Mardi 1er juillet 2025

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 14 h 30.

Contrôle budgétaire - Fonds national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT) - Communication (sera publié ultérieurement)

Le compte rendu de cette réunion sera publié ultérieurement.

Contrôle budgétaire - « Quel bilan pour le Fonds national des aides à la pierre (FNAP) ? » - Communication

M. Claude Raynal, président. - Nous allons maintenant entendre une communication de M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur spécial des crédits de la mission « Cohésion des territoires », sur le Fonds national des aides à la pierre (FNAP).

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur spécial. - Le sujet que nous abordons aujourd'hui est grave, tant la crise du logement social est prégnante. La direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) vient de publier une étude dans laquelle elle fait état d'une hausse inquiétante en 2024 du taux de chute, c'est-à-dire du taux d'annulation d'opérations de construction de HLM pourtant programmées .

Je ne reprendrai que quelques chiffres qui vous convaincront de l'urgence actuelle : 2,7 millions de demandes de logement dans le parc social ne sont pas pourvues, un chiffre en hausse de 31,5 % par rapport à 2016 ; seuls 85 381 logements sociaux ont été agréés en 2024, soit 30,5 % de moins qu'en 2016.

Je retiens la date de 2016 comme point de comparaison, car il s'agit de l'année de création de l'établissement public sur lequel a porté le contrôle que je vous présente : le Fonds national des aides à la pierre.

Pour éclairer les enjeux auxquels fait face ce fonds, je commencerai par vous rappeler son objet. Le FNAP répartit entre les régions des subventions qui bénéficient aux bailleurs sociaux et sont utilisées comme des fonds gratuits qui permettent aux opérations de logements sociaux de s'équilibrer.

Ce dispositif d'aide pour initier l'opération est complété, au cours de l'exploitation, par divers avantages fiscaux dont bénéficient les bailleurs et qui leur permettent de rentrer dans leurs fonds.

La création du fonds, en 2016, a permis d'unifier en un seul circuit le financement des aides à la pierre. En effet, jusqu'alors, un fonds de péréquation géré par les bailleurs sociaux se superposait au financement par crédits budgétaires des aides à la production de logements sociaux.

Outre l'existence de deux circuits de financement, deux gouvernances, avec deux stratégies parfois distinctes, cohabitaient.

L'objectif de réunir en un seul organisme l'État, les bailleurs sociaux et les collectivités territoriales pour définir une politique cohérente a été globalement atteint, malgré des évolutions possibles dont je vous ferai part à la fin de mon propos.

En revanche, la promesse d'un financement paritaire de ces aides à la pierre, porté par l'État et les bailleurs, est loin d'avoir été tenue. En effet, l'État s'est désengagé dès 2018 du financement du FNAP. Si Action Logement a pris le relais, entre 2018 et 2024, des crédits budgétaires versés par le programme 135 au fonds, cette source est désormais tarie et le FNAP court, dès 2026, le risque de ne plus pouvoir honorer ses engagements.

En 2025, avec seulement 126,4 millions d'euros de recettes, soit deux fois moins que l'an dernier et trois fois moins que l'année de sa création, le FNAP ne peut financer ses actions que par la mobilisation de sa trésorerie. Néanmoins, avec un niveau de charge constant estimé à 300 millions d'euros, ce schéma de financement ne pourra pas être reconduit en 2026 si les recettes ne sont pas rehaussées.

Face à ces difficultés, le président du FNAP a créé un groupe de travail sur l'avenir du fonds qui s'est réuni quatre fois pendant le semestre dernier. Réunissant des membres du conseil d'administration et d'autres acteurs du logement social, comme Action Logement et la Banque des territoires, ce groupe de travail a réfléchi à diverses hypothèses : suppression des aides à la pierre ; maintien des aides à la pierre, mais suppression du FNAP ; maintien du FNAP selon divers scénarios.

Je dois dire que la suppression du FNAP n'aurait pas grand intérêt pour les finances publiques. Son action est en effet déjà portée, à titre gracieux, par la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages. Il n'y aurait donc aucun effet bénéfique à une réinternalisation des missions du fonds.

Parmi les scénarios de maintien du FNAP, que je privilégie, le périmètre d'action et les moyens du fonds ont pu faire l'objet de propositions nombreuses, parfois irréalistes. Le conseil d'administration, à l'exception des représentants de l'État qui y siègent, a ainsi voté en faveur d'un scénario d'intégration au sein du FNAP des missions de rénovation énergétique des logements sociaux et pour 525 millions d'euros de recettes, dont 100 millions d'euros de crédits budgétaires.

Les difficultés financières du pays et les besoins du fonds, qui s'élèvent à environ 300 millions d'euros, nous demandent d'être plus mesurés. La rénovation ne saurait être intégrée cette année aux missions du fonds.

En termes de recettes, il m'apparaît nécessaire de trouver une solution pour que le FNAP sécurise, pour 2026, un niveau d'au moins 250 millions d'euros. Cet abondement pourra être réparti entre l'État et les bailleurs dans le cadre d'une négociation.

À plus long terme, un questionnement plus large du financement du logement social devra être mis en oeuvre. En jouant sur l'ensemble des facteurs, le Gouvernement devra, à l'horizon 2027, reconstruire une politique publique dans un secteur qui a subi de très fortes coupes.

Le niveau de loyer, qui permet de financer l'investissement des bailleurs, pourrait être revu, même si son incidence sur le montant des aides personnelles au logement doit nous laisser vigilants en ces temps de contrainte budgétaire. De même, le niveau et l'efficacité des dépenses fiscales en faveur des logements sociaux - 2 milliards d'euros en 2025 selon la direction de la législation fiscale - doivent être questionnés. Le maintien de la réduction de loyer de solidarité, qui transfère chaque année 1,3 milliard d'euros de charges de l'État aux bailleurs sociaux, pourra aussi être examiné.

Cette réflexion française pourrait avoir lieu concomitamment avec le travail lancé par la Commission européenne pour encourager la production de logements abordables. En effet, en décembre 2024, une « task force logement » a été mise en place par le commissaire à l'énergie et au logement, Dan Jørgensen, et, en mars 2025, la Banque européenne d'investissement (BEI) a annoncé l'ouverture de 10 milliards d'euros sur deux ans pour financer le secteur du logement. Les nouveaux modèles de financement pourraient ainsi prendre appui sur la disponibilité de fonds européens.

Au niveau du FNAP, il conviendra cependant que l'État réinvestisse des crédits budgétaires dès que cela sera possible : il devient chaque année plus difficile de justifier le pilotage du fonds par l'État alors que ce dernier ne participe plus à le financer.

Je reviendrai, dans un second temps, sur les enjeux de gouvernance que connaît le FNAP.

Un premier enjeu est celui de la gouvernance financière du fonds.

Au-delà de la question des moyens alloués au FNAP, les règles internes d'ouverture et de report de crédits ont fait l'objet de difficultés qu'il convient de résoudre.

D'une part, les restes à payer du fonds, c'est-à-dire les autorisations d'engagement n'ayant pas encore donné lieu à des crédits de paiement, sont très élevés - près de 2 milliards d'euros. C'est plus que les 1,9 milliard d'euros d'engagements non soldés que le fonds avait repris à sa charge, lors de sa création, sur des opérations antérieures à 2016. Il convient donc de chercher activement à les réduire, dans un contexte où les opérations sont de plus en plus souvent annulées en raison de l'impossibilité de les équilibrer.

Dans ces cas, les restes à payer perdent alors de leur lisibilité, car il est difficile de savoir combien d'entre eux devront réellement faire l'objet de décaissement. Il faut pour cela placer l'agrément et la demande de subvention après la délivrance du permis de construire pour renforcer la sincérité des projets et s'assurer d'un moindre taux d'annulation, aussi appelé taux de chute.

D'autre part, les reports de crédits ont fortement augmenté. Les reports vers 2025 ont atteint 692 millions d'euros, alors que 123 millions d'euros avaient été reportés vers 2017. Cela est dû au fait que des crédits de paiement versés par le FNAP au budget de l'État ne sont finalement pas décaissés, faute de mise en oeuvre des opérations. Le FNAP obtient alors un remboursement et reporte les crédits vers l'année suivante. Ce circuit n'est pas très sensé et empêche la bonne lecture des besoins en crédits de paiement du fonds. Je salue donc la réforme des règles financières qui s'imposent au FNAP qui a eu lieu en 2023. Révisée en 2024, elle a permis de stabiliser pour la première année ces reports. Je serai attentif à ce que cette amélioration perdure.

Ensuite, en termes d'organisation interne du fonds, si le bilan est globalement positif, des évolutions vers une meilleure territorialisation des aides doivent être mises en oeuvre.

L'ensemble des membres du conseil d'administration du FNAP ont salué la possibilité qu'offre le fonds de permettre un dialogue permanent entre les parties prenantes du financement du logement social. Composé de quinze membres, dont cinq représentants de l'État, cinq représentants des bailleurs sociaux et cinq représentants du Parlement et des collectivités territoriales, le conseil d'administration travaille à la répartition des aides dans les territoires.

Le travail d'analyse de fond est mené par la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages et relayé par les services déconcentrés de l'État. Par conséquent, la prégnance de l'État sur l'organisation et le fléchage des crédits demeure.

