Mardi 1er juillet 2025
- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -
La réunion est ouverte à 9 h 05.
Proposition de loi, rejetée par l'Assemblée nationale, portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l'énergie - Examen, en deuxième lecture, du rapport et du texte de la commission
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous examinons ce matin, en deuxième lecture, le rapport de nos collègues Alain Cadec et Patrick Chauvet sur la proposition de loi (PPL), rejetée par l'Assemblée nationale, portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l'énergie - dite « Gremillet ». Ce texte sera examiné en séance publique les 8 et 9 juillet prochains.
M. Alain Cadec, rapporteur. - Sur cette proposition de loi, je suis chargé du volet sur la programmation énergétique, et mon collègue Patrick Chauvet du volet sur la simplification des normes et la protection des consommateurs.
Lors du vote solennel, le mardi 24 juin dernier, la PPL, dans une version largement dénaturée, a été rejetée par l'Assemblée nationale. Si nous regrettons que les députés ne soient pas parvenus à l'adoption d'un texte, il faut dire que le contenu initial avait été profondément remanié. Qu'on en juge : 600 amendements avaient été examinés en commission et 800 en séance publique...
Ce texte a suscité des débats, toujours légitimes, parfois vifs, aux différents stades de son examen à l'Assemblée nationale. En particulier, l'ajout par amendement, à l'article 5 bis, d'un moratoire sur les projets éoliens et solaires, a suscité l'émoi. Si ce sujet a crispé les débats, rappelons qu'il ne figurait en rien dans la version d'origine.
Le choix du rejet, qui s'est alors imposé, nous oblige à reprendre notre propre texte voté en octobre dernier, sans les modifications ou les ajouts introduits au cours des discussions à l'Assemblée nationale. Cela empêche le fonctionnement normal de la navette et d'une deuxième lecture où il aurait été possible de « faire le tri » dans les dispositions votées par les députés, en adoptant définitivement certains articles initiaux ou en supprimant certains articles additionnels par exemple.
Cette situation est vraiment regrettable, mais nous vous proposons de faire le choix de remettre la proposition de loi sur de bons rails, afin que le Gouvernement l'inscrive en deuxième lecture à l'Assemblée nationale. La loi pourra ainsi être adoptée avant la publication du décret sur la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), comme l'a redemandé récemment le président du Sénat. Je constate que nous sommes écoutés, car le cabinet du Premier ministre a confirmé, pas plus tard que vendredi dernier, l'inscription de ce texte en deuxième lecture à l'ordre du jour des travaux de l'Assemblée nationale dès septembre prochain. Sachons saisir cette fenêtre de tir, en nous plaçant à la hauteur des enjeux !
J'en viens à l'analyse des dispositions du texte de l'Assemblée nationale, adopté en séance publique puis rejeté lors du vote solennel.
En premier lieu, l'Assemblée nationale avait resserré la proposition de loi.
Au total, vingt-six articles initiaux avaient été supprimés, de manière à recentrer le texte sur son volet programmatique. Avaient ainsi été retirés du texte le volet sur la simplification des normes, celui sur la protection des consommateurs, de même que les demandes de rapports d'information.
Si ce recentrage peut s'entendre, nous constatons que l'Assemblée nationale avait même supprimé trois articles, pourtant de nature programmatique, sur l'actualisation de la loi quinquennale sur l'énergie - article 12 -, l'actualisation de la PPE - article 13 - et la présentation de la stratégie française sur l'énergie et le climat (Sfec) - article 13 bis.
En second lieu, l'Assemblée nationale avait modifié ou complété la proposition de loi.
En définitive, neuf articles avaient été modifiés et vingt autres avaient été ajoutés.
S'agissant du volet sur la programmation, des amendements, nombreux et substantiels, avaient été adoptés.
À l'article 1er, parmi les grands objectifs du système électrique et gazier, plusieurs dispositions contraires au droit de l'Union européenne (UE) avaient été insérées sur le rétablissement des tarifs réglementés de vente de gaz (TRVG), l'extension des tarifs réglementés de vente de l'électricité (TRVE), la transformation du groupe EDF en établissement public industriel et commercial (Épic) ou encore la sortie du marché européen de l'électricité pour la constitution des prix des énergies.
Aux articles 1er A à 1er bis A, l'Assemblée nationale avait adopté un foisonnement de nouveaux objectifs, tels que celui de souveraineté énergétique nationale, peu opérationnel, celui de mix électrique nucléaire, redondant, ou encore celui de transparence des approvisionnements, impraticable. De plus, elle avait ajouté deux objectifs, sur les moyens en faveur de la rénovation énergétique et de la mobilité propre, qui relèvent davantage d'une loi de finances que d'une loi de programmation.
Aux articles 1er bis et 2, l'Assemblée nationale était revenue sur l'accès à l'énergie des ménages ruraux et l'abrogation de la trajectoire de hausse de la composante carbone dans les accises sur l'énergie, deux dispositions initiales de la proposition de loi, ce que nous regrettons.
À l'article 3, sur l'énergie nucléaire, l'Assemblée nationale avait maintenu les objectifs proposés en matière de construction, mais non de mix. Elle avait réécrit ceux qui sont afférents au maintien des installations nucléaires, à l'effort de recherche et d'innovation, au cycle du combustible usé, aux réacteurs de quatrième génération et au recours aux matières recyclées. Elle avait ajouté un objectif, utile, relatif à l'information et à la transparence sur les coûts du système de production électrique. Au total, la rédaction de l'article 3, qui avait fait l'objet d'échanges en amont entre le Sénat, l'Assemblée nationale et le Gouvernement, reste très satisfaisante et peut être soutenue. C'est la première fois qu'une relance du nucléaire d'une telle ampleur est proposée de manière législative.
Aux articles 3 bis à 3 sexies, l'Assemblée nationale avait inséré plusieurs objectifs inadaptés en matière d'énergie nucléaire, sur la réouverture de la centrale de Fessenheim de même que sur la maximisation des capacités installées, du facteur de charge et de la puissance de fonctionnement des réacteurs nucléaires. Ces décisions relèvent de la responsabilité de l'exploitant, de l'Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR) et du ministre chargé de l'énergie, non du législateur.
À l'article 4, sur les différentes flexibilités, l'Assemblée nationale avait abaissé l'ambition pour l'hydrogène à 4,5 gigawatts (GW) d'ici à 2030 et supprimé une dérogation européenne favorable à l'hydrogène nucléaire. De plus, elle avait inséré une multitude d'objectifs, à l'instar de la décarbonation totale de l'hydrogène, inatteignable, la structuration des réseaux d'électricité en forme d'arborescence, inintelligible, la priorité stratégique donnée à l'énergie nucléaire, redondante, ou encore la définition d'une stratégie nationale de la biomasse, satisfaits. Elle avait aussi inséré un objectif, adéquat, sur les effacements, de 6,5 GW d'ici à 2030.
À l'article 4 bis, l'Assemblée nationale avait adopté différents objectifs, admissibles, en faveur des énergies renouvelables, sur l'accélération de l'électrification des usages, la recherche et l'innovation ou encore la valorisation de la biomasse solide.
À l'article 5, sur les énergies renouvelables, l'Assemblée nationale avait opté pour une rédaction plus concise, en conservant les chiffrages généraux de production, mais en écartant ceux qui concernent les capacités sectorielles. La rédaction de cet article était un peu en retrait par rapport aux dispositions initiales de la proposition de loi, dans la mesure où elle supprimait, d'une part, les objectifs chiffrés concernant l'hydroélectricité, le solaire ou les biocarburants, proposés initialement, et, d'autre part, les objectifs non chiffrés relatifs à l'hydroélectricité, l'éolien en mer, l'agrivoltaïsme ainsi qu'à la chaleur et au froid renouvelables, issus de précédentes lois. Pour autant, cette rédaction, qui avait aussi fait l'objet d'échanges en amont avec le Sénat, demeure tout à fait acceptable et peut être retenue. C'est également la première fois qu'un essor des énergies renouvelables d'une telle ampleur est proposé de manière législative.
À l'article 5 bis, l'Assemblée nationale avait adopté un moratoire, inopportun, sur l'instruction, l'autorisation et la mise en service des projets de production d'énergie éolienne et solaire, à compter de la promulgation de la loi, le temps nécessaire à l'élaboration d'une étude sur le mix énergétique optimal. Cela a conduit au rejet du texte.
À l'article 7, l'Assemblée nationale était revenue sur la promotion des biocarburants conventionnels et avancés, et nous le déplorons.
À l'article 8, sur la réduction de la consommation d'énergie totale et fossile, l'Assemblée nationale avait supprimé le principe de l'interdiction des autorisations des centrales à charbon à compter du 1er janvier 2027, sous réserve de la mise en oeuvre d'un projet de conversion vers des combustibles bas-carbone.
À l'article 8 bis, l'Assemblée nationale avait ajouté l'obligation pour certains exploitants de centrales à charbon d'engager un plan de conversion vers l'électricité renouvelable, l'hydrogène ou encore le stockage et la réinjection d'électricité. Cette mesure est en contradiction avec la récente loi du 14 avril 2025 visant à convertir des centrales à charbon vers des combustibles moins émetteurs en dioxyde de carbone pour permettre une transition écologique plus juste socialement, dite « Centrales à charbon ».
À l'article 9, sur la rénovation et l'efficacité énergétiques, l'Assemblée nationale avait abaissé l'objectif de rénovations énergétiques à 330 000 logements par an et supprimé celui d'économies d'énergie via les certificats d'économies d'énergie (C2E).
À l'article 9 bis, l'Assemblée nationale avait ajouté la modification des conditions de circulation dans les zones à faibles émissions (ZFE). Ce n'est pas l'objet d'une loi de programmation sur l'énergie.
Aux articles 10 et 11, sur la décarbonation du territoire national et des outre-mer, l'Assemblée nationale avait préféré l'expression « tendre vers » les objectifs fixés. Cette rédaction reste intéressante.
Enfin, aux articles 11 bis A à 11 ter, l'Assemblée nationale avait ajouté plusieurs objectifs ambivalents en matière de décarbonation : si la réduction de l'empreinte carbone de la France et la reconnaissance des forêts comme puits de carbone étaient positives, la modification de la définition de la neutralité carbone demeure incompatible avec l'accord de Paris de 2015.
Voici pour le volet « programmation » adopté par l'Assemblée nationale en séance publique.
M. Patrick Chauvet, rapporteur. - Comme l'a indiqué mon collègue Alain Cadec, avant de rejeter la proposition de loi, l'Assemblée nationale avait supprimé l'essentiel du volet sur la simplification des normes et la protection des consommateurs. Nous déplorons bien sûr cette suppression.
En effet, les dispositions liées à la simplification des normes avaient été proposées par les acteurs économiques, lors des travaux d'application des lois de notre commission. En 2023 et 2024, le rapporteur Daniel Gremillet, pour le projet de loi relatif à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes, dit « Nouveau nucléaire », et moi-même, pour le projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables, dit « Aper », avions identifié des dispositions à ajuster ou à compléter dans ce cadre. Les filières du nucléaire, des renouvelables et de l'hydrogène avaient plébiscité les mesures de simplification qui les concernent. La Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) avait soutenu les mesures de simplification prévues pour les collectivités territoriales.
De plus, les dispositions liées à la protection des consommateurs avaient été suggérées par la Commission de régulation de l'énergie (CRE) et le Médiateur national de l'énergie (MNE). Elles restent d'ailleurs nécessaires pour intégrer en droit national le nouveau cadre européen : les nouvelles directives sur le marché de l'électricité ainsi que sur le marché du gaz, du gaz renouvelable et de l'hydrogène.
Toutefois, les suppressions d'articles ainsi opérées par l'Assemblée nationale avaient connu trois séries d'exceptions.
La première exception concernait les déchets nucléaires. D'une part, l'article 16 bis, simplifiant la possibilité de requalifier des déchets nucléaires en matières nucléaires, afin de constituer des stocks stratégiques, avait été adopté conforme. Cette disposition avait été introduite par notre collègue Stéphane Piednoir. D'autre part, à l'article 16 ter, le Gouvernement avait fait adopter une disposition modifiant les modalités de gestion des déchets radioactifs et des combustibles usés, tant par leurs producteurs et détenteurs que par l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra). Il s'agit là d'une disposition utile du point de vue de la sûreté nucléaire.
La deuxième exception portait sur les concessions hydroélectriques. À l'article 21 bis, l'Assemblée nationale avait fait adopter l'objectif de révision de la directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur l'attribution de contrats de concession, afin de remédier au contentieux européen sur les concessions hydroélectriques. Toutefois, ce type de disposition relève non pas d'une loi de programmation, mais plutôt d'une résolution européenne.
La troisième exception concernait enfin les rapports d'information. Aux articles 25 E à 25 G, l'Assemblée nationale avait fait adopter trois rapports portant respectivement sur les coûts de la transition énergétique dans les outre-mer, sur la mise en oeuvre de la loi de programmation énergétique et de la PPE, et enfin sur les relations entre le groupe EDF et ses concurrents, notamment dans le cadre du dispositif de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh). La deuxième demande de rapport d'information avait été ajoutée sur l'initiative du rapporteur Antoine Armand.
Voici pour le volet « simplification » adopté par l'Assemblée nationale en séance publique.
J'en viens maintenant à nos propositions d'amendement.
Avec mes collègues Alain Cadec et Daniel Gremillet, nous regrettons bien sûr que l'Assemblée nationale ne soit pas parvenue à adopter de texte à l'occasion du vote solennel. Pour autant, ce n'est pas la fin de l'examen de la proposition de loi, bien au contraire, comme en témoigne la perspective de son inscription en deuxième lecture dès septembre prochain à l'ordre du jour des travaux de l'Assemblée nationale.
Nous constatons que le texte adopté en séance publique par l'Assemblée nationale était ambivalent : il apportait des modifications souvent intéressantes aux articles initiaux de la proposition de loi ; en revanche, il intégrait aussi une multitude d'ajouts inopportuns, sur le plan tant juridique qu'économique.
Ainsi, nous estimons pertinente la réécriture par l'Assemblée nationale de l'article 3, fixant les nouveaux objectifs en matière d'énergie nucléaire. En effet, cette rédaction permettait de faire prospérer l'objectif sénatorial de 27 GW de nouveau nucléaire d'ici à 2050 et d'engagement de la construction de 10 GW - soit 6 EPR2 - d'ici à 2026 et de 13 GW - soit 8 EPR2 - d'ici à 2030.
De plus, nous considérons opportune la réécriture par l'Assemblée nationale de l'article 5, qui fixe les nouveaux objectifs en matière d'énergies renouvelables. En particulier, les objectifs définis par le Sénat ont été maintenus : au moins 560 térawattheures (TWh) d'électricité décarbonée, dont 200 TWh de sources renouvelables, 297 TWh de chaleur renouvelable et 44 TWh de biogaz injecté d'ici à 2030.
En revanche, nous regrettons que l'Assemblée nationale ait amoindri l'ambition portée par le Sénat sur trois points. Tout d'abord, l'Assemblée nationale avait réduit à 4,5 GW d'ici à 2030 l'objectif en matière d'hydrogène, prévu à l'article 4. Ensuite, elle avait abaissé à 330 000 logements par an l'objectif en matière de rénovation énergétique, mentionné à l'article 9. Enfin, elle avait supprimé tout objectif d'efficacité énergétique, initialement fixé entre 1 250 et 2 500 TWh via les C2E, au même article.
De plus, nous déplorons la volonté d'ajouter, par l'Assemblée nationale, une multitude d'objectifs énergétiques inapplicables, que notre collègue Alain Cadec a déjà présentés.
En définitive, parce qu'il est urgent de légiférer pour actualiser enfin notre programmation énergétique nationale, nous proposons de remettre la proposition de loi sur les rails en vue de son adoption.
D'une part, nous prenons acte du recentrage du texte sur son volet programmatique, car nous souhaitons faciliter son examen en deuxième lecture à l'Assemblée nationale. C'est pourquoi nous proposerons de supprimer une partie du titre II, consacré à la simplification des normes. Douze amendements seront ainsi présentés en ce sens. Bien entendu, nous veillerons à ce que les articles ainsi supprimés prospèrent dans d'autres véhicules législatifs, car nous les croyons toujours justifiés.
Néanmoins, la commission maintiendra les articles 14 à 16 bis, portant sur les projets d'énergie nucléaire, ainsi que les articles 23 à 24, portant sur la protection des consommateurs. Un amendement sera même proposé, à la demande de la CRE, pour actualiser l'article 24, s'agissant de la mise en oeuvre du prix repère de vente de gaz naturel, de l'encadrement des offres d'électricité dont le prix n'est pas connu à l'avance ou encore des sanctions des fournisseurs d'électricité en l'absence de respect des nouvelles règles prudentielles.
D'autre part, nous pouvons reprendre plusieurs apports utiles issus des travaux de l'Assemblée nationale. Tout d'abord, nous estimons appropriée la rédaction des objectifs de production pour l'énergie nucléaire et les énergies renouvelables, adoptée en séance publique aux articles 3 et 5, qui maintiennent l'ambition sénatoriale initiale. Deux amendements seront proposés en ce sens.
Il en est de même des objectifs de stabilité des prix ainsi que de flexibilité et d'effacement, adoptés en séance publique aux articles 1er et 4, qui suppriment des redondances. Deux amendements seront présentés sur ces points.
Nous retenons aussi les objectifs de rénovation et d'efficacité énergétiques et de sortie des centrales à charbon, proposés en commission aux articles 8 et 9, qui apportent de la souplesse. Deux amendements seront présentés à ce sujet.
Enfin, nous jugeons utile l'objectif de décarbonation dans les outre-mer, adopté en commission et en séance publique à l'article 10, qui permet une adaptation à la réalité de ces territoires. Un amendement y sera dédié.
Dernier point, nous ne reprenons évidemment pas nombre de propositions problématiques débattues à l'Assemblée nationale.
Ainsi, en l'absence de procédure accélérée qui nous aurait conduits aujourd'hui en commission mixte paritaire (CMP), la position responsable de la commission doit permettre aux deux chambres de converger rapidement vers l'adoption d'une loi de programmation, attendue par tout un secteur.
Tel est le sens des 21 amendements que nous vous proposons.
M. Fabien Gay. - Je l'avoue, je suis un peu perdu...
Reprenons la chronologie. Pendant quatre ans, le Gouvernement nous amuse avec la PPE. Vous décidez alors, chers collègues de la majorité sénatoriale, de présenter un texte d'appel, porté notamment par notre collègue Daniel Gremillet. Mais entre la rédaction du texte et son examen au Sénat, le Président de la République dissout l'Assemblée nationale et vous entrez au Gouvernement. Ce faisant, l'exécutif annonce que la proposition de loi sénatoriale remplacera la PPE. Mais, à l'Assemblée nationale, vos amis contribuent à la torpiller, en laissant la main au Rassemblement national. Des dispositions hallucinantes sont votées - la réouverture de Fessenheim est techniquement impossible. Finalement, le texte est rejeté par les députés.
Voilà six mois, j'ai écrit à M. Bayrou pour lui dire que la PPE ne pouvait pas être prise par décret. Cette semaine, j'ai reçu en réponse un courrier du ministre Marc Ferracci, qui argue du débat organisé au Parlement - aucune vision stratégique n'y a été portée par le Premier ministre... -, du groupe de travail animé par le député Antoine Armand et notre collègue Daniel Gremillet - nous n'y avons pas été conviés... - et de la proposition de loi qui poursuit son chemin... Mais quel chemin ? On nous demande de rediscuter un texte sur lequel le Gouvernement et le rapporteur ont été mis en minorité à l'Assemblée nationale ! Dans ces conditions, comment faire pour atterrir ? Nous sommes pourtant un certain nombre dans cet hémicycle à vouloir porter la question énergétique.
Pour ma part, je pense que la relance du nucléaire est absolument nécessaire, mais je suis contre l'idée d'un moratoire sur les énergies renouvelables, car nous avons besoin des deux formes d'énergie.
