COMMISSION MIXTE PARITAIRE
Lundi 30 juin 2025
- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques du Sénat -
La réunion est ouverte à 14 h 30.
Commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur
Conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution et à la demande du Premier ministre, la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur s'est réunie au Sénat le lundi 30 juin 2025.
Elle procède tout d'abord à la désignation de son Bureau, constitué de Mme Dominique Estrosi Sassone, sénateur, présidente, de Mme Aurélie Trouvé, députée, vice-présidente, de M. Pierre Cuypers, sénateur, rapporteur pour le Sénat, et de M. Julien Dive, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale.
La commission mixte paritaire procède ensuite à l'examen des dispositions restant en discussion.
Mme Dominique Estrosi Sassone, sénateur, présidente. - Permettez-moi tout d'abord de souhaiter la bienvenue à nos collègues de l'Assemblée nationale pour cette commission mixte paritaire.
Nous sommes réunis aujourd'hui afin de parvenir à un accord sur les dispositions restant en discussion, soit les huit articles, de la proposition de loi visant à lever les contraintes au métier d'agriculteur, déposée par nos collègues Laurent Duplomb et Franck Menonville.
La base de notre discussion est le texte adopté par le Sénat le 27 janvier dernier puisque l'Assemblée nationale a adopté une motion de rejet préalable de la proposition de loi le 26 mai dernier.
Je rappelle, bien entendu, qu'il ne peut y avoir d'accord partiel en commission mixte paritaire (CMP) : notre accord final devra porter sur l'ensemble des articles du texte restant en discussion.
Il s'agit donc cet après-midi de nous accorder sur la rédaction proposée par nos rapporteurs sur la base du tableau comparatif inséré dans vos dossiers.
Comme vous en avez désormais l'habitude, le texte surligné correspond à la rédaction globale de chaque article que les deux rapporteurs nous proposent d'adopter. Sont indiqués en rouge les corrections, ajouts et suppressions qu'ils proposent d'un commun accord.
Comme il est de coutume de le rappeler, la CMP n'est pas une nouvelle lecture. Aucune disposition nouvelle ne peut être ajoutée et la règle de l'entonnoir est d'application stricte, car il s'agit de trouver une rédaction commune du texte en discussion et non d'ouvrir des sujets nouveaux : c'est pourquoi certaines dispositions ont été déclarées irrecevables.
Dans ce cadre contraint de la CMP, nous sommes convenues avec la présidente Aurélie Trouvé d'organiser le débat en vue d'assurer une bonne intelligibilité du texte soumis au vote. À chaque article, nos rapporteurs présenteront la rédaction retenue - naturellement, la présidente de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale, Sandrine Le Feur, pourra faire de même sur les articles pour lesquels elle avait une délégation au fond. Chaque groupe pourra alors présenter soit la ou les rédactions globales alternatives qu'il propose, soit expliquer son vote pendant deux minutes, comme il est de coutume au Sénat, y compris lorsque le même auteur présente plusieurs rédactions globales alternatives.
Mme Aurélie Trouvé, députée, vice-présidente. - La commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale a examiné cette proposition de loi du 13 au 16 mai derniers. Je remercie notre rapporteur, Julien Dive, pour le travail qu'il a mené.
Les débats en commission ont été nourris : dix-sept heures de réunion ont permis d'adopter 91 amendements pour aboutir, à l'issue de nos travaux en commission, à un texte comportant 26 articles, contre 8 dans la version adoptée par le Sénat.
La commission du développement durable et de l'aménagement du territoire s'est saisie des articles 5 et 6 ; je salue le travail de sa présidente, Sandrine Le Feur, qui était rapporteure pour avis sur ce texte.
Je regrette que le débat n'ait ensuite pas eu lieu en séance publique, l'Assemblée nationale ayant adopté une motion de rejet préalable ; nous travaillons donc sur le texte adopté par le Sénat. Comme vous, madame la présidente, je souhaite que les différents points de vue puissent s'exprimer lors de cette CMP.
La commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale avait adopté plusieurs modifications importantes.
L'article 1er avait été l'occasion d'une longue discussion sur la nature et les modalités du conseil stratégique phytopharmaceutique, que la commission avait rendu obligatoire dans son texte.
À l'article 2, nous avions replacé l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) et l'évaluation scientifique indépendante au centre de la prise de décision. J'espère que les rapporteurs nous proposeront de préserver cet acquis fondamental.
À l'article 3, nous avions préservé les modalités de consultation du public pour les installations d'élevage. Par ailleurs, un article additionnel introduisait un moratoire de dix ans pour les élevages de saumons à circuit fermé.
La commission du développement durable et de l'aménagement du territoire avait introduit des modifications importantes à l'article 5 ; je pense, par exemple, à la création d'une nouvelle catégorie de zone humide ou encore à la délimitation d'aires d'alimentation de captage.
La rédaction de l'article 6 visait à préserver l'autonomie de l'Office français de la biodiversité (OFB). Nous avions ajouté une disposition tendant à sanctionner les campagnes publiques dénigrantes ou infondées à l'encontre des agents de la police de l'environnement ; les rapporteurs y reviendront.
La règle dite de l'entonnoir s'applique : à ce stade, nous ne pouvons plus introduire de dispositions n'ayant pas un lien direct avec celles adoptées par l'une ou l'autre de nos assemblées. Ainsi, de nombreux articles additionnels qui avaient été introduits par nos deux commissions ne pourront pas être à nouveau présentés aujourd'hui. Certes, des propositions de rédaction ont été déposées en vue de la CMP, mais elles ne refléteront pas entièrement les choix de notre assemblée.
À titre personnel, je rappelle que la transition écologique et la santé humaine ne sont pas des options politiques, mais des nécessités ; la canicule en cours est là pour nous le rappeler.
Je nous souhaite à tous collectivement un bon travail.
M. Julien Dive, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Cette proposition de loi trouve son origine dans les manifestations du monde agricole ayant eu lieu à la fin de l'année 2023 et au cours de l'année 2024. Pour les agriculteurs, ce fut l'occasion d'exprimer leur ras-le-bol, ainsi que certaines revendications portant sur leurs revenus ou les entraves les étouffant au quotidien. Cette proposition de loi répond à une partie d'entre elles.
L'examen de ce texte en commission nous a permis d'avoir un débat de fond. La commission des affaires économiques a ainsi examiné 600 amendements ; 91 ont été adoptés, dont la moitié provenait des groupes d'opposition. J'avais émis un avis favorable pour certains d'entre eux. La commission du développement durable et de l'aménagement du territoire a, quant à elle, examiné 400 amendements, qui portaient sur les deux articles lui ayant été délégués.
La CMP a été convoquée précocement, en raison de l'adoption de la motion de rejet préalable, votée par plus de 70 % des députés : il s'agit bien d'un vote démocratique, à l'inverse, par exemple, du recours à l'article 49-3 de la Constitution, décidé par une seule personne.
La motion de rejet préalable était la réponse à une tentative manifeste d'obstruction : plus de 3 000 amendements avaient été déposés en vue de l'examen en séance. Nous nous retrouvions donc dans une impasse : les délais étaient intenables, le texte n'aurait pas été examiné par l'Assemblée nationale avant la fin de la session extraordinaire.
Nous travaillons donc sur le texte élaboré par le Sénat. Cela dit, je me suis engagé à défendre le travail d'enrichissement mené par les députés, quelle que soit leur appartenance politique. Durant trois semaines, nous avons longuement débattu avec le rapporteur pour le Sénat et avec les auteurs du texte, en vue de rendre nos positions convergentes et d'aboutir à un texte le plus pertinent possible, qui respecterait tant les apports du Sénat que ceux de l'Assemblée nationale. Ce matin, nous sommes parvenus à un compromis, qui respecte le cadre fixé par les députés, notamment en matière de dérogations ; j'y reviendrai. Nous souhaitions aussi valoriser le travail de la commission des affaires économiques, qui avait adopté l'article 7 à l'unanimité, notamment. Nous avons aussi veillé à préserver le rôle de l'Anses ; ainsi, nos collègues du Sénat ont accepté de modifier l'article 2.
Cette proposition de loi vise à répondre aux problèmes du monde agricole, à l'heure où deux enjeux essentiels, qui dépassent notre rôle de législateur, suscitent mon inquiétude : d'une part, l'accord avec le Mercosur ; d'autre part, la nouvelle programmation de la politique agricole commune (PAC), pour laquelle Benoît Biteau et moi-même conduisons une mission actuellement. Travaillons de concert pour préserver l'agriculture française.
M. Pierre Cuypers, rapporteur pour le Sénat. - Nous avons travaillé dur : j'espère sincèrement que nous parviendrons à un accord qui puisse satisfaire nos deux chambres, certes, mais surtout nos agriculteurs, qui, depuis leurs exploitations, nous observent et attendent des réponses. C'est cette vision et ce souci de l'intérêt général qui a animé nos échanges, avec le rapporteur Julien Dive. Ceux-ci ont été constructifs, marqués par l'écoute et l'exigence, et la conscience partagée que l'échec n'était pas une option. Je tiens donc, en premier lieu, à le saluer et à le remercier pour son immense travail. Je tiens en outre à remercier vivement Sandrine Le Feur, rapporteure pour avis, ainsi que Laurent Duplomb et Franck Menonville, auteurs de ce texte, pour leurs échanges exigeants et, je l'espère, fructueux.
Cette commission mixte paritaire clôt un cycle législatif riche en matière agricole, entamé en avril 2024 avec le dépôt, sur le bureau de l'Assemblée nationale, du projet de loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture, porté par notre ministre d'alors, Marc Fesneau, que je tiens ici à saluer pour son engagement sur ces questions.
Pour le Sénat, je pourrais presque dire que ce cycle a débuté en février 2023, avec le dépôt de la proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France, de mes collègues Laurent Duplomb, Pierre Louault et Serge Mérillou. Ce texte faisait suite à un important rapport de notre commission, qui mettait la lumière sur certaines problématiques profondes affectant l'agriculture française, à l'instar de la sur-réglementation. Depuis lors, le Sénat, percevant la colère et le désarroi palpables de toute une profession, n'a cessé de se mobiliser et de prendre des initiatives.
En janvier 2024, ce sont les règles difficilement compréhensibles de la PAC sur les prairies permanentes ainsi que le désarroi face à la maladie hémorragique épizootique (MHE) - en sus d'autres facteurs -, qui ont servi d'étincelle à l'embrasement du monde paysan. Cette mobilisation a conduit le Gouvernement à revoir la copie de son projet de loi d'orientation, pour y adjoindre un indispensable volet relatif à la souveraineté.
Identifiant rapidement les manques de ce texte, malgré tout important, les rapporteurs Laurent Duplomb et Franck Menonville ont alors déposé un second texte, pensé comme un complément nécessaire du premier. Ce texte aborde les sujets qui fâchent, que l'on ne souhaite pas rouvrir par peur de la controverse et du jugement à l'emporte-pièce ; pourtant, ceux-ci minent le potentiel de production de notre agriculture et représentent des contraintes au quotidien pour nos agriculteurs : les effets contreproductifs de la séparation de la vente et du conseil en matière de produits phytopharmaceutiques pour les distributeurs, notamment les coopératives, particulièrement documentés par la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale et les députés Dominique Potier et Stéphane Travert ; les difficultés administratives et d'acceptabilité dans les territoires de projets d'élevage de volaille, d'oeufs et de porc qui cherchent à atteindre une taille critique, nécessaire pour affronter la concurrence des pays d'Europe de l'Est ; l'interdiction de l'usage de trois molécules autorisées partout ailleurs en Europe jusqu'en 2033 ; les difficultés croissantes d'accès à la ressource en eau ; ou encore les relations dégradées avec la police de l'environnement.
Grâce à la détermination du Sénat, au soutien du Gouvernement et de notre actuelle ministre, Annie Genevard, ainsi qu'à celui de nombreux députés, au premier rang desquels Julien Dive - mais je pourrais aussi citer Jean-Luc Fugit - ce texte a poursuivi son chemin, que chacun sait peu orthodoxe, pour finalement parvenir à nous réunir ce jour, en CMP.
Je puis vous assurer que nous n'avons pas ménagé notre peine. Nous avons fait montre d'un esprit constructif et sommes parvenus à un accord sur chacun des huit articles du texte que nous nous apprêtons à vous soumettre.
L'accord trouvé à l'article 1er revient sur les effets contreproductifs de la séparation de la vente et du conseil de produits phytopharmaceutiques, qui a asséché l'offre de conseil, laissant les agriculteurs bien seuls face à la problématique complexe de la réduction des usages. Ainsi, l'équilibre trouvé consiste à réautoriser le cumul de la vente et du conseil pour les seuls distributeurs, mais pas pour les fabricants de ces produits, et, par ailleurs, à maintenir l'interdiction des remises, rabais et ristournes sur ces produits.
Le conseil stratégique phytosanitaire est rendu facultatif, comme plusieurs responsables politiques du socle commun s'y étaient engagés ; en contrepartie, un module sur la stratégie phytosanitaire est intégré au Certiphyto, qui est, lui, obligatoire. Un conseil stratégique global est créé, car, je le répète, la problématique des produits phytosanitaires ne peut être appréhendée isolément du reste de l'exploitation.
L'article 2 a bien entendu fait l'objet de très nombreux échanges avant qu'un accord ne se dégage sur le maintien des apports essentiels du Sénat concernant la dérogation à l'interdiction d'usage des produits phytopharmaceutiques de la famille des néonicotinoïdes. Cette dérogation, déjà très encadrée, a été utilement complétée par le rapporteur Julien Dive, qui a souhaité sécuriser les apports sa commission - il y reviendra.
L'article 3 a fait l'objet d'un relatif consensus entre nos deux assemblées et je me satisfais de cette mobilisation générale pour aider nos filières d'élevage de porc, de volaille ou d'oeufs à s'agrandir pour se moderniser et soutenir la concurrence internationale. Le remplacement des deux réunions publiques d'ouverture et de clôture prévues par la loi relative à l'industrie verte pour les projets soumis à autorisation, par deux permanences en mairie, est de nature à apaiser le dialogue dans les territoires.
Nous donnons la possibilité au Gouvernement de relever plusieurs seuils du régime ICPE (installations classées pour la protection de l'environnement) pour les élevages, y compris bovins. Pour le dernier niveau, celui de l'autorisation, il faudra toutefois attendre qu'un règlement d'exécution issu de la révision de la directive relative aux émissions industrielles, ou directive IED, le permette. J'ajoute que, en raison de la règle de l'entonnoir, nous avons été contraints d'abandonner le projet d'extraire les élevages du régime des ICPE pour créer une catégorie ad hoc. Ce n'est toutefois que partie remise.
Concernant l'article 4, je pense que nous sommes parvenus à un bon compromis, permettant de mieux prendre en compte les réclamations légitimes d'éleveurs constatant, sur le terrain, certains dysfonctionnements du système indiciel sur lequel est basé leur contrat d'assurance multirisque, sans remettre en cause le principe de ce même système indiciel, condition du maintien des assureurs sur ce segment de l'assurance récolte.
L'article 5 a fait l'objet de négociations jusqu'à ce matin, qui ont permis de sécuriser les dispositions relatives au stockage de l'eau, priorité absolue du Sénat, tout en actant le retrait des dispositions relatives aux zones humides, demande forte de l'Assemblée nationale, notamment de Mme Le Feur, que nous avons, dans un esprit de compromis, entendue.
Pour l'article 6, nous sommes convenus avec Julien Dive que la rédaction issue des travaux du Sénat, avec l'appui des amendements du Gouvernement en séance publique, présentait un équilibre permettant de proposer une adoption conforme. Cet article contribuera, notamment par le déploiement des caméras-piétons, à apaiser les tensions qui peuvent parfois voir le jour entre la profession agricole et la police environnementale.
Je ne m'étendrai pas sur les articles 7 et 8, plus techniques et consensuels, qui seront présentés en temps voulu. J'indique simplement que, concernant l'article 7, nous avons fait le choix de reprendre les nombreux apports issus des travaux de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, qui précisent utilement la rédaction initiale du Sénat.
Mes chers collègues, je nous souhaite collectivement des débats cordiaux, apaisés et efficaces. Leur bonne tenue, sous le contrôle de notre présidente, sera l'illustration que, même si nos solutions peuvent être divergentes, nous sommes tous attentifs aux problématiques et aux enjeux de notre belle agriculture et des intérêts de notre pays.
Mme Sandrine Le Feur, députée. - À titre personnel, j'estime que ce texte peut présenter quelques avancées, notamment aux articles 1er, 3 et 6. Les articles 2 et 5 constituent en revanche de graves reculs que la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale n'accepte pas, notamment en ce qui concerne le retour de l'acétamipride, les dispositifs relatifs à l'Anses, les mesures concernant le stockage de l'eau ou encore les zones humides. Je remercie l'ouverture d'esprit de M. Cuypers et M. Menonville, ainsi que leur esprit de compromis, sur les aménagements dont pourraient faire l'objet ces articles.
Pour contrebalancer ces dispositions qui sont difficiles à accepter pour une partie des députés, des avancées sur la protection des captages d'eau pourraient constituer une contrepartie.
Mme Manon Meunier, députée. - Je déplore les conditions d'examen de ce texte à l'Assemblée nationale avec l'adoption d'une motion de rejet.
Malgré les nombreux amendements qui ont été déposés, ce texte aurait mérité un débat, car il y est question de notre modèle agricole, lequel en sort profondément perturbé. Je pense à l'article 3 contre lequel nous nous battrons férocement, car il signifie l'ouverture à des modèles agroindustriels au détriment de l'élevage familial.
De nombreux principes scientifiques sont également remis en cause, ce qui nous inquiète énormément, pour des raisons à la fois environnementales et de santé publique. Nous défendrons les victoires obtenues en commission à l'Assemblée nationale, que ce soit sur l'eau ou sur la question de l'accaparement de la ressource en eau par quelques agro-industriels aux dépens des agriculteurs.
Rappelons que ce texte fait l'objet de nombreuses contestations en France : de nombreux agriculteurs sont contre, car ils réalisent que cette proposition de loi accompagne la fin d'un modèle et signe la fin de leurs exploitations.
Ce n'est pas un texte qui lève les contraintes pour les agriculteurs, c'est un texte qui lève les contraintes pour l'agro-industrie, qui prépare le terrain pour le Mercosur et le libre-échange, pour s'aligner toujours sur le moins-disant environnemental. Par conséquent, demain, il faudra un nouveau texte pour aligner nos normes sociales, car la France ne sera jamais compétitive.
Il va falloir accepter un modèle protectionniste pour notre agriculture.
M. Benoît Biteau, député. - Sur la forme, je suis d'accord avec Mme Meunier et ses remarques sur la façon dont on aborde l'examen de ce texte.
On entend parler d'obstruction. Je revendique avoir déposé 452 amendements, mais je mets au défi quiconque d'en trouver un seul qui aurait eu un tel objet. Tous ont été étayés par des exposés des motifs et des références scientifiques robustes, car il s'agissait de saisir l'opportunité d'un texte venant du Sénat pour ouvrir un véritable débat sur l'agriculture, dont je rappelle qu'elle est un secteur économique, mais aussi écologique fondamental et stratégique pour notre pays. Au lieu d'accepter ce débat contradictoire, on nous a fait passer pour des parlementaires cherchant à faire de l'obstruction.
Sur le fond, je regrette que l'on soit passé à ce point à côté de la cible. Oui, l'agriculture a besoin que l'on traite des difficultés économiques qu'elle rencontre, mais ce n'est pas du tout ce que fait ce texte. On parle d'irrigation, mais seuls 6 % des agriculteurs ont accès à l'eau. Créer du stockage n'offre pas davantage de possibilités d'irrigation. Par ailleurs, seuls 3 % des éleveurs sont concernés par les ICPE ; en d'autres termes, on est en train de faire un pataquès pour un texte qui ne concerne pas 97 % des éleveurs !
M. Dominique Potier, député. - Sur la forme comme sur le fond, ce texte est une entrave au principe démocratique qui devrait prévaloir dans une grande démocratie. Qui plus est, il signifie un renoncement profond à la dynamique de l'agroécologie inscrite par la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt de 2014.
Entrave démocratique, car, sur des sujets essentiels qui touchent à la santé, à la souveraineté, mais aussi à l'économie agricole, nous n'avons pas d'étude d'impact. Nous examinons en effet une proposition de loi.
Qui plus est, le débat a été empêché. Je précise que, sur ce texte, le groupe socialiste a déposé proportionnellement quatre fois moins d'amendements que la droite républicaine. Nous n'avons donc aucune leçon à recevoir. Il faut au contraire louer notre sobriété. Je tenais à rétablir cette vérité.
Ce texte est une atteinte forte à l'agroécologie et à sa dynamique. Si les dispositions contenues dans cette proposition de loi avaient été intégrées à des projets importants en matière de défense de l'élevage, notamment de l'élevage herbager, à des politiques structurantes en matière de recherche de solution de substitution à des intrants chimiques, elles auraient pu être entendues autrement. Or elles sont isolées, comme autant de bombes à fragmentation qui non seulement ne vont pas répondre aux questions de fond de l'agriculture, mais encore vont profondément diviser notre société ; nous le voyons déjà.
Nous sommes sommés de choisir entre agriculture et écologie : c'est une folie et une régression intellectuelle et politique majeure. Les socialistes ne choisiront jamais entre l'écologie et l'agriculture : il faut défendre l'une pour sauver l'autre.
Autre renoncement, la destruction méthodique du Pacte vert, trajectoire dessinée par la Commission européenne, à laquelle le Gouvernement français, par désinvolture ou par complicité, participe dans les sphères bruxelloises.
C'est dire notre désolation. Et les quelques compromis qui ont été trouvés ne parviennent pas à camoufler l'immense recul démocratique que constitue ce texte.
Ce texte ne rend pas service à l'agriculture. Nous avons besoin de renouer aujourd'hui le pacte entre la Nation et agriculture. Loin d'y contribuer, ce texte aura un effet contraire.
Mme Dominique Estrosi Sassone, sénateur, présidente. - Les rapporteurs se sont réparti l'examen des articles pour présenter la rédaction globale commune sur laquelle ils se sont accordés. À l'issue de cette présentation, ceux d'entre vous qui ont déposé des propositions de rédaction globale pourront les présenter.
EXAMEN DES DISPOSITIONS RESTANT EN DISCUSSION
Avant l'article 1er
M. Benoît Biteau, député. - La proposition de rédaction n° 6 tend à rédiger ainsi l'intitulé du titre Ier : « Tirer les conséquences des connaissances scientifiques en matière de pesticides. »
Nous souhaitons ramener de l'objectivité dans le débat à la lumière des différentes expertises scientifiques dont on dispose, qui sont à la fois vitales pour la santé publique et pour la biodiversité dont on aura besoin. Sans biodiversité, sans pollinisateur, on sera en grande difficulté. D'ailleurs, dans ma précédente vie de député européen, tous les voyants indiquaient que ce qui menace la souveraineté alimentaire, sujet qui nous inquiète tous, c'est l'effondrement de la biodiversité et le dérèglement climatique.
Nous devons utiliser les expertises scientifiques pour tenter d'amenuiser l'effondrement de la biodiversité et le dérèglement climatique, pour nous protéger tous, mais d'abord l'agriculture qui est la plus lourdement menacée.
M. Pierre Cuypers, rapporteur pour le Sénat. - Avis défavorable.
M. Franck Montaugé, sénateur. - Comme Dominique Potier l'a dit, le groupe socialiste ne choisira jamais entre agriculture et écologie. Il ne fera pas plus le sacrifice de la santé, de la population française et de l'agriculture. Il faut préserver le triptyque agriculture-écologie-santé.