Plusieurs interrogations sur l'emploi de ces crédits sont apparues dans l'analyse que j'en ai faite. D'une part, certaines régions comme l'Île-de-France sont surreprésentées parmi les bénéficiaires d'aides à la pierre ; d'autre part, certains bailleurs bénéficient d'aides particulièrement massives.

Il convient, par conséquent, de travailler à rapprocher le fléchage des crédits du FNAP vers les territoires, au plus près des besoins.

Plusieurs pistes concrètes pourraient le permettre.

D'abord, les aides, réparties par le FNAP au niveau régional, le sont au sein des comités régionaux de l'habitat et de l'hébergement, les CRHH, et utilisées selon deux modalités possibles : soit par délégation des crédits à des collectivités qui sont délégataires de la compétence des aides à la pierre, soit par les services déconcentrés lorsque le territoire n'est pas délégataire. Aller vers la décentralisation de la compétence est bénéfique, car la gestion en délégation semble plus efficace et plus rapprochée des besoins locaux. Cependant, ce mouvement doit s'accompagner d'un suivi renforcé des crédits utilisés dans les territoires délégués. Le système d'information des aides à la pierre (Siap), application unifiée pour le suivi des aides, est très lacunaire à ce sujet.

Ensuite, le développement d'une méthodologie commune pour la remontée d'informations sur les besoins locaux doit devenir une priorité pour la DHUP.

Enfin, les zonages de tension entre la demande et l'offre de logements sont aujourd'hui au nombre de trois, se chevauchent, voire se contredisent parfois. Pour rapprocher les aides des besoins locaux, il est absolument nécessaire de tendre vers une convergence voire une fusion de ces trois zonages, et j'appelle à ce qu'une méthode soit mise en oeuvre pour que leur révision soit récurrente.

Je finirai par un mot sur la mission du FNAP auprès des logements très sociaux et des maîtrises d'ouvrage d'insertion. Ces opérations, à niveaux de loyers particulièrement bas, nécessitent parfois jusqu'à 50 % de fonds gratuits pour être équilibrées. Par conséquent, l'outil des aides à la pierre est vital pour elles. Il me semble donc nécessaire que le FNAP continue à soutenir particulièrement ces opérations, qui sont cruciales pour donner des solutions de logement aux plus vulnérables de nos concitoyens.

M. Claude Raynal, président. - Je cède la parole à Mme Amel Gacquerre, rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques.

Mme Amel Gacquerre, rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques. - Le rapporteur spécial a très bien décrit la gravité de la situation. Les besoins en logements sociaux augmentent de manière exponentielle. Le FNAP, dont la création en 2016 avait suscité bien des interrogations, a été une réussite. Il a permis de simplifier le financement d'une grande partie des logements sociaux. La question de son maintien ne se pose pas. L'enjeu est de trouver les crédits pour abonder ses recettes, car l'État, comme vous l'avez indiqué, n'est pas au rendez-vous. L'avenir de ce fonds est menacé, dès l'année prochaine, alors que la crise du logement connaît un paroxysme.

Vous avez évoqué plusieurs pistes d'amélioration. L'une d'elle concerne la mobilisation des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) pour 250 millions d'euros. Certains envisagent de mettre fin à la réduction du loyer de solidarité (RLS).

Nous avons besoin à la fois de réformes urgentes, pour financer la construction de logements sociaux cette année, et de réformes structurelles, pour renforcer le modèle économique de financement des logements sociaux, et notamment des logements très sociaux financés par le prêt locatif aidé d'intégration (PLAI), lesquels doivent représenter 30 % des logements neufs dans chaque programme immobilier. Nous manquons d'un vrai modèle économique en la matière. Il faut réfléchir à ces questions dès maintenant, en amont du projet de loi de finances.

Nous plaidons pour davantage de territorialisation et de décentralisation, par le biais des autorités organisatrices de l'habitat (AOH). Les territoires attendent la mise en oeuvre de cet outil, qui est une coquille vide aujourd'hui. Un tel dispositif permettrait de gagner en efficacité dans la mobilisation des fonds pour la construction de logements sociaux.

Une autre piste est la mobilisation des fonds européens. C'est une solution que l'on évoque beaucoup dans de nombreux domaines, mais je n'ai pas l'impression que nous soyons organisés pour pouvoir le faire dès 2026. Nous manquons notamment d'ingénierie.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Le financement du FNAP devait être paritaire, mais l'État s'est désengagé dès 2018. Il est problématique que l'État ne respecte pas ses engagements contractuels, alors que l'on connaît l'ampleur de la crise du logement en France. Comme on le dit chez nous : « grand diseux, petit faiseux ! ».

Notre rapporteur a soulevé l'importance des reports de crédits. Ce n'est rien d'autre qu'une forme de cavalerie budgétaire regrettable de la part de l'État.

On évoque souvent une territorialisation du fonds. Il faut développer la contractualisation, mais il convient aussi de s'interroger sur le zonage dans les territoires et dans les quartiers excentrés. Les logements sociaux sont souvent en mauvais état. C'est préjudiciable aux parcours résidentiels et à la cohésion sociale. De même, l'offre de logements sociaux privés est de mauvaise qualité. C'est pourquoi la question de la décentralisation est posée.

Nous avions réalisé un contrôle sur l'utilisation des fonds européens il y a quelques années. Le Grand Est la région qui utilise le mieux les fonds européens, grâce à une organisation transversale de ses services. Elle n'a pas créé d'équipe dédiée en la matière.

M. Jean-François Rapin. - Vous avez évoqué les fonds européens. L'ouverture de crédits par la BEI rentre dans le cadre de ses actions visant à soutenir la réfection thermique des logements. Je suis plus inquiet du fait que la Commission européenne souhaite s'occuper de la question du logement. Cela ne fait pas partie de ses compétences primaires. La question de la subsidiarité se pose donc. Le cadre financier pluriannuel européen post-2027 est difficile à établir. Les discussions sont tendues. La commission des affaires européennes du Sénat a d'ailleurs adopté, sur l'initiative de Florence Blatrix Contat et Christine Lavarde, un avis sur le sujet. Si la Commission veut s'intéresser à la question du logement, qui relève de la compétence des États, la France risque d'être perdante, car il y a des retards plus flagrants à combler en la matière en Europe de l'Est. Cela coûtera un argent fou. Gare donc aux emballements en la matière ! Il faut veiller au respect du principe de subsidiarité.

M. Claude Raynal, président. - La Commission européenne interviendrait au titre de la politique de cohésion ?

M. Jean-François Rapin. - Il n'y a pas de fondement dans les traités, mais un commissaire européen a affiché sa volonté de s'intéresser à la question du logement. On sait comment cela se passe : cela commence par des déclarations, puis des textes sont déposés... La Commission européenne s'appuie souvent sur ses compétences relatives au fonctionnement du marché intérieur pour justifier ses actions.

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur spécial. - Il y a un malaise en ce qui concerne le FNAP. C'est pourquoi nous nous sommes intéressés à la question et que nous nous sommes demandé s'il fallait conserver ce fonds. Je le répète : même si la réflexion sur la suppression d'agences est d'actualité, la suppression du FNAP ne serait pas source d'économies. Ses missions sont déjà mises en oeuvre par l'administration centrale en interne. C'est la DHUP qui gère, de facto, le fonds.

Le problème, c'est la gestion financières illisible et la répartition territoriale qui ne me semble pas toujours adaptée aux besoins. La crise du logement est aiguë ; notamment en ce qui concerne le logement très social.

Nous proposons de conserver la gouvernance actuelle, car celle-ci associe l'État et les élus. Il convient en revanche de territorialiser davantage, par le biais des AOH par exemple. Il faut décentraliser et contractualiser, dans une perspective pluriannuelle.

La question cruciale est celle du financement. Il manque 250 millions d'euros. Nous appelons l'État et les bailleurs sociaux à entamer des discussions sur le sujet. Mais le feront-ils ?

M. Claude Raynal, président. - J'observe que c'est le second rapport que nous examinons ce matin, et c'est la seconde fois que nos rapporteurs nous proposent de pérenniser le dispositif étudié !

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Pérenniser un dispositif ne signifie pas conserver tels quels les crédits !

La commission a adopté les recommandations du rapporteur spécial et autorisé la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.

La réunion est close à 15 h 40.

Mercredi 2 juillet 2025

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 09 h 30.

Contrôle budgétaire - La politique de l'État en faveur de la filière du livre - Communication

M. Claude Raynal, président. - Nous allons entendre une communication de M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur spécial des crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles » et du compte de concours financiers « Avances à l'audiovisuel public » sur la politique de l'État en faveur de la filière du livre.

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur spécial. - Lors de nos réunions, nous avons davantage l'habitude de citer des rapports administratifs plutôt que des romans. Je vous propose ce matin de concilier les deux, en vous présentant le résultat de mes travaux sur les interventions de l'État en faveur de la filière du livre. Plus précisément, ce contrôle budgétaire porte sur la politique économique du livre, par conséquent, sur les aides de l'État accordées aux auteurs, aux éditeurs et aux libraires.