On nous disait que la PPE allait être prise par décret au cours de l'été. J'apprends aujourd'hui qu'elle ne le sera qu'après une énième lecture de cette proposition de loi à l'Assemblée nationale. Je veux bien travailler, y compris pour perdre à la fin - c'est le jeu démocratique -, mais je voudrais au moins que notre travail soit utile. Or il est problématique que, sur un sujet aussi complexe, qui engage le pays pour les dix ou quinze prochaines années, un gouvernement, quel qu'il soit, n'ait rien à dire et laisse la main à une proposition de loi. Faire de la politique, ce n'est pas attendre et essayer d'éviter la censure, c'est assumer des positions devant l'Assemblée nationale et le Sénat !
Je n'ai pas déposé d'amendements aujourd'hui. Je participerai à la discussion générale du texte, mais, après, honnêtement, je vous laisserai peut-être finir le travail, mes chers collègues !
M. Yannick Jadot. - Je partage les arguments de notre collègue Fabien Gay. À ce stade du parcours législatif, on se demande quel peut être notre rôle. Nous voilà en train de réétudier notre texte initial, en essayant d'intégrer des dispositions qui auraient pu être votées par les députés s'ils n'avaient pas, au final, rejeté l'ensemble de la proposition de loi... C'est tout de même hallucinant !
On doit de surcroît composer avec un gouvernement qui change d'avis. La semaine dernière, lors des questions d'actualité au Gouvernement (QAG), le ministre Marc Ferracci a indiqué que les décrets ne seraient rédigés qu'à la toute fin du processus. Pourtant, lors du débat organisé sur le fondement de l'article 50-1 de la Constitution, il avait affirmé que les décrets seraient pris avant la mi-juillet, en raison de la forte attente des acteurs économiques.
On est certes dans une situation politique très particulière, où l'on a parfois l'impression de voter des résolutions plus que des lois. Dans un conseil municipal, cela s'appelle un voeu. Au moins, c'est plus clair ! Il s'agit pourtant d'un sujet sérieux, qui ne nous engage pas sur dix ou quinze ans, mais sur le reste du siècle. Or nous en débattons dans le flou le plus complet.
La proposition de loi de notre collègue Daniel Gremillet reste dépourvue d'étude d'impact. On programme des infrastructures sur cinquante, soixante ou soixante-dix sans savoir si l'on boucle notre système énergétique entre 2030 et 2035. Les nouveaux réacteurs pressurisés européens (EPR) viendront après cette échéance, et l'on ne sait pas exactement quelle sera l'évolution de notre demande d'électricité d'ici là.
Vous savez ce que nous pensons de votre programme de relance nucléaire. Quant aux énergies renouvelables, même en reprenant le travail de l'Assemblée nationale et en intégrant une sorte de volume global de production, aucun acteur du marché ne pourra se satisfaire d'un tel degré d'incertitude. Que vont-ils faire sur le solaire, l'éolien, les autres formes d'énergie ? En outre, il ne s'agit pas de l'objectif le plus ambitieux jamais adopté, car nous restons en deçà des objectifs européens.
M. Franck Montaugé. - Je partage également les constats effectués par notre collègue Fabien Gay.
Si l'on cherche, non pas à excuser, mais à comprendre, je crois que les gouvernements successifs ont de grandes difficultés avec la notion de programmation sur un sujet qui comporte autant de risques et d'incertitudes à tous les étages. C'est typiquement le cas du nucléaire existant, avec des questions comme la corrosion sous contrainte, le grand carénage, et plus encore du nouveau nucléaire, pour lequel on a finalement peu de réponses aux questions fondamentales qui se posent - calendrier de réalisation, coûts de production... Il faut, a minima, que le Parlement débatte de ces questions, même s'il n'aura pas plus d'éléments concrets que le Gouvernement. Nous sommes tous dans ce cadre surréaliste, et il faut faire avec.
Nous disposons quand même de quelques éléments intéressants, en particulier l'étude de Réseau de transport d'électricité (RTE) sur Les futurs énergétiques 2050. Sur cette base, en l'état des connaissances, au regard des coûts et des enjeux industriels, mon groupe considère que le mix énergétique optimum comporte 50 % d'énergie nucléaire et 50 % d'énergie renouvelable. La majorité sénatoriale souhaite dépasser les 50 % de nucléaire. Mais est-ce possible, tout simplement ? Je me pose la question.
M. Vincent Louault. - On vit un moment historique. Pour moi, la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) manque d'ambition. On parle d'une programmation sur cinq ans, alors que l'enjeu se situe à soixante ans et que l'on met déjà cinq ans à réviser un décret. J'ai peur que l'on finisse par enchaîner en permanence les révisions, avec des scénarios qui partent dans tous les sens et nous contraignent à l'immobilisme.
J'ai beaucoup de respect pour le travail effectué par notre collègue Daniel Gremillet. À l'époque, j'arrivais au Sénat et j'avais voté cette proposition de loi d'appel, sachant que 95 % de nos propositions servent surtout à caler les armoires.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous avons tout de même voté une belle proposition de loi hier en CMP !
M. Vincent Louault. - J'ai ensuite été nommé par le président du Sénat Gérard Larcher au Comité de surveillance des investissements d'avenir (CSIA), où j'ai rédigé un rapport sur la production d'énergie décarbonée. À cette occasion, j'ai interrogé 150 personnes, ce qui m'a permis d'appréhender ce sujet très compliqué, sur lequel il est facile de se perdre et de penser que tout le monde a raison.
Après les errements de nos collègues députés, je propose que le Sénat reprenne la main sur une programmation à soixante ans, qui refuserait clairement de trier les énergies en fonction des technologies.
M. Franck Montaugé. - On ne peut pas aller aussi loin...
M. Vincent Louault. - La loi pourra être modifiée dans l'intervalle, bien entendu, mais il faut que les industriels disposent d'une trajectoire, car ils n'en peuvent plus. Depuis quand fait-on une programmation industrielle à cinq ans, alors qu'il faut parfois jusqu'à dix ans pour lever toutes les contraintes administratives à la construction d'un grand parc éolien ?
Pour l'instant, mon rapport est encore sous embargo, sans doute parce que j'ai osé écrire ce que je vous dis aujourd'hui : il faut revoir la trajectoire sur l'hydrogène, car les électrolyseurs ne sont pas prêts.
En réalité, l'État est complètement perdu. Il n'a pas compris que la Constitution avait été écrite pour le général de Gaulle, avec des facultés de programmation non écrites élaborées directement par le Premier ministre, et non par la loi. La programmation par la loi n'a été introduite qu'avec la loi de programmation pour l'énergie et le climat (LPEC).
Finalement, le ministre nous a confirmé qu'il ne prendrait pas de décret avant la fin du parcours parlementaire de la proposition de loi de notre collègue Daniel Gremillet. Heureusement que notre collègue a élaboré cet outil législatif ! Comme la proposition de loi dite « Duplomb », qui devrait apporter un peu de baume au coeur des paysans, la proposition de loi dite « Gremillet », avec une trajectoire à soixante ans, devrait rassurer les énergéticiens de tous bords, qu'ils soient impliqués dans le nucléaire, le photovoltaïque ou l'éolien.
Si l'on respecte ce qui est inscrit actuellement dans la PPE, on va passer à 75 GW issus de l'éolien, contre 63 gigawatts issus du nucléaire. Automatiquement, le taux de charge de nos centrales nucléaires, qui est aujourd'hui remonté à 74 %, redescendrait autour de 55 %. Le président-directeur général d'EDF Bernard Fontana a fait le choix de changer toutes les ailettes des turbines Arabelle, pour plusieurs milliards d'euros. Si c'est, au final, pour faire tourner les machines seulement 50 % du temps, ne vous étonnez pas que le prix de l'électricité augmente ! Vous voulez faire cohabiter deux systèmes électriques qui ne sont pas compatibles. Contrairement à l'Allemagne, nous ne pouvons pas nous permettre de faire de l'éolien et du photovoltaïque à outrance. Ils peuvent ajuster avec le charbon et le gaz. De notre côté, nous avons le nucléaire, qui est déjà une énergie décarbonée.
Je sais que les rapporteurs ne souhaitent pas se projeter à soixante ans. Mais enfin, réveillons-nous ! Bâtissons une programmation forte qui inspire confiance !
M. Daniel Gremillet, auteur de la proposition de loi. - N'oublions pas que la commission des affaires économiques travaille de longue date sur les questions énergétiques, et que ce travail collectif - la référence à la « PPL Gremillet » m'agace - n'est absolument pas un « coup » : dans le cas contraire, nous aurions élaboré un texte centré exclusivement sur le nucléaire.
Nous avons sans cesse réclamé de la visibilité en matière d'énergie, et force est de constater que, depuis le général de Gaulle, Pierre Messmer et Valéry Giscard d'Estaing, aucun choix politique n'a été effectué - par manque de courage - à l'exception de la fermeture de la centrale de Fessenheim, alors que l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) n'avait rien demandé. Cette décision a eu pour conséquence de renchérir les coûts, et renvoie à la décision - politique elle aussi - de fermer quatorze réacteurs nucléaires. S'y ajoute le dossier de l'hydroélectricité, qui reste embourbé et qui nous coûte fort cher, ce qui montre bien la nécessité de bousculer les choses et d'avancer.
Signé par de nombreux sénateurs, le texte a permis d'ouvrir un débat indispensable alors que nous sommes, faute de vision énergétique, en panne à la fois sur l'électrification des usages et sur la réindustrialisation de la France : nous avons absolument besoin de fixer une trajectoire.
Par ailleurs, nous avons eu la chance d'avoir un débat apaisé et sérieux sur ces questions énergétiques, en commission comme en séance. Nous avons pu constater, à l'inverse, que le débat entre les groupes de l'Assemblée nationale était d'une bien moindre qualité. Il n'y avait donc aucune justification à rééditer, dans le cadre du groupe de travail mentionné par notre collègue Fabien Gay, un débat qui avait déjà été entériné par un vote du Sénat, et je rappelle que nous souhaitons tous - à l'instar du président du Sénat qui s'est adressé au Premier ministre en ce sens - que les débats parlementaires aillent à leur terme avant que le décret ne soit publié.
Le texte que nous vous présentons a néanmoins pour ambition de tenir compte des débats au sein de l'autre chambre, alors que nous aurions pu nous borner à reprendre le texte adopté initialement par le Sénat : nous avons ainsi intégré des éléments au sein des articles 3 et 5, afin de nous doter d'une vision et d'une possibilité de relance des capacités énergétiques du pays.
Sur ce dernier point, s'agissant plus spécifiquement de l'énergie nucléaire, comment voulez-vous donner l'envie aux jeunes de s'orienter vers cette filière si des manifestants s'opposent bruyamment à cette énergie, et comment voulez-vous que les entreprises investissent lorsque la fermeture de quatorze réacteurs nucléaires est annoncée ?
Mme Antoinette Guhl. - Tout est de notre faute !
M. Yannick Jadot. - C'est trop facile !
M. Daniel Gremillet. - La vérité est sans doute difficile à entendre, mais elle n'en reste pas moins la vérité.
M. Fabien Gay. - Je n'ai aucunement l'intention de polémiquer, mais je pense que l'affaire est mal engagée depuis le début et qu'elle n'aboutira pas. La méthode s'articule en effet autour d'une proposition de loi, d'une PPE qui sera publiée par décret - désormais après l'été - et de groupes de travail qui servent de fait à pallier l'absence de débat parlementaire sur ces questions.
La présentation de notre collègue Daniel Gremillet n'est donc pas exacte dans la mesure où nous n'avons pas été associés : quel que soit le gouvernement, je considère qu'un débat sur la base de l'article 50-1 de la Constitution n'en est pas un, et qu'une proposition de loi sans étude d'impact est problématique. Enfin, l'annonce d'un groupe de travail transpartisan, à l'Assemblée nationale et au Sénat, ne vise qu'à calmer les élus.
Du point de vue des groupes minoritaires, le débat et la méthode sont donc loin d'être satisfaisants, ce dont nous pourrions tous convenir.
M. Franck Montaugé. - Nous ne pouvons pas faire fi de l'étude de Réseau de transport d'électricité (RTE), qui constitue une première ébauche d'étude d'impact. Plus largement, le véritable problème réside peut-être dans le fait que cette proposition de loi n'est pas accompagnée d'une programmation financière, alors que les investissements nécessaires - au-delà d'EDF - sont immenses. Nous n'avons eu aucune réponse sur ce sujet crucial.
M. Alain Cadec, rapporteur. - Notre collègue Fabien Gay semble obsédé par le groupe de travail, mais je tiens à le rassurer sur ce point : la première réunion a duré deux heures et n'a servi à rien, car personne à l'Assemblée nationale ne parvenait à s'entendre sur la méthode. Vous pouvez critiquer le fait de ne pas y avoir été représentés, mais je vous assure que vous n'avez rien perdu.
Si la situation peut paraître surréaliste, comme l'a justement souligné notre collègue Franck Montaugé, le Sénat n'en porte aucunement la responsabilité, car il a fait correctement son travail.
Enfin, cher collègue Vincent Louault, votre objectif de fixer une trajectoire à soixante ans paraît extrêmement ambitieux. J'estime que nous devons désormais avancer, car nous avons déjà perdu suffisamment de temps.
M. Patrick Chauvet, rapporteur. - Je rappelle que le Sénat doit assumer des responsabilités particulières et que nous devons faire preuve de pragmatisme, au-delà des opinions des uns et des autres sur l'énergie nucléaire et les énergies renouvelables. Le sujet qui nous réunit consiste bien à tracer le début du chemin, car nous sommes en panne de stratégie depuis plusieurs années, au grand dam des acteurs économiques. Vous imaginez fort bien l'effet produit sur les investisseurs, les entreprises et les salariés du secteur avec l'annonce d'un moratoire sur les énergies renouvelables : à l'inverse, si nous faisons l'effort de parvenir à un compromis, nous serons en mesure d'apporter de la sérénité et de la lisibilité pour les années à venir.
J'entends aussi les interrogations légitimes sur les prix, certains affirmant que l'énergie renouvelable est trop chère, d'autres qu'il est impossible d'évaluer les capacités réelles d'EDF à construire de nouveaux réacteurs : pour prendre l'exemple de mon département, des questions émergent déjà autour de l'EPR2 de Penly. Pour autant, il me paraît nécessaire de mettre ces questions précises de côté, une fois encore afin de tracer un chemin et d'éviter une absence de programmation, qui serait le pire des scénarios.
De la même manière, les chiffres sont difficiles à appréhender concernant l'équilibre entre consommation et production d'énergie, et ce pour une bonne raison : si nous ne réindustrialisons pas le pays, nous allons en effet accélérer sur la voie de la décarbonation ! Outre la question du prix, l'enjeu de l'offre disponible est essentiel pour les entreprises.
Ayant eu l'honneur d'être rapporteur sur plusieurs textes relatifs à l'énergie, je sais que les auditions sont enrichissantes et qu'elles nous permettent d'objectiver la situation, mais je souligne, cher collègue Vincent Louault, que les discours des mêmes personnes peuvent varier en fonction de leurs intérêts et de leurs stratégies de lobbying, d'où la nécessité de prendre du recul.
J'insiste, de manière générale, sur l'importance du réseau énergétique, dont dépend l'aménagement du territoire de demain. Sans réseau, les territoires les plus pauvres n'auront en effet aucune chance de se développer à l'avenir.
Enfin, concernant la réunion qui s'est tenue à l'Assemblée nationale, j'ai été choqué par le spectacle qui nous a été donné, puisqu'elle s'est résumée à la défense d'intérêts de boutiques partisans - chacun fixant ses « lignes rouges », nouvel élément de langage - sans aucune considération pour l'intérêt général. Je refuse que nous nous laissions entraîner dans cette voie, alors que le Sénat a la chance, dans un contexte politique très difficile, de pouvoir avancer avec une politique des petits pas.
M. Vincent Louault. - Je m'offusque que le Premier ministre se soit contenté de nommer deux personnes pour faire des propositions de rectifications de PPE au lieu d'apporter une véritable réponse en séance. Une fois le 1er septembre arrivé, le Premier ministre pourra fort bien se prévaloir de leur absence d'observations sur les décrets mettant en oeuvre la PPE.
Vous n'avez peut-être pas envie de l'entendre, cher collègue Daniel Gremillet, mais le ministre chargé de l'industrie et de l'énergie ne m'inspire aucune confiance !
M. Daniel Gremillet. - Un vote a pu intervenir au Sénat sur un travail qui remonte au mois d'octobre 2024.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je rappelle que les règles de recevabilité des amendements s'appliquent pour la deuxième lecture de cette proposition de loi. Ladite règle de l'entonnoir s'applique donc tant au stade de l'établissement du texte de la commission qu'à celui de l'examen en séance.
De plus, je rappelle que la deuxième lecture ne permet pas de discuter de sujets nouveaux, même s'ils ont un lien avec le texte. Après la première lecture, la discussion se recentre sur les seules dispositions qui restent en discussion ; les adjonctions ou les modifications apportées doivent ainsi être en relation directe avec ces dispositions.
Bien plus stricte, cette disposition ne connaît que trois exceptions, à savoir assurer le respect de la Constitution ; opérer une coordination avec les textes en cours d'examen ; et corriger une erreur matérielle. Les amendements portant articles additionnels qui ont été rejetés par le Sénat et par l'Assemblée nationale, quant à eux, ne peuvent pas être présentés à nouveau.
Tout autre amendement portant article additionnel doit comporter, dans l'exposé des motifs, la justification de sa relation directe avec une disposition restant en navette ou, à défaut, faire référence à l'une des trois exceptions que je viens d'énoncer. À défaut de cette justification, les amendements ne peuvent pas être recevables.
Ainsi, certaines dispositions recevables qui ont pu être adoptées par l'Assemblée nationale sans avoir pu être transmises au Sénat - compte tenu du rejet du texte - ne peuvent plus être présentées au stade de la deuxième lecture.
EXAMEN DES ARTICLES
Avant l'article 1er
L'amendement COM-25 rectifié est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
M. Alain Cadec, rapporteur. - L'amendement COM-86 a pour objet d'intégrer, parmi les grands principes du système électrique et gazier, un apport pertinent issu des travaux de l'Assemblée nationale adopté en commission, à savoir la recherche de prix stables et abordables, en gaz comme en électricité.
Par ailleurs, il fait suite à une demande d'ajustement technique formulée par la CRE, afin de prévoir que la mise en oeuvre du prix repère de vente de gaz naturel soit facultative, et non obligatoire.
M. Franck Montaugé. - Je comprends l'intention, mais la proposition ne me paraît guère réaliste dans le contexte du marché européen, qui porte une philosophie bien différente.
M. Alain Cadec, rapporteur. - Il s'agit d'une actualisation de la loi à la demande de la CRE.
L'amendement COM-86 est adopté. L'amendement COM-48 n'est pas adopté.
L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 1er bis
L'article 1er bis est adopté sans modification.
M. Alain Cadec, rapporteur. - Les amendements identiques de suppression COM-15 rectifié et COM-49 ne sont pas opportuns. Tout d'abord, ils seraient de nature à éroder l'ambition sous-tendue par le texte, qui vise à veiller à la soutenabilité fiscale, et donc à l'acceptabilité sociale de la transition énergétique, pour favoriser l'atteinte de ses objectifs.
Plus encore, ils maintiendraient une disposition très ancienne datant en réalité de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, dite « Transition énergétique ». Le contexte macroéconomique était alors tout autre, bien avant la crise des prix des énergies que nous connaissons ! Avis défavorable.
Les amendements identiques COM-15 rectifié et COM-49 ne sont pas adoptés.
L'article 2 est adopté sans modification.
Article 3
L'amendement de suppression COM-50 n'est pas adopté.
M. Alain Cadec, rapporteur. - L'amendement COM-87 a pour objet de réécrire l'article 3 concernant les objectifs en matière d'énergie nucléaire, dans la rédaction adoptée à l'Assemblée nationale en séance publique.
En effet, la rédaction ainsi votée, qui a fait l'objet d'échanges en amont avec le Sénat, en particulier entre notre collègue Daniel Gremillet et le rapporteur Antoine Armand, est satisfaisante dans la mesure où elle conserve la plupart des objectifs sénatoriaux en matière d'énergie nucléaire. Avis favorable, par ailleurs, sur le sous-amendement COM-114 de notre collègue Vincent Delahaye.