Je tenais à rappeler notre position.
La proposition de rédaction n° 6 de M. Benoît Biteau n'est pas adoptée.
La proposition de rédaction n° 7 de M. Benoît Biteau est déclarée irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
Article 1er
Mme Manon Meunier, députée. - La proposition de rédaction n° 44 tend à supprimer l'article 1er. Nous refusons de revenir sur ce qui constitue, selon nous, un progrès : la séparation des activités de conseil et de vente de produits phytopharmaceutiques. Quand vous vendez des produits phytopharmaceutiques, vous avez intérêt à faire en sorte que l'on en utilise le plus possible.
Nous défendons l'idée d'un pôle public du conseil, pour des questions de santé publique et de préservation de la biodiversité. Les travaux d'une mission d'information de l'Assemblée nationale que j'ai conduite ont montré que la diminution de la biodiversité dans les zones agricoles s'explique d'abord par l'utilisation de produits phytopharmaceutiques. Des études montrent que l'on pourrait diminuer de 30 % l'usage de ces produits dans certaines cultures céréalières conventionnelles sans aucun impact sur les rendements. Si ce n'est pas fait, c'est en partie parce que ceux qui vendent les pesticides ont tout intérêt à en vendre davantage. Il faut mettre fin à cette logique.
M. Julien Dive, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Plusieurs travaux parlementaires ont montré que la séparation de la vente et du conseil (SVC) n'est pas pertinente en l'état. Elle a, par exemple, empêché l'essor de certaines solutions de biocontrôle utiles en agriculture biologique. Avis défavorable.
M. Hervé de Lépinau, député. - La proposition de rédaction vise-t-elle également les produits de biocontrôle ?
Mme Manon Meunier, députée. - Nous proposons de supprimer l'intégralité de l'article 1er et d'en rester au cadre actuel du plan Écophyto.
M. Benoît Biteau, député. - Peu importe la nature de la vente, nous demandons que le conseil soit indépendant. Le conseil concerne tous les produits, de biocontrôle ou non.
Nous souhaitons que l'agriculteur bénéficie d'un conseil technique, indépendant de la vente de quelque produit que ce soit. La commercialisation d'un produit peut être assortie de préconisations, mais nous demandons un conseil stratégique, intégrant une approche globale de la structure de production et permettant de s'éloigner de la dépendance aux pesticides, de redécouvrir les vertus agronomiques et - pourquoi pas ? - d'aller vers une réduction significative de l'utilisation de pesticides et une augmentation des produits de biocontrôle.
M. Hervé de Lépinau, député. - Il est dommage de ne pas être très précis concernant le biocontrôle.
M. Dominique Potier, député. - Je pense que la séparation des activités de conseil et de vente a été un leurre, voire une entrave au principe de l'agroécologie tel qu'il est mis en oeuvre par les certificats d'économie des produits phytosanitaires. Cet accident industriel a freiné la dynamique Écophyto.
La question de Hervé de Lépinau portait non pas sur le conseil opérationnel, mais sur le conseil stratégique. En commission des affaires économiques, nous avions précisé que nous autorisions les vendeurs à faire du conseil en stratégie en matière de biocontrôle, car il s'intègre par essence dans une dynamique agronomique complexe.
Je précise que le groupe socialiste ne souhaite pas revenir à la situation d'avant-2014. Nous souhaitions inventer une nouvelle dynamique Écophyto reposant à la fois sur une dynamique de filière et sur un conseil agronomique universel global, annuel et obligatoire. Nous sommes bien loin du compte avec les propositions qui nous sont faites aujourd'hui.
La proposition de rédaction n° 44 de Mme Manon Meunier n'est pas adoptée.
M. Pierre Cuypers, rapporteur pour le Sénat. - Nous proposons une rédaction globale de l'article 1er permettant de revenir sur certains effets contre-productifs de la séparation de la vente et du conseil de produits phytopharmaceutiques, qui a tari l'offre de conseil, laissant les agriculteurs démunis face à la problématique pourtant complexe et systémique de la réduction des usages. Je rappelle que seules deux coopératives avaient choisi le conseil et non la vente.
Ainsi, l'équilibre trouvé consiste à réautoriser le cumul de la vente et du conseil pour les seuls distributeurs et non pour les fabricants de ces produits. Nous avions, dès l'examen du texte au Sénat, fait plusieurs pas en direction d'un compromis, car cet aménagement pragmatique de la réforme issue de la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (Égalim) nous semble essentiel. Il me semble de bonne pratique de légiférer en tenant compte des retours d'expérience, y compris lorsqu'ils nous conduisent à revenir sur une réforme qui n'aurait pas porté ses fruits. Cette politique doit être évaluée au regard de sa capacité à réduire les usages de produits phytopharmaceutiques.
Nous proposons donc un assouplissement pragmatique. Pour autant, la rédaction proposée ne manque pas de garde-fous.
Tout d'abord, les distributeurs seront assujettis aux certificats d'économie phytopharmaceutiques (CEPP), dans une logique de compensation, afin de maintenir un cadre incitatif à la réduction des usages. Ensuite, l'interdiction des « 3R » - remises, rabais et ristournes - sur ces produits est maintenue, alors que nous souhaitions initialement l'abroger, car nous la trouvions quelque peu infantilisante. J'ai peu d'expérience, mais il me semble que les agriculteurs ne consomment pas une quantité de produits supérieure à celle dont ils ont besoin, alors que ces produits leur coûtent de l'argent. Par ailleurs, le conseil devra faire l'objet d'une facturation distincte. Cette mesure est un gage de transparence et évitera le mélange des genres, sans pour autant ajouter de contraintes opérationnelles supplémentaires. Enfin, les conditions de délivrance du conseil restent encadrées par un décret relatif aux conflits d'intérêts.
Nous proposons de rendre facultatif le conseil stratégique phytosanitaire, qui n'a pas rencontré le succès escompté. Le rapporteur Julien Dive a défendu son maintien obligatoire ou, du moins, l'obligation d'avoir suivi ce conseil pour bénéficier de certaines aides publiques, par exemple les aides à l'installation. Une telle obligation aurait été contraire à l'esprit de cette proposition de loi, qui a pour objet de lever les contraintes. Par ailleurs, je rappelle que plusieurs responsables politiques du socle commun s'étaient engagés à rendre ce conseil facultatif.
Toutefois, en contrepartie, un module sur la stratégie phytosanitaire est ajouté au Certiphyto, qui est, lui, obligatoire. Ce rendez-vous tous les cinq ans constituera une incitation à suivre le conseil stratégique phytosanitaire, qui est une démarche plus lourde, par exemple à des moments clés de la vie d'une exploitation, comme lors de l'installation ou d'un agrandissement.
Enfin, un conseil stratégique global est créé, en lien avec les diagnostics modulaires du projet de loi d'orientation agricole (PLOA), car, je le répète, la problématique des produits phytosanitaires est systémique et ne peut être appréhendée isolément du reste des problématiques de l'exploitation.
Mme Manon Meunier, députée. - La proposition de rédaction n° 45 prévoit que l'État examine les conditions dans lesquelles il peut mettre en oeuvre la gratuité du conseil stratégique réalisé dans le cadre d'un service public. Nous pensons que si la séparation des activités de vente et de conseil n'a pas fonctionné, c'est non pas pour des raisons techniques, mais faute de moyens pour mettre en oeuvre cette mesure.
La proposition de rédaction n° 85, qui est une proposition de repli, tend à supprimer les alinéas 5 à 7 de l'article actuel. La proposition de rédaction n° 86 est également une rédaction de repli, elle vise à supprimer les alinéas 23 à 25 de l'article 1er. Leur objectif est d'empêcher le cumul de la vente et du conseil en matière de produits phytopharmaceutiques pour les distributeurs.
J'ajoute que la question de la séparation des activités de conseil et de vente est également économique pour les agriculteurs. De nombreux travaux sur l'usage des pesticides montrent qu'il est plus intéressant pour les agriculteurs de diminuer leurs charges, parmi lesquelles figurent les produits phytosanitaires évidemment. Or, le cumul du conseil et de la vente ne permet pas de diminuer la consommation de ces produits et donc de réduire les charges des agriculteurs. Pour des raisons économiques, nous avons donc intérêt à conserver un conseil public indépendant, qui s'oriente vers la diminution de l'utilisation des produits phytosanitaires en France.
M. Dominique Potier, député. - Je présenterai en même temps les propositions de rédaction nos 88, 89, 90 et 91.
Les membres du groupe socialiste considèrent qu'on ne peut pas séparer le conseil et la vente pour les distributeurs. Contrairement à ce qu'a dit M. le rapporteur, le conseil n'a pas tari, il a continué, de façon orale ou sur des morceaux de papier, sans sécurité juridique et sans aucun contrôle. Une telle séparation a été une erreur majeure. Il fallait au contraire à la fois renforcer le conseil à caractère public, d'intérêt général, et contrôler le conseil commercial.
Nous proposons de réinstaurer les CEPP, issus d'un rapport de l'inspection des finances, repris et dévitalisés dans la loi Égalim.
Il s'agissait d'associer la force de la recherche et des instituts techniques à celle de nos coopératives de commercialisateurs, de mettre le génie des filières et le génie des territoires au service d'innovations agroécologiques. Les quelques expériences menées ont été probantes. Malheureusement, la loi Égalim, en interdisant le conseil et la vente, a empêché le monde coopératif, notamment, d'apporter des solutions technologiques issues de la recherche et de les mettre en oeuvre dans les fermes. Nous proposons de réinstaurer cette filière entrepreneuriale.
Par ailleurs, nous proposons d'instaurer via les chambres d'agriculture un conseil agronomique global annuel et universel, qui intègre la réduction des produits phytosanitaires dans une démarche de prise en compte des questions d'eau, de climat, de biodiversité et de santé humaine, celle des paysans et de tous les êtres humains.
Cette approche globale agronomique, au travers d'un conseil public, à deux reprises, à l'automne et au printemps, est une manière de prendre en compte les attentes de la société en même temps que l'intérêt économique du paysan. Il s'agit d'une véritable dynamique agroécologique.
En la réfutant, nous reviendrons à la situation d'avant 2014, alors que tout s'est dégradé depuis lors. Ce serait une perte économique et écologique.
M. Pierre Cuypers, rapporteur pour le Sénat. - J'ai entendu les différents arguments avancés. Je parle en connaissance de cause, je suis moi-même agriculteur. Pour un agriculteur, la première forme d'économie consiste à éviter la dépense. Cela peut être le cas grâce aux conseils qu'il reçoit de ceux qui distribuent des produits phytosanitaires : c'est la mise en concurrence des différents distributeurs qui permet de faire des économies. La séparation de la vente et du conseil n'a pas eu les effets escomptés. Avis défavorable sur l'ensemble de ces amendements.
M. Julien Dive, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Je rappelle que les firmes qui produisent exclusivement des produits de biocontrôle bénéficient d'une exception au principe de séparation du conseil et de la vente maintenu pour les producteurs. Cette disposition devrait répondre aux attentes de plusieurs de nos collègues.
De plus, nous instaurons - et c'est le fruit d'un compromis - l'esprit du conseil stratégique dans le Certiphyto, qui est obligatoire et doit être renouvelé tous les cinq ans.
M. Benoît Biteau, député. - Nous avons déjà eu ce débat à l'Assemblée nationale, j'ai bien saisi le fond de la pensée de mon collègue Dominique Potier.
Nous pouvons partager avec vous le constat selon lequel la séparation du conseil et de la vente n'a pas atteint les objectifs fixés, contrairement à ce que nous escomptions. Cela dit, nous n'envisageons pas les mêmes réponses.
J'ai décelé un biais dans le propos de M. Cuypers : si le conseil vient de ceux qui vendent les pesticides aux agriculteurs...
M. Pierre Cuypers, rapporteur pour le Sénat. - Entre autres.
M. Benoît Biteau, député. - Alors, seuls ceux qui achètent des pesticides peuvent bénéficier d'un tel conseil. Or ceux qui s'engagent dans une sortie totale de l'usage des pesticides méritent, eux aussi, de profiter de cet accompagnement, afin de réussir leur bifurcation vers des pratiques sans recours aux produits phytosanitaires. Affirmer que ceux qui les vendent sont les plus à même de conseiller constitue un biais qui me gêne profondément.
Imaginons un conseil indépendant, sans lien avec la vente de pesticides, dans l'esprit de la loi Égalim. Voilà pourquoi j'appelle votre attention sur la rédaction proposée dans ce texte, qui nous éloigne de l'esprit de la loi Égalim.
M. Marc Fesneau, député. - Comme vous, je ne peux que constater l'échec de la disposition votée - avec les meilleures intentions - dans la loi Égalim de 2018. Il est donc de bon aloi de la modifier - nous avions d'ailleurs déjà eu des débats à ce sujet.
Pourriez-vous confirmer que, dans la rédaction finale, le Certiphyto est obligatoire et renouvelable tous les cinq ans et que lui est adjoint un module sur la stratégie en matière de produits phytopharmaceutiques ?
M. Pierre Cuypers, rapporteur pour le Sénat. - Oui.
M. Marc Fesneau, député. - Le module n'est pas optionnel. On doit comprendre que, dans le Certiphyto, qui est obligatoire, un module sera prévu ?
M. Jean-Claude Tissot, sénateur. - Le module est facultatif.
M. Marc Fesneau, député. - Non, le module est intégré au Certiphyto qui est obligatoire.
Mme Aurélie Trouvé, députée, vice-présidente. - Ma question reprend celle de M. le ministre Fesneau : ce module est-il facultatif ou obligatoire ? S'il y a un point important dans l'article 1er, c'est bien celui-là ! Notre rédaction avait remporté une grande partie des voix de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale.
Monsieur Dive, l'amendement de Mme Ozenne, adopté en commission, relatif à l'accompagnement des agriculteurs en difficulté au travers du conseil stratégique a-t-il été repris ? Je n'en ai pas l'impression, et c'est dommage.
Mme Hélène Laporte, députée. - Mon interrogation va dans le même sens : le module est-il obligatoire ? S'agit-il d'un module facultatif à l'intérieur du Certiphyto ? Par ailleurs, des « facturations distinctes » sont évoquées. Pourriez-vous clarifier ce point, s'il vous plaît.
M. Pierre Cuypers, rapporteur pour le Sénat. - Je précise, car je crois que c'est de nature à clarifier le débat, qu'une erreur s'est glissée dans le tableau jauni qui vous a été distribué. Il faut lire : « Le conseil stratégique à l'utilisation de produits phytopharmaceutiques peut être délivré aux agriculteurs utilisant ces produits, notamment lors de leur installation, de la reprise ou de l'agrandissement d'une exploitation agricole. Il comprend un plan d'action pluriannuel pour la protection des cultures de l'exploitation agricole qui s'inscrit dans les objectifs du plan d'action national mentionné à l'article L. 253-6. » La rédaction imprimée est celle adoptée au Sénat : le conseil demeurait facultatif, mais seulement implicitement.
Pour conclure, je répondrai donc simplement : le Certiphyto est obligatoire tous les cinq ans ; le module l'est par conséquent dans le cadre de la formation Certiphyto.
M. Julien Dive, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Pour être précis : le conseil stratégique devient, lui, facultatif. D'ailleurs, les conseils indépendants existent déjà et continueront d'exister, monsieur Biteau. Je connais des agriculteurs en conventionnel qui y recourent. Ne réinventons pas la roue.
En revanche, le Certiphyto est obligatoire ; il doit être renouvelé tous les cinq ans. Il existe trois manières de le renouveler : soit en disposant d'un diplôme datant de moins de cinq ans permettant d'obtenir le Certiphyto, soit en passant un test (QCM), soit, en cas de lacunes, en suivant une formation d'une ou deux journées. Ainsi, dans le cadre de cette formation Certiphyto, le module d'aide à l'élaboration de la stratégie de l'exploitation agricole en matière d'utilisation de produits phytopharmaceutiques serait dorénavant obligatoire.
Mme Dominique Estrosi Sassone, sénateur, présidente. - Les explications des rapporteurs me semblent suffisamment claires.
M. Jean-Claude Tissot, sénateur. - Pour ma part, je n'ai toujours pas compris. Si le Certiphyto est obligatoire, le module ajouté l'est-il aussi ou non ?
M. Julien Dive, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Le conseil stratégique est facultatif ; libre à chacun de le suivre, par exemple tous les deux ans. En revanche, le Certiphyto est obligatoire et doit être renouvelé tous les cinq ans ; et nous y avons ajouté un module sur la stratégie en matière d'utilisation des produits phytopharmaceutiques. Mais il existe différentes façons de passer le Certiphyto. En cas de lacunes, il faut suivre le module de sept heures : il est donc bien obligatoire et non facultatif.
M. Laurent Duplomb, sénateur. - À la suite des débats à l'Assemblée nationale, le conseil stratégique était obligatoire. Or, cette proposition de loi a pour objet de supprimer les entraves et de diminuer les contraintes. Nous avons trouvé un compromis : rendre facultatif le conseil stratégique phytosanitaire, y compris aux étapes clefs de la vie de l'exploitation, à savoir lors de l'installation, de la reprise d'une exploitation ou de son agrandissement, contrairement à ce qui était proposé par l'Assemblée nationale.
Mais, comme M. Dive l'a rappelé, le Certiphyto peut être validé de plusieurs façons, notamment en passant un test (QCM) ou en suivant un jour ou deux de formation. Dans chacun des cas, avec notre proposition, l'agriculteur se verra interrogé sur sa stratégie phytosanitaire. Notre démarche vise à ce que l'agriculteur s'interroge régulièrement sur la manière de faire évoluer sa stratégie d'utilisation des produits phytosanitaires. Nous ne souhaitons pas que cette démarche devienne une contrainte financière ; au contraire, nous voulons que cette question soit posée dans l'une des trois façons d'accéder au Certiphyto.
Effectivement, ceux qui voulaient que le conseil stratégique soit obligatoire tous les deux ans n'ont pas ce qu'ils souhaitaient ; en revanche, si le module du Certiphyto sur la stratégie en matière d'utilisation de produits phytopharmaceutiques avait été rendu pleinement facultatif, jamais l'agriculteur n'aurait eu à s'interroger sur sa stratégie. Or, ce sera le cas dans le Certiphyto.
Il faut arrêter de penser que les agriculteurs seraient si idiots qu'ils se lèveraient chaque matin avec l'envie de se baigner dans des produits phytosanitaires - et d'en utiliser le plus possible... Au contraire, au fil des décennies, le recours aux produits phytosanitaires a diminué. Près de 95 % des molécules les plus dangereuses, c'est-à-dire celles qui sont classées comme cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques, les CMR1, ne sont plus utilisées.
M. Dominique Potier, député. - Grâce à l'Anses !
M. Laurent Duplomb, sénateur. - Les agriculteurs s'interrogent sur leur recours aux produits phytosanitaires, respectons-les. Ils ne font pas de leur utilisation un principe, non plus que de leur achat, du reste...
M. Jean-Claude Tissot, sénateur. - Je comprends donc des propos de MM. Duplomb et Dive que le conseil stratégique n'est pas obligatoire. Si un agriculteur estime que tout va bien sur son exploitation, alors le module n'est pas obligatoire...
M. Franck Menonville, sénateur. - Cela a déjà été dit clairement plus tôt, mais je vais le répéter : le conseil stratégique est facultatif, tandis que le Certiphyto est obligatoire. Cela dit, dans le Certiphyto, sera ajouté un module portant sur la stratégie phytosanitaire de l'exploitation agricole. Ainsi, les agriculteurs qui renouvelleront leur Certiphyto - tous les cinq ans - par voie de formation, qui pourra durer une ou deux journées, auront l'obligation de suivre un module intégré dédié à la stratégie phytosanitaire.
M. Dominique Potier, député. - J'ai été rapporteur de la commission d'enquête sur les causes de l'incapacité de la France à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des effets des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale et notamment sur les conditions de l'exercice des missions des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire. Nous avons consacré des dizaines de pages à ce sujet. M. Stéphane Travert et moi-même avons également publié un rapport dans le cadre du groupe de travail sur le bilan de la séparation de la vente et du conseil en matière de produits phytopharmaceutiques. D'ailleurs, je salue le courage de M. Travert qui, redevenu député, admet les critiques sur la politique qu'il a mise en oeuvre comme ministre - c'est assez rare.
Mme Dominique Estrosi Sassone, sénateur, présidente. - Les rapporteurs l'ont cité !
M. Dominique Potier, député. - Son honnêteté intellectuelle et son exigence de vérité sont rares en politique.
Les conclusions de nos travaux sont claires : sans conseil stratégique obligatoire, le dispositif serait vain.
Nous venons d'assister à ce qui ressemblait à un sketch de Raymond Devos : le module est présenté comme obligatoire... mais en réalité il devient facultatif, puisqu'un simple QCM permet de s'y soustraire. (MM. Pierre Cuypers et Franck Menonville le contestent.)
Alors que nous serons confrontés, dans la décennie, à des défis en matière de santé, d'eau potable et de performance agricole, il me semble dérisoire de devoir attendre cinq ans à compter d'aujourd'hui - et renouveler cela tous les cinq ans par la suite - pour rendre obligatoire cette formation, laquelle ne durera d'ailleurs que quelques heures et pourra être réalisée par un centre de gestion, c'est-à-dire une entité associative et non une chambre d'agriculture. Nous passons à côté d'une occasion extraordinaire d'articuler l'intérêt général d'un territoire - l'eau, l'air, le climat, le sol - et les enjeux économiques. Au lieu de cela, nous libéralisons le conseil ; et la corde de rattrapage prévue est, disons-le, hypocrite.
La proposition commune de rédaction des rapporteurs est adoptée. En conséquence, les propositions de rédaction nos 45, 85, 86, 88, 89, 90 et 91 deviennent sans objet ainsi que les propositions n° 8 et 9 de M. Benoît Biteau et 46 et 47 de Mme Manon Meunier.
L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
Après l'article 1er
Les propositions de rédaction nos 10 et 11 de M. Benoît Biteau sont déclarées irrecevables en application de l'article 45 de la Constitution.
Avant l'article 2
La proposition de rédaction n° 12 de M. Benoît Biteau est déclarée irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
Article 2
M. Benoît Biteau, député. - Par la proposition de rédaction n° 13, les membres du groupe Écologiste et Social demandent la suppression de l'article 2.
Nous considérons en effet que ce qui est ici proposé constitue une régression sans précédent, contraire aux principes de la Charte de l'environnement, donc de la Constitution, et au principe de non-régression inscrit à l'article L. 110-1 du code de l'environnement, qui dispose que « la protection de l'environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l'environnement, ne peut faire l'objet que d'une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment ».
Force est de constater que ces connaissances nous fournissent de vrais motifs de doute quant à la réintroduction des néonicotinoïdes. Il s'agit de réintroduire des molécules qui sont déjà interdites !
Cet exercice comporte des risques, y compris pour d'autres activités agricoles, comme la production de miel par les apiculteurs ; la réintroduction prévue serait désastreuse pour eux. Il convient de s'interroger sur la production agricole dans sa globalité. Nous avons affaire à des molécules ayant un lourd impact sur la biodiversité et, en particulier, sur les pollinisateurs. Comment atteindre la souveraineté alimentaire si l'on détruit les pollinisateurs qui visitent les fleurs à l'origine de grains, de légumes ou de fruits ?
Reconnaissons que la France a été pionnière dans l'interdiction de ces produits, ce qui a conduit l'Union européenne à emboîter le pas. Restons dans cette logique et évitons ce retour en arrière, qui aurait des effets non seulement sur la biodiversité et la santé, mais aussi pour la souveraineté alimentaire, dont beaucoup parlent, sans en avoir toujours un échantillon sur eux, comme aurait dit Coluche !