Pour commencer, je donnerai quelques éléments de contexte sur la vente de livres en France. La politique de soutien à la filière du livre comporte une dimension relevant de l'aménagement du territoire. Si la moitié des 3 000 librairies indépendantes en France sont situées dans un grand centre urbain, 30 % d'entre elles sont implantées dans des petites villes ou des milieux ruraux, voire très ruraux. En outre, les modes de consommation évoluent : en 2024, les achats de livres étaient effectués pour 27 % d'entre eux dans les librairies, contre 30 % dans de grandes surfaces spécialisées dans les produits culturels et 20 % en ligne.

Le secteur du livre a connu une sorte de bulle économique immédiatement après la crise sanitaire : plus de 270 communes disposent ainsi d'une nouvelle librairie, créée au cours des quatre dernières années. Toutefois, les indicateurs financiers révèlent que cette euphorie économique a été de courte durée : après une envolée en 2020 et 2021, le chiffre d'affaires du secteur de la librairie est redevenu moins dynamique que celui de l'ensemble des commerces de détail dès 2022. Le taux de marge des librairies est, quant à lui, structurellement plus faible que celui de l'ensemble des commerces. Pour ce qui concerne les éditeurs de livres, leur taux de valeur ajoutée est également plus bas que celui des autres industries culturelles.

J'en viens à la politique du livre proprement dite. En premier lieu, il faut garder à l'esprit que l'action de l'État en faveur de la filière du livre passe, pour l'essentiel, par la régulation normative du secteur. Le prix unique du livre, instrument qui fait désormais consensus, constitue le premier axe de soutien de l'État. En second lieu, la politique de l'État est essentiellement orientée vers le développement de la lecture publique, par conséquent vers les bibliothèques. La Bibliothèque nationale de France bénéficie, à elle seule, de 245 millions d'euros. Ces crédits complètent l'action des collectivités territoriales à destination des bibliothèques, qui s'élève à environ 1,7 milliard d'euros.

Par conséquent, le soutien de l'État à la filière du livre ne représente qu'un effort financier assez réduit, à l'exception du taux réduit de TVA.

Le taux de TVA de 5,5 %, qui s'applique à l'achat de livres, est, en effet, le premier instrument de soutien direct de l'État à la filière. Son coût pour les finances publiques s'élève à quelque 600 millions d'euros de moindres recettes par an. Les dépenses d'achat de livres représentent la même proportion - 1 % environ - des dépenses des ménages les moins aisés et des plus riches. Toutefois, le décile de population le plus riche achète des livres à hauteur de 294 millions d'euros par an, contre 84 millions d'euros pour le premier décile.

Par ailleurs, ce taux réduit de TVA n'est pas considéré comme une dépense fiscale, contrairement à d'autres taux réduits applicables aux industries culturelles. Son coût ainsi que ses bénéficiaires sont, en conséquence, très peu suivis par le ministère de la culture comme par Bercy. Au regard du coût de ce dispositif, qui est sans commune mesure avec celui des soutiens directs à la filière du livre, il est impératif de disposer d'une analyse plus fine.

En dehors du taux réduit de TVA, la filière du livre est en réalité peu subventionnée. En 2024, les aides directes versées par le Centre national du livre (CNL) ne représentaient que 22 millions d'euros et celles qui sont versées par les directions régionales des affaires culturelles (Drac) 4,8 millions d'euros.

Le CNL est l'opérateur de l'État pour la politique économique du livre. Son budget de 28 millions d'euros est consacré aux deux tiers à l'intervention directe auprès du secteur. Le CNL soutient tous les maillons de la chaîne du livre : ainsi, 20 % des 3 000 aides accordées sont versées aux auteurs, 23 % aux éditeurs et 16 % aux librairies. Le montant des aides à destination des librairies est, en moyenne, deux fois supérieur à celui des aides accordées aux auteurs et aux éditeurs.

Au regard de la faiblesse du montant moyen des aides accordées par le CNL, il est possible de s'interroger sur un risque de saupoudrage des aides. Sans l'écarter, l'analyse des données va plutôt dans le sens d'un ciblage pertinent. Tout d'abord, les librairies percevant des aides sont, en moyenne, structurellement moins rentables que les autres ; les aides sont donc dirigées vers les librairies les plus en difficulté. Ensuite, près de la moitié des aides aux librairies sont attribuées à des commerces situés dans des communes de moins de 30 000 habitants. Enfin, 79 % des aides aux éditeurs sont versées à de petites et moyennes maisons d'édition.

Le processus d'attribution des aides du CNL, quoique transparent, est très lourd. Je formule plusieurs recommandations pour les simplifier. Il me paraît, en particulier, nécessaire de supprimer la possibilité, pour le CNL, d'accorder des prêts. En effet, le volume des prêts reste réduit - 2,3 millions d'euros en 2024 pour 67 projets - et d'autres acteurs dont c'est le coeur de métier existent ; le rôle du CNL devrait ainsi être recentré sur l'attribution de subventions.

Quant aux aides des Drac à la filière du livre, celles-ci sont d'un montant très modeste, selon les critères de la commission des finances pour laquelle l'unité de compte est bien souvent le milliard d'euros. En 2024, la région d'Île-de-France mise à part, aucune région n'accordait plus de 550 000 euros d'aides. Ces dernières sont le plus souvent fléchées vers les structures régionales du livre, institutions qui réunissent les Drac, le CNL et les régions.

Je souhaite revenir brièvement sur la période de la crise sanitaire. Comme pour nombre de secteurs économiques, l'État a réagi en débloquant, dans l'urgence, des montants de crédits importants. Au total, entre 2020 et 2022, 43 millions d'euros d'aides exceptionnelles ont été accordés par le CNL à la filière du livre. La proportion de librairies percevant au moins une aide des Drac ou du CNL a progressé jusqu'à 42 % en 2020, contre 7 % à 9 % en temps normal. Or les achats de livres ont paradoxalement augmenté pendant cette période. Par conséquent, une part non négligeable des fonds d'urgence n'ont pas été consommés et ont été redéployés. En outre, une surrentabilité des librairies a été constatée en 2020, leur permettant même d'obtenir un taux de marge moyen plus élevé que celui réalisé par le reste du commerce de détail. Dans ce secteur, comme dans beaucoup d'autres, le déblocage massif d'argent n'aurait sans doute pas été indispensable en 2020 pour nombre de librairies.

Enfin, au-delà des aides directes, un certain nombre de dispositifs bénéficient au secteur du livre ; c'est notamment le cas du pass Culture. En 2024, les achats de livres par ce biais ont représenté 89 millions d'euros, soit trois fois le montant des aides directes du CNL. L'impact économique du pass Culture sur la filière du livre peut donc s'apparenter à celui d'une aide d'État massive. Pourtant, rappelons-le, celui-ci n'a jamais eu vocation à subventionner les industries culturelles.

Pour terminer, je souhaite partager quelques éléments de comparaison entre la filière du livre et les autres industries culturelles. Ainsi, pour ce qui concerne les financements publics, il est frappant de constater que le secteur du livre est un « bon élève » par rapport à d'autres secteurs sur-subventionnés.

Premier secteur au sein des industries culturelles en termes de chiffres d'affaires, il est pourtant - et de très loin - celui qui est le moins directement aidé. En effet, les aides du CNL ne représentent que 0,23 % du chiffre d'affaires total du secteur, un niveau très largement inférieur à celui des autres industries culturelles, soit 3,3 % pour la musique et jusqu'à 15 % pour les secteurs soutenus par le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), dont le budget est sans commune mesure avec les moyens des autres opérateurs.

L'écart est encore plus frappant pour ce qui concerne le rapport entre la dépense fiscale, définie au sens large en y incluant l'ensemble des taux réduits de TVA, et la valeur ajoutée totale du secteur. La dépense fiscale représente 6 % de la valeur ajoutée du secteur du livre, mais jusqu'à 35 % de celle du secteur du cinéma !

Ma principale conclusion est que le secteur du livre est relativement indépendant des financements publics ; les autres industries culturelles gagneraient à s'en inspirer. Nul doute que nous en débattrons lors du prochain projet de loi de finances (PLF).

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Quelques éléments sont contre-intuitifs. Ainsi, dans des départements à dominante rurale, la proportion de librairies par habitant est plus élevée que celui de départements plus peuplés et dotés de plus grandes villes ; il s'agit peut-être de départements bénéficiant d'aides plus importantes. Il serait intéressant d'approfondir ces données pour sortir des idées reçues.

En liaison avec la commission de la culture, il serait aussi utile d'analyser l'évolution du lectorat ; il me semble d'ailleurs que le livre numérique plafonne. Le nombre de salons littéraires organisés dans de nombreuses villes et communes, ainsi que la renaissance et le déploiement des bibliothèques soutenus par les politiques départementales vont à l'encontre de l'idée assez communément répandue selon laquelle nous assistons à la fin du livre, qui serait une industrie dont l'avenir s'assombrit. Jean-Raymond Hugonet pourrait, peut-être, nous donner quelques informations sur ces sujets.

