demain pour évoquer la soutenabilité de notre protection sociale au sens large, en précisant comment certaines innovations médicamenteuses peuvent non seulement contribuer à la guérison des patients, mais aussi leur permettre de conserver leur emploi et de rester actifs. Comment peut-on adopter une logique et une vision plus larges de l'innovation, en considérant ses bénéfices au-delà du seul prisme des coûts pour l'assurance maladie ?
Ensuite, le secteur pharmaceutique s'engage constamment en réponse à l'appel des ministres lors des différentes instances de dialogue et de décision relatives aux tensions d'approvisionnement. Cette action, qui a été menée de manière collective et concertée, témoigne d'un véritable partenariat entre les entreprises et les pouvoirs publics, et a permis de réaliser des progrès significatifs. Nous avons constaté une réduction notable des tensions et des ruptures d'approvisionnement en 2024. Cela dit, il serait imprudent de prétendre que la situation est aujourd'hui idéale, car des tensions subsistent, notamment en ce qui concerne certains médicaments psychotropes. Nous maintenons un lien très étroit avec l'ANSM à ce sujet.
La problématique, telle que je la comprends, repose sur des difficultés de production qui, bien que temporaires, affectent plusieurs de ces produits. Nous pouvons déjà observer des améliorations pour certaines molécules, tandis que pour d'autres, un retour à la normale avait été annoncé pour le mois de mai. Je ne possède pas encore les derniers éléments à ce sujet, mais je pourrai vous mettre en relation avec des experts plus éclairés dans ce domaine.
En ce qui concerne la politique du médicament, j'ai évoqué précédemment un certain nombre d'injonctions contradictoires et de difficultés à surmonter. J'entends les propositions qui ont été émises dans cette salle, lesquelles visaient peut-être à susciter ma réaction sur certains points. La détermination de ce que devrait être la politique du médicament appartient aujourd'hui au Gouvernement et à la représentation parlementaire, et les choix finaux vous appartiendront.
Je lance donc un appel à la concertation. Il est fréquent de croire qu'une approche punitive s'avère la plus efficace. En réalité, je préconise une démarche plus coopérative et collaborative, qui nécessite un dialogue régulier avec l'industrie sur les leviers à activer, en tenant compte du contexte international bien connu des entreprises. Il est essentiel d'adopter un pilotage plus étroit des actions et d'évaluer leurs conséquences sur les leviers que nous souhaitons faire évoluer.
En fin de compte, la décision politique revient au Parlement et au Gouvernement, qui détermineront quelle direction la France souhaite donner à cette industrie stratégique qu'est le médicament.
Concernant le volet plus large de l'Europe, je ne dispose malheureusement pas d'éléments à vous fournir à ce stade, mais certains de mes collègues sont très engagés sur cette question. Je pourrai vous transmettre des informations plus détaillées ultérieurement.
Enfin, le secteur s'investit de manière significative contre la fraude, aux côtés de la Gendarmerie nationale, notamment sur les thématiques des psychotropes et de la falsification d'ordonnances. Je pourrai vous mettre en contact avec mes collègues qui sont beaucoup mieux informés des dernières actions entreprises à ce sujet.
Mme Florence Lassarade. - Quelles sont les perspectives en matière de traitement de la maladie d'Alzheimer, notamment en ce qui concerne les innovations susceptibles d'améliorer la santé des patients atteints, telles que les anticorps monoclonaux ?
Par ailleurs, quelle importance accordez-vous aux isotopes dans ce contexte, et quelles mesures envisagez-vous pour former des spécialistes dans ce domaine, notamment en ce qui concerne le traitement du cancer de la prostate ?
Mme Nadia Sollogoub. - Nous avons largement débattu du prix des médicaments. Il me semble inconcevable et scandaleux d'envisager que l'innovation en santé en France puisse être remise en question.