Le sous-amendement COM-114 est adopté. L'amendement COM-87, ainsi sous-amendé, est adopté. En conséquence, les amendements COM-9 et COM-29 deviennent sans objet.
L'article 3 est ainsi rédigé.
Article 4
L'amendement de suppression COM-51 n'est pas adopté.
M. Alain Cadec, rapporteur. - L'amendement COM-31 rectifié a pour objet de remplacer la mention « accompagner » par celle de « favoriser » dans l'objectif sur l'électrification des usages, ce qui est une précision pertinente.
L'amendement COM-31 rectifié est adopté.
M. Alain Cadec, rapporteur. - L'amendement COM-88 vise à modifier l'article 4 sur les différentes flexibilités, en conservant deux apports pertinents issus des travaux de l'Assemblée nationale adoptés en commission, concernant les capacités d'effacement ainsi les technologies de captage et de stockage du CO2.
L'amendement COM-88 est adopté. En conséquence, l'amendement COM-72 devient sans objet. De plus, les amendements COM-78 et COM-30 rectifié sont rejetés.
L'article 4 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Après l'article 4
Les amendements COM-84 et COM-85 sont déclarés irrecevables en application de l'article 45 de la Constitution.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je salue notre collègue Didier Mandelli, rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, qui présentera le sous-amendement COM-113.
M. Alain Cadec, rapporteur. - L'amendement COM-89 a pour objet de réécrire l'article 5 sur l'essor des énergies renouvelables, dans la rédaction adoptée à l'Assemblée nationale en séance publique.
Ici aussi, c'est une rédaction qui a fait l'objet d'échanges en amont avec le Sénat, en particulier entre notre collègue Daniel Gremillet le rapporteur Antoine Armand et qui est satisfaisante, étant donné qu'elle maintient l'essentiel des objectifs sénatoriaux en matière d'énergies renouvelables. Avis favorable, par ailleurs, sur le sous-amendement COM-113 de notre collègue rapporteur Didier Mandelli.
M. Didier Mandelli. - Le sous-amendement COM-113 vise, en matière d'éolien terrestre, à privilégier le renouvellement des installations existantes à l'implantation de nouvelles installations.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Précisons que ce sous-amendement est cosigné par le président de la commission, notre collègue Jean-François Longeot.
Le sous-amendement COM-113 est adopté. L'amendement COM-89, ainsi sous-amendé, est adopté. En conséquence, les amendements COM-28 rectifié, COM-52, COM-3, COM-112, COM-4, COM-5, COM-32 rectifié et COM-79 deviennent sans objet, de même que les amendements identiques COM-43 et COM-74, les amendements identiques COM-18, COM-46, COM-67 et COM-77, les amendements identiques COM-45 et COM-76, les amendements COM-39 rectifié et COM-16 rectifié, les amendements identiques COM-44 et COM-75 et les amendements identiques COM-69 et COM-110.
L'article 5 est ainsi rédigé.
Article 6
L'article 6 est adopté sans modification.
Article 7
L'amendement de suppression COM-53 n'est pas adopté.
L'article 7 est adopté sans modification.
Article 8
L'amendement COM-17 rectifié est retiré.
M. Alain Cadec, rapporteur. - Les amendements COM-54 et COM-12 rectifié, ainsi que les amendements identiques COM-13 rectifié et COM-90, ont pour objet de modifier l'article 8 dans des sens opposés pour ce qui concerne les objectifs de réduction de la consommation d'énergie fossile et totale.
L'amendement COM-54 tend ainsi à relever les objectifs de réduction de la consommation d'énergie totale - de 30 % à 40 % - et fossile - de 45 % à 50 % - et à supprimer la dérogation à la sortie des centrales de production d'électricité à partir du charbon d'ici à 2027 en cas de menace pour la sécurité d'approvisionnement ou de conversion vers des combustibles bas-carbone. C'est une position maximaliste, qui ne correspond ni à nos engagements européens ni aux travaux gouvernementaux ; d'où un avis défavorable.
L'amendement COM-12 rectifié prévoit de supprimer tout objectif de sortie de ces centrales électriques au charbon. C'est également une position maximaliste, mais dans le sens inverse.
Quant aux amendements identiques COM-13 rectifié et COM-90, ils prévoient de réécrire cet objectif de sortie des centrales électriques au charbon, en reprenant la rédaction proposée par le Gouvernement à l'Assemblée nationale en commission et en séance publique.
Les amendements COM-54 et COM-12 rectifié ne sont pas adoptés. Les amendements COM-13 rectifié et COM-90 sont adoptés.
L'article 8 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Vincent Louault. - L'amendement COM-19 rectifié vise à supprimer l'article 9, car nous connaissons très bien l'état d'avancement des rénovations énergétiques d'ampleur, mais libre à vous de fixer des objectifs irréalistes.
M. Alain Cadec, rapporteur. - Avis défavorable.
L'amendement COM-19 rectifié n'est pas adopté, non plus que l'amendement COM-55. L'amendement COM-91 est adopté. En conséquence, l'amendement COM-14 devient sans objet.
Les amendements identiques COM-70 et COM-111 ne sont pas adoptés.
L'amendement COM-81 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
L'article 9 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 10
L'amendement de suppression COM-20 rectifié n'est pas adopté.
L'amendement COM-92 est adopté. En conséquence, l'amendement COM-83 devient sans objet.
L'article 10 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 11
Les amendements COM-56 et COM-21 rectifié ne sont pas adoptés.
L'article 11 est adopté sans modification.
Après l'article 11
Les amendements COM-73 et COM-82 sont déclarés irrecevables en application de l'article 45 de la Constitution.
Article 12
L'amendement de suppression COM-57 n'est pas adopté.
L'amendement COM-22 rectifié est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
M. Alain Cadec, rapporteur. - L'amendement COM-93 concerne la modification de l'échéance de la loi quinquennale sur l'énergie pour viser le « 1er janvier 2026 » plutôt que le « 1er janvier 2025 », compte tenu du retard pris dans l'examen de la présente proposition de loi.
L'amendement COM-93 est adopté. Les amendements COM-6 et COM-71 ne sont pas adoptés.
L'article 12 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 13
L'amendement de suppression COM-58 n'est pas adopté, non plus que les amendements COM-10 et COM-24 rectifié.
L'amendement COM-23 rectifié est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
L'amendement COM-59 n'est pas adopté.
L'article 13 est adopté sans modification.
Article 13 bis
L'article 13 bis est adopté sans modification.
M. Patrick Chauvet, rapporteur. - Avis défavorable sur l'amendement de suppression COM-60.
L'amendement COM-60 n'est pas adopté.
Les amendements COM-35 rectifié et COM-34 rectifié sont déclarés irrecevables en application de l'article 45 de la Constitution, de même que les amendements identiques COM-33 rectifié et COM-41.
M. Patrick Chauvet, rapporteur. - Avis défavorable sur l'amendement COM-61.
L'amendement COM-61 n'est pas adopté.
Les amendements COM-36 rectifié et COM-37 rectifié sont déclarés irrecevables en application de l'article 45 de la Constitution.
L'article 14 est adopté sans modification.
Article 15
L'amendement de suppression COM-62 n'est pas adopté.
L'article 15 est adopté sans modification.
M. Patrick Chauvet, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement de suppression COM-63 rectifié. En revanche, j'émets un avis favorable sur les amendements identiques COM-38 rectifié et COM-42.
L'amendement COM-63 rectifié n'est pas adopté. Les amendements identiques COM-38 rectifié et COM-42 sont adoptés.
L'article 16 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 16 bis
L'amendement de suppression COM-64 n'est pas adopté.
L'article 16 bis est adopté sans modification.
Article 17 (supprimé)
Les amendements identiques de suppression COM-94 et COM-65 sont adoptés.
L'article 17 est supprimé.
Article 17 bis (supprimé)
L'amendement de suppression COM-95 est adopté.
L'article 17 bis est supprimé.
Article 18 (supprimé)
L'amendement de suppression COM-96 est adopté. En conséquence, l'amendement COM-11 devient sans objet.
L'article 18 est supprimé.
Article 18 bis (supprimé)
L'amendement de suppression COM-97 est adopté.
L'article 18 bis est supprimé.
Article 19 (supprimé)
L'amendement de suppression COM-98 est adopté.
L'article 19 est supprimé.
Article 20 (supprimé)
Les amendements identiques de suppression COM-99 et COM-66 sont adoptés.
L'article 20 est supprimé.
Article 21 (supprimé)
L'amendement de suppression COM-100 est adopté.
L'article 21 est supprimé.
Article 22 (supprimé)
L'amendement de suppression COM-101 est adopté.
L'article 22 est supprimé.
Article 22 bis (supprimé)
L'amendement de suppression COM-102 est adopté.
L'article 22 bis est supprimé.
Article 22 ter (supprimé)
L'amendement de suppression COM-103 est adopté. En conséquence, les amendements COM-8 et COM-7 deviennent sans objet.
L'article 22 ter est supprimé.
Article 22 quater (supprimé)
L'amendement de suppression COM-104 est adopté.
L'article 22 quater est supprimé.
Article 22 quinquies (supprimé)
L'amendement de suppression COM-105 est adopté.
L'article 22 quinquies est supprimé.
Article 23
L'article 23 est adopté sans modification.
Article 24
L'amendement COM-68 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
L'amendement COM-106 est adopté.
L'amendement COM-2 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution et l'amendement COM-109 est rejeté.
L'article 24 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Après l'article 24
L'amendement COM-1 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
Article 25 A, 25 B, 25 C et 25 D
Les articles 25 A, 25 B, 25 C et 25 D sont successivement adoptés sans modification.
Article 25 (supprimé)
L'article 25 demeure supprimé.
Intitulé de la proposition de loi
L'amendement COM-40 rectifié est retiré.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Les sorts de la commission sont repris dans le tableau ci-dessous :
La réunion est close à 10 h 40.
Mercredi 2 juillet 2025
- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -
La réunion est ouverte à 9 h 45.
Audition de représentants syndicaux - MM. Nicolas Blanc, secrétaire national à la transition économique, de la confédération française de l'encadrement-confédération générale des cadres (CFE-CGC), Cyril Chabanier, président de la confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), Mme Fabienne Rouchy, secrétaire confédérale de la confédération générale du travail (CGT), M. Loïc Tange, conseiller confédéral de la confédération générale du travail (CGT), Mme Patricia Drevon, secrétaire confédérale en charge de l'organisation, des affaires juridiques et des outre-mer, et M. Valentin Rodriguez, secrétaire général de la fédération des métaux, de Force ouvrière
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Mes chers collègues, je tiens à saluer et à remercier de leur présence les représentants des principales centrales syndicales. Au cours des derniers mois, nous avons pu entendre devant notre commission le président du Mouvement des entreprises de France (Medef), celui du Mouvement des entreprises de taille intermédiaire (Meti), mais également plusieurs chefs d'entreprise, ainsi que les présidents et vice-présidents du groupe Action Logement. À l'occasion de la dernière réunion du bureau de la commission, notre collègue Fabien Gay, parmi d'autres, m'avait proposé que nous puissions donner la parole aux syndicats de salariés. J'y ai bien évidemment souscrit, puisque nous sommes attachés au Sénat à la démocratie sociale, que ce soit dans l'ensemble des domaines économiques, mais aussi dans un domaine qui me tient plus particulièrement à coeur - je pourrais citer également mes collègues Amel Gacquerre et Viviane Artigalas -, celui du logement. Je suis par conséquent particulièrement heureuse de vous accueillir ce matin.
Je salue M. Cyril Chabanier, président de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), Mme Fabienne Rouchy, secrétaire confédérale de la Confédération générale du travail (CGT), Mme Patricia Drevon, secrétaire confédérale en charge de l'organisation, des affaires juridiques et des outre-mer, et M. Valentin Rodriguez, secrétaire général de la fédération des métaux de Force ouvrière (FO) et, enfin, M. Nicolas Blanc, secrétaire national à la transition économique de la Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC). Je tiens à excuser la Confédération française démocratique du travail (CFDT), qui ne pouvait être représentée ce matin, tenant elle-même un séminaire de sa commission exécutive qui mobilise tous ses secrétaires nationaux.
Je souhaiterais donc assez rapidement, pour laisser véritablement place aux interventions de nos invités et aux questions de nos commissaires, rappeler quelques points. Nous souhaiterions bien sûr d'abord vous entendre sur la situation économique générale et plus particulièrement sur celle de l'industrie. Plusieurs grands témoins que nous avons pu auditionner nous ont alertés sur une réindustrialisation très précaire au cours de la décennie passée et sur le risque d'un nouveau recul de l'industrie dans nos territoires.
L'automobile apparaît comme l'un des symboles de cette situation. Trois membres de la commission conduisent d'ailleurs actuellement, de façon transpartisane comme nous avons l'habitude de le faire pour les missions de contrôle de l'action du Gouvernement et les missions d'information, une mission sur l'avenir de la filière automobile française. Cette branche se trouve aujourd'hui dans une très grande fragilité face au défi de l'électrification et à la diminution de ses volumes de vente. Elle en entraîne d'autres à sa suite, comme la métallurgie, qui voit disparaître son marché européen, ou bon nombre de sous-traitants. Par ailleurs, là où la France avait un avantage important grâce à une électricité bon marché, l'énergie est devenue beaucoup plus chère qu'outre-Atlantique, par exemple. Nous ne nous résignons pas à l'effacement de la matrice industrielle, qui est un gisement d'emplois intermédiaires et qualifiés, harmonieusement répartis sur l'ensemble de notre territoire. Nous savons combien le Sénat représente cette diversité des territoires et combien nous sommes attachés à l'ancrage territorial de nos entreprises, qui est aussi un gage de stabilité démocratique. Quelle est votre analyse de la situation des entreprises ? Où se trouvent, selon vous, les ressources d'un rebond ?
La faiblesse de l'industrie dans notre pays, qui donne lieu à une surpondération des services, le retour à l'emploi de personnes qui en étaient éloignées, voire très éloignées, ou encore le développement de l'apprentissage expliquent une plus faible productivité du travail en France. Cela a des conséquences directes en matière de pouvoir d'achat pour les salariés. Plusieurs chefs d'entreprise que nous avons entendus ont également souligné l'écart trop grand entre le coût du travail pour l'employeur et le salaire net versé à l'employé - le fameux coin fiscalo-social -, en lien avec des dépenses de sécurité sociale croissantes. Le secteur du commerce souffre, quant à lui, de l'affaiblissement du pouvoir d'achat qu'a provoqué la crise inflationniste et de la concurrence d'acteurs qui échappent à toute régulation. Pour résoudre potentiellement une partie de ces problèmes, le débat sur la TVA sociale est réapparu. Qu'en est-il à vos yeux ? Quelle est votre analyse de l'évolution du pouvoir d'achat des travailleurs dans notre pays ? Quelles solutions envisagez-vous pour améliorer la rémunération du travail sans porter atteinte à la compétitivité de nos entreprises ?
Enfin, je voudrais aborder la question du logement. La crise de la construction alimente la crise de la métallurgie et d'autres secteurs. Elle est surtout l'un des éléments d'une crise du logement plus large qui constitue un obstacle à la mobilité des salariés et à la réindustrialisation, au travers du blocage du parcours résidentiel dans notre pays. Ce sont - nous avons l'habitude de le dire et nous l'avons encore réaffirmé dans notre rapport avec Amel Gacquerre et Viviane Artigalas - des parcours de vie particulièrement, voire complètement, entravés. Il y a maintenant 2,8 millions de demandeurs de logements sociaux dans notre pays. Les aides personnalisées au logement (APL) sont devenues la principale aide sociale. Si tout le monde n'a peut-être pas le souhait ou la possibilité de devenir propriétaire d'un pavillon, un logement pour soi, un toit pour sa famille, reste une aspiration profonde, mais aussi un signe de réussite et de sécurité pour une grande majorité de nos concitoyens. Là aussi, quel est votre diagnostic et comment peut-on redonner du pouvoir d'habiter aux Français ? Voilà les questions que je souhaitais vous poser dans mon intervention liminaire. Sans plus tarder, Madame Rouchy, je vous laisse la parole.
Mme Fabienne Rouchy, secrétaire confédérale de la CGT. -Nous sommes dans un moment où le Gouvernement nous explique qu'il faut réduire les dépenses publiques et où il vient d'annoncer notamment le gel de trois milliards d'euros de crédits aux différents ministères. Pour la CGT, ce ne sont pas les dépenses publiques qui expliquent la hausse du déficit et de la dette publique, ni la situation économique dans laquelle nous nous trouvons.
Nous constatons que des baisses d'impôts massives ont été accordées aux entreprises et aux ménages les plus aisés depuis 2017, au moment où l'on cherche de l'argent. Il faut peut-être se poser des questions à ce sujet. Un déficit de recettes de plus de 50 milliards d'euros par an a été généré par ces baisses d'impôts massives, ainsi que près de 80 milliards d'euros d'exonérations de cotisations sociales qui manquent par conséquent à la protection sociale. L'exonération dite patronale et la réorientation d'une partie des recettes de TVA vers la compensation de ces exonérations amènent, de notre point de vue, à une situation budgétaire assez calamiteuse.
Les entreprises françaises sont celles qui ont vu leurs impôts nets des aides publiques diminuer le plus fortement en Europe sur les trente dernières années. Les grandes entreprises percevaient beaucoup plus de crédits d'impôt qu'elles ne payaient d'impôt sur les sociétés. Le taux d'impôt en France est inférieur à celui en vigueur en Allemagne, en Italie et même aux États-Unis. Pourtant, cela n'a pas eu les effets escomptés, particulièrement sur l'emploi, puisque la baisse du chômage a été insuffisante - elle n'est d'ailleurs plus d'actualité - et la moitié des emplois créés se révèlent insuffisamment productifs.
La moitié des emplois créés sont des emplois d'étudiants apprentis. Ces mesures ont donc surtout servi à soutenir les profits et les dividendes, alors que la croissance économique a ralenti, que la pauvreté se développe, que le déficit commercial s'est creusé, que les difficultés industrielles s'accentuent et que les finances publiques se dégradent par manque de recettes. Pour nous, il s'agit d'un échec de la politique de l'offre. L'exemple de Michelin l'illustre bien. L'entreprise a annoncé la fermeture de deux usines en France en dépit de 2 milliards d'euros de bénéfices en 2023 et du versement de plus d'un milliard d'euros à ses actionnaires. Les entreprises industrielles cotées ont doublé leur taux de profitabilité entre 2017 et 2024 du fait des hausses de prix pour les consommateurs finaux, mais aussi du soutien colossal de l'État. Le total des aides publiques aux entreprises a été multiplié par dix-huit depuis 1979, sans qu'elles en profitent pour se désendetter, ce qui les fragilise face aux hausses des taux d'intérêt et à la détérioration de la conjoncture. La part du cash versée aux actionnaires a augmenté de 9 points depuis 2017 pour devenir plus élevée que celle consacrée aux investissements, en baisse historique de 2 points. Les entreprises du CAC 40 ont versé plus de la moitié de leurs bénéfices nets à leurs actionnaires en 2024, ce qui réduit leur capacité à investir. La distribution aux seuls actionnaires du CAC 40 est devenue supérieure à l'impôt total sur les sociétés pour la première fois en 2023. Les salaires réels ont diminué de 1,6 % depuis 2022, quand les profits et les dividendes atteignaient des niveaux records. Plus de 30 % des emplois industriels sont pourvus en intérim ou en contrat à durée déterminée (CDD), une proportion qui a doublé en vingt ans. La CGT alerte depuis plus d'un an sur la situation économique, notamment dans l'industrie, et ses conséquences pour l'emploi. Nous recensons au minimum 250 000 emplois menacés. Il faut bien se rendre compte que pour chaque emploi industriel détruit, ce sont 4,5 emplois indirects qui sont menacés dans d'autres secteurs qu'il s'agisse de la sous-traitance, des services ou des services publics. En 2024, les fermetures d'usines et de sites ont dépassé les ouvertures de nouveaux sites industriels pour la première fois depuis 2016, d'où la hausse du chômage et la désertification.