Je retiens de cette présentation que la filière du livre est, certes, aidée, mais bien moins que d'autres, alors qu'elle participe au creuset culturel de notre pays. Nous devrions en tirer des enseignements pour ce qui concerne les facteurs favorisant sa vitalité et pour continuer de faciliter l'accès à la lecture dans nos territoires. On pourrait penser, à tort, que ce sujet est très restreint. Je souscris aux recommandations du rapport de Jean-Raymond Hugonet.

M. Arnaud Bazin. - Selon le rapporteur spécial, en termes de dépenses fiscales, le taux réduit de TVA coûterait plus cher pour le dernier décile de revenus que pour le premier décile. J'espère qu'il ne propose pas une TVA différentielle selon le revenu fiscal de référence ! L'argument peut d'ailleurs être retourné, puisque le dernier décile paie davantage de TVA, en valeur absolue, que le premier décile.

Pour ce qui concerne le livre numérique, quelle taxation lui est appliquée ? La diffusion de cette pratique de lecture plafonne-t-elle ou, au contraire, devient-elle plus fréquente ? Quels en sont les effets sur les maisons d'édition ? Quels sont les besoins en matière d'aides ?

Mme Christine Lavarde. - Le rapporteur spécial fait des propositions pour mieux articuler les actions de l'administration centrale, de l'administration déconcentrée et du CNL en matière de politique de soutien à la lecture.

En effet, ces trois acteurs ont été mobilisés dans le cadre du plan de relance. On aurait pu se demander pourquoi l'administration centrale a été chargée d'encourager les jeunes à venir dans les librairies et non pas les services déconcentrés...

Au-delà de cet exemple, pensez-vous que l'organisation de la politique de soutien au livre est optimale ?

M. Claude Raynal, président. - Ce rapport est dense. Mais j'ai du mal à identifier la recommandation principale. Faut-il supprimer les prêts accordés par le CNL ? Lorsqu'il s'agit de 2 millions d'euros, cela ne me semble pas une question majeure.

Votre analyse est plutôt positive : les actions menées par l'État, les régions et les communes semblent traiter la question correctement.

À mes yeux, les librairies qui ont été en grande difficulté se sont relevées grâce à un changement de pratiques, au travers de présentations d'auteurs ou de services de petite restauration qui en font des lieux de vie intéressants, vivants et attirants.

Le secteur du livre n'est pas tout à fait à l'équilibre, mais n'en est pas loin. J'ai donc l'impression que votre appréciation est positive et, sauf si vous me dites le contraire, qu'aucune modification marquante n'est à apporter.

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur spécial - Nous voyons souvent, dans cette commission, le chaos budgétaire et le manque de contrôle. Or, dans ce domaine qui réclame peu de subventions, l'argent public est bien utilisé. C'est plutôt satisfaisant. Les quelques actions qui auront lieu, sur la base de mes recommandations, interviendront donc le cas échéant à la marge.

Il ne s'agit pas de supprimer les prêts, mais de faire en sorte qu'ils ne soient pas accordés par le CNL. Ce dernier se concentrerait sur les subventions, qui sont toujours un sujet délicat - pourquoi tel auteur plutôt que tel autre ? Les prêts seraient, quant à eux, laissés à des structures plus habilitées à les octroyer et qui assurent d'ailleurs déjà cette mission.

Cette filière est effectivement dynamique et agile. Devant l'adversité, même si les aides publiques ont pu profiter à certains au-delà de leurs espérances en raison d'un manque de contrôle de l'État, elle a su se modifier pour offrir d'autres services. Nous l'avons tous vu dans les librairies de nos communes.

Monsieur le rapporteur général, les auditions ont montré que la politique du livre était presque un exemple de décentralisation. Avec les contrats de filière, l'État et les régions se coordonnent, localement, avec des professionnels passionnés, pour viser la plus grande efficacité possible. Cela devrait servir d'exemple pour d'autres thématiques.

La politique du livre est une action majeure dans nos territoires. Qui n'a pas son salon littéraire, son salon du livre jeune, ou autre ? Les bibliothèques évoluent aussi, comme les librairies. Elles deviennent de plus en plus des lieux de vie, parfois avec les moyens du bord. Ce n'est pas forcément dans les grandes communes que l'on trouve les initiatives les plus originales. De plus, la bibliothèque est un endroit de convergence intergénérationnelle. Patrimoine historique majeur, elle est aussi un creuset culturel. Cette réalité est vécue dans tous les territoires, urbains comme très ruraux.

Concernant la TVA, je faisais un constat sur les différences de consommation selon les déciles de revenus. En outre, il faut avoir à l'esprit que les plus riches ne se tournent pas forcément vers le même genre de livre que les moins aisés. Aucune offre de TVA différentielle n'est à l'étude.

J'en viens à la taxation du numérique. La production de titres numériques a crû de 124 % en dix ans. Certes, elle partait de très bas. Le nombre de livres numériques représente environ la moitié du stock de livres physiques. Les ventes en ligne de livres sont stables, comprises entre 18 % et 20 % depuis dix ans. La TVA appliquée au livre numérique est, comme pour le livre physique, à 5,5 %.

Madame Lavarde, ce qui ressort du rapport est plutôt positif, mais il y a certainement des améliorations à apporter, notamment en matière d'organisation.

Contrairement à ce que l'on pourrait croire, l'économie du livre est la première économie culturelle, en chiffre d'affaires. Cependant, pour éviter un effet de saupoudrage, des progrès pourraient être effectués. Il reste néanmoins que les sommes d'argent public consacrées à cette politique, quoiqu'importantes, forment en réalité l'épaisseur du trait par rapport à ce que l'on voit dans d'autres domaines.

Nous veillerons à parfaire l'organisation. J'espère que ce rapport constituera une contribution intéressante à cet égard.

La commission adopte les recommandations du rapporteur spécial et autorise la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.

Contrôle budgétaire - Les unités d'élite de la gendarmerie et de la police nationales - Communication

M. Claude Raynal, président. - Nous passons à la communication de notre collègue Bruno Belin, rapporteur spécial des programmes « Police nationale », « Gendarmerie nationale » et « Sécurité et éducation routières », sur les unités d'élite de la gendarmerie et de la police nationales.

M. Bruno Belin, rapporteur spécial. - Je commencerai par un bref rappel historique. La prise d'otages de la délégation israélienne survenue aux jeux Olympiques de Munich en 1972 - les premiers à être organisés en Allemagne depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale - a provoqué une prise de conscience. La République fédérale d'Allemagne ne souhaitait pas montrer de forces de sécurité ; les agents chargés d'assurer la sécurité de l'événement n'étaient donc ni en uniforme ni armés. En a résulté un fiasco dans la gestion de la prise d'otage.

À la même période, les Brigades rouges sévissaient en Italie et la bande à Baader en Allemagne, et la France était frappée par l'affaire Mesrine et celle du baron Empain.

Cela a conduit les autorités à créer d'abord une brigade « antigang », surnom donné à compter de 1972 à la brigade de recherche et d'intervention de la préfecture de police (BRI-PP), puis deux unités spécialisées de la gendarmerie et de la police nationale : le groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) en 1974, d'un côté, et le Raid, de l'autre, en 1985.

Le budget général du GIGN s'élève, hors compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions » à environ 90 millions d'euros, pour un effectif d'un millier de personnes. Le Raid dispose quant à lui d'un budget d'environ 40 millions d'euros, pour un effectif de 500 personnes. Enfin, la BRI présente un budget d'environ 10 millions d'euros, pour un effectif d'une centaine de personnes.

Il y a peu de femmes dans les groupes d'intervention de ces unités. Ce phénomène ne découle évidemment pas d'une volonté des unités. Certaines femmes se présentent aux tests, mais l'une des difficultés est le poids de l'équipement. Pour une petite sortie, l'équipement pèse 25 kilos, et parfois 45 kilos pour une grande sortie. Vous imaginez la contrainte physique que cela représente.

Au total, les unités d'élite emploient donc environ 1 600 personnes, pour un budget total avoisinant les 140 millions d'euros, hors CAS « Pensions ».

Elles s'appuient sur une répartition territoriale spécifique. La BRI-PP est compétente à Paris et dans les départements de Seine-Saint-Denis, des Hauts-de-Seine et du Val-de-Marne, le Raid dans le reste de la zone « police » en France et le GIGN en zone « gendarmerie ».

Qu'est-ce qui justifie la séparation entre la BRI-PP et le Raid au sein de la police ? Pourquoi cette subtilité ? C'est le fruit de l'histoire. La première est sous l'autorité du préfet de police et la seconde sous celle du directeur général de la police nationale. Mais il n'y a pas de conflit ni de guerre de polices. Lorsqu'un besoin se présente, ce sont les premiers disponibles qui interviennent. Cela ne pose pas de difficultés.

Serait-il plus pertinent de n'avoir qu'une seule unité d'élite, pour gagner en efficacité, en performance et en moyens budgétaires ? Je pense qu'il faut tenir compte des différences entre les zones police et gendarmerie. De plus, chaque unité d'élite a ses spécificités complémentaires, l'investigation pour la BRI-PP par exemple, et la piraterie aérienne et maritime pour le GIGN.

La BRI-PP a son siège à la préfecture de police, le Raid à Bièvres, dans l'Essonne, et le GIGN à Versailles, dans les Yvelines. En outre, le RAID et le GIGN disposent aussi d'antennes en métropole et en outre-mer, ce qui constitue une véritable force. Le GIGN dispose ainsi de sept antennes en métropole et de sept autres en outre-mer.