Existe-t-il des marges de rentabilité à retrouver dans les délais d'homologation des traitements ainsi que sur la complexité des procédures administratives ? Celles-ci sont-elles plus lourdes en France qu'ailleurs ? Des progrès pourraient-ils être envisagés de ce point de vue ?
Cette audition me rappelle une précédente session durant laquelle Thomas Fatôme avait un milliard d'euros de surcoût lié à la surprescription de pansements lors des sorties d'hospitalisation. Que fait-on pour remédier à cette situation ?
Mme Émilienne Poumirol. - Nous avons attentivement écouté le discours du Leem concernant les médicaments. En effet, ces derniers ne devraient pas être la seule variable d'ajustement pour équilibrer le budget de la Sécurité sociale. Je suis d'avis que nous devons diminuer les dépenses ; néanmoins, je considère que nous ne mettons pas suffisamment en avant l'importance d'améliorer les recettes. Je rappelle que notre rapporteure générale avait suggéré une réduction des allégements généraux, qui aurait pu rapporter 3 milliards d'euros.
Concernant le prix des médicaments, bien évidemment, nous convenons de l'importance de la prescription. Cependant, nous assistons non pas à une augmentation du volume, mais à une hausse des prix des médicaments innovants. J'aimerais revenir sur la question du prix, qui est débattue au sein du CEPS. Le secret des affaires et l'absence de transparence sont préoccupants. Les élus comme les usagers n'ont pas leur mot à dire.
Il est également étonnant de constater que certains médicaments qualifiés d'« innovants » n'apportent que peu ou pas d'améliorations en termes de service médical rendu. Pourtant, les laboratoires exercent une pression en mettant en avant le temps de recherche et le coût de celle-ci, alors qu'ils ont souvent acquis de petites biotechs sans réaliser tout le travail de recherche. La différence entre le coût de production et le prix négocié est parfois astronomique. Je rappelle qu'en ce qui concerne le traitement de l'hépatite C, le prix atteint 35 000 euros, alors que le coût de production est de quelques dizaines d'euros.
Il est justifié que le prix soit élevé tant que le traitement est véritablement innovant sur une durée d'un an, deux ans ou trois ans. Toutefois, pourquoi ne révisons-nous pas ce prix régulièrement ?
Il serait souhaitable de garantir davantage de transparence. En tant que direction de la Sécurité sociale, vous devez, j'imagine, avoir votre mot à dire lors des négociations au sein du CEPS. Pourquoi n'y parvenons-nous pas à moduler ces prix, en particulier pour les médicaments dits innovants qui ne le sont plus ?
M. Olivier Henno. - Tout à l'heure, vous avez évoqué le déclassement français ; c'est un terme qui, pour nous, parlementaires, résonne douloureusement. Nous nous interrogeons naturellement sur le pilotage et la régulation. En écoutant les interventions, il semble que cette dernière se centre uniquement sur le prix. Comment faire évoluer cette situation ? Si rien ne change, l'année prochaine, nous nous retrouverons à nouveau ici à déplorer une dégradation.
Ainsi, serait-il envisageable d'explorer une autre forme de régulation ? Ne pourrait-on pas inverser la pyramide en l'orientant vers la pertinence et l'efficience ? Nous pourrions envisager une réflexion visant à réduire la quantité pour rétablir des marges de qualité. Pensez-vous qu'il soit possible de réajuster notre approche pour inclure ces dimensions plutôt que de se concentrer uniquement sur le prix ?
Mme Anne Souyris. - Quelles propositions envisagez-vous pour relocaliser la production en France ou en Europe ? En outre, que pensez-vous de l'idée d'un pôle public du médicament ?
Par ailleurs, j'aimerais revenir sur la problématique de la surprescription, particulièrement en ce qui concerne les produits psychotropes. Nous constatons une augmentation significative de la surprescription au fil des années. Pour les jeunes, par exemple, nous avons observé une hausse de 62 % des prescriptions d'antidépresseurs et de 48 % pour les antipsychotiques depuis 2014. Si nous parlons de régulation, il est impératif d'agir sur cet enjeu de santé publique, au-delà des considérations économiques.