Vous évoquiez les territoires. Certains territoires sont très gravement impactés, puisque tout le tissu économique et les services publics, avec des délocalisations, sont touchés. Cela a évidemment un effet sur l'environnement, mais aussi sur notre souveraineté, en conduisant à la perte du contrôle de secteurs clés de notre économie, et ce jusqu'à l'extrême avec, par exemple, la chaîne de production de chlore Vencorex, alors qu'elle est une source unique sur le territoire de production de sel entrant dans la composition du carburant de nos missiles nucléaires. Le cas d'ArcelorMittal est porteur d'enjeux tout aussi lourds, puisqu'il s'organise pour quitter le continent européen d'ici à 2030, délocaliser ses activités en Inde et au Brésil, alors que, nous le savons tous, sans acier, il n'y a plus d'industrie. En 2024, le déficit commercial s'est creusé. Les importations de produits manufacturés ont augmenté plus rapidement que les exportations. La France achète désormais de plus en plus de produits fabriqués à l'étranger, notamment chinois, ce qui fragilise notre économie. Nous devenons progressivement un simple marché de consommation. Nous perdons notre statut historique d'espace de production industrielle. C'est vraiment le symbole d'une mutation économique profonde et inquiétante. Vous évoquiez les prix de l'énergie. Ils pèsent sur l'industrie européenne et sa balance commerciale en plombant sa compétitivité, notamment par rapport aux États-Unis et à la Chine. Il faut vraiment revenir à un système où la puissance publique maîtrise sa production d'électricité et son prix de vente. Ce n'est plus du tout le cas aujourd'hui, puisque nous sommes soumis, en termes de prix de l'énergie, aux aléas du marché. Cependant, la montée des prix de l'énergie n'explique pas tout, puisque les entreprises italiennes ont payé leur énergie plus cher, n'ont pas l'avantage du mix énergétique français, et que cela n'a pas empêché l'Italie de devenir la quatrième puissance exportatrice industrielle mondiale. La France apparaît désormais comme l'un des pays les moins industrialisés d'Europe, puisque l'industrie ne représente plus que 11 % de la richesse créée, 10 % de l'emploi total, deux fois moins qu'en 1978. Ce chiffre est très en retrait par rapport à nos voisins allemands, qui maintiennent 17,7 % d'emplois industriels, et italiens avec 16,4 %.
Les projets de réduction des dépenses publiques sont en décalage complet par rapport aux besoins de notre économie et de la population. Baisser les dépenses à tout prix aura des effets délétères sur les services publics et la protection sociale, alors que le vieillissement de la population s'accentue et qu'il faut investir massivement dans la transition écologique. Chaque euro non dépensé aujourd'hui coûtera beaucoup plus cher demain - jusqu'à huit euros. Les dépenses d'éducation par élève ont diminué : nous ne préparons pas l'avenir. La question de la fiscalité des ménages les plus riches et des aides publiques aux entreprises doit être abordée, dans le contexte d'un fort risque récessif sur la croissance et l'emploi, d'autant plus important au regard des incertitudes géopolitiques et de la guerre commerciale livrée par Donald Trump. Il faut donc revoir les exonérations de cotisations sociales dites patronales, qui bénéficient jusqu'aux multinationales. Elles représentent 20 % des cotisations, soit près de quatre-vingts milliards d'euros par an. Au-delà du seuil de 1,6 SMIC, cela représente vingt milliards par an. La littérature économique a prouvé que ces exonérations étaient inefficaces en termes de création d'emplois : il faut donc les supprimer. La moitié du crédit d'impôt recherche est captée par cinquante grandes entreprises. On peut même se demander si elles en ont besoin, car cela ne les empêche pas de licencier des chercheurs. Deux cents milliards d'euros par an d'aides publiques, sans condition ni contrepartie : c'est le premier poste de dépense de l'État, deux fois et demie le budget de l'éducation nationale. Dans la situation actuelle, est-ce raisonnable ? Il faut absolument conditionner les aides publiques, d'abord en examinant qui en a besoin, puis en les soumettant à des critères économiques, sociaux et environnementaux. Il faut aussi taxer les transactions financières, renforcer l'égalité devant l'impôt, notamment en travaillant sur les situations de suroptimisation fiscale - car les ultrariches paient beaucoup moins d'impôts que l'ensemble des Français - et se donner les moyens d'éradiquer la fraude, qui représente 80 milliards par an.
Mme Patricia Drevon, secrétaire confédérale en charge de l'organisation, des affaires juridiques et des outre-mer de FO. - Nous ferons cette intervention à deux voix. Je présenterai le contexte général, puis Valentin Rodriguez interviendra pour la métallurgie, un secteur industriel fortement en crise. Il dressera un état des lieux des problématiques plus particulières de ce secteur, avec une approche très concrète et factuelle qui pourra éclairer nos débats.
Nous constatons actuellement une montée du chômage très inquiétante pour l'économie du pays. Cela signifie que l'activité n'est pas au rendez-vous. Nous comptons 6,3 millions de personnes inscrites à France Travail, soit une hausse de 2 % sur un an. Parmi elles, 3,2 millions relèvent de la catégorie A, c'est-à-dire qu'elles sont tenues d'effectuer des démarches actives de recherche d'emploi, ce qui représente une augmentation de 4 %. Seulement 42 % d'entre elles sont indemnisées, avec une allocation moyenne de 1 046 euros, ce qui est loin d'être un montant important. Il s'agit de personnes qui perdent leur emploi, qui disposaient déjà de revenus modestes et qui, selon nos analyses, sont peu qualifiées et risquent d'être durablement éloignées du marché du travail.
Au niveau de l'emploi, 80 % des embauches actuelles concernent des contrats courts, comme des contrats à durée déterminée (CDD) inférieurs à un mois ou des missions d'intérim. Pour 2024, 6 434 500 contrats de travail ont été signés dans le secteur privé, hors agriculture, soit 0,5 % de moins qu'au trimestre précédent. Nous sommes donc véritablement en déclin. En avril 2025, on dénombrait 2,4 millions de projets de recrutement, soit 12,5 % de moins par rapport à 2024. La situation est donc assez inquiétante.
Concernant l'industrie, 2,5 millions d'emplois ont disparu depuis 1974, et nous avons constaté une baisse de près de 15 % de l'activité. Un discours très fort a été tenu au moment de la covid, affirmant que l'après-covid marquerait le temps de la réindustrialisation et de la relocalisation. Dans les faits, nous n'avons constaté aucun grand changement, ce qui est très inquiétant, car la perte de souveraineté, déjà problématique lors de la crise de la covid, est toujours présente. Elle fragilise notre pays et ne permet pas d'instaurer une dynamique de l'emploi profitable à nos systèmes de protection sociale, aux travailleurs et à l'ensemble des acteurs. Nous sommes donc très dubitatifs sur la volonté de réindustrialisation affichée. Dans l'automobile, l'activité a baissé de 21,4 % ; pour la chimie, la baisse est de 14,3 % et pour la métallurgie, de 16 %. Certains facteurs connus expliquent une partie de ces baisses : le coût de l'énergie, catastrophique en France, qui impacte très fortement l'industrie, mais aussi la construction, que l'on n'arrive pas à relancer avec des taux d'intérêt élevés. Pour notre organisation, il faut vraiment parvenir à accompagner les ménages pour relancer ce secteur. On connaît le proverbe : « Quand le bâtiment va, tout va. » Nous ne sommes pas loin de cette réalité aujourd'hui. Nous disposons d'outils qu'il faut désormais actionner. Vous avez indiqué avoir reçu Action Logement, qui peut être un outil intéressant. Cet organisme finance le logement social, mais il rencontre actuellement des problèmes de trésorerie. Il va falloir accompagner cet outil paritaire au service des salariés, surtout lorsque l'on constate que les problématiques de logement ne sont pas neutres dans le recrutement. Nous avons un véritable travail à accomplir sur ce sujet. Des choix politiques ont été faits pour réduire l'accompagnement, notamment sur l'isolation ou les crédits d'impôt pour le changement de systèmes de chauffage. La raison invoquée n'était pas le manque de crédits, mais l'incapacité à contrôler les entreprises, qui a mené à la découverte de fraudes. Il est inconcevable d'entendre de tels arguments. Dans un pays doté d'une administration capable de fonctionner, nous avons les moyens de réaliser des contrôles approfondis et de sanctionner les dérives, plutôt que de couper les financements, ce qui entraîne des conséquences sur l'économie et l'emploi.
M. Valentin Rodriguez, secrétaire général de la fédération des métaux de FO. - En tant que secrétaire général de la fédération FO de la métallurgie, qui compte encore 1,5 million de salariés, je souhaite illustrer la situation de l'industrie par quelques exemples concrets, d'abord la sidérurgie, puis l'automobile. J'évoquerai aussi le cas d'une usine électro-intensive, pour laquelle la question du coût de l'énergie, que vous avez mentionnée, est centrale.
Concernant la sidérurgie et ArcelorMittal, notre position a été un peu différente de celle d'autres organisations. Nous ne nous sommes pas prononcés pour la nationalisation. En revanche, nous avons mis sur la table la question de la réglementation européenne, des normes imposées et de la trajectoire de décarbonation.
Que mes propos soient bien compris : il ne s'agit pas de tenir un discours climatosceptique, mais d'adopter un raisonnement pragmatique. La sidérurgie française produit 8 millions de tonnes d'acier par an, sur un total de 2 milliards de tonnes au niveau mondial et de 120 millions en Europe. Faites le calcul et vous verrez qui est responsable des émissions de CO2. Nous pourrons prendre toutes les mesures que nous voudrons aux niveaux européen et français, cela n'aura aucun effet sur le climat, ce qui ne signifie pas pour autant qu'il ne faille pas faire d'efforts pour maintenir la trajectoire. Toutefois, si nous ne voulons pas de conséquences dramatiques sur le plan social ni la perte de la fabrication d'acier en France, il convient de réfléchir à un moratoire avec l'Union européenne sur ces sujets. Deuxièmement, il n'y a pas d'effet d'entraînement. Pour que les mesures concernant les émissions de CO2 soient efficaces, il faut un effet d'entraînement mondial. Ce n'est pas seulement la France ou l'Europe qui réussira si elle s'acharne trop dans ces directions. De plus, cela crée une distorsion de concurrence monumentale. Nous importons 28 % de notre acier de Chine, où il est produit dans les conditions que vous connaissez. Nous demandons donc un moratoire, une réflexion. D'ailleurs, les technologies qui permettent la production d'acier sans hauts fourneaux ne sont pas totalement abouties. Cette production est faite à base d'hydrogène ; si l'on en utilise énormément, il faut que ce soit avec de l'électricité décarbonée. En France, nous avons des atouts en la matière, puisque nous défendons le nucléaire. Cela me paraît essentiel. Mais il faut donner à ces technologies le temps d'aboutir, sinon cela ne provoquera que des drames sociaux. J'évoquerai plus rapidement la situation de l'automobile. Là aussi, hélas, le problème ne vient pas uniquement des décisions qui conduisent à la transition écologique et à l'interdiction du moteur thermique d'ici à 2035. Entre 2000 et 2019, juste avant la covid, nous avons perdu 100 000 emplois dans le secteur automobile. Il ne s'agit pas là des conséquences d'une décision européenne ni de la transition écologique, mais de questions de compétitivité et d'une volonté de certains capitaines d'industrie d'exacerber la mise en concurrence des sites entre eux, à l'intérieur d'un même groupe, avec des sites en Espagne, en Europe de l'Est et, parfois hors de l'Union européenne. Sur les trois véhicules les plus vendus en France - la Clio, la Sandero et la 208 -, plus aucun n'est fabriqué sur notre territoire. Une étude, dont on parle assez peu, a été réalisée sur le prix de revient de fabrication d'un véhicule à la sortie de l'usine. Il est aux alentours de 15 000 euros.
Le coût du travail dans la fabrication de véhicules représente 15 %. Le delta à la sortie de l'usine entre un véhicule fabriqué en France et un véhicule fabriqué en Espagne est de l'ordre de 300 euros. Sur un véhicule vendu ensuite entre 25 000 et 30 000 euros, ce n'est pas forcément déterminant. Nous avons des atouts en France pour continuer à produire sur le territoire national, ce qui nous paraît vital pour l'avenir de l'industrie de ce pays. Mais une étude récente aux conclusions assez compliquées indique que, si nous continuons sur cette trajectoire, nous risquons une nouvelle perte d'environ 75 000 emplois.
Je terminerai par un autre exemple. Vous évoquiez le coût de l'énergie, qui est aujourd'hui un facteur de compétitivité majeur pour l'industrie en France, peut-être même supérieur au coût du travail, sur lequel des efforts ont été faits. Pour notre part - je pense notamment à un gros équipementier -, nous avons signé des accords de compétitivité qui ont réduit un certain nombre d'avantages. Nous avons donc pris nos responsabilités. Hélas, cela n'a pas suffi à empêcher l'amoncellement des plans de sauvegarde de l'emploi et des plans sociaux. Le coût du travail n'est pas l'axe majeur pour regagner la compétitivité et réussir le pari de la réindustrialisation.
Le dernier exemple est celui du groupe Safran, qui a posé la première pierre d'une usine à Rennes. Il s'agit d'une usine qui fabriquerait des freins en carbone, très coûteuse en électro-intensité. Ils sont en concurrence avec des pays comme le Canada ou les États-Unis, qui investissent des milliards d'euros. Il convient donc d'examiner la situation, car l'essentiel de la production ira chez Airbus à Toulouse. Du point de vue de la décarbonation, il serait peut-être plus judicieux que l'usine s'installe en France plutôt qu'au Canada, même s'il existe aussi des constructeurs dans ce pays. Voilà deux ou trois illustrations que je voulais ajouter sur l'industrie.
M. Nicolas Blanc, secrétaire national à la transition économique de la CFE-CGC. - Je souscris à tout ce qui a été dit par mes collègues.
Je souhaiterais vous proposer d'associer le Conseil national de l'industrie, le CNI, à vos travaux. Son rôle pourrait être intéressant, car un travail important et structurant est mené au niveau du CNI et des comités stratégiques de filière, les CSF.
Je ne reviendrai pas sur la désindustrialisation, largement commentée. Je rappelle simplement que la part de l'industrie dans le PIB est passée de 17 % en 1995 à 11 % en 2017. Je me concentrerai donc sur la réindustrialisation, ou plus simplement sur la juste place de l'industrie dans notre économie. Elle n'est pas seulement là pour accroître les richesses ; elle est pour nous un facteur essentiel à notre société, un élément de contrat social. Elle est essentielle pour notre souveraineté en réduisant nos dépendances, pour notre cohésion en territorialisant nos activités, et pour sécuriser nos enjeux environnementaux.
Dans un premier temps, nous préconisons de stopper la destruction de nos capitaux industriels encore présents. C'est un point fondamental. Si les nouvelles filières qui émergent sont un élément positif de la réindustrialisation, il faut préserver notre capital existant, ce qui n'est pas toujours la priorité.
La compétence industrielle est une valeur pour notre nation qu'il faut préserver. Nous le redécouvrons aujourd'hui et il faut réellement accélérer sur ce sujet. Il s'agit peut-être de réenchanter les métiers associés à la filière, un travail d'ailleurs mené au sein du CNI. S'agissant des filières industrielles, il faut y réfléchir, les féminiser, les accompagner et, surtout, réenchanter ces métiers. En tant qu'ingénieur, j'estime que ce sont de beaux métiers. Une campagne a été lancée dans le cadre du CNI ; ce sont des initiatives intéressantes.
J'aborderai ensuite la question de la compétitivité. Il y a d'abord la compétitivité-prix. La question de l'énergie est aujourd'hui fondamentale. Sans une énergie décarbonée et compétitive, pas de réindustrialisation. Une énergie chère nous rend non compétitifs, avec des écarts importants qui entraînent des délocalisations et appauvrissent nos capacités industrielles. C'est pourquoi nous proposons de mieux maîtriser notre mix énergétique, de préserver notre filière nucléaire, de lutter contre les prix négatifs, d'assurer une stabilité des réseaux, de réformer le marché européen de l'électricité et de mettre fin à une politique de concurrence excessive dans les entreprises de réseau.
Concernant la compétitivité hors prix, et plus particulièrement la partie salariale, on parle beaucoup du coût du travail. Nous considérons que l'on peut abaisser le coût du travail qualifié, sans pour autant diminuer l'attractivité des rémunérations. Il faut continuer à travailler sur cette attractivité dans les branches pour sortir de la trappe à bas salaires. Je prends souvent l'exemple du travail incroyable qui a été fait dans le secteur de la métallurgie avec sa nouvelle convention collective. Il y a ensuite une difficulté de mise en oeuvre, mais il est important de l'accompagner.
Par ailleurs, il y a des travaux, comme le rapport Bozio-Wasmer, sur lequel nous avons travaillé et il faut, politiquement, transformer l'essai.
Enfin, au niveau des chaînes de valeur, la chasse aux coûts des grands groupes pèse sur les TPE-PME. Il faut préserver les chaînes de valeur entre fournisseurs et donneurs d'ordre. La puissance publique a là une véritable responsabilité et doit veiller à garantir, ou du moins à préserver, ces chaînes, car la situation est très compliquée, notamment dans un secteur comme l'automobile. C'est un point d'attention très important. Je souhaiterais formuler une proposition. Nous constatons que les PME françaises sont très peu robotisées comparativement aux PME allemandes. Pourquoi ne pas envisager un « plan robot » ? Nous avons beaucoup parlé de l'industrie 4.0, mais il faut travailler sur les innovations de rupture, sinon nous prendrons du retard, comme nous l'observons sur l'intelligence artificielle ou sur le cloud. Il faut donc des plans ; la planification et les grands plans permettent de rattraper le retard. Un autre point important est le rôle des salariés à travers l'épargne salariale, dont les encours s'élèvent aujourd'hui à 200 milliards d'euros. Il paraît essentiel de pouvoir flécher ces fonds vers l'industrie française. D'ailleurs, à la CFE-CGC, nous travaillons à la mise en place d'un fonds « Impact Made in France » et nous essayons d'accompagner un certain nombre de propositions en ce sens. Sur la dimension européenne, la difficulté réside dans le fait que la doctrine commerciale de l'Europe n'est pas alignée avec sa politique industrielle. Cela constitue un problème majeur, qui peut entraîner non seulement des écarts de prix, mais aussi des écarts de normes parfois incroyables. Il faut sortir de cette situation en cherchant également à consolider le marché européen, qui reste très complexe. La préférence européenne pour les marchés publics me semble importante, que ce soit au niveau français ou européen. La commande publique doit favoriser les entreprises françaises ou européennes. Bien sûr, la protection de l'environnement doit également être un critère majeur. De façon plus globale, nous avons besoin d'une stratégie et d'un pilotage. C'est la raison pour laquelle j'évoquais le Conseil national de l'industrie (CNI).
Il faut activer tous les leviers, notamment les CNI et les CSF. D'ailleurs, la CFE-CGC a signé un engagement de filière pour le numérique, ce qui me semble une excellente chose. Cela permet de décliner les actions, même s'il faut encore améliorer le rôle du CNI et sa manière d'assurer le suivi des différents comités stratégiques de filière, car cela me paraît fondamental. Mon dernier point concerne les droits de douane. Une question se pose aujourd'hui. Il y a un moratoire, et nous attendons. Une première réunion a eu lieu à Bercy. Une autre devait se tenir lundi prochain, le 7 juillet, car le 9 juillet approche, mais je viens d'apprendre qu'elle est ajournée. J'ai du mal à l'entendre. Nous étions tous réunis avec les différents ministres, et j'ai du mal à comprendre, sachant que des droits de douane de 10 % de façon globale et de 25 % sur certains secteurs ont été actés. La logique était d'identifier des secteurs que nous voulions porter au niveau européen pour avoir une réponse organisée et l'articuler avec la réponse française. Or, je ne vois rien venir. Des réunions ont eu lieu ; il y a bien eu une réunion de suivi, comme nous l'avions demandé. Une réunion au ministère du travail nous a permis d'organiser l'accompagnement sur les activités de longue durée et tous les dispositifs afférents. Cela a été suivi avec les différentes directions régionales de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DREETS), ce qui nous permet d'avoir un travail de maillage, et je tiens à remercier les équipes qui ont accompli ce travail. Néanmoins, il faut continuer. Franchement, l'absence d'une réunion lundi pour acter la situation sur ces droits de douane est une source d'incompréhension. Enfin, concernant la conditionnalité des aides, je rejoins exactement ce qui a été dit. Je vous donne un exemple : des travaux ont été menés au Sénat sur le crédit d'impôt recherche vert. Je vous pose la question : où en sommes-nous en 2022 ?