Mme Manon Meunier, députée. - Les membres du groupe La France insoumise - NFP demandent également, par la proposition de rédaction n° 48, la suppression de l'article 2.
Il s'agit de l'un des articles les plus problématiques de ce texte, qui a constitué l'un des points de blocage majeurs à l'Assemblée nationale, y compris pour le bloc central. C'est aussi de ce fait que celui-ci a soutenu la motion de rejet : un certain nombre de ses députés ne souhaitaient pas que l'on puisse voir qui aurait voté pour la réintroduction de l'acétamipride. Et pour cause : des centaines de médecins nous interpellent, nous expliquent à quel point ce pesticide, l'acétamipride, est dangereux pour la santé, comme pour la filière apicole. On choisirait de soutenir certaines filières en mettant en danger celle-ci, parmi d'autres.
Mais notre opposition à l'acétamipride se fonde avant tout sur des considérations de santé publique. Il s'agit de l'un des néonicotinoïdes les plus dangereux pour la santé ; les produits issus de sa décomposition comptent parmi ceux qui restent le plus longtemps dans le corps humain, avec des effets particulièrement négatifs. On reviendra sur la rédaction proposée, mais il semble bien que ce soit la rédaction du Sénat, la plus permissive et celle au champ d'application le plus large, qui soit maintenue dans le texte des rapporteurs, alors que nous nous y étions largement opposés à l'Assemblée nationale. J'espère que nous aurons des réponses sur ce point, car il s'agit d'un véritable danger public.
M. Dominique Potier, député. - Ma collègue Mélanie Thomin et moi-même demandons également, par notre proposition de rédaction n° 92, la suppression de cet article.
La dérogation que l'on instaurerait par cet article serait une décision politique, faisant suite à une autre, celle de 2016, qui avait abouti à l'interdiction des néonicotinoïdes en 2018. Il nous faut rompre avec le recours à des décisions politiques concernant les molécules et les produits autorisés : la seule voie à emprunter pour ne pas fracturer le pays entre divers récits de l'apocalypse, c'est de s'en remettre définitivement à la démocratie et à la science. La démocratie et la science, en l'occurrence, c'est que l'État de droit fixe à l'Anses un cahier des charges ; elle serait chargée, sans subir de pression de la part de l'opinion ni du marché, de déterminer si tel ou tel produit est dangereux ou non pour la santé humaine et celle de nos écosystèmes.
Or, la dérogation proposée enfreint ce principe de défense par l'Anses de l'intérêt général. Notre ligne, pour l'acétamipride comme pour d'autres molécules ou produits, est que nous devons harmoniser à l'échelle européenne la législation sur les produits phytosanitaires pour éviter les concurrences déloyales, mais aussi aboutir à une Anses augmentée, dotée de meilleurs moyens financiers et capable de prendre en compte, avec déontologie, les effets sur la biodiversité à long terme. La science, seulement la science ; ni politique ni idéologie en la matière ! Or, la démarche adoptée dans ce texte, par son caractère politique, vient fracturer la société en opposant écologie et agriculture.
En outre, cette dérogation apparaît illimitée, ou du moins dépourvue de contrôle à terme par un avis de l'Anses, seule autorité habilitée à évaluer et indiquer ce qui est acceptable et ce qui est, à l'inverse, toxique pour la santé.
M. Julien Dive, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Nous sommes défavorables à la suppression de l'article 2.
Les propositions de rédaction identiques nos 13, 48 et 92 ne sont pas adoptées.
M. Julien Dive, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - L'article 2 est emblématique de cette proposition de loi. Il a fait l'objet de nombreux commentaires et de nombreux fantasmes : il lui a été prêté une portée qu'il n'avait pas, y compris dans sa version issue des travaux de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, dont se rapproche le texte de compromis qui fait l'objet de notre proposition commune de rédaction globale de cet article.
Une série de dispositions relatives au rôle de l'Anses dans la procédure d'autorisation de mise sur le marché (AMM) des produits phytopharmaceutiques avait été supprimée en commission des affaires économiques à l'Assemblée nationale ; elle reste supprimée dans la version que nous vous soumettons. Ne figurent donc plus dans le texte l'information préalable des ministres de tutelle, l'autosaisine du comité de suivi des AMM et le contradictoire généralisé avant toute décision de rejet d'une demande d'AMM.
Nous proposons en revanche d'inscrire à cet article une disposition permettant de fluidifier la procédure de reconnaissance mutuelle des AMM par l'Anses, en donnant au demandeur la possibilité de compléter son dossier par des informations, propres aux caractéristiques du territoire national, qui ne figurent pas dans le rapport d'évaluation de l'État membre de référence. Il s'agit là d'une mesure de bon sens, qui ne remet en rien en cause l'indépendance de l'Anses.
Dans le même sens, le comité des solutions créé par la ministre Agnès Pannier-Runacher au début de l'année 2024, puis relancé à la fin de cette année par la ministre Annie Genevard, voit son existence gravée dans la loi. Cette instance de dialogue entre toutes les parties prenantes recense les filières en impasse et les méthodes pouvant constituer des solutions de remplacement crédibles. Il n'est plus question d'usages prioritaires. Il ne s'agira pas d'imposer à l'Anses un calendrier de travail, comme le texte initial pouvait le laisser craindre à certains égards, mais de permettre le dialogue entre les différents acteurs concernés, dont l'Anses, pour une meilleure compréhension et une plus grande efficacité.
Un autre sujet focalise l'attention au sein de l'article 2 : la possibilité de déroger au principe de l'interdiction d'utiliser des produits contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes - dans la pratique, il est question avant tout de l'acétamipride. Sur ce point, l'effet de l'article n'est ni plus ni moins que de replacer l'évaluation scientifique au centre de la prise de décision.
L'interdiction reste la règle. Cette dérogation par décret ne vaudra pas autorisation d'utiliser n'importe comment des produits contenant de l'acétamipride. Le texte le prévoit clairement, il faudra encore que le produit contenant cette substance se voit délivrer une AMM. Et c'est là que l'on retrouve le rôle de l'Anses, qui avait été écartée du sujet par le législateur en 2016.
Le texte est strictement proportionné à l'objectif recherché : apporter une solution ponctuelle, pour un usage précis, à des filières qui ne disposent pas d'autre solution et qui se retrouvent pénalisées par rapport à leurs voisines européennes qui disposent de ladite solution.
Une nouvelle condition de recours à la dérogation, tenant à l'existence d'une menace grave pour la production agricole, est ajoutée dans le texte de compromis.
La limitation à trois ans de la durée d'application du décret de dérogation, introduite par la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, pourrait constituer une injonction susceptible d'être censurée par le Conseil constitutionnel. Aussi, nous avons privilégié un dispositif tout aussi sécurisant, voire plus encore : trois ans après la publication du décret, puis chaque année, le conseil de surveillance instauré par la loi du 14 décembre 2020 rendra un nouvel avis public déterminant si les conditions légales de recours à cette dérogation demeurent réunies. Le décret devra en tout état de cause être abrogé dès lors qu'une solution alternative apparaît ou que l'une des autres conditions légales n'est plus remplie.
Concernant l'interdiction de replanter des plantes mellifères après utilisation de produits contenant des produits néonicotinoïdes ou assimilés, en application de la dérogation, le principe de l'interdiction figure dans le texte, comme l'avait souhaité la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale. Cette interdiction n'a de sens que pour les cultures annuelles, ce que nous précisons dans notre proposition de rédaction.
Enfin, ce texte de compromis reprend également un autre élément issu des travaux de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale. Il s'agit de compléter l'interdiction, inscrite dans la loi du 30 octobre 2018, ou première loi Égalim, de produire, de stocker ou de transporter des produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives non approuvées au niveau européen, par une interdiction comparable visant les substances elles-mêmes. Nous reprenons là une proposition de plusieurs groupes, y compris d'opposition.
Je pense vous avoir livré une présentation exhaustive de la rédaction de compromis que nous vous proposons pour cet article 2. Nous sommes partis du texte du Sénat, mais bien des apports de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale ont été repris. Je tiens à remercier les sénateurs de leur esprit d'ouverture.
Mme Sandrine Le Feur, députée. - Je souhaiterais qu'une précision soit apportée à l'alinéa 7 de la rédaction proposée par les rapporteurs : il conviendrait d'ajouter qu'une « solution alternative » est « un produit pharmaceutique autorisé ou une méthode non chimique de prévention ou de lutte qui est sensiblement plus sûr pour la santé humaine ou animale ou l'environnement ».
Mme Hélène Laporte, députée. - Je souhaite obtenir du rapporteur deux éclaircissements. Sommes-nous bien d'accord que l'obligation pour le directeur général de l'Anses d'informer le ministère de tutelle avant de rendre un avis ne figure pas dans la rédaction proposée ? Concernant la mise en place de la dérogation, si je comprends bien, le décret sera valable pour trois ans ; ensuite, on demandera au conseil de surveillance d'émettre un avis tous les ans.
M. Julien Dive, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Oui sur les deux points.
Mme Aurélie Trouvé, députée, vice-présidente. - Le principal changement apporté à cet article, me semble-t-il, est que la dérogation sera valable non pas ad vitam aeternam, mais pour trois ans. Je m'interroge fortement sur le caractère « sécurisant », pour reprendre l'expression de M. le rapporteur, du nouveau dispositif.
Le conseil de surveillance qui doit y jouer un rôle a fait l'objet d'un très bon rapport de nos collègues députés Stéphane Travert et Hélène Laporte, qui en font un bilan très mitigé. Beaucoup d'acteurs y voient une chambre d'enregistrement, sans échanges sereins ni constructifs ; on peut s'interroger sur son efficacité. Les représentants de l'Anses et de l'ONG l'ont quitté depuis l'époque de ses travaux. Cela ne fait que renforcer mes doutes, pour ne pas dire plus.
M. Dominique Potier, député. - Nous menons depuis 2023 le combat contre les menaces de mise sous tutelle de l'Anses. Je salue l'engagement du rapporteur Julien Dive sur ce point nodal, peut-être le plus dangereux de la proposition de loi dans sa version initiale ; il est bon d'avoir écarté ce risque, au nom de la science et de la démocratie. Je veux le remercier d'avoir contribué à trouver ce point d'atterrissage, d'avoir cherché à faire en sorte que la réintroduction de l'acétamipride soit la moins libérale et la plus contrôlée possible.
Je souhaiterais cependant obtenir quelques précisions. Vous avez évoqué le rétablissement du pouvoir de l'Anses. Concrètement, un produit retiré du marché il y a sept ans devra-t-il recevoir une nouvelle autorisation pour être remis sur le marché ? Devra-t-elle, aux termes de votre rédaction, être demandée à l'Anses préalablement à cette mise sur le marché, concomitamment, ou à quelle autre échéance ?
Par ailleurs, au vu des expériences passées et des critiques qui lui ont été adressées, quelle autorité le conseil de surveillance aura-t-il pour évaluer la prolongation de ces dérogations mieux que des organismes scientifiques ou des agences auxquels de telles missions sont d'ordinaire confiées par l'État ? Vous aviez, en commission à l'Assemblée nationale, affirmé votre volonté de vous en tenir à trois ans et de limiter à certaines cultures l'effet du dispositif. Ces limites paraissent affaiblies dans la présente version.
M. Marc Fesneau, député. - Je salue le travail des rapporteurs pour faire converger les positions sur cet article complexe. Il est bien que l'Anses demeure un juge de paix scientifique sur les questions relatives aux produits phytosanitaires. Nous ne serions pas dans cette situation si l'on avait écouté les avis de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa - European Food Safety Authority) et de l'Anses, qui ne demandaient pas l'interdiction des néonicotinoïdes ! Le mieux est toujours d'écouter la science, sans se référer à telle ou telle publication isolée. Les autorisations de molécules relèvent normalement de l'Efsa, à l'échelle européenne. En 2016, le choix a été fait de se substituer à cette agence ; les prérogatives de l'Anses n'ont en revanche pas été affectées. Pour que le produit puisse être utilisé, à présent et à l'avenir, il faut une AMM, que l'Anses délivre. J'aimerais comprendre le détail du processus qui sera suivi.
Par ailleurs, je me félicite des dispositions proposées sur la question des pollinisateurs, qui s'inspirent de ce qui a été fait par Julien Denormandie.
M. Jean-Luc Fugit, député. - Je me réjouis que nous parvenions à une solution de compromis proche de la rédaction de l'article que la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale avait adoptée, rappelons-le. C'est un point d'équilibre que notre groupe soutient.
En revanche, nous ne souhaitons pas que la manière dont l'Anses et le Gouvernement échangeront soit réglée dans ce texte, car cela n'aurait pas de sens.
Nous sommes à l'origine de la volonté d'accorder au comité des solutions une valeur juridique et nous sommes également très attachés à la dimension européenne : l'Efsa a autorisé l'acétamipride jusqu'en 2033. On ne peut pas prétendre respecter la science sans garder cela à l'esprit.
J'ai toutefois une question. Il me semble que le rapport du conseil de surveillance chargé du suivi et du contrôle de la recherche et de la mise en oeuvre d'alternatives aux produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes ou présentant des modes d'action identiques à ceux de ces substances sera remis le 15 octobre au Gouvernement et au Parlement, donc aux commissions permanentes. Je souhaite que le texte précise explicitement que l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) en sera également destinataire.
M. Hervé de Lépinau, député. - Nous sommes inquiets ; cet article nous semble avoir vocation à répondre à l'exigence : « pas d'interdiction sans solution », mais sa rédaction actuelle ne règle rien, puisque nous continuons à laisser à l'Anses un pouvoir décisionnaire via des AMM qui seront temporaires, puisque liées aux délais européens. Or, la colère des agriculteurs vient précisément du fait que les Polonais ou les Allemands peuvent continuer à utiliser des molécules qui leur sont interdites, et l'Anses risque de ne pas pouvoir délivrer les AMM.
Je souhaite donc obtenir une précision à ce sujet : si l'Anses, sur la base d'un rapport scientifique, refuse de mettre en oeuvre la possibilité de dérogation qui lui est soumise, nous n'aurons rien réglé.
Mme Manon Meunier, députée. - Je souhaite obtenir des précisions sur le point de reconnaissance mutuelle. Qu'en est-il de la facilitation du passage entre deux zones géographiques de réglementations différentes en matière d'autorisation de nouveaux produits phytosanitaires ? Je comprends bien comment nous simplifions le processus au sein d'une même zone, mais entre différentes zones, des précisions sont encore nécessaires. Il ne faudrait pas priver ceux qui mèneront les évaluations à venir de données nécessaires en matière de santé publique et environnementale.
En outre, j'imagine que vous avez fait des projections sur les cultures concernées par la version actuelle de la ré-autorisation par l'Anses, notamment en termes de nombre de filières, de surface, etc.
Enfin, qu'en est-il de la suppression, à l'alinéa 33, de la condition tenant à ce que les substances actives contenues dans les produits concernés fassent l'objet d'une approbation européenne ?
M. Jean-Claude Tissot, sénateur. - J'ai bien compris comment vous procédez : à la fin, vous autorisez bien la réintroduction des néonicotinoïdes, au moins de l'acétamipride. Vous assurez vous en remettre à la science et rien qu'à la science, mais alors, pourquoi faire fi des rapports et des alertes multiples des scientifiques quant aux conséquences de cette réintroduction sur la santé humaine ? Vous ne prenez en compte que les avis scientifiques qui vous arrangent, mais la démonstration a été apportée que ces produits pouvaient porter atteinte à la santé humaine.
M. Vincent Louault, sénateur. - Je remercie Marc Fesneau de ses propos. Il est vrai que l'Anses n'a jamais demandé le retrait de l'acétamipride et durant nos auditions, ses membres ont déploré que l'AMM fasse l'objet d'une utilisation politique par la loi. La science n'est pas un tiroir dans lequel on choisit ce que l'on veut ! Gardons-nous des excès, nous ne sommes pas là pour faire le buzz.
En audition, j'ai interrogé l'Anses sur la validité de l'AMM : celle-ci est toujours valable, elle n'a jamais été retirée aux firmes concernées par la direction générale de l'alimentation (DGAL), dont c'est une prérogative. L'usage des produits concernés a été interdit par la loi, mais l'AMM est réutilisable, moyennant une mise à jour des dossiers.
Vous pourriez vous battre demain pour repartir de zéro et demander une nouvelle AMM, mais gardons à l'esprit que celle qui avait été accordée par l'Anses est toujours valable. Je n'ai pas obtenu de réponse écrite de l'agence à ce sujet ; mais les fabricants me l'ont confirmé.
M. Benoît Biteau, député. - Je reviens sur le principe « pas d'interdiction sans solution ». Il est inquiétant, à mon sens, que nous ne convoquions la science que sur la partie strictement agricole et pas sur l'approche globale des effets du produit. En ne cherchant de solution qu'à des problématiques agricoles, nous risquons de mettre en danger la santé de nos enfants, car l'acétamipride traverse les barrières placentaires et se retrouve dans le liquide céphalo-rachidien.
Dans une autre vie, j'ai auditionné à deux reprises le directeur général de l'Efsa, qui m'a indiqué que la réglementation des AMM lui semblait défaillante, car elle n'explorait pas les effets à long terme sur l'environnement et la biodiversité, la dangerosité des métabolites de décomposition et l'effet cocktail. Autant de faisceaux de doute me semblent appeler à l'application du principe de prévention.
Remettons-nous-en à une approche scientifique globale, plutôt qu'à un conseil de surveillance qui ne dispose d'aucune compétence scientifique, au risque de mettre en péril les riverains, les enfants, la biodiversité, et donc la souveraineté alimentaire. Nous choisissons des solutions pires que le problème qu'elles sont supposées résoudre, car sans biodiversité nous n'aurons plus de pollinisateurs.
Mme Dominique Estrosi Sassone, sénateur, présidente. - Nous avons déjà entendu cela !
M. Benoît Biteau, député. - La proposition de rédaction n° 14 s'inscrit dans le droit fil de ce que je viens de dire : nous nous sommes référés pour la préparer à une approche scientifique globale, qui prend en compte l'ensemble des aspects des produits en cause. Nous proposons donc de rétablir une interdiction générale des néonicotinoïdes, une mesure que nous n'inventons pas : elle est inscrite dans la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages et dans la loi Égalim.
Nous entendons simplement prolonger ce que la loi dit depuis sept ans et que l'Union européenne a adopté également, car nos éclairages à ce sujet ont conduit à adopter le principe de prévention. Soyons vigilants afin que les solutions que nous adoptions ne se révèlent pas pires que le problème.
La proposition de rédaction n° 49 est déclarée irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
Mme Manon Meunier, députée. - La proposition de rédaction n° 50 vise à remplacer cet article par un alinéa supplémentaire à l'article 1er de la loi du 24 mars 2025 d'orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture, qui liste les objectifs que l'État se fixe pour atteindre la souveraineté alimentaire.
Nous entendons porter l'attention sur la filière noisette, qui a été l'exemple utilisé pour justifier la réintroduction de l'acétamipride. Nous entendons le mal-être de ces producteurs, mais nous remettons en question le développement explosif de la filière en monoculture, ce qui a favorisé la propagation des ravageurs.
Pour autant, son rendement reste aujourd'hui encore supérieur à la concurrence européenne. Il nous semble donc que nous ne pouvons pas réintroduire l'acétamipride, au nom même de la sécurité des cultivateurs concernés et de leur famille. D'autres solutions plus protectionnistes s'imposent, comme la définition d'un prix minimum d'entrée et de contraintes imposées aux industriels. Nous proposons donc de réguler le marché plutôt que de remettre en place un pesticide objectivement toxique.
Les propositions de rédaction nos 51 et 52 sont des positions de repli qui visent à définir un objectif d'interdiction progressive des denrées agricoles produites avec des produits interdits en France. Nous considérons que l'alignement sur les normes moins-disantes n'est pas une solution, nous avons le droit de fixer des normes françaises et d'interdire l'importation de produits qui ne les respectent pas, afin de protéger nos cultures. C'est ainsi que nous retrouverons notre souveraineté alimentaire.
Les propositions de rédaction nos 55, 56, 59, 95, 96 et 97 sont déclarés irrecevables en application de l'article 45 de la Constitution, la proposition de rédaction n° 53 est irrecevable en application de l'article 40 de la Constitution.
M. Julien Dive, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Ce qui fait le poison, c'est la dose ou l'usage. Quand vous caressez votre chat ou votre chien qui porte un collier antipuces, puis que vous plongez votre main dans un ramequin de cacahuètes, vous diffusez de l'acétamipride. Les métabolites qu'on retrouve chez les humains sont très liés à ces biocides, et j'avais donné un avis favorable à l'interdiction de ces produits.
Nous avons fait confiance à la science en rappelant que l'Anses devait garder la main, et l'article 2 a beaucoup évolué. Nous ne faisons pas fi des avis scientifiques, nous nous appuyons sur eux : on trouve des scientifiques partout, mais c'est l'Anses qui est compétente pour les autorisations de produits phytosanitaires et ce rôle est sacralisé.
Nous pourrions déroger pendant huit ans encore, dans le cadre du droit européen ; nous n'avons pas fait ce choix, mais celui d'un délai de trois ans renouvelables. Il aurait été possible d'introduire une nouvelle demande à l'issue de trois ans, mais nous avons préféré inscrire le terme « renouvelable ».
Le délai de trois ans apparaissait comme une injonction au Gouvernement pour la rédaction du décret d'application. C'est pourquoi nous avons modifié le texte en redonnant du poids au conseil de surveillance. J'y siège, je suis le seul ici, je sais ce qui s'y passe et j'en parle en connaissance de cause ! Dire qu'il s'agit d'une chambre d'enregistrement inutile n'est pas exact. Il a été très actif ; par exemple, lors des débats sur la loi d'orientation relative à une meilleure diffusion de l'assurance récolte en agriculture et portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture. Si l'Anses en a claqué la porte, c'est parce qu'il n'est plus convoqué. Nous lui redonnons du poids, chacun reprendra ainsi sa place et son rôle.
De la même manière, la dérogation est octroyée selon un certain nombre de critères : plan de recherche, alternatives... La proposition de rédaction de Sandrine Le Feur est déjà satisfaite par la notion d'alternatives : avis défavorable.
Si l'Anses décide dans deux ou trois, ou à un autre moment, de ne pas attribuer d'AMM, de fait on revient au droit commun et on fait tomber la dérogation - sachant qu'il s'agit d'une dérogation de 120 jours, au titre de l'article 53 du règlement européen, qui déclenche la sollicitation d'une AMM. Le processus est suffisamment encadré par rapport à ce qu'on peut entendre dans la rue ou sur les plateaux de télévision, et suffisamment avancé pour apporter des réponses au secteur agricole.
Madame Meunier, ce n'est pas à moi de vous dire quelles sont les filières concernées. J'ai connaissance des filières qui me sollicitent : évidemment, il y a la filière noisette, pour quelques milliers d'hectares, la filière cerise, également pour quelques milliers d'hectares, peut-être la filière betterave...
M. Vincent Louault, sénateur. - Les pommes !
M. Julien Dive, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Les filières navet, pomme... En supposant que toutes les filières obtiennent la dérogation - on arriverait à 500 000 hectares, soit 1,35 % de la surface agricole utilisée (SAU).
M. Laurent Duplomb, sénateur. - Les propos de Julien Dive sont tout à fait justes. Pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Nous sommes le seul pays en Europe à être tombés dans le piège qui consiste à interdire des produits autorisés partout ailleurs et à mettre des filières entières dans l'impasse, au fil du temps, à coup d'incantations qui ne se révèlent pas être la réalité.