Par ailleurs, la Commission européenne a lancé, en avril 2024, une enquête sur les marchés publics chinois de dispositifs médicaux, suspectant une discrimination à l'encontre des produits européens.
Le Conseil de l'Union européenne a annoncé récemment des mesures de représailles visant à restreindre l'accès des dispositifs médicaux chinois au marché européen. Quel est l'avis des acteurs sur les risques pour les patients de voir leur accès à des traitements compromis en raison de cette guerre commerciale ?
D'autre part, nous avons appris que Sanofi a négocié un prix d'achat maximal de 9,5 milliards de dollars pour acquérir la biotech américaine Blueprint, spécialisée en immunologie. Ce montant correspond presque au prix de vente de sa filiale Opelia, chargée de la commercialisation du Doliprane, soit 10 milliards d'euros. Faut-il en conclure que toutes les entreprises pharmaceutiques vont abandonner les produits les moins rentables au profit de médicaments plus innovants et, donc, plus chers ? Quels engagements et régulations proposez-vous pour empêcher que ce glissement devienne systématique ?
Enfin, concernant la réduction de la consommation médicale jugée excessive, disposez-vous d'estimations sur les effets d'une politique de prévention comme levier pour diminuer les dépenses de médicaments ? En 2021, les dépenses liées au cancer représentaient 22 milliards d'euros, soit 12 % des dépenses de l'assurance maladie. N'est-il pas pertinent de réfléchir également au rôle que jouent l'alimentation et l'activité physique dans cette problématique ? Par exemple, la clause de sauvegarde pourrait-elle être utilisée pour financer des initiatives de prévention ?
Mme Anne-Sophie Romagny. - Madame Delpech, vous avez dit qu'il était difficile de savoir où les médicaments étaient effectivement produits. J'ai du mal à comprendre et à apprécier cette complexité, surtout lorsqu'une usine de production est établie sur le territoire français et que le nombre d'employés travaillant dans cette unité est vérifiable.
Permettez-moi de vous donner un exemple concret concernant une filiale française qui s'efforce de convaincre sa maison-mère de poursuivre ses investissements dans l'Hexagone. Ces interlocuteurs évoquent leurs enjeux à court et moyen terme, en soulignant que les investisseurs constatent trop souvent un décalage entre les discours volontaristes du Gouvernement sur l'industrialisation et la réalité, à savoir la mise en oeuvre quotidienne des décisions relatives à la régulation des médicaments. Ils rencontrent des négociations longues et ardues avec les autorités de santé pour rendre les traitements accessibles aux patients Français, aux prix les plus bas d'Europe, tant en termes de tarifs nets que faciaux. S'y ajoute une instabilité qui a déjà conduit, par le passé, à des retraits de produits du marché français. Ils soulignent également la pression d'une fiscalité élevée dans un contexte où ce même laboratoire souhaite réaffirmer son besoin d'obtenir des garanties de la part des pouvoirs publics. Elles incluent notamment une visibilité, une stabilité en matière de prix et de fiscalité, ainsi qu'une meilleure prise en compte des investissements industriels en France lors des négociations tarifaires, sans oublier une attention accrue accordée aux médicaments matures qui traitent les maladies chroniques au quotidien.
Ce laboratoire envisage d'investir 15 millions d'euros sur le sol français. Nous sommes en concurrence avec l'Espagne, et les choix que nous ferons en France seront déterminants pour son implantation.
Mme Brigitte Micouleau. - Comment justifier que le prix du médicament ne soit plus inscrit sur les emballages ? N'est-ce pas une déresponsabilisation complète des patients usagers ou consommateurs ?
Mme Raymonde Poncet Monge. - Bien que nous nous concentrions sur le prix des médicaments, celui-ci ne constitue pas, en France, le seul outil d'intervention publique sur le secteur.