Le crédit d'impôt recherche représente aujourd'hui 7,2 milliards d'euros ; il s'agit de la première niche fiscale en France. Nous en avons parlé récemment. Il faut le réarticuler. C'est France Stratégie qui le dit, et pas seulement les organisations syndicales. Le crédit d'impôt recherche pourrait aussi être articulé sur la dimension verte. Je vous invite donc à examiner les travaux que vous aviez vous-mêmes produits en 2022, afin de les remettre au goût du jour dans cette nouvelle commission.
M. Cyril Chabanier, président de la CFTC. - Je vais essayer de ne pas trop répéter ce qu'ont dit mes collègues et d'aborder des sujets qu'ils ont moins évoqués.
La situation économique est très préoccupante. La croissance du PIB est extrêmement faible, tout comme la consommation des ménages. Si l'inflation a pu être maîtrisée, cela fait suite à trois ou quatre années extrêmement compliquées. Les finances publiques sont également inquiétantes. La situation est donc, de toute évidence, préoccupante.
Il faudrait retrouver un État stratège et une planification. Nous avons France Stratégie et nous avons remis en place un commissariat au Plan. C'est une excellente idée, à condition qu'il planifie. Or, ces deux institutions ne font ni stratégie ni plan. Excusez-moi de le dire ainsi, mais nous avons quelques questions à nous poser à cet égard. Se pose également une véritable question de souveraineté. Nous avions quatre grands secteurs sur lesquels travailler pour la retrouver, qu'elle soit française ou européenne : l'énergie, l'alimentaire, les composants électroniques, pour lesquels nous dépendons à 70 % de Taïwan, et les médicaments. Sur ce point, aujourd'hui, peu de choses ont bougé, alors que c'est crucial, économiquement et en termes de souveraineté. On parle beaucoup de compétitivité-prix, mais les études montrent que, sauf avec quelques pays européens, le principal handicap de la France n'est pas celui-ci. C'est la compétitivité-qualité. Il va vraiment falloir traiter ce sujet. Je fais le lien avec la réindustrialisation et la relocalisation, qui restent un sujet de préoccupation majeur. L'objectif de cette politique n'est pas clair, alors qu'elle devait s'accompagner d'une montée en gamme de nos industries et de nos services. Pour la CFTC, c'est la seule solution pour nous en sortir dans un monde ultra-concurrentiel. Cela implique des investissements et de la recherche très importants, ce qui demande de redéfinir notre stratégie en la matière. Mon collègue a parlé du crédit d'impôt recherche. Il existe un moyen de le recevoir sans réaliser aucun investissement et sans faire aucune recherche. Je n'ai aucun problème à financer la recherche et l'investissement ; nous ne le faisons même pas suffisamment, dans le public comme dans le privé. Mais nous ne pouvons pas avoir un dispositif dont la moitié est utilisée pour ne faire ni l'un ni l'autre.
Nous devons mieux encadrer la manière de procéder. La montée en gamme est très importante. Elle permet d'être moins sujet à la concurrence lorsque l'on fabrique des produits à forte valeur ajoutée et à forte technologie. Par définition, cela réduit la concurrence. Ensuite, cela nécessite des salariés plus compétents et mieux formés. C'est ce que j'appelle le cercle vertueux : des salariés plus compétents et mieux formés sont aussi, demain, des salariés mieux rémunérés et, par conséquent, des salariés qui peuvent acheter des produits de meilleure qualité. On nous dit souvent que la montée en gamme pose un problème, car elle implique des produits un peu plus chers ; or ce cercle vertueux, combiné aux économies d'échelle, peut créer une dynamique extrêmement positive. J'en profite pour aborder un point qui n'a pas été traité dans tous les débats : le temps de travail. Faut-il travailler une heure de plus, vingt minutes, deux minutes ? Nous avons une proposition par jour. Le sujet principal est que nous soyons plus nombreux à travailler, et pas forcément que ceux qui travaillent déjà travaillent plus longtemps. Toutes les études montrent que les personnes qui ont un emploi travaillent, à quelques heures près, autant que nos voisins européens. Nous avons un ou deux jours fériés de plus que nos principaux concurrents et parfois un ou deux jours de vacances supplémentaires. Mais l'écart se résume à cela. Je n'ai absolument pas dit qu'il fallait les supprimer ; nous venons de rédiger un tract intersyndical pour affirmer qu'il fallait les maintenir. Là où notre situation est catastrophique, en revanche, c'est sur l'emploi des jeunes et des seniors, où nous accusons un retard de dix points par rapport à nos concurrents européens. Avant de faire travailler ceux qui travaillent déjà cinq minutes ou une heure de plus, oeuvrons tous ensemble pour que l'emploi des jeunes et des seniors soit au rendez-vous. Vous avez parlé de l'énergie, dont le coût représente une grande difficulté à la fois pour l'industrie et, je le souligne, pour l'artisanat. Mes collègues ayant fait un point spécifique sur l'industrie, je ne m'étendrai pas sur ce sujet. Évidemment, la solution réside dans le mix énergétique, et nous avons la chance de disposer du nucléaire, qu'il faut continuer à développer. Les nouveaux EPR intègrent des avancées technologiques, et il faut absolument poursuivre dans cette voie.
Un mot sur les transitions. Nous devons investir massivement dans la transition numérique et l'intelligence artificielle, où nous avons beaucoup de retard. La question n'est plus de savoir si nous y allons ou non ; ce débat est terminé. Il faut y aller. Deux questions se posent donc : premièrement, investir massivement, car nous avons beaucoup de retard ; deuxièmement, encadrer cette transition pour qu'elle soit au service de l'homme et non à sa place.
Concernant la transition environnementale, je partage les propos de mon collègue sur la métallurgie, sans être pour autant climatosceptique. Mais quand allons-nous réaliser, dans ce pays et au niveau européen, des transitions qui conçoivent en même temps le temps social et le temps environnemental ? On définit des règles environnementales, et ensuite, on se demande si, socialement, nous sommes capables de les accompagner, de former les gens, de les reconvertir. Ce sont les deux faces d'une même pièce. Nous avons une transition environnementale très importante à mener et nous avons un temps social. Aucune transition ne fonctionne sans une certaine dose d'acceptabilité. Pour cela, il faut que le temps social et le temps environnemental, même s'ils n'avancent pas à la même allure, soient rapprochés le plus possible.
Vous avez parlé de la TVA sociale. Avant cela, nous avons une grande question à nous poser : celle du financement de notre modèle social. Qu'est-ce qui doit être financé par le travail et qu'est-ce qui doit l'être par l'impôt, donc par la solidarité ? C'est une question beaucoup moins simple qu'il n'y paraît. Certaines choses sont évidentes : le chômage financé par le travail, les accidents du travail et les maladies professionnelles financés par le travail. Mais quand on parle de la maladie au sens large ou de la branche famille, ayant été salarié de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) pendant vingt ans, je peux vous dire que c'est bien plus compliqué.
Si nous continuons à ne plus avoir de politique familiale et que la Cnaf devient une politique sociale, alors ce n'est pas au travail de la financer, mais à l'impôt. Est-ce une bonne idée de ne pas avoir de politique familiale dans ce pays depuis quinze ans ? Je n'en suis pas persuadé, sans même aborder la question des retraites que cela pourrait régler. Si, à l'inverse, nous menions une véritable politique familiale avec par exemple, des allocations familiales dès le premier enfant et un meilleur accès aux modes de garde, nous savons que cela permettrait aux femmes d'accéder à des emplois moins à temps partiel et de plus longue durée. Dès lors, si cela a un impact sur le travail, il n'est pas anormal qu'une partie du travail y cotise. Tout dépend donc de ce que nous voulons faire. Avant de décider quel dispositif financer, posons les choses sur la table de manière objective pour savoir si c'est l'impôt et la solidarité ou le travail qui doit payer. Concernant la TVA sociale, j'ai un souci : j'ai rarement vu ses effets positifs sur les salaires. L'entreprise nous dit que l'on baisse certaines cotisations patronales et que l'on compense par de la TVA, ce qui aurait un impact positif sur l'économie, la compétitivité et, à terme, sur les salaires. Je suis prêt à discuter du premier point. Sauf que la deuxième partie du raisonnement - l'impact sur les salaires - nous ne l'avons jamais vue en vingt-cinq ans. Plutôt que de baisser les cotisations patronales, nous pourrions donc réfléchir à baisser les cotisations salariales, ce qui aurait un impact direct sur les salaires. Malheureusement, il n'y a plus de cotisations salariales autour du SMIC, hormis la cotisation retraite. Je ne suis pas certain que ce soit le moment de la baisser, d'autant qu'avec mon organisation, je proposais plutôt une légère augmentation. En revanche, il y a la CSG activité, qui n'est payée que par les actifs. On pourrait imaginer la baisser un peu et transférer la charge, mais venir nous dire que cela aura un impact positif sur les entreprises et donc, automatiquement, sur les salaires, alors que nous avons la démonstration inverse depuis vingt-cinq ans... Comment augmenter les salaires ? Il faut sortir de la trappe à bas salaires. Nous disposons d'un excellent rapport sur le sujet, le rapport Bozio-Wasmer, dont le scénario central est la solution. Vous demandiez des solutions : vous avez le rapport, il faut l'appliquer. Peut-être faudra-t-il aussi un jour en finir avec les seuils dans ce pays. Nous n'avons plus de politique salariale ; nous n'avons plus que des politiques de bas salaires. Pourquoi ? Parce que nous avons des seuils qui sont terribles. Dès que vous arrivez à un salaire médian en France, autour de 1 800 ou 1 900 euros, votre carrière est terminée, vous n'avez plus d'augmentation. En effet, si l'on vous augmente de 200 euros, la fameuse trappe du 1,6 SMIC fait que l'entreprise paie deux fois plus de charges, et donc elle ne vous augmente jamais. De plus, les employeurs disent, la main sur le coeur, qu'ils augmentent les tout petits salaires, autour du Smic, car ce sont ceux qui gagnent le moins et qu'ils doivent être une priorité. Je suis parfaitement d'accord. Cependant, on ne peut pas demander aujourd'hui à la classe moyenne, à des personnes qui sont autour du salaire médian, de ne plus jamais avoir d'augmentation de salaire, parce que dès qu'ils en obtiennent une, l'entreprise se fait massacrer. Il faut donc arrêter ces seuils et mettre en place des dispositifs très progressifs. Nous en avions parlé lors de la conférence sociale organisée par Élisabeth Borne il y a un an et demi, et la situation n'a toujours pas bougé. Concernant le petit commerce et la régulation, quand mettrons-nous en place la taxe sur les petits colis ? Six cents gros-porteurs chinois qui partent tous les jours... En termes environnementaux, c'est génial ! En termes de concurrence déloyale, c'est incroyable ! Lorsque nous avons débattu des droits de douane, l'une des premières mesures à prendre était la taxe sur les petits colis. J'espère que cela se fera rapidement.
M. Fabien Gay. - Je suis le syndicaliste de la commission. Pour une fois, je ne me sens pas seul ! Je me félicite que nous ayons ce débat, car nous avons régulièrement des auditions, et c'est normal, de chefs d'entreprise sur la situation économique et sociale. Une entreprise est un tout : ce sont des salariés, des chefs d'entreprise, des machines-outils, des savoir-faire, des territoires. Je me félicite donc et je vous remercie, madame la présidente, d'avoir organisé cette audition.
Je ne parlerai pas des aides publiques, vous le comprendrez. Nous allons rendre le rapport de la commission d'enquête la semaine prochaine, je ne veux donc pas évoquer ce sujet.
J'aborderai donc deux sujets d'actualité. Le premier, qui va nous occuper dans les prochaines semaines et les prochains mois, est le triptyque salaire, protection sociale, 35 heures. C'est le débat que nous avons régulièrement ici et des visions s'affrontent, ce qui est somme toute assez logique. Je défends l'idée qu'il faut augmenter les salaires et non le revenu, et nous avons de nombreux débats sur ces questions depuis la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (Pacte) et bien d'autres textes. Je souhaitais donc connaître votre vision.
Le second sujet est la question des retraites, car c'est un sujet brûlant et d'actualité dont le Parlement va être saisi. Un conclave vient de se terminer. On peut avoir des visions différentes de son issue : le Premier ministre dit que c'est une réussite, d'autres la qualifient de mitigée. Quoi qu'il en soit, nous allons de nouveau avoir le débat sur la question des retraites. Au-delà de l'abrogation ou non de la réforme que nous avons adoptée dans les conditions que l'on connaît il y a deux ans, soit nous allons rester dans le modèle de solidarité que nous connaissons, soit nous allons encore allonger l'âge de départ à 65 ou 67 ans. En réalité, le véritable sujet qui va nous opposer, une nouvelle fois, est celui du choix entre un système par répartition ou par capitalisation. Ce débat, quoi que l'on en veuille, reviendra de toute façon à l'horizon 2027. Je souhaitais donc savoir, au-delà du résultat du conclave, ce que vous en attendez, car le Parlement pourrait potentiellement être saisi d'un texte. Je reste ouvert, le Premier ministre ayant indiqué que nous devrions avoir des propositions.
Un deuxième sujet d'actualité, pour ne pas être trop long : il y a une bataille idéologique ici, et ce n'est pas moi qui le regretterai, autour du droit de grève. Nous avons eu de nombreux textes visant à réduire le nombre de jours de grève. Nous allons examiner demain un texte sur le 1er mai, pour ouvrir le seul jour chômé et payé. Ce n'est pas une nouveauté française, c'est une pratique internationale présente dans vingt-quatre des vingt-sept pays de l'Union européenne. Comment voyez-vous ce texte qui arrive ici au Sénat, en pleine actualité sur le 1er mai, et qui a beaucoup fait parler de lui autour des artisans boulangers ? Sans grande surprise, vous comprendrez que mon groupe, et je suppose les groupes de gauche avec lui, n'y sera pas favorable.
M. Cyril Chabanier. - Je souhaite dire un mot sur le 1er mai. J'ai répondu indirectement tout à l'heure, puisque nous avons publié un tract intersyndical à huit pour indiquer que nous étions fermement opposés à la proposition de loi discutée au Sénat visant à permettre à certaines professions de travailler ce jour-là. C'est le seul jour chômé, et il faut le préserver. De plus, les questions relatives aux fleuristes et aux artisans boulangers constituent un faux problème. Ils sont, pour la plupart, ouverts. D'ailleurs, on ne leur interdit pas d'ouvrir ; on interdit que les salariés travaillent.
M. Jean-Marc Boyer. - Il y a des amendes quand même derrière.
M. Cyril Chabanier. - Non, il n'y a pas d'amende. Je vais reprendre ma phrase. Il n'est absolument pas interdit d'ouvrir ce jour-là ; il est interdit de faire travailler les salariés. Quatre-vingt-dix pour cent des fleuristes sont ouverts ce jour-là : ils travaillent en famille.
Beaucoup de boulangeries travaillent également. Certes, pas les très grosses, qui sont fermées. Est-ce dramatique dans ce pays si, une fois dans l'année, vous achetez deux baguettes la veille pour le lendemain ou un pain que vous faites trancher ? Tout à l'heure, je parlais de planification, mesdames, messieurs les sénateurs. Planifiez d'acheter un pain tranché la veille, qui dure deux jours. Vous devriez pouvoir vous en sortir. À l'époque, nous avions des panetières dans le Sud, accrochées au mur ; le pain tenait une semaine et nous vivions très bien.
Enfin, nous parlons d'un jour dans l'année ! Vous prendrez la décision ; vous avez notre position.
Sur les retraites, je ne parle pas de l'abrogation. Vous savez ce que nous en pensons. Ce débat sur l'abrogation est un débat politique qui doit se tenir au Parlement et qui se tiendra peut-être durant la campagne présidentielle. Nous avons essayé d'améliorer la réforme d'Élisabeth Borne. Au terme du conclave, nous n'avons pas réussi à nous mettre d'accord, car il y avait encore des points de divergence. Il y avait des éléments intéressants.
L'abaissement de l'âge d'annulation de la décote sera une priorité. C'est un sujet aussi important que celui des 64 ans, car, de plus en plus, nous irons jusqu'à 67 ans. Quand vous devez travailler quarante-trois ans, que l'âge moyen d'entrée sur le marché du travail est de 21 ans et demi dans notre pays et que l'âge moyen du premier contrat à durée indéterminée (CDI) est de 27 ans, avec quarante-trois annuités, l'âge d'annulation de la décote va devenir un sujet aussi important que celui des 64 ans.
Concernant les femmes, on ne s'en rend pas forcément compte, mais le fait de calculer sur vingt-quatre ou vingt-trois années et non pas sur vingt-cinq représente entre 30 et 100 euros par mois. Nous avons donc essayé d'améliorer ce que nous pouvions.
Le problème est que nous nous retrouvons au bout du compte avec ces sujets. C'était plutôt intéressant. Le sujet de la pénibilité est un sujet central. Le patronat veut bien en parler en termes de prévention, mais absolument pas en termes de réparation. Oui, la prévention est essentielle, c'est le but du jeu. L'objectif n'est pas forcément que les gens partent un an avant, c'est qu'ils arrivent à la retraite sans avoir le dos cassé, car un carreleur qui part à 62, 63 ou 64 ans a le dos fracassé de la même manière. Évidemment, il faut travailler sur la prévention, sur les reconversions et nous avons signé un accord national interprofessionnel sur les reconversions et la formation professionnelle quasiment en même temps que la négociation. À un moment donné, il y a toutefois toute une série de métiers pour lesquels nous ne savons pas agir sur la prévention.
Quand on reconnaît cela, on reconnaît qu'il faut permettre de partir avant. Il est donc impossible de ne parler de pénibilité qu'en termes de prévention, même si celle-ci est essentielle. À un moment donné, il faut bien parler aussi de réparation. Par ailleurs, lorsqu'on doit faire des efforts dans ce pays, je crois qu'on n'a pas été tant que ça d'organisations syndicales à dire qu'on n'était pas prêt à mettre la main à la poche, y compris du côté salarié. C'est la même chose : tout à l'heure, je parlais d'acceptabilité. Il faut qu'au bout du compte, tout le monde mette la main à la poche. L'État devrait déjà avoir versé les 5 milliards d'euros qu'il a promis au titre des compensations d'exonérations ; or, quand on fait les comptes, il manque 5 milliards. Vous allez me dire que cela n'arrange pas les comptes globaux, parce qu'on prend à gauche pour mettre à droite, mais il n'empêche que, quand on s'engage à compenser intégralement, on le fait. Il manque 5 milliards. Les entreprises doivent aussi mettre la main à la poche. Pourquoi avons-nous été bloqués à la fin et pourquoi l'accord n'a-t-il pas été signé ? Nous demandions 400 millions d'euros sur l'augmentation du forfait social. J'entends bien l'argument de la compétitivité des entreprises, mais si l'on vient me dire, alors que nous parlons de milliards et de milliards, que 400 millions d'euros posent un problème de compétitivité, cela fait rire tout le monde. En face, on impose 4 milliards d'euros aux retraités et l'on vient nous dire qu'ils sont tellement nantis que cela ne pose aucun problème de pouvoir d'achat. Si 4 milliards d'euros prélevés sur les retraités ne leur posent pas de problème de pouvoir d'achat, 400 millions d'euros ne posent pas de problème de compétitivité aux entreprises, quand cette somme est répartie sur l'ensemble des entreprises de ce pays. Il est donc dommage que pour ces sommes, l'accord n'ait pas été possible. En fait, le Premier ministre a dit que nous n'étions pas si loin d'un accord. Oui, nous n'étions pas si loin, parce que 400 millions, c'est ridicule. En même temps, ce sont des questions de principe. On ne peut pas demander que l'effort soit si important du côté des retraités et si faible du côté des entreprises. Il faut partager l'addition.