La réalité est simple : l'autorisation des molécules relève de l'Efsa. L'Efsa a interdit quatre substances de la famille des néonicotinoïdes et a conservé l'autorisation de la cinquième, l'acétamipride.
Mais depuis 2014, la France agit différemment de tous les autres pays : lorsque l'Efsa reconnaît une molécule, elle divise la zone européenne en deux parties, la zone sud et la zone nord, et demande à un pays de se porter volontaire pour réaliser les études liées à l'AMM. Un pays dans chaque zone réalise donc ces études, à savoir les préconisations qui seront liées à l'AMM : les distances, les dosages, etc., culture par culture.
Une fois que l'étude est réalisée dans chaque zone, le droit européen prévoit plusieurs possibilités. Première possibilité, que l'Anses autorise une AMM ; deuxième possibilité, que l'Anses établisse une reconnaissance mutuelle avec l'AMM étudiée dans un de ces deux pays représentant une des deux zones. La troisième solution répond à votre question : comme la molécule est autorisée à l'échelle européenne, l'État membre peut, par dérogation, autoriser le produit, en vertu d'une dérogation de 120 jours.
Les deux premières décisions sont prises par l'Anses. La dérogation de 120 jours - et le ministre Fesneau pourra infirmer ou confirmer mes dires - est délivrée par la DGAL. Le problème, c'est que la France s'est mise dans un corner, en interdisant toute seule ce que les autres autorisent : tant que la loi interdit la molécule, il n'y a aucune possibilité d'obtenir une dérogation de 120 jours ni d'établir une reconnaissance mutuelle. Nous sommes donc obligés de faire sauter le verrou de l'interdiction par la loi en ouvrant la possibilité de mettre en oeuvre des dérogations, comme l'a très bien dit Julien Dive ; par la suite, une dérogation de 120 jours sera possible, en attendant d'obtenir enfin une reconnaissance mutuelle pour une AMM. C'est tout l'intérêt de la priorisation des dossiers par l'Anses, principe que nous avions écrit et que nous avons accepté de retirer, par souci de compromis.
M. Pierre Cuypers, rapporteur pour le Sénat. - Cela a été dit et je le répète : pas d'interdiction sans solution. Les plus hautes instances de l'État l'ont également rappelé, en leur temps. Ces produits sont autorisés chez tous nos voisins. La rédaction proposée ne revient pas sur cette malheureuse surtransposition franco-française, mais en atténue simplement la portée, dans des conditions très strictes. Il s'agit d'un compromis, soit l'essence même du travail d'une CMP.
Mme Sandrine Le Feur, députée. - Je me suis inspirée du règlement européen. Il est très important de pouvoir rajouter la définition d'une solution alternative dans ce texte, car l'acétamipride est autorisé au niveau européen. Cette définition ne le concerne pas.
M. Dominique Potier, député. - Il y a trois zones de reconnaissance et non deux. Nos divergences portent essentiellement sur la place de l'Anses dans le dispositif. Monsieur le rapporteur, une nouvelle demande d'AMM est-elle automatiquement formulée dès la mise en service, ou, comme le dit notre collègue du Sénat, l'AMM court-elle et il suffirait alors de lever l'interdiction politique ? C'est un sujet important. Nous avons une position constructive, à savoir de repasser devant l'Anses au préalable ou, au minimum, d'instruire immédiatement une demande d'AMM pour lever les peurs et les risques et cibler un véritable contrôle. À quel moment l'Anses sera-t-elle sollicitée dans le processus que vous proposez ?
Vous n'avez pas répondu à toutes les questions, et notamment à celle-ci : un amendement des écologistes, porté par Delphine Batho et Benoît Biteau, et adopté à l'unanimité à l'Assemblée nationale, concernant l'interdiction de stockage et de commercialisation de produits interdits dans l'Union européenne ou en France, était très précis et comblait un manque de la loi Égalim. A-t-il été repris tel quel ?
M. Benoît Biteau, député. - « C'est la dose qui fait le poison », indiquait M. Dive. Il s'agit d'un concept de Paracelse, datant du XVIe siècle.
M. Laurent Duplomb, sénateur. - Au XVIe siècle, les pesticides servaient à lutter contre la peste...
M. Benoît Biteau, député. - Monsieur Duplomb, je ne vous ai jamais interrompu, veuillez respecter ma prise de parole.
Actuellement, la science nous explique que c'est la dose dans la durée, quelle que soit l'exposition, qui pose problème, notamment pour les maladies chroniques. Il faut intégrer ce paramètre.
Il n'y a pas d'acétamipride dans les produits vétérinaires. Le seul usage domestique de l'acétamipride concerne la lutte contre les fourmis et les cafards. Il n'y en a absolument pas dans les colliers antipuces.
M. Julien Dive, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Si !
M. Benoît Biteau, député. - En revanche, nous avions proposé, et Dominique Potier avait commencé à parler du sujet, qu'avec l'interdiction de ces pesticides dangereux, on interdise non seulement la fabrication dans l'Union européenne, mais aussi l'usage domestique de ces produits. Nous attendons des avancées sur ce point, de manière à nous protéger de contaminations quand on caresse son petit chien ou son petit chat avant de prendre des cacahuètes pendant l'apéritif...
La reconnaissance mutuelle peut être un piège : il faut intégrer les facteurs propres à certaines zones géographiques. On le voit en France avec notamment la pollution des ressources en eau. S'il y a une reconnaissance mutuelle, on peut trouver des pesticides dans des zones hydrologiques particulières qui favoriseraient la contamination de ressources en eau... Je suis très dubitatif sur l'utilisation de cet outil.
Mme Hélène Laporte, députée. - Certains affirment que des filières n'en auraient pas besoin... La filière noisette a subi 65 % de pertes l'année dernière. Les coopératives sont actuellement obligées d'importer des noisettes américaines, qui subissent des traitements bien plus lourds, pour ne pas fermer.
Bien sûr, la reconduction de l'acétamipride ne doit pas durer indéfiniment, mais la coopérative de Cancon, plus grosse coopérative nationale de noisettes, investit chaque année 600 000 euros pour trouver des solutions de rechange aux parasitoïdes afin qu'on puisse se passer d'acétamipride.
Je maintiens mes propos sur le conseil de surveillance. Nous souhaitons une réintroduction de l'acétamipride sur une durée déterminée. Nous savons très bien qu'elle ne durera pas, mais il faut aussi encourager nos producteurs à réaliser ces traitements, pour pouvoir s'en passer ensuite. Actuellement, on ne peut pas faire sans, sinon des filières entières, comme celle de la noisette, vont disparaître. Nous ne pouvons pas nous le permettre.
M. Julien Dive, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - À l'issue de la CMP, monsieur Biteau, je vous enverrai la photographie de la boîte d'un collier antipuces : vous verrez bien qu'il contient bien des métabolites de l'acétamipride... Ce sujet ne concerne pas que le monde agricole. Le lien de cause à effet est à rechercher plutôt de ce côté-là...
On ne pouvait pas ajouter la disposition prévue par l'amendement précité auquel j'avais donné un avis favorable sur les produits biocides, puisqu'elle n'entre pas dans le champ du texte et aurait été déclarée irrecevable au titre de l'article 45.
Monsieur Fugit, le rapport de l'Opecst est remis aux Bureaux de l'Assemblée nationale et du Sénat, qui ensuite le transmettent aux commissions concernées.
Nous voulons faciliter la reconnaissance des dossiers au sein des trois zones. Mais quand les dossiers sont incomplets par rapport aux règles nationales de l'Anses, des informations complémentaires seront évidemment demandées aux entreprises qui déposent une demande d'AMM. Si, demain, vous déposez une demande en Grèce, vous devrez compléter votre dossier sur certains aspects. Nous voulons faciliter la démarche, et rien d'autre.
La règle des trois zones est définie au niveau européen : nous ne pouvons pas intervenir sur ce cadre.
Avant d'établir une dérogation, la DGAL sollicite un avis de l'Anses ; mais à partir du moment où une entreprise fournit de l'acétamipride, elle se met d'office dans le cadre de la demande d'AMM. L'Anses a alors un délai pour étudier le dossier et délivrer, ou non, l'AMM correspondante.
La proposition de rédaction de Mme Sandrine Le Feur n'est pas adoptée.
La proposition commune de rédaction des rapporteurs est adoptée. En conséquence, les propositions de rédaction nos 14, 50, 51 et 52 deviennent sans objet, ainsi que les propositions de rédaction n° 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23 et 24 de M. Benoît Biteau, 54, 57 et 58 de Mme Manon Meunier 93, 94, 98 et 99 de M. Dominique Potier.
L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
Après l'article 2
La proposition de rédaction n° 25 de M. Benoît Biteau est déclarée irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
M. Benoît Biteau, député. - Ma proposition de rédaction n° 26 vise à remettre en cohérence non seulement les aspects sanitaires et environnementaux, mais aussi les pouvoirs publics et le monde agricole. Nous proposons que les substances actives interdites en Europe au titre des pesticides en raison de leur dangerosité sur la santé humaine ne soient pas autorisées pour d'autres usages.
Dans le cas d'expositions aiguës, la dose fait le poison. Désormais, nous sommes confrontés à des maladies chroniques, causées non pas par la dose mais par une exposition de longue durée. Nous voulons que la santé humaine et la biodiversité dont nous avons besoin pour notre souveraineté alimentaire soient protégées par l'interdiction de produits, y compris des antiparasitaires, des insecticides et des médicaments vétérinaires. Dans notre vie quotidienne, au-delà des usages agricoles, nous devons protéger nos concitoyens de ces produits dangereux. Il y va de la cohérence de ce que nous défendons. On ne pourra plus dire que ce sont des expositions dans la vie domestique qui sont à l'origine des problèmes.
M. Julien Dive, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Avis défavorable.
M. Benoît Biteau, député. - Vous avez changé d'avis !
La proposition de rédaction n° 26 de M. Benoît Biteau n'est pas adoptée.
Les propositions de rédaction nos 27, 28 et 29 de M. Benoît Biteau sont déclarées irrecevables en application de l'article 45 de la Constitution.
Les propositions de rédaction nos 60, 61, 62 et 63 de Mme Manon Meunier sont déclarées irrecevables en application de l'article 45 de la Constitution.
Mme Dominique Estrosi Sassone, sénateur, présidente. - Nous examinons d'abord trois propositions de rédaction visant à supprimer l'article 3.
M. Benoît Biteau, député. - L'article 3 vise à simplifier, voire à dénaturer le régime des ICPE. Notre proposition de rédaction n° 30 vise à le supprimer.
Replaçons les choses dans leur contexte : nous allons légiférer pour des bâtiments d'élevage qui ne concernent que 2 à 3 % des installations agricoles, alors que nous voulons actuellement davantage prendre en compte le bien-être animal. Nous savons très bien que ce n'est pas dans ces grandes installations que le bien-être animal est respecté.
Actuellement, nous dénonçons de potentiels accords avec la zone Mercosur, en raison des conditions d'élevage de ces pays... Évitons d'importer ces modes d'élevage sur notre territoire et de reproduire chez nous ce qu'on constate là-bas !
Actuellement, nous devons respecter un certain nombre de directives européennes, comme la directive Nitrates. Malheureusement, le problème des algues vertes s'est rappelé à notre bon souvenir il y a peu de temps. Nous devons revoir la manière dont certaines structures d'élevage se développent, afin de préserver la ressource en eau, et ce jusqu'au littoral.
Nous rencontrons de graves difficultés face à des épizooties. Des études, notamment américaines, établissent un lien évident entre la concentration de ces animaux dans de grands bâtiments d'élevage et l'émergence de ces épizooties. Évitons de favoriser ce type d'élevages !
Ne légiférons pas pour une frange minoritaire d'agriculteurs et restons sur des normes qui nous protègent, dans une approche globale : il faut protéger les agriculteurs, les consommateurs, mais aussi des ressources vitales comme l'air que nous respirons à chaque instant et l'eau que nous buvons tous les jours, ainsi que d'autres activités économiques. Quand on contamine le littoral avec des nutriments comme les nitrates et le phosphore, on met en péril d'autres activités primaires comme la conchyliculture ou la pêche. Soyons cohérents, adoptons une approche globale et évitons de légiférer pour de mauvaises solutions.
Mme Manon Meunier, députée. - Cet article révèle qu'il ne s'agit pas d'une loi de simplification de la vie des agriculteurs, mais d'une loi qui simplifie la vie de l'agro-industrie. Dans le Limousin perdure majoritairement un élevage bovin familial. De nombreux agriculteurs maintiennent les paysages. L'enjeu est de protéger cet élevage familial de la concurrence déloyale. Il faut réguler le marché et investir dans des outils de filière qui appartiennent aux agriculteurs et qui soient performants, comme des abattoirs publics. Nous devons réintroduire en France les filières d'engraissement. Il faut un modèle porté par les agriculteurs et les agricultrices.
Lorsque vous augmentez les seuils pour avoir des élevages toujours plus grands, que vous dérégulez les ICPE, vous facilitez l'installation de projets portés par l'agro-industrie. Dans le Limousin, seuls 13 élevages sur 2 800 sont concernés par les seuils d'autorisation que vous proposez. Vous êtes en train d'accompagner la conversion de notre modèle d'exploitations agricoles familiales vers un modèle porté par l'agro-industrie. C'est une véritable conversion pour l'élevage bovin, mais cette conversion a largement commencé pour les filières avicole et porcine. Nous en voyons le résultat : l'accaparement par deux grosses coopératives en Bretagne de tous les outils de la filière, aux dépens des agriculteurs intermédiaires qui disparaissent les uns après les autres. Nous passons d'un modèle porté par des agriculteurs et des agricultrices à un modèle de salariat agricole, en s'alignant sur le moins-disant international. Ce n'est pas ce que souhaitent les Français et les Françaises pour notre agriculture - d'où notre proposition de rédaction n° 64 de suppression de l'article 3.
Mme Mélanie Thomin, députée. - Dans le Finistère, les éleveurs ont aussi qualifié la loi Duplomb de « loi-balai ». Ils ont considéré qu'ils obtiendraient avec cette loi tout ce qu'ils n'avaient pas eu dans la loi d'orientation agricole... Les éleveurs avaient des attentes fortes en matière de lutte contre la concurrence déloyale, de hausse des revenus, d'accès au foncier, de travail sur les marges de la grande distribution...
Or, cette loi qui cherche à rehausser les seuils ICPE soumises à enregistrement ou soumises à autorisation - qui ne concernent que 2 à 3 % des élevages - tombe un peu à côté. Elle ne concerne que les éleveurs soumis au régime d'autorisation et non ceux qui sont soumis à un enregistrement - soit la plupart des élevages.
La proposition de rédaction n° 100 vise à supprimer l'article 3, afin d'interpeller sur une réforme précipitée des ICPE. Ce débat est une véritable régression en matière de concertation avec les éleveurs concernés, nos concitoyens et le Parlement : le débat a été écarté en séance publique à l'Assemblée nationale, suscitant un réel malaise.
Le Gouvernement voudrait légiférer par ordonnance sur la simplification du régime ICPE. Il est préoccupant que les représentants de la Nation soient à ce point tenus à l'écart d'une réforme aussi structurante, débattue en amont dans des réunions restreintes, sans transparence, et en dehors du cadre légitime de la représentation nationale.
Le 23 juin, les ministères de la transition écologique et de l'agriculture ont rencontré certaines filières, notamment porcine et avicole. Elles ont été averties, de manière informelle, des grandes orientations envisagées par l'exécutif en matière d'ICPE, ce qui n'est pas le cas de la représentation nationale. Selon vous, ce n'est que partie remise.
C'est pour toutes ces raisons, notamment en raison de doutes juridiques sérieux sur la constitutionnalité de votre dispositif, et parce que le Parlement n'est pas suffisamment consulté, qu'il nous semble important de supprimer cet article.
Les propositions de rédaction nos 30, 64 et 100 ne sont pas adoptées.
M. Pierre Cuypers, rapporteur pour le Sénat. - Notre proposition de rédaction globale de l'article 3 a fait l'objet d'un relatif consensus entre nos deux assemblées.
Je salue cette mobilisation générale pour aider nos filières d'élevage de porc, de volaille et d'oeufs à s'agrandir pour se moderniser et faire face à la concurrence internationale.
Le remplacement des deux réunions publiques d'ouverture et de clôture, prévues par la loi Industrie verte pour les projets soumis à autorisation, par des permanences en mairie est de nature à apaiser le dialogue dans les territoires.
Dans certains cas, cependant, il peut être de l'intérêt du porteur de projet d'expliquer son projet devant les riverains et les parties prenantes : nous lui laissons donc la possibilité de demander au commissaire enquêteur le maintien d'une réunion publique.
Nous avons corrigé un effet de bord pour que les sites multiactivités ne bénéficient de la dérogation que s'ils sont soumis à autorisation en raison de leurs activités d'élevage. Je caricature, mais on aurait pu imaginer que Total ouvre une raffinerie et un élevage de dix chiens pour s'exempter de réunion publique !
Pour ne pas reproduire à l'envers les erreurs de la loi précitée, qui voulait simplifier les projets industriels et qui a rendu plus difficiles les agrandissements d'élevage, nous avons retiré les assouplissements de l'enquête publique pour l'industrie hors élevage.
Avec cette loi, l'élevage a dû endosser une cote mal taillée, ce qui prouve bien la nécessité d'adapter, à tout le moins, le régime des ICPE pour les élevages, voire d'aller plus loin en créant une police spéciale environnementale de l'élevage. Malheureusement, nous avons été contraints, en raison de la règle de l'entonnoir, d'abandonner le projet de sortir les élevages du régime des ICPE pour créer ce régime ad hoc. C'est un dommage collatéral de la motion de rejet, mais cela a été le prix à payer pour que nous soyons réunis aujourd'hui pour l'adoption de ce texte. Ce n'est que partie remise !
Nous donnons la possibilité au Gouvernement de relever par décret plusieurs seuils du régime des ICPE pour les élevages, y compris bovins. Pour le dernier niveau, celui de l'autorisation, il faudra toutefois attendre que la révision de la directive IED le permette, au plus tard en septembre 2026. Patience est mère de toutes les vertus !
M. Benoît Biteau, député. - Notre proposition de rédaction n° 31 vise à revenir à la rédaction antérieure aux modifications apportées par la loi Industrie verte. Il s'agit aussi de prendre en compte le projet de directive IED, qui fixera des seuils d'émissions industrielles : attendons son entrée en vigueur.
Nous nous rejoignons peut-être sur un point, avec MM. Cuypers, Duplomb, Menonville et Dive : la directive ne retient pas les bons critères. Plutôt que de fixer des seuils bêtes et méchants - 250 unités de gros bétail (UGB) par exemple -, il faudrait retenir des niveaux de chargement - nombre d'UGB par hectare. Ainsi, les gros élevages avec d'importantes surfaces fourragères et de prairie pourraient être exonérés, à l'inverse des petits élevages hors-sol, qui devront être concernés par la directive IED. Cela encouragerait un modèle d'élevage vertueux, fondé sur le pâturage et l'entretien des espaces naturels.
Les propositions de rédaction nos 69, 70, 71 et 72 de Mme Meunier sont déclarées irrecevables en application de l'article 45 de la Constitution.
Les propositions de rédaction nos 101, 102, 103 et 104 de M. Potier sont déclarées irrecevables en application de l'article 45 de la Constitution.
Mme Manon Meunier, députée. - Notre proposition de rédaction n° 65 vise à supprimer les dispositions que vous avez ajoutées dans la loi d'orientation agricole pour revenir sur les sanctions en cas de manquement aux obligations déclaratives applicables aux installations d'élevage relevant du régime des ICPE. Il s'agissait plus d'un cadeau offert aux porteurs de projets agro-industriels qu'aux agriculteurs et aux agricultrices...
Pour l'exemple de T'Rhéa, dans ma circonscription en Haute-Vienne, cette filiale agro-industrielle est en train de s'accaparer 600 hectares de terres agricoles, pour installer un élevage porté à 100 % par l'agro-industrie et à 0 % par les agriculteurs et les agricultrices. Voilà le modèle qui, demain, pourrait s'imposer partout ! Voilà ce à quoi on aboutirait en relevant les seuils ICPE à outrance. Nous devons, au contraire, protéger l'élevage familial.
Avec notre proposition de rédaction n° 66, les ICPE ne seraient plus autorisées dans les bassins connaissant d'importantes marées d'algues vertes sur les plages. La semaine dernière, l'État a été reconnu partiellement coupable de la mort d'un joggeur sur les plages bretonnes. L'accumulation des algues vertes est la conséquence de la surspécialisation agricole de certaines régions. Nous devons, au contraire, nous déspécialiser et aller vers des élevages plus autonomes.
Je le rappelle, les élevages agro-industriels ne contribuent pas à notre souveraineté alimentaire, puisqu'ils sont hyper-importateurs de matières premières - alimentation animale, engrais... Monsieur Duplomb, prouvez-moi le contraire ! Prouvez-moi que l'élevage porcin industrialisé n'est pas dépendant de matières premières importées : engrais, matériaux de construction, alimentation animale surtout.
L'élevage qui contribue à notre souveraineté alimentaire, c'est l'élevage familial, adossé à une complémentarité polyculture-élevage, dans des régions déspécialisées, porté par des agriculteurs et des agricultrices.
Nos propositions de rédaction ns° 67 et 68 ont le même objet : cesser de soutenir le développement d'exploitations portées par des firmes, qui privent les agriculteurs du choix de leur modèle. On assiste à un accaparement des outils de la filière par quelques grands groupes et quelques grosses coopératives. Les agriculteurs n'ont plus la main sur les outils de production, sur les abattoirs, sur les ateliers de découpe. Ces grosses coopératives ne répondent plus à la raison d'être des coopératives.
Voilà pourquoi nous devons soutenir un modèle d'élevage familial et le développement d'outils publics contrôlés par les agriculteurs et les agricultrices, pour protéger la souveraineté alimentaire française.
M. Franck Montaugé, sénateur. - La rédaction des derniers alinéas de l'article 3, qui prévoit que le principe de non-régression environnementale ne serait désormais plus opposable au relèvement des seuils ICPE pour les élevages bovins, porcins et avicoles, m'étonne. C'est au Conseil constitutionnel, saisi le cas échéant, de répondre à cette question, pas à cette proposition de loi !
Je tiens à rappeler l'importance de l'indemnité compensatoire des handicaps naturels (ICHN) pour soutenir l'élevage. Ce dispositif, que je connais bien dans le Gers, a connu des turpitudes. Le réduire, ce serait sacrifier nos élevages en zones défavorisées. Cet article n'y changera absolument rien.
Mme Aurélie Trouvé, députée, vice-présidente. - Je souhaite que les rapporteurs m'éclairent, au regard notamment de notre vote en commission des affaires économiques.
La rédaction sur le principe de non-régression ne me semble issue ni du Sénat ni de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, mais de la seule initiative des rapporteurs. Me le confirmez-vous ?
M. Julien Dive, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Nous en avons débattu en commission des affaires économiques. Rappelez-vous : l'amendement ne concernait que les élevages bovins, mais ni les élevages porcins ni les élevages avicoles. J'avais alors demandé à nos collègues de bien vouloir retirer leurs amendements, qui écrasaient d'autres dispositions que je souhaitais conserver, et je les avais incités à redéposer leurs amendements en séance, en ajoutant les deux filières manquantes.
Mme Aurélie Trouvé, députée, vice-présidente. - Il me semble que la disposition qui remplace la réunion publique obligatoire pour les ICPE en matière d'élevage soumis à autorisation par une réunion initiale dans les quinze jours provient du texte du Sénat et non de celui de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale.