Nous pourrions nous demander si la distance d'intervention ne pourrait pas poser problème dans certaines zones. Il est vrai qu'un certain manque d'implantations s'observe notamment dans le Massif central. Mais il faut tenir compte de la rapidité de mobilisation de ces unités. Lors de notre visite dans l'unité du GIGN de Tours, nous avons ainsi pu constater qu'il lui fallait une heure et demie pour aller de Tours au Puy-de-Dôme. Ces unités disposent aussi d'hélicoptères basés à Villacoublay. De Bièvres ou de Versailles, il est donc possible de déplacer des moyens humains en très peu de temps.

S'agissant de leurs activités, les unités d'élite ne gèrent pas seulement des prises d'otages, même si nous avons tous en tête les interventions sur l'Airbus à Marignane en 1994 ou à l'Hyper Cacher en 2015. Elles interviennent également beaucoup dans la protection rapprochée, par exemple lors de la Conférence des Nations unies sur l'océan qui s'est tenue à Nice, et à l'occasion d'interpellations difficiles, à domicile ou sur la voie publique. Ces moments particulièrement tendus requièrent un savoir-faire spécifique.

S'agissant de la sélectivité des personnels de ces unités, l'intégration au GIGN nécessite par exemple plusieurs mois d'observation, après des tests sur dossiers, physiques et d'intervention. Nous avons pu participer à plusieurs mises en scène qui montrent combien ses membres ont une formation physique et morale à toute épreuve.

Le GIGN est également mobilisé pour les transfèrements, très consommateurs de moyens, qui sont organisés pour un certain nombre de clients - si j'ose dire - au curriculum vitae « élogieux », pour un procès, par exemple, ou pour un entretien avec le juge d'instruction. Les prisonniers les plus ciblés changent en outre de prison tous les quatre mois. Or ces opérations nécessitent parfois la mobilisation de 15 à 35 gendarmes du GIGN, hélicoptère compris. Elles requièrent donc des moyens humains et un savoir-faire.

Outre-mer, certaines zones sont dépourvues d'unités d'élite : Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Martin - ce qui soulève des interrogations compte tenu de sa nature binationale particulière et de son aéroport international, sachant que le trafic de stupéfiants est très important dans la région -, Saint-Barthélemy et Wallis-et-Futuna. Ce sont les seules zones où il faudrait des déplacements aériens pour pouvoir faire intervenir les unités d'élite.

Certaines de mes recommandations concerne les effectifs. Posons les termes du débat : le coût d'un équivalent temps plein (ETP) au sein d'une unité d'élite est d'environ 90 000 euros par an. C'est pourquoi je propose de renforcer le recours aux réservistes au sein des trois unités d'élite en vue de traiter un certain nombre de prestations spécialisées. Mais il faudra malgré tout garantir des moyens humains suffisants.

Lors de mes différents déplacements, mes interlocuteurs ont beaucoup insisté sur un autre sujet : les véhicules utilisés par les unités d'élite. On m'a fait comprendre qu'il était tout simplement impensable d'utiliser des véhicules électriques pour les missions opérationnelles, et ce compte tenu de la nature de ces dernières et de l'indispensable efficacité dont ces unités doivent faire preuve en intervention ; en bref, au nom du principe de réalité. Aussi, je propose - c'est ma recommandation n° 3 - que l'on déroge à l'application du malus écologique pour les véhicules opérationnels des unités d'élite.

La recommandation n° 6 porte sur les marchés publics. Si le GIGN est soumis à des règles spécifiques en la matière, les unités du Raid et de la BRI peinent parfois à accéder à certains matériels pourtant essentiels - munitions, gilets pare-balles -, parce qu'elles doivent suivre les modalités classiques de passation des marchés publics, malgré des besoins de niche. Il conviendrait de simplifier ces procédures.

Enfin, la recommandation n° 7 a trait à l'immobilier- c'est un sujet qui me tient à coeur, puisque j'ai consacré mon précédent contrôle budgétaire à l'immobilier de la gendarmerie nationale. La situation n'a guère changé : il faut réaliser davantage d'efforts d'investissement. Je pense plus particulièrement au projet immobilier de reconstruction de l'échelon central du GIGN à Versailles, le projet CapSatory, qu'il importe, malgré son coût de 600 millions d'euros, de lancer au plus vite. Enfin, sur ce sujet, il me revient de vous alerter sur l'état problématique de la caserne de l'unité du GIGN de Saint-Herblain.

Je terminerai en évoquant, en manière de clin d'oeil, l'importance des chiens au sein de nos unités d'élite. Ces animaux sont très impressionnants : ils ont un odorat exceptionnel et sont capables de détecter explosifs comme stupéfiants à une vitesse record. Ils sont considérés comme faisant partie prenante des effectifs. La preuve en est que, lorsqu'ils décèdent en opération, ils sont par la suite enterrés près des casernes - c'est le cas d'un dénommé Diesel, un ancien chien du Raid, qui est aujourd'hui enterré à Bièvres.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. -Mon cher collègue, à mon tour de vous adresser un clin d'oeil amical à propos des chiens qui servent dans nos unités d'élite : j'ai une pensée en cet instant pour un chien très renommé, un certain Rintintin, qui s'est distingué au cours de la Première Guerre mondiale. Ce chien était employé par l'armée américaine, stationnée alors en Meurthe-et-Moselle, dans la petite commune de Flirey, et est par la suite devenu très célèbre. Cette parenthèse étant fermée, j'en reviens aux différents sujets qui viennent d'être abordés.

Concernant l'immobilier, une problématique pourtant éminemment régalienne, on ne peut, hélas, que regretter ces difficultés récurrentes, auxquelles nous devons rester particulièrement attentifs. Je me suis moi-même rendu à Champigneulles, petite bourgade près de Nancy, pour rendre visite aux policiers de l'antenne locale du Raid : ils m'ont alerté sur les difficultés qu'ils rencontraient pour disposer de suffisamment de terrains et de lieux d'entraînement, notamment en zone urbaine, malgré l'existence de vastes friches. Vous a-t-on fait part de telles difficultés, monsieur le rapporteur spécial ? Comment les expliquer ? Le problème est-il d'ordre financier ou est-ce une problématique de conventionnement ?

Vous avez par ailleurs parlé de la couverture du territoire par nos unités d'élite. Dispose-t-on d'une cartographie de leurs principales zones d'intervention ? Cela nous permettrait de nous faire une idée sur les territoires les plus exposés et de suivre de plus près l'évolution de la situation.

Enfin, vous préconisez une accélération de la procédure de passation des marchés publics : les difficultés identifiées résultent-elles uniquement de lourdeurs administratives ? Cela implique-t-il une simplification et un allègement des règles ? Quelles améliorations sont-elles envisageables dans ce domaine ?

M. Thierry Cozic. - Je remercie Bruno Belin de cet éclairage sur un sujet que tout le monde connaît, mais que peu d'entre nous maîtrisent.

Alors que la majorité sénatoriale est très attachée à l'efficacité des politiques publiques et, partant, à la rationalisation des dépenses publiques, d'autant plus dans le contexte actuel, est-il encore pertinent de maintenir trois unités d'élite ? Un rapprochement est-il envisageable ? À défaut, ne devrait-on pas améliorer leur complémentarité et les échanges d'informations ?

M. Stéphane Sautarel. - Permettez-moi à mon tour de remercier le rapporteur spécial.

Pour ma part, je formulerai deux observations. D'abord, je découvre avec un grand étonnement les très faibles moyens - 140 millions d'euros ! - consacrés à nos unités d'élite. Ensuite, je considère qu'il s'agit d'une raison supplémentaire pour faire en sorte, y compris financièrement, d'apporter les réponses que l'on doit à ces personnels, qu'elles aient trait aux véhicules ou aux conditions de logement.

Cette communication comporte des éléments intéressants qu'il nous reviendra d'exploiter dans la perspective du prochain projet de loi de finances.

M. Pierre Barros. - Mon observation portera sur le parcours professionnel de nos unités d'élite. Dans mon département notamment, le Val-d'Oise, j'ai remarqué que les patrons de la gendarmerie sont tous passés par le GIGN : cette unité fait office de quasi-passage obligé pour les officiers de l'encadrement supérieur. Je trouve cela intéressant : le GIGN permet d'apprendre un métier certes spécifique, mais il est ensuite possible de faire fructifier cette expérience au plus près des territoires. Un tel parcours professionnel qui concilie compétences très pointues et pratiques de terrain est à préserver. La logique managériale qui le sous-tend est d'autant plus pertinente qu'elle contribue à maintenir l'attractivité de ces métiers.

M. Claude Raynal, président. - La remarque de Stéphane Sautarel sur la faiblesse des moyens alloués à nos unités d'élite est fort pertinente. En revanche, je m'étonne que notre collègue n'ait pas relevé l'absence de ces unités dans les départements du centre de la France... Ce « vide » est pourtant notable !