Je tiens à rappeler l'existence d'un autre mécanisme, souvent négligé : le crédit d'impôt recherche, à côté de la recherche fondamentale financée par des fonds publics, qui est encore un levier important, même si elle est sérieusement menacée. La France contribue à l'innovation des médicaments dits innovants qui sont ensuite vendus à des prix très élevés. Ils améliorent effectivement le service médical rendu.
Lors de nos discussions avec le Gouvernement, les questions afférentes à l'industrie pharmaceutique sont fréquemment soulevées. Vous avez souligné que 50 % des acteurs de ce secteur sont des TPE et PME. Cependant, il existe également de grands groupes, dominant cette industrie. Ce sont bien souvent les PME et les TPE, moteurs d'innovation, qui se trouvent captées.
Il me semble paradoxal que l'on entende simultanément le point de vue public ainsi que celui des lobbyistes de l'industrie pharmaceutique. Il est difficile de parler d'une politique publique lorsqu'elle coexiste avec un tel lobbying industriel. Je rappelle tout de même que Sanofi a également bénéficié des crédits d'impôt recherche, tout comme les PME.
La question des bénéfices non réinvestis ou peu réinvestis en France, ainsi que celle de la distribution des dividendes, est essentielle. Ce n'est pas uniquement le prix qui importe ; il faut tenir compte de l'ensemble des éléments et du fait qu'en France, nous solvabilisons et mutualisons les dépenses liées aux médicaments.
Dans le cadre de la dérive mécanique de l'Ondam, nous demandons des efforts à l'industrie pharmaceutique, qui pourrait temporairement réduire ses bénéfices, pour maîtriser la croissance spontanée des dépenses.
Je voudrais également souligner un véritable problème de transparence. Chaque année, nous présentons et votons un amendement pour obtenir le rapport du CEPS avant le PLFSS, sans effet. Cette absence de transparence est un enjeu majeur, tant en France qu'en Europe. Je rappelle qu'il a fallu se battre pour disposer d'un aperçu de la rentabilité des vaccins durant la crise du Covid.
Tant que nous n'aurons pas cette transparence, alors que les groupes pharmaceutiques privés sont souvent très lucratifs, je pense que nous pouvons raisonnablement demander à l'industrie de fournir un effort pour maîtriser la dérive des prix des médicaments.
Mme Clélia Delpech. - D'abord, je souhaite revenir sur les actions menées par le gouvernement en matière de pertinence, d'efficience et de qualité concernant les prises en charge et les prescriptions. Nous avons beaucoup insisté ce matin sur la régulation, tant macro que micro, des produits de santé et des médicaments. Cependant, les pouvoirs publics - tant le ministère de la santé que l'assurance maladie - réalisent un travail considérable pour améliorer les prescriptions et responsabiliser l'ensemble des acteurs du système de santé : les médecins, mais également les autres professionnels appelés à prescrire, ainsi que les pharmaciens et les patients.
Vous avez évoqué la question des pansements à la suite des déclarations du directeur général de l'assurance maladie. Nous avons mis en place une dispensation des pansements à la sortie d'hospitalisation, qui se fait initialement pour un certain nombre de jours. Le patient peut revenir ultérieurement pour obtenir l'intégralité du traitement si nécessaire. Cette mesure devrait être rapidement étendue aux antalgiques dits de palier 1, leur prescription étendue n'étant pas toujours justifiée.
Ainsi, je tiens à souligner notre engagement actif en matière de bon usage, de pertinence et de qualité. Bien que cet effort soit moins médiatisé, nous portons chaque année des propositions dans le cadre de la LFSS. L'assurance maladie a toujours une multitude d'idées dans le cadre de son rapport sur les charges et produits, et nous travaillons en coordination avec les laboratoires pharmaceutiques sur ces sujets.
Ensuite, les enjeux de souveraineté et de relocalisation sont primordiaux, tant pour les produits innovants que pour les produits matures. À cet égard, nous jouissons aujourd'hui de 200 millions d'euros de crédits Csis, financés par l'assurance maladie, qui permettent de répondre aux demandes des entreprises souhaitant investir sur le territoire français. Ces crédits peuvent être mobilisés pour des projets réalisés ex-post, mais également pour des initiatives ex-ante.