M. Laurent Duplomb, sénateur. - Effectivement.
Mme Aurélie Trouvé, députée, vice-présidente. - Il me semblait pourtant que nous l'avions retravaillée lors de nos travaux en commission.
Mme Dominique Estrosi Sassone, sénateur, présidente. - Mais le texte n'a pas été voté à l'Assemblée nationale.
Mme Aurélie Trouvé, députée, vice-présidente. - Bien sûr, mais le rapporteur s'est engagé à s'appuyer sur l'examen du texte en commission des affaires économiques, afin que certains de nos apports soient retenus.
Mme Dominique Estrosi Sassone, sénateur, présidente. - Il y en a eu !
M. Vincent Louault, sénateur. - Il y en a déjà eu pas mal !
Mme Aurélie Trouvé, députée, vice-présidente. - Je veux m'en assurer, madame la présidente, car nous découvrons les compromis des rapporteurs.
Pouvez-vous me confirmer qu'il n'y a désormais plus de réponse obligatoire du porteur de projet, sauf à l'égard de l'autorité environnementale ?
M. Franck Menonville, sénateur. - Absolument.
M. Laurent Duplomb, sénateur. - Mais cela n'empêche pas les porteurs de projets de le faire s'ils le souhaitent.
Mme Aurélie Trouvé, députée, vice-présidente. - Il me semble que cela n'est pas non plus issu de nos travaux en commission des affaires économiques. Pouvez-vous me le confirmer ?
Mme Mélanie Thomin, députée. - En entendant dire que cet article 3 constituait un dommage collatéral de la motion de rejet adoptée à l'Assemblée nationale, je ne peux m'empêcher de penser que, finalement, cette loi Duplomb n'est pas au service de l'élevage. C'est un message marquant que nous découvrons au cours de cette CMP.
Je viens d'un territoire d'élevage où les éleveurs attendaient des réponses concrètes, que cette loi ne leur apporte pas. Alors, quand débattrons-nous de ce sujet, de façon fine et démocratique, avec un débat au Sénat, mais aussi à l'Assemblée nationale ?
En commission des affaires économiques, j'ai demandé une cartographie des besoins et des capacités sur les territoires, ainsi que de la répartition des cheptels. J'ai également souhaité que nous disposions de chiffres sur la dynamique des installations, sur la disponibilité foncière, sur l'état des filières amont et aval, etc.
Dans les territoires où l'élevage est précieux pour l'économie locale, nous avons besoin de réponses concrètes et travaillées, que cette loi Duplomb - elle fait l'impasse sur l'élevage - n'apporte pas.
M. Vincent Louault, sénateur. - Ce n'est pas la loi Duplomb !
Mme Dominique Estrosi Sassone, sénateur, présidente. - Un autre effet collatéral de la motion de rejet, qui est de nature à vous satisfaire : il n'y a plus d'habilitation à légiférer par ordonnance.
M. Yves Bleunven, sénateur. - Moi aussi, je viens d'une région d'élevage. Mais ma vision est totalement différente.
On ne peut pas décréter, en janvier, que la souveraineté alimentaire est un intérêt fondamental de la Nation et maintenir, en juin, des freins au développement de l'élevage : ces freins doivent absolument être levés !
Les chiffres sont têtus : les statistiques à notre disposition sur les filières animales montrent que les cheptels sont en baisse, depuis de nombreuses années. Si nous ne faisons rien, nous finirons par importer 50 % de nos besoins - comme c'est déjà le cas dans la filière volaille.
Certains comparent les élevages français à des méga-usines. Pourtant, la taille moyenne de nos élevages est très nettement inférieure à la moyenne européenne - sans parler du reste du monde...
Si l'on pense qu'en gardant nos vieux bâtiments, on va contribuer au bien-être animal, on se trompe complètement. La filière des poules pondeuses, où près de 60 % des élevages ont été convertis vers un mode alternatif, en est un exemple éloquent. Mais pour aller plus loin, il faut construire de nouveaux élevages et cela ne pourra se faire sans évolution de la réglementation.
Certaines propositions de rédaction, qui établissent un lien entre modernisation des élevages et qualité des produits, font de la désinformation totale. Au vu de l'état des bâtiments dans certaines filières, il est urgent de faire évoluer la réglementation pour mettre nos élevages au goût du jour.
M. Franck Menonville, sénateur. - Quand nous parlions tout à l'heure d'effet collatéral, nous aurions pu utiliser ce terme aussi pour la loi Industrie verte, qu'il s'agit de corriger dans cet article.
En matière de taille des élevages, en France, nous sommes très loin de l'usine !
La question du renouvellement des générations, tout particulièrement dans les exploitations laitières, se pose dans nos territoires - et dans mon territoire du Grand Est aussi. Nous devons travailler sur l'attractivité du métier, pour répondre aux aspirations des jeunes agriculteurs. Nous devons aussi faire grandir les exploitations, en permettant aux agriculteurs de s'associer, de travailler en commun, d'embaucher des salariés - la traite, c'est 365 jours par an ! Je compare parfois l'évolution des aspirations des jeunes agriculteurs à celle des jeunes médecins, qui souhaitent travailler au sein de maisons de santé pluridisciplinaires.
Cet article supprime certaines contraintes qui figent le développement des élevages. Le rapport de Laurent Duplomb nous le rappelait : un poulet sur deux consommé en France est importé.
Ne nous voilons pas la face : soit nous produisons, avec des règles exigeantes aux niveaux français et européen, soit nous importons.
M. Daniel Gremillet, sénateur. - Je remercie nos rapporteurs qui, avec cet article, apportent la souplesse dont le monde de l'élevage a besoin.
Ceux qui considèrent que le modèle français de l'élevage est monstrueux au regard du reste du marché unique européen connaissent mal nos territoires : la taille de nos exploitations est très inférieure à la moyenne européenne. Face aux accords internationaux - nous en dénonçons certains -, nos éleveurs français et européens doivent être compétitifs.
L'idée du chargement à l'hectare est une fausse bonne idée. Dans certaines zones herbagères, sans produit chimique, vous faites trois ou quatre coupes. Tout rapporter à l'hectare serait très dommageable aux éleveurs.
Pour donner envie aux jeunes de devenir éleveurs et à ceux qui le sont déjà de le rester, il faut de l'investissement. Mais le labyrinthe des contraintes pour investir est décourageant !
Et n'oublions pas que la France est le seul pays où le groupement agricole d'exploitation en commun (Gaec) est reconnu. Parfois, quatre ou cinq familles travaillent sur une même exploitation !
M. Benoît Biteau, député. - Nous pourrions donner l'impression que le régime des ICPE empêche toute possibilité d'élevage ou d'agrandissement d'élevage ; mais en réalité, nous demandons seulement des garanties sur les plus gros élevages, dans lesquels la ressource en eau, la pollution de l'air et le bien-être animal représentent des enjeux importants. Pour autant, le régime des ICPE ne vise pas à interdire le développement de ce type d'élevage. Simplement, la procédure administrative n'est pas exactement la même.
Monsieur Gremillet, pensez-vous que les structures classées ICPE seront un vecteur d'installations important pour les éleveurs ? Les Gaec, que vous citez, ne sont pas une référence en la matière, puisqu'ils sont contraints à la transparence sur les IPCE.
M. Daniel Gremillet, sénateur. - Ce n'est pas vrai.
M. Benoît Biteau, député. - Nous pouvons donc avancer sur ce sujet.
Pour quelles raisons la filière d'élevage de poules pondeuses d'oeufs a-t-elle évolué ? En tant que député européen, j'ai présidé l'audition sur l'initiative citoyenne européenne (ICE) visant à interdire l'utilisation des cages pour les animaux d'élevage, qui devait intervenir en 2027 ou en 2028. Il s'agissait d'une demande de la société, qui a été intégrée par la filière, pour se sauver elle-même : sans cela, elle aurait tué son marché ! En effet, il n'y a point de salut pour les filières si elles ne satisfont pas les attentes des citoyens, a fortiori quand de l'argent public est en jeu...
Cela me permet de rebondir sur les propos de Franck Montaugé : nous devons nous demander comment soutenir les élevages les plus vertueux, ceux qui entretiennent des espaces de montagne ou des zones humides, qui préservent la biodiversité et qui séquestrent des gaz à effet de serre. Ce sont grâce à ces élevages que la filière n'est plus perçue comme un accélérateur du dérèglement climatique, mais, au contraire, comme un atténuateur de ce phénomène.
Nous devons donc réfléchir aux politiques publiques, comme l'ICHN ou à des mesures agroenvironnementales, susceptibles de soutenir ces élevages et de relancer l'installation des jeunes sur ces zones. J'ai un fils installé en zone humide, dans une réserve naturelle : ce dont il a besoin, ce n'est pas d'un grand bâtiment d'élevage, mais que l'on reconnaisse les vertus de son activité sur le climat, la santé et la biodiversité !
M. Hervé de Lépineau, député. - Trois éléments se dégagent de l'article 3.
Premièrement, si l'on demande à agrandir le dimensionnement des bâtiments, c'est pour que l'exploitation - qui est avant tout une entreprise - puisse entrer dans un modèle économique qui lui permette d'atteindre un point mort. Sans cela, elle devra déposer le bilan, ce que l'éleveur ne fait jamais de gaieté de coeur...
Deuxièmement, le succès de l'agrandissement dépendra de la surveillance du bien-être animal. Sans cela, certaines associations s'empresseront de révéler ce qui pourra être considéré comme des scandales, et le modèle économique périclitera.
Troisièmement, si l'Ukraine entre dans l'Union européenne - ce que plusieurs d'entre vous espèrent -, ce modèle intensif s'imposera, de manière systématique, dans de nombreuses filières. L'une de mes collègues a dit que nous devions éviter d'arriver à un système composé de grandes surfaces où ne travailleraient que les salariés de l'exploitation et où le foncier appartiendrait à des foncières capitalistiques. En réalité, cela existe déjà, et le modèle ukrainien aggraverait la situation.
Nous sommes donc aujourd'hui face à une équation compliquée : nous devons maintenir des exploitations à taille humaine tout en veillant à leur rentabilité. Certes, nous pouvons miser sur une filière qualité : mais sans débouchés, cela ne fonctionnera pas.
M. Laurent Duplomb, sénateur. - Que prévoit ce texte ?
Tout d'abord, la première partie vise à revenir sur les conséquences de la loi Industrie verte. En effet, la création d'une entreprise sur un territoire ne soulève pas les mêmes questions que celle d'un élevage agricole. Le débat obligatoire à l'entrée et à la sortie de l'enquête publique fait de l'agriculteur un véritable punching ball. Nous avons donc voulu rendre ces débats facultatifs et les remplacer par le principe d'un cahier de doléances ou d'un registre prenant en compte les questions des différents pétitionnaires, avec l'accord du commissaire-enquêteur.
En outre, nous avons souhaité revenir sur les questions au fil de l'eau. Entre ces deux débats, l'agriculteur est contraint de répondre à des dizaines de questions, souvent déposées au cours de l'enquête publique par tous les détracteurs de l'installation de ces agriculteurs, alors que ceux-ci sont pour la plupart dans une exploitation familiale.
Or, le travail des agriculteurs ne consiste pas à répondre à de telles questions : le caractère facultatif de ces réponses est donc réaffirmé. Seule la réponse à l'autorité environnementale, dont le rôle est primordial, reste obligatoire.
Ensuite, cette loi vise à supprimer, au plus tard au 1er septembre 2026, les surtranspositions françaises qui ont conduit à imposer les mêmes contraintes en matière de procédures administratives à des dossiers d'installation situés partout en Europe, alors qu'en France, les seuils sont souvent deux ou trois fois plus bas.
Par ailleurs, à l'initiative de l'Assemblée nationale, ce texte tend à ne pas rendre opposable le principe de non-régression environnementale au relèvement des seuils ICPE concernant les installations d'élevage. Sur ce point, madame Meunier, vous avez raison : dans votre département, ce texte n'aura que peu d'effets, car les vaches allaitantes ne sont soumises qu'à un seuil. Par conséquent, les élevages que vous citez ont déjà possibilité de créer des méga-usines et de pratiquer l'agriculture industrielle. Et pourtant, ils ne l'ont pas fait.
En revanche, vous oubliez que les choses évoluent. En effet, les exploitations de vaches laitières sont bien soumises à un seuil, contrairement à ce que vous dites, monsieur Biteau, et celui-ci ne tient pas compte du nombre d'associés.
Ainsi, sur mon exploitation, malgré l'installation de mon neveu, au 1er janvier 2025, le seuil d'enregistrement reste limité à 150 vaches laitières. Pour un total de quatre associés, cela revient à 37 vaches par associé - qui prétendrait que c'est un élevage industriel ? Et quel modèle économique pourrait résister, avec 37 vaches pour un seul exploitant ? Aucun !
En revanche, l'exemption au principe de non-régression environnementale permettra de faire passer le seuil de 150 vaches laitières à 200, et de 400 places d'engraissement à 500, et, donc, d'améliorer la situation.
N'oublions pas qu'avant la loi d'orientation agricole, il était prévu qu'un agriculteur contrôlé avec 151 vaches alors qu'il n'était autorisé qu'à en avoir que 150 risquait jusqu'à 150 000 euros d'amende et un an de prison. Madame Meunier, trouvez-vous cela justifié ? Laissons plutôt un peu d'air à tous ceux qui s'installent en Gaec !
Enfin, il est important de veiller au bien-être animal. Dans mon exploitation, les vaches couchent sur des matelas, des ventilateurs fonctionnent dès que la température dépasse 23 degrés et les bâtiments sont dotés d'une toiture isolée. En effet, nos vaches sont traites par des robots. Ce modèle peut déplaire à certains, mais il a une vertu : la vache doit se déplacer elle-même pour la traite. Et si elle est malade, elle tendra à limiter ses déplacements : il est donc crucial de veiller à son bien-être.
Madame Thomin, le texte ne contient pas d'autorisation à légiférer par ordonnance. En revanche, vous l'avez dit, c'est une mesure attendue par les éleveurs de votre circonscription. En effet, l'ordonnance que vous mentionnez apporterait une simplification par rapport au régime des ICPE en créant quatre catégories au lieu de trois et apporterait un peu d'air aux éleveurs. Toutefois, le risque que cette évolution soit frappée d'inconstitutionnalité pour des raisons de procédure était trop important pour que nous le prenions. Nous espérons que ce texte, qui résulte d'une entente entre le ministère de l'environnement et le ministère de l'agriculture, prospère, afin que nous puissions inscrire la possibilité que vous appelez de vos voeux dans un autre texte.
M. Pierre Cuypers, rapporteur pour le Sénat. - Je suis heureux de cet échange sur l'article 3, car il nous permet de découvrir l'ensemble des difficultés que vit le monde de l'élevage.
Madame Meunier, les engrais servent à faire pousser les plantes, qui sont elles-mêmes utilisées pour alimenter les animaux. Lorsque les éleveurs cultivent de quoi nourrir leurs troupeaux, ils y consacrent des moyens calculés avec une grande précision.
Si nous voulons protéger les élevages dans notre pays - c'est l'objet même de l'article 3 -, il faut que l'ensemble des mesures aient un caractère économique. Sans cela, nos élevages disparaîtront, quels que soient les territoires ou la taille des entreprises. Les dispositions que nous votons doivent protéger et permettre de développer nos élevages.
Mme Aurélie Trouvé, députée, vice-présidente. - Nous souhaitons encore quelques clarifications, étant donné que nous avons seulement examiné ce texte en commission, et non en séance.
Nous avions limité l'exemption au principe de non-régression environnementale aux élevages bovins. L'élargir aux élevages porcins et avicoles, qui sont bien plus concernés par la question du régime des ICPE, change beaucoup de choses par rapport à ce que nous avions voté en commission des affaires économiques...
J'entends vos arguments sur les vaches laitières, monsieur Duplomb. Cependant, nous parlons des seuils non seulement d'enregistrement, mais aussi d'autorisation, en particulier pour les élevages porcins.
M. Julien Dive, rapporteur pour l'Assemblée nationale - Lors de l'examen du texte en commission des affaires économiques, nous étions revenus au régime antérieur à la loi Industrie verte s'agissant de la consultation du public.
Par ailleurs, un amendement avait été proposé afin de créer une dérogation au principe de non-régression environnementale pour les bovins. Un autre amendement tendait à y intégrer les élevages porcins et avicoles. J'avais demandé le retrait de cet amendement, même si j'y étais favorable sur le fond, parce que son adoption aurait fait tomber toutes les mesures que nous venions de voter. Cet amendement aurait dû être repris en séance - on connaît la suite...
Concernant le droit de s'abstenir de répondre aux observations du public, il s'agit déjà d'un droit existant. Nous nous contentons de le réaffirmer ici dans la loi. Il avait été supprimé en commission, et il est désormais réintégré.
La proposition commune de rédaction des rapporteurs est adoptée. En conséquence, les propositions de rédaction nos 31, 65, 66, 67 et 68 ainsi que la proposition n° 114 de M. Benoît Biteau deviennent sans objet.
L'article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
Après l'article 3
La proposition de rédaction no 32 de M. Benoît Biteau et la proposition de rédaction n° 73 de Mme Manon Meunier sont déclarées irrecevables en application de l'article 45 de la Constitution.
M. Benoît Biteau, député. - Pourquoi la proposition de rédaction n° 32, qui concerne le moratoire sur les élevages de saumons, est-elle déclarée irrecevable ?
Mme Dominique Estrosi Sassone, sénateur, présidente. - Cette proposition de rédaction n'a pas de lien direct avec le texte. Je vous rappelle que nous repartons du texte du Sénat.
M. Benoît Biteau, député. - Cette proposition importante avait pourtant été adoptée à l'unanimité en commission des affaires économiques.
Article 4
M. Julie Dive, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - L'article 4 a fait l'objet d'un accord naturel entre rapporteurs du Sénat et de l'Assemblée nationale, que je vous présente dans cette proposition commune de rédaction. Dans cette affaire, en réalité, le plus difficile a été de trouver un compromis entre les éleveurs et les assureurs.
À juste titre, les éleveurs réclament plus de transparence sur les résultats de l'évaluation de leurs pertes de production en prairie par l'indice satellitaire. Ils souhaitent pouvoir contester cette évaluation lorsqu'il apparaît qu'elle n'est pas conforme à ce qu'ils constatent sur le terrain.
À juste titre, également, les assureurs soutiennent que l'assurance indicielle repose sur un indice qui ne peut être remis en question par des relevés de terrain ou des bilans fourragers, bien connus dans le système des calamités agricoles : sans cela, leur tarification et le modèle économique de ce produit d'assurance innovant ne tiendraient plus.
Le texte de compromis qui vous est présenté comporte une procédure de recours au niveau départemental, comme la proposition de loi dans sa version initiale et dans la version adoptée par la commission des affaires économiques à l'Assemblée nationale.
Toutefois, l'indice ne peut être remis en question que par le comité des indices au niveau national, qui transmet son analyse à la commission chargée de l'orientation et du développement des assurances garantissant les dommages causés aux récoltes (Codar), qui peut elle-même saisir le ministre. Seule une anomalie majeure de l'indice peut conduire à revoir le niveau d'indemnisation.
Par ailleurs, le plan pluriannuel de renforcement de l'offre d'assurance récolte en prairie est maintenu, car la procédure de recours proposée n'épuise pas tous les sujets. Le contenu de ce plan est même précisé, comme l'avait souhaité la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, de façon à mieux intégrer l'ensemble des aléas climatiques ainsi que les associations de cultures.
Enfin, le texte de compromis reprend également un autre élément issu des travaux de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale : il s'agit d'affirmer le principe de pérennisation d'un observatoire chargé de mesurer la pousse des prairies, afin de pouvoir s'assurer dans le temps de la bonne corrélation des indices.
Mme Manon Meunier, députée. - Ma proposition de rédaction n° 74 vise à remettre en question le système assurantiel multirisque que la récente réforme a transformé en un système privatisé qui, à notre sens, ne permettra pas d'indemniser correctement les agriculteurs et les agricultrices à l'avenir, surtout au vu des conditions climatiques qui, comme nous le constatons durant ce mois de juin, se révèlent de plus en plus compliquées...
Nous proposons donc de sortir de ce système privatisé, qui ne présente d'avantages que pour les assurances privées, et d'adopter un système mutualiste pour accompagner la mise en place d'un fonds mutuel et solidaire et mieux soutenir les agriculteurs.
M. Benoît Biteau, député. - Ma proposition de rédaction n° 33 vise à revenir sur les méthodes indicielles actuellement utilisées pour proposer un remboursement aux agriculteurs soumis à des événements climatiques. En effet, celles-ci montrent leurs limites, car elles s'appuient sur des évaluations de photos aériennes par satellite. Elles sont sujettes à des contestations qui font rarement l'objet de retours positifs.
Nous proposons donc la création d'un comité départemental d'expertise qui regrouperait les organisations syndicales représentatives des agriculteurs, l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) et, éventuellement, les filières spécialisées concernant le recours. L'objectif est que les agriculteurs confrontés à des pertes de production, notamment sur les productions fourragères, ne s'appuient pas uniquement sur des vues satellitaires, mais également sur un constat scientifique.
Dans les zones concernées par les submersions marines et les inondations, en 2023, beaucoup d'éleveurs ont cumulé ces deux sinistres. On leur a dit qu'il n'y avait pas eu de problème de pousse de l'herbe et qu'ils ne toucheraient aucune indemnité. Pourtant, une visite sur le terrain est parfois beaucoup plus efficace que l'intelligence artificielle...
Mme Mélanie Thomin, députée. - La proposition de rédaction n° 105 vise à privilégier la version adoptée - à l'unanimité - par la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale. Cette rédaction vise à rendre plus opérante la procédure de recours relative à l'assurance prairie, en expérimentant une assurance récolte permettant de couvrir les risques liés aux espèces nuisibles telles que les sangliers ou le choucas des tours, ce qui représenterait une avancée significative pour la protection des exploitations agricoles.
Actuellement, les dommages causés par ces animaux ne sont en effet pas pris en charge par l'assurance récolte multirisques climatique, qui cible principalement les aléas climatiques tels que la sécheresse ou le gel.
Le Finistère, le Gard et le Lot sont les départements français qui subissent la plus forte hausse du nombre de sangliers ces dernières années. En six ans, la population de sangliers a ainsi augmenté de 366 % dans le Finistère, avec d'importants dégâts causés sur des cultures telles que le maïs, le chou-fleur et le brocoli.
Cette proposition de rédaction vise donc à mieux indemniser les agriculteurs pour les dégâts causés par le grand gibier.
M. Marc Fesneau, député. - Madame Meunier, dire que le système assurantiel est privatisé alors qu'il est financé à hauteur de 75 % par l'Union européenne et l'État est pour le moins osé ! C'est bien l'argent public qui abonde le système assurantiel tel qu'il a été conçu par le Parlement quelques années plus tôt.
Par ailleurs, l'indemnisation des dégâts causés par le gibier est un sujet distinct. Nous pourrions d'ailleurs lancer une réflexion sur les espèces susceptibles d'occasionner des dégâts (Esod), qu'il n'est pas toujours possible de réguler.
En outre, les chasseurs doivent assumer une part de la responsabilité, car la collectivité n'a pas à assumer l'intégralité de leurs actes. Il est en effet bien question d'aléas régulables, et non pas climatiques.
J'en viens au point central du débat en alertant sur le risque de décourager les assureurs : l'indice a en effet été mis au point afin d'éviter aux assureurs de se rendre sur le terrain pour constater les dégâts parcelle par parcelle, ce qui coûterait des dizaines de millions d'euros. Prétendre que les assureurs pourraient s'acquitter de cette tâche, c'est mentir aux agriculteurs.