Mme Patricia Drevon. - Concernant le 1er mai, l'intersyndicale a publié un communiqué. Je pense que personne dans cette salle ne sera étonné que les syndicats soient opposés à ce que le 1er mai devienne un jour de travail quasiment normal. Cette journée a cent ans d'existence et commémore la fête des travailleurs. Il y a d'autres urgences législatives à traiter que de remettre en cause un 1er mai qui est la fête des travailleurs, qui a été acquis par des luttes sociales.
Les salariés ne demandent qu'à travailler, et j'ai rappelé tout à l'heure le nombre de personnes au chômage. Ce n'est pas en travaillant un jour de plus que nous résoudrons les problèmes de l'économie française. Vous ne serez donc pas étonnés qu'une organisation syndicale soit très attachée à la préservation du 1er mai pour les salariés.
Pour ce qui est du conclave, nous étions très dubitatifs depuis le départ. Nous l'avons quitté très tôt, car nous savions que nous n'obtiendrions pas ce que nous étions venus chercher, à savoir l'abrogation de la réforme des retraites à 64 ans. Cette abrogation est une revendication qui a réuni plusieurs millions de salariés dans les rues pendant des semaines. C'est une opposition qui a conduit à la situation que nous connaissons aujourd'hui à l'Assemblée nationale, avec un pays quasiment ingouvernable, tant cette réforme a créé du mécontentement.
Le mécontentement est toujours là, la colère aussi. Chacun de vous, mesdames, messieurs les sénateurs, le ressent dans ses circonscriptions. Nous parlions de 6 milliards d'euros de déficit, que je mets en perspective avec les 210 milliards d'euros d'exonérations de cotisations sociales et d'impôts sans aucune conditionnalité. Si la volonté avait été présente d'aller vers une révision de cette loi, une solution aurait pu être trouvée très facilement.
M. Nicolas Blanc. - Je remercie Fabien Gay pour son travail et pour sa demande d'organiser cette audition.
Concernant le conclave, une négociation qui n'aboutit pas à un texte signé par les partenaires sociaux s'appelle, pour moi, un échec. Il ne faut pas tourner autour du pot. La CFE-CGC a pris ses responsabilités et nous sommes allés jusqu'à la fin du processus. Si l'on n'est pas capable de réintroduire des critères de pénibilité, il y a une asymétrie et l'équation est impossible à résoudre. En effet, si, d'un côté, vous passez à 64 ans et que, de l'autre, vous avez toute une population pour laquelle on est incapable d'objectiver ces critères de pénibilité, c'est ingérable. C'est donc un échec absolu pour cette raison. Cette question est fondamentale. On peut dire ce que l'on veut, qu'il y a eu des avancées, des choses intéressantes, mais un accord national interprofessionnel, à la fin, se signe. C'est ma vision des choses.
Je ne reviendrai pas sur le 1er mai ; nous avons signé et nous nous sommes associés, cela a été dit. La question derrière tout cela est le temps de travail, ce qui m'amène à la fameuse compétitivité hors prix. Quand on regarde les objectifs français en matière de politique de recherche, on est très loin de la moyenne des pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui est de 2,7 % du PIB consacré à la recherche. En France, nous sommes à 2,2 %, alors que la stratégie du traité de Lisbonne de 2010 visait 3 %. La difficulté est là : si l'on n'investit pas en amont, on se focalise uniquement sur les salaires et le temps de travail. La compétitivité, c'est aussi la compétitivité hors prix.
Mme Patricia Rouchy. - Ce que nous attendons de cette réforme des retraites par rapport à la manière dont le Parlement va enfin pouvoir voter, c'est que la démocratie soit respectée. Cette réforme a été appliquée de manière extrêmement violente, sans véritable débat démocratique et sans vote des parlementaires. Il nous semble donc important que la démocratie soit également respectée à ce niveau.
Le rapport de la commission d'enquête de Fabien Gay est extrêmement attendu. Nous avons eu l'occasion de participer aux auditions, ce qui vous montre à quel point les organisations syndicales prennent au sérieux les travaux de votre assemblée.
Sur la réforme dans son ensemble, il est absolument inacceptable dans notre pays aujourd'hui qu'une très grande partie des salariés ne soient plus en emploi à partir de 60 ans et ne puissent pas non plus prétendre à un départ à la retraite. Ils ne sont plus dans l'emploi, ce qui coûte à notre système de protection sociale, puisque beaucoup d'entre eux sont soit en arrêt maladie, soit en invalidité, soit au RSA, ou sans rien du tout, car ils n'ont plus de droits. Peut-on accepter cela aujourd'hui, pour des gens qui ont travaillé toute leur vie ?
Enfin, comme cela a été dit, il existe des solutions de financement. Il faut à nouveau s'emparer du rapport Bozio-Wasmer. Nous avons beaucoup d'autres solutions, comme faire de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes un véritable enjeu. Cela est très documenté : les femmes gagnent presque un quart de moins que les hommes pour un travail de valeur égale. Peut-on s'en satisfaire ? Certainement pas. Il existe beaucoup d'autres propositions de financement, portées par la CGT ou en intersyndicale, que vous pouvez facilement retrouver.
Concernant la capitalisation, nous voyons ce qu'elle donne dans les pays où elle existe. Pouvons-nous jouer nos pensions de retraite au poker ? Au gré des crises, les niveaux de pension risquent d'évoluer fortement, comme aux États-Unis où les dernières crises l'ont bien montré. Voulons-nous un système à prestations définies comme celui d'aujourd'hui, avec des niveaux de pension sur lesquels les travailleurs pourront compter, ou voulons-nous un système que nous ne maîtriserons pas ? La question est extrêmement importante. Il faut conserver un système à prestations définies.
Je dirai deux mots sur la TVA sociale, déjà évoquée par mon collègue. Elle est à la fois injuste et inefficace. Injuste, car elle entraînera forcément de l'inflation, à laquelle seuls les citoyens aux plus hauts revenus pourront faire face. Inefficace sur le plan économique, car si nous mettons en place la TVA sociale, nous risquons de provoquer ce phénomène inflationniste.
Ensuite, la cotisation est créatrice de droits. C'est un concept fondamental depuis le Conseil national de la Résistance et la création de notre système de protection sociale. La TVA, elle, est un impôt, et c'est même l'impôt le plus injuste, car il s'applique à tous, contrairement à l'impôt sur le revenu qui est progressif. Enfin, l'affectation des recettes de TVA est soumise aux lois de finances, ce qui n'est pas le cas des cotisations, qui sont des recettes fléchées, même si une grande partie de notre protection sociale est aujourd'hui financée par la TVA.
Concernant le 1er mai, j'ajoute simplement que ce projet de suppression est vécu par les salariés comme une attaque. Il faut que chacun en soit bien conscient. Je mets cela en regard de ce que j'ai dit précédemment sur le soutien de l'État aux entreprises : à un moment donné, il faut aussi équilibrer les choses.
M. Cyril Chabanier. - Je souhaitais ajouter un élément sur le système par répartition et par capitalisation, sur lequel j'ai un regard un peu différent. Nous sommes tous très attachés au système par répartition, et il ne faut pas opposer les deux. Personne, ou presque, ne souhaite que nous passions à un système par capitalisation. Cela n'a rien à voir avec le fait de conserver un système par répartition tout en y introduisant une dose de capitalisation. À la CFTC, nous y sommes favorables pour deux raisons principales.
La première est que cela existe déjà, en partie dans la fonction publique et dans les grandes entreprises, où l'on trouve des plans d'épargne entreprise qui sont une forme de capitalisation. Ceux-ci ne bénéficient qu'à des salariés plutôt favorisés. Ce système est donc aujourd'hui injuste. Je souhaite qu'il y ait un étage supplémentaire de capitalisation ouvert à tout le monde, car s'y opposer revient à pénaliser les salariés les plus précaires.
Il est d'ailleurs assez amusant de noter que le patronat, qui avait mis ce sujet sur la table, l'a rapidement retiré du conclave. Pourquoi ? Parce que si l'on met en place ce système, il faut amorcer la pompe, ce qui implique que les employeurs contribuent financièrement. Comme ils avaient affirmé dès le départ « pas un centime, pas un euro », ils ont été les premiers à le retirer, surpris que trois organisations syndicales aient dit : « Banco, nous sommes prêts à y réfléchir ». À ce moment-là, ils ont reculé.
Je suis cependant très attaché au système par répartition et je me battrai jusqu'à la dernière goutte de mon sang pour le défendre. Mais ne pas réfléchir à l'ajout d'un étage supplémentaire de capitalisation serait une erreur.
M. Bernard Buis. - J'ai deux questions.
La première concerne votre position sur la conditionnalité des aides publiques aux entreprises, notamment en matière de dialogue social et de qualité de l'emploi.
Ma seconde question porte sur la transition écologique, qui implique des transformations profondes de l'appareil productif, notamment industriel. Comment vos organisations acceptent-elles ces mutations ? Que proposez-vous pour garantir une transition juste, sans perte de revenus ni de sens pour les travailleurs concernés ? Comment intégrez-vous l'intelligence artificielle ?
M. Jean-Luc Brault. - J'ai dirigé une PME de 120 salariés dans l'énergie, la cogénération, la tuyauterie industrielle et le nucléaire. En 1970, j'étais apprenti à treize ans et demi.
Aujourd'hui, les syndicats devraient se battre sur la formation : les certificats d'aptitude professionnelle (CAP), les brevets professionnels et les bacs professionnels. On ne peut apprendre un métier, ni dans l'automobile ni dans la métallurgie, sans ces diplômes. Le CAP de soudeur, par exemple, découle du CAP de plombier, du CAP de chauffagiste et de celui de la soudure industrielle. Sur ce point, vous ne vous battez pas assez. Ensuite, il y a les brevets de technicien supérieur (BTS) et les diplômes d'ingénieur par alternance.
Dans mon entreprise, je n'ai jamais voulu de syndicat. J'ai dit : « Le jour où vous aurez un syndicat, je poserai le tablier. » Et cela a très bien marché. Pourquoi ? Parce que j'avais mis en place l'intéressement, la participation et l'abondement. En décembre 2011, mes salariés repartaient avec trois mois et demi de salaire, que nous capitalisions et pour lesquels ils étaient exempts d'impôts. Les syndicats sont certainement nécessaires chez les autres, mais pas chez moi. L'important est de savoir que si nous voulons rémunérer nos salariés, nos compagnons, nous disposons de moyens financiers et de leviers fiscaux intéressants.
Le cercle vertueux implique de protéger les sous-traitants. J'ai été sous-traitant de grands groupes comme Bouygues ou Vinci. En tant que sous-traitants, nous sommes parfois massacrés, notamment à la fin des travaux, où l'on nous retient 5 %, 10 % ou 15 %. Ce cercle vertueux, il faut l'appliquer avec ces grosses entreprises générales que sont Vinci, Eurovia ou Bouygues, afin de protéger les sous-traitants. Car vous avez besoin des PME, vous l'avez dit vous-mêmes. Les grands groupes commencent à disparaître ou à partir ailleurs. Il faut protéger les PME et les artisans.
Excusez-moi de cette franchise, mais l'intéressement, la participation et l'abondement ont tellement bien fonctionné dans mon entreprise pendant trente ans que je dis même à mes enfants : « Continuez sur ce sujet. »
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous sommes là aussi pour débattre et exposer, les uns et les autres, nos convictions, nos expériences et nos témoignages. Je sais que nous sommes également en capacité de nous respecter. En tout cas, c'est la marque de fabrique qui prévaut au Sénat, que ce soit dans les commissions et, bien évidemment, dans les débats.
M. Daniel Fargeot. - Entre 2017 et 2020, 11,4 % des sièges sont restés non pourvus, soit presque le double par rapport à la période précédente. La part des élections donnant lieu à une carence totale de candidatures a atteint 83 % pour les entreprises de 11 à 49 salariés. Comment expliquez-vous que le taux de participation aux élections syndicales soit si faible en France, de même que le nombre d'adhérents au sein de vos organisations ?
À quel moment les organisations syndicales deviendront-elles, comme en Allemagne, des partenaires actifs de l'entreprise, en prenant part à son développement, en créant de la valeur, en participant à l'augmentation des salaires, tout comme en tendant vers le plein emploi pour réduire le coût du travail et contribuer à l'accroissement du pouvoir d'achat, et non pas en adoptant trop souvent une posture d'opposant au patronat ?
Je tiens à préciser que j'ai apprécié les propos de Force ouvrière quant à la souveraineté industrielle et à la décarbonation. Je suis d'accord avec certains d'entre vous pour revoir non pas notre modèle social - cela se saurait si c'en était un -, mais notre système social.
Mme Patricia Drevon. - Un simple commentaire : j'ai plutôt l'impression de m'être fait attaquer par l'un de vos collègues. Vous demandez à écouter les organisations syndicales que vous avez conviées et nous avons répondu à votre invitation. Or, nous nous entendons dire que les organisations syndicales ne servent à rien. Croyez-moi, cela est un petit peu déplaisant.
Sur la conditionnalité des aides, notre organisation syndicale n'y est pas opposée, pas plus qu'aux aides elles-mêmes. En revanche, elle est favorable à leur conditionnalité. Il ne s'agit pas de donner des aides chaque fois que nous avons des salariés au SMIC ou que l'on accorde des crédits d'impôt recherche. Qu'on accompagne les entreprises qui font de la recherche-développement, il n'y a pas de problème. Simplement, quand un brevet est déposé, on peut espérer que l'argent du contribuable qui a servi à financer ces aides permette que la production, si elle a lieu, soit réalisée en France. Nous avons des dispositifs à mettre en place en matière de conditionnalité. Quand on voit que l'on finance de grands laboratoires pharmaceutiques qui déposent des brevets, font produire en Chine ou ailleurs, puis réalisent des profits sur la commercialisation de ces produits grâce à la sécurité sociale qui les finance une deuxième fois, des mesures sont à prendre.
Plusieurs de mes collègues ont parlé du rapport Bozio-Wasmer, qui a clairement démontré que toutes les aides et toutes les exonérations de cotisations sociales n'étaient pas utiles. De petites avancées ont été faites sur ce sujet. Je ne suis pas sûre que ces mesures aient été prises en raison de ce rapport ; elles le sont peut-être aussi parce qu'une rigueur budgétaire est mise en place, ce qui amène à revoir certaines choses.
Si l'on travaillait avec les organisations syndicales de salariés pour savoir quels secteurs d'activité sont fortement concurrencés par les pays à faible coût de main-d'oeuvre, alors on pourrait l'accompagner et les protéger. Nous avons un marché intérieur qui n'est pas du tout concurrencé par des entreprises à faible coût de main-d'oeuvre étrangère et que nous finançons pourtant fortement. L'intérêt d'accorder des exonérations de cotisations et des crédits d'impôt dans ce cas nous échappe, à part celui d'augmenter parfois les marges des entreprises. Vous avez parlé de la formation professionnelle. Nous avons un outil qui s'appelle l'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) ; j'ai participé à la manifestation la semaine dernière. C'est peut-être cet outil qu'il faut défendre. Et je n'ai pas forcément vu beaucoup de banderoles bleu-blanc-rouge dans la manifestation parisienne. Nous avons toujours défendu et accompagné la formation professionnelle, je n'ai pas de souci sur ce point. Vous avez évoqué le partage de la valeur, l'intéressement, la participation. Nous avons fait partie des organisations syndicales qui ont signé récemment l'accord national interprofessionnel sur le partage de la valeur. Cependant, quand on fait le bilan de cet accord, on constate que peu d'entreprises ont mis en place des accords de partage de la valeur.
M. Nicolas Blanc. - Pour répondre à M. Brault, je précise que je suis secrétaire national, mais également manager d'une équipe de vingt personnes chez Engie. Je connais donc très bien ces problématiques.
Concernant le dialogue social, il faudra m'expliquer comment vous mettez en place un accord d'intéressement lié à la performance de l'entreprise sans y recourir. En effet, pour objectiver un accord d'intéressement et en définir les critères, le dialogue social est le meilleur vecteur. Sans vouloir ouvrir un débat, le dialogue social - j'en ai mené et j'ai signé plusieurs accords - permet d'avoir une vision très juste et d'orienter les choix de l'entreprise.
Je répondrai ensuite sur la question de la transition écologique, qui est un sujet important. Dans les entreprises, nous avons des consultations obligatoires, par exemple sur les orientations stratégiques, et c'est précisément l'occasion de définir avec les employeurs des stratégies et des trajectoires. C'est l'occasion d'en discuter et de mettre en oeuvre ces orientations. Pour en revenir à Engie, nous travaillons justement dans le cadre des orientations stratégiques. Nous réalisons de temps en temps des expertises comme sur l'hydrogène ou les technologies émergentes pour déterminer comment les intégrer dans le processus industriel, ou du moins comment les concevoir et les inscrire dans la durée.
Enfin, sur la question de l'intelligence artificielle, je suis expert au Partenariat mondial sur l'intelligence artificielle. Cette question du dialogue social technologique est donc ce que nous essayons de mettre en place. J'étais présent au sommet sur l'intelligence artificielle (IA) avec la ministre. Nous travaillons au sein de l'intersyndicale et formulons un certain nombre de propositions pour accompagner la formation des salariés et leur montée en compétences. Nous souhaiterions aujourd'hui un accord national interprofessionnel pour pouvoir réfléchir à ces questions, mais nous nous heurtons à une fin de non-recevoir des organisations patronales.
M. Cyril Chabanier. - Quelques remarques, que je formulerai sur le ton de l'humour. Vous dites que les organisations ne servent pas à grand-chose. En fait, vous reprenez les mêmes thématiques que les personnes qui affirment que le Sénat ne sert à rien. C'est bien dommage, car, pour ma part, j'estime que les organisations syndicales servent à quelque chose et que le Sénat sert à quelque chose. Le jour où il y aura un peu plus de respect, nous nous en porterons tous mieux. Vous semblez dire que, pour certaines entreprises, lorsqu'il y a un dialogue social, une organisation syndicale, la situation se dégrade forcément.
D'abord, il faudrait arrêter de dire « les organisations syndicales ». Je dis cela, excusez-moi, avec mes collègues, mais c'est comme si nous disions « les partis politiques ». Il me semble que vous - Les Républicains, le Parti socialiste, les communistes, le Rassemblement national - n'aimeriez pas que l'on fasse un amalgame. Nous sommes cinq organisations syndicales devant vous ; nous avons des luttes communes, parfois de fortes différences, et c'est notre richesse aussi, comme c'est la vôtre en politique. Par conséquent, il serait bien que, dans votre langage, vous appreniez à dire qu'il y a aussi des différences selon les organisations syndicales, comme vous avez des différences dans les partis politiques.
Vous avez posé une double question en disant : « Comment avez-vous aussi peu d'adhérents ? » Une petite organisation syndicale comme la CFTC, qui est la plus petite des cinq présentes ici, en compte 150 000. Son président, le numéro un confédéral, est venu vous voir, pour montrer le respect que je porte au Sénat. Je trouve ainsi que certaines remarques ne sont pas très obligeantes. Quand un numéro un, avec un agenda chargé, vient passer deux heures avec vous, c'est quand même une marque de respect très importante. Il n'y a pas beaucoup de numéros un autour de la table.
Quel sénateur ici appartient à un parti politique qui a 150 000 adhérents payants ? Dites-le-moi, vous, les grands politiques, qui êtes si bons, qui savez attirer tant de gens. Moi, je suis tout petit. Souvent, d'ailleurs, on dit : « La CFTC, c'est tout petit, ça ne compte pas. » Et je ne gonfle pas les chiffres, il n'y a aucun problème. D'ailleurs, j'ai plus d'adhérents que cela, parce que j'en ai qui prennent une carte, puis l'année d'après, ils ne la prennent plus, puis ils reviennent deux ans après.
Je peux accepter que les questions soient posées. Or ce n'étaient pas des questions, c'était de la provocation.