M. Bruno Belin, rapporteur spécial. - Monsieur le rapporteur général, il n'existe aucune cartographie des interventions des unités d'élite. Cela étant, sans trop m'avancer, je dirai que beaucoup de ces interventions ont lieu notamment à proximité des grandes villes, dans les territoires criminogènes et sur les routes, dans le cadre de missions tenant à la protection de personnalités, à la lutte contre les trafics - je pense aux convois de type go fast -, à des interpellations ou à diverses interventions sensibles.

Je vous confirme par ailleurs que le Raid et la BRI sont confrontés à de vraies difficultés lors de la passation des marchés publics. Le degré de détail et le volume des commandes exigés par les services centraux du ministère en charge de la commande publique rendent la procédure particulièrement complexe. Au vu du nombre élevé d'interpellations que l'on m'a faites à ce sujet, s'il n'y avait qu'un problème à résoudre, ce serait celui-ci, outre les véhicules.

M. Claude Raynal, président. - Comment se fait-il que le rapprochement opéré entre la police et la gendarmerie au sein du ministère de l'Intérieur ne se soit pas traduit par des commandes publiques communes ? Un tel carcan est véritablement dommageable.

M. Bruno Belin, rapporteur spécial. - Si c'était faisable, ce serait effectivement une bonne chose.

Vous m'interrogez également sur les difficultés auxquelles seraient confrontées nos unités d'élite pour obtenir des terrains d'entraînement : pour ce que j'en ai vu, à Tours, Satory ou Bièvres, je vous répondrai que de tels problèmes n'empêchent toutefois pas la bonne réalisation des entraînements. Les opportunités, quand il y en a, sont saisies, tout cela en accord avec les élus locaux, les propriétaires et les riverains.

Je répondrai à Thierry Cozic que nos unités d'élite ont certes chacune une histoire et une culture différentes, mais qu'elles sont parfaitement complémentaires. On l'a observé lors des attentats de novembre 2015 en France : une coordination a été effectivement assurée. Ces services travaillent ensemble en bonne intelligence ; il existe même des passerelles entre unités pour les personnels.

Pour clore le débat, je constate aussi que les économies tirées d'une potentielle fusion ou réorganisation de ces unités d'élite ne rapporteraient pas grand-chose, étant donné le budget modeste - 140 millions d'euros hors CAS « Pensions » - qui leur est alloué.

Enfin, la remarque de Pierre Barros sur le GIGN me semble judicieuse. Il faut savoir que, pour intégrer le GIGN, un militaire doit au préalable avoir passé un certain nombre d'années de service dans la gendarmerie. La durée de service au sein de cette unité d'élite peut atteindre 20 ans, ce qui est particulièrement remarquable. En plus de leurs qualités physiques, ces hommes et ces femmes possèdent des qualités mentales exceptionnelles.

La commission adopte les recommandations du rapporteur spécial et autorise la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.

Contrôle budgétaire - L'évolution du financement de la lutte contre les violences faites aux femmes - Communication

M. Claude Raynal, président. - Nous allons enfin entendre la communication de MM. Pierre Barros et Arnaud Bazin, rapporteurs spéciaux des crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », sur l'évolution du financement de la lutte contre les violences faites aux femmes.

M. Pierre Barros, rapporteur spécial. - Mes chers collègues, avant de céder la parole à mon collègue Arnaud Bazin, je souhaiterais dresser un rapide état des lieux des violences faites aux femmes en 2025 et apporter un certain nombre de précisions sur ce dont nous parlons.

Le constat n'est pas moins glaçant qu'il y a cinq ans : si le nombre de féminicides a diminué entre 2020 et 2023, passant de 121 à 96, le nombre de tentatives, lui, a augmenté de 238 à 451. Le nombre de viols ou de tentatives de viol enregistrés par les services de police et de gendarmerie a plus que doublé sur cette même période et le nombre des cas de violences volontaires au sein du couple a progressé de près de moitié.

Ces chiffres pourraient nous conduire à sous-estimer l'importance des violences, mais, en réalité, elles ne sont pas toutes déclarées - tant s'en faut. Les enquêtes de victimation témoignent au contraire du caractère endémique des violences faites aux femmes, puisque 217 000 femmes ont été victimes d'au moins une agression sexuelle hors du couple en 2022. Plus inquiétant encore, seuls 3 % des affaires de viol aboutissent à une condamnation définitive.

En réalité, les violences faites aux femmes, en particulier les violences sexuelles, s'inscrivent dans un véritable système de domination, fondé sur le sexisme. Celui-ci, loin de s'éteindre comme on voudrait parfois le croire, a malheureusement encore de beaux jours devant lui : plus d'un quart des hommes sondés par le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE) considèrent qu'ils feraient de bien meilleurs patrons qu'une femme, et la proportion d'hommes qui perçoivent la cause des femmes comme une menace pour leur pouvoir s'établit à 37 % en 2025, selon le même sondage.

Les violences faites aux femmes ne sont que l'aboutissement, le haut du spectre pour ainsi dire, d'un continuum de violences qui va du stéréotype à la discrimination, au viol et à l'exploitation sexuelle, voire au féminicide. Ainsi, quand Arnaud Bazin et moi-même parlons de violences faites aux femmes, c'est à ce gradient de violences que nous nous référons.

M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. - Il y a cinq ans, Éric Bocquet et moi-même avions publié un rapport d'information intitulé Le financement de la lutte contre les violences faites aux femmes : une priorité politique qui doit passer de la parole aux actes. La communication que je présente aujourd'hui, avec Pierre Barros, procède à un nouvel examen des mêmes questions : quels sont les moyens financiers mis à la disposition des politiques en faveur de la lutte contre les violences faites aux femmes ? Quels sont les moyens humains déployés dans cette perspective ? L'administration et les associations exercent-elles leurs missions dans des conditions satisfaisantes ?

D'abord, il nous est apparu que les politiques de lutte contre les violences faites aux femmes manquent d'une boussole stratégique depuis la fin du Grenelle des violences conjugales. La Cour des comptes a ainsi déploré « une juxtaposition de plans inégalement suivis », un constat que nous partageons. En outre, le plan « Toutes et tous égaux » pour la période 2023-2027 est jugé insuffisamment ambitieux, la lutte contre les violences faites aux femmes ne constituant que l'un de ses quatre axes. Il nous semble donc qu'il faudrait doter cette politique publique d'une véritable stratégie interministérielle ciblant les violences faites aux femmes, quitte à en adopter, comme nous le faisons, une large définition.

S'agissant des financements, il ressort de nos travaux que leur progression est difficile à évaluer. En effet, si les crédits du programme 137 « Égalité entre les femmes et les hommes » ont augmenté de 176,8 % entre 2020 et 2024, ils ne représentent au total qu'un peu plus de 100 millions d'euros. Il s'agit d'un montant dérisoire, a fortiori lorsqu'on le rapporte au « coût » des violences pour la société, que plusieurs études ont chiffré à au moins 3,6 milliards d'euros par an.

Heureusement, les crédits du programme 137 ne sont pas les seuls à concourir à la lutte contre les violences faites aux femmes : d'autres programmes permettent de financer les places d'hébergement d'urgence pour les femmes qui quittent leur conjoint violent ; certaines enveloppes dédiées à la justice ou à la sécurité sociale y concourent également.

Cela étant, l'estimation exacte de ces financements n'est pas aisée. Ainsi, la Fondation des femmes évalue cet effort financier à un peu plus de 180 millions d'euros, un montant qui nous paraît assez faible. Le document de politique transversale (DPT) fourni par l'administration de l'État, lui, considère que les crédits contribuant à l'égalité femmes-hommes s'élèvent à 5,8 milliards d'euros, ce qui semble franchement excessif. Dans notre rapport de juillet 2020, Éric Bocquet et moi-même avions ainsi déploré la complaisance avec laquelle on avait décidé de considérer un certain nombre de financements figurant dans le DPT comme contribuant à cette politique - je pense notamment aux salaires des professeurs d'histoire-géographie, qui font référence à l'égalité hommes-femmes dans leur cours d'enseignement moral et civique, ou encore à certains crédits de l'aide au développement, qui contribuent à la construction de stations de pompage et dispenseraient de ce fait les femmes africaines de transporter l'eau... Notre constat à cet égard est évidemment toujours valable.

Nos observations sont similaires s'agissant des autres sources de financement : les financements des collectivités territoriales sont significatifs, mais ils sont probablement sous-exploités. De même, il nous semble qu'il faudrait davantage mobiliser les fonds européens. En outre, les fonds privés pourraient également être une manne intéressante. Mentionnons ici l'exemple inspirant de la Fondation des femmes, qui se fait une spécialité de collecter des fonds privés pour les redistribuer à d'autres associations agissant en faveur de la prévention des violences faites aux femmes.

S'il semble judicieux de s'interroger sur le niveau des financements, qui peut apparaître inférieur à celui des besoins, il l'est tout autant de s'interroger sur leur efficacité. Or, en la matière, nous ne disposons que de peu d'informations. Nous recommandons de revoir certains indicateurs de performance, que nous jugeons trop peu pertinents. Il importe surtout d'être fidèle à la démarche, qui n'était encore qu'une ébauche en 2020, de la « budgétisation intégrant l'égalité » : il s'agit d'une sorte de « budget vert », à ceci près qu'il permet de mesurer l'impact du budget, non pas sur l'environnement, mais sur l'égalité entre les femmes et les hommes. Il nous semble que cette démarche présente un intérêt certain si l'on veut vraiment évaluer l'impact des dépenses publiques en faveur de l'égalité femmes-hommes. L'administration a assuré qu'une préfiguration de ce dispositif était prévue dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2026 : nous y serons attentifs.