Ces aides sont gérées par la direction générale des entreprises, sur la base d'un examen rigoureux des différents projets. En parallèle, nous disposons aussi de leviers dans le cadre des mécanismes de tarification qui, lors des négociations au sein du CEPS, nous permettent de mobiliser des hausses de prix pour favoriser la relocalisation ou empêcher le départ de certains produits. Ces outils relèvent des compétences de l'assurance maladie, en plus des différents leviers à la disposition de l'État, qui bénéficient également au secteur des entreprises pharmaceutiques.
Les pouvoirs publics sont confrontés à des laboratoires pharmaceutiques d'une grande diversité. D'un côté, de grandes entreprises mondialisées ont des comptes à rendre à leurs maisons-mères situées ailleurs. Elles éprouvent parfois des difficultés à appréhender notre fonctionnement quotidien et le cadre annuel des PLFSS, ce qui n'est pas toujours évident. De l'autre, de petites entreprises implantées sur le territoire français adoptent des stratégies industrielles variées.
Des laboratoires choisissent parfois d'abandonner certaines de leurs activités en raison d'une rentabilité insuffisante. Toutefois, je ne dirais pas que ces activités ne sont plus rentables. En ce qui concerne les médicaments matures et immatures qui peuvent être en situation de tension ou de pénurie, les laboratoires ont la possibilité de pratiquer des remises commerciales auprès des pharmaciens. Cela fait partie de leur stratégie commerciale propre.
Il convient de nuancer ces situations, car elles varient considérablement d'un laboratoire à l'autre et dépendent des politiques et des choix industriels de chacun. C'est ici que le levier du prix devient prégnant. Il est souvent avancé que les prix des médicaments sont trop bas, qu'il n'y a plus de marge de manoeuvre et qu'il n'est plus possible de dégager une rentabilité sur des produits matures, installés depuis longtemps sur le marché. Nous avons peut-être atteint des prix trop bas pour certains, mais pas pour la totalité des produits.
L'évaluation que nous faisons du levier prix et de sa valeur, notamment dans les comparaisons avec les autres pays européens, demeure une question complexe. Les comparaisons sont souvent établies sur la base des prix faciaux, sans prendre en considération les remises et les mécanismes commerciaux qui peuvent être appliqués dans d'autres pays européens. De ce fait, il est essentiel d'explorer davantage ces questions pour améliorer l'accès à ces informations concernant les autres pays, surtout lorsque l'on occupe un rôle de régulateur dans le domaine de la politique du médicament.
Mme Juliette Moisset. - En ce qui concerne les questions spécifiques relatives à la recherche dans certaines aires thérapeutiques, je ne suis malheureusement pas la mieux placée pour vous répondre. Je pourrai néanmoins vous orienter vers les entreprises concernées ou vers notre directeur de l'innovation, qui sera probablement en mesure de vous fournir des informations beaucoup plus détaillées.
Je n'ai pas la possibilité de commenter les décisions individuelles des entreprises sur les exemples que vous avez fournis, mais je confirme qu'il existe une tendance évidente à la spécialisation des laboratoires. Nous constatons une spécialisation croissante dans les activités liées aux médicaments innovants ou à d'autres types de produits, une tendance qui se renforce depuis plusieurs années à travers un large éventail d'exemples.
Pour revenir à la question des prix, je comprends l'insatisfaction qui découle du fait que ces discussions se déroulent entre le CEPS et les entreprises. Cependant, le cadre de ces négociations est établi par la loi. Plusieurs documents publics expliquent les mécanismes de fixation des prix. En particulier, l'accord-cadre en cours de renégociation entre le CEPS et le Leem a pour but de clarifier le cadre de discussion des entreprises avec le Comité.