Il me semblait également que nous nous étions mis d'accord sur l'enveloppe qui serait apportée par l'État : qui paiera si cette dernière est dépassée du fait de la multiplication des recours ? Il me semble que nous sommes confrontés à quelques problèmes budgétaires sur le plan national.
Sur un autre aspect, la rédaction proposée prévoit que « le ministre chargé de l'agriculture invite le fournisseur de l'indice à apporter les corrections qui s'imposent aux résultats de l'indice », ce qui revient à faire intervenir l'autorité politique sur un aspect technique : la démarche est comparable à celle qui consisterait à demander à l'Anses de revoir l'un de ses avis scientifiques au motif qu'il ne conviendrait pas.
Enfin, concernant la mention d'un « plan pluriannuel de renforcement de l'offre d'assurance », les principaux problèmes ne sont pas liés à l'assurance prairie, mais plutôt aux fruits et légumes et à la viticulture : les aléas climatiques sont en effet source de coûts lourds, tandis que les offres assurantielles sont inexistantes, ou alors à des tarifs exorbitants. Un plan pluriannuel sera donc imparfait si on ne pallie pas ce déficit d'offre pour ces filières.
M. Hervé de Lépinau, député. - Sauf erreur de ma part, lorsque vous détenez une assurance multirisque habitation ou voiture, les indemnisations se font toujours à dire d'expert. Je ne vois donc pas pourquoi nous ne pourrions pas y parvenir en matière agricole.
M. Marc Fesneau, député. - Il est bien plus long d'inspecter une parcelle qu'une voiture.
M. Hervé de Lépinau, député. - Il me semble qu'il s'agit d'une question d'organisation.
M. Marc Fesneau, député. - Demandez aux assureurs, et ils vous indiqueront qu'ils ne le feront pas. De mémoire, le coût de ces inspections de terrain est estimé à 100 millions d'euros : qui paiera ?
M. Laurent Duplomb, sénateur. - L'article 4 ne vise en réalité qu'à traiter des anomalies majeures, c'est-à-dire les situations dans lesquelles les indices du satellite ne correspondent pas à la réalité vécue par les agriculteurs sur le terrain. Par exemple, une période de sécheresse marquée par quelques petits orages n'apporte pas suffisamment d'eau pour permettre une pousse de l'herbe, mais assez pour que les espaces ne jaunissent pas : le satellite indique alors qu'il n'y a pas de sécheresse, car les prés sont plutôt verts, mais l'herbe est absente.
Afin de régler ce problème, il était exclu de s'appuyer uniquement sur le comité des indices ; il fallait également trancher entre l'emploi du concept d' « anomalie majeure » et de celui d'« erreur manifeste », le premier présentant l'avantage d'apporter plus de souplesse et de pouvoir contester le bien-fondé des indices des satellites.
Par ailleurs, et comme l'a souligné M. Biteau, une analyse doit être menée au niveau départemental. Je comprends que ceux qui souhaitaient tordre le cou au système des calamités agricoles nourrissent une crainte à cet égard, mais je rappelle que ce comité d'expertise départemental peut être réuni soit à la demande du préfet, soit à la suite d'un certain nombre de réclamations, dont le seuil sera fixé par un arrêté préfectoral, dans chaque département.
Le comité départemental d'expertise procèdera à l'évaluation des réclamations, ce qui n'implique pas l'obligation, pour les assureurs, de réaliser des expertises parcelle par parcelle, avec le coût que vous avez évoquiez. Il est en effet bien question de remontées de terrain, de fermes de référence et d'autres dispositifs qui peuvent permettre d'obtenir un avis départemental d'expertise.
La synthèse de ces travaux sera ensuite transmise au comité des indices et à la Codar, en précisant que le comité des indices procèdera à l'évaluation de la corrélation entre le résultat des indices et les données de terrain. La Codar, quant à elle, décidera de caractériser une anomalie majeure au vu des avis des deux comités ; libre au ministre, ensuite, de décider d'une indemnisation ou non.
Si cette rédaction est sans doute imparfaite, elle permet de tenir compte des possibles erreurs des satellites. J'estime que le nombre de cas sera limité, contenant ainsi le coût des assurances. À ne rien faire, on préservera certes les assureurs, mais on ne fera qu'aggraver l'endettement des agriculteurs, et il nous faut donc agir. La solution que nous proposons a le mérite d'apporter un début de solution.
M. Daniel Gremillet, sénateur. - Je souscris complètement aux propos de M. Duplomb. Nous avons précédemment voté l'article 3, qui concerne au premier chef le monde de l'élevage et de la prairie. Je remercie les rapporteurs pour cette avancée, et je rappelle que, pour que le système assurantiel fonctionne bien, il faudrait que tous les agriculteurs - notamment les éleveurs - soient assurés. Le Sénat, en son temps, avait d'ailleurs considéré qu'un jeune agriculteur qui s'installe devait s'assurer pour sa propre culture.
Aujourd'hui, la question des prairies est posée, car il existe un véritable problème de cohérence avec la réalité des récoltes. Comme l'expérience le démontre, les comités départementaux d'expertise ne sont guère onéreux puisqu'il n'est pas question de faire inspecter toutes les parcelles par un expert, mais de mener un travail par zone très efficace : il est tout à fait possible de couvrir tout un département en l'espace d'une semaine.
S'agissant de l'interprétation satellitaire, je cite toujours l'exemple de la forêt et des erreurs commises au sujet des scolytes : la forêt étant verte, les données satellitaires concluaient à l'absence de scolytes ; or ceux-ci attaquent les troncs par le bas, et ce n'est donc pas parce que la cime est verte que l'arbre est sain - il en va de même pour les prairies.
L'enjeu est capital, notamment pour le monde de l'élevage : si nous ne réussissons pas à inciter les éleveurs à s'assurer pour leurs prairies, il s'agira d'un véritable échec, qui aura des conséquences sur l'avenir de l'élevage dans nos territoires.
Mme Mélanie Thomin, députée. - Il existe une véritable attente dans les territoires quant à la prise en charge des dégâts sur les cultures, en particulier quand ils sont causés par les nuisibles. L'expérimentation que nous avions proposée en commission des affaires économiques constituait une première ébauche de solution.
Pour reprendre l'exemple du choucas des tours et des dégâts qu'il inflige aux cultures de chou-fleur et de brocoli, je souligne que les agriculteurs se retrouvent sans solution lorsque les arrêtés préfectoraux destinés à y remédier sont cassés par le tribunal administratif de Rennes. Une fois encore, ma proposition de rédaction vise à améliorer la prise en compte de ces dégâts.
M. Dominique Potier, député. - Je tiens redire que nous avions des désaccords de fond sur les articles 1er et 2, tandis que notre opposition à l'article 3 était liée à la procédure qui ne nous a pas permis de débattre, alors que le groupe socialiste était disposé à engager un dialogue sur la taille des élevages et le rapport au sol. En revanche, nous voterons l'article 4.
M. Julien Dive, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Je rappelle que le recours n'est pas injonctif et que le ministère invite simplement à la réalisation d'un exercice de comparaison et de contradiction.
Je tiens à répondre à Mme Thomin, car j'avais donné un avis favorable à son amendement en commission des affaires économiques, étant convaincu qu'il concerne un sujet intéressant et pertinent. Pour autant, je ne peux guère maintenir cet avis aujourd'hui, car cela ferait tomber la partie relative à la procédure de recours. Je reste néanmoins attentif à ce sujet que vous portez et qui gagnera à être défendu dans le cadre d'un prochain véhicule législatif.
M. Marc Fesneau, député. - M. Duplomb a affirmé qu'il ne fallait embêter ni les assureurs ni les éleveurs : fort bien, mais ce sera donc le budget de l'État - ou la PAC - qui sera sollicité !
La proposition commune de rédaction des rapporteurs est adoptée. En conséquence, les propositions de rédaction nos 74, 33 et 105 deviennent sans objet.
L'article 4 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
Mme Dominique Estrosi Sassone, sénateur, présidente. - Je suis saisie de trois amendements de suppression de cet article.
M. Benoît Biteau, député. - L'article 5 comporte, à notre sens, des dispositions dangereuses sur le cycle de l'eau : on s'émeut des inondations tous les hivers et des sécheresses chaque été. En vérité, des territoires revêtent un caractère éminemment stratégique pour accueillir l'eau lorsqu'elle est disponible, dont les zones humides. Quand on préserve ces zones, on diminue les risques en laissant l'eau s'infiltrer dans les nappes souterraines,
Nous souhaitons donc, avec la proposition de rédaction n° 34, supprimer cet article. Le recours à des mesures technosolutionnistes telles que les retenues d'eau n'est pas adapté ; revenons à une logique d'aménagement du territoire et pas à des retenues qui ne bénéficient qu'à 6 % des agriculteurs. Utilisons l'argent public autrement, conformément à ce qu'avait fait la commission de l'Assemblée nationale.
Mme Manon Meunier, députée. - Nous proposons également, avec notre proposition de rédaction n° 75, de supprimer cet article, toutes ces mesures s'attaquant aux prairies humides et donc à l'élevage. Accompagner ce recul revient à accepter d'abandonner l'élevage extensif, modèle agricole français.
En lien avec l'article 3, on va là encore vers l'agro-industrialisation de l'élevage pour s'aligner avec le moins-disant international. Vous ouvrez la porte à l'agro-industrie, sans promouvoir aucune mesure de protection des éleveurs familiaux. Où sont les mesures de protection de l'élevage familial ?
M. Dominique Potier, député. - Nous présentons une proposition de rédaction n° 166 pour demander, nous aussi, la suppression de l'article 5.
Permettez-moi au préalable de regretter que toutes les propositions de rédaction que nous avons déposées jusqu'ici, qu'elles portent sur le plan Écophyto, l'élevage ou encore l'eau, aient été déclarées irrecevables. Ne pas pouvoir défendre ses idées, que ce soit devant l'Assemblée nationale ou ici, en commission mixte paritaire, suscite beaucoup de frustration...
Revenons-en à l'article 5. Ce dernier crée une illusion juridique : la reconnaissance d'un intérêt général majeur à tous les projets destinés au stockage de l'eau revêt certes une dimension symbolique indéniable, mais elle ne résistera pas face au droit « dur ». J'ajoute que ce n'est pas parce que l'on désire stocker de l'eau que l'on pourra le faire : cet article va donc alimenter les controverses.
Nous aurions préféré une grande loi sur l'eau permettant au monde agricole d'être partie prenante des débats essentiels auxquels sont associés collectivités, industrie, Voies navigables de France et tous les usagers de l'eau, un texte mettant en valeur à la fois les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (Sdage), les projets de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE), la science et la démocratie, et ce en vue d'intégrer les préoccupations agricoles de manière équilibrée et mesurée.
Enfin, je tiens à souligner un paradoxe : on cherche à introduire une disposition sans portée juridique dans une loi sectorielle sur l'agriculture, alors même que l'actuel Premier ministre, reprenant en cela la proposition de Michel Barnier, organise actuellement de grandes conférences sur l'eau, afin de nourrir la réflexion sur des sujets aussi cruciaux que la gouvernance des bassins versants, la tarification de l'eau ou la protection des captages.
Les propositions de rédaction identiques nos 34, 75 et 166 ne sont pas adoptées.
M. Pierre Cuypers, rapporteur pour le Sénat. - Concernant l'article 5, le Sénat a une nouvelle fois consenti à des compromis non négligeables par rapport au texte initial. Il a notamment consenti à supprimer les dispositions relatives à la hiérarchie des usages de l'eau ou encore aux Sdage, ainsi qu'à leurs déclinaisons locales. L'article que nous vous présentons est donc, comme les autres, le fruit d'un compromis et d'un accord avec Julien Dive autour de l'urgence à préserver les dispositions relatives aux ouvrages de stockage de l'eau et aux prélèvements associés.
En effet, sécuriser l'accès à la ressource en eau en matière d'agriculture est indispensable au maintien et à l'amélioration de notre souveraineté alimentaire. Est-il utile de rappeler que, sans eau, il n'y a pas d'agriculture, et que, sans une agriculture forte, nous exposons notre pays et notre population aux aléas géopolitiques et climatiques mondiaux pour ce qui est de nos approvisionnements, mais aussi de nos engagements vis-à-vis de nos partenaires commerciaux ?
L'article 5 est une étape importante de cette indispensable sécurisation : il s'inscrit dans la droite ligne, du reste, des dispositions figurant à l'article L. 211-1 du code de l'environnement, qui dispose que la gestion équilibrée et durable de l'eau vise, notamment, la « promotion d'une politique active de stockage de l'eau pour un usage partagé de l'eau permettant de garantir l'irrigation ».
La rédaction que nous vous soumettons prévoit ainsi de présumer d'intérêt général majeur les ouvrages de stockage de l'eau et les prélèvements associés dans les zones affectées d'un déficit quantitatif pérenne compromettant le potentiel de production agricole. Cette présomption est en outre conditionnée à une concertation territoriale avec les usagers et à des engagements dans des pratiques sobres en eau. Il ne s'agit donc pas de privatiser l'eau, mais d'en sécuriser l'accès, sous certaines conditions.
Il est en outre prévu que ces mêmes ouvrages et prélèvements soient présumés répondre à une raison impérative d'intérêt public majeur, selon les mêmes conditions. Cette présomption permettrait de déroger à certaines prescriptions de la directive de l'Union européenne du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que des espèces de la faune et de la flore sauvages, dite directive « Habitats ».
Il s'agit là de dispositions cohérentes avec l'article L. 1 A du code rural et de la pêche maritime, selon lequel « la protection, la valorisation et le développement de l'agriculture et de la pêche sont d'intérêt général majeur en tant qu'ils garantissent la souveraineté alimentaire de la Nation ».
Nous avons par ailleurs consenti à retirer les dispositions, importantes, relatives aux zones humides, ce qui représente, pour moi comme pour les auteurs de ce texte, un important pas en avant vers l'Assemblée nationale, dans un esprit - je le redis - de compromis.
Enfin, nous avons intégré, dans notre proposition commune de rédaction, un apport fort utile, suggéré par Marc Fesneau, concernant les études relatives à la gestion quantitative de l'eau. Je laisse notre collègue député en dire un mot.
M. Marc Fesneau, député. - À l'occasion de l'examen de cet article 5, il me semblait important d'aborder la question des études hydrologie, milieux, usages, climat (HMUC). Il s'agit non pas de les remettre en cause, mais de faire en sorte que ces études puissent tenir compte de la dimension socio-économique de cet enjeu, en plus de sa dimension environnementale.
C'est pourquoi il est proposé de préciser que « les études relatives à la gestion quantitative de l'eau prennent en compte les dispositions de l'article L. 1A » du code rural et de la pêche maritime, et qu'« à cette fin, elles intègrent une analyse des impacts socio-économiques des recommandations formulées en termes de volumes prélevables. Cette analyse porte notamment sur les conséquences pour l'emploi, l'alimentation, l'attractivité rurale et les revenus agricoles ».
M. Franck Montaugé, sénateur. - Pierre Cuypers vient d'indiquer que la présomption d'intérêt général majeur des ouvrages de stockage de l'eau serait conditionnée à une concertation territoriale. Cette concertation prendra-t-elle la forme d'une simple information, d'un simple échange, ou consistera-t-elle en des engagements partagés par toutes les parties prenantes ?
Par ailleurs, je ne comprends pas pourquoi on ne privilégie pas le curage des retenues existantes. Il existe là un gigantesque potentiel en eau qu'il serait possible de faire fructifier. J'ai interpellé à plusieurs reprises Marc Fesneau, alors ministre de l'agriculture, sur cette problématique de récupération de l'eau stockée, mais je n'ai, hélas, pas été entendu.
Mme Sandrine Le Feur, députée. - Je tiens tout d'abord à préciser qu'en tant que rapporteure au fond sur l'article 5, je défendais la suppression de cet article en première lecture à l'Assemblée nationale. Permettez-moi ensuite de souligner que je ne suis pas pour autant défavorable par principe au stockage de l'eau, mais qu'il me semble indispensable que la déclinaison des projets se fasse au niveau des territoires, et pas à l'échelon national. Enfin, j'estime qu'il est inacceptable de déclasser les zones humides.
Au bénéfice de ces observations, et dans un souci de compromis, j'ai déposé une proposition de rédaction n° 3, qui prévoit une nouvelle version de l'article 5 préservant les mesures relatives au stockage de l'eau pour l'irrigation, mais supprimant les dispositions concernant les zones humides.
J'ajoute que, de mon point de vue, la référence aux études hydrologiques proposée par Marc Fesneau est problématique.
En premier lieu, ce type d'étude doit prendre en compte les dispositions de l'article L. 1 A du code rural et de la pêche maritime, lequel fait du développement de l'agriculture une raison d'intérêt général majeur ; or, je le redis, les projets doivent être menés au niveau des territoires. En deuxième lieu, les études sont généralement conduites par les agences de l'eau, lesquelles n'ont pas toujours les compétences nécessaires pour établir une analyse à la fois en termes d'emploi, d'alimentation et de revenus agricoles. Aussi, ces études pourraient être contestées juridiquement et invalidées. En troisième lieu, la formulation proposée est trop large, puisqu'elle inclut toutes les études hors HMUC. Il conviendrait donc de la revoir.
Enfin, pour rappel, les études HMUC sont avant tout des études hydrologiques destinées à mieux connaître les disponibilités en eau, en fonction des usages et des conditions hydrologiques, sur un territoire donné. C'est en fait aux documents de planification, les PTGE et les Sdage, qu'il revient ensuite de prévoir la conciliation des usages, selon les ressources réellement disponibles.
M. Benoît Biteau, député. - Nous avons déposé une proposition de rédaction n° 35 qui vise, elle aussi, à réécrire intégralement l'article 5.
Je le dis d'emblée, nous proposons un moratoire sur le stockage de l'eau. Contrairement à la caricature que l'on fait de nous, nous ne sommes pas opposés à l'irrigation ou au stockage de l'eau. Simplement, seuls 6 % de agriculteurs ont accès à l'eau : que faites-vous des 94 % d'agriculteurs restants, monsieur Cuypers ?
Il faut réapprendre à partager l'eau, car, comme le stipulent la loi du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques et la directive du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau, il s'agit d'un bien commun.
Aujourd'hui, il faut réaménager les territoires, pour améliorer le grand cycle de l'eau, et préserver les zones humides, plutôt que tenter de s'affranchir des études HMUC ou d'en contrebalancer les conclusions par des études socio-économiques, comme le préconise Marc Fesneau.
Si, de manière marginale, il s'avère indispensable de réaliser des retenues de substitution à des fins d'irrigation, faisons-le, mais avec parcimonie et en ayant recours à de l'argent public pour garantir une gestion publique de l'eau.
Mme Manon Meunier, députée. - Nos quatre propositions de rédaction nos 76, 77, 78 et 79 visent toutes à réécrire l'article 5.
Par les propositions de rédaction nos 76 et 77, nous proposons que « l'État se donne pour objectif de cesser d'investir des dizaines de millions d'euros dans la création de mégabassines », ces structures qui accaparent la ressource en eau, bien trop souvent pour quelques exploitants et aux dépens du développement de solutions plus durables dont nous aurons pourtant besoin pour faire face à la pénurie d'eau à laquelle nous allons être confrontés.
Pour rappel, les scientifiques estiment que les mégabassines sont des « maladaptations » au changement climatique, qui vont au contraire contribuer à son essor. Aussi, la reconnaissance de l'intérêt général majeur de ces structures dans la loi est inadmissible. Sans compter que l'idée selon laquelle les mégabassines seront bénéfiques pour l'environnement, car l'eau pourra être réinjectée dans les milieux naturels en cas de sécheresse, nous laisse sans voix : chacun sait pertinemment que ces retenues contribuent justement à l'assèchement des zones humides...
Avec les propositions de rédaction nos 78 et 79, nous souhaitons au contraire que « l'État se donne pour objectif de protéger les zones humides », non seulement parce qu'elles sont étroitement associées à un modèle d'élevage extensif qui préserve notre biodiversité, nos paysages, mais aussi nos emplois, et qui fonde ce que sont certaines de nos campagnes aujourd'hui, mais aussi parce qu'elles représentent un modèle durable de stockage de l'eau. Toujours selon les scientifiques, les prairies humides sont en effet plus efficaces que les mégabassines pour stocker l'eau sur le long terme.
M. Dominique Potier, député. - Nous avons déposé quatre propositions de rédaction nos 109, 110, 111 et 112 tendant à prévoir une nouvelle rédaction de l'article 5.
Le groupe socialiste n'est évidemment pas opposé par principe au stockage de l'eau - il n'a rien contre les réserves collinaires, les réserves de substitution -, mais nous éprouvons de la méfiance, voire une certaine défiance à l'égard des mégabassines et du pompage des nappes.
Avec ces propositions de rédaction, nous redisons, avec des variantes, que toute décision concernant une opération de stockage de l'eau ne peut se faire au nom d'un intérêt général majeur. Sont d'intérêt général majeur la lutte contre les incendies, l'eau potable, une partie des dispositifs de refroidissement de l'hydroélectricité ou des centrales nucléaires, ou encore les puits de carbone, mais pas les mégabassines !
Nous sommes favorables, pour notre part, à une déclinaison des solutions à l'échelon local, par bassins, pour prévenir les effets du dérèglement climatique. Ce que ce texte promeut est illusoire et se traduira, je le répète, par de nombreuses controverses. Ce n'est pas rendre service au monde agricole que de prévoir un tel dispositif : nous préconisons une réflexion plus large dans le cadre d'une future loi sur l'eau - il y a urgence !
M. Vincent Louault, sénateur. - Le sujet des zones humides me tient à coeur. Je rappelle qu'une zone humide se caractérise par la présence de petites plantes typiques et par des traces au sol témoignant de l'oxydation du fer par l'eau.
Or, on trouve de l'oxyde de fer dans la moitié des zones urbanisées de France ! De ce fait, un quart du territoire national est classé en zone humide aujourd'hui. Cette situation crée des tensions : si nous ne parvenons pas à une définition pragmatique de ces zones, nous risquons de perdre l'essentiel et de ne pas parvenir à protéger les « vraies » zones humides.
Quant aux études HMUC, j'ai en tête l'exemple de mon département, l'Indre-et-Loire, où, du fait de ces études, les agriculteurs ont perdu 75 % de leurs capacités de pompage. On est là dans une logique de décroissance maximum !
M. Jean-Luc Fugit, député. - Tout d'abord, permettez-moi de remercier les deux rapporteurs, Pierre Cuypers et Julien Dive, d'avoir été à l'écoute des remarques que nous avons faites sur les zones humides, et d'avoir visé le compromis en acceptant de retirer le volet « zones humides » de l'article 5, qui posait un problème non négligeable au groupe Ensemble pour la République.
N'oublions pas que faire en sorte qu'une commission mixte paritaire soit conclusive, c'est bien, mais que transformer l'essai en faisant en sorte que les deux assemblées adoptent un texte commun, c'est mieux !
Mme Aurélie Trouvé, députée, vice-présidente. - Il est difficile pour nous de repartir d'un texte où les amendements portant articles additionnels que nous avions adoptés ont été déclarés irrecevables au titre de la règle de l'entonnoir.
C'est le cas, par exemple, après l'article 4, d'un article additionnel visant à établir un moratoire sur les élevages de saumons en circuit fermé que nous avions adopté à une large majorité. De même, après l'article 5, notre commission avait adopté des articles additionnels portant sur la diminution des volumes d'eau prélevés dans les nappes pour l'irrigation agricole, sur le renforcement de la protection des zones de captage d'eau, sur la mise en place de conditions supplémentaires pour tout ouvrage de stockage d'eau, sur la suppression de l'irrigation des cultures intermédiaires à vocation énergétique ou sur un moratoire pour la délivrance d'autorisation visant la construction de mégabassines.