Vous avez raison, nous avons un vrai sujet sur les entreprises de moins de cinquante salariés. C'est bien dommage. Il est admis que, dans les entreprises de moins de cinquante salariés, le dialogue social est une difficulté supplémentaire. Je ne le partage pas. Vous savez, je dis cela aux chefs d'entreprise, on a les syndicalistes que l'on mérite. Je connais de nombreuses entreprises de moins de cinquante salariés où cela s'est fait en bonne intelligence. Venir dire que le dialogue social est forcément une opposition au patronat est faux. Des milliers d'accords sont signés chaque année dans les entreprises en bonne intelligence, sans opposition. Heureusement, d'ailleurs, on en parle peu.
J'en viens à la conditionnalité des aides. Vous en avez parlé, monsieur le sénateur. Un premier sujet doit être traité : l'évaluation des aides publiques. D'ailleurs, je sépare les aides sociales et les aides fiscales. C'est à peu près deux fois 80 ou 90 milliards d'euros. Je ne les additionne pas, parce que ce n'est pas la même chose. Peut-on les évaluer simplement ? La Cour des comptes a déjà mené des travaux sur ce sujet. Je n'ai aucun problème avec les aides : quand une aide est efficace, elle est efficace. Tous les rapports montrent qu'il y a trois types d'aides. Il y a des aides efficaces, on n'en discute pas, on les garde. Il y a des aides complètement inefficaces, il faut quand même en discuter.
Il ne s'agit pas forcément de supprimer une aide, mais de déterminer si elle est efficace et, le cas échéant, de la concevoir autrement. Ensuite, certaines aides ont une utilité, mais pas celle pour laquelle elles ont été créées : elles visaient à régler la situation A et servent en réalité à la situation B. Si nous trouvons que B est intéressant, nous pouvons la garder et la réorienter. Évaluons ! Nous sommes dans un pays où nous ne savons jamais évaluer. J'en prends ma part de responsabilité, car nous sommes les premiers, partenaires sociaux, à inscrire dans nos accords que nous devons les évaluer au bout d'un an ou deux, et nous ne le faisons quasiment jamais. Il faut donc évaluer et voir. Quand une mesure n'est pas efficace, il faut agir, soit en la supprimant, soit en la modifiant pour la rendre efficace. Concernant la transition écologique, je suis d'accord sur les CAP. Tout ce qui relève de la formation professionnelle et de la reconversion est très important. Il y a tout un travail à faire sur la formation initiale professionnelle. Nous avons beaucoup travaillé sur l'apprentissage, ce qui a été un succès plutôt généralisé pour le Gouvernement comme pour les organisations syndicales et patronales. Pour équilibrer mon propos, car je fais partie d'une organisation syndicale très constructive, nous avons des progrès à faire sur les CAP, et vous avez des progrès à faire sur le dialogue social. Ainsi, si chacun fait un progrès, la prochaine fois que nous nous verrons, nous serons quasi parfaits.
Mme Fabienne Rouchy. - Je n'aurais pas pris l'exemple, comme vous le faites, du nombre d'adhérents de ma propre organisation, mais celui de la totalité. Je vous invite donc, mesdames et messieurs, à regarder combien nous avons d'adhérents payants, comme cela vient d'être dit, et à revoir avec peut-être un peu plus de bienveillance la manière dont les syndicats peuvent participer à la vie démocratique de ce pays.
L'entreprise est un bien commun ; nous en sommes tous un peu conscients. Les syndicalistes ne sont pas là pour taper sur les chefs d'entreprise. Ils sont là pour faire vivre la démocratie, pour défendre les droits des salariés et pour essayer de participer à un dialogue constructif autant que cela est possible. Avec les employeurs, cela a été dit aussi, nous signons énormément d'accords. Il y a beaucoup de négociations, aussi bien dans les branches que dans les entreprises de ce pays. Cela montre donc que le dialogue social a une efficacité, nous semble-t-il en tout cas. Tout cela aide aussi à l'équilibre et à préserver, je le redis, notre démocratie, qui est extrêmement précieuse et bien souvent menacée.
Je siège au Conseil économique, social et environnemental (Cese), où je suis présidente du groupe CGT, c'est la troisième chambre. Je siège avec des représentants du Medef, par exemple, de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), de l'union des entreprises de proximité (U2P), et nous sommes obligés de travailler ensemble. Nous le faisons en bonne intelligence parce que nous nous respectons, même si nous pouvons avoir des intérêts parfois antagonistes. Ce sont là des constructions et des manières de travailler que nous devons vraiment avoir tous à l'esprit et qu'il faut absolument préserver.
Concernant la position de la CGT sur la conditionnalité des aides publiques, j'en ai beaucoup parlé tout à l'heure. C'est le premier poste de dépense de l'État. Je souscris tout à fait à ce que vient de dire mon camarade de la CFTC. Il faut évaluer le besoin, bien sûr. Il faut évaluer la pertinence de l'utilisation des aides. Il faut peut-être aussi - et ce n'est pas la CGT qui le dit, c'est la Cour des comptes, qui a rédigé plusieurs rapports assez récents sur le sujet, en 2023 et en 2022 - voir à quel moment il faut y mettre fin. En effet, dans le cadre de la covid, des aides ont été mises en place qui étaient peut-être pertinentes à l'époque et qui, pour beaucoup d'entre elles, ont subsisté. Ces aides sont-elles vraiment utiles ? L'objectif est-il atteint ? Ce n'est pas certain. Le Cese et la Cour des comptes l'ont écrit, et la commission d'enquête dont le rapporteur est Fabien Gay écrira sans doute des conclusions similaires. On ne peut pas, sur un total de 200 milliards d'euros annuels et au vu de la situation du pays, rester sans au moins essayer d'agir.
Concernant la transformation de l'appareil productif dans le cadre de la transition écologique, nous travaillons à des projets de reconversion avec des experts incontestés. Nous avons vu ce que nous avons pu faire pour les centrales à charbon, par exemple à Gardanne. Nous avons toujours le soutien des élus locaux et des parlementaires. En effet, lorsqu'un outil de cette taille, avec autant d'emplois, disparaît, cela crée de très gros problèmes sur le territoire. En revanche, il est souvent difficile d'obtenir le soutien de l'État, ce qui n'est pas acceptable. Il faut absolument faire émerger des projets. S'ils sont soutenus par des parlementaires localement, c'est bien qu'ils ont une pertinence. Nous devons trouver le moyen d'obtenir des aides ciblées de l'État pour que des projets de ce type puissent voir le jour, avec la sauvegarde des emplois et la transformation de l'activité au bénéfice de l'environnement.
Enfin, sur l'intelligence artificielle, il faudrait mener un grand débat public, car elle est partout. Il faudrait également pouvoir en parler et négocier des accords dans les entreprises. Peut-être faudrait-il inciter fortement à de telles négociations, car des salariés se retrouvent désemparés lorsque l'intelligence artificielle s'immisce dans leur travail. Pour certains métiers, elle a pris une part de plus en plus grande de leur activité, sans qu'il ait été possible d'en discuter ni d'examiner comment l'activité pouvait évoluer et comment le salarié pouvait développer des compétences différentes ou se former. Cela constitue un véritable enjeu de société. Il nous semble que nous ne le prenons pas suffisamment en compte.
Je voulais dire deux mots sur le coût du travail, puisque ce sujet a été abordé tout à l'heure. S'agissant du coût du travail, si nous parlons du secteur automobile, par exemple, nous ne pourrons pas rivaliser avec celui de l'Asie. C'est impossible. En revanche, peut-être pouvons-nous voir les choses autrement. Au lieu de se faire concurrence comme ils l'ont fait, des industriels au niveau européen pourraient mieux coopérer. Cette Europe de la coopération est un concept qui, nous semble-t-il, peut également être mis en oeuvre. Ils pourraient mieux coopérer pour faire face à la concurrence chinoise. J'ai eu l'occasion d'en discuter au Cese avec l'un des dirigeants de Renault, un projet pertinent serait de concevoir un petit véhicule assez peu cher, qui puisse être acheté par de nombreux Françaises et Français. Pour essayer de le mettre en oeuvre, il faut collaborer. Il faut aussi les ingénieurs adéquats. Il faut donc développer la formation professionnelle, puis travailler sur les qualifications, la reconnaissance de celles-ci et la fidélisation des salariés sur des métiers extrêmement spécifiques, extrêmement pointus. Cela demande aussi des salaires et des mesures. Il faut arrêter de parler du travail qui n'est pas suffisamment compétitif dans ce pays, paraît-il, parce que, face à la concurrence asiatique, ce n'est pas le sujet.
M. Valentin Rodriguez. - Je souhaitais réagir aux propos de monsieur le sénateur. Cela m'interpelle, mais je ne le prends pas comme une provocation. Au sein de la Fédération, il faut de la méthodologie. Nous mettons en avant le dialogue social et essayons de lutter contre l'image d'Épinal du syndicaliste. J'insiste fortement : il n'y a pas « les » organisations syndicales, mais « des » organisations syndicales. Parmi celles-ci, certaines promeuvent le dialogue social, un outil qui me paraît vital. Madame la présidente rappelait dans son introduction l'importance de la démocratie sociale dans ce pays : elle vit au travers des syndicats. Nous portons cette valeur au plus haut de nos activités quotidiennes.
J'en veux pour preuve quelques exemples. Vous êtes du monde de l'industrie. Chez Airbus, on ne peut concevoir de solutions sans dialogue social. Nous y sommes la première organisation syndicale et je peux vous assurer que ni nous, ni même la direction, ne concevons un dialogue sans partenaires sociaux. Cela me permet de rebondir sur la question : « Quand deviendrez-vous des partenaires ? » Je n'aurai que cette réponse : nous le sommes. Je rencontre régulièrement la direction d'Airbus et j'ai rencontré celle de Stellantis pas plus tard que la semaine dernière. Je vous en prie, ne faites pas de généralité, car nous avons le dialogue au coeur de notre action.
Vous avez évoqué la question de la formation, qui est au premier chef de nos discussions. Nous négocions avec l'union des industries et des métiers de la métallurgie (UIMM) et sommes signataires de la quasi-totalité des accords proposés, notamment sur la formation. Nous négocions d'ailleurs actuellement un futur accord sur l'emploi et la formation. Vous savez qu'il existe des vecteurs de formation spécifiques à la métallurgie, comme les certificats de qualification professionnelle (CQP), notamment pour les soudeurs. Pour nous, cette question est essentielle et nous nous en saisissons sans forcément attendre des évolutions sur le CAP et le BEP.
Je suis prêt à débattre avec vous et à vous faire changer cette image, car nous pouvons être un partenaire qui vous permettra parfois d'avoir des solutions quand la situation est bloquée. Évidemment, nous ne sommes pas d'accord sur tout. Et parfois, peut-être, nous éviterons de prendre une mauvaise direction ou une direction qui mène dans le mur, en toute modestie. Puisque vous avez évoqué l'intelligence artificielle, il faut la regarder aussi, et certainement surtout, comme une opportunité. Nous ne savons pas aujourd'hui quelles seront les destructions et les créations d'emplois. Le train passe : si nous ne montons pas dedans, cela aura des conséquences assez catastrophiques.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Depuis 2017, d'après ce que nous avons beaucoup entendu, une vision très verticale a considérablement affaibli l'ensemble des corps intermédiaires dont vous faites partie. Vous n'êtes pas les seuls, mais c'est un constat. La comparaison a souvent été faite à ce moment-là avec l'Allemagne, par exemple, qui conservait des corps intermédiaires extrêmement forts. Cela a donc pesé aussi dans le fonctionnement de notre pays et de notre économie. Telle est, pour ma part, ma vision. Nous avons besoin de ces corps intermédiaires.
Ce qui a pu faire défaut dans notre pays, c'est que, en 2017, il y avait une communication directe du plus haut sommet de l'État vers nos concitoyens. Or, nous voyons bien combien les corps intermédiaires sont absolument indispensables, ne serait-ce que pour, à un moment donné, amoindrir certains chocs, certaines difficultés, certaines fractures. C'est aussi mon analyse, et elle a été largement partagée. Si nous avions eu à ce moment-là des corps intermédiaires avec plus de poids, peut-être certaines fractures territoriales, sociales et économiques auraient-elles été moins fortes.
M. Daniel Salmon. - En France, nous avons l'impression de manquer de stratèges, aussi bien au niveau de l'État que des dirigeants d'entreprise. Je voudrais vous entendre sur les politiques de « stop-and-go » que nous connaissons perpétuellement, surtout en ce qui concerne la transition écologique, les énergies renouvelables et le secteur du logement, aussi bien pour le neuf que pour la rénovation thermique.
Concernant les dirigeants d'entreprise, et plus particulièrement la filière automobile, n'y a-t-il pas eu de grossières erreurs de commises ? Je ne parle pas de la montée en gamme, mais plutôt du choix des SUV électriques, qui fait que nous nous trouvons aujourd'hui dans une sorte d'impasse face aux Chinois, qui prennent de l'avance sur le petit véhicule électrique et qui vont nous faire beaucoup de mal.
Enfin, sur la transition écologique, il a été dit que la France ne pouvait pas tout faire. Pour autant, doit-on revoir nos ambitions à la baisse dans ce domaine ? Comment protéger notre industrie ? Je voudrais vous entendre également sur le marché européen : comment faire en sorte que notre marché intérieur, qui est assez important, nous permette de développer une industrie et un monde de l'entreprise en bonne santé ?
Mme Viviane Artigalas. - Le manque de stratégie et de planification de notre pays a déjà été évoqué.
Je reviens sur le domaine du logement. La crise est là, nous sommes en panne. Cela a des impacts sur notre économie locale et particulièrement sur le secteur du bâtiment. Avez-vous des alertes concernant les artisans, les PME, les TPE et toutes les entreprises qui travaillent dans ce domaine, au sujet d'emplois déjà menacés ou qui le seront prochainement ? Quelles propositions faites-vous sur ce sujet ?
Je crois beaucoup au dialogue social et au paritarisme. Nous en avons un exemple avec Action Logement : ce sont les entreprises qui financent le logement via la participation des employeurs à l'effort de construction (PEEC). C'est un sujet très important pour le lien emploi-logement et la manière de loger tous nos salariés, surtout dans le cadre de la réindustrialisation, dans des endroits où le besoin de logement est nouveau. Je pense particulièrement aux questions liées au nucléaire et au nouveau nucléaire. Comment allons-nous faire pour loger tous ces salariés ? Comment participez-vous à ce paritarisme ? Est-ce un système qui vous paraît vertueux ? Arrivez-vous à y faire valoir vos positions ?
M. Philippe Grosvalet. - Je viens d'une terre d'industrie. Je suis Nazairien, en Loire-Atlantique, département qui a d'ailleurs donné quelques grands leaders nationaux à différents syndicats. Je sais que le progrès social dans ce pays, s'il a certes été traduit dans la loi, est d'abord le fruit de luttes syndicales et de conquêtes sociales.
Je souhaite vous interroger sur un sujet qui traverse le pays. Sur mon territoire, pour que les industries comme Airbus ou la construction navale puissent se développer, nous recrutons environ 25 % de main-d'oeuvre étrangère. C'est un paradoxe terrible. J'ai été élu en septembre 2023 et je suis arrivé dans cette chambre au moment d'un débat sur ce sujet qui m'a parfois bousculé sur la question de l'immigration. On entend peu les organisations syndicales sur cette question. Or c'est un vrai sujet politique et social, puisqu'il y a aussi sur nos territoires des travailleurs étrangers exploités, maltraités. On en retrouve dans l'agriculture, dans le bâtiment, dans tous les domaines, et notre économie ne saurait se développer sans ces apports extérieurs.
Je sais que ces débats traversent aussi vos organisations. S'agissant d'un vrai sujet national, j'attendrais des organisations syndicales qu'elles s'emparent aussi des sujets de société pour donner leur avis et faire évoluer un certain nombre de préjugés dans notre pays.
Mme Micheline Jacques. - Ma question porte évidemment sur les territoires ultramarins. Le tissu économique ultramarin est constitué majoritairement de TPE et de PME, avec un coût du travail extrêmement élevé. C'est pourquoi les dispositifs Lodeom (loi pour le développement économique des outre-mer), des abattements fiscaux vitaux pour le maintien de l'activité, ont été introduits dans la loi « Égalité réelle » de 2017. Ces particularités ultramarines sont-elles prises en compte dans les débats de vos instances nationales ?
Plus largement, sur la retraite, le débat se focalise sur un âge de départ. Or, certaines personnes en bonne santé ne souhaitent pas forcément partir trop tôt. Avez-vous des propositions à formuler sur une adaptation à la situation de chacun ? S'il est vrai que, pour les métiers très pénibles, les personnes sont fatiguées à 60 ans et ont besoin de partir à la retraite, d'autres souhaitent continuer. J'ai ainsi rencontré la semaine dernière un homme de 72 ans qui se bat pour conserver sa licence de taxi, car arrêter son activité serait très néfaste pour son moral et sa santé.
Mme Patricia Drevon. - Concernant la protection de notre industrie, nous sommes toujours en train de courir après les événements. S'agissant des droits de douane, nous n'avons rien vu arriver. Nous nous demandons comment réagir, alors que nous aurions pu anticiper les mesures que le gouvernement Trump était susceptible de prendre. Cela était tout de même sous-jacent dans son programme dès le départ.
Quant au modèle et au protectionnisme européens, ce peut être un bel outil si nous l'utilisons. Cependant, il y a parfois des antagonismes et des difficultés, car chaque État membre a ses propres interactions avec les pays extérieurs à l'Union européenne. Se mettre d'accord sur une politique européenne de protection de l'industrie est donc très compliqué.
La complexité vient aussi du fait que, même à l'intérieur de l'Europe, les États membres se font concurrence en raison de coûts du travail qui ne sont pas les mêmes. Nous avons construit l'Europe économique, l'Europe du libre-échange, avant de construire l'Europe sociale. Si nous avions tous convergé vers un modèle social, nous n'aurions pas de concurrence interne et il serait beaucoup plus facile de créer une protection de notre industrie au niveau européen.
Nous n'en sommes pas là, mais nous y travaillons. Les organisations syndicales sont européennes et des avancées se produisent au niveau de nos syndicats européens pour essayer d'élaborer des stratégies et de mettre en place un certain nombre de dispositifs. Cela avance petit à petit et fait progresser la protection des salariés au niveau de l'Europe.
Sur le bâtiment, et sur le fait qu'il faut le relancer, je me suis exprimée tout à l'heure en disant que nous disposions d'outils comme Action logement, que nous avions des problématiques de taux d'intérêt, ainsi que des problématiques d'arrêt de l'accompagnement de certains travaux qui étaient réalisés par des ménages.
Concernant la main-d'oeuvre étrangère, notre organisation syndicale ne s'aventure pas sur le terrain sociétal ; nous nous focalisons sur les sujets des travailleurs. Or, le travail des salariés étrangers fait bien partie de notre périmètre. Nous réclamons que tous les travailleurs aient des papiers. En effet, dès lors qu'ils ne peuvent régulariser leur situation administrative, cela crée toutes sortes de structures et d'arrangements qui profitent de ces situations, avec des pratiques telles que le prêt d'identité pour aller travailler. Nous connaissons tous ces schémas. En agriculture, des sociétés ont vu le jour il y a quelques années, notamment Terra Fecundis, que mon organisation syndicale a traîné en justice et qui a été condamnée à plusieurs millions d'euros pour non-paiement des cotisations, fraude et traite humaine. Le lendemain, ils ont créé Terra Nova. Il faut une vraie volonté des pouvoirs publics de lutter. En tant que syndicalistes, nous n'avons pas toujours l'impression que cette volonté est présente lorsque nous signalons ce genre de société. Elle se manifeste immédiatement quand la situation déborde et que des cas deviennent intolérables. Si nous portions sur ces sociétés qui importent de la main-d'oeuvre étrangère un regard plus accru, en mettant en place des règles pour qu'elles puissent entrer sur le territoire, nous en sortirions grandis. La directive sur le détachement s'est un peu améliorée, mais elle reste beaucoup trop perfectible. Il faut mettre en place des critères français et européens pour autoriser une société à faire travailler et à proposer des travailleurs étrangers, et pour l'interdire à une autre qui ne paie pas ses cotisations sociales ou ne respecte pas certaines normes. Aujourd'hui, tout est permis, tout le monde entre sur le marché. Je connais bien l'agriculture : j'ai été secrétaire fédérale dans ce secteur et je suis fille d'agriculteur, donc je connais bien le milieu des TPE. Certains savent que le coût de la main-d'oeuvre qui leur est proposé n'est pas possible, mais ils y vont quand même. Si eux le savent, ne me dites pas que les pouvoirs publics l'ignorent, ou alors c'est qu'ils sont défaillants.