J'en viens enfin aux acteurs indispensables de la politique de lutte contre les violences faites aux femmes, à savoir le service des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes (SDFE) et les associations spécialisées. Une fois encore - et nous n'en tirons malheureusement aucune satisfaction -, notre constat n'est guère différent d'il y a cinq ans.

S'agissant de l'administration, la Cour des comptes juge que ses services « peinent à accomplir leur mission », en raison notamment de la faiblesse de leurs moyens. Cette faiblesse est particulièrement criante à l'échelon déconcentré : il faut garder à l'esprit que les délégations départementales aux droits des femmes ne sont composées que d'un délégué, qui doit remplir seul ses missions.

Nous souhaitons apporter une réponse à cette situation. D'abord, il faudrait donner à l'administration les moyens de ses missions - c'est un préalable élémentaire -, en portant les effectifs du réseau déconcentré au niveau théorique prévu par une instruction ministérielle. Cela impliquerait de rehausser le plafond des autorisations d'emplois d'une dizaine d'ETP. Il nous semble également qu'il faudrait faire du SDFE une véritable administration ministérielle, en le transformant en une délégation interministérielle dont le ministre de tutelle serait lui-même rattaché au Premier ministre.

Enfin, nous observons que les associations sont très fragilisées par le versement tardif de leurs subventions et la faiblesse de leurs moyens humains. Nous réitérons donc les recommandations du rapport que j'ai commis avec Éric Bocquet en 2023 sur le conventionnement des associations : simplifier les procédures de conventionnement et développer les conventions pluriannuelles qui sont encore trop peu utilisées.

Aujourd'hui, malgré la hausse des moyens, les besoins ne sont pas satisfaits. Il serait tentant de réclamer une hausse des moyens tous azimuts en faveur d'une cause aussi importante que celle-ci. Mais, compte tenu de la contrainte budgétaire qui ne cesse de s'accentuer, nous avons préféré chercher à identifier les priorités de l'action publique en matière de lutte contre les violences faites aux femmes.

M. Pierre Barros, rapporteur spécial. - À l'issue de nos auditions, Arnaud Bazin et moi-même avons en effet identifié trois axes d'action prioritaire.

Le premier consiste à étendre le champ de la lutte contre les violences faites aux femmes aux violences hors du couple et à développer la prévention. En effet, malgré d'importants progrès réalisés en matière de protection des victimes de violences conjugales - déploiement des téléphones grave danger (TGD) et des bracelets antirapprochement (BAR), ordonnances de protection -, la prise en charge demeure perfectible, à plus forte raison s'agissant des violences hors du couple.

Ainsi, la progression des moyens alloués aux structures d'accompagnement - la hausse enregistrée s'élève à 61 % en cinq ans -, qu'il s'agisse des centres d'information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF), des lieux d'écoute, d'accueil et d'orientation (LEAO), ou des accueils de jour, n'a pas été aussi importante que celle des crédits du programme 137, qui a atteint 176,8 % sur la même période.

Davantage de moyens doivent également être consacrés à la prévention. Les centres de prise en charge des auteurs de violences conjugales (CPCA) pourraient constituer un outil intéressant en la matière. Plusieurs études soulignent leur impact positif sur les récidives. Ces centres pourraient ainsi développer leurs activités auprès des publics volontaires, afin de prévenir la commission des violences.

Les associations considèrent que les CPCA ne devraient pas être financés par le programme 137, lequel devrait être consacré aux victimes. Sans prendre position dans ce débat, qui paraît avant tout symbolique, il est clair que le financement des CPCA devrait être remis à plat. En effet, il repose actuellement sur un forfait par centre, quel que soit le nombre d'auteurs de violences pris en charge. Il convient d'augmenter les parts des financements variables selon la file active et de réduire la part des financements forfaitaires pour renforcer la prévention.

Le deuxième axe prioritaire concerne la facilitation des parcours de sortie de la prostitution. L'application de la loi est en effet disparate sur le territoire, notamment du fait des dysfonctionnements des commissions départementales de lutte contre la prostitution : dans certains départements, une telle commission n'a été mise en place que sept ans après l'adoption de la loi de 2016. Aujourd'hui encore, certaines d'entre elles ne se réunissent jamais ; d'autres opposent systématiquement un refus aux parcours de sortie de la prostitution, en parfaite méconnaissance de la loi.

Ces dysfonctionnements tout à fait inadmissibles doivent cesser immédiatement. Outre l'actualisation de l'instruction ministérielle pour assurer une meilleure information des administrations déconcentrées concernées, il conviendrait de réglementer les commissions départementales par décret et d'augmenter la durée qui sépare le renouvellement de deux parcours de sortie de la prostitution, afin de sécuriser les parcours de celles et ceux qui bénéficient du dispositif.

Enfin, il est primordial de renforcer l'accompagnement des femmes qui quittent leur conjoint violent. Certes, la création de l'aide universelle d'urgence pour les victimes de violences conjugales est une avancée en ce sens, mais elle ne peut résoudre à elle seule toutes les difficultés des victimes. C'est pourquoi la mise en place du pack « nouveau départ », dont l'ambition est de permettre un accompagnement global des victimes qui quittent leur conjoint violent, doit impérativement s'accélérer.

De même, les besoins en matière d'hébergement pour les victimes de violences sont très importants. Si un parc spécialisé a été développé depuis 2020, il ne suffit guère à loger les femmes qui en ont besoin ; en outre, on constate une tension croissante sur l'offre d'hébergement, la création du parc spécialisé semblant avoir été partiellement rendue possible par la conversion de places d'hébergement existantes.

Dans les années à venir, la priorité doit aller à la structuration d'un véritable parcours, de la mise à l'abri jusqu'au retour au logement autonome, qui passe par une phase d'accompagnement dans la durée dans le logement social ou l'habitat intermédiaire, laquelle doit se conclure par un retour dans le parc privé grâce au développement de mécanismes de garantie locative. Les 10 millions d'euros de crédits ouverts dans le cadre du projet de loi de finances pour 2025 pour loger les femmes sans abri constituent, à ce titre, un modèle à suivre.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Pierre Barros vient d'évoquer la dotation de 10 millions d'euros votée dans le cadre du projet de loi de finances pour 2025 : il importe de regarder de plus près la traduction concrète qui en a été faite sur le terrain. Ce retour d'expérience est essentiel.

Arnaud Bazin nous alerte chaque année sur ce sujet très important des violences faites aux femmes. J'ai moi-même assisté vendredi dernier à une réunion de maires près de la sous-préfecture de Lunéville, en présence des services de l'État, lors de laquelle a été abordée la question des violences intrafamiliales. À cette occasion, le commandant de la gendarmerie de Lunéville nous a alertés sur le fait que, d'après les deux intervenantes sociales qu'il employait, près de 40 % des cas de violences n'avaient jamais été détectés par les services sociaux, un chiffre impressionnant qui éclaire d'un nouveau jour les statistiques que nos rapporteurs spéciaux viennent de nous communiquer.

Cela me conduit à penser qu'il convient de renforcer l'articulation des actions engagées par les différents acteurs sur le terrain.

Au travers votre recommandation n° 8, vous préconisez d'« encourager le développement de solutions de financement sur fonds privés ». Toutes les solutions doivent en effet être explorées. À ce titre, je citerai un exemple intéressant : se pose, toujours à Lunéville, le problème du financement d'un poste supplémentaire d'intervenant social en gendarmerie ; or il est envisagé de faire peser la prise en charge de près de 80 % de ce budget par la Mutualité sociale agricole (MSA), qui interviendrait dans la mesure où le territoire concerné est à dominante rurale. Par ailleurs, une part de l'effort financier peut être fourni par les collectivités locales : ces dernières acceptent parfois de financer le relogement de femmes victimes de violences et de leurs enfants, en mettant un ou deux logements à disposition - même si tout cela implique des moyens et de l'ingénierie de projet. Je souscris en tout cas à cette recommandation qui met en exergue l'importance de la recherche collective de solutions de financement privées ou publiques.

Mme Isabelle Briquet. - Je remercie les deux rapporteurs spéciaux de cette communication, dans laquelle ils dressent un rapport plutôt alarmant. Les violences sont en nette augmentation. Que cela s'explique ou non par une meilleure connaissance du phénomène, les chiffres sont effarants.

Mes chers collègues, je souhaite vous interroger sur un point précis : pourriez-vous nous en dire plus sur les importantes tensions que vous avez mentionnées sur l'offre d'hébergements. Par ailleurs, pourriez-vous préciser en quoi consisterait le parcours d'hébergement continu et cohérent que vous appelez de vos voeux ? Enfin, dans votre recommandation n° 19, vous proposez d'« expérimenter [...] l'hébergement des auteurs de violences », ce qui pourrait apparaître contre-intuitif, dès lors que les moyens financiers consacrés à l'accompagnement desdites victimes sont insuffisants aujourd'hui : pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet ? Disposez-vous d'informations sur les dispositifs actuels de suivi des auteurs de violences ?