Plus précisément, à l'article 5, je note que la disposition sur les zones humides a été supprimée, ce qui est une bonne chose. Il reste toutefois à discuter d'un point majeur, qui avait été rejeté en commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, à savoir le fait de considérer le stockage d'eau comme un intérêt général majeur.
Quant à la proposition de rédaction de Mme Sandrine Le Feur, en quoi est-elle différente de la version des rapporteurs ?
M. Benoît Biteau, député. - En tant que fonctionnaire, j'ai piloté l'émergence des dix premières mégabassines en Vendée, sur le bassin de l'Autize, qui est considérée comme une expérience de référence. Pourquoi cela a-t-il fonctionné ? Nous avons restauré les zones humides, le fonctionnement des milieux aquatiques et celui du cycle de l'eau de sorte que nous avons pu trouver le volume d'eau nécessaire pour remplir les mégabassines de la vallée de l'Autize.
Vous avez raison, monsieur Louault, les mégabassines permettent d'allonger la rotation des cultures. Nous ne sommes pas dogmatiquement contre l'irrigation ou contre le stockage de l'eau, mais il y a des préalables à respecter si l'on souhaite que l'étude HMUC soit favorable.
De plus, nous avons développé en aval, autour de ces mégabassines, des productions légumières ou bio en les finançant avec de l'argent public et en garantissant une gestion publique de l'eau. Autrement dit, de nouveaux agriculteurs qui arrivaient avec d'autres types de projets que l'irrigation du maïs ont pu avoir accès à l'eau. Si la société civile et les scientifiques dénoncent un certain nombre de projets, c'est parce que très souvent l'on n'envisage pas de gestion publique de l'eau.
Mme Manon Meunier, députée. - À l'Assemblée nationale, nous avions rejeté cet article à une majorité assez large. Le débat ne porte pas sur les bassines, mais sur le passage de ces bassines dans le champ de l'intérêt général majeur. Ces structures affectent durablement l'environnement et l'article aurait pour effet de nous priver d'étude d'impact environnemental et de considérations préalables pourtant indispensables. Il ne s'agit pas de remettre en cause l'installation des mégabassines, mais leur installation sans contrôle. Vous êtes en train de détricoter les quelques mesures qui restent pour garantir que l'impact sur la biodiversité sera limité.
L'enjeu est de nature démocratique, et cela au sein même du milieu agricole. Certains agriculteurs se sentent lésés, mais vous considérez qu'il n'y a pas besoin de concertation. Nous ne pouvons pas accepter cela. C'est trop grave.
M. Hervé de Lépinau, député. - La question de l'eau devient prégnante parce que certaines régions qui n'étaient pas en déficit le sont désormais. Toutefois, la France est un pays de cocagne sur le plan hydrologique. Le projet d'intérêt national sur lequel il faut donc nous pencher est de permettre aux zones excédentaires d'apporter de l'eau dans les zones déficitaires. C'est un projet que nous développons dans le Rhône afin d'apporter de l'eau dans les Pyrénées-Orientales, et cela se fait grâce aux aqueducs, qui sont l'oeuvre des Romains. Il va falloir reprendre ce type de travaux et envisager un nouveau maillage grâce à la construction de nouveaux aqueducs.
M. Pierre Cuypers, rapporteur pour le Sénat. - L'eau, c'est la vie. Nous en avons tous besoin. C'est indispensable. Quand elle tombe en excès à certaines périodes de l'année, où va-t-elle ? Est-elle utile ou pas ? Stocker ou retenir l'eau pour l'utiliser à bon escient et faire des économies, voilà l'enjeu. En effet, quand on utilise de l'eau qui a été stockée, on le fait en se limitant à ce qui est nécessaire à la croissance et au développement des plantes, à la bonne période et à la bonne température.
Dans mon département, l'an dernier, il y a eu des inondations, des ruissellements et des dégâts dans tous les domaines. Ils n'auraient pas eu lieu si nous avions pu retenir l'eau à certains endroits. L'eau est un patrimoine à utiliser à bon escient et à préserver.
Je vous encourage à voter cet article.
Mme Manon Le Feur, députée. - La différence de ma proposition avec celle des rapporteurs porte sur les études relatives à la gestion quantitative de l'eau. Il s'agit de préciser que « lorsqu'elles existent, les études HMUC intègrent une analyse des impacts » et de supprimer : « cette analyse porte notamment sur les conséquences pour l'emploi, l'alimentation, l'attractivité et les revenus agricoles. » Les études ont un champ très large qui ne se limite pas aux HMUC. Les agences de l'eau doivent s'en charger alors que, parfois, elles n'ont pas la compétence pour intégrer les revenus agricoles, l'emploi ou l'alimentation, ce qui entraîne un risque de remise en cause, voire d'invalidation. D'où ma proposition de rédaction différente de celle des rapporteurs.
M. Julien Dive, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - La version que nous proposons est mieux-disante et il est pertinent de la conserver.
Du point de vue légistique, j'insiste sur la concession tardive qu'a faite le Sénat concernant la suppression des zones humides. Cela témoigne d'une volonté d'avancer.
La proposition commune de rédaction des rapporteurs est adoptée. En conséquence, les propositions de rédaction nos 3, 35, 76, 77, 78, 79, 109, 110, 111 et 112, ainsi que les propositions de rédaction n° 1 de M. Henri Cabanel, 36 de M. Benoît Biteau, 107 et 108 de M. Dominique Potier deviennent sans objet.
L'article 5 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
Après l'article 5
La proposition de rédaction n° 4 de Mme Sandrine Le Feur est déclarée irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
La proposition de rédaction n° 37de M. Benoît Biteau est déclarée irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
Mme Sandrine Le Feur, députée - La proposition de rédaction n° 5 me tient particulièrement à coeur pour équilibrer cette proposition de loi. Elle a d'ailleurs été adoptée dans une version plus complète en commission du développement durable et de l'aménagement du territoire.
Face à l'augmentation du nombre de fermetures des captages d'eau potable et face au coût de la dépollution de l'eau, il est urgent de protéger notre eau potable des pollutions diffuses. En effet, 41 % des captages sont fermés en raison de leur teneur excessive en nitrates ou pesticides. Nous proposons donc de systématiser l'instauration de plans d'action obligatoires dans les aires d'alimentation de captage (AAC). Aujourd'hui, seules 21 % de ces aires disposent d'un arrêté mobilisant un plan d'action.
Cette proposition de rédaction vise aussi à interdire d'ici à 2027, dans les aires d'alimentation de captage associées à des points de prélèvement sensibles les engrais azotés minéraux et les produits phytopharmaceutiques de synthèse. Bien évidemment, les produits de biocontrôle et l'agriculture biologique restent autorisés. Les points de prélèvement sensibles concernent des points faisant l'objet de niveaux excédant des seuils sanitaires.
M. Pierre Cuypers, rapporteur pour le Sénat. - Des « conférences territoriales sur l'eau » sont en cours, dont nous attendons les conclusions. Avis défavorable.
M. Benoît Biteau, député. - Je tiens à soutenir l'amendement de Mme Le Feur. Une ville comme La Rochelle ne peut plus s'appuyer sur ses points de captage parce que l'on n'a pas su protéger les périmètres de captage des pollutions diffuses liées à l'utilisation des pesticides et des engrais de synthèse. On s'installe là dans une impasse inquiétante. D'une part, les distributeurs d'eau potable disent ne plus avoir de solution technique ; d'autre part, la dépollution et la réparation de ces ressources une fois qu'elles sont dégradées représentent un coût exorbitant.
À Munich, plutôt que d'investir dans du matériel de dépollution et des coûts de fonctionnement importants pour la dépollution, on a fait le choix d'accompagner une agriculture qui préserve la ressource avant qu'elle ne soit polluée. Or, une évaluation montre que ce type de démarche favorisant une agriculture qui ne dégrade pas la ressource en eau coûte bien moins cher que de dépolluer après coup.
Dans un contexte budgétaire difficile, je ne peux que vous inciter à envisager des solutions qui mettent l'accent sur l'anticipation et la prévention plutôt que d'en rester à des solutions curatives que nous n'avons plus économiquement les moyens de soutenir.
M. Dominique Potier, député. - Dans le cadre de la commission d'enquête sur les pesticides, nous avons dû recréer un chapitre sur l'alimentation en eau potable. L'alerte est majeure et un travail a été engagé par Matignon. Nous avions, de notre côté, envisagé des capacités de maîtrise du foncier par la puissance publique, pour faire face aux impasses dans lesquelles nous risquons de nous trouver demain : les ruraux seraient dépendants des stations métropolitaines de dépollution, à des coûts qui défient le pouvoir d'achat des classes populaires. L'urgence est à la fois sociale et écologique. La lutte contre la pollution des captages est une priorité nationale. Notre collègue fait une proposition minimaliste pour rééquilibrer ce texte.
M. Hervé de Lépinau, député. - La technique osmotique devrait permettre de produire de l'électricité grâce à un flux d'eau douce et d'eau salée. Si un point de captage est pollué, pour pouvoir produire de l'électricité grâce à cette technique, il faudra obligatoirement nettoyer l'eau. Le coût de la dépollution sera absorbé dans la technologie destinée à fabriquer de l'électricité. C'est une idée que je voulais vous soumettre.
Mme Manon Meunier, députée. - La commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale a adopté une proposition similaire à celle de notre collègue, de manière consensuelle. En outre, il s'agit de traiter le problème à la racine plutôt que d'utiliser l'argent public après coût. Cette vision à long terme des sujets liés à la dépollution de l'eau nous paraît bienvenue.
La proposition de rédaction n° 5 de Mme Sandrine Le Feur n'est pas adoptée.
La proposition de rédaction n° 38 de M. Benoît Biteau est déclarée irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
M. Benoît Biteau, député. - Par notre proposition de rédaction n° 39, dont les dispositions ont été adoptées par la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, nous souhaitons attirer votre attention sur le fait que restaurer les zones humides est aussi un moyen de rendre disponible de l'eau que l'on pourra plus facilement partager, car on pourra la retenir, la ralentir, la stocker et recharger les nappes souterraines.
C'est également le moyen de permettre, au profit des études HMUC, de trouver des volumes prélevables qu'il est très difficile de trouver quand on n'a pas su restaurer ces zones humides qui savent accueillir l'eau en excès.
Enfin, cela permet un meilleur partage de l'eau entre tous les agriculteurs alors que, aujourd'hui, seuls 6 % d'entre eux ont accès à l'eau.
Nous devons réfléchir aux conditions qui permettront le stockage de l'eau et à la manière dont on gérera cette eau, une fois stockée : qui en sera bénéficiaire ? L'usage de l'eau doit être le plus vertueux possible. Tel est le sens de cette proposition de rédaction.
M. Pierre Cuypers, rapporteur pour le Sénat. - Avis défavorable.
La proposition de rédaction n° 39 de M. Benoît Biteau n'est pas adoptée.
La proposition de rédaction n° 84 de M. Marc Fesneau est devenue sans objet.
Article 6
Mme Manon Meunier, députée. - Notre proposition de rédaction n° 80 vise à supprimer l'article, car celui-ci prévoit la mise sous tutelle de l'OFB, en introduisant une forme de contrôle intermédiaire du préfet, ce qui est inédit dans le cadre des missions de police administrative et judiciaire. Cela témoigne d'une absence de confiance dans les agents de l'OFB, qui ont par ailleurs fait l'objet d'une campagne de dénigrement inacceptable de la part de certains représentants politiques de droite, alors même qu'ils mériteraient au minimum notre respect en plus de notre confiance. Ajouter un contrôle supplémentaire contrevient à l'esprit même de ce que représente l'échelon judiciaire en France.
M. Emmanuel Blairy, député. - Je souhaite modestement éclairer les débats. Cet article vise les inspecteurs de l'environnement et pas seulement les agents de l'OFB : il y a aussi les agents des directions départementales des territoires et de la mer (DDTM) et ceux des parcs nationaux. Il ne faut pas non plus confondre les inspecteurs de l'environnement avec la police de l'environnement qui peut être exercée par d'autres agents relevant notamment de la gendarmerie ou de la police, ou par des gardes particuliers.
Pour ce qui est des agents de l'OFB, ils ont un savoir-faire, puisqu'ils émanent de l'ordonnance sur les eaux et forêts édictée sous Colbert, en 1669. Ce qui est mis en cause, c'est plutôt leur doctrine d'emploi. Les gouvernements successifs, depuis la fusion des établissements, n'ont pas su intégrer ces agents au monde rural.
J'ai eu la chance et l'honneur d'être le rapporteur, à l'Assemblée nationale, de la mission d'information flash sur la conciliation des usages de la nature et la protection de la biodiversité. Dans ce cadre, j'avais entendu en audition le directeur et les syndicats de l'OFB. Que réclament les agents de l'OFB ? De la clarté, de l'efficacité et surtout de la traçabilité. Et que réclament les Français, puisque nous avions également entendu des randonneurs et des chasseurs ? La même chose !
Eh bien, justement, cet article répond parfaitement ou presque à cette demande. On évoquait la tutelle administrative du préfet, mais les agents réclament précisément un lien direct avec le préfet, afin de conjuguer certaines missions sur le territoire en lien avec la gendarmerie.
On propose donc de supprimer cet article, alors que celui-ci répond aux attentes non seulement des Français, mais encore des agents de l'OFB eux-mêmes.
M. Jean-Claude Tissot, sénateur. - Il n'y a pas de débat, il faut bien une réforme sur ce sujet. Simplement, nous souhaitons un texte législatif spécifique ; il est dommage de la traiter rapidement, au détour de cette proposition de loi.
Nous voterons donc pour cette proposition de suppression.
M. Pierre Cuypers, rapporteur pour le Sénat. - Avis défavorable.
La proposition de rédaction n° 80 portant suppression de l'article n'est pas adoptée.
M. Pierre Cuypers, rapporteur pour le Sénat. - Lorsque le texte a été examiné en séance publique au Sénat, nous avions mené avec le Gouvernement un travail approfondi sur l'article 6, qui avait conduit à une réécriture complète de l'article. L'équilibre alors atteint a été tel que le rapporteur de l'Assemblée nationale a jugé bon de le conserver en l'état. Je l'en remercie sincèrement, ainsi que Mme Le Feur, qui soutient cette rédaction.
Je le rappelle, l'article 6 clarifie le rôle du préfet en matière de police administrative et celui du procureur de la République en matière de police judiciaire pour ce qui concerne les missions de l'OFB. Le préfet sera ainsi chargé de valider la programmation annuelle de contrôle en matière de police administrative.
En outre, conformément à un engagement de notre ministre, cet article permet d'équiper les inspecteurs de l'environnement d'une caméra individuelle lorsqu'ils exercent leur mission de police ; cette innovation, largement répandue au sein des forces de sécurité, devrait être de nature à apaiser et à objectiver certaines situations. Cette disposition porte, je crois, un message d'apaisement et non une remise en cause de l'action indispensable des agents de l'OFB. Un récent rapport de notre collègue Jean Bacci soulignait la grande utilité de cet organisme, mais aussi ses marges d'amélioration dans ses relations avec les acteurs économiques et agricoles.
Je vous invite donc à adopter notre proposition commune de rédaction, qui vise à reprendre cette rédaction.
M. Benoît Biteau, député. - On assiste, depuis plusieurs semaines, à des tensions fortes relatives à l'égard des agents de l'OFB et des services qui travaillent à la protection de l'environnement en général.
Je commencerai par souligner mon soutien à ces agents, dont j'ai fait partie pendant un temps ; ils sont là non pour faire du zèle, mais pour être les garants de la réglementation sur l'environnement, qui est tout aussi importante que notre sécurité. En effet, la protection de l'environnement permet aussi notre sécurité, notamment alimentaire. En mettant l'environnement au pas, on menace notre souveraineté alimentaire. Ne jetons donc pas l'opprobre sur les agents de cet office.
Aussi, si nous proposons d'aligner le cadre d'usage des caméras sur celui des forces de sécurité, mais je crois que cela suscite un consensus, nous souhaitons également renforcer la transparence et l'efficacité des missions de l'OFB, afin que tout le monde comprenne la pertinence de ses actions et que, par la pédagogie, ses interventions soient mieux acceptées. Notre proposition de rédaction n° 40 contribuera ainsi à apaiser les tensions que l'on observe sur le terrain et dont on n'a vraiment pas besoin. Agriculteurs et défenseurs de l'environnement doivent travailler ensemble ; l'environnement n'est pas l'ennemi de l'agriculture ni de la souveraineté alimentaire, au contraire.
Cette proposition de rédaction permettra de remettre la mairie au milieu du village...
Mme Manon Meunier, députée. - Notre proposition de rédaction n° 87 constitue une solution de repli par rapport à la suppression pure et simple de l'article. Il s'agit de conserver l'article tel quel, en en supprimant simplement les dispositions relatives à la mise sous tutelle de l'OFB, laquelle nous paraît la partie la moins acceptable de cet article.
Nous sommes d'accord, il est nécessaire de revoir le fonctionnement de l'OFB, non pour remettre en cause son travail, mais pour apaiser les tensions qui existent actuellement entre le monde agricole et les agents de l'Office. C'est pourquoi nous avons conservé dans cette proposition le principe du port permanent de caméras.
En revanche, je le répète, la mise sous tutelle de l'OFB nous paraît hors sujet et fait peser sur les agents de cet organisme un soupçon indu.
M. Dominique Potier, député. - Je considère ma proposition de rédaction n° 113 comme défendue, madame la présidente.
M. Hervé de Lépinau, député. - Des tensions existent entre le milieu agricole et les agents de l'OFB. Or, de mon point de vue, il n'est absolument pas choquant que des directives soient données par le préfet aux agents de l'OFB. Pour certaines missions, les gendarmes eux-mêmes agissent sous l'autorité directe du préfet, tout en restant soumis à celle du procureur de la République pour les missions de police judiciaire. De même, l'action des services départementaux d'incendie et de secours (Sdis) est, elle aussi, coordonnée par le préfet. Celui-ci est un excellent connaisseur de son territoire et de ses problématiques.
Un exemple me vient immédiatement à l'esprit, car il est prégnant dans le Vaucluse : le plan Loup. On a recensé trois meutes dans ce département, qui se trouve sur le chemin vers l'ouest et, actuellement, l'action de l'OFB ne correspond pas à la politique préfectorale en la matière, non pas par mauvaise volonté des agents, mais parce que ces derniers ne sont pas soumis à l'autorité du préfet en la matière. Les dispositions de cet article permettront de remédier à cette divergence, en permettant aux agents de l'OFB de participer pleinement à la planification départementale relative au loup.
M. Pierre Cuypers, rapporteur pour le Sénat. - Sans doute, les dysfonctionnements que les uns ou les autres rapportent ne correspondent pas à l'attitude que devraient avoir les agents, mais, comme l'indiquait le directeur de l'OFB, quand on rapporte certains évènements indésirables, on n'en fournit jamais la preuve. Quand il y a un incident, il faut apporter une preuve, afin de pouvoir corriger le dysfonctionnement dénoncé. Je vous invite donc, mes chers collègues, non pas à vous contenter de colporter certaines anecdotes, mais à en exiger une preuve. D'où l'idée d'ailleurs des caméras.
La proposition commune de rédaction des rapporteurs est adoptée. En conséquence, les propositions de rédaction nos 40, 87 et 113, ainsi que la proposition de rédaction n° 81 de Mme Manon Meunier, deviennent sans objet.
L'article 6 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
Après l'article 6
La proposition de rédaction n° 82 de Mme Manon Meunier est déclarée irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
Article 7 (nouveau)
M. Julien Dive, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Cet article a été largement remanié par la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale et je sais gré au rapporteur pour le Sénat, Pierre Cuypers, d'avoir accepté les modifications que nous avions adoptées.
Une position consensuelle s'est dégagée au sein de notre commission, qui a souhaité clarifier l'article et le droit existant, en indiquant expressément que les insectes stériles étaient des insectes non indigènes et que, par conséquent, leur introduction dans l'environnement nécessitait une autorisation préalable. Nous avons également précisé que la lutte autocide faisait partie des méthodes de lutte biologique et que la procédure d'autorisation précitée ne concernait que les insectes stériles utiles aux végétaux, puisqu'il existe un régime d'autorisation distinct pour les insectes stériles utiles à l'homme (comme les moustiques stériles).
Enfin, la commission a interdit l'introduction dans l'environnement d'insectes issus de la technique du « forçage génétique ». Les conséquences de l'introduction en masse de ces insectes génétiquement modifiés sont en effet difficiles à maîtriser, avec un risque d'extinction d'une espèce.
Bref, le droit sera, avec cette rédaction, beaucoup plus clair pour les professionnels et plus rassurant pour la population. Je précise en conclusion que l'article ainsi rédigé avait été adopté à l'unanimité par notre commission des affaires économiques.
Mme Manon Meunier, députée. - Notre proposition de rédaction n° 83 tend à reprendre la rédaction à laquelle la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale était parvenue. Nous nous étions notamment accordés sur l'idée d'exclusion de la technique du forçage génétique.
M. Vincent Louault, sénateur. - Je me réjouis que, pour une fois, on accorde aux agriculteurs le droit de conduire des actions déjà autorisées par le préfet en faveur des habitants, comme l'utilisation de moustiques stériles ou l'usage du drone. J'aimerais que, de manière générale, on autorise pour les agriculteurs ce que l'on autorise pour la santé humaine. Ce serait un juste retour des choses...
M. Julien Dive, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Notre proposition commune de rédaction satisfait la proposition de rédaction n° 83 de Mme Meunier.
Mme Manon Meunier, députée. -. Je retire ma proposition de rédaction.
La proposition de rédaction n° 83 de Mme Manon Meunier est retirée.
La proposition commune de rédaction des rapporteurs est adoptée.
En conséquence la proposition de rédaction n° 41 de M. Benoît Biteau est devenue sans objet.
L'article 7 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
Après l'article 7 (nouveau)
La proposition de rédaction n° 2 de M. Julien Dive est déclarée irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
Article 8 (nouveau)
M. Benoît Biteau, député. - Notre proposition de rédaction n° 42 vise à supprimer cet article, car la représentation nationale ne devrait pas habiliter le Gouvernement à réformer par voie d'ordonnance le régime de prévention et de sanction des atteintes à la protection des végétaux. Nous devrions tous être d'accord sur ce point, mais je ne suis pas sûr que ce soit le cas...
M. Julien Dive, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Avis défavorable. Notre proposition commune de rédaction répond à votre souhait, mon cher collègue : l'habilitation est supprimée.
Laurent Duplomb et Pierre Cuypers ont précédemment rappelé, en réponse à une question de Mme Meunier, que nous avions refusé d'inscrire à l'article 3 une habilitation à léfigérer par voie d'ordonnance car, d'une part, les parlementaires n'apprécient pas cette méthode par principe et, d'autre part, nous estimions avoir déjà fait le travail.
Il en va de même avec l'article 8. Nous avons estimé qu'il était préférable de rédiger directement « en dur » les dispositions souhaitées, afin de pouvoir en débattre de façon transparente. Nous en avons donc discuté avec le Gouvernement et avons supprimé l'habilitation, ce qui nous paraît bien plus satisfaisant, car l'habilitation pouvait s'apparenter à un « chèque en blanc ».
J'insiste sur deux points.
D'abord, nous nous en sommes tenus strictement à ce que l'habilitation initiale permettait, sans élargir le champ de l'article 8.
Ensuite, nous avons pris en compte les restrictions imposées par la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, à savoir que l'adaptation du droit ne pouvait se faire que dans le sens d'un renforcement du droit, en vue d'assurer une plus grande efficacité des mesures de police administrative.