Je suis en charge des outre-mer dans ma confédération, c'est donc un sujet que je connais bien, nous sommes très attachés à ce que l'emploi privé puisse continuer d'être accompagné. Nous ne nous reconnaissons pas dans cette image des outre-mer qui voudrait que, sans les fonctionnaires, ces territoires ne pourraient pas vivre. Nous sommes donc très attachés à ce qu'ils puissent se développer, produire et acquérir une certaine indépendance, notamment une souveraineté alimentaire qu'ils n'ont souvent pas. Il faut les accompagner sur les développements locaux pour qu'ils puissent développer leur industrie, leur agroalimentaire et leur agriculture locale. Nous avons beaucoup surveillé ce qui se passait à Mayotte. Quand on dit que le coût de la main-d'oeuvre est cher, on ne peut pas dire que c'était le cas à Mayotte. Nous avions un niveau de Smic qui va atteindre celui de la France hexagonale en 2027. Concernant la lutte contre l'immigration clandestine là-bas, il y a beaucoup à faire. Nous sommes sur une île avec toutes les particularités qui font que les points d'entrée sont partout, ce qui rend les choses extrêmement compliquées. Quand on y a passé un peu de temps, il y a deux ou trois mois, certaines choses sont assez ahurissantes et donnent l'impression que l'État français est parfois très absent. Quand on voit dans le port de Mayotte les bateaux qui ont coulé suite au cyclone et qui n'ont pas encore été évacués, dont on voit les carcasses plusieurs mois après. C'est un exemple parmi d'autres, car cette île, faute de ramassage des ordures pendant plusieurs semaines au moment où j'y suis passée, est quasiment devenue une décharge publique.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous nous y sommes également rendus avec la commission début mai, et Mme Jacques peut témoigner qu'elle a vu, elle aussi, de réelles améliorations.
Mme Patricia Drevon. - J'y suis allée, pour ma part, fin février.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - En tout cas, fin avril, début mai, la situation s'était tout de même améliorée.
Mme Patricia Drevon. - Concernant le débat sur l'âge de départ, un salarié peut travailler jusqu'à 70 ans. Ce n'est qu'à cet âge que l'employeur peut le mettre à la retraite. Le débat actuel vient du fait qu'un salarié sur deux arrivant à la retraite n'est plus en activité. C'est avant tout cela que nous cherchons à améliorer pour favoriser l'emploi des seniors. Cela a d'ailleurs fait l'objet d'une brochure du Sénat.
M. Valentin Rodriguez. - Pour répondre aux questions sur l'industrie automobile, je commencerai par le « stop-and-go ». Cette question nous apparaît essentielle. Nous avons besoin de stabilité, car les évolutions technologiques nécessaires pour l'automobile représentent des investissements en milliards d'euros. Subir à chaque fois un recul ou une accélération du processus est très déstabilisant. Le message que les industriels font passer est qu'ils ont besoin d'une stabilité et qu'elle soit globalisée.
Vous avez évoqué le choix du SUV électrique. Malheureusement, en France, ce choix date d'avant la transition énergétique. Aujourd'hui, les constructeurs français ne produisent sur le territoire national quasiment plus que des SUV, en dehors des véhicules utilitaires légers qui fonctionnent encore très bien.
J'ai une observation sur la question des volumes fabriqués en France et en Europe, car elle est essentielle pour la viabilité de l'industrie automobile. Après la covid, nous avons perdu, sur le plan européen, trois millions de véhicules immatriculés. Cela représente entre neuf et dix sites d'assemblage, neuf et dix usines qui sont aujourd'hui, entre guillemets, sur la sellette parce qu'elles seraient en trop.
Cette question des volumes est aussi liée à un choix stratégique fait à la sortie de la covid, celui du « pricing power », cette capacité à fixer le prix d'un véhicule très haut sans perte de client. Cela a fonctionné un temps, mais la situation a très vite rechuté. Aujourd'hui, les constructeurs, heureusement, reviennent sur ce choix et remettent les volumes au coeur de la production. C'est essentiel, car cela draine tout un nombre de sous-traitants et d'équipementiers de premier et de deuxième rangs qui ont souffert de l'absence de ces volumes.
Enfin, concernant le marché intérieur, nous sommes de ceux qui estiment que l'on devrait pouvoir prioriser, pour les achats des administrations françaises, les produits fabriqués en France et, à défaut, en Europe. Mais attention, dans l'automobile, si l'on met à défaut un critère européen, on ne favorisera pas la France.
Des solutions ont été mises en place dans certains Länder allemands. Nous devrions pouvoir trouver des mécanismes pour favoriser l'achat de produits français, notamment pour les véhicules, mais pas uniquement.
Mme Fabienne Rouchy. - Sur le manque de stratégie et de planification, nous l'avons tous dit à notre manière : il faut une action publique débattue et coordonnée, qu'il s'agisse de l'industrie ou de la transition écologique. L'Europe et la France ne peuvent pas devenir de simples marchés, au risque de se paupériser. Il faut donc absolument mettre les moyens pour une planification au niveau industriel.
Puisqu'il n'y a pas d'industrie sans acier, nous proposons de construire un géant européen de l'acier dans lequel les États seraient actionnaires majoritaires, en commençant par convertir les aides publiques destinées à la décarbonation en prises de participation. C'est tout à fait possible, et cela se fait ailleurs : la Grande-Bretagne a annoncé la nationalisation de British Steel et l'Italie a mis ArcelorMittal sous tutelle pour empêcher la fermeture d'une aciérie. Des solutions existent donc pour sauver notre industrie traditionnelle et structurante de l'acier.
Concernant la filière automobile, des erreurs ont été commises, les industriels le reconnaissent eux-mêmes. Comment sortir de cette ornière ? L'industrie, c'est le temps long. Ce sera donc compliqué et il faudra travailler sur la durée, tant sur les formations pour avoir les salariés nécessaires que sur l'adaptation des filières à des évolutions phénoménales. Il faut réagir très vite, or les réactions actuelles ne nous semblent pas à la hauteur de l'enjeu, qui est très important.
Sur la transition écologique, devons-nous en rabattre ? Ce qu'a donné la commission mixte paritaire sur la loi Duplomb est une erreur catastrophique, pour l'environnement comme pour les humains. Nous le paierons très cher sous peu. Un euro non dépensé dans la transition écologique peut coûter jusqu'à huit fois plus cher demain. Nous ne préparons pas l'avenir.
Aujourd'hui, nous fermons des écoles parce qu'elles ne sont pas en capacité d'accueillir convenablement les enfants par forte chaleur. Or, les fortes chaleurs et les épisodes climatiques extrêmes vont se multiplier ; tous les scientifiques s'accordent à le dire. Ce n'est pas un délire de quelques écologistes, mais un fait documenté. Nous ne faisons pas suffisamment pour les éviter. Il y aura des conséquences très importantes en matière d'assurance, puisque certains risques ne seront plus considérés comme aléatoires et que les compagnies ne voudront plus les couvrir. Quand nous en serons là, nous verrons comment les pouvoirs publics géreront la situation. Au Cese, nous avons beaucoup travaillé sur ce sujet : il faut prendre des mesures sans délai. Les collectivités, au gré des projets de loi de finances successifs qui leur retirent des moyens, ne sont plus en mesure d'assurer la rénovation des bâtiments publics. Elles ont gelé des programmes de rénovation et certaines nous disent qu'elles vont continuer à le faire. Personne ne mesure aujourd'hui les impacts, en tout cas pas suffisamment au niveau du Gouvernement et de certains parlementaires. Concernant le logement, nous plaidons pour un grand service public du logement. Si nous laissons le marché gérer la situation, nous aurons un déficit de logements, et surtout de logements adaptés. La France compte 7,5 millions de passoires thermiques ; l'enjeu est donc majeur. S'agissant des travailleurs étrangers, bien sûr, il faut des règles. Ma camarade de Force ouvrière l'a très justement dit. Il faut des règles, mais il faut aussi les faire appliquer. L'inspection du travail en France est exsangue ; ses agents n'ont plus les moyens de contrôler. Si nous laissons faire, nous nous retrouverons dans des situations comme en Champagne avec le procès sur la traite d'êtres humains. Je ne suis pas sûre qu'en 2025, il soit très glorieux d'en arriver là dans notre pays. Il faut vraiment mettre en place des règles et les moyens de contrôler leur application. Enfin, il y a énormément de travailleurs sans-papiers, et la CGT a mis en oeuvre beaucoup d'actions pour leur régularisation. Il faut, à un moment donné, s'efforcer de respecter les droits humains.
Concernant l'outre-mer, je donnerai un simple exemple pour ne pas être trop longue : la loi de programmation pour Mayotte. La CGT a proposé une sorte de mission parlementaire dans le cadre de laquelle notre syndicat local a reçu des parlementaires, des syndicalistes ainsi que des mandatés au Cese, qui étaient consultés, puisque le Gouvernement a l'obligation de nous consulter sur les lois de programmation. Nous avons formulé des propositions extrêmement fortes, partagées par la délégation pour l'outre-mer au Cese, dans laquelle nous siégeons.
Il convient d'aller plus loin dans l'accompagnement des territoires et des départements d'outre-mer, car ils se trouvent dans une situation extrêmement difficile, y compris s'agissant de la transition écologique. On le constate pour l'eau et dans de nombreux autres domaines. Il faut les accompagner mieux et davantage.
Enfin, sur les fins de carrière, nous plaidons pour la retraite à 60 ans, pour une retraite décente à cet âge. Si des salariés souhaitent travailler plus longtemps, qu'ils puissent le faire, bien sûr, mais que ceux qui veulent partir à 60 ans en aient la possibilité. Nous plaidons également pour des dispositifs tels que le temps partiel pour les seniors.
M. Nicolas Blanc. - Je reviens sur un point : pourquoi avons-nous ces logiques de « stop-and-go » ? La difficulté, comme je l'ai dit au ministre de l'économie, est que nous n'avons pas de doctrine économique, pas de stratégie. Pourtant, nous sommes capables d'en avoir. En matière de cybersécurité, par exemple, nous avons su élaborer une doctrine très complète qui permet de réagir lorsque nous subissons des attaques. Pourquoi le cas de Vencorex est-il si compliqué ? Pourquoi est-il si difficile pour la puissance publique d'intervenir ? Cette question de la doctrine est fondamentale.
On parle de logique de « stop-and-go », mais il y a aussi, à mon sens, une logique de « go-and-stop ». Je songe à MaPrimeRénov' : une ambition politique est systématiquement revue à la baisse, ce qui est dommage. Certes, il y a les logiques économiques, mais c'est toujours le même schéma : nous avons une ambition politique, mais nous ne sommes pas capables de la porter. Est-ce également lié à la doctrine ? C'est possible.
Il y a aussi la question des stratégies d'entreprise. Regardez Stellantis et la financiarisation de l'économie. Carlos Tavares a très bien fait fonctionner l'entreprise, mais sur une courte durée. L'a-t-il préparée aux grands enjeux de demain ? Je n'en suis pas sûr.
Un autre exemple, lié non pas tant à la doctrine qu'à la stratégie, concerne les bornes de recharge électrique. Quand on regarde les prix, la logique des tarifs, des cartes, c'est le Far West. Nous avions commencé à réfléchir à ce que l'État intervienne, y compris avec de grands acteurs industriels, pour mettre en place un maillage et le penser. Nous ne l'avons pas fait. Par conséquent, nous nous retrouvons aujourd'hui avec dix cartes différentes. La situation est tout de même particulière. Au-delà des logiques de « stop-and-go », il y a toutes les logiques qui les entourent.
Enfin, je voulais revenir sur la question des travailleurs sans-papiers. Il y a quelques années, une loi sur l'immigration comportait deux volets : un volet sécuritaire et, surtout, un volet social sur les métiers en tension, porté à l'époque par Olivier Dussopt. Cette loi a-t-elle répondu à la question ? Au vu de la liste des métiers en tension actuelle, que nous avons tous consultée, la réponse est claire. Il est d'ailleurs assez incroyable que, parmi ces métiers, figurent aussi de nombreux emplois du secteur tertiaire.
Certains pays, comme l'Espagne, ont été capables d'avoir une vision très claire, de naturaliser, etc. C'est du courage politique. Et derrière, cela représente de la croissance, ce sont des leviers de croissance. Soit nous adoptons une dynamique d'ouverture, soit nous nous refermons sur nous-mêmes et nous n'arrivons pas à réfléchir en termes de compétitivité et de croissance.
Enfin, vous parliez de la co-construction à l'allemande. La différence est que, là-bas, elle est inscrite dans la loi, car on y considère les partenaires sociaux comme des partenaires crédibles. Alors que nous essayons de faire évoluer les modèles de gouvernance, par exemple, là-bas, ces modèles relèvent d'une véritable co-gouvernance. Faut-il donc réfléchir à ces modèles pour parvenir à cette co-construction ? En tout cas, aujourd'hui, nous en sommes loin.
M. Cyril Chabanier. - Je ne reviendrai pas sur le « stop-and-go » ; je partage complètement votre analyse, de même que sur la question de la main-d'oeuvre étrangère.
Nous avons une différence de fond : certaines organisations syndicales estiment devoir s'engager sur des sujets sociétaux, tandis que d'autres, comme celle de Patricia Drevon ou la mienne, préfèrent se concentrer sur des sujets purement syndicaux, déjà extrêmement nombreux et difficiles à traiter. Je comprends néanmoins la première logique et les deux sont parfaitement respectables.
Un mot sur le paritarisme, qui fonctionne plutôt bien en général. Vous avez parlé d'Action logement, qui fonctionne extrêmement bien. La gestion des retraites complémentaires est tout de même assez bonne et celle de l'Unédic n'est pas si mal non plus. Comme quoi, les organisations syndicales ne sont pas si inutiles et ne gèrent pas si mal que cela ! D'ailleurs, nous gérons tellement bien que la grande proposition du Premier ministre est de nous confier aussi la gestion du régime général des retraites. Le Gouvernement n'aurait pas cette idée s'il pensait que nous gérions mal ce qui est déjà sous notre contrôle.
Concernant le logement, nous partageons d'énormes inquiétudes. Les remontées du terrain sont catastrophiques et les carnets de commandes se vident. Il y a un lien direct : l'épargne n'a jamais été aussi élevée, ce qui signifie généralement que la construction n'est pas au rendez-vous. Il va falloir réorienter l'épargne et sûrement jouer sur les taux d'intérêt, mais c'est extrêmement compliqué. Comme le disait ma collègue, quand la construction vacille, la France tremble économiquement. Cela doit donc être la priorité absolue.
Je dirai un mot sur l'outre-mer. Je partage parfaitement l'avis de Mme Drevon sur le fait que l'économie privée doit y être extrêmement importante et très soutenue. J'étais en Guadeloupe et en Martinique il n'y a pas si longtemps, et le président du conseil général me disait : j'ai un vrai problème quand on nous parle des effectifs dans les collectivités territoriales, parce qu'ils disaient concrètement : « moi, si dans la famille, il n'y a pas un fonctionnaire, la famille ne vit pas. » Que faire de cela ? On nous dit qu'il faut baisser le nombre de fonctionnaires, alors que je suis dans un territoire où, pour qu'une famille vive, il faut un fonctionnaire.
Il faut également soutenir le secteur privé et changer cette logique. Il y a beaucoup à faire sur le partage de la valeur, qui est un sujet très important dans les outre-mer, comme dans l'Hexagone.
Je suis catastrophé par les aberrations que je vois dans les outre-mer, et pas seulement dans l'emploi. En Guyane, le prix de la viande est monumental. Les habitants mangent d'ailleurs plutôt du gibier local que de la viande achetée. On a pourtant du boeuf incroyable au Brésil et en Argentine, deux pays producteurs considérables. Or, j'ai découvert que le boeuf part du Brésil, va à Rungis pour y être contrôlé, et repart de Rungis en Guyane, avec un prix multiplié par trois, sans parler du coût écologique. C'est tout simplement incroyable, alors que la Guyane et le Brésil ne sont qu'à une demi-heure de distance. On empêche les gens d'avoir accès au boeuf.
En Guadeloupe, 80 % du poisson consommé est surgelé. Il y a tellement de normes aberrantes qu'on est sur une île où l'on ne peut quasiment plus pêcher. Vous allez en Guadeloupe, vous mangez du poisson surgelé. Je suis catastrophé.
Je ne parle pas de Mayotte, car mes collègues en ont énormément parlé. Mais quand allons-nous avoir un raisonnement global face à toutes ces aberrations ? C'est un sujet qui nous préoccupe beaucoup. Quand je vois ce qu'il y a devant nous à faire, la charge de travail m'effraie. Je suis très motivé, cela ne m'a pas découragé, mais c'est tout simplement incroyable.
Chaque fois, il y a une aberration, et il va falloir que nous prenions cela à bras-le-corps. Concernant la retraite, j'étais dès le départ favorable au système universel à points, qui serait le meilleur système, ou bien à une retraite à la carte. Cependant, il n'y a pas de problème pour continuer à travailler en France, puisqu'une entreprise ne peut licencier un salarié qu'à partir de 70 ans. Je ne suis pas une très grande adepte du cumul emploi-retraite, qui est l'un des problèmes. Premièrement, de nombreuses personnes n'en ont pas besoin pour vivre et veulent néanmoins continuer. Je suis d'ailleurs tout à fait opposée aux surcotes, qui devraient relever de la solidarité. À un moment donné, il faut cesser cela. D'un autre côté, beaucoup de gens sont obligés de travailler parce qu'avec leur retraite, ils n'ont pas de quoi remplir leur réfrigérateur à la fin du mois, ce qui est une autre catastrophe. En effet, tant que l'on permet le cumul emploi-retraite, on admet qu'il n'est pas grave que la personne qui a travaillé toute sa vie ne perçoive que 950 ou 1 000 euros de retraite. Ce n'est pas grave, puisqu'elle peut y recourir si elle n'a pas assez pour vivre. Lorsqu'on a travaillé toute sa vie, et je me situe en dehors du débat sur les 64 ans, lorsqu'on a cotisé quarante-trois ans, on devrait avoir une retraite digne. Il existe en France le Smic, qui est le salaire minimum pour vivre. Par définition, quelqu'un qui a travaillé toute sa vie ne devrait pas avoir moins que le Smic. Quand on a dix points de moins chez les jeunes, il faut tout de même, de temps en temps, laisser un peu la place. Je ne suis donc pas un très grande adepte de ce système, autant que je suis un très grand partisan de la retraite progressive.
Je ne suis pas un très grand partisan des cumuls emploi-retraite qui, d'un côté, ne sont pas très utiles pour vivre et qui, de l'autre, ne permettent pas de traiter le vrai sujet : celui d'avoir une retraite décente quand on a travaillé toute sa vie. Il va falloir que, dans ce pays, l'on s'interroge sur le fait de pouvoir n'avoir jamais travaillé de sa vie et de percevoir le minimum vieillesse, qui peut n'avoir que 150 euros d'écart avec une pension de retraite. Quand je dis cela, ce n'est pas pour diminuer le minimum vieillesse, mais on ne peut pas avoir seulement 150 ou 200 euros d'écart avec quelqu'un qui a travaillé quarante-trois ans de sa vie. Il va donc falloir examiner également ce point.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci beaucoup, mesdames et messieurs. Merci d'avoir répondu à notre invitation. Nous mesurons combien il était important pour nous et pour l'ensemble des commissaires, dans leur diversité et avec les convictions portées par chacun, de mener à bien cette audition.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo, disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 12 h 15.