M. Vincent Éblé. - Mes chers collègues, dans votre communication, vous évoquez les dysfonctionnements des commissions départementales de lutte contre la prostitution. C'est un commentaire qui m'interpelle, car, vous l'avez vous-même dit, il n'en existe pas partout. C'est du reste pourquoi je considère, pour ma part, qu'elles ont surtout le mérite d'exister. De quels dysfonctionnements s'agit-il exactement ?

M. Stéphane Sautarel. - Par votre recommandation n° 6, vous proposez de « développer la contribution des collectivités territoriales au financement des solutions locales concourant à l'égalité entre les hommes et les femmes et à la lutte contre les violences faites aux femmes ». Mais cette contribution n'existe-t-elle pas déjà ? Êtes-vous en mesure d'estimer le niveau des efforts financiers déjà consentis par celles-ci ? Quels efforts supplémentaires envisagez-vous ?

M. Jean-Marie Mizzon. - Cette recommandation n° 6 est-elle, dans l'esprit de ses auteurs, une obligation ou une incitation ? Quelles sont les collectivités visées lorsque l'on évoque cette contribution complémentaire ?

Il faut savoir que la moitié des féminicides en France ont lieu en zone rurale, alors que les territoires ruraux ne représentent qu'un tiers de la population globale. Les communes rurales ont conscience de la situation : elles se sont organisées en mettant en place le dispositif « Élu rural relais de l'égalité » (Erre) au travers duquel elles invitent l'ensemble des communes de chaque département à désigner un référent susceptible de détecter les endroits où se produisent de telles violences. Envisagez-vous de solliciter davantage ces programmes à travers un financement dédié ?

M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. - Monsieur le rapporteur général, les 10 millions d'euros de crédits consacrés aux femmes victimes de violences sans domicile feront évidemment l'objet d'une expertise en vue d'une traduction concrète dans le cadre du prochain projet de loi de finances. À l'heure où je vous parle, nous ne nous sommes pas encore penchés sur le sujet.

Vous avez eu raison d'évoquer les intervenants sociaux en gendarmerie, car leur importance - vous l'avez souligné avec l'exemple que vous avez donné - est cruciale dans cette lutte contre les violences. Leur généralisation, souhaitée, suppose des financements qui sont en règle générale tripartites - État, département et groupement de communes -, mais qui peuvent varier, notamment en zone rurale - vous avez à juste titre mentionné le rôle de la MSA. Quoi qu'il en soit, le dispositif des intervenants sociaux en gendarmerie a fait ses preuves.

Mme Briquet nous interroge sur notre recommandation n° 19 : la promotion de l'hébergement des auteurs de violences doit permettre à la victime d'occuper le domicile, ce qui est essentiel lorsque le couple a des enfants - il est extrêmement complexe de devoir déménager, car cela implique un changement de lieu de vie, d'école, etc. Il est toujours préférable, nous semble-t-il, d'éloigner les auteurs des violences, soit par voie de justice, soit via un programme reposant sur le volontariat. À ce sujet, je fais mienne la conclusion du rapporteur général : c'est d'une prise en charge collective, impliquant l'État et tous les acteurs locaux, chacun jouant son rôle en fonction de ses capacités, que nous avons besoin.

Notre collègue nous interroge également sur les causes d'une telle hausse des violences en l'espace de seulement cinq ans : il est possible qu'on les détecte mieux ; ce qui est certain, c'est que la pandémie de covid-19 a renforcé les tensions au sein de certains couples et a accentué le phénomène des violences, libérant un certain nombre de comportements. Il est cependant difficile d'en mesurer les incidences.

Nous appelons effectivement de nos voeux un parcours d'hébergement continu et cohérent : cela passera, je viens de le dire, par la contribution de chacun, et notamment des collectivités locales, en fonction des moyens dont il dispose.

Enfin, l'éloignement des auteurs de violences ne nous semble absolument pas contre-intuitif : il s'agit au contraire d'une voie à privilégier.

M. Éblé a évoqué la question de la lutte contre la prostitution : dans le cadre de mes travaux sur le sujet, j'ai toujours pris soin de déplorer la lenteur avec laquelle les commissions départementales de lutte contre la prostitution avaient été mises en place dans les départements. Aujourd'hui, il en existe partout, ce qui ne veut pas dire pour autant qu'elles se réunissent régulièrement et efficacement. Parmi les dysfonctionnements que nous décrivons, je mettrai en avant la cohabitation difficile en leur sein d'acteurs aux préoccupations divergentes : certains services de l'État s'inquiètent ainsi d'une possible instrumentalisation de la politique de lutte contre la prostitution afin de contourner les règles en vigueur en matière d'immigration, ce qui nous semble être un sujet mineur, au vu des chiffres dont nous disposons. La priorité doit rester la lutte contre la prostitution, même si cela conduit à terme à la délivrance de titres de séjour.

M. Sautarel a bien expliqué que les collectivités locales étaient déjà mises à contribution de manière significative en matière de lutte contre les violences faites aux femmes, et, plus largement, pour ce qui est des actions concourant à l'égalité femmes-hommes - nous en avons conscience. D'ailleurs, en 2022, près de 30 % des crédits alloués aux centres d'information sur les droits des femmes et des familles émanaient des collectivités territoriales - essentiellement par le biais des départements et des groupements de communes - , contre 40 % pour l'État. De même, les lieux d'écoute, d'accueil et d'orientation des femmes victimes de violences et les accueils de jour sont souvent cofinancés par l'État et les collectivités territoriales.

Nous ne disposons pas pour autant d'éléments formalisés pour livrer une estimation globale des financements alloués par les collectivités à cette politique de lutte contre les violences. C'est d'autant plus regrettable que les collectivités territoriales et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) de plus de 20 000 habitants ont l'obligation de publier chaque année un rapport sur la situation en matière d'égalité femmes-hommes intéressant le fonctionnement de la collectivité. Pour améliorer la lisibilité de ces financements, nous proposons de réaliser un recensement des rapports produits par ces collectivités et de généraliser, comme nous l'avons déjà expliqué, la « budgétisation intégrant l'égalité ».

Enfin, pour répondre à M. Mizzon, l'appel à contribution des collectivités ne relève évidemment pas de l'obligation : celles-ci doivent faire selon leurs moyens. Dans le contexte budgétaire actuel, il convient cependant de s'interroger sur les capacités tant de l'État que des collectivités à monter en gamme.

M. Pierre Barros, rapporteur spécial. - Je fais bien entendu miennes les réponses que vient d'apporter Arnaud Bazin, avec qui je partage une expérience commune dans le même département.

L'idée est de mettre en place un partenariat entre services de l'État, collectivités et associations, pour tenter de traiter l'intégralité de la problématique des violences faites aux femmes.

Chacun le reconnaît, la marche est très haute, et l'est de plus en plus année après année. Notre société va mal de ce point de vue. Les chiffres des violences progressent, d'autant que le traitement du problème est complexe, notamment quand les violences ont lieu dans l'espace privé.

Vos questions le prouvent : la question du logement est centrale. Même si la loi prévoit la mise à l'écart des auteurs de violences, on s'aperçoit que, dans les faits, les choses sont plus compliquées. Souvent, les auteurs de violences sont aussi propriétaires du logement et subviennent à l'essentiel des besoins du foyer, si bien que les femmes se trouvent très isolées, en particulier dans les quartiers populaires et en zone rurale, où l'aide qu'elles sont susceptibles de demander est plus éloignée ou diffuse.

Je veux souligner par ailleurs l'importance de l'accompagnement psychiatrique et psychologique mis en place dans certains hôpitaux pour soutenir les femmes victimes de violences et leurs enfants. Il s'agit d'initiatives cruciales tant les souffrances sont importantes.

Je suis persuadé que les collectivités ont un rôle essentiel à jouer dans la lutte contre les violences faites aux femmes : les élus locaux exercent une mission de proximité vis-à-vis des populations ; on dit même parfois que les maires soignent les âmes. Ils sont capables, dans certaines situations, de détecter des situations de détresse qui ne l'avaient pas été par les services sociaux, les collègues ou les voisins des victimes.

M. Claude Raynal, président. - Mes chers collègues, je vous remercie de cette communication fort intéressante. Je suis cependant dubitatif quant à l'intérêt qu'il y aurait à développer l'hébergement des auteurs de violences, et, donc, à laisser les femmes victimes dans leur logement, car un nouvel hébergement présente justement l'avantage de leur garantir une forme d'anonymat et de contribuer à éviter toute récidive - même si j'ai bien noté qu'il s'agissait d'une expérimentation, qui plus est sur la base du volontariat.

La commission adopte les recommandations des rapporteurs spéciaux et autorise la publication de leur communication sous la forme d'un rapport d'information.

Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à renforcer la lutte contre la fraude bancaire - Désignation d'un rapporteur

La commission désigne Mme Nathalie Goulet comme rapporteur de la proposition de loi n° 496 (2024-2025), adoptée par l'Assemblée nationale, visant à renforcer la lutte contre la fraude bancaire.

La réunion est close à 11 h 15.