Sur le fond, l'article 8 étend le pouvoir d'injonction créé par la proposition de loi d'Hubert Ott visant à instaurer un dispositif de sanction contraventionnelle pour prévenir le développement des vignes non cultivées qui représentent une menace sanitaire pour l'ensemble du vignoble français ; facilite l'exécution d'office en cas de non-respect des mesures de police administrative ; simplifie la procédure visant à détruire les végétaux lorsque le propriétaire est défaillant dans l'exécution de mesures phytosanitaires ; permet aux administrations de communiquer entre elles des informations pour identifier les propriétaires de terrains concernés par les obligations phytosanitaires.
L'article 8 comprend aussi un renforcement des sanctions pénales prévues en cas de non-respect des mesures de police administrative, à savoir le doublement de l'amende en cas de récidive pour ce qui concerne la lutte contre la flavescence dorée - cela permettra de compléter et de rééquilibrer la proposition de loi d'Hubert Ott, qui avait transformé ce délit en contravention - et l'harmonisation de différentes sanctions redondantes qui portaient sur la même incrimination, mais avec des peines différentes ; le montant de l'amende a été aligné à la hausse, pour qu'il soit plus dissuasif.
L'article 8 comprend enfin des mesures de coordination juridique, notamment pour l'outre-mer.
M. Benoît Biteau, député. - Je maintiens ma proposition de rédaction.
M. Hervé de Lépinau, député. - Julien Dive vient d'évoquer la proposition de loi de notre collègue Hubert Ott, relative à la problématique de la flavescence dorée. Nous entrons dans une crise viticole, dans laquelle le nombre de dépôts de bilan d'exploitation va augmenter. Or, si l'on n'a pas le premier fifrelin pour payer la Mutualité sociale agricole (MSA) ou ses frais d'exploitation, il est évident que l'on ne paiera jamais l'amende infligée. Et le problème de la législation par voie d'ordonnance au « canon de 110 », si j'ose dire, c'est de ne pas faire dans le détail.
J'espère donc que les préfets transmettront au ministre chargé de rédiger l'ordonnance des informations très précises, car la vallée du Rhône et le Médoc vont connaître des plans d'arrachage importants puis un effondrement de la coopération. En effet, nombre de coopérateurs ne touchent déjà plus ce qu'ils devraient et les terres sans maître vont se démultiplier, entraînant la généralisation de la flavescence dorée.
J'espère également que la proposition de loi Ott sera renforcée par un deuxième texte. Pour ma part, je suggère - j'en ai parlé à Hubert Ott, qui n'y est pas hostile - que l'on permette aux collectivités de se substituer aux propriétaires défaillants, car un foyer de flavescence pose un problème majeur : ceux qui travaillent bien seront contaminés par ceux qui auront abandonné. L'autorité municipale, qui connaît le mieux son territoire, pourrait organiser, à ses frais, le traitement et l'arrachage, et se rembourser ensuite grâce à la valeur du foncier, en cas de saisie immobilière ; la commune serait alors considérée comme un créancier privilégié.
M. Julien Dive, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Notre rédaction supprime justement l'habilitation et écrit directement des mesures « en dur », dans la loi. Il n'y a plus d'habilitation à légiférer par ordonnance. Par ailleurs, l'autorité administrative que je mentionnais, chargée de l'exécution d'office en cas de propriétaire défaillant, c'est le préfet.
La proposition de rédaction n° 42 portant suppression de l'article n'est pas adoptée.
La proposition commune de rédaction des rapporteurs est adoptée.
L'article 8 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
Après l'article 8 (nouveau)
La proposition de rédaction n° 43 de M. Benoît Biteau est déclarée irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
M. Jean-Claude Tissot, sénateur. - Je déplore que nos débats aient été stériles. Comme d'habitude, nous avons fait des propositions, mais elles n'ont pas été adoptées. Cette proposition de loi ne permettra pas de répondre aux besoins des paysans. En l'adoptant, nous renierions nos engagements environnementaux et menacerions même la santé des personnes, y compris celle des agriculteurs. Le malaise agricole est profond, mais ni l'assouplissement des règles liées à l'usage des pesticides, ni la remise en cause des autorités environnementales, ni l'autorisation des mégabassines ou des néonicotinoïdes ne sont des solutions. À cause de l'utilisation massive des pesticides, une génération entière de paysans a développé des maladies, tandis que les sols ont été contaminés de manière durable.
Si les agriculteurs souhaitent que les procédures administratives soient allégées, ce à quoi je suis évidemment tout à fait favorable, comme je l'ai indiqué, ils demandent avant tout à pouvoir vivre de leur travail, grâce à un revenu agricole digne. Voilà un enjeu qui est ignoré dans cette proposition de loi. Le texte adopté ne correspond pas à nos attentes. Nous avons fait des propositions, mais, je le répète, vous n'avez rien accepté. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (SER) ne pourra donc pas voter ce texte, à mon grand regret.
M. Marc Fesneau, député. - Je remercie les auteurs de cette proposition de loi et nos rapporteurs. Les positions initiales étaient très différentes. On envisageait mal des convergences. Nous partions de loin... Or, nous avons su trouver des points d'accord sur un certain nombre de sujets, qui permettent aussi de faire droit aux demandes de l'opposition sur les zones humides, sur l'acétamipride, etc. Ce texte permet de répondre aux engagements pris auprès des agriculteurs au printemps dernier et de poursuivre le mouvement de simplification, même si, comme l'ont dit MM. Tissot et Dive, de lourds sujets restent à traiter, tels que la définition de la future PAC ou l'adaptation au dérèglement climatique...
M. Dominique Potier, député. - Et le foncier !
M. Marc Fesneau, député. - En effet !
M. Dominique Potier, député. - Le groupe Socialistes et apparentés votera contre ce texte. La procédure démocratique n'a pas été respectée. Le groupe politique qui portait le texte l'a retiré en séance publique pour empêcher le débat. C'est une première !
Je suis persuadé que si le débat au Parlement avait pu se dérouler, le texte adopté aurait été différent et beaucoup plus équilibré, même si je salue les efforts de notre rapporteur, M. Dive, pour sauver une partie du compromis que nous avions trouvé en commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale.
Ce texte est particulièrement déséquilibré. Il n'est pas à la hauteur des enjeux. Le monde agricole est face à une falaise démographique - un paysan sur deux va partir à la retraite dans les prochaines années - et est confronté au problème de l'accaparement des terres, en raison de la libéralisation, et au défi de l'adaptation au changement climatique, qu'il est illusoire de réduire à une question d'accès à l'eau.
Cette proposition de loi fait l'impasse sur d'autres chemins qui auraient permis de réconcilier société et agriculture, économie et écologie. Elle ne traite pas les sujets qui divisent le monde agricole, mais qui sont absolument vitaux et qu'il appartient aux dirigeants politiques de traiter sans démagogie : la question de la justice en ce qui concerne l'accès aux aides publiques, l'accès au foncier, le partage de la valeur, la justice fiscale, etc. Ces sujets sont mis de côté et on préfère faire du mauvais bricolage, à coups d'oukases. Je ne suis pas sûr que l'on rende service au monde agricole.
M. Hervé de Lépinau, député. - Je me réjouis que cette CMP soit conclusive. Il reste néanmoins à savoir comment le texte sera appliqué et comment il sera accueilli par le monde paysan. N'oublions pas qu'il s'agit d'un texte de réaction, déposé à la suite d'un mouvement social paysan d'ampleur. Si nous revoyons des tracteurs sur les ronds-points dans six mois pour bloquer le pays, cela signifiera que le texte sera passé à côté des sujets essentiels.
M. Benoît Biteau, député. - Je me réjouis de la bonne tenue de cette commission mixte paritaire. En dépit de nos divergences de vues, nous sommes parvenus à débattre et à confronter nos idées paisiblement, mais avec détermination.
Nous partageons le diagnostic : le monde agricole a besoin d'une refonte profonde des règles actuelles pour pouvoir faire face à des difficultés qui sont, à mon sens, davantage structurelles que conjoncturelles. Je regrette que ce texte remette en selle des mécanismes qui ont conduit l'agriculture dans l'impasse où elle se trouve. Nous n'arriverons pas à sortir le monde agricole de l'ornière dans laquelle il est enlisé en utilisant les méthodes qui l'y ont conduit ! Comme le disait Einstein : « On ne résout pas un problème avec les modes de pensée qui l'ont engendré. »
Or, dans ce texte, on se contente de reprendre des recettes qui, nous le savons, ne sont pas bonnes, et on s'exonère d'une réflexion sur une réforme structurelle, qui permettrait de soutenir le monde agricole. On n'intègre pas suffisamment les apports de la science. On ne tient pas compte non plus de l'effondrement de la biodiversité et du dérèglement climatique. C'est dommage.
Je continuerai à faire oeuvre de pédagogie et à déployer mes arguments. J'espère qu'un jour, nous arriverons à comprendre que l'on ne peut plus faire l'économie d'une réflexion sur ces sujets si l'on veut résoudre les problèmes de l'agriculture, du monde agricole, et retrouver notre souveraineté alimentaire.
Le groupe Écologiste et Social ne pourra pas voter ce texte. Malheureusement, nous ne nous y retrouvons pas.
Mme Manon Meunier, députée. - En moins d'un an, nous avons adopté deux textes majeurs sur notre modèle agricole, mais ces derniers sont passés à côté de l'essentiel. Ils n'apportent pas de solutions pour faire face aux évolutions démographiques - je rappelle que, d'ici à 2030, la moitié des agriculteurs partira à la retraite. Ils passent à côté de la transition écologique et de l'adaptation au changement climatique. Les événements climatiques du mois de juin ont été d'une rare violence et nous ne sommes pas préparés en la matière.
J'ajoute même que ces textes vont à l'encontre de ce qu'il nous faudrait faire pour développer notre résilience. On a choisi la solution de facilité. Une fois de plus, ce texte vise à s'aligner sur le moins-disant international. Il améliorera peut-être d'un iota la compétitivité de la France à l'international, mais, ne nous berçons pas d'illusions, nous ne serons jamais compétitifs. Comment peut-on être compétitifs face à des porcheries de douze étages, comme il en existe en Chine ? Comment peut-on être compétitifs, ne serait-ce qu'en Europe, lorsque l'on connaît l'écart entre les salaires en France et les salaires en vigueur dans les pays de l'Est ? Il faut en finir avec ce mythe de la compétitivité internationale.
Nous nous rendons dépendants d'un modèle agro-industriel qui raisonne non pas en termes de souveraineté alimentaire, mais en termes de profits. Or, le modèle agricole qui nous permettra de restaurer notre souveraineté agricole et de bâtir un système résilient est bien un modèle dans lequel les agricultrices et les agriculteurs seront nombreux dans les territoires. Cependant ce texte ne va pas dans ce sens. Le groupe La France insoumise - Nouveau Front Populaire votera évidemment contre.
M. Jean-Luc Fugit, député. - Je veux me réjouir à mon tour de la bonne tenue de nos débats cet après-midi. Les rapporteurs ont fait preuve d'écoute, et nous sommes parvenus à une convergence sur de nombreux points.
Je voudrais être plutôt optimiste, car nous avons trop tendance à dire que tout va mal, notamment dans le monde agricole. Je tiens à rappeler à Dominique Potier, qui déplorait un manque de débats à l'Assemblée nationale, qu'un débat a eu lieu, puisque la commission des affaires économiques ainsi que la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire ont examiné ce texte pendant dix-sept heures ! Je suis d'ailleurs heureux de retrouver, dans le texte de la CMP, certaines dispositions que nous avions adoptées. Le rapporteur de l'Assemblée nationale a su entendre les différents groupes.
Depuis un peu plus d'un an, nous avons acté collectivement des avancées, que ce soit dans le cadre de la loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture ou dans le cadre de la loi visant à améliorer le traitement des maladies affectant les cultures végétales à l'aide d'aéronefs télépilotés.
De même, lors de la crise sanitaire qui a touché les élevages bovins et ovins à l'automne dernier, nous nous sommes tous mobilisés pour demander au Gouvernement d'aider nos agriculteurs. Évidemment, certains auraient voulu procéder différemment ou aller plus loin. D'aucuns diront que les textes que j'ai cités sont de « petits » textes. Pour ma part, je considère qu'ils ont le mérite d'exister et d'avoir fait avancer les sujets.
En revanche, je n'oublie pas qu'il nous reste à traiter trois sujets majeurs : la crise viticole, l'accord de libre-échange entre les pays du Mercosur et l'Union européenne, et la réforme de la PAC. Nous n'avons pas à rougir du travail que nous avons réalisé, mais l'année qui vient sera encore plus délicate.
En attendant, nous devons transformer l'essai de cette CMP lors du vote solennel du texte, qui aura lieu le 8 juillet prochain à l'Assemblée nationale. Je proposerai à mon groupe Ensemble pour la République d'adopter cette proposition de loi.
M. Franck Menonville, sénateur. - Je voudrais remercier la présidence pour la bonne tenue de cette CMP. Ce texte, déposé il y a plus de six mois, a mûri grâce au travail réalisé en commission et en séance plénière au Sénat, et grâce aux apports de la commission des affaires économiques et de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale.
Je remercie également nos rapporteurs, qui ont su faire converger les points de vue des uns et des autres, sans dénaturer ce texte, qui est attendu par nos agriculteurs. La ligne de crête était de susciter l'adhésion des parlementaires, sans affaiblir le dispositif ni réduire son efficacité.
Il ne faut pas caricaturer ce texte, comme cela est trop souvent fait dans les médias. Il complète la loi d'orientation agricole, déposée par le ministre Marc Fesneau. Cette dernière comportait des lacunes. Cette proposition de loi vise à les combler. Nous avions envisagé initialement d'introduire ses dispositions sous la forme d'amendements lors de l'examen du projet de loi d'orientation agricole, mais nous avons finalement choisi de déposer une proposition de loi spécifique, afin que l'examen de ces deux textes soit plus approfondi. J'espère que leur adoption entraînera une dynamique positive pour notre agriculture.
Notre agriculture n'aura pas d'avenir si elle n'est pas compétitive, notamment au sein de l'Union européenne. Notre proposition de loi vise simplement à faire en sorte que ce qui est possible pour les agriculteurs européens le soit aussi pour les agriculteurs français. J'étais corapporteur, avec Mme Anne-Marie Nédélec, d'une mission d'information sur le « fabriqué en France ». Comme Arnaud Montebourg nous l'a dit, la bonne norme, c'est celle qui s'applique à tous. Voilà un élément fondamental que nous ne devons pas oublier dans nos politiques publiques.
Depuis quinze ans, nous marchons à contre-temps de nos voisins européens, alors que nous sommes dans un marché ouvert. Le résultat est que notre agriculture perd des parts de marché. Nous devons nous mobiliser contre l'adoption du traité avec le Mercosur, mais force est de constater qu'une grande partie de la dégradation de notre balance commerciale a des origines intraeuropéennes.
M. Laurent Duplomb, sénateur. - Je me réjouis que nous ayons pu débattre de la totalité des articles dans le calme. Chacun a fait valoir ses arguments.
Charles Péguy disait : « Le kantisme a les mains pures, mais il n'a pas de mains. » Si j'applique cette maxime à notre agriculture, cela devient : si nous continuons dans cette voie, notre agriculture sera propre, mais nous n'aurons plus d'agriculture ! Tel est le risque si nous persistons à multiplier les contraintes réglementaires.
L'objet de ce texte n'est nullement de donner à nos agriculteurs des moyens dont ne disposent pas leurs collègues européens. Nous n'avons rien fait qui puisse créer une concurrence déloyale. Nous avons simplement éliminé quelques surtranspositions - parmi beaucoup d'autres -, afin de permettre aux agriculteurs français de lutter à armes égales en Europe.
Année après année, les importations agricoles en France sont de plus en plus importantes. Si nous ne réagissons pas, nous ne pourrons que constater la disparition progressive de notre agriculture, non pas au profit d'une agriculture agro-industrielle à l'autre bout de la planète, qui s'accompagnerait de la déforestation de la forêt amazonienne, mais tout simplement au profit de celle qui se pratique aux frontières de notre pays.
Il y a de la place pour tous les modes d'agriculture en France. Il faut donc veiller à ne pas condamner l'agriculture conventionnelle en lui mettant des boulets au pied et en appelant, de façon incantatoire, au développement d'un autre modèle, jugé plus propre ou plus honorable. Il importe de respecter les agriculteurs et leur travail.
Avec Franck Menonville, nous avons essayé de faire de notre mieux. Je salue nos rapporteurs, Julien Dive et Pierre Cuypers, pour la qualité de leur travail. Je remercie aussi les présidentes des deux commissions, pour la bonne tenue de nos débats.
Lorsqu'un paysan qui vient de labourer son champ se retourne et constate que les raies qu'il a tracées sont droites, de hauteur égale, et que les coins de sa parcelle ont été bien labourés, il a l'impression d'avoir bien travaillé. De même, aujourd'hui, j'ai le sentiment du devoir accompli.
M. Pierre Cuypers, rapporteur pour le Sénat. - Laurent Duplomb a parlé de labour. En effet, on ne peut pas récolter si l'on n'a pas semé ni labouré. Aujourd'hui, grâce à vous, nous avons tracé un sillon.
Notre travail a été utile. Ce texte est attendu sur le terrain. L'état de notre agriculture se dégrade depuis de nombreuses années. Le monde ne s'est pas fait en un jour. Il faudra du temps pour rétablir la situation, semer les bonnes graines là où il faut, afin de pouvoir, à l'avenir, anticiper les problèmes, plutôt que de se contenter d'intervenir a posteriori pour tenter de les corriger. Ce texte vise à rétablir l'équilibre avec les autres nations, en tout cas en Europe, afin que la France puisse retrouver sa compétitivité. Il s'agit de redonner confiance à nos agriculteurs, qui sont aujourd'hui souvent en situation de désespérance.
Je suis très fier du travail que nous avons accompli cet après-midi. Conformément à l'esprit qui nous anime au Sénat lorsque nous débattons, tout le monde a pu échanger, se parler et s'écouter. C'est déjà une première victoire.
M. Julien Dive, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Je remercie à mon tour la présidente et la vice-présidente pour la bonne tenue de nos débats cet après-midi.
On peut définir la recherche d'un optimum de Pareto comme l'art d'avancer sous contraintes. C'est exactement ce que nous avons fait en examinant ce texte, qui vise pourtant à lever les entraves qui pèsent sur notre agriculture. Nous avons ainsi avancé sous la contrainte du cadre normatif européen et français. Nous avons aussi dû tenir compte des divergences de vues des uns et des autres, qui sont légitimes dans une démocratie, et aussi des divergences de caractères. Il faut confronter les positions pour parvenir à adopter un texte qui convienne à tous.
N'oublions pas les contraintes liées au fonctionnement de l'Assemblée nationale. Celles-ci fournissent un argument à Dominique Potier pour ne pas voter le texte, mais je ne doute pas qu'il en aurait trouvé un autre de toute façon ! Je l'invite à faire les mêmes reproches à ses alliés qui ont tenté de faire de l'obstruction à l'Assemblée nationale. Même si Benoît Biteau a déposé des amendements de fond, d'autres amendements très nombreux ne visaient qu'à changer un mot... La faute est donc partagée. Il est important d'être honnête sur le sujet.
Nous ne devons pas opposer les modèles agricoles entre eux ni les visions de l'agriculture que nous souhaitons. Comme le disait Laurent Duplomb, le soleil peut briller pour tout le monde. Ce texte constitue une avancée, mais d'autres sujets méritent également une attention particulière. Je pense notamment à l'agriculture biologique, chère à Benoît Biteau. Les agriculteurs attendent des réponses en ce qui concerne le foncier, le revenu, la transmission ou l'assurance des exploitations. Plus nous aurons une vision clivée de l'agriculture, moins nous serons capables de restaurer notre souveraineté alimentaire.
Mme Aurélie Trouvé, députée, vice-présidente. - Je remercie non seulement les rapporteurs, mais vous aussi, madame la présidente : malgré nos profonds désaccords, nous avons pu débattre et exprimer nos points de vue dans le cadre de cette CMP.
Je continue à déplorer que l'Assemblée nationale n'ait pas eu la possibilité d'examiner ce texte dans l'hémicycle. Personne ne peut se satisfaire de cette situation pour le moins bancale, d'autant que les débats en commission des affaires économiques comme en commission du développement durable et de l'aménagement du territoire avaient été riches.
D'aucuns l'ont dit avant moi, nous avons bien d'autres sujets à traiter : l'adaptation au changement climatique, le foncier... Je pense aussi à tout le travail fait à l'Assemblée nationale de manière transpartisane sur la régulation des prix et des marges : cette question aurait mérité d'être sur la table tant nous avons besoin d'une nouvelle loi Égalim.
Nous aurions également dû discuter de la protection à mettre en place au sein du marché intérieur européen. Aucun sujet n'est tabou, comme le montre l'interdiction du diméthoate. Nous avons su avancer sur ce sujet, même si la mesure concernant les importations n'est toujours pas appliquée.
Par ailleurs, si les agriculteurs doivent se mobiliser et descendre dans la rue, ce sera à mon avis plutôt pour protester contre l'accord entre l'Union européenne et les pays du Mercosur. Alors que nous sommes à quelques encablures de sa signature, j'espère qu'il y aura une opposition suffisamment puissante pour le repousser. Notre agriculture devra faire face, dans l'avenir, à d'importants dangers.
Je terminerai en citant Edgard Pisani : lui qui fut à l'initiative des lois d'orientation agricole de 1960 et de 1962, qualifiées de « productivistes », reconnut par la suite la nécessité d'opérer une remise en cause de son modèle compte tenu des nouveaux enjeux environnementaux. Voici ce qu'il écrivait : « À vouloir forcer la terre, nous prenons le risque de la voir se dérober. » À méditer !
Mme Dominique Estrosi Sassone, sénateur, présidente. - Je remercie l'ensemble des membres de la commission mixte paritaire, titulaires comme suppléants, ces derniers s'étant montrés particulièrement investis.
Nos débats ont été engagés, parfois vifs, mais toujours respectueux. Notre ligne de conduite, ici, au Sénat, est d'encourager, malgré nos divergences, les positions transpartisanes, que ce soit dans cette commission ou dans l'hémicycle.
J'adresse mes sincères remerciements aux auteurs de la proposition de loi, Franck Menonville et Laurent Duplomb. Grâce à eux, nous avons pu porter un certain nombre de sujets qui avaient été laissés sur le bord de la route, et ce dans un délai relativement court et particulièrement bienvenu au regard de la colère et du ras-le-bol exprimés par le monde agricole. Certes, des réponses avaient été apportées dans le cadre du projet de loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture, mais, chacun l'avait reconnu, elles n'étaient pas suffisantes.
Tout n'est pas parfait, Laurent Duplomb l'a dit, mais nous avons su obtenir d'indispensables avancées malgré nos divergences. Défendre notre agriculture, c'est l'objectif qui nous réunit tous ici.
Je salue les deux rapporteurs, qui ont réussi, en travaillant d'arrache-pied depuis plusieurs jours, à trouver des compromis et aboutir à des propositions communes de rédaction globale sur l'ensemble des huit articles restant en discussion.
Madame la présidente Aurélie Trouvé, comme je m'y étais engagée, nous avons pu débattre et tout le monde s'est exprimé. Certains se sont sans doute sentis frustrés par l'adoption de la motion de rejet préalable à l'Assemblée nationale, mais ce fut un vote démocratique et nous en avons pris acte.
La commission mixte paritaire adopte, ainsi rédigées, l'ensemble des dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur.
La réunion est close à 20 h 05.