Ces documents offrent également aux citoyens l'occasion de mieux comprendre comment les prix des médicaments sont fixés. Actuellement, ils sont principalement déterminés en fonction de la valeur thérapeutique des médicaments et de l'évaluation de cette valeur par la Haute Autorité de santé (HAS). Les coûts de production ne sont pas pris en compte dans cette évaluation tarifaire. D'après mes lectures des derniers rapports de l'OMS, il n'a d'ailleurs pas été recommandé de procéder autrement.
L'éventualité d'une régulation axée sur la pertinence et l'efficience fait écho à mon appel à une approche plus intégrée de la dépense de médicaments, qui élargisse notre perspective. Nous sommes trop souvent enclins à examiner les enveloppes budgétaires de manière isolée : nous analysons la dépense liée aux médicaments, aux consultations, ainsi qu'aux hospitalisations. J'appelle à une vision économique plus globale des flux financiers entre ces différentes catégories de dépenses.
Il est essentiel d'étudier la manière dont une innovation médicamenteuse peut influencer le reste du système de soins, notamment en modifiant les parcours des patients. Il convient de s'interroger sur les adaptations nécessaires dans ces parcours pour capter les gains d'efficience ou de productivité, et sur les coûts supplémentaires qui pourraient y être associés.
Concernant l'idée d'un pôle public du médicament, je souhaite poser la question des objectifs. Nous sommes engagés dans une démarche de co-construction et de dialogue avec le secteur privé et la puissance publique. Il est essentiel d'encourager ce dialogue et cette co-construction pour atteindre les objectifs d'une politique publique axée sur le médicament. Nous restons ouverts à toutes discussions visant à cet effet.
Enfin, un grand nombre d'étapes interviennent dans la production du médicament, ce qui explique la complexité à déterminer avec précision où un médicament est produit. Nous possédons certaines informations qui peuvent être mobilisées et communiquées à ce sujet. Nous travaillons également sur la signification de la production, notamment dans le cadre des discussions autour de l'accord-cadre avec le CEPS. Ces questions méritent d'être clarifiées pour enrichir le débat public.
Je tiens également à souligner que le développement d'un médicament est un processus long et risqué, souvent jalonné d'échecs, avec des études cliniques qui peuvent s'étendre sur de nombreuses années.
Certaines entreprises, notamment dans le secteur des biotechnologies, ont parfois besoin d'un partenaire plus important pour mener à bien les phases finales du développement et de la commercialisation. Ces étapes, elles aussi, comportent des risques considérables et des coûts élevés, pouvant entraîner des difficultés à chaque étape du processus. Celui-ci est complexe et coûteux. Le modèle économique associé à la commercialisation de ces innovations reflète l'ensemble des défis et risques auxquels les acteurs sont confrontés tout au long de ce chemin.
Le crédit d'impôt recherche contribue à la compétitivité de notre pays dans le domaine de la recherche. Il ne s'agit pas d'un cadeau octroyé aux entreprises. C'est plutôt une réduction des recettes fiscales pour l'État, qui se justifie par les efforts d'investissements réalisés par ces entreprises. En réalité, ce dispositif constitue une aide précieuse, car il permet de réduire le coût d'un chercheur en France par rapport à d'autres pays. Nous craignons aujourd'hui de voir ce crédit d'impôt menacé. Ce mécanisme prend acte d'une dépense effectivement engagée par les entreprises.
Enfin, nous entendons l'appel à un effort relatif aux médicaments dans le cadre de l'Ondam. Nous sommes également force de proposition dans ce sens. Le médicament n'est pas étranger à cette responsabilité et à cette participation à l'effort collectif. Je vous rappelle que, durant la décennie de 2010 à 2022, nous avons connu une stagnation de la dépense malgré les nombreuses vagues d'innovation qui se sont produites au cours de cette période.
M. Philippe Mouiller, président. - Merci pour ces réponses à ces nombreuses questions. Ce sujet restera d'actualité, après même les discussions sur le PLFSS.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 12 h 25.